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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20091123

Dossier : T-414-08

Référence : 2009 CF 1102

Ottawa (Ontario), le 23 novembre 2009

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

 

LUNDBECK CANADA INC.

H. LUNDBECK A/S

et MERZ PHARMA GmbH & Co. KGaA

demanderesses

et

 

 

RATIOPHARM INC.

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

 

 

 

 

 

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

(Motifs confidentiels du jugement et jugement rendus le 28 octobre 2009)

 

 

 

 

 

 

 

 

TABLE DES MATIÈRES

PARAGRAPHES

 

I.                    Introduction............................................................................................................... 1

 

II.                 Le contexte............................................................................................................... 8

 

III.               Le fardeau de la preuve et la norme de preuve.......................................................... 22

 

IV.              Principes généraux régissant l’interprétation des brevets............................................ 26

 

V.                 La personne versée dans l’art................................................................................... 29

 

VI.              Le brevet 453.......................................................................................................... 32

 

a)      L’interprétation.................................................................................................. 34

b)      La validité.......................................................................................................... 67

i)        L’antériorité........................................................................................... 71

 

a)Le critère de l’antériorité..................................................................... 72

b)            Sur quels éléments de l’état de la technique

peut s’appuyer Ratiopharm?......................................................... 78

c)L’allégation  de Ratiopharm sur l’antériorité est‑elle justifiée?............... 96

         Ishizu.......................................................................................... 101

         La Rote Liste............................................................................. 112

         Ambrozi..................................................................................... 121

         Marcea...................................................................................... 132

d)            Conclusion relative à la question de l’antériorité........................... 136

 

ii)       L’évidence.......................................................................................... 139

 

a)            Le critère de l’évidence............................................................... 140

 

b)            L’allégation de Ratiopharm sur l’évidence est‑elle justifée?........... 146

                                       Fleishhacker............................................................................... 154

                                       Meldrum.................................................................................... 173

                                       Greenamyre................................................................................ 180

c)            Conclusion relative à la question de l’évidence............................. 189

 

iii)     L’utilité................................................................................................ 194

 

c)      La contrefaçon................................................................................................ 216

 

d)      Les conclusions relatives au brevet 453............................................................ 217

 

VII.            Le brevet 492........................................................................................................ 218

 

a)      L’interprétation................................................................................................ 223

b)      La validité........................................................................................................ 231

 

i)        L’allégation de Ratiopharm sur l’antériorité est‑elle justifiée?................. 233

            Wenk.................................................................................................. 235

            Jain..................................................................................................... 248

ii)       L’allégation de Ratiopharm sur l’évidence est‑elle justifiée?................... 250

iii)     L’allégation de Ratiopharm sur l’utilité est‑elle justifiée?........................ 254

iv)     Y a‑t‑il eu absence de bonne foi dans l’instruction?............................... 298

 

c)      La contrefaçon................................................................................................ 353

 

VIII.         Conclusion ........................................................................................................... 401

 

IX.       Les dépens……………………………………………………………………………...403

 

 

I.         Introduction

 

[1]               La maladie d’Alzheimer est une maladie particulièrement cruelle. Elle dérobe lentement aux personnes qui en souffrent leur mémoire, leur personnalité, leur autonomie et, à terme, leur vie même. Elle impose aussi une charge terrible à la famille, aux amis et aux personnes qui s’occupent de ces malades.

 

[2]               On ne peut guérir la maladie d’Alzheimer. Pendant de nombreuses années, le seul traitement disponible au Canada freinait la progression de la maladie chez certains patients au stade léger ou modéré de la maladie. Depuis 2004, un médicament, le chlorhydrate de mémantine (la mémantine), est disponible pour le traitement des sujets atteints d’Alzheimer au stade modéré ou avancé.

 

[3]               Lundbeck Canada Inc. a inscrit au registre tenu par Santé Canada en vertu de l’article 4 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, modifié (Règlement sur les MB (AC)) deux brevets concernant la mémantine, qui font l’objet du litige dans la présente procédure. Le brevet canadien 2,014,453 (le brevet 453) est la propriété de deux des demanderesses, nommément Merz Pharma GmbH & Co. KGaA et H. Lundbeck A/S. Le brevet 2,426,492 (le brevet 492) est la propriété de H. Lundbeck A/S.

 

[4]               La mémantine est vendue au Canada sous la marque « EBIXA » par la troisième demanderesse, Lundbeck Canada Inc. (Lundbeck), conformément à un avis de conformité reçu du ministre de la Santé.

 

[5]               Ratiopharm Inc. souhaite vendre la mémantine au Canada et cherche à obtenir un avis de conformité du ministre de la Santé pour y être autorisée. Le 21 décembre 2007, Ratiopharm a donc déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) auprès du défendeur, le ministre de la Santé. Ratiopharm a comparé son médicament, le « ratio‑MEMANTINE », aux comprimés d’EBIXA fabriqués par Lundbeck.

 

[6]               Conformément au Règlement sur les MB (AC), le 24 janvier 2008, Ratiopharm a signifié un avis d’allégation à Lundbeck, alléguant notamment que les deux brevets visés étaient invalides pour divers motifs, entre autres l’antériorité, l’évidence, le défaut d’utilité et, s’agissant du brevet 492, l’absence de bonne foi dans l’instruction. Ratiopharm a aussi allégué qu’elle ne contreferait elle‑même ni n’inciterait d’autres personnes à contrefaire aucun des deux brevets si elle était autorisée à fabriquer et à vendre son produit de ratio‑MEMANTINE au Canada pour l’indication qu’elle mentionne.

 

[7]               Les demanderesses cherchent par la présente procédure à interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à Ratiopharm avant l’expiration des brevets 453 et 492. Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que certaines des allégations d’invalidité faites par Ratiopharm sont justifiées à l’égard de chacun des brevets visés. J’ai également conclu que l’allégation de non‑contrefaçon de Ratiopharm est justifiée à l’égard du brevet 492. Par conséquent, la demande des demanderesses visant à obtenir une ordonnance d’interdiction sera rejetée.

 

 

II.        Contexte

 

[8]               La maladie d’Alzheimer a été décrite pour la première fois en 1906 par un psychiatre allemand, Aloïs Alzheimer. Il s’agit d’une maladie progressive et terminale qui évolue en différents stades (léger, modéré et avancé) pour finalement aboutir au décès du patient.

 

[9]               Pendant des décennies, la seule aide offerte aux patients atteints de la maladie consistait à fournir à ces derniers et à leurs soignants des stratégies pour composer avec la progression des symptômes et à les aider dans la gestion des soins. À la fin des années 90, l’unique traitement médicamenteux pour les victimes de l’Alzheimer qui semblait présenter des avantages cliniques potentiels faisait appel à une classe de médicaments appelés les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase.

 

[10]           Les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase entravent l’action de l’enzyme acétylcholinestérase dans le cerveau. L’acétylcholine est un neurotransmetteur, ou un messager chimique, qui facilite la communication des signaux entre les neurones dans le cerveau. On pense que l’acétylcholine joue un rôle crucial dans de nombreuses fonctions cérébrales, notamment la mémoire. En bloquant l’enzyme qui neutralise l’acétylcholine, les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase permettent à une plus grande quantité d’acétylcholine d’agir sur les récepteurs qui lui sont spécifiques dans le cerveau.

 

[11]           Le mécanisme d’action des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase repose sur « l’hypothèse cholinergique » de la maladie d’Alzheimer, selon laquelle cette maladie est causée en partie par la dégénérescence des cellules du cerveau (ou neurones) qui utilisent l’acétylcholine comme principal neurotransmetteur.

 

[12]           L’usage de trois inhibiteurs de l’acétylcholinestérase a été approuvé au Canada : le donépézil, la rivastigmine et la galantamine. Jusqu’en 2007, ces médicaments n’étaient homologués et commercialisés au Canada que pour le traitement de la maladie d’Alzheimer d’intensité légère à modérée. En 2007, l’usage du donépézil a également été approuvé pour le traitement de la démence grave de type Alzheimer.

 

[13]           En 2004, l’usage d’un nouveau type de médicament, appelé 1‑amino‑3,5-diméthyl‑adamantane (ou mémantine), a été approuvé conditionnellement par Santé Canada comme monothérapie ou comme traitement adjuvant administré en association avec un des trois inhibiteurs de l’acétylcholinestérase approuvés.

 

[14]           La mémantine a été le premier médicament homologué pour le traitement de la maladie d’Alzheimer d’intensité modérée à grave. Il s’agit d’un antagoniste du récepteur N‑méthyl‑D‑aspartate et c’est le seul médicament de ce type utilisé dans le traitement de la maladie d’Alzheimer. Comme nous l’avons mentionné ci‑dessus, la mémantine est commercialisée au Canada par Lundbeck sous le nom de marque EBIXA.

 

[15]           À la différence des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase, le mécanisme d’action de la mémantine semble être en rapport avec « l’hypothèse glutamatergique » de la maladie d’Alzheimer. Selon cette hypothèse, la maladie serait causée en partie par la dégénérescence des cellules cérébrales, ou neurones, qui utilisent le glutamate comme principal neurotransmetteur.

 

[16]           Tout comme l’acétylcholine, le glutamate est un neurotransmetteur qui joue un rôle dans les fonctions cérébrales, notamment la mémoire. La mémantine n’agit pas sur les mêmes récepteurs cérébraux que les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase; elle cible plus précisément les récepteurs N‑méthyl‑D-aspartate (ou « NMDA »), qui sont un type de récepteurs glutamatergiques.

 

[17]           Il est nécessaire d’activer les récepteurs NMDA dans le cerveau pour permettre l’apprentissage et la formation de souvenirs. L’hypothèse glutamatergique de la maladie d’Alzheimer présuppose que l’hyperactivité des récepteurs NMDA entraîne une surstimulation des neurones (excitotoxicité). Cette excitotoxicité cause à son tour la destruction des neurones par suite d’une entrée massive d’ions calciques.

 

[18]           À titre d’antagoniste du récepteur NMDA, la mémantine se lie aux récepteurs NMDA sans les activer. Le glutamate ne peut ainsi se fixer à ces récepteurs. On pense que la mémantine prévient ainsi l’excitotoxicité et la mort neuronale chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer.

 

[19]           Même si son mécanisme d’action n’était pas encore bien compris à l’époque, la mémantine a été utilisée dans certains pays, dont l’Allemagne, dès les années 60 pour le traitement de la maladie de Parkinson. Les concentrations de dopamine, un neurotransmetteur, sont réduites dans le cerveau des patients atteints de la maladie de Parkinson. On croyait initialement que la mémantine possédait des propriétés « dopaminergiques », c’est‑à‑dire qu’elle augmentait les concentrations de dopamine dans le cerveau ou réduisait la vitesse avec laquelle la dopamine était éliminée du cerveau.

 

[20]           Les demanderesses reconnaissent que la découverte que la mémantine n’était pas « dopaminergique » et qu’elle fonctionnait en fait comme un antagoniste du récepteur NMDA n’était pas en soi brevetable : voir la décision Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 1359, 337 F.T.R. 17 au paragraphe 71, conf. par 2009 CAF 94, 387 N.R. 347 (Abbott). Cependant, les demanderesses disent que cette découverte a été le « déclic » qui a mené à l’invention reliée à l’usage d’une classe tout à fait nouvelle de composés pour le traitement de la maladie d’Alzheimer.

 

[21]           À l’aide de ces notions de base sur le fonctionnement des médicaments actuellement sur le marché pour le traitement de la maladie d’Alzheimer et avant d’examiner les deux brevets en litige, je m’attarderai d’abord au fardeau de la preuve et à la norme de preuve applicable dans une procédure de cette nature. Je passerai ensuite en revue les principes généraux qui régissent l’interprétation des brevets, notamment la définition de la personne versée dans l’art, en vue de l’interprétation des brevets en litige.

 

III.      Le fardeau de la preuve et la norme de preuve

 

[22]           Ces questions ont fait couler beaucoup d’encre, mais les parties me semblent d’accord sur le fardeau de la preuve et sur la norme de preuve dans les procédures intentées en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les MB (AC).

 

[23]           S’agissant de la question de la contrefaçon, dans le cas où un fabricant de médicament générique a allégué la non‑contrefaçon dans son avis d’allégation, ce qui est le cas en l’espèce, ces allégations sont présumées vraies. Il incombe aux demanderesses d’établir, selon la prépondérance de la preuve, que les allégations de non‑contrefaçon ne sont pas justifiées. Il ne suffira pas que la demanderesse soulève la possibilité d’une contrefaçon : voir l’arrêt Novopharm Limited c. Pfizer Canada Inc. 2005 CAF 270, 42 C.P.R. (4th) 97, aux paragraphes 19, 20 et 24.

 

[24]           S’agissant de la validité d’un brevet, le brevet sera présumé valide en l’absence d’une preuve du contraire. Si le fabricant du médicament générique ne produit aucune preuve touchant le motif d’invalidité, la présomption n’est pas renversée.

 

[25]           Cependant, dans le cas où le fabricant du générique présente une preuve qui, si elle est acceptée, peut établir l’invalidité du brevet, ce qui met alors « en jeu » les allégations d’invalidité, il reviendra au demandeur de prouver, selon la prépondérance de la preuve, qu’aucune des allégations d’invalidité n’est justifiée : voir la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, paragraphe 43(2); Laboratoires Abbott c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 153, 59 C.P.R. (4th) 30, aux paragraphes 9 et 10; Pfizer c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 209, 60 C.P.R. (4th) 81, au paragraphe 109 (C.A.F.).

 

IV.       Principes généraux régissant l’interprétation des brevets

 

[26]           Avant d’examiner les questions soulevées par les parties au sujet de la validité et de la contrefaçon, la Cour doit interpréter les brevets en litige. La Cour doit établir de manière objective, dans l’esprit de la personne versée dans l’art, ce que l’inventeur ou les inventeurs voulaient dire aux yeux de cette dernière à la date pertinente : voir l’arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067, aux paragraphes 45 et 53.

