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Federal Court

 

Cour fédérale


Date : 20100128

Dossier : IMM-2024-09

Référence : 2010 CF 93

Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2010

En présence madame la juge Snider

 

ENTRE :

NGHIA TRONG NGUYEN-TRAN

(Alias Tran Trong Nghi NGUYEN)

 

                                                                                                                                          demandeur

 

                                                                             et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Le contexte

 

[1]               Le demandeur, M. Nghia Trong Nguyen-Tran, est né au Vietnam. Il est venu au Canada en 1993 en tant qu’enfant à charge et, depuis son arrivée, il a accumulé un lourd casier judiciaire. Il a été déclaré coupable de deux chefs d’accusation de trafic de drogue, ce qui a mené la Section de l’immigration (la SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié à prendre une mesure de renvoi pour motif de « grande criminalité », comme le prévoit l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Le demandeur a interjeté appel de la mesure de renvoi prise contre lui auprès d’une formation de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. L’appel du demandeur était fondé sur l’alinéa 67(1)c) de la LIPR, qui dispose que la SAI peut faire droit à un appel d’une mesure de renvoi si, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché par le renvoi du demandeur, des motifs d’ordre humanitaire justifient, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

[2]               Dans sa décision rendue le 7 avril 2009, la SAI a conclu : a) que la mesure de renvoi était valide en droit (ce point n’est pas contesté par le demandeur) et b) que le demandeur n’était pas parvenu à établir qu’il existait des motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales. La SAI a rejeté l’appel. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision; il allègue que la SAI a commis deux erreurs :

 

1.                  La SAI a commis une erreur en tenant compte dans son analyse d’un facteur aggravant (l’appartenance à un gang criminel) énoncé à l’article 121 de la LIPR;

 

2.                  La SAI a commis une erreur en se fondant sur sa conclusion selon laquelle la présence du demandeur au Canada exposait des tiers à un danger ou à un risque indirect (principalement sa mère et sa demi-sœur).

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’il n’y a aucun motif justifiant que la décision de la SAI soit modifiée; la présente demande sera rejetée.

 

II.         Nature et portée du pouvoir discrétionnaire de la SAI

 

[4]               Dans le cadre du présent contrôle judiciaire de la décision de la SAI, il est important de comprendre la nature et la portée du pouvoir discrétionnaire de la SAI en ce qui a trait aux mesures qu’elle peut prendre suivant l’alinéa 67(1)c).

 

[5]               La présente affaire tire son origine des déclarations de culpabilité pour trafic de cocaïne prononcées contre le demandeur, lesquelles sont punissables au maximum d’un emprisonnement à vie. Cette infraction est visée par l’article 36 de la LIPR, qui prévoit que constitue de la grande criminalité la déclaration de culpabilité pour une infraction punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans. Il n’est pas contesté que le demandeur est interdit de territoire en application de l’article 36 de la LIPR. La SI a pris une mesure de renvoi contre le demandeur. En vertu du paragraphe 63(3) de la LIPR, le demandeur a interjeté appel de la mesure de renvoi auprès de la SAI :

63. (3) Le résident permanent ou la personne protégée peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise au contrôle ou à l’enquête.

63. (3) A permanent resident or a protected person may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision at an examination or admissibility hearing to make a removal order against them.

 

[6]               En l’espèce, le demandeur n’a pas contesté la validité de la mesure de renvoi; il a plutôt demandé à la SAI d’exercer son pouvoir discrétionnaire prévu à l’alinéa 67(1)c) :

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

 

[. . .]

 

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres

circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of . . .

