Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20100223

Dossier : IMM-3846-09

Référence : 2010 CF 211

Ottawa (Ontario), le 23 février 2010

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

LEVIS ZAATREH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi ), sollicitant le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 7 juillet 2009 (la décision), laquelle a rejeté la demande du demandeur de se voir reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

 

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est un citoyen d’Israël, d’origine ethnique arabe, et un chrétien pratiquant. Sa demande d'asile est fondée sur une crainte d'être persécuté par un groupe musulman extrémiste.

 

[3]               Le demandeur a été attaqué une première fois le dimanche de Pâques en 1999, alors qu'il quittait une cérémonie à l'église. Il a été frappé à l'arrière de la tête et dans les côtes. Une semaine après cette attaque, plusieurs magasins détenus par des chrétiens ont été vandalisés, incendiés et volés.

 

[4]               En 2001, le demandeur a été attaqué dans un café parce qu'il avait refusé de participer à une manifestation contre des dirigeants juifs. En mai 2002, alors qu'il marchait dans la rue, le demandeur a été attaqué par un groupe de musulmans qui « ont arraché sa croix de son cou et l’ont roué de coups ».

 

[5]               Le demandeur a déménagé à Haïfa en 2005 pour échapper à la persécution. Toutefois, alors qu'il travaillait dans un magasin détenu par un chrétien, le demandeur a été volé sous la menace d'un couteau. Ses assaillants lui ont pris tout son argent de même que l'argent du magasin. Ils lui ont également lancé des injures et l'ont menacé, lui disant que les chrétiens n'étaient pas les bienvenus et qu'ils devaient quitter Israël. Après le départ des assaillants, le demandeur a téléphoné à la police. Même si les policiers ont pris quelques notes concernant l'incident, le demandeur n'a plus jamais entendu parler d’eux.

 

[6]               Alors qu'il était à Haïfa, la voiture du demandeur a été endommagée et ses fenêtres brisées. Il a aussi commencé à recevoir des téléphones de menaces au début de 2006.

 

[7]               Le demandeur s'est enfui au Canada en mai 2006 et a présenté sa demande d'asile peu après.

 

[8]               Après son arrivée au Canada, le demandeur a appris que trois de ces cousins avaient été la cible de coups de feu de la part de leurs voisins musulmans. Un de ses cousins est décédé au cours de cette attaque.

 

LA Décision faisant l'objet du contrôle

 

[9]               La SPR a conclu à l'absence d'une preuve claire et convaincante concernant l’indisponibilité de la protection de l'État.

 

[10]           La SPR a mentionné les attaques qui auraient eu lieu le dimanche de Pâques, dans un café et alors que le demandeur marchait dans la rue. Toutefois, elle a également noté que « [l]e demandeur d’asile a affirmé ne pas se souvenir d’avoir signalé ces attaques aux policiers ».

 

[11]           Le témoignage du demandeur a porté sur le signalement à la police de l'attaque de 2005 dans le magasin. Les policiers lui ont demandé s'il pouvait identifier ses agresseurs. Il n'avait pas pu les reconnaître parce qu'ils portaient des masques. La SPR a noté ce qui suit :

Les policiers, qui ne disposaient pas d’une description ou identification adéquate des agresseurs, n’avaient pas assez de renseignements factuels pour s’acquitter de leur tâche. Il est raisonnable de penser que le caractère adéquat de la protection offerte par l’État n’a pu être vérifié, faute pour les policiers de disposer de suffisamment de renseignements pour mener à bien leur enquête. Il s’agit du seul incident où le demandeur d’asile a appelé les policiers pour assurer sa protection. Le fait de mettre en doute la protection offerte par l’État, alors que celle-ci n’a pu être vérifiée, ne constitue pas une réfutation de l’existence d’une présomption de protection de l’État dans son pays d’origine.  

 

[12]           En conséquence, la SPR a conclu que le demandeur ne s'était pas acquitté de son fardeau d'établir par une preuve claire et convaincante l'incapacité de l'État d’assurer la protection de ses citoyens.