 

[27]           Les revendications du brevet doivent recevoir une interprétation téléologique, qui tient compte des intentions des inventeurs tirées du brevet et du contexte de l’ensemble du mémoire descriptif. La Cour doit interpréter le brevet avec le souci judiciaire de confirmer une invention vraiment utile : voir l’arrêt Whirlpool aux paragraphes 42 à 50; l’arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024; l’arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel Saskatchewan Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, 56 C.P.R. (2d) 145 à la page 157.

 

[28]           La Cour peut faire appel aux experts pour la signification de certains termes et aux connaissances que la personne versée dans l’art est censée posséder à la date pertinente : voir l’arrêt Janssen‑Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., 2007 CAF 217, 59 C.P.R. (4th) 116, au paragraphe 4; l’arrêt Halford c. Seed Hawk Inc., 2006 CAF 275, 54 C.P.R. (4th) 130, au paragraphe 11.

 

 

V.        La personne versée dans l’art

 

[29]           La «  personne versée dans l’art » a été décrite comme quelqu’un qui possède un niveau élevé de connaissances scientifiques spécialisées et d’expertise dans le domaine spécifique des sciences dont relève le brevet : voir l’arrêt Consolboard, précité. Je ne vois aucun désaccord entre les parties au sujet de l’identification spécifique de la personne versée dans l’art aux fins de l’interprétation des deux brevets en litige.

 

[30]           Cette personne fictive peut être décrite comme [traduction] « un chimiste médicinal et un clinicien, par exemple un psychiatre, un neurologue ou un gériatre, pratiquant dans le domaine de la démence et de la maladie d’Alzheimer ».

 

[31]           À la lumière de ces principes, j’examinerai maintenant le premier des brevets en litige.

 

 

VI.       Le brevet 453

 

[32]           Les auteurs de l’invention revendiquée dans le brevet 453 sont Joachim Borman, Markus R. Gold et Wolfgang Schatton. Comme je l’ai déjà noté, le brevet 453 est la propriété de Merz Pharma GmbH & Co. KGaA et de H. Lundbeck A/S. Il s’intitule « Adamantane-derivatives in the Prevention and Treatment of Cerebral Ischemia » [Les dérivés de l’adamantane dans la prévention et le traitement de l’ischémie cérébrale]. Le brevet a été délivré au Canada le 28 mars 2000 à la suite d’une demande déposée le 11 avril 1990, qui revendiquait la priorité d’une demande européenne de brevet déposée le 14 avril 1989. Le brevet expire le 11 avril 2010.

 

[33]           Pour l’examen du brevet, la première question que doit résoudre la Cour est l’interprétation correcte du brevet.

 

 

a)         L’interprétation

 

[34]           Les parties conviennent que la date pertinente pour l’interprétation du brevet est le 14 octobre 1990.

 

[35]           Les revendications en litige dans la présente procédure sont les revendications 1, 2, 3, 6, 8, 10, 11 et 12, ainsi conçues :

[traduction]

1. Utilisation d’un dérivé de l’adamantine de la formule générale [dessin représentatif] où R1 et R2 sont identiques ou différents et représentent un atome d’hydrogène ou un groupe alkyle linéaire ou ramifié de 1 à 6 atomes de C ou, en association avec N, un groupe hétérocyclique comprenant des atomes de C de 5 ou 6 cycles : où R3 et R4 sont identiques ou différents, étant choisis parmi un atome d’hydrogène, un groupe alkyle linéaire ou ramifié de 1 à 6 atomes de C, un groupe cycloalkyle contenant 5 ou 6 atomes de C, et un groupe phényle; où R5 est un atome d’hydrogène ou un groupe alkyle linéaire ou ramifié en C1 - C6, ou un de ces sels pharmaceutiquement acceptables, pour la prévention ou le traitement de l’ischémie cérébrale.

 

2. Utilisation selon la revendication 1, où R1, R2 et R5 représentent un atome d’hydrogène.

 

3. Utilisation selon la revendication 2, où R1, R2 et R5 représentent un atome d’hydrogène, et R3 et R4 représentent un méthyle.

 

6. Utilisation selon la revendication 1, où R2 et R5 représentent un atome d’hydrogène.

 

8. Utilisation selon la revendication 1, où R1 et R2 représentent un atome d’hydrogène.

 

10. Utilisation conforme à l’une ou l’autre des revendications 1 à 9 pour la fabrication d’un médicament destiné à prévenir ou à traiter la maladie d’Alzheimer.

 

11. Utilisation selon la revendication 1, où le dérivé de l’adamantane est employé en quantité efficace pour atténuer ou prévenir l’ischémie cérébrale.

 

12. Utilisation selon la revendication 11, où le dérivé de l’adamantane est utilisé en quantité efficace pour prévenir la dégénérescence et la déperdition neuronales après l’ischémie.

 

 

[36]           La mémantine est un dérivé de l’adamantane, défini dans chacune des revendications susmentionnées et décrit de façon plus précise à la revendication 3.

 

[37]           L’invention du brevet 453 est décrite aux pages 4 et 5 du  mémoire descriptif de la façon suivante :

[traduction] Les composés de la formule (I) décrits dans les brevets cités ci‑dessus ont été utilisés jusqu’ici pour le traitement de la maladie de Parkinson et des maladies parkinsonoïdes. Ils agissent en exerçant un effet dopaminergique sur le SNC [système nerveux central], soit par une libération accrue de dopamine, un neurotransmetteur, soit par l’inhibition de son captage. Cette action neutralise le déséquilibre du système dopaminergique/acétyl­cholinergique.

 

Contrairement à ce type de maladie, l’ischémie cérébrale se caractérise par un état physiopathologique de déséquilibre des mécanismes de stimulation neuronale. Dans ce contexte, l’arrivée de quantités excessives de calcium par les canaux des récepteurs NMDA finit par détruire les neurones dans certaines zones du cerveau. [références omises]

 

Ainsi, pour traiter ou éliminer cet état pathologique, une action antagoniste sur les canaux des récepteurs NMDA est nécessaire. [références omises]

 

L’objectif de la présente invention est de préparer et d’employer des composés pouvant être produits chimiquement par des méthodes simples, qui ont une action antagoniste sur les canaux des récepteurs NMDA et une action anticonvulsivante, pour la prévention et le traitement de l’ischémie cérébrale.

 

Cet objectif peut être atteint conformément à l’invention en utilisant les 1‑amino‑adamantanes de la formule (I).

 

 

[38]           La promesse offerte par le brevet est décrite de la façon suivante :

[traduction] On a découvert fortuitement que l’utilisation de ces composés prévenait une atteinte ou une détérioration accrue des neurones, c.‑à‑d. la dégénérescence et la déperdition neuronales, après une ischémie. Les dérivés de l’adamantane de la formule (I) sont donc particulièrement adaptés à la prévention et au traitement de l’ischémie cérébrale après une apoplexie, une chirurgie à cœur ouvert, un arrêt des contractions cardiaques, une hémorragie sous‑arachnoïdienne, des accidents cérébro‑ischémiques transitoires, une asphyxie périnatale, une anoxie, une hypoglycémie, une apnée et la maladie d’Alzheimer.

 

 

[39]           Chacune des revendications pertinentes du brevet 453 revendique une utilisation alléguée comme nouvelle des dérivés de l’adamantane pour la prévention et le traitement de l’ischémie cérébrale. La question litigieuse entre les parties est l’interprétation correcte à donner au terme « ischémie cérébrale ».

 

[40]           Les demanderesses déclarent que l’« ischémie cérébrale » est définie dans le brevet comme un [TRADUCTION] « état physiopathologique de déséquilibre des mécanismes de stimulation neuronale ». Les inventeurs peuvent définir les termes dans le mémoire descriptif d’un brevet. Dans ce cas, le tribunal devrait considérer que le terme a la signification indiquée, peu importe si elle diffère de la définition utilisée ordinairement par la personne versée dans l’art.

 

[41]           De son côté, Ratiopharm soutient que le sens clair et ordinaire du terme « ischémie cérébrale » est une réduction ou une suppression temporaire de l’apport sanguin au cerveau. Les termes employés dans une revendication d’un brevet devraient avoir leur sens clair et ordinaire, s’ils en ont un. Ce n’est qu’exceptionnellement que ces termes peuvent avoir une signification spéciale ou inhabituelle, soit exposée dans le mémoire descriptif, soit conforme aux connaissances techniques des personnes versées dans l’art.

 

[42]           Selon Ratiopharm, le titulaire d’un brevet doit déclarer de façon explicite et claire qu’il accorde à un terme une signification particulière dans un brevet, pour que le terme ait un sens différent de celui qu’il possède normalement. D’après le Dr Joel Sadavoy, témoin expert de Ratiopharm, ce n’est pas ce qui s’est produit en l’espèce.

 

[43]           On ne peut trop insister sur l’importance de la question de l’interprétation du terme « ischémie cérébrale », car Ratiopharm reconnaît que si le tribunal interprète le brevet de la façon proposée par Lundbeck, la fabrication ou la vente du produit ratio‑MEMANTINE de Ratiopharm contreferait alors nécessairement le brevet 453.

 

[44]           Pour les raisons qui suivent, j’ai conclu que s’il est bien interprété, le terme « ischémie cérébrale » utilisé dans le brevet 453 désigne « un déséquilibre des mécanismes de stimulation neuronale ».

 

[45]           La jurisprudence établit clairement que la « règle d’or » en matière d’interprétation de brevet est de donner au terme employé dans une revendication de brevet son sens clair et ordinaire, mais que cette règle n’est pas absolue. Un terme peut recevoir un sens spécial ou inhabituel [traduction] « du fait de la présence d’un dictionnaire ailleurs dans le mémoire descriptif ou des connaissances techniques des personnes versées dans l’art » : voir l’arrêt Ernest Scragg & Sons Ltd. c. Leesona Corp., [1964] R.C. de l’É. 649, 45 C.P.R. 1, au paragraphe 104.

 

[46]           En d’autres termes, si le breveté a mis dans le mémoire descriptif un élément qui [traduction] « prévient clairement le lecteur que, pour les besoins du mémoire descriptif, il emploie un mot particulier en lui donnant le sens indiqué, le lecteur sait alors que lorsqu’il arrivera aux revendications il devra donner au mot le sens indiqué » : Minerals Separation North American Corp. c. Noranda Mines Ltd., [1952] J.C.J. No.2, 69 RPC 81, au paragraphe 17. Le Conseil privé a toutefois ajouté qu’il s’agissait là d’une méthode de rédaction maladroite à éviter.

 

[47]           En l’espèce, le Dr Sadavoy et au moins un des experts des demanderesses, le Dr Nathan Herrmann, ont admis qu’en octobre 1990, le terme « ischémie cérébrale » possédait une acception reconnue, simple et non équivoque pour une personne versée dans l’art, à savoir l’interruption ou la réduction de l’apport sanguin au cerveau[1].

 

[48]           Le Dr Sadavoy est professeur de psychiatrie à l’Université de Toronto; il est aussi psychiatre en chef, directeur des programmes de psychiatrie gériatrique et communautaire et directeur sortant du Centre Cyril and Dorothy, Joel and Jill Reitman de soutien et de formation pour la maladie d’Alzheimer. Il est titulaire de la chaire Sam and Judy Pencer and Family en psychiatrie générale appliquée à l’Hôpital Mount Sinai de Toronto. Le Dr Sadavoy occupe également de nombreux postes universitaires et hospitaliers dans les domaines de la psychiatrie et de la gériatrie et il a été le président‑fondateur de l’Académie canadienne de psychiatrie gériatrique.

 

[49]           Professeur de psychiatrie à l’Université de Toronto, le Dr Herrmann est également psychiatre au Centre des sciences de la santé Sunnybrook, où il occupe le poste de directeur adjoint du Département de psychiatrie et de chef de la Division de psychiatrie gériatrique. Il est aussi président du Comité de pharmacie et de thérapeutique du Centre des sciences de la santé Sunnybrook. Ses recherches portent principalement sur la prévention et le traitement de la démence et de la maladie d’Alzheimer.

 

[50]           Pour sa part, Wolfgang Schatton, Ph.D., l’un des co‑inventeurs de l’invention revendiquée dans le brevet 453, déclare dans son affidavit que le terme n’était pas bien défini, à tout le moins en Allemagne, et possédait plusieurs significations différentes en date d’octobre 1990. M. Schatton est pharmacien et titulaire d’un doctorat en chimie pharmaceutique de l’Université de Francfort. Il a travaillé pour Merz Pharma GmbH & Co. KGA de 1978 à 1991 à titre de directeur du Département de recherche préclinique et il a participé à la mise au point et à l’étude de la mémantine, notamment aux études de développement précliniques et aux études cliniques.

 

[51]           Même si le terme « ischémie cérébrale » n’était pas bien compris en Allemagne au moment de la délivrance du brevet, je suis convaincue, à la lumière du témoignage des Drs Sadavoy et Herrmann, qu’en date d’octobre 1990, le terme « ischémie cérébrale » possédait une signification reconnue, simple et non ambiguë pour la personne versée dans l’art au Canada, c.‑à‑d. désignait l’interruption ou la réduction de l’apport sanguin au cerveau.

 

[52]     Cela ne résout pas totalement la question, cependant. Le fait qu’un terme puisse avoir un sens usuel reconnu est sans importance si le mémoire descriptif dit clairement que le terme est employé dans un sens particulier : voir l’arrêt Western Electric Co. c. Baldwin International Radio of Canada, [1934], R.C.S. 570, paragraphe 582.

 

[53]           Il faut donc déterminer si les brevetés « ont établi leur propre lexique » en l’espèce, de sorte que le terme « ischémie cérébrale » doive être interprété comme ayant un sens différent de la signification usuelle.

