Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


 

 

Date : 20100224

Dossier : IMM-2437-09

Référence : 2010 CF 209

Ottawa (Ontario), le 24 février 2010

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

ALEXA KRAUCHANKA

MAKSIM KRAUCHANKA

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE
L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision datée du 16 mars 2009 par laquelle une agente des visas, en poste à l’ambassade du Canada en Pologne, a refusé d’accorder aux demandeurs une dispense pour motifs d’ordre humanitaire, en application de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), relativement aux exigences de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR).

 

LES FAITS

Le contexte

[2]               La demanderesse, Alena Krauchanka, âgée de vingt-huit (28) ans, et son fils de cinq (5) ans, Maksim Krauchanka, demandeur lui aussi, sont tous deux citoyens du Bélarus. Le répondant des demandeurs, Dzianis Krauchanka, âgé de vingt-huit (28) ans, est un citoyen du Bélarus et un résident permanent du Canada qui a obtenu le droit d’établissement le 20 novembre 2004.

 

[3]               Le répondant et la demanderesse, Mme Krauchanka, se sont rencontrés en février 2002 et ont commencé à se fréquenter. À l’époque, le demandeur était étudiant et sa mère subvenait à ses besoins. En 2003, lui-même a été parrainé en vue d’obtenir le statut de résident permanent à titre d’enfant à charge de son père canadien. À cette époque, la demanderesse, Mme Krauchanka, n’a pas été déclarée comme son épouse. Le répondant déclare, au paragraphe 5 de son affidavit, que la relation qu’il entretenait avec Mme Krauchanka n’était pas assimilable à une cohabitation :

[traduction
¶5        À l’époque où mon père a demandé à me parrainer, je ne vivais pas avec celle qui était à l’époque ma petite amie, la demandeure. Ce n’était pas une relation sérieuse, juste une relation du type petit ami/petite amie. Il n’y avait donc aucun motif pour que ma petite amie soit mentionnée dans la demande de parrainage.

Le répondant déclare que la relation qu’il entretenait avec Mme Krauchanka est devenue plus sérieuse quand celle-ci a donné naissance à leur fils le 23 avril 2004. Il déclare qu’il n’était pas au courant de l’obligation qu’il avait de déclarer les demandeurs avant d’obtenir le droit d’établissement le 20 novembre 2004, pas plus que ne l’était son père, qui avait rempli les formulaires d’immigration.

 

[4]               Le répondant est retourné au Bélarus pour épouser Mme Krauchanka le 23 décembre 2005. Une demande de parrainage des demandeurs a été déposée peu après, et une décision a été rendue le 10 août 2007. L’agente des visas a interrogé Mme Krauchanka et a conclu que, dans les faits, le répondant avait cohabité avec cette dernière pendant 21 mois en tant que couple fiancé avant qu’il immigre au Canada :

[traduction] Y et X se sont rencontrés en février 2002, et ont commencé à se fréquenter. En février 2003, X a emménagé dans l’appartement de Y. X était enregistré à l’appartement de sa mère – cette adresse apparaît sur le questionnaire de X comme étant son lieu de résidence.

Y n’a eu connaissance des plans d’immigration de X qu’au moment où elle est tombée enceinte. X l’a demandée en mariage en juin 2003. Il n’avait pas d’argent pour le mariage et a donc décidé de le reporter. X est parti pour le Canada après la naissance de l’enfant; celui-ci avait 8 mois. X a promis de subvenir aux besoins de Y et de l’enfant, et qu’ils se marieraient dès qu’il pourrait venir du Canada et payer le mariage […]

L’agente des visas a décidé que les demandeurs étaient exclus, aux termes de l’alinéa 117(9)d) du RIPR, pour défaut d’avoir été déclarés et d’avoir fait l’objet d’un contrôle. Elle a également exprimé l’avis que ce défaut était une fausse déclaration délibérée car, en les divulguant, le répondant n’aurait pas été admissible à la résidence permanente au Canada à titre d’enfant « à charge ». Les demandeurs n’ont pas contesté cette décision.