 

[13]           La SPR a ensuite examiné les autres choix qui s'offraient au demandeur. À titre d'exemple, elle a mentionné la possibilité de déposer une plainte à l'unité des plaintes du public concernant l'inaction de la police en réponse au signalement de crime, de harcèlement et de discrimination. La SPR a alors examiné de façon appropriée les efforts faits pour améliorer le processus de plaintes contre des agents de police.

 

[14]           La SPR a également mentionné l'existence du Bureau de l'ombudsman, qui « [e]xamine les plaintes déposées contre des bureaux du gouvernement, des institutions de l'État, des administrations locales et certains autres organismes », dont plusieurs sont déposées par des personnes vulnérables. De plus, il est facile d'avoir accès à l'ombudsman et le service est gratuit.

 

[15]           Contrairement aux observations du demandeur selon lesquelles les citoyens d'Israël d'origine arabe « sont traités comme des citoyens de seconde zone » et qu'ils sont persécutés et subissent de la discrimination, la SPR a conclu que les policiers avaient répondu à l'appel du demandeur, avaient pris acte de l'incident et qu'ils s'étaient acquittés de leur tâche. La SPR a ajouté qu'« ils ne pouvaient toutefois agir qu’en fonction de l’information qui leur avait été transmise ». Dans son témoignage, le demandeur n'a pas fait état d’une « indifférence et attitude discriminatoire » de la part des policiers du fait qu'il était un chrétien d'origine arabe.

 

[16]           La SPR a examiné les éléments de preuve présentés par le demandeur en ce qui a trait à la police. Elle a conclu que même si les policiers ne prenaient pas « parti à la suite d’explosions de violence sectaire entre […] musulmans contre leurs compatriotes chrétiens d’origine arabe, » les manquements locaux dans le maintien efficace de l’ordre n'équivalent pas à une absence de protection de l'État, sauf s'il s'agit d'une tendance plus générale de l'État à être incapable ou à refuser d'offrir alors une protection.

 

[17]           De plus, il ressortait de la documentation sur la situation du pays qu'Israël est une démocratie parlementaire dans laquelle « [l]e gouvernement respecte en règle générale les droits fondamentaux de ses citoyens ». La preuve montrait aussi qu'Israël permet une liberté de culte que le gouvernement respecte généralement en pratique. S'appuyant sur un site Internet sioniste chrétien international, la SPR a également noté que les chrétiens étaient [traduction] « protégés juridiquement contre la persécution » .

[18]           La SPR a souligné qu'en février 2003, il n'existait aucun élément de preuve selon lequel une personne était emprisonnée pour ses croyances chrétiennes. En outre, en mai 2004, pour la toute première fois, un chrétien d'origine arabe a été élu juge à la cour suprême. La SPR a également cité la preuve documentaire selon laquelle [traduction] « dans l'ensemble, Israël traite les 138 000 membres de sa minorité chrétienne avec tolérance et équité ».

 

[19]           La SPR a conclu : « Lorsqu'un État a le contrôle efficient de son territoire, qu'il possède des autorités militaires et civiles ainsi qu'une force policière établies, et qu'il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens, le seul fait qu'il n'y réussit pas toujours ne suffit pas à réfuter la présomption de protection de l'État. » En effet, le demandeur n'a pas fourni des éléments de preuve convaincants pour réfuter la présomption de protection de l'État.

 

[20]           Par conséquent, la SPR a conclu que le demandeur n'était pas une personne à protéger et n'était pas exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitement ou peines cruels et inusités s'il devait être renvoyé en Israël.

 

LA Question en litige

 

[21]           Le demandeur soulève la question suivante dans la présente demande :

 

1.                  La SPR a-t-elle commis une erreur de droit dans son analyse sur la protection de l'État?

 

LES Dispositions légaLEs

 

[22]           Les dispositions suivantes de la Loi s'appliquent à la présente instance :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

 

[23]           La Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, a décidé que l’analyse de la norme de contrôle n’a pas besoin d’être menée dans chaque instance. Plutôt, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise présentée à la cour est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la bonne norme de contrôle.

 

[24]           La jurisprudence a établi que la question de la protection de l'État doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable. Voir Song c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 467, [2008] A.C.F. no 591, au paragraphe 6.