 

[54]           La page 4 du mémoire descriptif du brevet traite de l’usage « ancien » de la mémantine dans le traitement de la maladie de Parkinson et des maladies parkinsonoïdes, en raison de son mode d’action attribué à un effet dopaminergique sur le système nerveux central.

 

[55]           Les inventeurs ajoutent ce qui suit dans le mémoire descriptif :

[traduction] Contrairement à ce type de maladie, l’ischémie cérébrale se caractérise par un état physiopathologique de déséquilibre des mécanismes de stimulation neuronale. Dans ce contexte, l’arrivée de quantités excessives de calcium par les canaux des récepteurs NMDA finit par détruire les neurones dans certaines zones du cerveau… [non souligné dans l’original]

 

 

[56]           Ratiopharm soutient que le terme « ischémie cérébrale » n’était pas défini dans le brevet. Selon elle, pour que l’énoncé cité ci‑dessus soit considéré comme une définition, l’expression « se caractérise par un état physiopathologique » devrait être supprimée.

 

[57]           Je ne peux accepter cet argument. Par sa déclaration à la page 4 du brevet citée ci‑dessus, le breveté a clairement défini, à mon avis, le sens du terme « ischémie cérébrale » pour les besoins du brevet 453. De plus, l’examen d’autres parties de brevet établit que le terme n’est pas utilisé dans son sens usuel.

 

[58]           Par exemple, on ajoute ce qui suit dans le mémoire descriptif :

[traduction] Ainsi, pour traiter ou éliminer cet état pathologique, une action antagoniste sur les canaux des récepteurs NMDA est nécessaire. [références omises]

 

L’objectif de la présente invention est de préparer et d’employer des composés pouvant être produits chimiquement par des méthodes simples, qui ont une action antagoniste sur les canaux des récepteurs NMDA et une action anticonvulsivante et qui peuvent être utilisés pour prévenir et traiter l’ischémie cérébrale. [non souligné dans l’original

 

Il ressort clairement que l’invention envisagée dans le brevet 453 concerne le système nerveux central, plutôt que l’apport sanguin.

 

[59]           Comme je l’ai indiqué précédemment, la promesse offerte par le brevet est décrite comme suit :

[traduction] On a découvert fortuitement que l’utilisation de ces composés prévenait une atteinte ou une détérioration accrue des neurones, c.‑à‑d. la dégénérescence et la déperdition neuronales, après une ischémie. Les dérivés de l’adamantane de la formule (I) sont donc particulièrement adaptés à la prévention et au traitement de l’ischémie cérébrale après une apoplexie, une chirurgie à cœur ouvert, un arrêt des contractions cardiaques, une hémorragie sous‑arachnoïdienne, des accidents cérébro‑ischémiques transitoires, une asphyxie périnatale, une anoxie, une hypoglycémie, une apnée et la maladie d’Alzheimer. [non souligné dans l’original]

 

[60]           L’«hypoglycémie » désigne la diminution de la quantité de glucose dans le sang. L’« asphyxie », « l’anoxie » et l’« apnée » renvoient toutes à un manque d’oxygène. Le Dr Sadavoy a reconnu en contre‑interrogatoire que tous ces troubles pouvaient survenir dans des circonstances n’ayant rien à voir avec une réduction de l’apport sanguin au cerveau.

 

[61]           En outre, les données des tests présentées dans le brevet 453 visent à démontrer, notamment, que les composés divulgués dans le brevet agissent comme antagonistes des récepteurs NMDA, prévenant ou traitant ainsi « l’ischémie cérébrale », selon la définition utilisée par les brevetés. Le Dr Sadavoy admet lui‑même dans son affidavit que les tests ne sont pas liés au traitement de l’ischémie cérébrale prise dans son sens usuel.

 

[62]           Je suis donc convaincue que si l’on applique les enseignements de la divulgation, le terme « ischémie cérébrale » est utilisé par les brevetés tout au long du brevet (y compris dans les revendications) pour décrire l’état physiopathologique de déséquilibre des mécanismes de stimulation neuronale susceptible de se produire dans différentes situations et en association avec diverses affections, notamment la maladie d’Alzheimer.

 

[63]           Dans le contexte où il est utilisé dans le brevet 453, le terme « ischémie cérébrale » devrait être interprété comme désignant « un déséquilibre des mécanismes de stimulation neuronale ». Par conséquent, les revendications pertinentes du brevet devraient être interprétées de la façon suivante :

REVENDICATION 1

Utilisation d’un dérivé de l’adamantane de [formule chimique qui inclut la mémantine], ou de ses sels pharmaceutiquement acceptables, pour la prévention et le traitement d’un déséquilibre des mécanismes de stimulation neuronale, selon la description de la page 4 du brevet.

 

REVENDICATIONS 2, 3, 6 et 8

Utilisation selon la revendication 1, où [formule chimique qui inclut la mémantine].

 

REVENDICATION 10

Utilisation d’un dérivé de l’adamantane du type divulgué dans une des revendications 1 à 9, ou d’un de ses sels pharmaceutiquement acceptables, pour la prévention ou le traitement d’un déséquilibre des mécanismes de stimulation neuronale afin de prévenir ou de traiter la maladie d’Alzheimer.

 

REVENDICATION 11

Utilisation selon la revendication 1, où le dérivé de l’adamantane est employé en quantité efficace pour atténuer ou prévenir [le déséquilibre de la stimulation neuronale].

 

REVENDICATION 12

Utilisation selon la revendication 11, où le dérivé de l’adamantane est employé en quantité efficace pour prévenir la dégénérescence et la déperdition neuronales après un déséquilibre des mécanismes de stimulation neuronale.

 

 

[64]           Avant de clore la question de l’interprétation, j’aimerais indiquer que des brevets similaires ont fait l’objet de litiges en Allemagne et aux États‑Unis. Dans une décision rendue en décembre 2007, le Tribunal fédéral allemand des brevets a interprété le terme « ischémie cérébrale », tel qu’il est utilisé dans le brevet européen correspondant (no 0 392 059), dans le sens préconisé par Ratiopharm. Autrement dit, il a interprété le terme « ischémie cérébrale » comme désignant une « irrigation inadéquate du cerveau », qui entraîne des conséquences pouvant mener à la mort des neurones : neuraxpharm Arzneimittel GmbH U. Co. KG c. Merz Pharma GmbH & Co. KGaA, référence au dossier 3Ni 59/05 (UE) en association avec 3 Ni 20/07 (UE) 3 Ni 34/07 et 3 Ni 54/07 (Tribunal fédéral allemand des brevets), paragraphe 1.2.1.

 

[65]           Les motifs prononcés par le tribunal allemand n’indiquent toutefois pas clairement si le terme « ischémie cérébrale » était expressément défini dans le brevet, comme c’est le cas en l’espèce. Il n’est pas évident non plus de savoir quels principes de droit les tribunaux allemands appliquent lorsqu’ils interprètent les brevets dans de tels cas.

 

[66]           En revanche, dans une procédure de type « Markman », un juge magistrat des États‑Unis a été invité à interpréter un brevet similaire. Dans cette procédure, le juge magistrat a recommandé que le terme « ischémie cérébrale » (expressément défini dans le brevet américain en termes essentiellement identiques à ceux en litige en l’espèce) soit interprété comme désignant « un déséquilibre des mécanismes de stimulation neuronale » : Forest Laboratories Inc. c. Cobalt Laboratories Inc., 2009 WL 1916935 (D.DEL.). Ratiopharm reconnaît que les principes d’interprétation employés par le tribunal américain sont très similaires à ceux qui s’appliquent en l’espèce.

 

b)         La validité

 

[67]           Un certain nombre d’allégations d’invalidité ont été avancées dans l’avis d’allégation de Ratiopharm au sujet du brevet 453, mais trois seulement ont été reprises à l’audience. Ratiopharm soutient que le brevet est invalide aux motifs de l’antériorité et de l’évidence. Ratiopharm fait également valoir que l’utilité du brevet n’a été ni démontrée ni divulguée dans le brevet et que Lundbeck n’a pas satisfait au critère de la prédiction valable.

 

[68]           Comme la Cour suprême l’a fait observer récemment dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265 (Sanofi), l’antériorité et l’évidence sont des notions connexes. Si les deux commandent un examen de l’état de la technique, l’état de la technique doit être traité différemment selon que la question porte sur l’antériorité ou sur l’évidence.

 

[69]           Dans l’examen d’une allégation d’antériorité (ou d’absence de nouveauté), la Cour doit établir si l’invention revendiquée a déjà été révélée au public au moyen d’une seule divulgation de manière à lui permettre de mettre l’invention en pratique : voir l’arrêt Synthon BV c. Smithkline Beecham plc, [2005] UKHL 59, [2006] 1 All ER 685, au paragraphe 25, et la décision Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2009 CF 301, au paragraphe 58.

 

[70]           Dans le cas d’une allégation d’absence d’évidence (ou d’invention), la Cour peut prendre en considération un certain nombre de divulgations que la personne versée dans l’art aurait pu connaître ou trouver, pour déterminer si une activité inventive a été réalisée : Eli Lilly Canada Inc., au paragraphe 58.

 

i)          L’antériorité

[71]           Les parties conviennent que selon l’alinéa 28.2(1)a) de la Loi sur les brevets, la date pertinente pour apprécier si l’invention revendiquée dans le brevet 453 a été antériorisée est le 14 avril 1989, soit un an avant la date de dépôt au Canada de la demande relative au brevet 453.

 

a)         Le critère de l’antériorité

[72]           S’agissant du critère de l’antériorité, la Cour suprême a examiné récemment le droit en la matière dans l’arrêt Sanofi, aux paragraphes 23 à 37. La Cour a statué que deux exigences distinctes doivent être établies pour qu’il y ait antériorité : la divulgation antérieure et le caractère réalisable.

 

[73]           « Divulgation antérieure » signifie que l’état de la technique doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait inévitablement ou nécessairement le brevet. La personne versée dans l’art, qui prend connaissance de la divulgation, [traduction] « est censée tenter de comprendre ce que l’auteur de la description [dans le brevet antérieur] [ou dans une autre divulgation] a voulu dire. À cette étape, les essais successifs sont exclus. La personne versée dans l’art se contente de lire [l’état de la technique] pour en comprendre la teneur » : voir l’arrêt Sanofi, au paragraphe 25, qui cite l’arrêt Synthon.

 

[74]           « Caractère réalisable » signifie « la possibilité qu’une personne versée dans l’art ait pu réaliser l’invention » sans trop de difficultés. On suppose que la personne versée dans l’art est disposée à procéder par essais successifs pour arriver à l’invention : arrêt Sanofi, aux paragraphes 26 et 27.

 

[75]           Après combien d’essais successifs conclut‑on au caractère non réalisable de l’invention divulguée? La Cour a statué que lorsqu’une étape inventive était nécessaire pour parvenir à réaliser l’invention, la publication antérieure n’a pas divulgué une invention réalisable. Même dans le cas où aucune étape inventive n’est nécessaire, la personne versée dans l’art doit tout de même être capable d’exécuter ou de réaliser l’invention sans trop de difficultés : arrêt Sanofi, au paragraphe 33.

 

[76]           Au paragraphe 37 de l’arrêt Sanofi, la Cour a ensuite donné une liste non exhaustive des facteurs à considérer au sujet de la question du caractère réalisable. Elle a noté, entre autres points, que les « essais courants sont toutefois admis et il n’en résulte pas de difficultés excessives. L’expérimentation ou les essais successifs ne doivent cependant pas se prolonger, et ce, même dans un domaine technique où ils sont monnaie courante. Aucune limite n’est fixée quant à la durée des efforts consacrés; toutefois, les essais successifs prolongés ou ardus ne sont pas tenus pour courants ».

 

[77]           Dans l’examen de la question de la nouveauté ou de l’antériorité, la Cour doit prendre en compte l’invention telle que revendiquée : voir la décision Ratiopharm Inc. c. Pfizer Ltd., 2009 CF 711, au paragraphe 158.

 

 

b)         Sur quels éléments de l’état de la technique peut s’appuyer Ratiopharm?

 

[78]           La question suivante à trancher est de savoir sur quels éléments de l’état de la technique peut s’appuyer Ratiopharm pour les questions relatives à la divulgation et au caractère réalisable de l’invention. Les parties ne s’entendent pas en effet à ce sujet.

 

[79]           Dans son avis d’allégation, Ratiopharm a cité quatre publications qui, selon elle, antériorisent le brevet 453. Ce sont :

1. L. Ambrozi et W. Danielczyk, « Treatment of Impaired Cerebral Function in Psychogeriatric Patients with Memantine – Results of a Phase II Double Blind Study », Pharmacopsychiat. 21, (1988) 144-146. (Ambrozi).

 

2. Ishizu Application (Japanese Patent Publication No. JP 58-4718, publiée le 1er janvier 1983) (Ishizu).

 

3. La Rote Liste allemande de 1986, à la page 63 009.

 

4. Marcea et al., “Effect of Memantine versus dh-Ergotoxin on Cerebro-organic Psycho-syndrome”, Therapiewoche, (1988) 38 : 3097-3100 (Marcea).

 

 

[80]           Dans son mémoire des faits et du droit ainsi qu’à l’audience, Ratiopharm a soutenu qu’un article de W.W. Fleischhacker et d’autres auteurs, intitulé « Memantine in the Treatment of Senile Dementia of the Alzheimer Type », (1986) 10 :1 Prog. Neuropsychopharmacol. Biol. Psychiatry 87 (Fleischhacker), antériorisait aussi l’invention revendiquée dans le brevet 453.

 

[81]           Les demanderesses s’opposent à ce que Ratiopharm avance l’argumentation fondée sur l’article de Fleischhacker à l’égard de la question de l’antériorité. Les demanderesses soulignent que l’article a été cité en référence par Ratiopharm dans son avis d’allégation au sujet de l’évidence, mais qu’il n’est mentionné nulle part dans l’avis d’allégation au sujet de l’antériorité.

