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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20091223

Dossier : IMM‑2548‑09

Référence : 2009 CF 1311

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2009

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

MUNKHTSETSEG TUMEN ULZII

TEGSHZAYA TUMEN ULZII

UJINGOO TUMEN ULZII

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Gankhugag Bumuutseren était agent double. Citoyen mongol, il espionnait à la fois pour le compte de la Mongolie et de la Chine. Lorsque cela s’est su, les choses ont commencé à mal tourner. Les autorités chinoises l’ont emprisonné et, semble‑t‑il, torturé avant de l’expulser vers la Mongolie où il a été à nouveau mis en détention. Craignant que la police secrète mongole le persécute, sa nouvelle épouse, leurs jeunes enfants, dont un était à lui et l’autre à elle, et lui sont venus au Canada dans l’intention d’y demander asile. La demande d’asile reposait au départ du la situation du mari. Or, celui‑ci a été déclaré interdit de territoire au titre de l’article 34 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et sa demande d’asile n’a pas été examinée. Selon l’alinéa 34(1)a) de la LIPR, emporte interdiction du territoire pour raison de sécurité le fait d’être l’auteur de tout acte d’espionnage ou de subversion contre un gouvernement démocratique, ou contre toute institution démocratique au sens où cette expression s’entend au Canada.

 

[2]               C’est pourquoi lors de l’audience sur la demande d’asile, l’épouse de M. Bumuutseren, Munkhtsetseg Tumen Ulzii, est devenue la demandeure principale. Sa demande était fondée sur l’exposé circonstancié figurant dans le Formulaire de renseignements personnels de son mari.

 

[3]               Il a été jugé qu’elle et les deux enfants n’avaient ni la qualité de réfugié au sens de la Convention des Nations Unies ni celle de personne à protéger. La Cour est saisie du contrôle judiciaire de cette décision.

 

[4]               Bien qu’il ait été interdit de territoire, M. Bumuutseren se trouvait encore au Canada (et il y est toujours, semble‑t‑il) au moment de l’audience et il a à cette occasion témoigné, tout comme l’a fait Mme Tumen Ulzii. Le tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui a instruit l’affaire a reconnu que M. Bumuutseren éprouvait de graves problèmes de santé, tant physiques qu’émotifs.

 

[5]               Tout dans cette affaire est question de crédibilité. Il faut faire preuve de déférence à l’égard de la décision du tribunal dans la mesure où elle appartient aux issues intelligibles, raisonnables et transparentes (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47). Il convient de ne pas perdre de vue, cependant, la différence entre une conclusion qui se justifie au regard des faits, et la pure conjecture. Toute décision qui repose sur des conjectures est déraisonnable en soi (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Satiacum (1989), 99 NR 171 (CAF)). Le tribunal s’est attardé à quatre questions : les violations de domicile, les coups de téléphone menaçants, le fait de ne pas avoir demandé asile en Corée, et le voyage que M. Bumuutseren avait précédemment effectué au Canada, et à l’occasion duquel il n’avait pas demandé asile mais était retourné en Mongolie pour chercher son épouse et les enfants. Les conclusions qu’il a tirées à cet égard l’ont amené à conclure que la police secrète n’était pas à la recherche des demandeurs.

 

[6]               Le mari a affirmé qu’à plusieurs reprises, des gens s’étaient introduits de nuit chez eux. Dans sa déclaration écrite, cependant, Mme Tumen Ulzii ne dit rien de cela. Elle a déclaré, lors de son témoignage, n’avoir aucune connaissance personnelle de ces incidents. C’est son mari qui lui en aurait parlé. Interrogé à ce sujet, le mari a affirmé qu’il avait répandu de la cendre sur le plancher de leur domicile et qu’il avait remarqué que celle‑ci avaient été déplacée, ce qui était également le cas de certains articles de vaisselle. On ne l’a pas interrogé longuement car les rapports médicaux précisent qu’il souffre encore profondément des conséquences de son emprisonnement et de la torture qu’il a subie, qu’il a extrêmement peur de toute personne d’apparence chinoise ou mongole et qu’il a fréquemment des rappels d’images de son passé. Le tribunal a reconnu la fragilité de son état mental.