 

[25]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la raisonnabilité, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » Dunsmuir, au paragraphe 47. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

LES ARGUMENTS

            Le demandeur

 

[26]           Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur dans sa conclusion quant à la protection de l'État, à deux égards : premièrement, elle a mal interprété et appliqué le droit en ce qui a trait à la protection de l'État et, deuxièmement, elle s’est appuyée de manière sélective sur la preuve documentaire et a omis de prendre en compte la preuve pertinente.

 

[27]           La Cour a conclu que le sérieux des efforts faits doit être apprécié à l'aune de la protection des personnes assurée par l’État sur le terrain. Voir Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 79, 308 F.T.R. 54 (2007), au paragraphe 15. De plus, même s'il y a présomption de protection de l'État, cette présomption peut être réfutée par une preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État à assurer la protection de ses citoyens. Le demandeur d'asile peut prouver cette incapacité en mettant en preuve l'expérience de personnes qui ont été dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées. Voir Balogh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 809, 221 F.T.R. 203, au paragraphe 42. En outre, l'analyse doit prendre en compte « [n]on seulement le pouvoir protecteur de l'État doit-il comporter un encadrement légal et procédural efficace, mais également la capacité et la volonté d'en mettre les dispositions en œuvre ». Voir Jabbour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 831, [2009] A.C.F. no 961, au paragraphe 29.

 

[28]           En l'espèce, la SPR n'a pas compris que la présomption de protection de l'État pouvait être réfutée par une preuve claire et convaincante et que l'expérience de personnes qui sont dans une situation semblable à celle du demandeur et l'expérience même du demandeur peuvent fournir cette preuve. Pour ce motif, la SPR a commis une erreur en omettant de prendre en compte la preuve documentaire objective qui se rapportait à la situation personnelle du demandeur.

 

[29]           La SPR a aussi commis une erreur en s'appuyant sur des éléments de preuve non pertinents et en citant de façon sélective des extraits de la preuve documentaire pour étayer sa conclusion, tout en écartant des éléments de preuve qui allaient directement dans le sens contraire. Par exemple :

a)                  La SPR a cité un extrait d'une réponse à une demande d'information tirée du cartable de documents et intitulée [traduction] « Israël : Information sur des cas de discrimination contre des immigrants de l'ancienne Union soviétique; réaction des autorités gouvernementales et des organisations non gouvernementales » [souligné dans l’original]. De toute évidence, il s'agit d'une erreur puisque le demandeur n'est pas un immigrant de l'ancienne Union soviétique, mais un chrétien d’origine arabe né en Israël.

 

b)                  La SPR a également cité un extrait d'une réponse à une demande d'information qui contenait des renseignements généraux du site Internet de la police d'Israël, qui fait état d'un projet pilote qui comporterait « de la médiation entre les policiers et les plaignants » [souligné dans l’original]. Elle mentionne également qu'une organisation israélienne qui fournit de l'information sur les violations des droits de la personne commises en Cisjordanie et dans la bande de Gaza a allégué qu’elle [traduction] « a servi d'instrument dans l'obtention de la première condamnation, en cinq ans, d'un agent des douanes qui avait maltraité des Palestiniens ». Cela ne peut étayer une conclusion de protection de l'État. De plus, la SPR était saisie d'éléments de preuve documentaire précis concernant la protection offerte par l'État aux Arabes et aux chrétiens d'origine arabe en Israël qu'elle a ignorés.

 

c)                  La SPR a également cité de façon sélective des extraits tirés d'une Réponse à une demande d'information intitulée « Information sur la protection offerte par l’État aux chrétiens ». La SPR a conclu, en 2001, que « deux fois plus de chrétiens que de juifs ont visité Israël » et que cela signalait que [traduction] « dans l'ensemble, Israël traite les 138 000 membres de sa minorité chrétienne avec tolérance et équité ». Le demandeur soutient que le fait que des chrétiens des quatre coins du monde visitent les lieux sacrés à Jérusalem et d'autres villes en Israël ne constitue pas une preuve qu'Israël traite sa minorité chrétienne [traduction] « avec tolérance et équité ». Cette même Réponse à une demande d'information faisait état du traitement des Arabes chrétiens en Israël et de l'absence de protection de la police à leur égard. La SPR a néanmoins écarté cet élément de preuve. En effet, la preuve mentionnait que des « policiers [n’ont] pas essentiellement [pris] parti » en ce qui a trait à la violence sectaire. En outre, malgré le vandalisme et les coups de feu dirigés contre les résidences de chrétiens, les policiers ont décidé « de ne pas intervenir, de ne pas procéder à des arrestations. » Un villageois de Rama, en Galilée, a également été mentionné dans la preuve documentaire comme déclarant que les autorités ne souhaitaient pas « assurer la sécurité publique au sein des communautés arabes ».