 

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

[7]               Les précisions données par la Cour suprême dans le récent arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 (Khosa), sont particulièrement utiles. L’affaire Khosa portait sur un ensemble de faits très semblables : un jeune homme avait été déclaré interdit de territoire au Canada pour motif de grande criminalité, et la SAI avait rejeté l’appel présenté sur le fondement de l’alinéa 67(1)c). La tâche de la SAI a été décrite par le juge Binnie au paragraphe 57 de l’arrêt Khosa, précité, comme étant la suivante :

Reconnaissant que le renvoi peut entraîner des difficultés, le législateur a prévu à l’al. 67(1)c) un pouvoir de prendre des mesures exceptionnelles. Selon la nature de la question que pose l’al. 67(1)c), la SAI « fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé [. . .] il y a [. . .] des motifs d’ordre humanitaire justifiant [. . .] la prise de mesures spéciales ». Il revient à la SAI de déterminer non seulement en quoi consistent les « motifs d’ordre humanitaires », mais aussi s’ils « justifient » la prise de mesures dans un cas donné. L’alinéa 67(1)c) exige que la SAI procède elle‑même à une évaluation liée aux faits et guidée par des considérations de politique.  [Non souligné dans l’original.]

 

[8]               Comme il a été énoncé dans l’arrêt Khosa, la norme de contrôle applicable à la décision de la SAI est la raisonnabilité. Le juge Binnie a décrit la raisonnabilité comme suit (Khosa, précité, paragraphe 59) :

La raisonnabilité constitue une norme unique qui s’adapte au contexte. L’arrêt Dunsmuir avait notamment pour objectif de libérer les cours saisies d’une demande de contrôle judiciaire de ce que l’on est venu à considérer comme une complexité et un formalisme excessifs. Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, elle commande la déférence. Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle‑ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

 

 

[9]               Il est bien établi en droit que, dans le cadre de son vaste mandat, la SAI, lorsqu’elle détermine si la prise de mesures spéciales est justifiée, devrait être guidée par les facteurs énoncés dans la décision Ribic c. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1985] I.A.B.D. no 4. Ces facteurs (les facteurs de la décision Ribic) ont été acceptés par la Cour suprême dans l’arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84, paragraphes 40, 41 et 90, et, plus récemment, dans l’arrêt Khosa, précité, paragraphes 65 et 66. Les facteurs de la décision Ribic sont les suivants :

 

1.                  la gravité de l’infraction ayant donné lieu à la mesure de renvoi;

 

2.                  la possibilité de réadaptation;

 

3.                  le temps passé au Canada et le degré d’établissement de la personne exposé au renvoi;

 

4.                  le soutien que peut fournir la famille et la collectivité à la personne exposée au renvoi;

 

5.                  la présence au Canada de la famille de la personne exposée au renvoi et les bouleversements que son expulsion occasionnerait à sa famille;

 

6.                  l’importance des difficultés que causerait à la personne exposée au renvoi le retour dans son pays de nationalité.

 

[10]           Ces facteurs ne sont pas exhaustifs, et l’importance qu’il faut leur accorder varie d’une affaire à l’autre (voir Khosa, précité, paragraphe 65). Les facteurs de la décision Ribic ne devraient pas non plus être appliqués à la lettre. Bien évidemment, les faits de chaque affaire donneront lieu à différents motifs et à différentes issues.

 

III.       La décision soumise au contrôle

 

[11]           La SAI, dans une décision longue et exhaustive, a apprécié la preuve dont elle disposait et a exercé son pouvoir discrétionnaire suivant l’analyse des facteurs de la décision Ribic. Selon ce que je comprends, le demandeur n’allègue pas que la SAI a omis de tenir compte d’éléments de preuve ou qu’elle a tiré une conclusion de fait erronée. Les conclusions de fait qui suivent sont


particulièrement importantes en l’espèce et, selon la SAI, elles militaient en défaveur de la prise de mesures spéciales de nature discrétionnaire :

 

·                    Le demandeur avait par deux fois été déclaré coupable d’infractions en tant que jeune contrevenant et, comme adulte, il avait été déclaré coupable de huit autres infractions.

 

·                    L’infraction la plus grave que le demandeur a commise est le trafic de drogue et tant le législateur que les Nations Unies considèrent qu’il s’agit d’un crime très grave.

 

·                    Le demandeur n’a pas respecté les conditions de sa peine et de sa mise en liberté sous caution.

