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Date : 20100128

Dossier : T-327-09

Référence : 2010 CF 97

Ottawa (Ontario), 28 janvier 2010

EN LA PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MAINVILLE

 

 

ENTRE :

SYLVIE LAPERRIÈRE, en sa qualité

d’analyste principale, Conduite professionnelle,

du Bureau du surintendant des faillites

 

demanderesse

et

 

ALLEN W. MACLEOD et

 D. & A. MACLEOD COMPANY LTD.

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Sylvie Laperrière (la demanderesse), analyste principale, Conduite professionnelle au Bureau du surintendant des faillites, visant des décisions connexes rendues par l’honorable James B. Chadwick (M. Chadwick), en sa qualité de délégué du surintendant des faillites, et aux termes desquelles la plupart des allégations d’inconduite à l’encontre des syndics en matière de faillites Allen W. MacLeod et D. & A. MacLeod Company Ltd. (les défendeurs) ont été rejetées et une sanction, en l’occurrence un blâme, a été imposée aux défendeurs pour retard dans l’administration de deux actifs.

 

Contexte

 

[2]               La délivrance de licences aux syndics en matière de faillites et la conduite professionnelle de ces derniers relèvent de la responsabilité et font l’objet de la supervision du surintendant des faillites (le surintendant). À ces fins, le surintendant est chargé de superviser les activités des syndics en matière de faillites et de prendre des mesures disciplinaires à leur égard lorsque les faits le justifient. Les pouvoirs d’effectuer des investigations sur les syndics en matière de faillites et de prendre des mesures disciplinaires à leur égard doivent être exercés à la lumière des règles de la justice fondamentale. Par conséquent, un régime particulier a été établi en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R., 1985 ch. B‑3 (la Loi) pour accorder aux syndics un procès équitable ainsi que certaines sauvegardes procédurales avant qu’une mesure ne soit prise à leur égard ou qu’une sanction ne leur soit imposée en vertu de la Loi.

 

[3]               Le régime est principalement énoncé aux articles 14.01 et 14.02 de la Loi, qui sont rédigés comme suit :

14.01 (1) Après avoir tenu ou fait tenir une investigation ou une enquête sur la conduite du syndic, le surintendant peut prendre l’une ou plusieurs des mesures énumérées ci-après, soit lorsque le syndic ne remplit pas adéquatement ses fonctions ou a été reconnu coupable de mauvaise administration de l’actif, soit lorsqu’il n’a pas observé la présente loi, les Règles générales, les instructions du surintendant ou toute autre règle de droit relative à la bonne administration de l’actif, soit lorsqu’il est dans l’intérêt public de le faire :

 






a) annuler ou suspendre la licence du syndic;


b) soumettre sa licence aux conditions ou restrictions qu’il estime indiquées, et notamment l’obligation de se soumettre à des examens et de les réussir ou de suivre des cours de formation;



c) ordonner au syndic de rembourser à l’actif toute somme qui y a été soustraite en raison de sa conduite;

 

 


d
) ordonner au syndic de prendre toute mesure qu’il estime indiquée et que celui-ci a agréée.



(1.1) Dans la mesure où ils sont applicables, le présent article et l’article 14.02 s’appliquent aux anciens syndics avec les adaptations nécessaires.

 

(2) Le surintendant peut, par écrit et aux conditions qu’il précise dans cet écrit, déléguer tout ou partie des attributions que lui confèrent respectivement le paragraphe (1), les paragraphes 13.2(5), (6) et (7) et les articles 14.02 et14.03.

 

 

(3) En cas de délégation aux termes du paragraphe (2), le surintendant ou le délégué doit :

 

a) dans la mesure où la délégation vise les syndics en général, en aviser tous les syndics par écrit;

 

 

b) en tout état de cause, aviser par écrit, avant l’exercice du pouvoir qui fait l’objet de la délégation ou lors de son exercice, tout syndic qui pourrait être touché par l’exercice de ce pouvoir.

 

 

 

14.02 (1) Avant de décider de prendre l’une ou plusieurs des mesures visées au paragraphe 14.01(1), le surintendant envoie au syndic un avis écrit et motivé de la ou des mesures qu’il peut prendre et lui donne la possibilité de se faire entendre.

 

 

(1.1) Il peut, aux fins d’audition, convoquer des témoins par assignation leur enjoignant :

 

 

a) de comparaître aux date, heure et lieu indiqués;

 

b) de témoigner sur tous faits connus d’eux se rapportant à l’investigation ou à l’enquête sur la conduite du syndic;

 

 

c) de produire tous livres, registres, données, documents ou papiers, sur support électronique ou autre, qui se rapportent à l’investigation ou à l’enquête et dont ils ont la possession ou la responsabilité.

 

(1.2) Les assignations visées au paragraphe (1.1) ont effet sur tout le territoire canadien.

 

(1.3) Toute personne assignée reçoit les frais et indemnités accordés aux témoins assignés devant la Cour fédérale.

 

(2) Lors de l’audition, le surintendant :

 

 

a) peut faire prêter serment;

 

b) n’est lié par aucune règle juridique ou procédurale en matière de preuve;

 

 

c) règle les questions exposées dans l’avis d’audition avec célérité et sans formalisme, eu égard aux circonstances et à l’équité;

 

 

d) fait établir un résumé écrit de toute preuve orale.

 

(3) L’audition et le dossier de l’audition sont publics à moins que le surintendant ne juge que la nature des révélations possibles sur des questions personnelles ou autres est telle que, en l’espèce, l’intérêt d’un tiers ou l’intérêt public l’emporte sur le droit du public à l’information. Le dossier de l’audition comprend l’avis prévu au paragraphe (1), le résumé de la preuve orale visé à l’alinéa (2)d) et la preuve documentaire reçue par le surintendant.

 

 

 

 

 

 

(4) La décision du surintendant est rendue par écrit, motivée et remise au syndic dans les trois mois suivant la clôture de l’audition, et elle est publique.

 

 

(5) La décision du surintendant, rendue et remise conformément au paragraphe (4), est assimilée à celle d’un office fédéral et comme telle est soumise au pouvoir d’examen et d’annulation prévu à la Loi sur les Cours fédérales.

14.01 (1) If, after making or causing to be made an inquiry or investigation into the conduct of a trustee, it appears to the Superintendent that

 

(a) a trustee has not properly performed the duties of a trustee or has been guilty of any improper management of an estate,

 

(b) a trustee has not fully complied with this Act, the General Rules, directives of the Superintendent or any law with regard to the proper administration of any estate, or

 

(c) it is in the public interest to do so, the Superintendent may do one or more of the following:

 

(d) cancel or suspend the licence of the trustee;

 

(e) place such conditions or limitations on the licence as the Superintendent considers appropriate including a requirement that the trustee successfully take an exam or enrol in a proficiency course;

 

(f) require the trustee to make restitution to the estate of such amount of money as the estate has been deprived of as a result of the trustee’s conduct; and

 

(g) require the trustee to do anything that the Superintendent considers appropriate and that the trustee has agreed to.

 

(1.1) This section and section 14.02 apply, in so far as they are applicable, in respect of former trustees, with such modifications as the circumstances require.

 

(2) The Superintendent may delegate by written instrument, on such terms and conditions as are therein specified, any or all of the Superintendent’s powers, duties and functions under subsection (1), subsection 13.2(5), (6) or (7) or section 14.02 or 14.03.

 

(3) Where the Superintendent delegates in accordance with subsection (2), the Superintendent or the delegate shall

 

(a) where there is a delegation in relation to trustees generally, give written notice of the delegation to all trustees; and

 

(b) whether or not paragraph (a) applies, give written notice of the delegation of a power to any trustee who may be affected by the exercise of that power, either before the power is exercised or at the time the power is exercised.

 

14.02 (1) Before deciding whether to exercise any of the powers referred to in subsection1 4.01(1), the Superintendent shall send the trustee written notice of the powers that the Superintendent may exercise and the reasons why they may be exercised and afford the trustee a reasonable opportunity for a hearing.

 

(1.1) The Superintendent may, for the purpose of the hearing, issue a summons requiring and commanding any person named in it

 

(a) to appear at the time and place mentioned in it;

 

(b) to testify to all matters within their knowledge relative to the subject matter of the inquiry or investigation into the conduct of the trustee; and

 

(c) to bring and produce any books, records, data, documents or papers — including those in electronic form — in their possession or under their control relative to the subject matter of the inquiry or investigation.

 

(1.2) A person may be summoned from any part of Canada by virtue of a summons issued under subsection (1.1).

 

(1.3) Any person summoned under subsection (1.1) is entitled to receive the like fees and allowances for so doing as if summoned to attend before the Federal Court.

(2) At a hearing referred to in subsection (1), the Superintendent

 

(a) has the power to administer oaths;

 

(b) is not bound by any legal or technical rules of evidence in conducting the hearing;

 

(c) shall deal with the matters set out in the notice of the hearing as informally and expeditiously as the circumstances and a consideration of fairness permit; and

 

(d) shall cause a summary of any oral evidence to be made in writing.

 

(3) The notice referred to in subsection (1) and, where applicable, the summary of oral evidence referred to in paragraph (2)(d), together with such documentary evidence as the Superintendent receives in evidence, form the record of the hearing and the record and the hearing are public, unless the Superintendent is satisfied that personal or other matters that may be disclosed are of such a nature that the desirability of avoiding public disclosure of those matters  in the interest of a third party or in the public interest, outweighs the desirability of the access by the public to information about those matters.

 

(4) The decision of the Superintendent after a hearing referred to in subsection (1), together with the reasons therefore, shall be given in writing to the trustee not later than three months after the conclusion of the hearing, and is public.

 

(5) A decision of the Superintendent given pursuant to subsection (4) is deemed to be a decision of a federal board, commission or other tribunal that may be reviewed and set aside pursuant to the Federal Courts Act.

 

 

[4]               En vertu de ce régime, le surintendant a délégué le pouvoir d’effectuer des investigations sur la conduite des syndics en matière de faillites à certains membres du personnel de son Bureau, dont la demanderesse dans la présente affaire. Lorsque les résultats d’une investigation permettent à l’enquêteur de conclure qu’un syndic en matière de faillites devrait faire l’objet de mesures de réparation ou de sanctions en vertu du paragraphe 14.1(1) de la Loi, le syndic en matière de faillites concerné doit en recevoir avis et se voir donner la possibilité de se faire entendre lors d’une audience qui peut être tenue par le surintendant lui-même, mais qui l’est le plus souvent par un délégué du surintendant désigné à cette fin.

 

[5]               Dans la présente affaire, le Bureau du surintendant des faillites (le BSF) a mené différentes opérations de surveillance au cours des années à l’égard d’Allen MacLeod, feu son père Donald A. MacLeod, et leur cosyndic dans les affaires de faillite D. & A. MacLeod Company Limited (collectivement désignés comme les syndics en matière de faillites Macleod). Cette surveillance a révélé diverses prétendues irrégularités dans leurs activités, y compris l’utilisation d’un compte en fiducie appelé « Intérêt ». L’utilisation de ce compte, dont il sera traité plus en détail plus loin, semble avoir été le facteur décisif de la poursuite d’investigations plus approfondies sur les syndics en matière de faillites MacLeod.

 

[6]               Ces opérations de surveillance ont par la suite donné lieu à une investigation, effectuée par la demanderesse, sur les syndics en matière de faillites MacLeod, qui s’est soldée par un long rapport daté du 27 février 2007 (le rapport) dans lequel la demanderesse leur reprochait plusieurs manquements à la conduite professionnelle et recommandait en conséquence la prise de sanctions à leur égard.

 

[7]               Le surintendant a chargé M. Chadwick de tenir des audiences afin de rendre une décision sur ces allégations. Ces audiences ont été retardées par différentes questions procédurales concernant surtout la production de documents et la communication de la preuve. De plus, en raison de la mauvaise santé de M. Donald MacLeod, les allégations à son encontre ont été suspendues. M. Donald MacLeod est par la suite décédé. Les procédures concernent donc M. Allen W. MacLeod et D. & A. MacLeod Company Limited.

 

[8]               Les audiences ont mené à une première décision, en date du 1er décembre 2008 (la décision sur la responsabilité), dans laquelle M. Chadwick a jugé sans fondement la plupart des allégations à l’encontre des défendeurs. Il a toutefois conclu que les défendeurs n’avaient pas terminé l’administration de deux actifs en temps opportun et a demandé aux parties qu’elles lui présentent leurs observations écrites sur la question des dépens et des sanctions qui seraient appropriées dans les circonstances.

 

[9]               À la suite de ces observations écrites, M. Chadwick a rendu une seconde décision sur les sanctions et les dépens datée du 5 février 2009 (la décision sur les sanctions) aux termes de laquelle il formulait un blâme aux défendeurs et concluait qu’il n’avait pas la compétence pour adjuger les dépens aux termes de la Loi.

 

 

Les décisions

 

[10]           Dans la décision sur la responsabilité datée du 1er décembre 2008, le délégué a exposé les allégations à l’encontre des défendeurs sous douze titres, selon la structure du rapport rédigé par la demanderesse. Ces titres sont les suivants et, par souci de cohérence, nous les conserverons dans le présent jugement : 

A.        Soldes bancaires de dossiers d’actif et d’insolvabilité déposés dans un compte appelé « Intérêt ».

B.         Demandes de libération du syndic alors qu’il y avait un solde bancaire dans le compte de l’actif. 

C.        Surplus provenant du compte en fiducie consolidé des administrations sommaires déposé dans le compte « Intérêt ».