 

[5]               Le 19 janvier 2009, les demandeurs ont présenté une demande d’exemption pour motifs d’ordre humanitaire (CH), relativement à l’application de l’alinéa 117(9)d) du RIPR. L’ambassade du Canada en Pologne a confirmé la réception de la demande CH des demandeurs le 12 mars 2009.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[6]               L’agente des visas a rendu sa décision défavorable le 16 mars 2009, quatre jours seulement après que l’on eut confirmé la réception de la demande CH.

 

[7]               Les demandeurs ont présenté un certain nombre de facteurs d’ordre humanitaire à prendre en considération :

1.      l’explication du répondant au sujet de la non-déclaration des demandeurs et de l’absence de mauvaise foi;

2.      l’intérêt supérieur de l’enfant, notamment la pauvreté dans laquelle vit ce dernier et l’absence de contacts avec son père;

3.      la stabilité de la relation entre le répondant et les demandeurs;

4.      la dépendance financière et affective de l’épouse demanderesse à l’égard du répondant;

5.      l’effet que le refus de la demande aurait sur la famille.

 

[8]               L’agente des visas s’est fondée sur les notes du STIDI qui étaient liées à la décision de parrainage de 2007 et elle a conclu que le répondant avait délibérément passé sous silence la relation de cohabitation qu’il entretenait avec Mme Krauchanka ainsi que la naissance de leur fils parce qu’il n’aurait pas satisfait lui-même à la définition d’un enfant à charge.

 

[9]               L’agente des visas a examiné les conditions de vie actuelles des demandeurs au Bélarus et a conclu que ces conditions n’équivalaient pas à des motifs d’ordre humanitaire convaincants; elle a donc rejeté la demande :

[traduction] Situation de la demandeure au Bélarus : elle partage un logement, ce qui est assez fréquent chez les familles en Europe de l’Est. Ses conditions de vie seraient probablement meilleures si le répondant avait décidé de rester avec elle et son enfant au Bélarus mais il a plutôt décidé de partir pour le Canada, en laissant derrière lui la demandeure et son enfant en 2004. La demande de parrainage n’a été présentée que deux ans plus tard, en 2006.

Il n’y a aucune preuve au dossier que l’enfant souffre de la détresse affective dont fait état la demandeure; uniquement des lettres de la demandeure.

[…]

Comme le répondant subvient aux besoins de la demandeure et de l’enfant, je ne conclus pas que la déclaration du consultant, à savoir que l’enfant vit dans la pauvreté, est convaincante. L’enfant vit effectivement à distance de son père, mais il le fait depuis que le répondant est parti pour le Canada en novembre 2004, date à laquelle l’enfant avait six mois. Dans une situation comme celle-là, il semble peu probable qu’il y ait un lien étroit entre l’enfant et son père, encore qu’il existe indubitablement un tel lien entre l’enfant et sa mère. L’enfant ne parle ni l’anglais ni le français et il vit en compagnie de membres de la famille immédiate. La situation CH ne m’apparaît donc pas tout à fait évidente.

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[10]           L’alinéa 117(9)d) du RIPR exclut de la catégorie du regroupement familial tout ressortissant étranger qui, à l’époque de la demande initiale de résidence permanente du répondant, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et qui n’a pas fait l’objet d’un contrôle :

(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes  :

[…]

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant

pas ce dernier et n’a pas fait

l’objet d’un contrôle.

(9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

 

 

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.