 

·                    Le demandeur est encore membre ou, du moins, il est encore lié à des membres d’un gang criminel qui sévit à Calgary et qui est impliqué dans une vendetta meurtrière avec un autre gang criminel.

 

·                    La présence du demandeur auprès de sa demi-sœur menace la vie de cette dernière. La demi-sœur du demandeur a été retirée de sa maison par les Services à l’enfance et à la famille de l’Alberta (en application d’une ordonnance de la cour) afin de la protéger contre des préjudices non intentionnels qui auraient pu lui être causés en raison des liens du demandeur avec le gang criminel.

 

·                    La violence continue des gangs criminels (telles les deux tentatives de meurtre auxquelles a échappé le demandeur) expose la demi‑sœur et d’autres personnes innocentes à un réel danger.

 

[12]           La SAI a également examiné et apprécié la preuve en faveur du demandeur. La SAI a tenu compte de la relation du demandeur avec sa demi-soeur et sa mère qui souffre d’un handicap; des remords qu’il a exprimés; de son aveu de culpabilité; de la possibilité qu’il lui soit difficile de se s’établir de nouveau au Vietnam après avoir vécu pendant treize ans au Canada ainsi que d’autres faits.

 

[13]           Dans le cadre de son analyse, la SAI a consciencieusement expliqué pourquoi elle a privilégié le témoignage de certains témoins à celui d’autres témoins; pourquoi elle a conclu que le témoignage du demandeur et de quelques témoins n’était pas crédible et pourquoi, vu les faits de l’espèce, elle a accordé plus d’importance à certains facteurs.

 

[14]           Point particulièrement important en l’espèce, la SAI a considéré que le lien du demandeur avec un gang criminel constituait un « facteur aggravant » en ce qui a trait à la gravité de ses crimes. Autrement dit, la SAI a conclu qu’un crime commis dans le cadre des activités violentes exercées par un gang criminel ou commis par un membre d’un tel gang devrait davantage militer en défaveur du demandeur qu’un autre crime. La SAI a expliqué ce principe de la façon suivante :

En ce qui a trait à l’évaluation des répercussions de l’association soutenue de l’appelant avec le gang des FK, je note qu’une autre disposition de la [LIPR], à savoir l’article 121, prévoit précisément qu’une infraction commise en association avec une organisation criminelle constitue un facteur aggravant au moment de déterminer la peine en application de la [LIPR]. Je reconnais que cet article fait référence à des facteurs aggravants se rapportant aux infractions de passage et de trafic de clandestins. Il ne s’agit donc pas d’un élément contraignant pour moi. Toutefois, le fait que la [LIPR] considère l’association avec une organisation criminelle comme étant un facteur aggravant au moment de commettre un crime reflète l’intention du législateur en de pareilles affaires. Je prends également note des commentaires formulés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Medovarsk selon lesquels les « termes de la présente loi, comme ceux de toute autre loi, doivent être interprétés en tenant compte de l’ensemble de l’objet, du texte et du contexte de la disposition en cause ». Par conséquent, ayant tenu compte de l’ensemble de la [LIPR], j’estime que la gravité des déclarations de culpabilité de l’appelant doit être examinée en tenant compte de l’objectif exprimé à l’article 121. Qu’il ait été déclaré coupable de trafic, en compagnie d’un membre déclaré des FK, et qu’il reconnaisse avoir des liens soutenus avec des membres de ce gang constitue un facteur aggravant, et ce, compte tenu de la gravité des actes criminels posés par l’appelant autant que de ses efforts de réadaptation.                                     [Non souligné dans l’original.]