 

[30]           La SPR était tenue d'examiner l'attitude de la police envers les citoyens arabes de même que l'efficacité des réactions de la police à l'égard des actes de violence commis par des extrémistes musulmans contre des Arabes chrétiens.

 

[31]           La SPR a de plus commis une erreur dans son examen de la réaction de la police au signalement de l'attaque de mai 2005 par le demandeur. La police est tenue d'assurer le suivi et de faire enquête sur les plaintes qui sont portées. Selon la preuve dont la SPR était saisie, malgré la plainte du demandeur, la police n'avait rien fait concernant son agression. La SPR a conclu que la police ne serait pas en mesure de faire enquête parce que le demandeur ne lui avait pas fourni l'identité de ses agresseurs. Le demandeur fait valoir qu'un tel raisonnement est absurde, puisque cela signifierait que, tant qu'un criminel porte un masque pour cacher son identité, aucun acte criminel ne fera jamais l'objet d'une enquête ni ne sera résolu, et qu'aucun criminel ne sera poursuivi. En outre, contrairement aux conclusions de la SPR, le demandeur a déclaré dans son témoignage que les policiers n'étaient pas disposés à le protéger parce que ceux-ci étaient Juifs et qu'il existait [traduction] « des troubles racistes entre les Juifs et les Arabes » et que [traduction] « même le gouvernement extrémiste de droite qui gouverne Israël demande le déplacement de tous les Arabes à l'extérieur d'Israël ou le transfert de tous les Arabes d'Israël ».

 

[32]           La SPR a nettement commis une erreur en ignorant la preuve dont elle était saisie. Bien que la SPR ait tenu compte du fait qu'Israël est une démocratie, possède une magistrature indépendante et permet la liberté de culte, cela ne signifie pas que les Israéliens arabes sont traités d'une manière semblable à celle des citoyens juifs d'Israël. La preuve dont la SPR était saisie montrait que les Israéliens arabes étaient traités comme des citoyens de seconde zone. Cela ressort clairement de la discrimination institutionnelle, juridique et sociétale que subissent les Israéliens arabes. De plus, la police exerce de la discrimination à l'égard des Israéliens arabes et ce comportement est fondé sur une approche qui considère que les citoyens arabes sont des ennemis et qu'ils constituent une menace à la sécurité de l'État.

 

[33]           Le demandeur cite plusieurs éléments de preuve documentaire que la SPR a passés sous silence ou qu'elle a écartés. À titre d'exemple, le rapport annuel de 2007 de l’Association pour les droits civils en Israël, qui signale un racisme virulent, des limites considérables sur les libertés personnelles et une très grande discrimination, plus particulièrement à l’encontre des Arabes israéliens en Israël. La même preuve documentaire montre que le racisme et les incidents contre les Arabes israéliens ont augmenté de façon radicale depuis l'année précédente.

 

[34]           D'autres éléments de preuve documentaire mentionnaient qu'une majorité d'Israéliens juifs appuyaient le transfert des citoyens arabes et estimaient que [traduction] « l'État d'Israël devrait encourager les citoyens arabes à quitter le pays ». Selon la même preuve, en 2006 le racisme contre les Israéliens arabes était exacerbé, ce qui a donné lieu à du [traduction] « racisme de la part des membres juifs de la Knesset et des ministres, à du racisme de la part de la police, à du racisme dans les organismes officiels et quasi officiels et à du racisme dans la prestation des services ». En effet, la preuve mentionnait que [traduction] « la plupart des citoyens arabes sont à peu près sûrs que les hauts dirigeants et les sections de la police israélienne adoptent une attitude discriminatoire à leur endroit » et que [traduction] « le comportement de la police n'est pas fondé sur une approche égalitaire entre tous les citoyens, mais plutôt sur une approche qui considère que les citoyens arabes sont des ennemis et qu'ils constituent une menace à la sécurité de l'État ». De plus, la preuve documentaire dont la SPR était saisie montrait que [traduction] « non seulement n'y a-t-il pas eu d'amélioration dans l'attitude de la police à l'égard de la minorité arabe, mais cette attitude est dans les faits devenue plus raciste, plus hostile, plus agressive et plus violente ».