 

[11]           L’article 25 de la LIPR permet au ministre d’accorder une dispense de toute application de la Loi ou du Règlement pour un motif d’ordre humanitaire ou à cause de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché ou de l’intérêt public :

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente

loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du

Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant

directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this

Act, and may, on the Minister’s own initiative

or on request of a foreign national outside Canada,

examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that

it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[12]           Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

  1. L’agente a-t-elle commis une erreur de droit au moment d’apprécier la présente demande de résidence permanente? A-t-elle commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier l’approbation de la demande de résidence permanente :

 

    1. en restreignant indûment son pouvoir discrétionnaire, en prenant en considération des éléments de preuve extrinsèques et en faisant abstraction de la totalité de la preuve;

 

    1. en omettant d’apprécier l’intérêt supérieur de l’enfant touché;

 

    1. en omettant de motiver convenablement la décision;

 

d.      en interprétant erronément le principe qui s’applique aux motifs d’ordre humanitaire?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[13]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 372 N.R. 1, la Cour suprême du Canada conclut au paragraphe 62 que la première mesure à prendre lorsqu’on procède à une analyse relative à la norme de contrôle est de « [v]érifier si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de question en particulier » : voir aussi Khosa c. Canada (MCI), 2009 CSC 12, le juge Binnie, au paragraphe 53.

 

[14]           La Cour d’appel fédérale a récemment conclu, dans l’arrêt Kisana c. Canada (MCI), 2009 CAF 189, le juge Nadon, au paragraphe 18, que la norme de contrôle d’une décision CH d’un agent des visas est la raisonnabilité : voir aussi Thandal c. Canada (MCI), 2008 CF 489, 167 A.C.W.S. (3d) 166, le juge Phelan, au paragraphe 7.

 

[15]           Au moment de contrôler la décision d’un agent en fonction de la norme de la raisonnabilité, la Cour doit examiner si le caractère raisonnable tient principalement « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du doit » : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59.

 

ANALYSE

La question en litige :      L’agente a-t-elle commis une erreur de droit au moment d’apprécier la présente demande de résidence permanente? A‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier l’approbation de la demande de résidence permanente?

 

La restriction indue du pouvoir discrétionnaire

[16]           La demanderesse soutient que l’agente des visas a permis à la décision relative au parrainage d’août 2007 d’embrouiller l’appréciation de la demande dont elle était saisie, de telle sorte qu’une personne informée, considérant la question de façon réaliste et pratique, conclurait que l’agente a omis d’aborder l’évaluation de la demande CH des demandeurs avec l’esprit ouvert et de manière impartiale.

 

[17]           Les demandeurs ont invoqué un certain nombre de décisions de la présente Cour, décisions qui reposent toutes sur des faits différents et qui ne s’appliquent pas à la situation dont il est question en l’espèce : Mehe c. Canada (MEI) (1990), 131 N.R. 315, 12 Imm. L.R. (2d) 30, le juge Pratte; Sivamoorthy c. Canada (MCI), 2003 CFPI 408, le juge Russell; Rathor c. Canada (MEI) (1994), 27 Imm. L.R. (2d) 192, 51 A.C.W.S. (3d) 1347, le juge en chef adjoint Jerome; Nasca c. Canada (MCI), 2004 CF 91, le juge Mosley. Dans les décisions qui précèdent, la Cour a conclu que le fait que le tribunal de la Section de la protection des réfugiés s’était fondé sur des décisions antérieures qui ne concernaient pas le même genre de demandeurs constituait un cas de partialité.

 

[18]           La décision datée d’août 2007 n’est pas extrinsèque mais elle fait partie du dossier des demandeurs sur lequel l’agente des visas a le droit de se fonder : Reza Azali c. Canada (MCI), 2008 CF 517, le juge Beaudry, aux paragraphes 24 à 29; Lahai c. Canada (MCI), 2002 CAF 119, le juge Sexton, au paragraphe 29; Ally c. Canada (MCI), 2008 CF 445, le juge Russell, aux paragraphes 19 et 20.

 

[19]           Contrairement aux observations des demandeurs, l’agente des visas ne s’est fondée sur la décision antérieure que pour décider si le défaut de déclarer les demandeurs était de bonne foi. Ce facteur, même s’il est important, n’est pas la seule raison pour laquelle la demande CH a été refusée.