 

[15]           Dans son analyse fondée sur les facteurs de la décision Ribic, la SAI a renvoyé au paragraphe 10 de l’arrêt Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539, où la Cour suprême a affirmé que la priorité avait été donnée à la sécurité. Sur ce fondement, la SAI a conclu que « [l]es preuves liées aux facteurs de la décision Ribic sans rapport avec la sécurité doivent être […] disproportionnées pour l’emporter sur celles qui signalent un risque continu pour la sécurité ». En l’espèce, la SAI a conclu que l’association soutenue du demandeur avec des membres de gang constituait un facteur important :

Cette association soutenue alourdit la gravité des déclarations de culpabilité de l’appelant, elle demeure un obstacle important à la réadaptation de celui-ci en dépit des mesures et des efforts qu’il a faits dans ce sens, et expose des personnes innocentes à un danger constant du fait de leur association avec lui ou en raison de sa présence permanente au Canada.

 

[16]           La SAI a pondéré les facteurs énoncés dans la décision Ribic et a conclu que les facteurs en faveur du demandeur « ne sont pas assez prépondérants pour l’emporter sur les intérêts en matière de sécurité qui rendent nécessaire le renvoi de l’appelant du Canada ». La SAI a également conclu que les motifs d’ordre humanitaires, y compris l’intérêt supérieur de l’enfant, ne justifiaient pas la prise de mesures spéciales. La SAI a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire et d’accorder des mesures spéciales suivant l’alinéa 67(1)c) de la LIPR.

 

IV.       Analyse

 

[17]           Le demandeur s’oppose à deux éléments dont a tenu compte la SAI. Je traiterai de chacun d’entre eux.

 

A.        La SAI a-t-elle commis une erreur en tenant compte de l’article 121 de la LIPR dans son analyse?

 

[18]           Comme le révèle la citation de la décision ci-dessus, la SAI a estimé « que la gravité des déclarations de culpabilité de l’appelant doit être examinée en tenant compte de l’objectif exprimé à l’article 121 ». Le demandeur allègue que la SAI a commis une erreur en s’appuyant sur un « facteur aggravant », défini à l’article 121 de la LIPR, dans son analyse fondée sur l’alinéa 67(1)c). Le demandeur soutient qu’aucune loi et qu’aucun précédent en common law ne permettait à la SAI de tenir compte de facteurs visant d’autres infractions (la traite de personne et l’organisation d’entrée illégale au Canada) dans son analyse.

 


[19]           L’article 121 de la LIPR porte la note marginale suivante : « Infliction de la peine ». L’alinéa 121b) est particulièrement important en l’espèce et il se lit ainsi :

121. (1) Le tribunal tient compte, dans l’infliction de la peine visée aux paragraphes 117(2) et (3) et à l’article 120, des facteurs suivants :

 

[. . .]

 

b) l’infraction a été commise au profit ou sous la direction d’une organisation criminelle ou en association avec elle;

121. (1) The court, in determining the penalty to be imposed under subsection 117(2) or (3) or section 120, shall take into account whether:

 

. . .

 

(b) the commission of the offence was for the benefit of, at the direction of or in association with a criminal organization

 

[20]           Il n’y a évidemment aucun lien direct entre l’article 121 et l’analyse que doit effectuer la SAI suivant l’alinéa 67(1)c). Le demandeur fait à juste titre remarquer que l’article 121 établit les facteurs aggravants dont le tribunal doit tenir compte (par opposition à la SAI) dans la détermination de la peine en cas d’infractions liées à la traite de personnes et à l’organisation d’entrée illégale au Canada, infractions établies à l’article 117 de la LIPR (voir R. c. Ng, 2008 BCCA 535, 263 B.C.A.C. 300, paragraphes 13 à 17). L’article 121 ne mentionne aucunement la SAI ni des motifs d’ordre humanitaires justifiant la prise de mesures spéciales en ce qui a trait à une mesure de renvoi valide. Par conséquent, si la SAI avait aveuglément ou automatiquement tenu compte des dispositions de l’article 121 dans son analyse fondée sur l’alinéa 67(1)c), elle aurait commis une erreur de droit.

 

[21]           Bien que je reconnaisse que le renvoi par la SAI à l’article 121 peut prêter à confusion et n’est probablement pas nécessaire, je ne suis pas d’accord avec le demandeur lorsqu’il affirme qu’il s’agit d’une erreur susceptible de contrôle.