 

[82]           Les demanderesses font valoir qu’elles avaient droit d’être parfaitement informées des allégations à leur encontre avant le début de la procédure, pour qu’elles puissent décider de manière raisonnable et éclairée si elles devaient s’exposer au risque des dommages‑intérêts prévus à l’article 8 du Règlement sur les MB (AC).

 

[83]           En outre, si elles avaient su que Fleischhacker était cité à l’appui de l’argumentation de Ratiopharm au sujet de l’antériorité, les demanderesses soutiennent qu’elles auraient pu produire une preuve différente et poser des questions supplémentaires en contre‑interrogatoire. Je note toutefois que les demanderesses n’ont présenté aucun élément de preuve au sujet de l’insuffisance de l’avis d’allégation à cet égard, ni spécifié de preuve particulière qui aurait été produite ou de question particulière qui aurait été posée en contre‑interrogatoire, mais ne l’ont pas été.

 

[84]           Ratiopharm soutient qu’elle a attiré l’attention de Lundbeck sur l’article de Fleischhacker dans son avis d’allégation, bien qu’en rapport avec la question de l’évidence. De plus, Ratiopharm a reçu l’instruction de produire sa preuve sur la question de l’antériorité en premier lieu. Par conséquent, Ratiopharm dit que Lundbeck et les autres demanderesses ont été pleinement informées à ce moment des allégations auxquelles elles devaient répondre au sujet de la question de l’antériorité et qu’elles ont eu une chance équitable d’y répondre.

 

[85]           Dans l’arrêt AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [2000] A.C.F. n° 855, (2000), 7 C.P.R. (4th) 272, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’un fabricant de générique ne pouvait s’appuyer sur des éléments de l’état de la technique non cités spécifiquement dans l’avis d’allégation. Pour tirer cette conclusion, la Cour a fait observer que l’alinéa 5(3)b) du Règlement sur les MB (AC) prescrit à la personne fabriquant le générique de fournir un énoncé détaillé « du droit et des faits sur lesquels elle se fonde » lorsqu’elle fait une allégation visée à l’alinéa 5(1)b) du Règlement.

 

[86]           La Cour s’est ensuite penchée sur le rôle que joue l’énoncé détaillé dans le Règlement sur les MB (AC). Elle a fait observer que l’énoncé notifie au titulaire du brevet que le fabricant du médicament générique ne contrefera pas le brevet visé ou que le brevet est invalide. C’est le contenu de l’avis d’allégation qui permet au titulaire du brevet d’« évaluer ses chances de succès » et de décider s’il intente une procédure d’interdiction : voir l’arrêt AB Hassle, au paragraphe 20.

 

[87]           Dans les circonstances, la Cour a statué que « tous les faits sur lesquels on se fonde devraient figurer dans l’énoncé et non pas être révélés pièce à pièce au moment où on en sent le besoin dans le cadre d’une instance relative à la demande visée à l’article 6 » : arrêt AB Hassle, au paragraphe 23.

 

[88]           Ratiopharm fait valoir qu’en l’espèce, elle devait produire sa preuve au sujet de l’antériorité en premier lieu, signalant ainsi aux demanderesses qu’elle s’appuyait sur l’article de Fleischhacker pour la question de l’antériorité. Toutefois, le fabricant du médicament générique dans l’arrêt AB Hassle était également tenu de déposer ses éléments de preuve sur la question de l’invalidité avant que la titulaire du brevet soit appelée à répondre : voir l’arrêt AB Hassle, au paragraphe 9.

 

[89]           Au paragraphe 26 de ses motifs, la Cour d’appel fédérale a examiné et rejeté l’argumentation actuelle de Ratiopharm. La Cour a reconnu que la séquence dans le dépôt de la preuve dans cette affaire donnait à la titulaire du brevet l’avantage de connaître la preuve du fabricant du médicament générique sur la question de l’invalidité avant qu’elle dépose sa propre preuve en réponse. Cependant, la Cour a ensuite fait observer que la procédure suivie ne changeait rien à la question plus fondamentale de savoir si le fabricant du médicament générique pouvait se fonder sur des éléments nouveaux de l’état de la technique non identifiés spécifiquement dans son avis d’allégation. La Cour a conclu par la négative.

 

[90]           Je reconnais que, contrairement à la situation visée dans l’arrêt AB Hassle, l’état de la technique en litige en l’espèce a été effectivement cité en référence dans l’avis d’allégation de Ratiopharm, mais l’a été seulement en rapport avec la question de l’évidence. C’est la situation dans laquelle se trouvait le juge Hughes dans la décision Eli Lilly, précitée. Dans cette décision, le juge Hugues s’appuie sur le raisonnement de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt AB Hassle et sur sa propre décision Bristol-Myers Squibb Canada Co. c. Apotex Inc., 2009 CF 137, 74 C.P.R. (4th) 85 au paragraphe 130 pour refuser au fabricant du médicament générique (ou « seconde personne ») le droit de se fonder sur une publication faisant partie de l’état de la technique par rapport à la question de l’antériorité alors que la publication avait été mentionnée seulement dans l’avis d’allégation par rapport à la question de l’évidence : voir la décision Eli Lilly, aux paragraphes 75 à 79. Je souscris au raisonnement du juge Hughes à ce sujet.

 

[91]           Avant de passer à un autre point, je noterais également que la formulation de la partie de l’avis d’allégation de Ratiopharm traitant de l’évidence laisse effectivement entendre que certaines publications antérieures mentionnées dans cette partie de l’avis d’allégation ont appuyé d’autres allégations d’invalidité, mais que l’article de Fleischhacker n’était pas du nombre.

 

[92]           Ainsi, à la page 12 de l’avis d’allégation, Ratiopharm déclare : [traduction] « On trouve ci‑joint à l’annexe A de la présente lettre une liste de références à l’état de la technique qui sont pertinentes à l’égard du brevet ’453 ». L’article de Fleischhacker constitue l’un des documents mentionnés à l’annexe A parmi une cinquantaine d’autres publications. Quelques lignes plus loin, l’avis d’allégation renvoie à des articles publiés passé la date pertinente et déclare : [traduction] « Les publications énumérées à l’annexe B sont également pertinentes à l’égard des autres allégations d’invalidité faites dans la présente lettre » [non souligné dans l’original]. L’article de Fleischhacker ne figure pas parmi les cinq publications de l’annexe B. Ratiopharm n’a rien déclaré de semblable dans son avis d’allégation au sujet des publications énumérées à l’annexe A.

 

[93]           La mention expresse de la pertinence des documents énumérés à l’annexe B à l’égard des autres allégations d’invalidité faites par Ratiopharm dans son avis d’allégation fait clairement ressortir que les documents énumérés à l’annexe A, dont l’article de Fleischhacker, n’en avaient pas. Cette déduction a par la suite été renversée dans le cas des publications Ambrozi, Marcea, Rote Liste et Ishizu, lorsqu’elles ont été spécifiquement mentionnées dans la partie de l’avis d’allégation de Ratiopharm portant sur l’antériorité. Mais la déduction n’a pas été renversée en ce qui concerne l’article de Fleischhacker.

 

[94]           Pour ces motifs, je suis persuadée que l’avis d’allégation de Ratiopharm ne permettait pas aux demanderesses d’apprécier correctement leurs chances de succès sur la question de l’antériorité, eu égard à l’article de Fleischhacker. L’avis d’allégation ne leur permettait pas non plus de décider en toute connaissance de cause si elles devaient intenter une procédure d’interdiction, ce qui les exposait alors au risque de la responsabilité prévue à l’article 8. Par conséquent, je ne prendrai pas en compte l’article de Fleischhacker au sujet de l’antériorité; je n’en tiendrai compte qu’à l’égard de l’évidence.

 

[95]           Au terme de ma conclusion relative aux éléments de l’état de la technique sur lesquels peut s’appuyer Ratiopharm, j’examinerai maintenant si l’allégation de Ratiopharm au sujet de l’antériorité est justifiée.

 

c)         L’allégation de Ratiopharm sur l’antériorité est‑elle justifiée?

 

[96]           Pour répondre à cette question, la Cour doit déterminer si l’une ou l’autre des publications (Ambrozi, Marcea, Rote Liste et Ishizu) révèle l’invention revendiquée dans le brevet 453 et permet de la réaliser.

 

[97]           Dans leur exposé des faits et du droit, les demanderesses caractérisent cette invention comme étant [traduction] « la découverte par les inventeurs du brevet 453 que la mémantine était un antagoniste du récepteur NMDA et que la mémantine pouvait être utile dans le traitement des troubles dont on savait à l’époque (vers 1989) qu’ils étaient associés à une excitotoxicité du glutamate, comme la maladie d’Alzheimer » (paragraphe 17).

 

[98]           Tout en niant qu’une invention ait été divulguée dans le brevet 453, Ratiopharm déclare que si invention il y avait, c’était uniquement la découverte que la mémantine était un antagoniste du récepteur NMDA, autrement dit du mécanisme d’action de la mémantine. Elle ajoute que l’utilisation de la mémantine pour traiter la maladie d’Alzheimer ou d’autres syndromes cérébraux organiques faisait déjà partie des connaissances techniques avant le 14 avril 1989.

 

[99]           Comme je l’ai signalé précédemment dans les présents motifs, les demanderesses ont reconnu que la découverte du mécanisme d’action de la mémantine n’était pas en elle‑même brevetable. La vraie question consiste donc à déterminer s’il est établi dans l’état de la technique avant avril 1989 que la mémantine pouvait être utile dans le traitement de l’ischémie cérébrale, telle qu’elle est définie dans le brevet 453, et notamment de la maladie d’Alzheimer.

[100]       Avant d’entreprendre l’examen individuel des publications qui constituent l’état de la technique pertinent, il faut noter que la divergence dans l’argumentation des parties au sujet de la question de l’antériorité provient, dans une certaine mesure, de leur compréhension radicalement différente de la façon dont le brevet 453 doit être interprété. Ratiopharm a en effet soutenu que si la Cour devait interpréter les revendications de la manière suggérée par les demanderesses et accepter que l’usage de la mémantine entre dans les revendications pertinentes pour le traitement de tout événement qui entraîne la destruction des cellules cérébrales en raison de l’influx du calcium par les récepteurs canaux NMDA, il s’ensuit qu’il sera plus facile d’établir que les revendications sont à la fois antériorisées et évidentes.

 

Ishizu

 

 

[101]       L’élément le plus reculé de l’état de la technique sur lequel s’appuie Ratiopharm est Ishizu, demande de brevet japonaise publiée le 1er janvier 1983.

 

[102]       Ishizu traite de l’utilisation d’une 1‑amino‑adamantane (chlorhydrate d’amantadine ou « amantadine ») pour le traitement des [traduction] « séquelles d’une maladie cérébrovasculaire et d’un traumatisme crânien » et fait état de l’usage de l’amantadine pour traiter les démences d’origine organique, dont la maladie d’Alzheimer.

 

[103]       Le brevet 453 a trait à l’utilisation de « dérivés d’adamantane utiles dans la prévention et le traitement de l’ischémie cérébrale ». M. Schatton et le Dr Sadavoy reconnaissent que la mémantine de même que le chlorhydrate d’adamantane sont des dérivés de l’adamantane qui relèvent de la formule générale (1) de la revendication 1 du brevet 453.

 

[104]       Dans la mesure où les autres revendications du brevet 453 sont visées, les revendications en litige en l’espèce sont les revendications 1, 2, 3, 6, 8, 10, 11 et 12. Le Dr Sadavoy déclare dans son affidavit que chacune des revendications 1, 2, 6, 8, 10, 11 et 12 inclut l’amantadine. Les demanderesses mettent en doute que le Dr Sadavoy ait les qualités requises pour formuler cette opinion, comme il n’est pas chimiste, mais je note qu’aucun des témoins des demanderesses n’a produit de preuve à l’encontre de cette affirmation et je prête foi au témoignage du Dr Sadavoy à cet égard.

 

[105]       Ratiopharm reconnaît qu’Ishizu n’antériorise pas la revendication 3, laquelle a trait uniquement à la mémantine.

[106]       Ishizu indique que le chlorhydrate d’amantadine a été utilisé pour le traitement de la maladie d’Alzheimer, mais a eu [traduction] « seulement un léger effet psychoanaleptique ». Cette affirmation laisserait apparemment entendre que le chlorhydrate d’amantadine présentait à tout le moins une certaine utilité dans le traitement de la maladie d’Alzheimer. Le Dr Sadavoy, témoin expert de Ratiopharm, a cependant admis qu’une personne versée dans l’art qui lirait la demande d’Ishizu conclurait que le chlorhydrate d’amantadine n’était pas utile dans le traitement de la maladie d’Alzheimer. Dans la mesure où la revendication 10 du brevet 453 ne concerne que la maladie d’Alzheimer, j’accepte l’argumentation du Dr Sadavoy et considère que cette revendication n’est pas antériorisée par Ishizu.

 

[107]       Par ailleurs, Ishizu indique également que le chlorhydrate d’amantadine était efficace pour traiter les séquelles de troubles cérébrovasculaires tels qu’un infarctus cérébral, une hémorragie cérébrale, une hémorragie sous‑arachnoïdienne et une artériosclérose cérébrale, de même qu’un traumatisme crânien.

 

[108]       J’ai précédemment conclu que le terme « ischémie cérébrale », tel qu’il est utilisé dans le brevet 453, décrit l’état physiopathologique de déséquilibre des mécanismes de stimulation neuronale susceptible de se produire dans diverses situations et en association avec différentes affections, entre autres la maladie d’Alzheimer.

 

[109]       En contre‑interrogatoire, le Dr Herrmann a reconnu que certains troubles cérébrovasculaires, comme l’infarctus cérébral, l’hémorragie cérébrale, l’hémorragie sous‑arachnoïdienne et l’artériosclérose cérébrale, sont des affections qui peuvent toutes entraîner le déséquilibre des mécanismes de stimulation neuronale et, partant, que ces troubles entrent dans la définition de l’« ischémie cérébrale » utilisée dans le brevet 453.