 

L’intérêt supérieur de l’enfant

[20]           Les demandeurs soutiennent que l’agente des visas a décidé déraisonnablement que l’intérêt supérieur de l’enfant n’était pas un facteur convaincant en l’espèce car le répondant avait rendu visite à ce dernier et subvenait actuellement à ses besoins.

 

[21]           Dans De Guzman c. Canada (MCI), 2004 CF 1276, [2005] 2 R.C.F. 162, conf. par 2005 CAF 436, [2005] A.C.F. no 2119 (QL), au paragraphe 55, j’ai conclu, au paragraphe 38 de cette décision, que le principe de la réunification des familles ne peut supplanter l’exigence de base selon laquelle la législation en matière d’immigration du Canada se doit d’être respectée. Cependant, j’ai conclu également que l’article 25 de la LIPR peut atténuer cette inflexibilité en appliquant des facteurs équitables dans des cas appropriés : De Guzman, précitée, au paragraphe 55.

 

[22]           Il ressort de la jurisprudence que la raison pour laquelle un membre d’une famille n’a pas été déclaré ou n’a pas fait l’objet d’un contrôle doit être « convaincante » pour qu’il soit justifié de dispenser une personne pour un motif d’ordre humanitaire de l’application de l’alinéa 117(9)d) du RIPR. : Pascual c. Canada (MCI), 2008 CF 93, le juge de Montigny, au paragraphe 19; Sultana c. Canada (MCI), 2009 CF 533, le juge de Montigny, au paragraphe 27.

 

[23]           Quand on procède à une évaluation CH, les facteurs qui militent en faveur de la réunification ne l’emportent pas toujours sur les problèmes d’intérêt public que soulève une fausse déclaration antérieure : Kisana, précité, aux paragraphes 27 et 31.

 

[24]           Dans le cas de la présente demande, l’intérêt public qu’il y a à confirmer le respect des lois canadiennes en matière d’immigration est un sujet de préoccupation légitime. Le répondant n’aurait pas eu le droit d’immigrer au Canada à titre d’enfant à charge s’il avait déclaré les demandeurs avant d’obtenir le droit d’établissement. Il a omis de le faire et la preuve au dossier donne à penser qu’il s’agit d’une fausse déclaration délibérée. C’était là un point important, mais non déterminant, que l’agente des visas était en droit de prendre en considération dans l’analyse : Legault c. Canada (MCI), [2002] 4 CF 435 (C.A.), le juge Décary, au paragraphe 29.

 

[25]           Contrairement aux dires des demandeurs, l’agente des visas a examiné en détail l’intérêt supérieur de l’enfant en question. Elle a jugé raisonnablement que les conditions de vie des demandeurs n’étaient pas inusitées au Bélarus et qu’elles auraient peut-être été meilleures si le répondant avait décidé de vivre dans ce pays. Il n’y avait pas lieu de souscrire à l’observation des demandeurs selon laquelle l’enfant vivait dans la pauvreté, car le répondant subvenait à ses besoins financiers.

 

L’insuffisance des motifs

[26]           Les demandeurs soutiennent que les motifs de l’agente des visas sont insuffisants. Ils ajoutent que cette dernière n’aurait pas pu examiner de façon convenable une demande d’une telle complexité et rendre une décision raisonnable dans un délai d’à peine quatre jours.

 

[27]           Dans l’arrêt VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.F.), le juge Sexton explique, au paragraphe 21, quelle est la teneur de l’obligation de donner des motifs :

 

¶21      On ne s’acquitte pas de l’obligation de donner des motifs suffisants en énonçant simplement les observations et les éléments de preuve présentés par les parties, puis en formulant une conclusion. […] Le décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions. […] Les motifs doivent traiter des principaux points en litige.

 

[Notes de base de page omises.] [Non souligné dans l’original.]