[22]           Comme le révèle le passage précédent, la SAI n’a pas tenu compte de l’ensemble de l’article 121. En fait, la SAI a mentionné qu’elle n’avait pas la compétence pour le faire. La SAI a plutôt tenu compte de l’objectif de l’article 121 afin de mettre davantage l’accent sur la gravité des crimes commis dans le cadre des activités d’un gang criminel.

 

[23]           La SAI n’a fait que renvoyer à l’article 121 de la LIPR pour appuyer son analyse de la gravité du crime organisé dans le contexte d’infractions criminelles. Je note que la SAI aurait pu renvoyer à d’autres dispositions de la LIPR pour appuyer son interprétation de l’intention du législateur. La LIPR renferme plusieurs dispositions dans lesquelles la criminalité organisée est expressément considérée comme étant un moyen d’action distinct, et ce, sans compter la criminalité même (voir, par exemple, les articles 37, 64 et 123). Par conséquent, il est raisonnable de conclure que le législateur a voulu que la criminalité organisée soit considérée comme étant un type de crime distinct et potentiellement plus grave.

 

[24]           Par conséquent, bien que la raison fournie par la SAI pour considérer que l’association du demandeur avec un gang constituait un « facteur aggravant » puisse quelque peu prêter à confusion, il n’était pas déraisonnable que la SAI la fournisse une telle raison. Il était raisonnable que la SAI tienne compte des liens antérieurs et actuels du demandeur avec un gang. En estimant que le lien avec un gang (même si le demandeur n’appartenait véritablement pas au gang) renforçait ou alourdissait la gravité des infractions criminelles du demandeur, la SAI a agi dans les limites du large pouvoir discrétionnaire qui découle de son mandat.

 


B.         La SAI a-t-elle commis une erreur en prenant en considération le danger « indirect » que représente la présence du demandeur au Canada?

 

[25]           La SAI a conclu que le demandeur lui‑même ne constituait pas un danger pour le public. Cependant, la SAI a pris en considération que, en raison de son lien avec un gang criminel et des faits qui étaient survenus, le demandeur pourrait être ciblé par des criminels, ce qui pourrait exposer le public à un danger indirect. En outre, la SAI a tenu compte des effets préjudiciables et du danger auxquels pourrait être exposée la demi‑sœur du demandeur. Selon la SAI, ces facteurs militaient en défaveur du demandeur.

 

[26]           Le demandeur a plaidé dans ses observations que les facteurs de la décision Ribic disposaient que la SAI devait limiter son analyse au danger que représente le demandeur lui‑même sans tenir compte du danger auquel sont exposés les tiers du fait de sa présence. La question du danger ou du risque a trait au danger que le demandeur lui-même représente pour le public ou bien au risque de récidive (voir Sherlock Albertson Hardware c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 338, 79 Imm. L.R. (3d) 203, paragraphe 26). Le critère relatif au danger pour le public correspond au critère relatif à « l’avis de danger » prévu à l’article 115 de la LIPR (voir Cruz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1341, 78 Imm. L.R. (3d) 68).

 

[27]           Je ne suis pas d’accord avec le demandeur.

 

[28]           Les conclusions relatives au danger et au risque indirects tirées par la SAI concernent des facteurs relevant de l’entière discrétion de la SAI. Il s’agit de l’intérêt supérieur de l’enfant (voir l’alinéa 67(1)c)) et des bouleversements que l’expulsion du demandeur occasionnerait à sa famille au Canada (voir le facteur no 5 énoncé de la décision Ribic)). Les extraits qui suivent de la décision de la SAI révèlent comment la SAI a appliqué ces facteurs à la preuve :

L’appelant lui-même a été visé par deux tentatives d’assassinat, dont l’une en présence de Dawn [sa conjointe]. Tous ces événements ont été rapportés en détail dans les médias de Calgary. De plus, la petite sœur de l’appelant, qui est âgée de neuf ans, a été retirée des soins de sa mère aux termes d’une ordonnance judiciaire motivée par le danger indirect auquel l’exposaient les tentatives d’assassinat dont l’appelant pouvait être l’objet au domicile familial. Il s’agit là de circonstances inusitées, voire exceptionnelles pour la plupart des gens.