D.        Argent retiré à diverses fins d’un compte « Intérêt ».

E.         États des recettes et des débours.

F.         Retrait non autorisé d’honoraires dans une proposition de consommateur. 

G.        « Compte provisoire » utilisé pour reporter des transactions relatives à l’actif.

H.        Mélange de fonds dans les comptes en fiducie consolidés.

I.          Débours réclamés pour des services rendus par une personne liée.

J.          Utilisation du « compte des dépôts de tierces parties » pour reporter des transactions relatives à l’actif.

K.        Fonds non déposés sans délai.

L.         Retard dans l’administration d’actifs.

           

[11]           Dans sa décision, le délégué s’est d’abord penché sur la requête en sursis de l’instance présentée par les défendeurs, qui invoquaient un manque d’impartialité et du zèle excessif de la part de la demanderesse. Le délégué a rejeté cette requête au motif que les questions qui y étaient soulevées pouvaient être tranchées lors de l’examen au fond.

 

[12]           Dès le début, le délégué a estimé que la première question de fond à examiner était celle de la responsabilité stricte, par opposition à la responsabilité absolue, en ce qui avait trait à la prétendue inconduite des défendeurs. Le délégué était d’avis (au paragraphe 13 de la décision sur la responsabilité) que les allégations d’inconduite fondées sur la Loi, ses règlements et toute instruction qui en découlaient, étaient des infractions de responsabilité stricte et qu’il était donc loisible aux défendeurs de démontrer qu’ils avaient pris toutes les mesures raisonnables, compte tenu des circonstances, pour éviter une conclusion d’inconduite.

 

[13]           Le délégué a alors fait des commentaires sur l’objectivité avec laquelle la demanderesse avait effectué ses investigations et rédigé son rapport. Il a conclu que son rapport « avait été rédigé pour appuyer les allégations et qu’il manquait d’impartialité et d’objectivité » (au paragraphe 44 de la décision sur la responsabilité). Par conséquent, le rapport devait être « être évalu[é] et examin[é] très soigneusement » (au paragraphe 47 de la décision sur la responsabilité). Il a aussi noté que la pertinence de prendre des mesures disciplinaires à l’encontre des syndics en matière de faillites MacLeod ne faisait pas l’unanimité au sein du BSF vu les faits de l’espèce (aux paragraphes 48 et 49 de la décision sur la responsabilité).

 

[14]           En ce qui concerne le bien-fondé des allégations, le délégué s’est d’abord penché sur ce qui était manifestement l’allégation principale exposée sous le titre A comme étant les soldes bancaires de dossiers d’actif et d’insolvabilité déposés dans un compte appelé « Intérêt ». Le délégué a relevé que l’irrégularité la plus grave avait trait à l’utilisation d’un compte appelé « Intérêt » (au paragraphe 36 de la décision sur la responsabilité). Il ressort en effet du dossier que l’utilisation de ce compte a été l’élément déclencheur de l’investigation effectuée par la demanderesse et du rapport qui a suivi.

 

[15]           Il est nécessaire de donner certaines explications relativement à cette allégation pour bien la comprendre.

 

[16]           Aux termes du paragraphe 25(1) de la Loi, un syndic en matière de faillites doit déposer dans une banque tous les fonds reçus pour le compte de chaque actif dans un compte en fiducie ou en fidéicommis distinct. De plus, les articles 151 et 152 de la Loi prévoient que, lorsque le syndic a réalisé tous les biens du failli, il prépare un état définitif des recettes et des débours et un bordereau de dividende, et, sous réserve des autres dispositions de la Loi, partage les biens du failli entre les créanciers qui ont prouvé leurs réclamations. En fonction des délais de fermeture des comptes entre le moment où l’état définitif des recettes et des débours a été fait et celui de la libération du syndic en vertu de la Loi, les montants dans les comptes en fiducie des actifs peuvent porter des intérêts.

 

[17]           Le paragraphe 154(1) de la Loi prévoit que, avant de procéder à sa libération, le syndic fait parvenir au surintendant, pour qu’ils soient déposés, conformément aux instructions de ce dernier, chez le receveur général, les dividendes non réclamés et les fonds non distribués qui restent entre ses mains. Par conséquent, les intérêts accumulés dans les comptes en fiducie dans l’intervalle entre l’état définitif des recettes et des débours et la libération du syndic peuvent se retrouver entre les mains du receveur général plutôt que dans celles des créanciers.

 

[18]           L’instruction n5 publiée le 17 novembre 1994 par le surintendant, « Les fonds de l’actif et procédures bancaires », prévoit expressément cette éventualité. L’article 12 de l’instruction no 5 prévoit que le montant des intérêts générés sur un compte en fiducie et non distribué dans les comptes d’actifs individuels doit être remis au surintendant à titre d’actif non distribué conformément à l’instruction no 8 intitulée « Dividendes non réclamés et fonds non distribués ». Cependant, l’article 15 de cette directive 8 publiée le 19 juin 1986 prévoit que, lorsque des intérêts additionnels sont reçus suite à la préparation du relevé de recettes et de déboursés, le montant devrait être distribué aux créanciers au moyen d’un bordereau de dividendes additionnel ou amendé lorsque le montant disponible excède celui précisé dans la norme.

 

[19]           Les défendeurs avaient trouvé une façon originale de se conformer aux dispositions en utilisant un compte appelé « Intérêt » dans lequel les intérêts excédentaires provenant des différents actifs seraient déposés ou prélevés. Au moment de la préparation de l’état définitif des recettes et des débours, les défendeurs estimeraient les intérêts qui seraient gagnés jusqu’à la fermeture de l’actif. Si au moment de la fermeture, le montant réel accumulé dans l’actif était supérieur à l’estimation, ce montant excédentaire serait transféré dans le compte appelé « Intérêt ». En revanche, si le montant était sous-estimé, il serait transféré du compte « Intérêt » dans l’actif. De cette manière, les intérêts générés dans les actifs seraient, en principe, rendus aux créanciers plutôt que de se retrouver entre les mains du receveur général.

[20]           En se fondant sur son appréciation de la preuve, le délégué n’a conclu à aucune irrégularité ou inconduite de la part des défendeurs relativement à l’utilisation du compte. Sa conclusion reposait sur la preuve qui lui avait été présentée selon laquelle le compte avait été autorisé par le BSF dans l’attente d’une décision définitive sur la continuation de son utilisation et qu’il avait été fermé ensuite à la requête du BSF.

 

[21]           En ce qui a trait particulièrement aux allégations formulées sous le titre D concernant l’argent retiré du compte « Intérêt » à différentes fins, le délégué est parvenu à la conclusion suivante au paragraphe 73 de sa décision : « Puisqu’au paragraphe A j’ai conclu que les syndics avaient été autorisés à maintenir le compte « Intérêt » pour une période déterminée et qu’ils l’avaient fermé lorsqu’on leur en avait demandé de le faire, je conclus, puisque les syndics ont suivi les instructions qu’ils avaient reçues, qu’il n’y a pas inconduite de la part des syndics ».

 

[22]           Les allégations formulées sous les titres B, E, H, J et K ont toutes été rejetées au motif que les défendeurs avaient fait valoir une défense de responsabilité stricte. Le délégué a également conclu que ces allégations résultaient d’erreurs administratives mineures qui soit ont été par la suite corrigées, soit n’ont pas eu d’incidence réelle sur les créanciers. Le délégué a toutefois reconnu au paragraphe 102 de la décision sur la responsabilité que ses conclusions relatives à ces titres étaient fondées sur l’applicabilité de la responsabilité stricte :

En ce qui a trait aux allégations formulées dans les paragraphes B, E, H, J et K, elles étaient toutes le fruit d’une erreur administrative. Si j’interprète erronément la nature des infractions et qu’il s’agit d’infractions de responsabilité absolue, alors les syndics ont contrevenu aux diverses dispositions de la Loi. Il faudra tenir compte du fait que les syndics ont commis des erreurs administratives lorsque viendra le temps d’imposer des sanctions dans le cadre de la présente instance.

 

[23]           Les allégations formulées sous les titres C, F, G et I ont été rejetées au motif qu’il n’y avait eu aucune infraction à la Loi ou à ses règles et instructions connexes.

 

[24]           Il convient de relever que le délégué a déclaré au paragraphe 67 de la décision sur la responsabilité que la plupart des allégations à l’encontre des défendeurs étaient des questions techniques mineures qui avaient été prises hors contexte par la demanderesse :

Dans son témoignage, M. MacLeod a parlé du nombre d’actifs que son bureau avait administrés. Les syndics ont déposé en preuve un document détaillé qui démontre qu’ils ont administré 2 177 actifs pour lesquels ils ont effectué 89 268 transactions totalisant 21 595 694,41 $. Lorsqu’on examine le volume de transactions et d’actifs, les allégations contre MacLeod semblent avoir été prises hors contexte. C’est comme si le BSF avait été à la recherche de quelque irrégularité, si petite soit-elle, pour appuyer ses allégations d’inconduite.

 

Il s’agit d’un point qui revient partout dans la décision sur la responsabilité, notamment au paragraphe 84 dans lequel le délégué conclut que certaines allégations concernaient des questions ayant trait à seulement un centième d’un pour cent des administrations sommaires des actifs des défendeurs.

 

[25]           Enfin, en ce qui concerne les allégations formulées sous le titre L, le délégué a conclu que les défendeurs n’avaient pas agi avec célérité dans l’administration de deux actifs. Les sanctions ayant trait à ces deux allégations démontrées d’inconduite ont fait l’objet d’une décision distincte sur les sanctions et les dépens datée du 5 février 2009.

 

[26]           En ce qui concerne les sanctions, la demanderesse a requis une période de quatre (4) semaines de restriction de la licence pour le syndic constitué en personne morale, D. & A. MacLeod Company Limited, période durant laquelle celui‑ci ne pourrait pas accepter de nouvelles nominations en vertu de la Loi mais pourrait administrer les actifs pour lesquels il avait déjà été nommé. La demanderesse a également requis la suspension de la licence de syndic d’Allen W. McLeod pour une période de quatre (4) semaines.

 

[27]           Inversement, les défendeurs soutenaient qu’aucune sanction ne devait être imposée, invoquant le manque d’impartialité et d’objectivité de l’investigation, l’impact que l’investigation et les procédures connexes avaient eu sur leurs activités de syndic, leur réputation dans la collectivité ainsi que les souffrances émotionnelles et économiques qui ont résulté de toutes ces procédures.

 

[28]           Le délégué a conclu qu’un blâme était approprié en l’espèce et s’est exprimé comme suit au paragraphe 20 de la décision sur les sanctions :

À mon avis, la sanction à imposer à M. MacLeod et à D. & A. MacLeod Company Ltd. devrait prendre la forme d’un blâme. Le blâme est expliqué dans mes motifs et mes conclusions du 1er décembre 2008. Selon moi, aucun autre blâme et aucune autre sanction ne sont nécessaires. Je suis certain que ce que le syndic a vécu enverra un message de dissuasion générale aux autres syndics. Le syndic ayant consacré plus de 150 000 $ et tout ce temps et ces efforts au cours des années à sa défense, il n’a pas besoin de plus de dissuasion particulière.

 

 

Position de la demanderesse

 

[29]           La demanderesse ne conteste pas les parties de la décision sur la responsabilité qui rejettent les allégations formulées sous les titres C, F, G et I. La demanderesse conteste pour divers motifs les autres parties de la décision sur la responsabilité ainsi que la décision sur les sanctions.

 

[30]           En ce qui concerne les allégations formulées sous le titre A, visant des soldes bancaires de dossiers d’actif et d’insolvabilité déposés dans un compte « Intérêt », la demanderesse demande à la Cour d’infirmer la conclusion de fait du délégué selon laquelle les défendeurs avaient été autorisés par le BSF à maintenir un tel compte. La demanderesse soutient que cette conclusion de fait est contraire à la preuve documentaire et aux témoignages consignés au dossier, qu’elle a été tirée sans égard à la preuve, et qu’elle est donc déraisonnable.

 

[31]           En ce qui concerne les allégations formulées sous le titre D, ayant trait à l’argent retiré à diverses fins d’un compte « Intérêt », la demanderesse soutient que, même si le délégué n’a pas commis d’erreur en concluant que l’autorisation d’utiliser le compte avait été donnée, il est néanmoins justifié de conclure à la responsabilité des défendeurs puisque ceux-ci ont reconnu ne pas avoir utilisé le compte « Intérêt » à la seule fin de majorer les intérêts pour les créanciers et l’avoir également utilisé pour remplacer de l’argent manquant dans les actifs à cause de leurs propres erreurs.

 

[32]           En ce qui concerne les allégations formulées sous les titres B, E, H, J et K, la demanderesse soutient que le délégué a commis une erreur de droit pouvant faire l’objet d’une révision en appliquant les principes de la responsabilité stricte aux contraventions à la Loi et aux règles et instructions connexes. En résumé, la demanderesse fait valoir qu’il est inapproprié d’importer la classification des infractions de droit criminel dans des procédures réglementaires concernant la révocation ou la suspension d’une licence autorisant l’accomplissement d’activités réglementées. Par conséquent, la défense fondée sur la diligence raisonnable ne devrait pas s’appliquer aux allégations formulées sous ces titres et le délégué a commis une erreur en concluant autrement. Selon la demanderesse, la preuve de la diligence raisonnable n’est pertinente qu’au stade de la détermination de la mesure ou de la sanction qui devrait être prise, le cas échéant, lors de la prise des mesures appropriées énoncées à l’article 14.01 de la Loi.