 

[28]           La Cour est d’avis que l’agente des visas a fourni des motifs suffisamment détaillés qui mentionnent les éléments de preuve pertinents sur lesquels reposent ses conclusions. Même si la lettre de refus manquait de motifs suffisants, les notes du STIDI justifient amplement la décision de l’agente.

 

[29]           La demanderesse se fonde sur la décision que la Cour a rendue dans Khun c. Canada (MCI), 2006 CF 1285, où le juge Blais (tel était alors son titre) a conclu, aux paragraphes 20 à 22, qu’en une seule journée un agent d’immigration ne pouvait pas apprécier convenablement une demande CH qui contenait 700 pages de documents.

 

[30]           Les faits de l’espèce sont différents de ceux dont il est question dans la décision Khun, précitée, en ce sens que le dossier de demande contient moins de 200 pages et que moins de la moitié seulement de ces pages ont directement trait à des facteurs d’ordre humanitaire. Selon moi, quatre jours est un délai suffisant pour apprécier une demande CH de cette ampleur et de cette complexité.

 

L’interprétation erronée du principe des dispenses CH

[31]           La demanderesse soutient que l’agente des visas a commis une erreur en mettant indûment l’accent sur l’exclusion technique des demandeurs, en vertu de l’alinéa 117(9)d) du RIPR, au lieu d’analyser les facteurs d’ordre humanitaire de ces derniers.

 

[32]           Le critère à appliquer pour décider s’il convient d’accorder une exception pour un motif d’ordre humanitaire a été exposé dans la décision Irimie c. Canada (MCI) (2000), 10 Imm. L.R. (3d) 206, 101 A.C.W.S. (3d) 995 [2000] A.C.F. no 1906, au paragraphe 26, où le juge Pelletier (tel était alors son titre) a écrit que la procédure applicable en matière de dispense pour motifs d’ordre humanitaire « n’est pas destinée à éliminer les difficultés; elle est destinée à accorder une réparation en cas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives ».

 

[33]           Comme l’a décrété la Cour d’appel dans l’arrêt Kisana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 27, il est bien établi qu’une fausse déclaration faite dans une demande de résidence permanente est une considération d’intérêt public qui est pertinente dans le cas d’une appréciation fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La Cour a également déclaré ce qui suit au paragraphe 27 :

[…] Inévitablement, les facteurs qui militent en faveur de la réunification de la famille au Canada ne l’emporteront pas toujours sur les problèmes d’intérêt public soulevés par une fausse déclaration.

 

[34]           Le rôle de la Cour consiste à contrôler les éléments de preuve soumis à l’agente CH afin de s’assurer que cette dernière a pris en considération les éléments de preuve pertinents, de même que les facteurs applicables qui en découlent. En l’espèce, il était raisonnablement loisible à l’agente de conclure que [traduction] « le répondant a délibérément dissimulé le fait qu’il vivait dans le cadre d’une union de fait avec cette demandeure et qu’il avait un fils […] ». Cependant, l’agente doit décider si la preuve et les facteurs d’ordre humanitaire applicables justifient l’octroi d’une exception à la loi.

 

[35]           L’agente CH déclare dans les notes du STIDI qu’elle est convaincue que le répondant et la demandeure entretiennent une relation, et que le répondant poursuit cette relation avec elle. Cependant, elle ajoute, après avoir examiné la situation financière et les conditions de vie de l’enfant au Bélarus, que :

[traduction] Dans cette situation, les motifs d’ordre humanitaire ne m’apparaissent donc pas tout à fait évidents.

De plus, l’agente CH déclare que :

[traduction] Il semble peu probable qu’il y ait un lien étroit entre l’enfant et son père.

La Cour est d’avis que l’agente CH a semblé avoir « l’esprit fermé » quand elle déclare que [traduction] « dans cette situation les motifs d’ordre humanitaire ne m’apparaissent pas tout à fait évidents ». Le facteur d’ordre humanitaire est que le répondant aime manifestement son épouse et son enfant, et qu’ils veulent être ensemble. Le répondant a fourni à l’agente CH un affidavit indiquant qu’il a quitté le Canada pour le Bélarus pendant huit mois et qu’il a essayé de trouver un emploi. Incapable d’en trouver et finalement à court d’argent, il a dû revenir au Canada. Il s’agit là d’une preuve que le répondant veut véritablement être réuni avec son épouse et son fils.