 

[110]       Par conséquent, Ishizu enseigne que le chlorhydrate d’amantadine était efficace dans le traitement des séquelles de troubles cérébrovasculaires, autres que la maladie d’Alzheimer, qui entrent dans la définition de l’ischémie cérébrale utilisée dans le brevet 453.

[111]       La personne versée dans l’art serait également en mesure de réaliser l’invention sans trop de difficultés. Par conséquent, la personne versée dans l’art qui suit les enseignements d’Ishizu contreferait inévitablement les revendications pertinentes du brevet 453, sauf les revendications 3 et 10. Ishizu antériorise donc le brevet 453 dans cette mesure.

 

 

La Rote Liste

 

[112]       La Rote Liste [Liste rouge] est l’équivalent allemand des formulaires pharmaceutiques au Canada et elle est similaire au Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques utilisé par les médecins canadiens.

 

[113]       L’« Akatinol Memantine » figurait sur la Rote Liste de 1986 pour les indications suivantes :

[traduction] Spasmes cérébraux et rachidiens, syndrome cérébral organique, insuffisance cérébrovasculaire, troubles qui nécessitent un renforcement de la vigilance, tels que les états comateux, la maladie de Parkinson.

 

La Rote Liste fournit également des renseignements posologiques sur la mémantine. « Akatinol » est de toute évidence le nom de marque de la mémantine vendue en Allemagne par Merz.

 

[114]       Le Dr Serge Gauthier a témoigné comme expert au nom des demanderesses. Il est professeur de psychiatrie, de neurologie et de neurochirurgie à l’Université McGill et est également directeur de l’Unité de recherche sur la maladie d’Alzheimer et les troubles apparentés au Centre McGill d’études sur le vieillissement et à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas. Ses recherches portent principalement sur la prévention et le traitement de la démence et de la maladie d’Alzheimer et il a publié de nombreux articles sur le sujet. Ratiopharm reconnaît que le Dr Gauthier serait une personne versée dans l’art pour les besoins de l’espèce.

 

[115]       Selon le Dr Gauthier, on sait et on savait que le « syndrome cérébral organique » inclut la démence, dont le type le plus courant est la maladie d’Alzheimer. Bien que le Dr Herrmann ait déclaré dans son affidavit qu’on ne pouvait établir une équivalence entre le syndrome cérébral organique et la maladie d’Alzheimer, il a concédé en contre‑interrogatoire que le syndrome cérébral organique comprenait la maladie d’Alzheimer, de même que de nombreuses autres affections non apparentées.

 

[116]       Ratiopharm soutient que la personne versée dans l’art, qui suit les enseignements de la Rote Liste, contreferait inévitablement les revendications pertinentes du brevet 453. Les demanderesses font valoir que la Rote Liste n’antériorise pas le brevet 453, car elle n’enseigne pas spécifiquement à la personne versée dans l’art l’usage de la mémantine pour le traitement de la maladie d’Alzheimer.

 

[117]       Il est vrai que la Rote Liste ne fait pas expressément référence à l’utilisation de la mémantine pour traiter la maladie d’Alzheimer ni ne reconnaît que la mémantine est un antagoniste du récepteur NMDA. La mémantine figure néanmoins sur cette liste pour le traitement du syndrome cérébral organique, terme qui englobe la maladie d’Alzheimer.

 

[118]       De plus, bien que le mécanisme d’action de la mémantine soit peut‑être mieux compris maintenant depuis les travaux qui ont mené au brevet 453, lorsque la mémantine a été administrée en Allemagne en 1986 pour traiter le syndrome cérébral organique, dont la maladie d’Alzheimer, son effet n’aurait pas été différent de celui qu’elle a toujours eu. Comme l’a souligné le juge Hughes au paragraphe 71 de sa décision Abbott, précitée, « le simple fait d’expliquer le mécanisme qui sous‑tend un usage déjà décrit dans l’antériorité ne peut, à lui seul, donner lieu à une nouveauté ».

 

[119]       En outre, la Rote Liste ne mentionne pas expressément l’utilisation de la mémantine pour traiter l’« insuffisance cérébrovasculaire ». Le Dr Herrmann a reconnu en contre‑interrogatoire que les affections réduisant l’apport sanguin au cerveau peuvent entraîner le déséquilibre des mécanismes de stimulation neuronale. Ces affections entrent donc dans la définition de l’« ischémie cérébrale » utilisée dans le brevet 453.

 

[120]       Je suis donc convaincue que la Rote Liste divulgue un objet qui, s’il était réalisé, entraînerait inévitablement ou nécessairement la contrefaçon du brevet 453 et que la personne versée dans l’art aurait été en mesure de réaliser l’invention sans trop de difficultés. Par conséquent, la Rote Liste antériorise le brevet 453.

 

Ambrozi

 

[121]       Cette publication parue en 1988 décrit une étude clinique portant sur 130 patients âgés. Les auteurs y traitent d’affections qui mènent à la démence, notamment des lésions dues à un traumatisme, à des processus vasculaires ou à des tumeurs, de même que des atteintes toxiques. Le Dr Sadavoy fait remarquer que l’éventail des symptômes traités par la mémantine dans l’étude d’Ambrozi englobait les symptômes d’atteinte cérébrale qui font partie du tableau clinique de diverses démences, dont la maladie d’Alzheimer.

 

[122]       Selon Ambrozi, tous les patients souffraient de [traduction] « graves maladies chroniques du système nerveux central, notamment de processus vasculaires cérébraux, de la sclérose en plaques et d’une atrophie cérébrale entraînant une impuissance physique ou mentale ». Bien qu’aucun des patients n’ait reçu un diagnostic précis de maladie d’Alzheimer, le Dr Gauthier a reconnu qu’au moins certains des sujets auraient souffert de la maladie d’Alzheimer. La personne versée dans l’art abonderait dans le sens du Dr Gauthier.

 

[123]       Les sujets de l’étude ont été traités soit par la mémantine, soit par un placebo. Après six semaines de traitement et après examen des patients au moyen d’une batterie de tests psychométriques, les auteurs ont déterminé que les patients traités par la mémantine présentaient une plus grande amélioration sur le plan de la vigilance et de la mémoire à court terme que ceux qui avaient reçu des placebos.

 

[124]       Les auteurs en sont ainsi venus à la conclusion que les résultats de l’étude [traduction] « ne laissent aucun doute à l’égard des effets de la mémantine sur les symptômes étudiés ». Ils ajoutent : [traduction] « selon nos résultats, la mémantine se prête bien au traitement du psychosyndrome organique […] ou d’une altération de la fonction cérébrale […] ou de la démence, qui appartiennent à une même catégorie de troubles mentaux organiques (DSM‑III) ».

 

[125]       Le « psychosyndrome organique » est un terme générique utilisé pour décrire diverses affections et est défini dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (1980) (ou DSM) comme englobant la démence, notamment la maladie d’Alzheimer. Le « psychosyndrome organique » est synonyme de « syndrome cérébral organique » qui est utilisé dans la Rote Liste et de « psychosyndrome cérébro‑organique » employé dans l’article de Marcea. Selon le Dr Gauthier, le terme « psychosyndrome organique » n’était pas d’usage courant au Canada parce qu’on jugeait qu’il manquait de spécificité.

 

[126]       Les demanderesses soutiennent que le « psychosyndrome organique » peut désigner un vaste éventail de troubles non apparentés à la maladie d’Alzheimer, notamment la maladie de Parkinson., la maladie de Pick, la démence vasculaire et l’alcoolisme. Elles font valoir également que l’article d’Ambrozi ne traite pas de l’utilisation de la mémantine dans le but exprès de traiter la maladie d’Alzheimer et que les symptômes des patients traités dans l’étude pourraient être observés chez des patients atteints de nombreuses affections sans rapport avec la maladie d’Alzheimer.

 

[127]       Selon les demanderesses, l’article d’Ambrozi ne traite pas de l’ischémie cérébrale au sens donné à ce terme dans le brevet 453. De plus, on n’y discute pas non plus du mécanisme d’action de la mémantine comme antagoniste du récepteur NMDA qui, selon les demanderesses, a été divulgué pour la première fois dans le brevet 453.

 

[128]       Le Dr Gauthier présente des observations sur les tests utilisés pour évaluer l’effet de la mémantine sur les sujets de l’étude, notamment l’évaluation de la mémoire à court terme. Il déclare que si l’étude visait à évaluer l’usage de la mémantine chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer, elle aurait dû faire appel à un plus grand nombre de tests structurés d’évaluation de la fonction cognitive et de la capacité globale. Il affirme également qu’une durée de six semaines est inhabituellement courte pour une étude portant sur la maladie d’Alzheimer.

 

[129]       Encore une fois, le fait que le mécanisme d’action de la mémantine comme antagoniste du récepteur NMDA n’ait pas encore été élucidé au moment de la publication de l’étude d’Ambrozi n’a pas d’importance. L’article d’Ambrozi établit que la mémantine était utile pour le traitement du psychosyndrome organique, notamment de la démence. Il est bien établi qu’on connaissait l’existence de la maladie d’Alzheimer à la date de parution de l’étude d’Ambrozi et que cette maladie est la forme la plus fréquente de démence.

 

[130]       En outre, il faut noter que les termes « psychosyndrome organique » et « syndrome cérébral organique » englobent des lésions du cerveau résultant de processus vasculaires. Comme je l’ai indiqué précédemment, le Dr Herrmann a reconnu en contre‑interrogatoire que les affections réduisant l’apport de sang au cerveau peuvent provoquer un déséquilibre des mécanismes de stimulation neuronale. Ces affections entrent donc également dans la définition de l’« ischémie cérébrale », utilisée dans le brevet 453. Ambrozi montre que la mémantine peut être utilisée pour le traitement de ces affections.

 

[131]       Par conséquent, l’étude d’Ambrozi divulgue le traitement de l’ischémie cérébrale, au sens donné dans le brevet 453, au moyen de la mémantine et en permet la réalisation. Elle divulgue également le traitement du psychosyndrome organique, notamment de la démence, au moyen de la mémantine et en permet la réalisation. La maladie d’Alzheimer est la forme la plus courante de démence. L’étude d’Ambrozi antériorise donc le brevet 453.

 

Marcea

[132]       La dernière publication citée par Ratiopharm à propos de l’antériorité est l’article de Marcea, qui comme celui d’Ambrozi, a été publié en 1988.

 

[133]       L’article de Marcea compare la performance de la mémantine à celle de la dihydro‑ergotoxine (également appelée « hydergine ») dans le traitement du « psychosyndrome cérébro‑organique ». Comme il en a été question précédemment, le terme « psychosyndrome cérébro‑organique » englobe un vaste éventail de troubles, notamment la démence et sa forme la plus fréquente, la maladie d’Alzheimer.

 

[134]       Je ne suis pas disposée à prendre cet article en considération dans l’examen de la question de l’antériorité, étant donné que le document semble incomplet. Il manque, outre la page de titre, le texte des notes infrapaginales et les tableaux mentionnés dans le corps du texte. De plus, l’article original a été publié en allemand et, bien qu’un certificat de traduction soit joint au document, en l’absence du document original, les demanderesses ne peuvent pas vérifier l’exactitude de la traduction.

 

[135]       Quoi qu’il en soit, dans la mesure où l’article de Marcea vise à décrire l’utilisation de la mémantine dans le traitement du psychosyndrome cérébro‑organique, il n’ajoute pas grand chose à l’état de la technique, représenté par les articles d’Ishizu, d’Ambrozi et la Rote Liste.

 

 

d)         Conclusion relative à la question de l’antériorité

 

[136]       Compte tenu de ce qui précède, je conclus que les allégations de Ratiopharm sur la question de l’antériorité sont fondées. Les renseignements fournis par le brevet 453 ne venaient qu’ajouter de l’information sur un usage ancien d’un vieux médicament, c’est‑à‑dire l’utilisation de la mémantine pour traiter l’ischémie cérébrale, selon la définition du brevet 453, notamment la maladie d’Alzheimer. La simple explication du mécanisme d’action qui sous‑tend un ancien usage de la mémantine décrit dans l’état de la technique ne peut, à elle seule, donner lieu à une nouveauté.

 

[137]       Par conséquent, je conclus selon la prépondérance de la preuve que l’allégation de Ratiopharm portant que la Rote Liste, l’article Ambrozi et, dans une certaine mesure, la demande Ishizu antériorisaient le brevet 453, était justifiée. La demande d’interdiction des demanderesses sera rejetée à l’égard du brevet 453.

 

[138]       Bien que cela ne soit pas strictement nécessaire, j’examinerai les autres attaques à l’encontre de la validité du brevet 453, au cas où une cour de révision adopterait une position différente sur la question de l’antériorité.

 

ii)         L’évidence

[139]       Les parties conviennent que, selon l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, la date pertinente pour l’appréciation de l’évidence de l’invention revendiquée dans le brevet 453 est le 14 avril 1989.

 

a)         Le critère de l’évidence

[140]       S’agissant du critère de l’évidence, la Cour suprême a également examiné le droit sur ce point dans l’arrêt Sanofi, aux paragraphes 61 à 71. Elle a adopté une approche en quatre étapes pour l’appréciation de l’évidence de l’invention revendiquée.