 

[33]           À titre d’argument subsidiaire concernant les allégations formulées sous les titres B, E, H, J et K, la demanderesse ajoute que, même si le délégué a eu raison de statuer qu’il était loisible aux défendeurs d’invoquer la défense de diligence raisonnable, il a commis des erreurs de fait et de droit pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire en concluant que les défendeurs se sont acquittés de leur obligation de prouver la diligence raisonnable.

 

[34]           La demanderesse soutient également que le délégué a commis une erreur de droit en adressant un blâme aux défendeurs pour avoir agi sans célérité dans l’administration de deux actifs. La demanderesse soutient qu’un blâme n’est pas une mesure prévue à l’article 14.01 de la Loi.

 

[35]           Enfin, la demanderesse fait valoir que le délégué a commis une erreur et de droit et de fait en concluant que son rapport manquait d’objectivité et d’impartialité. Premièrement, elle soutient que requérir de l’enquêteur qu’il soit impartial constitue une erreur de droit. L’impartialité est une garantie procédurale requise des tribunaux et est une notion contraire aux fonctions remplies par les enquêteurs dans les procédures disciplinaires. De plus, la demanderesse ajoute que les conclusions de partialité ne sont pas étayées par la preuve.

 

[36]           Par conséquent, la demanderesse demande à la Cour d’annuler la décision sur la responsabilité et la décision sur les sanctions et de renvoyer l’affaire au surintendant pour qu’il rende une nouvelle décision conformément à l’article 14.01 de la Loi, les dépens étant adjugés à la demanderesse.

 

Position des défendeurs

 

 

[37]           Quelques jours avant l’audition au fond de la présente demande de contrôle judiciaire, les défendeurs ont présenté une requête à la Cour dans laquelle ils contestaient le droit de la demanderesse de présenter la demande relativement à la décision sur la responsabilité en raison de délais et du fait qu’elle concernait tant la décision sur la responsabilité que la décision sur les sanctions, ce qui contrevient à la règle 302 des Règles des Cours fédérales. J’ai rejeté ces arguments pour des motifs que j’ai énoncés dans une décision distincte sur la requête, rendue en même temps que le présent jugement.

 

[38]           Les défendeurs notent qu’ils ont dû endurer un processus de surveillance, de vérifications et d’investigations de sept ans, qui s’est caractérisé par des retards, le refus de procéder à une divulgation complète, des préjugés manifestes et l’absence d’objectivité. Ils relèvent les mots durs utilisés par le délégué pour critiquer le BSF relativement à la conduite de ces investigations. Ils soutiennent que la Cour devrait par conséquent examiner la présente demande de contrôle judiciaire en ayant à l’esprit les manquements à l’équité, les irrégularités et les traitements inappropriés à l’égard des défendeurs, qui ont été le fait du BSF selon la conclusion du délégué.

 

[39]           En ce qui concerne les allégations formulées sous le titre A relativement à des soldes bancaires de dossiers d’actif et d’insolvabilité déposés dans un compte appelé « Intérêt », les défendeurs indiquent qu’ils ne pensaient pas contrevenir à une règle quelconque en ouvrant le compte « Intérêt » et qu’ils n’ont tiré aucun avantage personnel de ce compte. L’utilisation du compte « Intérêt » visait à accroître les revenus des parties ayant un intérêt dans le système de faillite. Lorsque le BSF a initialement mis en question l’utilisation du compte « Intérêt », la question a fait l’objet de longues discussions avec les responsables concernés, car l’utilisation du compte était loin d’être considérée comme inappropriée. Les défendeurs voulaient continuer d’utiliser le compte dans l’attente d’une décision définitive sur la question, et le BSF les a autorisés à continuer à utiliser le compte. Lorsque le BSF a finalement pris la décision de fermer le compte, ils se sont exécutés. Les défendeurs font par conséquent valoir que la demanderesse ne peut prétendre à l’existence de quelque irrégularité que ce soit dans la manière dont le compte « Intérêt » a été utilisé, car les responsables du BSF étaient au courant de cette utilisation et l’avaient autorisée.

 

[40]           Le délégué est parvenu à la conclusion de fait que le BSF avait autorisé la continuation de l’utilisation du compte « Intérêt ». Cette conclusion de fait reposait sur l’évaluation de la crédibilité des témoins appelés à témoigner et était raisonnable compte tenu de la totalité de la preuve présentée. Par conséquent, les défendeurs soutiennent que la Cour ne devrait pas modifier ces conclusions de fait lors du contrôle judiciaire.

 

[41]           Subsidiairement, les défendeurs soutiennent que, même si le maintien de l’utilisation du compte « Intérêt » n’avait pas été approuvé, il n’a été démontré aucune irrégularité relativement à cette utilisation. La demanderesse n’a présenté aucune preuve qu’un créancier ait subi une quelconque perte d’argent en conséquence de l’utilisation du compte « Intérêt ». De plus, le paragraphe 154(1) de la Loi prescrit au syndic de faire parvenir au surintendant les dividendes non réclamés dans les comptes d’actif. Les défendeurs se sont conformés à la demande de fermer le compte lorsqu’elle leur a été faite et ils ont alors remis le solde du compte de 19 553,27 $ au surintendant avec la balance de vérification détaillée du compte au moment de sa fermeture. Considérée dans son ensemble, l’utilisation du compte ne contrevenait pas à la Loi et a bénéficié aux actifs. Par conséquent, que le compte ait ou non été autorisé, on ne peut conclure à aucune inconduite.

 

[42]           En ce qui concerne les allégations formulées sous le titre D relativement à l’argent retiré du compte « Intérêt » à des fins diverses, les défendeurs soutiennent que les transactions contestées dans le compte « Intérêt » étaient connues du BSF avant que celui-ci n’approuve le maintien de l’utilisation de ce compte. La demanderesse a refusé de reconnaître que l’approbation du compte avait été donnée; par conséquent, la demanderesse n’a présenté aucune preuve relativement aux paramètres de cette approbation ou démontrant que les défendeurs auraient outrepassé cette approbation. Le délégué était donc justifié de conclure que les transactions en cause n’étaient pas sorties du cadre de l’autorisation donnée et il n’a certainement pas commis d’erreur donnant droit à révision en parvenant à cette conclusion.

 

[43]           Les défendeurs soutiennent que toutes les allégations, y compris celles formulées sous les titres B, E, H, J et K, sont assujetties aux principes de la responsabilité stricte et qu’il leur est donc loisible d’invoquer une défense fondée sur la diligence raisonnable pour contrer ces allégations, et que le délégué n’a en conséquence commis aucune erreur en parvenant à cette conclusion.

 

[44]           Les défendeurs affirment en outre que le délégué n’a commis aucune erreur en concluant qu’ils avaient donné la preuve de leur diligence raisonnable et ainsi contré les allégations formulées sous les titres B, E, H, J et K. Ils font remarquer que, durant la période de 1993 à 2007, qui est visée par les allégations, ils auraient administré environ 9 954 actifs représentant près de 100 millions de dollars de transactions. Ils font observer également que l’importance moyenne des transactions était de 241,92 $ et qu’il y a eu environ 108 160 transactions. Ils ajoutent en outre qu’ils n’ont tiré aucun avantage financier de quelque erreur que ce soit et qu’il n’a été soutiré aucun argent aux actifs ou aux créanciers.

 

[45]           Enfin, les défendeurs font valoir qu’il était loisible au délégué de leur adressant un blâme pour sanctionner les deux infractions mineures qu’ils avaient commises, selon sa conclusion, puisque l’éventail des sanctions prévues à l’article 14.01 de la Loi ne devrait pas être interprété comme se limitant à celles qui y sont énumérées.

 

[46]           Par conséquent, les défendeurs demandent à la Cour de rejeter la demande de contrôle judiciaire et de condamner la demanderesse aux dépens.

 

Les questions en litige

 

[47]           Les principales questions à trancher dans le présent contrôle judiciaire peuvent être formulées comme suit :

 

a)        Quelle est la norme de contrôle applicable ?

b)       Le délégué a-t-il commis des erreurs donnant droit à révision en statuant, en tant que conclusion de fait, que l’utilisation du compte « Intérêt » avait été autorisée (allégations formulées sous les titres A et D)?

c)        Les allégations formulées sous les titres B, E, H, J et K peuvent-elles faire l’objet d’une défense fondée sur la diligence raisonnable?

d)       Si ces allégations peuvent faire l’objet d’une défense fondée sur la diligence raisonnable, le délégué a-t-il commis des erreurs donnant droit à révision en concluant qu’une telle défense avait été invoquée avec succès pour contrer les allégations formulées sous les titres B, E, H, J et K?

e)        La Loi permet-elle d’adresser un blâme comme réparation ou sanction?

f)        La partialité et le zèle de la poursuite sont-ils des facteurs à prendre en considération dans les procédures intentées en application des articles 14.01 et 14.02 de la Loi et, le cas échéant, le délégué a-t-il commis des erreurs donnant droit à révision en statuant, en tant que conclusion de fait, que de tels facteurs entrent en jeu dans la présente affaire?

 

 

La norme de contrôle

 

[48]           La demanderesse soutient, en se fondant sur Jacques Roy c. Sylvie Laperrière, 2006 CF 1386, Canada (Procureur général) c. Jacques Roy, 2006 CF 1387, et Canada (Procureur général) c. Jacques Roy, 2007 CAF 410, que les questions de droit tranchées par le délégué peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte et que les questions de fait doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable.

 

[49]           De leur côté, les défendeurs font valoir, sur le fondement de Jacques Roy c. Sylvie Laperrière, précité, et de Sheriff c. Canada (Procureur général), 2005 CF 305, que les questions de fait de même que les questions mixtes de fait et de droit tranchées par le délégué peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable. De plus, les défendeurs ajoutent, en se fondant sur Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), que certaines questions de droit peuvent également faire l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable, notamment les questions de droit ayant trait à l’interprétation de la loi constitutive d’un tribunal administratif ou celles pour lesquelles le tribunal administratif a une compétence particulière. Les défendeurs soutiennent que la question de savoir si la responsabilité stricte, par opposition à la responsabilité absolue, s’applique aux allégations d’inconduite d’un syndic en vertu de la Loi est l’une des questions de droit pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme de la conclusion raisonnable, de même que la question de savoir si la Loi permet d’adresser un blâme comme mesure de réparation ou comme sanction, puisque ces deux questions de droit relèvent de la compétence particulière du délégué.

 

[50]           Dunsmuir, au paragraphe 62, a établi un processus en deux étapes pour déterminer la norme de contrôle judiciaire. En premier lieu, la cour vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

 

[51]           Selon la jurisprudence antérieure, les questions de compétence, de justice fondamentale et d’équité procédurale soulevées dans le cadre de procédures devant les délégués du surintendant agissant en vertu de l’article 14.01 de la Loi doivent faire l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte : Sam Lévy & Associés Inc. c. Canada (Surintendant des faillites), 2005 CF 702, aux paragraphes 26 et 27; Sheriff c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 139, au paragraphe 24. De même, il a été statué que les questions de droit soulevées dans le cadre de telles procédures doivent faire l’objet de contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte : Jacques Roy c. Sylvie Laperrière, 2006 CF 1386, au paragraphe 70; Canada (Procureur général) c. Jacques Roy, 2006 CF 1387, au paragraphe 21; Sheriff c. Canada (Procureur général), 2005 CF 305, au paragraphe 32. Cependant, il a été statué que les questions mixtes de droit et de fait doivent faire l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable simpliciter : Jacques Roy c. Sylvie Laperrière, précité, aux paragraphes 21 à 23; Canada (Procureur général) c. Jacques Roy, précité, au paragraphe 19; Sheriff c. Canada (Procureur général), précité, au paragraphe 30.

 

[52]           Comme le présent contrôle judiciaire est le premier à survenir dans le contexte des articles 14.01 et 14.02 de la Loi depuis l’arrêt Dunsmuir de la Cour suprême du Canada, et comme les défendeurs soutiennent que, selon Dunsmuir, la norme applicable au contrôle des questions de droit soulevées en l’espèce devrait être celle de la décision raisonnable plutôt que celle de la décision correcte, il convient de procéder dans la présente affaire à l’analyse de la norme de contrôle judiciaire.

 

[53]           Dunsmuir énonce au paragraphe 64 que l’analyse relative à la norme de contrôle doit être contextuelle et que son issue dépend de l’application d’un certain nombre de facteurs pertinents, dont : 1) l’existence ou l’inexistence d’une clause privative, 2) la raison d’être du tribunal administratif suivant l’interprétation de sa loi habilitante et 3) la nature de la question en cause et 4) l’expertise du tribunal administratif.