 

[7]               S’il était raisonnable pour le tribunal de conclure qu’il n’y avait pas eu de violations de domicile, celui‑ci devait tenir compte du fait que, de son côté, Mme Tumen Ulzii n’avait jamais prétendu avoir une connaissance directe de ces intrusions.

 

[8]               Pour ce qui est, par contre, des coups de téléphone menaçants, Mme Tumen Ulzii a témoigné qu’elle avait effectivement reçu un appel d’un inconnu qui lui a dit que si son mari ne revenait pas en Mongolie, elle et ses enfants seraient éliminés. Il y avait eu, aussi, d’autres appels où la personne au bout du fil raccrochait simplement. Étant donné que son téléphone était censé être impossible à retracer, elle a craint que la police secrète ait décidé de les cibler elle et ses enfants.

 

[9]               Le tribunal a conclu que Mme Tumen Ulzii n’avait pas été menacée étant donné que, dans une déclaration écrite antérieure, elle avait fait état de plusieurs appels téléphoniques de menaces, alors qu’en fait il n’y en avait eu qu’un. Je ne peux souscrire à ce raisonnement. Compte tenu des antécédents de M. Bumuutseren et de l’unique coup de téléphone explicite, comment ne pas conclure que les coups de téléphone où la personne au bout du fil se contentait de raccrocher n’avaient pas un caractère menaçant?

 

[10]           C’est ce qui a incité M. Bumuutseren à quitter le Canada pour se rendre en Mongolie afin de faciliter le départ de sa femme et de leurs enfants. On lui a demandé pourquoi il y était retourné et il a répondu que c’était pour aider sa femme car elle ne savait pas comment faire pour obtenir un visa. Étant donné que Mme Tumen Ulzii a fait des études poussées, qu’elle a beaucoup voyagé et qu’elle a reconnu savoir comment obtenir un visa, l’explication de son mari a été rejetée sur ce point. Est cependant restée sans réponse la question de savoir si elle aurait été en mesure d’obtenir un visa pour la fille de son mari, question qui aurait dû être examinée de plus près.

 

[11]           Le tribunal a conclu que M. Bumuutseren ne craignait pas d’être persécuté sinon il ne serait pas retourné en Mongolie pour aider sa femme et ses enfants. Bien qu’il ne soit pas nécessaire d’agir en héros, il n’y a aucune raison de penser que M. Bumuutseren serait lâche au point de ne pas aider sa femme et leurs enfants, qu’ils aient, objectivement, eu besoin ou non de son aide.

 

[12]           En route vers le Mexique (ils ont demandé asile lorsque l’avion a fait escale au Canada), ils ont passé cinq jours en Corée du Sud. D’après le tribunal, ils auraient dû demander asile à la première occasion qui se présentait, et c’est pour cela qu’il a mis en doute la crainte subjective qu’ils auraient éprouvée. Pourtant, il est de jurisprudence constante que le fait de ne pas avoir demandé asile à la première occasion n’est pas en soi déterminant. En l’occurrence, ils étaient déjà en sécurité puisqu’ils avaient quitté la Mongolie et ils étaient en vers le Canada où M. Bumuutseren avait déjà effectué un certain nombre de démarches.

 

[13]           Tout cela a amené le tribunal à conclure que la police secrète n’était pas à la recherche des demandeurs. La famille a pu obtenir du ministère mongol de la Santé et du Bien‑être, une lettre leur permettant d’obtenir des visas de visiteur canadiens. Pour quitter la Mongolie, la famille n’avait pas besoin de visas de sortie, et aucune mention n’a été faite des conditions prévalant en Mongolie pour justifier l’idée, que semblait entretenir le tribunal, que les services secrets avaient leurs antennes partout.

 

[14]           En conclusion, et compte tenu de tous les antécédents de M. Bumuutseren et du témoignage personnel donné par Mme Tumen Ulzii qui, au lieu de broder sur ce qu’avait déclaré son mari, s’en est tenue à des propos très sobres, je considère que la décision en cause est déraisonnable.


 

ORDONNANCE

 

            POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI‑DESSUS;

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  La décision de la Commission est annulée.

3.                  L’affaire est renvoyée devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié afin d’être examinée à nouveau par un autre tribunal.

4.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑2548‑09

 

INTITULÉ :                                      Ulzii et al c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 15 décembre 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 23 décembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Clifford Luyt

 

POUR LES DEMANDEURS

Alex Kam

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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