1)        a) Identifier la « personne versée dans l’art »;

 

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

 

2)        Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

3)        Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

 

4)        Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

 

 

[141]       Dans le contexte du quatrième facteur, la Cour a accepté qu’il puisse être indiqué de faire l’analyse de l’« essai allant de soi ». S’agissant des cas où cette analyse sera pertinente, le juge Rothstein a déclaré :

 

Dans les domaines d’activité où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation, le recours à la notion d’« essai allant de soi » pourrait être indiqué. Dans ces domaines, de nombreuses variables interdépendantes peuvent se prêter à l’expérimentation. Par exemple, certaines inventions du secteur pharmaceutique pourraient justifier son application étant donné l’existence possible de nombreuses compositions chimiques semblables pouvant donner lieu à des réponses biologiques différentes et être porteuses de progrès thérapeutiques notables. [Paragraphe 68]

 

 

 

[142]       Dans l’arrêt Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CAF 8, 72 C.P.R. (4th) 141, la Cour d’appel fédérale a fait observer au paragraphe 27 que l’expression « allant de soi » dans la locution « essai allant de soi » signifie « très clair ». Le critère n’est pas respecté dans le cas où l’état de la technique « aurait éveillé la personne versée dans l’art à la possibilité que quelque chose valait d’être tenté » : paragraphe 29 [non souligné dans l’original]. Le juge doit être convaincu, selon la prépondérance de la preuve, qu’il allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention : arrêt Sanofi, paragraphe 66.

 

[143]       Si la Cour conclut que le critère de l’« essai allant de soi » est justifié, l’arrêt Sanofi enseigne que, selon la preuve relative à chaque cas individuel, les facteurs non exhaustifs de la liste suivante doivent être pris en considération à la quatrième étape de l’examen de l’évidence :

1. Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

 

2. Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

 

3. L’antériorité fournit‑elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet? [arrêt Sanofi, au paragraphe 69]

 

 

[144]       Les mesures concrètes ayant mené à l’invention peuvent aussi être prises en compte : voir l’arrêt Sanofi, au paragraphe 70.

 

[145]       Dans certains cas, il peut s’agir d’une « mosaïque » tirée de l’état de la technique, c’est‑à‑dire d’éléments disparates d’information que la personne versée dans l’art aurait dû connaître et combiner pour arriver à l’invention revendiquée. Dans la décision Laboratoires Servier c. Apotex Inc., 2008 CF 825, 67 C.P.R. (4th) 241, conf. par 2009 CAF 222, 75 C.P.R. (4th) 443 (Servier), la juge Snider a décrit le scénario de la « mosaïque » et la preuve que doit établir la partie qui allègue l’évidence :

On suppose que même des techniciens non inventifs versés dans l’art lisent différentes revues professionnelles, participent à différents congrès et appliquent les enseignements tirés d’une source à un autre contexte ou qu’ils combineraient même les sources. Toutefois, ce faisant, la partie faisant valoir l’évidence doit être en mesure de montrer non seulement l’existence de réalisations antérieures, mais aussi la manière dont la personne normalement versée dans l’art aurait été amenée à combiner les éléments pertinents provenant de la mosaïque des réalisations antérieures. [Paragraphe 254]

 

 

b)         L’allégation de Ratiopharm sur l’évidence est‑elle justifiée?

 

[146]       La Cour doit donc examiner si on pouvait présumer, au 14 avril 1989, que l’état de la technique, combiné aux connaissances générales de la personne versée dans l’art, rendait l’invention revendiquée dans le brevet 453 plus ou moins évidente.

 

[147]       Rappelons que les parties ont reconnu que pour les fins du présent litige, la personne versée dans l’art est [traduction] « un chimiste médicinal et un clinicien, par exemple un psychiatre, un neurologue ou un gériatre, pratiquant dans le domaine de la démence et de la maladie d’Alzheimer ».

 

[148]       S’agissant du concept inventif sous-jacent à la revendication en cause, les demanderesses ont caractérisé l’invention revendiquée dans le brevet 453 comme étant la découverte que la mémantine [traduction] « était un antagoniste du récepteur NMDA et que la mémantine pouvait être utile dans le traitement de troubles dont on savait à l’époque (vers 1989) qu’ils étaient associés à l’excitotoxicité du glutamate, notamment la maladie d’Alzheimer ».

 

[149]       Étant donné que la découverte du mécanisme d’action de la mémantine n’avait rien en soi d’inventif, la question est de savoir s’il était évident en date d’avril 1989 que la mémantine pouvait être utile dans le traitement de l’ischémie cérébrale, telle qu’elle est définie dans le brevet 453, notamment de la maladie d’Alzheimer.

 

[150]       Ratiopharm soutient que, compte tenu de l’interprétation très large donnée par les demanderesses au terme « ischémie cérébrale », les éléments de l’état de la technique (en particulier Ambrozi et Ishizu) font clairement ressortir qu’il était évident de tenter d’utiliser la mémantine pour le traitement des troubles caractérisés par un déséquilibre des mécanismes de stimulation neuronale, entre autres de la maladie d’Alzheimer.

 

[151]       Ratiopharm renvoie à ce sujet au témoignage de M. Schatton, l’un des co‑inventeurs de l’invention revendiquée par le brevet 453, qui a reconnu en contre‑interrogatoire que le brevet visait à englober tous les cas où un déséquilibre des mécanismes de stimulation neuronale entraînait l’entrée massive d’ions calcium, et non uniquement la maladie d’Alzheimer.

 

[152]       Ishizu, Ambrozi, Marcea et la Rote Liste ont déjà été abordés dans la section précédente des présents motifs en rapport avec la question de l’antériorité. Pour le cas où je me tromperais en concluant que ces publications antériorisent l’invention revendiquée dans le brevet 453, je suis néanmoins convaincue que ces publications rendent cette invention évidente.

 

[153]       S’agissant de l’évidence, des questions se posent également en ce qui concerne l’article de Fleischhacker mentionné précédemment de même qu’un article de Brian S. Meldrum et al., « Anticonvulsant action of 1,3-dimethyl-5-aminoadamantane » [Action anticonvulsivante de la 1,3‑diméthyl‑5‑aminoadamantane] (1986), publié dans 332 Naunyn‑Schmiedeberg’s Archives of Pharmacology, pages 93 à 97 (Meldrum) et un article de J. Timothy Greenamyre et al., intitulé « Glutamate Transmission and Toxicity in Alzheimer’s Disease » [Transmission et toxicité du glutamate dans la maladie d’Alzheimer] (1988), 12 Prog. Neuro‑Psychopharmacol. & Biol. Psychiat., pages 421 à 430 (Greenamyre). Nous traiterons dans les paragraphes qui suivent de l’importance de ces publications à l’égard de la question de l’évidence.

 

 

Fleischhacker

 

[154]       L’article de Fleischhacker, publié en 1986, fait état des résultats d’une étude de l’efficacité de la mémantine dans des cas graves de démence sénile de type Alzheimer (ou DSTA). Le Dr Gauthier a déclaré dans son affidavit que la revue dans laquelle a été publié l’article de Fleischhacker n’était pas [traduction] « une revue clinique à grande circulation mais [était plutôt] une revue dans une sous‑spécialité de la pharmacologie ». Il a confirmé toutefois que la revue serait accessible dans la plupart des bibliothèques d’hôpitaux au Canada et que les cliniciens qui faisaient de la recherche au Canada y avaient accès. J’estime donc que l’article de Fleischhacker ferait partie des connaissances de la personne versée dans l’art à l’époque visée.

 

[155]       La méthodologie utilisée dans l’étude décrite dans l’article de Fleischhacker était un essai randomisé à simple insu. Une certaine amélioration dans les cycles sommeil‑veille a été observée chez les sujets tant du groupe traité par la mémantine que du groupe placebo, de même qu’une amélioration du contrôle des pulsions et des impulsions.

 

[156]       L’étude n’a obtenu aucune preuve statistiquement calculable de la supériorité de la mémantine sur le placebo chez les patients souffrant d’une DSTA. Les auteurs avancent l’hypothèse que l’amélioration relevée chez les patients dans les deux groupes pourrait découler de [traduction] « l’optimisation du traitement interne administré tout au long de l’étude ». L’attention accrue portée aux patients au cours de l’étude et la mise à l’épreuve régulière de leur performance cérébrale devaient également être prises en compte. Les auteurs ont observé que [traduction] « des études de longue durée permettraient probablement d’écarter ces biais et feraient mieux ressortir ce qui distingue les deux groupes ».

 

[157]       L’article de Fleischhacker identifie la mémantine comme une [traduction] « substance dopaminergique ». Il est donc évident que les auteurs ne comprenaient pas le mécanisme d’action de la mémantine comme antagoniste du récepteur NMDA. Les auteurs ont conclu que le rôle des substances dopaminergiques dans le traitement de la DSTA est demeuré non concluant et qu’il était [traduction] « fort peu probable » que le traitement dopaminergique puisse à lui seul résoudre les problèmes thérapeutiques associés à la DSTA. L’amélioration observée dans le groupe placebo a incité les auteurs à formuler l’hypothèse que la psychothérapie était utile dans la prise en charge de la DSTA.

 

[158]       Le Tribunal fédéral allemand des brevets s’est appuyé sur l’étude de Fleischhacker lorsqu’il a statué en 2007 que le brevet européen correspondant et le certificat de protection additionnel étaient invalides pour cause d’absence de nouveauté. Le tribunal allemand a conclu que l’étude de Fleischhacker ne disait pas que la mémantine était inefficace dans le traitement de la démence grave de type Alzheimer.

 

[159]       Dans son interprétation de l’étude de Fleischhacker, le tribunal allemand a plutôt conclu que l’interaction de la mémantine et de la psychothérapie était responsable de l’amélioration du tableau clinique chez les sujets étudiés vu qu’il semblait très peu probable que la mémantine ait pu à elle seule régler les problèmes thérapeutiques liés à la DSTA. Selon le tribunal, l’article de Fleischhacker semble indiquer que des études de longue durée pourraient probablement faire mieux ressortir la distinction entre le groupe traité par la mémantine et le groupe placebo et [traduction] « pourraient réfuter l’idée qu’il faut tenir compte des soins plus intensifs dispensés à tous les patients pendant les tests lors de la validation du succès thérapeutique obtenu dans les deux groupes ».

 

[160]       Le tribunal allemand a conclu que l’étude de Fleischhacker classait la mémantine comme une substance active qui peut contribuer au traitement des patients souffrant d’une démence grave de type Alzheimer.

 

[161]       Il convient de noter que la décision du tribunal allemand fait actuellement l’objet d’un appel.

 

[162]       Les demanderesses sont en désaccord avec l’interprétation donnée par le tribunal allemand de l’étude de Fleischhacker, estimant que cette étude a donné des résultats négatifs qui décourageraient les chercheurs d’utiliser la mémantine pour traiter la maladie d’Alzheimer.

 

[163]       Suivant l’interprétation des demanderesses, l’étude de Fleischhacker indiquerait que le succès thérapeutique observé tant chez les patients traités par la mémantine que chez ceux qui avaient reçu le placebo pourrait être réfuté par des études de longue durée. Le Dr Herrmann comme le Dr Gauthier ont toutefois témoigné que la publication ne fournissait pas d’explication ni de raison incitant la personne versée dans l’art à utiliser la mémantine dans le traitement de la maladie d’Alzheimer, voire à effectuer d’autres recherches sur le sujet.

 

[164]       Tout en soutenant que l’article de Fleischhacker [traduction] « décourage » les chercheurs d’utiliser la mémantine dans le traitement de la maladie d’Alzheimer, le Dr Gauthier a reconnu que l’étude établissait effectivement que des études plus approfondies ayant recours à la mémantine pour traiter la maladie d’Alzheimer pourraient donner une meilleure idée de son effet thérapeutique. Les demanderesses soutiennent cependant que la mention dans Fleischhacker d’[traduction] « études de longue durée » entreprises pour établir le succès thérapeutique de la mémantine ne fournissait pas d’explication ni de raison pouvant mener au brevet 453.

 

[165]       Selon les demanderesses, l’étude de Fleischhacker, dans l’hypothèse la meilleure, s’inscrit dans le prolongement des essais infructueux antérieurs en vue de trouver des traitements utiles contre la maladie d’Alzheimer et encouragerait la personne versée dans l’art à examiner d’autres composés que la mémantine pour le traitement de cette maladie.

 

[166]       L’étude de Fleischhacker ne met au jour aucune preuve statistiquement calculable de la supériorité de la mémantine sur un placebo chez les patients souffrant d’une DSTA. Si on lit cet article en parallèle avec celui d’Ambrozi, on remarque que le premier établit effectivement que la mémantine exerce certains effets cliniques chez les patients atteints d’une démence grave de type Alzheimer.

 

[167]       Selon Ambrozi, [Traduction] « le problème de la démence dégénérative tient principalement à la vigilance ». Au moment de la publication de cet article, on savait que l’amantadine intensifiait la vigilance. On savait également que la mémantine était une substance apparentée et qu’elle avait un effet psychotrope plus puissant (voir Ambrozi, page 144).

 

[168]       L’article de Fleischhacker indique que sur le plan de l’effet clinique de normalisation des cycles sommeil‑veille et d’intensification des pulsions, [traduction] « la mémantine ne présentait pas de différences par rapport à l’amantadine ».

 

[169]       Même si des recherches additionnelles auraient dû être effectuées pour éliminer les biais inhérents à la méthodologie utilisée par Fleischhacker, je suis néanmoins convaincue que les résultats combinés d’Ambrozi et de Fleischhacker touchant l’effet positif de la mémantine et des composés apparentés sur la normalisation des cycles sommeil‑veille et l’augmentation des pulsions chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer ont fait ressortir l’évidence d’essayer la mémantine comme traitement de la maladie d’Alzheimer.

 

[170]       Les deux derniers éléments de l’état de la technique ont trait à la découverte du mécanisme d’action de la mémantine. Comme je l’ai souligné précédemment, les demanderesses déclarent que la découverte du mécanisme d’action de la mémantine a été le [traduction] « déclic » qui a mené à l’invention revendiquée par le brevet 453.

 

[171]       Tout en soulignant que cette découverte n’était pas brevetable, même si elle avait été faite par les demanderesses, Ratiopharm soutient que le mécanisme d’action de la mémantine était évident, compte tenu des articles publiés par Meldrum et Greenamyre.