 

[54]           Dans la présente affaire, la décision du délégué n’est pas protégée par une clause privative. Il semble s’ensuivre que la cour de révision doive faire preuve d’un moindre degré de retenue, particulièrement en ce qui concerne les questions de droit. Aucun appel n’est prévu par une disposition, quoique le paragraphe 14.02(5) de la Loi prévoie expressément qu’une décision du surintendant, et par conséquent de son délégué, concernant l’inconduite professionnelle d’un syndic en matière de faillites, peut faire l’objet d’une révision et être annulée en vertu de la Loi sur les Cours fédérales. L’ajout de cette disposition à l’article visait peut‑être à souligner clairement la compétence exclusive de la Cour fédérale en matière de contrôle des décisions du surintendant ou de son délégué rendues en vertu des articles 14.01 et 14.02 de la Loi, mais cette disposition exprime néanmoins l’intention manifeste du législateur de soumettre ces décisions au contrôle judiciaire et elle constitue dans une certaine mesure une répudiation législative explicite de toute clause privative en ce qui concerne de telles décisions.

 

[55]           La raison d’être de telles procédures aux termes de la Loi est également instructive. Les alinéas 5(3)a) et b) de la Loi confèrent au surintendant le pouvoir de délivrer une licence au syndic en matière de faillites et de contrôler l’observation constante par le syndic des conditions de délivrance de sa licence et de prendre les mesures qu’il estime indiquées s’il constate une inobservation. Aux termes des alinéas 5(4)c), d) et (d.1) de la Loi, le surintendant jouit également de pouvoirs étendus pour donner des instructions en ce qui touche aux attributions des syndics, des instructions régissant les critères relatifs à la délivrance des licences de syndic et des instructions régissant les règles applicables aux audiences visées à l’article 14.02 de la Loi.

 

[56]           En conséquence, le paragraphe 14.01 de la Loi confère expressément au surintendant le pouvoir d’effectuer une investigation relativement à la conduite d’un syndic. Lorsqu’il ressort d’une telle investigation que le syndic ne remplit pas adéquatement ses fonctions, qu’il s’est rendu coupable de mauvaise administration d’un actif, qu’il ne s’est pas conformé à la Loi, à ses Règles générales ou aux instructions du surintendant, ou à toute loi relative à la bonne administration d’un actif, ou s’il est dans l’intérêt du public de le faire, et à la suite d’un avis à cet effet au syndic et sous réserve de la condition qu’il lui ait été donné la possibilité de se faire entendre conformément à l’article 14.02 de la Loi, le surintendant peut annuler ou suspendre la licence du syndic, soumettre sa licence aux conditions ou restrictions qu’il estime indiquées et ordonner au syndic d’effectuer un remboursement à l’actif.

 

[57]           Ces pouvoirs étendus ainsi que l’économie générale de la Loi impliquent un haut degré de déférence envers le surintendant relativement à l’administration des syndics en matière de faillites et au régime de délivrance de licences à l’égard de ceux-ci. Ces pouvoirs visent clairement à protéger le public et à s’assurer, à la lumière du rôle essentiel joué par les syndics en matière de faillites dans l’économie générale de la Loi, que les syndics partout au Canada respectent une norme très élevée de probité, d’honnêteté et de compétence et que cet objectif soit atteint grâce à un régime sérieux de délivrance de licences faisant intervenir la supervision et le contrôle constants du surintendant et prévoyant l’imposition de mesures de réparation et de sanctions lorsque les circonstances le justifient.

 

[58]           Il convient de noter que l’expertise du surintendant n’est pas en jeu ici. Au contraire, selon le régime énoncé aux articles 14.01 et 14.02 de la Loi, le surintendant délègue la plupart des pouvoirs qui lui sont conférés par ces articles à son personnel supérieur en ce qui touche les éléments de ces dispositions ayant trait aux poursuites, ainsi qu’à des tiers de l’extérieur, le plus souvent des juges de cours supérieures à la retraite ou des avocats exerçant le droit, en ce qui touche les aspects juridictionnels de ces dispositions (voir Sam Lévy & Associés Inc. c. Canada (Surintendant des faillites), 2005 CF 702, aux paragraphes 145 et 156). Les délégations des éléments ayant trait aux poursuites sont de longue durée, tandis que celles des éléments juridictionnels se font plutôt de façon ponctuelle.

 

[59]           Les questions soulevées en l’espèce concernent principalement des faits ou des questions mixtes de droit et de fait. Généralement, la norme de contrôle applicable à de telles questions est celle de la décision raisonnable : Dunsmuir, précité, au paragraphe 53. La nature du régime énoncé dans la Loi et la nature des questions de fait et des questions mixtes de droit et de fait en cause m’amènent à conclure que la norme de contrôle applicable à la présente affaire qui fait intervenir des questions de fait ou des questions mixtes de droit et de fait est celle de la décision raisonnable.

 

[60]           Cependant, le délégué s’est penché sur deux questions de droit qui doivent être contrôlées par la Cour, soit celle de savoir si les allégations formulées sous les titres B, E, H, J et K sont assujetties à la responsabilité stricte ou à la responsabilité absolue ainsi que celle de savoir si la Loi prévoit le blâme comme forme de sanction ou de réparation. L’absence d’une clause privative, la nature du régime énoncé dans la Loi, la nature des deux questions de droit en cause et de la façon ponctuelle dont les délégations d’éléments juridictionnels se font en vertu de la Loi m’amènent à conclure que la norme de contrôle applicable à ces deux questions de droit est celle de la décision correcte.

 

[61]           Les défendeurs soutiennent que, selon les principes énoncés dans Dunsmuir, ces deux questions devraient être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable. Je ne suis pas d’accord. Dans Dunsmuir, la Cour suprême a indiqué que ce ne sont pas toutes les questions de droit qui sont assujetties à la norme de la décision correcte et que, par conséquent, dans certaines circonstances, par exemple lorsqu’un tribunal administratif interprète sa loi constitutive, la raisonnabilité peut régir la norme de contrôle. Cependant, tout en réitérant ce principe, la Cour suprême du Canada a pris soin dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 44 de statuer que les « erreurs de droit sont généralement assujetties à la norme de la décision correcte ». Par conséquent, le principe est que les questions de droit doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte; et l’exception est qu’elles doivent être contrôlées, dans certaines circonstances, selon la norme de la décision raisonnable.

 

[62]           Une telle exception se produit lorsque le tribunal administratif interprète sa loi habilitante ou « constitutive ». De telles circonstances font naître la présomption que la norme de contrôle applicable à l’interprétation d’une telle loi par le tribunal est celle de la décision raisonnable, à la condition que le tribunal administratif ait le pouvoir explicite ou implicite de trancher des questions de droit : Dunsmuir, précité, aux paragraphes 54 et 55 : Association des courtiers et agents immobiliers du Québec v. Proprio Direct Inc., [2008] 2 R.C.S. 195, au paragraphe 21, Khosa, précité, au paragraphe 25; Nolan c. Kerry (Canada) Inc., 2009 CSC 39, aux paragraphes 33 et 34; Association des pilotes fédéraux du Canada c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 223, aux paragraphes 36 et 51.

 

[63]           Cette présomption peut cependant être réfutée, en particulier lorsque l’interprétation de la loi habilitante soulève des questions de droit d’importance primordiale ou des questions touchant véritablement à la compétence ou à la constitutionnalité : Dunsmuir, précité, paragraphes 55, 60 et 61. Les circonstances dans lesquelles la présomption peut être réfutée ne se limitent pas à celles qui sont énoncées dans Dunsmuir. Par exemple, la présomption peut aussi être réfutée lorsqu’un tribunal administratif a développé deux courants jurisprudentiels pour interpréter sa loi habilitante : Canada (Procureur général) c. Mowat, 2009 CAF 309, au paragraphe 45; Abdoulrab c. Ontario (Labour Relations Board), 2009 ONCA 491 au paragraphe 48.

 

[64]           Dans la présente affaire, il convient d’abord de noter que la Loi sur la faillite et l’insolvabilité n’est pas une « loi constitutive » au même sens que les lois qui énoncent des mécanismes complets de règlement de conflits dans les relations de travail. La Loi est un régime complet visant à la résolution de manière ordonnée des affaires de faillite et d’insolvabilité dans tout le Canada et il est généralement fait appel aux cours supérieures pour interpréter et appliquer ses dispositions souvent complexes, en vertu notamment de l’article 183 de la Loi. Comme le régime relatif à la délivrance de licences aux syndics en matière de faillites ainsi que le régime disciplinaire connexe énoncé aux articles 14.01 et 14.02 de la Loi sont intimement liés à l’économie entière de la Loi, il serait incohérent d’appliquer d’une manière ou d’une autre un principe de déférence judiciaire aux questions juridiques multiples découlant de la Loi simplement parce qu’elles sont soulevées dans le cadre d’une audience relative à une inconduite professionnelle.

 

[65]           De plus, les deux questions de droit en cause transcendent les intérêts des parties en l’espèce. L’application de la responsabilité stricte, avec la défense de diligence raisonnable dont elle est assortie, plutôt que la responsabilité absolue dans le cadre de procédures relatives à une inconduite professionnelle est une question juridique d’importance qui n’appelle pas une norme de déférence. La défense fondée sur la diligence raisonnable est possible ou elle ne l’est pas, et il serait inacceptable si, selon la norme de la décision raisonnable, différents principes juridiques s’appliquaient à une telle question cruciale. Un tel résultat déconsidérerait le système de justice.

 

[66]           Troisièmement, le concept de responsabilité absolue et la création d’une démarcation entre la responsabilité stricte et la responsabilité absolue découlent de la common law et sont une création judiciaire : R. c. Sault Ste. Marie, [1978] 2 S.C.R. 1299, aux pages 1324 et 1325 (Sault Ste. Marie). Par conséquent, il est clair que l’exception ayant trait à l’interprétation de la loi constitutive ne s’applique pas à cette question juridique.

 

[67]            La même conclusion sur la norme de contrôle vaut pour la question de savoir s’il est possible d’adresser un blâme comme sanction en vertu du paragraphe 14.01(1) de la Loi. Comme cela a été noté par Brown, Donald J. M. et Evans J.M. dans Judicial review of administrative action in Canada, Canvasback Publishing, 1998 (feuillets mobiles), à 14 : 4523 :

[traduction] Aujourd’hui, nonobstant une analyse de la norme de contrôle judiciaire, les cours tranchent généralement selon la norme de la décision correcte la question de savoir si un tribunal avait le pouvoir d’accorder des indemnités, des dommages exemplaires, des intérêts, des frais, de substituer une sanction à une autre ou d’ordonner d’autres réparations.

Bien entendu, si les différentes réparations relèvent de la compétence d’un organisme, alors généralement l’exercice du pouvoir discrétionnaire de celui-ci de décider de la réparation fera l’objet de retenue judiciaire lors d’un contrôle. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[68]           Cette approche a été en outre suivie dans la décision Jacques Roy c. Sylvie Laperrière, précitée, au paragraphe 70, dans laquelle la norme de la décision correcte a été appliquée à l’interprétation du paragraphe 14.01(1) de la Loi concernant les sanctions qui peuvent être imposées en vertu de ce paragraphe.

 

[69]           En conclusion, la norme de la décision raisonnable s’appliquera au contrôle de toutes les questions de fait ou aux questions mixtes de droit et de fait dans la présente affaire et la norme de la décision correcte s’appliquera aux deux questions de droit soulevées en l’espèce.

 

 

Le délégué a-t-il commis des erreurs donnant droit à révision en statuant, en tant que conclusion de fait, que l’utilisation du compte « Intérêt » avait été autorisée (allégations formulées sous les titres A et D)?

 

[70]           Comme nous l’avons indiqué précédemment, les conclusions de fait du délégué doivent faire l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable.

 

[71]           La demanderesse soutient que les conclusions de fait du délégué relativement à l’utilisation du compte « Intérêt » et aux diverses allégations connexes sont contraires à la preuve documentaire et aux témoignages consignés au dossier et qu’elles sont donc déraisonnables.

 

[72]           La décision du délégué sur cette question repose entièrement sur l’appréciation de la preuve et en particulier sur son appréciation de la crédibilité du témoignage des différents témoins qu’il a entendus. Le délégué a décidé d’admettre le témoignage de M. Allen W. MacLeod plutôt que celui des autres témoins. Le délégué a examiné en profondeur cette question aux paragraphes 55 à 61 de la décision sur la responsabilité :

[55]      Après qu’on eut recommandé que le compte soit fermé, les syndics avaient écrit à Claude Leduc, le surintendant adjoint désigné au bureau du surintendant des faillites. Dans cette lettre, les syndics mentionnaient, entre autres, ce qui suit : 

 

 

[traduction]…Les vérificateurs déclarent que nous ne devrions pas inclure l’intérêt estimé dans les comptes d’administration sommaire, que le compte « Intérêt » devrait être fermé et que les fonds dans ce compte devraient être transmis au surintendant des faillites à titre d’actifs non distribués. Nous avons longuement discuté de cette question avec le vérificateur et, bien qu’il ait été d’accord avec certains de nos arguments, il a indiqué que vous deviez prendre la décision. Nous aimerions discuter de cette question avec vous plus en détail.

 

[56]      Selon le témoignage d’Allen MacLeod, que j’accepte, il a fixé un rendez-vous avec M. Leduc pour discuter de la question. Il l’a rencontré le 24 septembre 2001, comme en fait foi une mention dans le journal de M. Allen MacLeod. Il n’y a pas eu de confirmation par la suite, mais, selon Allen MacLeod, M. Leduc les avait autorisés à conserver le compte « Intérêt ».