 

[35]           Le demandeur cite plusieurs éléments de preuve documentaire sur lesquels il s'appuie et qu'il a présentés à la SPR pour montrer que l'appui aux Israéliens arabes était au mieux minimal et au pire, violent et agressif. Ces éléments de preuve contredisent clairement la conclusion de la SPR selon laquelle les policiers n'ont pas pris de mesures lorsque le demandeur leur a téléphoné pour obtenir de l'aide, parce qu'il n'était pas en mesure de fournir assez de renseignements concernant l'agression. La preuve appuie plutôt la conclusion selon laquelle l'inaction des policiers était la conséquence de l'identité du demandeur en tant qu’Arabe. La SPR a omis de prendre en compte la preuve dont elle était saisie. À ce titre, sa décision ne peut être maintenue comme étant raisonnable. Voir par exemple Gonsalves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 844, 73 Imm. L.R. (3d) 311; Rosales c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 72 F.T.R. 1, [1993] A.C.F. no 1454; Horvath c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 398, 14 Imm. L.R. (3d) 263.

 

[36]           D'autres éléments de preuve présentés à la SPR contredisaient clairement sa conclusion relative à la protection de l'État pour le demandeur en Israël, notamment : la discrimination enracinée; le traitement des Israéliens arabes à titre de citoyens de seconde zone; l'attitude raciste et agressive des policiers envers les Israéliens arabes; l'absence de l'intervention des policiers lors des actes de violence contre les chrétiens. La SPR a commis une erreur en omettant d'examiner pleinement ces éléments de preuve et en omettant de se prononcer sur la question de savoir si la discrimination à laquelle étaient exposés les chrétiens arabes avait une incidence sur la protection que leur offraient les policiers. Voir Jabbour, aux paragraphes 29 et 30, 41 à 43.

 

[37]           Le demandeur soutient que ces éléments de preuves montrent plus que des manquements locaux dans le maintien efficace de l’ordre. En effet, la preuve montre clairement une tendance générale du refus de l'État d'offrir une protection aux citoyens arabes, y compris les Arabes chrétiens.

 

[38]           Les éléments de preuve documentaire dont la SPR était saisie mentionnaient également de nombreuses personnes qui s'étaient trouvées dans une situation similaire et qui n'avaient pas reçu la protection de l'État en Israël. Bien que ces éléments de preuve aient été grandement pertinents, la SPR les a écartés. La SPR n'est pas autorisée à s'appuyer de façon sélective sur des éléments de preuve présentés au détriment du demandeur ou à écarter des éléments de preuve pertinents qui appuient sa demande d'asile. Voir par exemple, Jabbour; Garcia c. Canada (Procureur général), 1993 A.C.F. no 952; Naqvi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 996, 2005 A.C.F. no 1242.

 

Le défendeur

 

[39]           Il incombe au demandeur d'établir tous les aspects de sa demande d'asile. En l'espèce, le demandeur n'a pas réfuté la présomption de protection de l'État.

 

[40]           Lorsque la décision est prise dans son ensemble, il ressort clairement que la SPR a compris les faits de la demande d'asile du demandeur et a conclu que sa preuve ne lui permettait pas d'obtenir une décision favorable. Voir Ragupathy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151, [2007] 1 R.C.F. 490, au paragraphe 15; Mughal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1557, [2006] A.C.F. no 1952, au paragraphe 31.

 

[41]           Le demandeur doit s'adresser à son État d'origine pour obtenir sa protection avant de rechercher le statut de réfugié ailleurs. Voir par exemple Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636, au paragraphe 25. Le demandeur doit aussi montrer qu'il est disposé à recevoir la protection de son pays de nationalité, mais qu'il est incapable de l'obtenir.