 

[172]       Nous examinerons l’importance de chacun de ces articles dans les pages qui suivent.

 

 

Meldrum

 

[173]       Cet article, qui date de 1986, présente les résultats d’une étude sur l’action anticonvulsivante de la mémantine chez des souris ainsi que chez des babouins photosensibles. L’étude a établi l’action anticonvulsivante de la mémantine chez les rongeurs. Mais elle semble indiquer surtout que la mémantine n’avait pas de mécanisme d’action dopaminergique, comme on le croyait auparavant.

 

[174]       M. Schatton a déclaré en contre‑interrogatoire qu’il ne connaissait pas l’existence de l’article de Meldrum au moment des recherches qui ont mené au brevet 453. Il a cependant reconnu qu’il faisait partie d’un groupe qui discutait des découvertes scientifiques concernant la mémantine. Un autre membre de ce groupe, M. Sontag, Ph.D., est l’un des coauteurs de l’article de Meldrum. M. Schatton ne se rappelle pas toutefois avoir eu connaissance des détails de l’article et avoir été informé des recherches sous‑jacentes.

 

[175]       Les arguments de Ratiopharm en ce qui a trait à l’importance de l’article de Meldrum pour trancher la question de l’évidence semblent fondés sur la prémisse selon laquelle si la mémantine n’avait pas d’action dopaminergique, elle devait donc nécessairement fonctionner comme un antagoniste du récepteur NMDA. Lorsque la Cour a demandé à l’avocat de Ratiopharm s’il existait des preuves à l’appui de cette alternative, celui‑ci a reconnu qu’il n’existait aucune preuve de ce type dans le dossier.

 

[176]       Non seulement n’y a‑t‑il aucune preuve à l’appui de l’argumentation de Ratiopharm selon lequel si le mécanisme d’action de la mémantine n’est pas dopaminergique, il doit nécessairement être glutamatergique, mais des éléments de preuve au dossier indiquent que plusieurs types différents de mécanismes de neurotransmission interviennent dans le cerveau, outre les neurotransmetteurs dopaminergiques et glutamatergiques.

 

[177]       Il convient également de noter que l’étude de Meldrum a examiné l’efficacité de la mémantine en rapport avec les phases tonique et clonique des convulsions. Il a été établi que la mémantine assurait une certaine protection contre la phase tonique, mais non contre la phase clonique. Il semble que divers composés ont été utilisés pour provoquer des convulsions chez les animaux de laboratoire utilisés dans l’étude, y compris des composés du NMDA. Le Dr Sadavoy a reconnu en contre‑interrogatoire que les auteurs de l’article Meldrum ont été incapables de déclencher la phase tonique d’une convulsion à l’aide du composé du NMDA. Par conséquent, l’article de Meldrum ne renferme aucune donnée sur l’efficacité de la mémantine pour bloquer les convulsions induites par le NMDA.

 

[178]       Meldrum conclut en disant que l’effet de la mémantine ressemble à l’effet des agonistes des récepteurs GABA, ajoutant que [traduction] « quel que soit l’effet de la mémantine sur la transmission synaptique, les changements dans la conductance sodique et potassique de la membrane sont les phénomènes sous‑jacents les plus probables. ». À remarquer que l’article Meldrum ne fait aucunement mention de l’importance du calcium, qui est au cœur de l’hypothèse glutamatergique de la maladie d’Alzheimer.

 

[179]       Compte tenu de ce qui précède, je conclus que Meldrum ne rend pas évidente l’invention revendiquée par le brevet 453.

 

Greenamyre

 

[180]       D’entrée de jeu, les demanderesses soulignent qu’il n’y a aucun renvoi à l’article de Greenamyre dans l’avis d’allégation de Ratiopharm, ni aucune mention de cet article en rapport avec la question de l’évidence. Il semble qu’en l’espèce, l’article de Greenamyre a été inclus dans la preuve produite par les demanderesses elles‑mêmes, dans l’un des affidavits du Dr Herrmann. Il semble également que les témoins des parties ont été contre‑interrogés assez longuement au sujet de l’importance de l’article de Greenamyre.

 

[181]       J’ai déjà revu la jurisprudence touchant la nécessité de divulguer de façon complète et équitable chaque élément de l’état de la technique sur lequel s’appuie un fabricant de médicaments génériques dans ses allégations d’invalidité, lorsque j’ai examiné si Ratiopharm pouvait se servir de l’article de Fleischhacker pour étayer son allégation d’antériorité. Toutefois, étant donné que les demanderesses elles‑mêmes ont choisi de s’appuyer sur l’article de Greenamyre, le problème de la capacité du breveté d’évaluer adéquatement le risque d’exposition à des dommages‑intérêts en vertu de l’article 8, décrit dans l’arrêt de la Cour d’appel fédérale AB Hassle, ne se pose pas.

 

[182]       Dans ces circonstances, il n’est que juste, à mon avis, que Ratiopharm puisse utiliser l’article à son profit. J’examinerai donc les conséquences de l’article de Greenamyre en rapport avec la question de l’évidence.

 

[183]       Comme le laisse entendre son titre « Glutamate Transmission and Toxicity in Alzheimer’s Disease » [Transmission du glutamate et toxicité dans la maladie d’Alzheimer], l’article de Greenamyre porte sur le rôle que joue la transmission du glutamate dans la démence de type Alzheimer.

 

[184]       Les auteurs font remarquer que les études sur la maladie d’Alzheimer ont mis en évidence une baisse de concentration de différents neurotransmetteurs dans le cerveau des patients atteints de la maladie. L’article souligne l’attention qui a été portée au déficit cholinergique chez ces patients. Rappelons que la classe des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase a été conçue pour corriger le déficit en acétylcholine dans le cerveau des victimes de la maladie d’Alzheimer, conformément à l’« hypothèse cholinergique » de la maladie.

 

[185]       En plus d’être un neurotransmetteur, le glutamate est aussi, selon les auteurs, une neurotoxine qui a été mise en cause dans la pathogenèse de la mort cellulaire dans diverses maladies neurodégénératives. S’appuyant sur des données expérimentales, les auteurs « postulent » que la toxicité du glutamate peut jouer un rôle dans la pathogenèse de la maladie d’Alzheimer. Ils supposent également que la perturbation de la neurotransmission du glutamate explique certaines des manifestations cliniques associées à la maladie d’Alzheimer et que les ligands des récepteurs glutamatergiques peuvent fournir un outil pour traiter la démence de type Alzheimer.

 

[186]       M. Schatton et le Dr Gauthier conviennent que l’article de Greenamyre montre que la toxicité du glutamate et les voies du NMDA pourraient jouer un rôle dans la mort cellulaire associée à un certain nombre d’affections, dont l’ischémie cérébrale et la maladie d’Alzheimer.

 

[187]       Les arguments de Ratiopharm en rapport avec l’article de Greenamyre sont liés à ceux qu’elle a présentés dans le cas de l’article de Meldrum. En d’autres termes, Greenamyre établit que la maladie d’Alzheimer est causée par l’excitotoxicité glutamatergique et que les antagonistes des récepteurs NMDA qui se lient aux récepteurs NMDA pourraient ainsi être utilisés à des fins thérapeutiques pour prévenir l’excitotoxicité et la mort cellulaire dans la maladie d’Alzheimer et d’autres affections. L’article de Meldrum a révélé que la mémantine est un antagoniste du récepteur NMDA. Selon Ratiopharm, la combinaison des articles de Meldrum et de Greenamyre rend évidente l’invention revendiquée dans le brevet 453.

 

[188]       Les demanderesses admettent que l’hypothèse glutamatergique de la maladie d’Alzheimer faisait partie des connaissances de la personne versée dans l’art à la date pertinente. Comme je l’ai mentionné précédemment dans les présents motifs, je ne considère pas que l’article de Meldrum établit effectivement que la mémantine est un antagoniste du récepteur NMDA. Par conséquent, je ne trouve pas que la combinaison des articles de Meldrum et de Greenamyre rend évident le brevet 453.

 

 

c)         Conclusion relative à la question de l’évidence

 

[189]       Je conviens avec les demanderesses que s’il est vrai que la personne versée dans l’art aurait été au fait de l’hypothèse glutamatergique de la maladie d’Alzheimer en date du 14 avril 1989, il reste que le mécanisme d’action de la mémantine comme antagoniste du récepteur NMDA n’était pas connu. Je concède également que les inventeurs de l’invention revendiquée dans le brevet 453 ont découvert le mécanisme d’action de la mémantine comme antagoniste du récepteur NMDA.

 

[190]       Si l’invention revendiquée dans le brevet 453 était évidente, disent les demanderesses, comment expliquer que personne n’ait effectué les expériences menées par les inventeurs du brevet 453? Je suis d’accord avec le témoignage de M. Schatton que les inventeurs ont déployé des efforts considérables pour arriver à comprendre le mécanisme d’action de la mémantine.

 

[191]       Toutefois, lorsqu’il examine la question de l’évidence, le tribunal doit prendre en considération l’invention telle que revendiquée : voir Ratiopharm In. c. Pfizer Ltd., [2009] A.C.F. no 967, paragraphe 158. Le brevet 453 revendique l’utilisation de dérivés de l’adamantane, dont la mémantine, pour le traitement de l’ischémie cérébrale, selon la définition donnée à ce terme dans le brevet, qui englobe la maladie d’Alzheimer.

 

[192]       Compte tenu du critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sanofi et, en particulier, des différences entre les connaissances de la personne versée dans l’art et le concept inventif de l’invention revendiquée dans le brevet 453, j’estime que ce qui était différent après le brevet 453 était la compréhension du mécanisme d’action de la mémantine comme antagoniste du récepteur NMDA. Comme je l’ai déjà mentionné, les demanderesses reconnaissent que le simple fait d’expliquer le mécanisme sous‑tendant une utilisation déjà décrite dans l’état de la technique ne peut, à lui seul, donner naissance à une invention.

 

[193]       Il ressort clairement des publicatons d’Ishizu, d’Ambrozi, de Fleischhacker et de la Rote Liste que les dérivés de l’adamantane, et la mémantine en particulier, étaient utilisés avant le 14 avril 1989 pour traiter l’ischémie cérébrale, telle qu’elle est définie dans le brevet 453, y compris la maladie d’Alzheimer. J’ai déjà conclu que l’invention revendiquée dans le brevet 453 était antériorisée par les publications d’Ishizu, d’Ambrozi, de Marcea et la Rote Liste. Si je fais erreur en concluant que ces publications antériorisent à l’invention revendiquée dans le brevet 453, je suis néanmoins convaincue que ces articles, combinés à celui de Fleischhacker, rendent cette invention évidente.

 

iii)        L’utilité

 

[194]       Ratiopharm n’affirme pas le défaut d’utilité de l’invention revendiquée dans le brevet 453. Elle allègue plutôt dans son avis d’allégation que le brevet 453 ne contient nulle part une démonstration de l’utilité, ou des faits et un raisonnement à partir desquels on aurait pu prédire valablement l’utilité.

 

[195]       La date pertinente pour l’appréciation du caractère valable de la prédiction est la date du dépôt de la demande au Canada : voir la décision Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1283, 43 C.P.R. (4th) 161 au paragraphe 93, conf. par 2006 CAF 64, 46 C.P.R. (4th) 401, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, C.S.C.R. n° 136 (Aventis). En l’espèce, cette date est le 11 avril 1990.

 

[196]       Les demanderesses admettent qu’en date du 11 avril 1990, les inventeurs n’avaient pas réellement démontré l’utilité de la mémantine dans le traitement de l’ischémie cérébrale (telle qu’elle est définie dans le brevet 453) et de la maladie d’Alzheimer. La question dont la Cour est saisie consiste donc à déterminer si les inventeurs avaient un fondement valable pour prédire que les composés visés par les revendications en litige, et la mémantine en particulier, seraient utiles dans le traitement de l’ischémie cérébrale (telle qu’elle est définie dans le brevet 453), notamment de la maladie d’Alzheimer.

 

[197]       Comme la Cour suprême du Canada l’a établi dans l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, [2002] 4 R.C.S. 153 (AZT), l’utilité d’une invention pharmaceutique peut être vérifiée par des tests, mais il n’est pas essentiel que des tests complets aient été réalisés avant la date du dépôt de la demande au Canada. Un inventeur peut recourir à la règle de la prédiction valable pour justifier des revendications de brevet dont l’utilité n’a pas été effectivement démontrée, mais qui peuvent faire l’objet d’une prédiction valable fondée sur l’information et l’expertise disponibles.

 

[198]       Dans l’arrêt AZT, la Cour suprême a noté que la règle de la prédiction valable établit un équilibre entre l’intérêt public de la divulgation rapide des inventions nouvelles et utiles – même avant qu’on en ait vérifié l’utilité par des tests complets – et l’intérêt public d’éviter de consentir des droits de monopole en échange de spéculations, de désinformation ou de vœux pieux : voir les paragraphes 66 et 69.

 

[199]       La question de savoir si la prédiction est valable est une question de fait.

 

[200]       Dans l’arrêt AZT, la Cour a formulé un critère tripartite qui doit être rempli pour établir que l’inventeur présumé a fait une prédiction valable. Les trois éléments du critère sont les suivants :

1.        la prédiction doit avoir un fondement factuel;

 

2.        à la date de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement « valable » qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité;

 

3.        il doit y avoir divulgation suffisante, mais il n’est pas nécessaire de fournir une explication théorique de la raison pour laquelle l’invention fonctionne.

 

 

 

[201]       Pour être valable, la prédiction ne doit pas nécessairement correspondre à une certitude, car elle n’exclut pas le risque que certains composés dans le domaine revendiqué puissent se révéler inutiles.

 

[202]       S’agissant du fondement factuel de la prédiction, les inventeurs du brevet 453 divulguent pour la première fois que la mémantine et ses composés apparentés sont des antagonistes des récepteurs NMDA. Comme il est mentionné dans le témoignage des Drs Gauthier et Herrmann, cette conclusion est étayée par les tests décrits aux pages 8 à 14 du mémoire descriptif du brevet.