 

[57]      À l’audience, Claude Leduc a témoigné que tout ce qu’il pouvait dire était qu’il ne se souvenait pas de la réunion. Il ne pouvait pas nier qu’une telle rencontre avait eu lieu. Il a dit, toutefois, qu’il ne pensait pas qu’il aurait autorisé que le compte « Intérêt » soit conservé.

 

[58]      M. Leduc a pris sa retraite il y a un certain nombre d’années, et malheureusement, tous ses dossiers et documents ont été détruits ou perdus. Par conséquent, il n’avait aucune façon de se rafraîchir la mémoire ou de vérifier ou contredire le témoignage d’Allen MacLeod. Par conséquent, j’accepte le témoignage d’Allen MacLeod et conclus qu’ils ont été autorisés à conserver le compte « Intérêt » jusqu’à ce que Jean-Louis Boucher, alors analyste principal auprès du BSF, les avise, en mars 2003, de fermer le compte et de transmettre tous les montants au surintendant des faillites.

 

[59]      Bien qu’il y ait lieu de se demander si les syndics ont transmis tous les montants, j’accepte l’explication fournie par Allen MacLeod selon laquelle toute différence était le fruit de rajustements effectués dans les actifs.

 

[60]      Le 31 mars 2003, Jean-Louis Boucher a écrit à Donald MacLeod pour confirmer qu’ils avaient reçu les montants et qu’un solde de 1 126 $ était dû pour fermer le compte. M. Boucher concluait sa lettre en disant : 

 

[traduction] Cela devrait mettre fin à nos préoccupations concernant l’accumulation de fonds non distribués dans le compte appelé « Intérêt ».

 

[61]      Pour ces motifs, je conclus qu’il n’y a eu aucune incorrection ou inconduite de la part des syndics dans l’utilisation du compte « Intérêt ».

 

 

[73]           La demanderesse soutient que le délégué aurait dû tenir compte de la preuve documentaire pour décider de la crédibilité du témoignage de M. MacLeod, et elle note en particulier que les défenseurs n’ont pas avisé le BSF de l’autorisation d’utiliser le compte alors qu’ils ont eu plusieurs occasions de le faire en réponse à plusieurs rapports et au courrier du BSF sur cette question. Selon la demanderesse, cela jette un doute sur la prétention de M. MacLeod selon laquelle il avait oublié ce qui se passait avec l’autorisation, mais que lorsque la question a été soulevée à une réunion en septembre 2006 il avait rafraîchi sa mémoire et s’était souvenu avoir reçu l’autorisation.

 

[74]           Le dossier révèle toutefois qu’une preuve abondante a été présentée au délégué qui justifie sa conclusion de fait sur l’autorisation du compte « Intérêt ». En effet, le 21 septembre 2001, en réponse à un rapport du BSF dans lequel la fermeture du compte était requise, les défendeurs ont écrit à Claude Leduc, alors surintendant adjoint de district du BSF, pour demander que la question fasse l’objet de plus amples discussions à la lumière du fait que des représentants du BSF étaient d’accord avec certains arguments des défendeurs sur la pertinence de maintenir un tel compte et sur les bénéfices que les créanciers étaient susceptibles d’en tirer. Le passage pertinent de cette lettre est cité au paragraphe 55 de la décision sur la responsabilité.

 

[75]           Le témoignage du défendeur Allen W. Macleod sur cette question, que l’on retrouve aux pages 690 à 706 de la transcription de l’audience (aux pages 2622 à 2633 du volume 11 du dossier de la demande) montre qu’une rencontre a par la suite eu lieu avec M. Leduc pour discuter de cette question. Cette rencontre est indiquée dans l’agenda du défendeur. Le défendeur Allen MacLeod a témoigné sur ce qui avait été discuté à la rencontre et a confirmé que M. Leduc avait donné l’autorisation d’utiliser le compte dans l’attente d’une décision définitive.

 

[76]           De son côté, M. Leduc ne se souvenait pas de la rencontre, mais, comme il rencontrait le défendeur très souvent, il ne pouvait pas nier que cette rencontre particulière avait eu lieu (transcription des pages 575 à 588 des audiences, reproduite aux pages 2508 à 2552 du volume 11 de la demande). En contre-interrogatoire, M. Leduc a déclaré : [traduction] « Je ne dis pas qu’il n’y a pas eu de rencontre. Je dis simplement que je ne m’en souviens pas » (transcription des audiences à la page 4581, reproduite dans le volume 11 du dossier de la demande à la page 2514). Il convient aussi de noter que tous les dossiers de M. Leduc au BSF ont été détruits après qu’il eut pris sa retraite.

 

[77]           Quelque temps après cette rencontre, en mars 2003, M. Jean-Louis Boucher, qui était analyste principal pour le BSF, a envoyé un courriel aux défendeurs dans lequel il confirmait que le BSF n’avait plus de préoccupation sur le compte « Intérêt ». De plus, la lettre de mars 2003 de M. Boucher confirmant que toutes les questions relatives au compte « Intérêt » avaient été réglées a été confirmée une nouvelle fois dans une note de service datée du 27 janvier 2005 de Richard Hunter du BSF, et dont les passages pertinents figurent au paragraphe 49 de la décision sur la responsabilité. Dans cette note, M. Hunter confirmait que M. Boucher [traduction] « ne reconnaissait pas la gravité de ce qui avait été fait au rapport de vérification, et ajoutait que tout semblait être réglé ». [Non souligné dans l’original.]

 

[78]           Il s’ensuit que les conclusions du délégué relatives à l’autorisation du compte sont raisonnables et appartiennent « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

[79]           La demanderesse soutient en outre que, même si le compte « Intérêt » était autorisé, cette autorisation ne s’étendait pas à certaines des transactions qui ont été effectuées dans ce compte. Cet argument constitue le fondement des allégations formulées par la demanderesse sous le titre D.

 

[80]           Cependant, comme le délégué est parvenu à la conclusion que l’utilisation du compte « Intérêt » avait été autorisée par le BSF jusqu’à ce que la décision de le fermer entre en vigueur, et à la lumière du fait que, lorsqu’il a donné cette autorisation, le BSF était au courant des transactions contestées mentionnées dans les allégations formulées sous le titre D, la conclusion du délégué selon laquelle aucune inconduite n’a eu lieu relativement à ces allégations découle de sa conclusion de fait relativement aux allégations formulées sous le titre A. De plus, comme nous l’avons noté précédemment, M. Boucher du BSF a confirmé de nouveau aux défendeurs, en mars 2003, que toutes les questions ayant trait au compte « Intérêt » avaient été réglées. Il s’ensuit que les conclusions de fait du délégué relativement à l’allégation formulée sous le titre D sont raisonnables.

 

[81]           En toute déférence, la demanderesse demande à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve et de la crédibilité des témoins et de substituer cette nouvelle appréciation à celle du délégué. Il est bien établi dans la jurisprudence qu’une cour de révision n’a pas le pouvoir de procéder ainsi et la Cour ne le fera pas en l’espèce.

 

[82]           Par conséquent, les conclusions du délégué relativement aux allégations formulées sous les titres A et D ne seront pas modifiées.

 

Les allégations formulées sous les titres B, E, H, J et K peuvent-elles faire l’objet d’une défense fondée sur la diligence raisonnable?

           

Examen de la jurisprudence

 

[83]           Selon les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans Sault Ste. Marie, il existe trois catégories d’infractions : les infractions pour lesquelles la poursuite doit établir une intention coupable (ou mens rea), les infractions dites de « responsabilité absolue » pour lesquelles la preuve de la perpétration des actes prohibés entraîne la culpabilité, et les infractions dites de « responsabilité stricte » pour lesquelles la preuve de l’acte prohibé comporte une présomption d’infraction, mais qui laissent à l’accusé la possibilité d’écarter sa responsabilité en démontrant qu’il croyait pour des motifs raisonnables à un état de fait inexistant qui, s’il avait existé, aurait rendu l’acte innocent, ou que l’accusé a pris toutes les précautions pour éviter l’acte en question : Sault Ste. Marie, aux pages 1325 et 1326.

[84]           Il n’a pas été long avant que cette approche soit appliquée à des situations d’inconduite professionnelle. En effet, dans Ghilzon c. Royal College of Dental Surgeons (1979), 94 D.L.R. (3d) 617, [1979] O.J. No. 4037, la Cour divisionnaire de la Haute Cour de justice de l’Ontario, siégeant en appel d’une décision du Comité de discipline du Royal College of Dental Surgeons of Ontario, a conclu que l’infraction d’inconduite professionnelle du dentiste qui faisait l’objet du litige appartenait à la catégorie de la responsabilité stricte énoncée par la Cour suprême du Canada dans Sault St. Marie, et que le dentiste en cause pouvait par conséquent écarter sa responsabilité en démontrant qu’il avait fait preuve de diligence raisonnable pour ne pas commettre l’infraction.

 

[85]           Le droit d’invoquer la défense de la responsabilité stricte dans le cadre de procédures disciplinaires semble bien établi au Québec (voir entre autres décisions Chauvin c. Beaucage, 2008 QCCA 922, au paragraphe 88). Il est également reconnu au Nouveau-Brunswick à la suite de Mann c. L’Ordre des Pharmaciens du Nouveau‑Brunswick, (1987) 35 D.L.R. (4th) 426, décision portant sur l’inconduite professionnelle d’un pharmacien, et en Colombie-Britannique dans une décision relative à l’inconduite professionnelle d’un professeur : Stuart c. British Columbia College of Teachers, (2005) 254 D.L.R. (4th) 154. Dans Mann, la phrase suivante résume le principe applicable (à la page 428) :

Selon moi, l’infraction de se rendre coupable d’une faute professionnelle en ne suivant pas la norme d’exercice de la profession qui est prévue au paragr. 13.12 du Règlement, dans les circonstances de l’espèce, doit être classée comme une infraction au bien-être public ou de responsabilité stricte, infraction à l’égard de laquelle l’accusé peut invoquer la défense fondée sur la diligence.

 

 

[86]           Quoique les parties citent aussi de nombreux arrêts portant sur des licences pour débit de boisson, dont la grande majorité reconnaît le droit d’invoquer la défense de la responsabilité stricte, j’estime que ces arrêts sont peu pertinents eu égard à la question soulevée en l’espèce : Papa Holding Ltd. c. Northwest Territories, [1987] N.W.T. R. 96; Whistler Mountain Ski Corp. c. British Columbia, 2002 BCCA 426; Shooters 222 Restaurant c. Ontario (Securities Commission), [2004] O.J. No. 5595; 504174 N. B. Ltée (f.a.s. Choo Choo’s) c. Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Sécurité publique), 2005 NBCA 18.

 

[87]           Nonobstant la jurisprudence abondante qui reconnaît le droit d’invoquer la défense de responsabilité stricte dans les affaires d’inconduite professionnelles, la demanderesse soutient que la Cour divisionnaire de l’Ontario a réexaminé la question dans Gordon Capital Corp. c. Ontario, (1991), 50 O.A.C. 258; [1991] O.J. No. 934 (QL) (Gordon Capital), et dans Carruthers c. College of Nurses of Ontario (1996) 31 O.R. (3d) 377; [1996] O.J. No. 4275 (QL) (Carruthers), et que la Cour devrait en conséquence suivre ce deuxième courant de jurisprudence et refuser la défense de responsabilité stricte aux syndics en matière de faillites visés par des procédures relatives à une inconduite professionnelle en vertu de la Loi. La demanderesse soutient également que cette approche serait plus conforme au régime énoncé par la Loi en ce qui a trait à la délivrance de licences aux syndics.

 

[88]           Gordon Capital concernait un appel d’une décision de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario qui posait des conditions à l’inscription de Gordon Capital Corporation (Gordon) à titre de courtier en placement conformément à la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario et qui interdisait à Gordon de mener certaines opérations boursières pendant une période de dix jours. Cette suspension était consécutive à des infractions commises de manière non intentionnelle et par inadvertance à des dispositions de la Loi sur les valeurs mobilières concernant les règles régissant les offres publiques d’achat et les déclarations d’initiés dans le contexte d’échanges importants de valeurs mobilières de ITL Industries Limited par un négociateur sur le parquet de la Bourse de Toronto qui travaillait pour Gordon . En conséquence, Gordon a invoqué une défense de diligence raisonnable qui a été rejetée par la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario. En appel, la Cour divisionnaire a noté ce qui suit en ce qui concerne le droit d’invoquer une telle défense (aux paragraphes 28, ainsi que 33 à 35) :

[traduction]

Comme nous le notions plus haut, Gordon n’est pas accusé d’une infraction. On ne nous cite aucune décision dans laquelle il aurait été statué, soit expressément, soit par analogie, que la défense de diligence raisonnable s’applique à une audience tenue en vertu du paragraphe 26(1).