 

[36]           Dans la lettre de décision datée du 16 mars 2009 de l’agente CH, cette dernière écrit :

[traduction] […] Je ne suis pas persuadée qu’il y a des motifs humanitaires convaincants pour surpasser le fait que vous-même, ainsi que votre fils, soyez interdits de territoire au Canada. J’ai signalé que votre répondant vous a rendu visite et qu’il subvient régulièrement à vos besoins financiers. Je ne vois pas de raisons convaincantes pour lesquelles il serait dans l’intérêt supérieur de votre enfant de le déménager au Canada.

 

Là encore, cela semble n’accorder aucun poids à l’objet de la législation de l’immigration qui est énoncé à l’alinéa 3(1)d) de la LIPR : « de veiller à la réunification des familles au Canada ». L’agente CH se concentre plutôt sur le soutien financier et les difficultés économiques.

 

[37]           Dans la décision Sultana et al. c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 533, le juge de Montigny infirme une décision CH qui ne répondait que « superficiellement » aux facteurs d’ordre humanitaire concernant la réunification du répondant avec son enfant car le répondant n’avait pas révélé l’existence de l’enfant et de l’épouse au moment de demander la résidence permanente. Le juge de Montigny a conclu que l’agent CH n’avait pas suffisamment apprécié l’effet de la séparation sur le répondant et sur les demandeurs. Au paragraphe 29 de la décision, le juge de Montigny a déclaré ce qui suit :

[…] Une lecture attentive des notes du STIDI révèle que l’agent d’immigration a considéré à plus d’une reprise l’omission de déclarer des membres de la famille comme un facteur primordial excluant toute possibilité que les facteurs d’ordre humanitaire puissent l’emporter sur l’exclusion prévue à l’alinéa 117(9)d).

Et, a-t-il ajouté, au paragraphe 30 :

[…] Néanmoins, au bout du compte, ses notes pouvaient être interprétées comme si l’omission de déclarer des membres de la famille était l’élément déterminant, et comme si le répondant avait lui-même attiré tous ses propres malheurs et ceux de sa famille. Cela a ensuite amené l’agent d’immigration à analyser les facteurs invoqués à l’appui de la demande de parrainage en fonction de la conduite du répondant à l’époque où il avait présenté sa propre demande en vue de devenir résident permanent, et à perdre de vue l’authenticité et la stabilité de sa relation avec son épouse et ses enfants, ses sincères regrets et l’incidence probable de la décision sur toute possibilité de réunification de cette famille […].

 

L’affaire Sultana est analogue à la demande en l’espèce, dans laquelle l’agente CH a omis de révéler le facteur prépondérant et a fait abstraction de l’authenticité de la relation de la famille et des motifs d’ordre humanitaire pour permettre à la famille d’être réunie.

 

[38]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

QUESTION CERTIFIÉE

[39]           Les deux parties ont affirmé à la Cour que la présente affaire ne soulève pas de question grave de portée générale qu’il conviendrait de certifier en vue d’un appel. La Cour souscrit à cette affirmation.

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision datée du 16 mars 2009 de l’agente des visas est infirmée et l’affaire renvoyée à un autre agent d’immigration en vue de prendre en considération les facteurs d’ordre humanitaire et de statuer de nouveau sur cette demande CH.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2437-09

 

INTITULÉ :                                       ALENA KRAUCHANKA, MAKSIM KRAUCHANKA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 février 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 février 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter G. Ivanyi

 

POUR LES DEMANDEURS

Kareena Wilding

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Peter G. Ivanyi

Rochon Genova

Avocats

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.