 

[42]           La présomption de protection de l'État s’applique également lorsqu'un demandeur d'asile allègue la crainte d'être persécuté par une entité étatique ou une entité non étatique. Voir Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 282 D.L.R. (4th) 413, au paragraphe 54. Le défendeur soutient que le demandeur doit faire plus que simplement montrer que le gouvernement israélien [traduction] « n'a pas toujours protégé efficacement ceux qui craignent les crimes d'honneur », pour réfuter la présomption de protection de l'État.

 

[43]           Lorsqu'un demandeur n'est pas disposé à s'adresser à l'État, il ne sera pas considéré comme réfugié ou personne à protéger dans les cas où il était [traduction] « objectivement raisonnable » pour le demandeur de solliciter la protection de l'État et dans les cas où la protection de l'État [traduction] « aurait pu raisonnablement être assurée ». Voir Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 103 D.L.R. (4th) 1.

 

[44]           Plus un État est démocratique, plus grand sera le fardeau du demandeur de montrer que la protection de l'État a été sollicitée. Voir Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 143 D.L.R (4th) 532, 206 N.R. 272; Hinzman, précité, aux paragraphes 56 et 57. Israël étant un État démocratique, le demandeur doit faire plus que montrer qu'il s'est adressé une fois aux policiers et que leurs efforts ont été infructueux. Voir par exemple Carrillo, précité, aux paragraphes 31 à 36.

 

[45]           En outre, la protection de l'État peut être offerte par d'autres sources que la police, telles que des organismes régis ou financés par l'État. Voir par exemple Pal v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2003 FCT 698, [2003] F.C.J. No. 894; Nagy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 281, [2002] A.C.F. no 370.

 

[46]           Il incombe au demandeur de réfuter la présomption de protection de l'État. Il n'appartient pas à la SPR d’établir le caractère adéquat ou l’efficacité de la protection. S'il en était ainsi, il y aurait renversement du fardeau de la preuve. Voir Samuel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 762, [2008] A.C.F. no 963, au paragraphe 10.

 

[47]           Bien qu'il incombe au demandeur de montrer le caractère inadéquat de la protection de l'État selon la prépondérance de la preuve, à ce fardeau s'ajoute le fait qu'Israël est un État démocratique. Voir Carillo, précité, au paragraphe 26. La preuve doit être claire, convaincante, pertinente et fiable. Voir Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. Le demandeur n'est pas parvenu à établir d'une façon claire et convaincante, selon la prépondérance de la preuve, que l'État israélien n'est pas en mesure d'assurer sa protection.

 

[48]           Afin de réfuter la présomption de l'existence de la protection de l'État dans un État démocratique, le demandeur doit prouver qu'il a épuisé tous les recours dont il disposait. Il ne sera exempté de cette obligation de solliciter la protection de l'État que dans des circonstances exceptionnelles. Voir Hinzman, précité, au paragraphe 57. En l'espèce, le demandeur n'a pas fait suffisamment de tentatives pour obtenir la protection de l'État avant de présenter une demande d'asile. De nombreuses agressions et menaces n'ont jamais été signalées aux autorités et le demandeur s'est révélé non disposé à se prévaloir de la protection de l'État. Le demandeur s'est également abstenu de faire quoi que ce soit face à ce qu'il qualifiait d'inaction de la police.  

 

[49]           En outre, la SPR a le droit de s'en tenir à la preuve documentaire plutôt qu'au témoignage du demandeur dans la mesure où elle fournit des motifs suffisants pour ce faire. En l'espèce, la SPR a conclu que réfuter la présomption de la protection de l'État exigerait plus que l'affirmation d'une réticence subjective à solliciter la protection. Même lorsque la SPR accepte le témoignage du demandeur, elle a le droit d'accorder plus de poids à la preuve documentaire. Voir Szucs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1614, au paragraphe 11.

 

[50]           La SPR a examiné la preuve dont elle était saisie et, bien qu'elle ait reconnu que le système n'était pas parfait, elle a conclu que la discrimination qui en découlait n’équivalait pas à de la persécution. Le simple fait que le demandeur aurait préféré un résultat différent ne justifie pas l'intervention de la Cour. Voir par exemple Krishnan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 846, 63 Imm. L.R. (3d) 38, au paragraphe 31.