 

L’objet général de la Loi et le rôle du BSF tel qu’il ressort de celle‑ci sont de sauvegarder l’intégrité des marchés de capitaux de l’Ontario et de protéger le public investisseur. Dans ce contexte, les procédures intentées contre Gordon et Bond en application du paragraphe 26(1) de la Loi doivent être considérées comme de nature réglementaire, protectrice ou correctrice. L’objet principal des procédures est de soutenir des normes de comportement et de réglementer la conduite de ceux à qui a été délivrée la licence de faire affaires dans le secteur des valeurs mobilières. Les procédures ne sont pas criminelles ou quasi-criminelles quant à leur conception ou punitives quant à leur objet. Cette distinction a été faite dans plusieurs décisions portant sur des procédures de nature réglementaire ou de protection du public telles que celles intentées en vertu du paragraphe 26(1) de la Loi. […]

 

Bien sûr, si Gordon avait été accusé d’infractions à la Loi en vertu de l’article 118, la défense de diligence raisonnable aurait pu être invoquée. De telles accusations donnent lieu à des procédures criminelles ou quasi-criminelles avec des conséquences pénales; une déclaration de culpabilité en vertu de l’article 118 peut donner lieu à l’imposition d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement ou des deux.

 

Les décisions dans les dernières affaires citées sont favorables à la proposition selon laquelle la classification des infractions criminelles et quasi-criminelles dans les catégories de « responsabilité absolue », de « responsabilité stricte » et de « mens rea » au sens plénier qui sont définies dans R. c. Sault Ste. Marie n’est pas pertinente pour les procédures intentées en application du paragraphe 26(1). Le fait que Gordon ait pu avoir agi sans motif malveillant et par inadvertance n’entraîne pas le droit du BSF d’exercer ses pouvoirs réglementaire et discrétionnaire d’imposer une sanction à Gordon.

 

Pour les motifs susmentionnés, Gordon n’a pas démontré que le BSF avait commis une erreur de droit en rejetant la défense de diligence raisonnable.

 

 

[89]           Dans la décision Carruthers, rendue quelques années après Gordon Capital, la Cour divisionnaire siégeait en appel d’une décision du Comité de discipline de l’Ordre des infirmières et des infirmiers de l’Ontario, qui avait estimé que l’appelante, une infirmière, s’était rendue coupable d’une inconduite professionnelle lorsqu’elle avait donné un baiser inapproprié à une patiente souffrant de problèmes mentaux, dont elle avait la garde. Dans le passé, la patiente avait eu relation lesbienne traumatique avec une infirmière. L’appelante avait reconnu avoir donné un baiser à la patiente, mais avait déclaré n’avoir eu aucune intention malveillante et a en conséquence invoqué une défense de responsabilité stricte arguant d’une croyance raisonnable, quoique erronée, dans la valeur thérapeutique de sa conduite. La Cour divisionnaire a conclu qu’il appartenait au comité de discipline de décider si, dans les circonstances, l’allégation d’inconduite professionnelle était justifiée. En parvenant à cette conclusion, la Cour divisionnaire s’est interrogée sur la possibilité d’invoquer la défense de responsabilité stricte dans le contexte de procédures disciplinaires (aux pages 392 et 393 de Carruthers). Cependant, la Cour divisionnaire a en outre conclu que la décision sur la question de savoir si la conduite de l’infirmière en l’espèce constituait une inconduite professionnelle exigeait de prendre en compte tous les faits de l’espèce, y compris [traduction] « l’intention, le but ou le motif du membre s’étant livré à la conduite » (aux pages 391,393 et 394 de Carruthers). Par conséquent, quoique la possibilité d’invoquer la défense de responsabilité stricte sur le fondement de Sault Ste. Marie ait été mise en question dans cette décision, l’inconduite professionnelle en cause a néanmoins fait l’objet d’une décision selon une approche sui generis prenant en compte l’intention, l’objet ou le motif du méfait allégué.

 

[90]           La Cour d’appel fédérale a reconnu la nature sui generis des procédures intentées pour inconduite professionnelle dans le contexte de procédures visant des syndics en matière de faillites dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Jacques Roy , 2007 CAF 410 au paragraphe 11, lequel mentionne l’arrêt de la Cour d’appel du Québec Béliveau c. Comité de discipline du Barreau du Québec, [1992] R.J.Q. 1822. Par conséquent, les principes de droit criminel ne s’appliquent pas nécessairement aux procédures intentées pour inconduite professionnelle. Cependant, quoique les procédures intentées pour inconduite professionnelle soient sui generis, « il existe des rapprochements et des chevauchements au niveau de la faute requise pour l’enregistrement d’une déclaration de culpabilité » (Canada (Procureur général) c. Jacques Roy, précité, au paragraphe 11).

 

[91]           L’approche sui generis des cas d’inconduite professionnelle semble être appropriée pour déterminer si une prétendue inconduite professionnelle particulière peut faire l’objet d’une défense fondée sur la diligence raisonnable ou la prudence raisonnable. La question de savoir s’il est possible d’invoquer une telle défense dans un cas donné dépend de la nature de l’inconduite alléguée et du libellé des dispositions législatives ou réglementaires qui sont censées avoir été enfreintes. L’examen de ces dispositions permettra, dans la plupart des cas, de déterminer si un élément de diligence raisonnable entre en jeu dans les circonstances d’une activité professionnelle particulière. S’il ressort de la disposition législative ou réglementaire en cause qu’un élément de diligence raisonnable entre en jeu, alors il est généralement possible d’invoquer la défense de diligence raisonnable pour contrer une allégation d’inconduite professionnelle relativement à cette activité.

 

 

Les dispositions pertinentes de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et des règles connexes

 

[92]           La question de savoir si les défendeurs peuvent invoquer la défense de responsabilité stricte ne peut pas être tranchée dans le vide. Il importe par conséquent dans chaque affaire de prendre en considération les dispositions législatives ou réglementaires en vertu desquelles l’inconduite professionnelle alléguée est censée avoir eu lieu, afin de déterminer si les dispositions comportent un élément de diligence raisonnable ou si elles peuvent être autrement interprétées comme accordant aux défendeurs le droit d’invoquer la défense de responsabilité stricte.

 

[93]           En l’espèce, l’examen de la Loi et des Règles révèle que, pour chacune des allégations d’inconduite professionnelle formulées sous les titres B, E, H, J et K, les articles concernés de la Loi et des Règles, qui doivent être lus ensemble, mentionnent les mots « prudence et diligence » ou « devrait raisonnablement savoir », lesquels impliquent que, au moins pour ces dispositions, les défendeurs peuvent invoquer la défense de diligence raisonnable.

 

[94]           Les allégations formulées sous le titre B, concernant les demandes de libération qui ont été présentées alors qu’un solde bancaire existait encore relativement à un actif, portent, selon le paragraphe 32 du rapport de la demanderesse, sur des infractions aux articles 13.5 et au paragraphe 154(1) de la Loi ainsi qu’aux articles 36 et 45 des Règles générales sur la faillite et l’insolvabilité (les Règles). Lorsque ces dispositions sont interprétées dans leur ensemble, il devient clair qu’un élément de « prudence et de diligence » est requis de la part du syndic, ce qui permet de conclure qu’il est possible d’invoquer la défense de diligence raisonnable pour contrer les allégations d’inconduite professionnelle :

13.5 Les syndics sont tenus de se conformer au code de déontologie prescrit.

 

154. (1) Avant de procéder à sa libération, le syndic fait parvenir au surintendant, pour qu’ils soient déposés, conformément aux instructions de ce dernier, chez le receveur général, les dividendes non réclamés et les fonds non distribués qui restent entre ses mains, pourvu que ces dividendes et ces fonds ne fassent pas l’objet d’une exemption aux termes des Règles générales; il fournit une liste des noms et des adresses postales, dans la mesure où ils sont connus, des créanciers qui ont droit aux dividendes non réclamés en indiquant le montant payable à chacun d’eux.

 

36. Le syndic s’acquitte de ses obligations dans les meilleurs délais et exerce ses fonctions avec compétence, honnêteté, intégrité, prudence et diligence.

 

45. Le syndic ne signe aucun document, notamment

une lettre, un rapport, une déclaration, un exposé et un état financier, qu’il sait ou devrait raisonnablement savoir être faux ou trompeur, ni ne s’associe de quelque manière à un tel document, y compris en y joignant sous sa signature un déni de responsabilité.

[Non souligné dans l’original.]

13.5 A trustee shall comply with the prescribed Code of Ethics.

 

 

154. (1) Before proceeding to discharge, the trustee shall forward to the Superintendent for deposit, according to the directives of the Superintendent, with the Receiver General the unclaimed dividends and undistributed funds that the trustee possesses, other than those exempted by the General Rules, and shall provide a list of the names and the post office addresses, in so far as known, of the creditors entitled to the unclaimed dividends, showing the amount payable to each creditor.

 

 

 

 

36. Trustees shall perform their duties in a timely manner and carry out their functions with competence, honesty, integrity and due care.

 

 

45. Trustees shall not sign any document, including a letter, report, statement, representation or financial statement that they know, or reasonably ought to know, is false or misleading, and shall not associate themselves with such a document in any way, including by adding a disclaimer of responsibility after their signature.

[Emphasis added.]

                       

 

[95]           Les dispositions de l’article 36 des Règles mentionnent clairement les concepts de « compétence » et de « prudence et diligence », ce qui implique la possibilité d’invoquer la défense de diligence raisonnable.

 

[96]           De plus, la Cour d’appel fédérale a examiné les dispositions de l’article 45 des Règles dans Canada (Procureur général) c. Jacques Roy, précité. À cette occasion, elle a conclu que l’article 45 établit une responsabilité objective incompatible avec l’exigence d’un mens rea de l’intention de tromper. La Cour d’appel fédérale a toutefois conclu, au paragraphe 25 de cet arrêt, que la responsabilité objective aux termes de l’article 45 devait être évaluée en suivant les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans R. c. Creighton, [1993] 3 R.C.S. 3 à la page 58 :

Dans le cas de la mens rea objective, par contre, les intentions de l’accusé et ce qu’il savait n’entrent nullement en ligne de compte. Au contraire, la faute morale tient à l’omission d’envisager un risque dont une personne raisonnable se serait rendu compte. La mens rea objective n’a rien à voir avec ce qui s’est passé effectivement dans l’esprit de l’accusé, mais concerne ce qui aurait dû s’y passer si ce dernier avait agi raisonnablement. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[97]           Par conséquent, il était loisible aux défendeurs d’invoquer une défense de diligence raisonnable à l’égard des allégations formulées sous le titre B.

 

[98]           Cela est également le cas pour les allégations formulées sous le titre E concernant des erreurs mineures relatives à certains états des recettes et des débours. En ce qui a trait aux allégations formulées sous le titre E, la demanderesse mentionne, aux paragraphes 46 à 50 de son rapport, des prétendues infractions à l’article 13.5 et aux paragraphes 23(1.3), 152(1) et 246(3) de la Loi, ainsi qu’aux articles 36, 39 et 45 des Règles. Comme nous l’avons précédemment vu, les articles 36 et 45 des Règles, dont le texte est donné ci-dessus, permettent clairement d’invoquer une défense de diligence raisonnable. Par conséquent, il était également loisible aux défendeurs de faire valoir un tel moyen de défense relativement aux allégations formulées sous le titre E.

 

[99]           Les allégations formulées sous le titre H concernent le mélange de fonds dans les comptes en fiducie consolidés. En ce qui a trait aux allégations formulées sous ce titre, la demanderesse mentionne, aux paragraphes 68, 69 et 72 de son rapport, des prétendues infractions principalement aux paragraphes 5(5) et 25(1) de la Loi et aux articles 5 et 13 de l’instruction no 5 publiée le 17 novembre 1994 sur les fonds d’actif et les procédures bancaires. Ces dispositions sont rédigées comme suit :

5. (5) Les personnes visées par les instructions du surintendant sont tenues de s’y conformer.

 

 

 

 

25. (1) Lorsqu’il exerce les pouvoirs que lui confère la présente loi, le syndic dépose sans délai dans une banque tous les fonds reçus pour le compte de chaque actif dans un compte en fiducie ou en fidéicommis distinct.

 

5. Sous réserve de l’article 6, un syndic individuel peut, avec l’approbation du surintendant adjoint de district, gérer un compte bancaire consolidé en fiducie dans les cas d’administrations sommaires, en vertu de l’alinéa 155g) de la Loi, et un autre pour les propositions de consommateurs, en vertu du paragraphe 66.26(2) de la Loi […]

 

13. Lorsqu’un actif passé d’une administration sommaire à une administration ordinaire et que les fonds de l’actif sont détenus dans un compte bancaire consolidé en fiducie, un syndic doit immédiatement ouvrir un compte bancaire en fiducie distinct pour y déposer ces fonds.

5. (5) Every person to whom a directive is issued by the Superintendent under paragraph (4)(b) or (c) shall comply with the directive in the manner and within the time specified therein.

 

25. (1) When acting under the authority of this Act, a trustee shall, without delay, deposit in a bank all funds received for an estate in a separate trust account for each estate.

 

 

5. Subject to section 6, an individual trustee may, with the approval of the District Assistant Superintendent, operate one consolidated trust account for summary administrations pursuant to paragraph 155(g) of the Act and another for consumer proposals pursuant to subsection 66.26(2) of the Act […]

 

 

13. Where an estate is converted from a summary to an ordinary administration, and where the estate funds therein were previously held in a consolidated trust bank account, a trustee shall immediately open a separate trust bank account to hold such estate funds.