 

[…] [D]es assaillants armés auraient tenté de tirer sur l’appelant alors qu’il sortait du domicile familial de Mme Ngo. La simple présence de l’appelant dans cette maison expose les témoins et les membres de la famille à un risque de blessure. La question visant à savoir si Mme Ngo ou l’appelant trempent dans des activités de gang est dénuée de pertinence en regard de ce facteur. Le fait demeure que des personnes menaçantes pour l’appelant étaient prêtes à l’attaquer alors qu’il se trouvait au domicile familial de Dawn, exposant ainsi celle-ci ainsi que les membres de sa famille à un risque indirect. Par conséquent, en dépit de la preuve établissant une relation significative entre l’appelant et Dawn Ngo, je conclus que cette dernière ne serait pas irréparablement bouleversée par le renvoi de l’appelant du Canada. Il s’agit d’un facteur qui joue en sa défaveur.

 

[…] [L]es éléments de preuve relatifs à l’intérêt supérieur de cette enfant [sa demi-sœur] ne jouent pas totalement en faveur de l’appelant. Du fait de sa présence physique à la maison et du risque que quelqu’un attente à sa vie alors qu’il s’y trouve, cette enfant a été retirée à sa mère et à son frère. D’après les renseignements dont je dispose, cette enfant n’a pas vécu chez elle avec sa mère depuis que l’appelant y est retourné en novembre 2008.

 

[…] [L]es avantages que tireraient la mère et la sœur si l’appelant était autorisé à demeurer au Canada doivent être pondérés avec le danger auquel le public est exposé, la gravité des crimes que l’appelant a commis et son niveau de réadaptation. Bien que l’appelant lui-même ne soit pas un danger pour le public et qu’aucune preuve ne permette d’établir qu’il a commis d’autres actes criminels graves et dangereux pour le public, sa simple présence au Canada crée un danger indirect. Le risque qu’il soit à nouveau l’objet d’une tentative d’assassinat, en public, existe et expose des innocents à un danger.

[Non souligné dans l’original.]

 

[29]           Par conséquent, la conclusion relative au danger indirect constitue le contexte – soit un des morceaux du casse-tête que représente l’ensemble des circonstances – dont il faut tenir compte pour déterminer si la SAI devrait exercer son pouvoir discrétionnaire. Il ne s’agit pas d’une erreur susceptible de contrôle.

 

V.        Conclusion

 

[30]           Comme l’a mentionné le juge Binnie dans l’arrêt Khosa, précité, l’alinéa 67(1)c) exige que la SAI elle-même procède à une évaluation liée aux faits et guidée par des considérations de politique. En l’espèce, la SAI s’est acquittée de son mandat en déterminant en quoi consistent les « motifs d’ordre humanitaires » et s’ils « justifient » la prise de mesures. En particulier, la SAI a conclu que les deux facteurs pertinents étaient a) la gravité accrue de ses déclarations de culpabilité en raison de ses liens avec des gangs et b) le danger indirect auquel sont exposés les membres de la famille du demandeur et le public s’il reste au Canada. Vu les faits en l’espèce (que la SAI a reconnu être des « circonstances inusitées, voire exceptionnelles pour la plupart des gens »), ces deux facteurs sont pertinents.

 

[31]           Rien ne justifie que la Cour intervienne en l’espèce. La décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphe 47).

 

[32]           Après discussion, les parties conviennent qu’il n’y a probablement aucune question de portée générale à certifier. Je suis d’accord pour dire que la présente demande ne soulève aucune question justifiant certification.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  que la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

2.                  qu’aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    IMM-2024-09

 

INTITULÉ :                                                   NGIA TRONG NGUYEN-TRAN c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 20 JANVIER 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 28 JANVIER 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Raj Sharma

 

POUR LE DEMANDEUR

Brad Hardstaff

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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