 

[51]           La SPR n'est pas tenue de mentionner chaque élément de preuve dans sa décision, dans la mesure où il est clair qu'elle a examiné les éléments de preuve dans leur ensemble. Le défendeur soutient que ce n'est pas parce qu'il y a eu des crimes d'honneur en Israël que la protection de l'État n'est pas accessible à une personne qui est un Arabe chrétien en Israël.

 

[52]           Le fait que les tensions religieuses sont grandes en Israël ne constitue pas une preuve selon laquelle les citoyens d'Israël n'ont pas accès à la protection de l'État. De plus, le fait que des meurtres ont eu lieu dans le passé ne prouve pas l'indisponibilité de la protection de l'État. Le défendeur soutient plutôt que le fait que l'État enquête sur ces affaires et institue des poursuites est une preuve de la disponibilité de la protection de l'État.

 

ANALYSE

 

[53]           Selon la position du demandeur concernant la protection de l'État, en raison de la discrimination systémique de l'État à l'égard des Arabes et des chrétiens, il n'avait pas accès à une protection policière adéquate en Israël. Un nombre important d'éléments de preuve a été présenté sur ce point. À l'audience de la présente demande, l'avocate du défendeur a passé beaucoup de temps à montrer ce qu'elle considérait comme étant les lacunes de ces éléments de preuve qui pouvaient les rendre non pertinents ou leur enlever du poids.

 

[54]           Ce que nous n'avons pas, toutefois, est l'appréciation de cette preuve par la SPR. Dans le contrôle de la décision en cause, la Cour se préoccupe de la décision même et de ses motifs, ou de l'absence de motifs. L'opinion de l'avocate sur les éléments de preuve n'est pas réellement utile à la Cour à cet égard.

 

[55]           Après avoir examiné la décision et le dossier, je dois conclure que l'analyse de la SPR relative à la protection de l'État contient des erreurs susceptibles de contrôle. De manière générale, la Commission a omis d'examiner les éléments de preuve quant à l'insuffisance de la protection de l'État au niveau opérationnel et elle a omis de prendre en compte les éléments de preuve concernant les personnes qui se sont trouvées dans une situation semblable à celle du demandeur et qui n'ont pas été aidées par l'État. Comme dans Balogh, la SPR n'a pas en l'espèce examiné de façon critique la présomption de la protection de l'État au vu des éléments de preuve présentés par le demandeur. En fait, la SPR semble s'être appuyée sur des faits et des conclusions choisis parmi des éléments de preuve qui, à mon avis, n'appuient pas particulièrement ses conclusions générales. Voir Jabbour, aux paragraphes 29, 30, 41 à 43.

 

[56]           Dans son exposé des arguments, le demandeur a résumé avec exactitude le dossier de preuve dont la SPR était saisie. Sans mentionner chacun des points un à un, je suis d'avis qu'il est justifié de conclure de manière générale qu'il n'y avait pas seulement des manquements locaux dans le maintien efficace de l'ordre, mais qu'il existait aussi en Israël une tendance lourde selon laquelle l'État refusait de fournir une protection adéquate à ses citoyens arabes, y compris les Arabes chrétiens comme le demandeur. La SPR aurait dû traiter de cette preuve. Voir Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425, au paragraphe 17.

 

[57]           La SPR a également écarté la preuve quant à des personnes qui se sont trouvées dans une situation semblable et qui n'ont pas été aidées par les mesures de protection de l'État en Israël.

 

[58]           De manière générale, je suis d'accord avec le demandeur quant aux critiques de la décision qu'il formule dans son exposé des arguments et je les adopte en concluant que cette décision est déraisonnable et doit être renvoyée pour nouvel examen.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est accueillie. La décision est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal de la SPR différemment constitué.

 

2.                  Il n'y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3846-09

 

Intitulé :                                       LEVIS ZAATREH

 

                                                            - et -

 

                                                            Le ministre de la citoyenneté et de l'immigration

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               le 16 février 2010

                                                            

 

Motifs du jugement

et jugement :                              le juge RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      le 23 février 2010

 

 

ComparutionS :   

 

Kristina Kostadinov                                                                  POUR LE demandeur

 

Marina Stefanovic                                                                     POUR LE défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :   

 

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)                                                                     POUR LE demandeur

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE défendeur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.