 

 

 

[100]       Ces dispositions ne comportement pas en elles-mêmes un élément de diligence raisonnable dans la conduite requise d’un syndic. Les dispositions exigent plutôt qu’un compte en fiducie distinct soit ouvert pour chaque actif d’administration ordinaire et qu’un compte bancaire distinct soit ouvert dès qu’un actif passe d’une administration sommaire à une administration ordinaire. Cependant, ces dispositions ne doivent pas s’interpréter isolément. L’article 36 des Règles, dont le texte est donné ci-dessus, énonce le principe général que les syndics doivent accomplir leurs fonctions avec « prudence et diligence ». De plus, l’article 52 des Règles énonce également le principe suivant :

52. Dans toute activité professionnelle, le syndic veille avec prudence et diligence à ce que les actes accomplis par ses mandataires, ses employés ou toute personne engagée par lui à contrat respectent les mêmes normes professionnelles qu’il aurait lui-même à appliquer relativement à cette activité.

[Non souligné dans l’original.]

52. Trustees, in the course of their professional engagements, shall apply due care to ensure that the actions carried out by their employees, agents or mandataries or any persons hired by the trustees on a contract basis are carried out in accordance with the same professional standards that those trustees themselves are required to follow in relation to that professional engagement.

[Emphasis added.]

 

 

[101]       Par conséquent, selon l’interprétation correcte de la Loi, des Règles et de l’instruction no 5, il était loisible aux défendeurs d’invoquer une défense de diligence raisonnable pour écarter l’inconduite professionnelle relativement aux allégations formulées sous le titre H.

 

[102]       Les allégations formulées sous le titre J concernent l’utilisation du « compte des dépôts de tierces parties » pour reporter certaines transactions relatives à l’actif. La demanderesse mentionne au paragraphe 82 de son rapport des prétendues violations de l’article 13.5 et des paragraphes 25(1) et (2) de la Loi et de l’alinéa 48b) des Règles. Les textes de l’article 13.5 et du paragraphe 25(1) de la Loi sont reproduits plus haut, tandis que l’article 25(2) de la Loi et l’alinéa 48b) des Règles l’est ci-dessous :

25. (2) Tous paiements faits par un syndic sont opérés au moyen de chèques tirés sur le compte de l’actif ou de la manière qui peut être spécifiée par les instructions du surintendant.

 

48. Le syndic qui détient de l’argent ou d’autres biens en fiducie ou en fidéicommis :

[…]

 

b) sous réserve des lois, règlements et conditions applicables à la fiducie ou au fidéicommis, administre l’argent et les biens avec prudence et diligence.

25. (2) All payments made by a trustee under subsection (1) shall be made by cheque drawn on the estate account or in such manner as is specified in directives of the Superintendent.

 

48. Trustees who hold money or other property in trust shall

[…]

 

 

(b) administer the money or property with due care, subject to the laws, regulations and terms applicable o the trust.

 

 

 

[103]       L’administration de l’argent et des biens constituant un actif est assujettie à une norme de conduite fondée sur la diligence raisonnable. Par conséquent, l’allégation d’inconduite professionnelle fondée sur l’alinéa 48b) des Règles peut faire l’objet d’une défense fondée sur la diligence raisonnable. Il était donc loisible aux défendeurs d’invoquer une telle défense relativement aux allégations formulées sous le titre J.

 

[104]       Les allégations formulées sous le titre K concernent certains montants d’argent relativement petits reçus par les défendeurs qu’ils n’ont cependant pas déposés sans délai dans un compte. La demanderesse mentionne aux paragraphes 87 et 88 de son rapport des prétendues violations de l’article 13.5 et du paragraphe 25(1) de la Loi ainsi que de l’article 36 et de l’alinéa 48b) des Règles, ces dispositions étant toutes reproduites plus haut.

 

[105]       Comme nous l’avons déjà noté, l’article 36 des Règles prescrit au syndic d’accomplir ses fonctions avec « prudence et diligence », et l’alinéa 48b) des Règles prescrit au syndic d’administrer l’argent ou les biens avec « prudence et diligence ». Par conséquent, il était loisible aux défendeurs d’invoquer la défense de diligence raisonnable relativement aux allégations formulées sous le titre K.

 

[106]       En conclusion, le délégué a eu raison de conclure qu’il était loisible aux défendeurs d’invoquer une défense de diligence raisonnable relativement aux allégations formulées sous les titres B, E, H, J et K.

 

Le délégué a-t-il commis des erreurs donnant droit à révision en statuant, en tant que conclusion de fait, qu’une défense fondée sur la diligence raisonnable avait été invoquée avec succès pour contrer les allégations formulées sous les titres B, E, H, J et K?

 

[107]       Comme il était loisible aux défendeurs d’invoquer une défense de diligence raisonnable relativement aux titres B, E, H, J et K, la demanderesse fait valoir que le délégué a commis des erreurs donnant droit à révision en concluant que les défendeurs avaient à bon droit invoqué avec succès une défense visant à contrer les allégations formulées sous ces titres. Cela soulève des questions mixtes de droit et de fait qui doivent faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

 

[108]       Dans Sault Ste. Marie, aux pages 1326 et 1331, le type de preuve requis pour faire valoir une telle défense a été exposé dans les termes suivants :

[Les infractions de responsabilité stricte laissent] à l’accusé la possibilité d’écarter sa responsabilité en prouvant qu’il a pris toutes les précautions nécessaires. Ceci comporte l’examen de ce qu’une personne raisonnable aurait fait dans les circonstances. La défense sera recevable si l’accusé croyait pour des motifs raisonnables à un état de faits inexistant qui, s’il avait existé, aurait rendu l’acte ou l’omission innocent, ou si l’accusé a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l’événement en question. Ces infractions peuvent être à juste titre appelées des infractions de responsabilité stricte. C’est ainsi que le juge Estey les a appelées dans l’affaire Hickey.

 

[…]

 

Lorsqu’un employeur est poursuivi pour un acte commis par un employé dans le cours de son travail, il faut déterminer si l’acte incriminé a été accompli sans l’autorisation ni l’approbation de l’accusé, ce qui exclut toute participation intentionnelle de ce dernier, et si l’accusé a fait preuve de diligence raisonnable, savoir s’il a pris toutes les précautions pour prévenir l’infraction et fait tout le nécessaire pour le bon fonctionnement des mesures préventives. Une compagnie pourra invoquer ce moyen en défense si cette diligence raisonnable a été exercée par ceux qui en sont l’âme dirigeante et dont les actes sont en droit les actes de la compagnie elle-même. Cette question est particulièrement bien traitée dans le contexte d’une défense de diligence raisonnable prévue par la loi, dans l’arrêt Tesco Supermarkets v. Nattras. [[1972] A.C. 153.]. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[109]       Il incombait aux défendeurs de démontrer la diligence raisonnable, mais le délégué a conclu en l’espèce qu’ils se sont acquittés de cette charge.

 

[110]       Le délégué, aux paragraphes 62 à 68 de sa décision, s’est penché sur la preuve présentée relativement aux allégations d’irrégularités formulées sous le titre B concernant les demandes de libération du syndic alors qu’il demeurait un solde bancaire dans le compte de l’actif. Le délégué a noté que ces allégations concernaient des irrégularités qui avaient été prises hors contexte par la demanderesse. Le délégué a en outre conclu que ces irrégularités formulées sous le titre B avaient été involontaires et qu’elles avaient résulté d’erreurs administratives qui n’avaient causé aucun préjudice aux actifs ou aux créanciers et que les défendeurs n’en avaient tiré aucun avantage. Le délégué a également fait remarquer que certaines des allégations concernaient de vieux actifs.

 

[111]       En ce qui concerne la défense fondée sur la diligence raisonnable relative aux irrégularités formulées sous le titre B, le délégué a accepté la preuve des défendeurs selon laquelle ils avaient administré 2 177 actifs dans la période en cause, pour lesquels ils avaient effectué 89 268 transactions d’une valeur totale de 21 595 694 $. Le délégué a évidemment conclu de cette preuve que les défendeurs avaient ainsi invoqué avec succès le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable à la lumière du fait que les allégations mineures et relativement sans importance formulées sous le titre B représentaient un minuscule pourcentage du total des transactions effectuées par les défendeurs.

 

[112]       Il convient de faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de fait et des conclusions mixtes de droit et de fait auxquelles le délégué est parvenu, et le rôle de la Cour n’est pas de réexaminer la preuve présentée au délégué.

 

[113]       Après m’être penché attentivement sur le dossier, y compris sur les transcriptions des témoignages présentés devant le délégué, il me paraît suffisant de dire que, pour ce qui est des allégations formulées sous le titre B, les conclusions de fait du délégué, ainsi que les inférences qu’il en a tirées, en ce qui a trait à la défense de diligence raisonnable appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Par conséquent, il n’y a pas lieu de modifier ces conclusions.

 

[114]       Pour ce qui est des allégations formulées sous le titre E relatives à des états prétendument inexacts de recettes et de débours, le délégué a également conclu, au paragraphe 75 de sa décision, que les défendeurs avaient établi les éléments d’une défense fondée sur la diligence raisonnable. Le délégué a relevé qu’il s’agissait d’erreurs administratives mineures commises par le personnel des défendeurs et dont les défendeurs n’avaient tiré aucun avantage financier. Il est clair que le délégué, bien qu’il ne l’ait pas dit de manière expresse, acceptait de nouveau la preuve des défendeurs selon laquelle ces irrégularités représentaient un pourcentage minuscule de leurs affaires, ce qui donnait lieu à l’inférence qu’ils avaient dans l’ensemble fait preuve de diligence raisonnable dans leurs activités de syndic en matière de faillites.

 

[115]       De nouveau, il s’agit de conclusions de fait et d’inférences tirées de conclusions de fait qui relèvent entièrement du mandat du délégué et pour lesquelles la Cour doit faire preuve d’un haut degré de retenue. Après avoir étudié le dossier, je conclus également que ces conclusions du délégué appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[116]       Pour ce qui est des allégations formulées sous le titre H, le délégué a admis la preuve présentée par les défendeurs selon laquelle les administrations sommaires qui avaient été converties en actifs ordinaires et pour lesquelles un compte bancaire n’avait pas été ouvert « sans délai » représentaient une portion infinitésimale de l’ensemble des actifs administrés par les défendeurs au cours de la période en cause. Selon la preuve présentée à cet égard, laquelle a été acceptée par le délégué, les allégations représentaient un centième d’un pour cent des administrations sommaires dont les défendeurs s’étaient occupés, ce qui donne lieu à l’inférence que les 99,99 % restants de ces actifs ont été administrés avec prudence et diligence.

 

[117]       La demanderesse conteste, relativement à ces conclusions de fait, la méthodologie utilisée ainsi que l’inférence qui en est tirée. Cependant, encore une fois, la demanderesse demande à la Cour de se livrer à une nouvelle appréciation de la preuve, exercice que la Cour n’a pas le droit de faire. La question à trancher en l’occurrence est celle de savoir si les conclusions de fait ainsi que les inférences mixtes de fait et de droit tirées par le délégué appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il ne s’agit pas d’un exercice de réappréciation de la preuve. Étant donné les faits de l’espèce et après avoir étudié attentivement le dossier présenté, les conclusions de fait et les inférences auxquelles le délégué est parvenu sur le fondement de la preuve présentée relativement aux allégations formulées sous le titre H sont raisonnables, puisqu’elles appartiennent aux issues possibles acceptables. Il n’y aura donc pas lieu de toucher à ces conclusions.

 

[118]       Une conclusion différente se justifie toutefois en ce qui concerne les allégations formulées sous les titres J et K. Les allégations formulées sous le titre J concernent l’utilisation du « compte des dépôts de tierces parties » pour reporter certaines transactions relatives à des actifs, tandis que les allégations formulées sous le titre K concernent la réception de certains paiements par les défendeurs qui n’ont pas été déposés dans les comptes d’actifs concernés. Le défendeur Allen W. MacLeod a reconnu à l’audience devant le délégué qu’il avait fait des erreurs en ce qui concerne les allégations formulées sous les titres J et K.

 

[119]       Le délégué a reconnu ces admissions aux paragraphes 92 et 93 de sa décision et n’a fait aucun commentaire sur une preuve additionnelle quelconque de diligence raisonnable relativement à ces allégations formulées sous les titres J et K. L’examen de la transcription de l’audience montre également qu’aucune telle preuve n’a été présentée par les défendeurs pour contrer les allégations formulées sous les titres J et K.

 

[120]       La défense entière des défendeurs relativement à ces allégations est énoncée dans le témoignage donné par le défendeur Allen W. MacLeod lors de l’interrogatoire principal tenu devant le délégué le 9 octobre 2008 et figurant aux pages 726 à 729 de la transcription (également aux pages 2658 à 2661 du volume 11 du dossier de la demanderesse) :

[traduction]

Q. Je veux maintenant parler de l’allégation J.

[…]

Q. Qu’est-ce que vous avez fait là et quelle est votre explication relativement à cela ?

R. Il s’agit d’une erreur administrative.

Q. Est-ce que de l’argent a été perdu, M. MacLeod?

R. Non.

Q. Allégation K. […] Quand vous êtes-vous d’abord rendu compte que quelque chose manquait?

R. Nous avons rédigé le rapport sur la demande de libération en matière de faillites pour M. et Mme Deady, qui doit être envoyé à toutes les parties impliquées dans un actif, y compris le failli, les créanciers et le BSF.

            Après que cela ait été envoyé, Mme Deady m’a téléphoné – je peux vous dire la date précise – et m’a dit : il semble qu’un montant manque relativement à l’argent que nous vous avons payé. Tout en lui parlant, selon ce dont je me souviens, j’ai vérifié le compte au cas où il y aurait eu une mauvaise répartition entre elle et son mari, ou un autre Deady, et nous avons cherché, mais il n’y avait pas d’argent là pour elle. Je lui ai alors dit de m’envoyer une copie de son reçu pour que j’en aie un. J’examinerai notre dossier pour voir ce que nous avons et je suppose que cela a seulement été mis dans le mauvais compte.

[…]

Q. Avez-vous pris cet argent, M. MacLeod?

R. Non.

Q. Qu’est-il arrivé à cet argent?

R. Je n’en ai aucune idée. Je pensais qu’on le retrouverait, mais on ne l’a pas retrouvé.

 

 

[121]       Comme les défendeurs n’ont présenté aucune preuve de diligence raisonnable relativement aux allégations formulées sous les titres J et K et que le délégué n’a pas expliqué, dans la décision sur la responsabilité, pourquoi et comment une défense de diligence raisonnable avait été présentée relativement à ces allégations, la Cour doit en toute déférence conclure que ces conclusions du délégué sont telles qu’elles justifient une intervention. En effet, comme cela est noté au paragraphe 47 de Dunsmuir, précité, dans un contrôle judiciaire, le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. À la lumière de l’aveu clair d’une faute de la part des défendeurs, en ce qui a trait aux allégations formulées sous les titres J et K, de l’absence de toute preuve des défendeurs relativement à une défense de diligence raisonnable et de l’absence de toute explication du délégué, dans la décision sur la responsabilité, quant raisons de sa conclusion selon laquelle une défense de diligence raisonnable avait été présentée pour contrer ces allégations, la Cour estime que les conclusions du délégué concernant le bien-fondé de la défense de diligence raisonnable relativement à ces allégations ne peuvent pas être confirmées.

 

La Loi permet-elle d’adresser un blâme comme réparation ou sanction?

 

[122]       Comme nous le notions plus haut, dans la décision sur les sanctions, le délégué a adressé un blâme aux défendeurs pour les violations mentionnées dans les allégations formulées sous le titre L concernant certains retards dans l’administration des deux actifs. La demanderesse conteste la légalité d’une telle sanction.

 

[123]       Le paragraphe 14.01(1) de la Loi énonce les mesures qui peuvent être prises lorsqu’il est démontré qu’un syndic en matière de faillites s’est rendu coupable d’une inconduite professionnelle. Il est utile de reproduire de nouveau des extraits de ce paragraphe qui a trait aux mesures de réparation ou aux sanctions qui peuvent être imposées dans de telles circonstances :

14.01 (1) […] le surintendant peut prendre l’une ou plusieurs des mesures énumérées ci-après, […] :

 

a) annuler ou suspendre la licence du syndic;

 

b) soumettre sa licence aux conditions ou restrictions qu’il estime indiquées, et notamment l’obligation de se soumettre à des examens et de les réussir ou de suivre des cours de formation;

 

 

c) ordonner au syndic de rembourser à l’actif toute somme qui y a été soustraite en raison de sa conduite;

 

 

 

d) ordonner au syndic de prendre toute mesure qu’il estime indiquée et que celui-ci a agréée.

14.01 (1) […] the Superintendent may do one or more of the following:

 

(d) cancel or suspend the licence of the trustee;

 

(e) place such conditions or limitations on the licence as the Superintendent considers appropriate including a requirement that the trustee successfully take an exam or enrol in a proficiency course;

 

(f) require the trustee to make restitution to the estate of such amount of money as the estate has been deprived of as a result of the trustee’s conduct; and

 

(g) require the trustee to do anything that the Superintendent considers appropriate and that the trustee has agreed to.

 

 

[124]       L’objectif principal de cette disposition est de garantir la protection du public : Sam Lévy & Associés Inc. c. Canada (Surintendant des faillites), précité, aux paragraphes 127 et 128. À cette fin, deux ensembles de mesures sont envisagés. Le premier consiste en mesures de réparation et vise à prévenir la répétition de la situation dans le futur grâce à l’imposition de mesures comportant l’exigence de formation additionnelle, la restitution de montants dans les actifs et d’autres mesures auxquelles agrée le syndic qui seraient indiquées pour corriger la situation. Le second ensemble consiste en mesures disciplinaires et comporte l’imposition de limites ou de conditions relativement à une licence ou, dans des cas appropriés et extrêmes, l’annulation d’une licence. Ces mesures de réparation et ces sanctions disciplinaires peuvent être combinées.

 

[125]       Il convient également de noter que l’utilisation du mot « peut » (en anglais « may ») dans la disposition du début du paragraphe 14.01(1) de la Loi fait ressortir clairement qu’il est possible de n’imposer aucune mesure de réparation ou sanction à l’égard d’un syndic, même lorsque les allégations d’inconduite sont justifiées. La décision d’imposer ou non une telle mesure ou sanction est donc discrétionnaire et relève du pouvoir ou mandat exclusif du surintendant ou de son délégué, compte tenu de toutes les circonstances d’un cas particulier. Cela a été décidé de manière concluante dans Jacques Roy c. Sylvie Laperrière, précité, aux paragraphes 75 à 80.

 

[126]       En l’espèce, le délégué a formulé ce qu’il a appelé un « blâme ». Le paragraphe 14.01(1) de la Loi ne prévoit pas expressément un « blâme ». À la lumière de la nature disciplinaire d’un blâme, et compte tenu du principe qu’un pouvoir discrétionnaire doit être interprété restrictivement, il n’était pas loisible au délégué d’imposer la sanction de blâme. Cependant, il importe d’aller au-delà de l’utilisation d’expressions déterminées et d’examiner effectivement l’objectif poursuivi par le délégué dans la décision sur les sanctions.

 

[127]       Quoique l’utilisation de la notion de « blâme » ait été malheureuse, lorsqu’on interprète la décision sur les sanctions dans son ensemble, il devient manifeste que le délégué était d’avis qu’aucune sanction ou mesure précise envisagée par le paragraphe 14.01(1) n’était requise en l’espèce, principalement à la lumière du fait que les défendeurs avaient fait l’objet d’une investigation rigoureuse suivie de l’audience et d’une décision et que cela constituait une punition suffisante pour les défendeurs. Le délégué était également d’avis que ce que les défendeurs ont vécu durant le processus disciplinaire enverrait un message de dissuasion aux autres syndics (paragraphe 20 de la décision sur les sanctions).

 

[128]       Par conséquent, selon mon interprétation de la décision du délégué sur les sanctions, aucune mesure de réparation ou sanction précise en vertu du paragraphe 14.01 de la Loi n’a été jugée appropriée par le délégué. Quoique cela ait été exprimé comme un « blâme », le résultat net est que le délégué a décidé que, compte tenu des faits particuliers de l’espèce, aucune sanction ou mesure précise prévue au paragraphe 14.01(1) de la Loi n’était requise, car la décision sur la responsabilité et le processus qui y avait mené servaient les fins de la Loi. Comme le juge Martineau l’a noté au paragraphe 105 de Sam Lévy & Associés c. Canada (Surintendant des faillites), précité, « le caractère public du dossier disciplinaire et de l’audition, allié à la publicité des procédures et des décisions du tribunal, risquent d’avoir un impact négatif sur la réputation, voire la carrière future de tout particulier dont la conduite est examinée par le tribunal ».

 

[129]       Quoique la détermination de l’éventail des mesures de réparation ou des sanctions possibles est une question de droit devant faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte, la détermination de la mesure ou réparation ou de la sanction à imposer dans un cas donné, le cas échéant, relève entièrement du pouvoir du délégué et doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir, au paragraphe 53; Royal Oak Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 R.C.S. 369, au paragraphe 59; Cartaway Resources Corp. (Re), 2004 CSC 26, [2004] 1 R.C.S. 672; Donnini c. Ontario Securities Commission (2005), 76 O.R. (3d) 43 (C.A. Ont.) aux paragraphes 73 et 74; Canada (Procureur général) c. Envoy Relocation Services, 283 D.L.R. (4th) 465, 2007 CAF 176, [2008] 1 R.C.F. 291, aux paragraphes 15 et 17.

 

[130]       Dans la présente affaire, quoiqu’il ait utilisé le terme « blâme », le délégué a en fait conclu qu’aucune mesure ou sanction précise prévue au paragraphe 14.01(1) de la Loi n’était requise. Il était loisible au délégué de retenir cette option et, à la lumière des faits particuliers de l’espèce, j’estime que, si on l’envisage dans son ensemble, la décision du délégué de faire ce choix était raisonnable.

 

[131]       Bien entendu, comme la présente affaire sera renvoyée au délégué pour qu’il rende une nouvelle décision sur les mesures de réparation ou les sanctions appropriées à la lumière du présent jugement, le délégué devra déterminer à nouveau quelles mesures de réparation ou sanctions prévues au paragraphe 14.01(1) de la Loi sont appropriées dans les circonstances, et aura la possibilité de n’imposer aucune mesure ou sanction eu égard aux faits particuliers de l’espèce.

 

 

La partialité et le zèle excessif de la poursuite sont-ils des facteurs à prendre en considération dans les procédures intentées en application des articles 14.01 et 14.02 de la Loi et, le cas échéant, le délégué a-t-il commis des erreurs donnant droit à révision en statuant, en tant que conclusion de fait, que de tels facteurs entrent en jeu dans la présente affaire?

 

[132]       Comme je l’ai fait remarquer aux avocats à l’audience du présent contrôle judiciaire, je suis d’avis que cette question a peu d’incidence sur les présentes procédures. La demanderesse a soulevé cette question dans sa demande de contrôle judiciaire et dans son mémoire des faits et du droit, en s’offusquant des conclusions du délégué selon lesquelles son rapport manquait d’objectivité et d’impartialité.

 

[133]       Je signale que la partialité et le zèle excessif de la poursuite peuvent donner lieu à une suspension des procédures intentées contre un syndic en matière de faillites conformément aux articles 14.01 et 14.02 de la Loi : Dans les affaires sur la conduite professionnelle des syndics  PricewaterhouseCoopers Inc. et Robert Brochu et Serge Morency et Serge Morency & Associés Inc, 19 janvier 2005, Marc Mayrand.

 

[134]       Dans la présente affaire, une requête en sursis des procédures intentées contre les défendeurs fondée sur la partialité et le zèle excessif de la poursuite a été présentée au délégué, et celui-ci en a traité aux paragraphes 1 à 17 de la décision sur la responsabilité. Le délégué a décidé de rejeter cette requête au motif que « les points que les syndics ont soulevés dans leur requête en sursis pourront être tranchés lors de l’examen des allégations au fond » (au paragraphe 17 de la décision sur la responsabilité).

 

[135]       Le délégué a en outre traité de la partialité et du zèle excessif de la poursuite lorsqu’il a examiné la preuve qui lui a été présentée, particulièrement aux paragraphes 44 à 50 de la décision sur la responsabilité. Cependant, les conclusions du délégué au paragraphe 47 concernant le manque d’objectivité et l’impartialité du rapport préparé par la demanderesse ne sont pas mentionnées plus loin dans cette décision relative au bien-fondé des allégations à l’encontre des défendeurs, ni dans la décision sur les sanctions dans laquelle les mesures de réparation ou les sanctions appropriées sont déterminées.

 

[136]       Dans ces circonstances, je ne vois aucune raison de traiter davantage de cette question.

 

 

Conclusions

 

[137]       À l’audition de la demande sur le fond de l’affaire, les avocats tant de la demanderesse que des défendeurs ont convenu que, si j’accueillais la demande en tout ou partie, l’affaire pourrait être renvoyée à M. Chadwick s’il est disposé à reprendre l’affaire et est en mesure de le faire.

 

[138]       Pour les motifs énoncés ci-dessus, l’affaire sera renvoyée à M. Chadwick à la seule fin qu’il rende une décision sur les mesures de réparation ou les sanctions appropriées, le cas échéant, conformément au paragraphe 14.01(1) de la Loi concernant les allégations démontrées à l’encontre des défendeurs et formulées sous les titres J, K et L.

 

[139]       À la lumière des faits particuliers de l’espèce, j’ai décidé d’exercer ma discrétion judiciaire de ne pas adjuger de dépens.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie seulement et l’affaire est renvoyée à l’honorable James B. Chadwick à la seule fin qu’il détermine les mesures de réparation ou les sanctions appropriées, le cas échéant, conformément au paragraphe 14.01(1) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité relativement aux allégations qui ont été établies à l’encontre des défendeurs et formulées sous les titres B, J et K, le tout sans frais.

 

 

 

 

« Robert M. Mainville »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-327-09

 

INTITULÉ :                                                   SYLVIE LAPERRIÈRE, en sa qualité d’analyste principale, Conduite professionnelle, Bureau du surintendant des faillites c. ALLEN W. MACLEOD ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Les 14 et 15 décembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                                           Le juge Mainville

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 28 janvier 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Bernard Letarte

Benoit de Champlain

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

J. Alden Christian

Julia Martin

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JOHN H.SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DEMANDERESSE

DOUCET MCBRIDE LLP/S.R.L.

Avocats et conseillers juridiques

Ottawa (Ontario)

 

JULIA J. MARTIN

Avocat et conseiller juridique

Ottawa (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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