 

[203]       Pour ce qui est du raisonnement valable d’où le résultat souhaité peut être inféré du fondement factuel, les inventeurs ont découvert que la mémantine et ses composés apparentés sont des antagonistes des récepteurs NMDA et ils rendent compte de l’utilité de la mémantine dans la prévention et le traitement du déséquilibre neuronal identifié, à savoir le phénomène d’« excitotoxicité », à l’origine de la dégénérescence neuronale. Les inventeurs énumèrent ensuite certaines affections où s’observe cet état physiopathologique et qui peuvent donc être traitées par les composés du brevet.

 

[204]       Les inventeurs citent Rothman et Olney, Trends Neurosci (1989) 10 :299, qui décrit le phénomène d’excitotoxicité, et déclarent ce qui suit en ce qui concerne les applications thérapeutiques possibles ciblant ce phénomène :

[traduction] De plus en plus de données indiquent que les lésions cérébrales associées à l’anoxie, aux accidents vasculaires cérébraux, à l’hypoglycémie, à l’épilepsie et peut‑être aux maladies neurodégénératives, comme la maladie de Huntington, peuvent à tout le moins en partie être provoquées par une hyperactivation des récepteurs NMDA. Dans la mesure où la physiopathologie peut être expliquée par ce mécanisme, elle peut être justiciable de traitements rationnels qui sont maintenant en train d’être mis au point.

 

 

[205]       Pour ce qui est de la maladie d’Alzheimer, comme je l’ai indiqué dans la section précédente des présents motifs, en 1989, la personne versée dans l’art aurait connu l’hypothèse glutamatergique de la maladie d’Alzheimer, à savoir que la toxicité du glutamate cause la neurodégénérescence associée à la maladie d’Alzheimer.

 

[206]       Le Dr Gauthier a en outre reconnu qu’on avait expressément avancé l’hypothèse du rôle potentiel de l’excitotoxicité dans la pathogenèse de la maladie d’Alzheimer. Cette hypothèse était connue des inventeurs. Je suis d’accord avec les demanderesses qu’elle renforce la prédiction faite par les inventeurs dans le brevet 453 que la mémantine serait utile pour la prévention et le traitement de la maladie d’Alzheimer, étant donné qu’ils avaient découvert le mécanisme d’action de la mémantine comme antagoniste du récepteur NMDA.

 

[207]       En ce qui concerne la question de la divulgation adéquate, Ratiopharm soutient que le mémoire descriptif du brevet ne contient pas suffisamment de données indiquant qu’un dosage sûr de mémantine aurait l’utilité promise. En effet, cela semble être le véritable nœud de l’argumentation de Ratiopharm relativement à la prédiction valable.

 

[208]       Autrement dit, Ratiopharm a admis qu’une fois que l’hypothèse glutamatergique a été formulée et qu’on a découvert que la mémantine était un antagoniste du récepteur NMDA, l’argumentation des demanderesses à l’égard de la prédiction valable péchait par l’absence de données biologiques à l’appui de la prédiction d’utilité dans le brevet 453.

 

[209]       Pour étayer sa prétention, Ratiopharm souligne que les données présentées au tableau 3 du brevet 453 montrent que l’administration d’une dose de 5 mg/kg de mémantine à des rats n’a entraîné aucune réduction, encore moins une réduction statistique, des lésions neuronales post‑ischémiques dans le cerveau. Selon Ratiopharm, une telle dose utilisée chez le rat dépasserait de plusieurs fois la dose jugée sûre pour les humains.

 

[210]       Selon Ratiopharm, ce n’est qu’à la dose de 20 mg/kg que la mémantine a entraîné une réduction des lésions neuronales post‑ischémiques chez des rats. Des doses de mémantine aussi importantes étant impensables chez les humains, Ratiopharm fait valoir qu’aucune donnée dans le brevet 453 n’appuie la prédiction qu’une dose sûre de mémantine aurait l’utilité promise.

 

[211]       Dans l’appréciation de l’utilité des composés au regard de la prédiction valable, la Cour suprême a fait observer dans l’arrêt AZT qu’il n’est pas nécessaire, pour être en mesure de faire une prédiction valable, d’avoir mené des essais cliniques sur des êtres humains établissant la toxicité, les caractéristiques métaboliques, la biodisponibilité et d’autres éléments. La question à ce stade ne porte pas sur l’innocuité et l’efficacité du composé ou des composés visés, mais elle concerne leur utilité dans le contexte de l’inventivité : voir l’arrêt AZT au paragraphe 77. Voir également la décision Aventis au paragraphe 153.

 

[212]       De plus, la « moindre parcelle » d’utilité suffit : voir les arrêts AZT, aux paragraphes 46 et 56, et Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc. (2006), 46 C.P.R. (4th) 401, à la page 409 (C.A.F.), ainsi que la décision Servier, au paragraphe 270.

 

[213]       Dans l’arrêt AZT, la Cour d’appel fédérale devait se pencher sur l’argumentation faisant valoir que la divulgation dans le brevet visé ne fournissait pas suffisamment de renseignements pour qu’un médecin praticien puisse traiter des patients à l’AZT. À ce sujet, la Cour a fait observer au paragraphe 70 de son arrêt que la divulgation du brevet ne s’adressait pas aux médecins qui prescrivent l’AZT et que le mémoire descriptif n’avait pas à donner de renseignements détaillés sur la prescription du médicament : voir l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation, [2000] A.C.F. n° 1770 (C.A.F.), conf. par [2002] A.C.S. n° 78.

 

[214]       Sans égard à la posologie requise, les données des tests citées en référence dans le mémoire descriptif du brevet 453 établissent clairement l’utilité, notamment l’utilité dans les tests réalisés avec des cellules humaines. En outre, je suis persuadée que le fondement factuel et le raisonnement étayant l’utilité revendiquée sont divulgués par les inventeurs dans le mémoire descriptif du brevet 453. Par conséquent, la personne versée dans l’art avait reçu suffisamment de renseignements pour comprendre l’invention, son fondement et sa réalisation.

 

[215]       Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincue que l’allégation d’inutilité faite par Ratiopharm n’est pas justifiée. On savait déjà que la mémantine fonctionnait dans le traitement de la maladie d’Alzheimer, mais les inventeurs du brevet 453 ont été en mesure de prédire de manière valable les raisons de cette efficacité.

 

 

c)         La contrefaçon

 

[216]       Au vu de ma conclusion sur la question de la validité, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de la contrefaçon. Je ferais simplement observer que les parties s’entendent sur le fait que dans le cas du brevet 453, la question de la contrefaçon repose sur l’interprétation correcte des revendications visées. Ratiopharm concède en outre que si le terme [traduction] « ischémie cérébrale » est interprété comme le suggèrent les demanderesses (ce qui a été effectivement le cas), la fabrication ou la vente de la mémantine de Ratiopharm contreferait nécessairement le brevet 453.

 

 

d)         Les conclusions relatives au brevet 453

 

[217]       Pour les motifs qui précèdent, je conclus que les allégations de Ratiopharm au sujet de l’antériorité et de l’évidence sont justifiées à l’égard du brevet 453. Par conséquent, la demande d’interdiction présentée par les demanderesses sera rejetée à l’égard du brevet 453.

 

 

VII.     LE BREVET 492

 

[218]       Le brevet 492 revendique l’utilisation de la mémantine en association avec un ou plusieurs inhibiteurs de l’acétylcholinestérase pour le traitement du trouble cognitif léger et de divers types de démences, dont la maladie d’Alzheimer.

 

[219]       Les inventeurs de l’invention revendiquée dans le brevet 492 sont Lars Lykke Thomsen et Anders Gersel Pedersen. Comme je l’ai mentionné précédemment, le brevet 492 est la propriété de H. Lundbeck A/S et est intitulé [traduction] « Combinaison d’un antagoniste NMDA et d’agents inhibiteurs d’acétylcholinestérase pour le traitement de la maladie d’Alzheimer ».

 

[220]       La demande relative au futur brevet 492, déposée le 8 mai 2003, revendiquait la priorité fondée sur une demande danoise déposée le 31 mai 2002. Le brevet délivré au Canada le 3 octobre 2006 expire le 8 mai 2023.

 

[221]       Le brevet 492 visait à répondre au besoin d’améliorer le traitement actuel de la maladie d’Alzheimer. Ce besoin est exposé dans le mémoire descriptif :

[traduction] Actuellement, la maladie [d’Alzheimer] est incurable. Le traitement actuel retarde l’apparition des symptômes dans certains cas, et dans d’autres, il apporte une amélioration modeste sur le plan cognitif en général, ou très marquée chez un petit nombre de patients seulement. Il est aussi souhaitable de ralentir la progression de la maladie afin d’améliorer la qualité de vie du patient et des membres de sa famille. Mais comme le montrent les essais relatifs au traitement actuel, 30 % des patients atteints de la maladie d’Alzheimer ne répondent toujours pas au traitement. Il est donc grandement nécessaire d’améliorer le traitement de la maladie d’Alzheimer.

 

 

 

[222]       L’invention revendiquée par le brevet 492 a été expliquée dans le mémoire descriptif :

[traduction] L’invention permet ainsi d’offrir au patient souffrant d’un syndrome de démence une bithérapie associant un ou des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase et un antagoniste du récepteur NMDA.

 

L’invention fournit également une composition pharmaceutique comprenant un premier élément, à savoir un ou des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase, et un second élément, soit un antagoniste du récepteur NMDA.

 

 

 

a)         L’interprétation

 

[223]       Les parties reconnaissent que la date pertinente pour l’interprétation du brevet 492 est le 16 septembre 2003.

 

[224]       Les revendications du brevet qui sont en litige sont les revendications 1 et 2, ainsi que 4 à 7 :

[traduction]

1.        Une composition pharmaceutique synergique pour le traitement du trouble cognitif léger ou de la démence qui comprend :

 

a) une dose thérapeutiquement efficace d’un ou de plusieurs inhibiteurs de l’acétylcholinestérase ou d’un sel pharmaceutiquement efficace de ces derniers choisi parmi le groupe formé de la tacrine, du donépézil, de la rivastigmine et de la galantamine ou d’un mélange d’entre eux; et

 

b) une dose thérapeutiquement efficace de mémantine.

 

2.        La composition selon la revendication 1, ou l’élément (a) est le donépézil.

 

[…]

 

4.        La composition selon la revendication 1 où l’élément (a) et l’élément (b) sont insérés dans des véhicules différents pour leur administration.

 

5.        L’utilisation d’une composition synergique comprenant :

 

a)        Une dose thérapeutiquement efficace d’un ou de plusieurs inhibiteurs de l’acétylcholinestérase ou d’un sel pharmaceutiquement efficace de ces derniers choisi parmi un groupe formé de la tacrine, du donépézil, de la rivastigmine et de la galantamine ou d’un mélange d’entre eux, et

 

b)        Une dose thérapeutiquement efficace de mémantine ou d’un sel pharmaceutiquement efficace de cette dernière pour la fabrication d’un médicament devant servir au traitement du trouble cognitif léger ou de la démence.

 

6.        L’utilisation selon la revendication 5 où la démence est de type Alzheimer.

 

7.        L’utilisation selon les revendications 5 et 6, où l’élément (a) est le donépézil.

 

 

 

[225]       Bien que d’autres questions aient été soulevées par Ratiopharm dans son avis d’allégation, le seul problème d’interprétation abordé par les parties à l’audience a trait au terme [traduction] « synergique » employé dans les revendications 1 et 5 du brevet 492 et intégré dans les revendications 2 et 4, ainsi que dans les revendications 6 et 7, respectivement.

 

 

[226]       Les inventeurs nommés ne définissent pas ce qu’ils entendent par « synergique » dans le brevet 492. En outre, le terme semble avoir été utilisé différemment par certains des témoins experts à divers moments de leur témoignage. Cela dit, les parties admettent que la personne versée dans l’art à qui s’adressent les revendications aurait compris que le breveté revendiquait que l’association de la mémantine avec un inhibiteur de l’acétylcholinestérase procurerait un avantage supérieur à la somme des bienfaits attendus des deux médicaments déjà connus.

 

[227]       Au cours de l’audience, les concepts des effets « additifs » et « synergiques » ont été traités en termes arithmétiques, les parties reconnaissant qu’un effet additif s’exprimerait sous la forme de 1 + 1 = 2, alors qu’un effet synergique pourrait être décrit par 1 + 1 = 3.

 

[228]       Autrement dit, une composition pharmaceutique « synergique » est une formulation où l’emploi de deux ou plusieurs composés dans le cadre d’une bithérapie ou d’une polythérapie produit un résultat qui est supérieur à la somme des effets de chaque composé.

 

[229]       Pour revendiquer un effet synergique, il faut qu’une composition offre un avantage imprévu : plus particulièrement, un avantage attribuable à une coopération imprévisible entre les éléments de l’association. Pour être fiable, un effet synergique doit être exercé par tout ce qui est visé par le brevet et il doit être décrit dans le mémoire descriptif : voir Cipla Ltd. et al. c. Glaxo Group Ltd., [2004] EWHC 477 (Ch), aux paragraphes 16 et 17, 103, 113 et 114.

 

[230]       Le terme « synergique » apparaît dans les revendications 1 et 5. Les revendications 2 et 4 dépendent de la revendication 1, et les revendications 6 et 7 dépendent de la revendication 5. Par conséquent, j’estime qu’il s’agit d’un élément essentiel de chacune des revendications en litige, à savoir que chacune des compositions revendiquées produit un effet synergique.

 

 

b)         La validité

 

[231]       Comme dans le cas du brevet 453, un certain nombre d’allégations d’invalidité ont été avancées dans l’avis d’allégation de Ratiopharm à l’égard du brevet 492. Mais à l’audience, on a seulement allégué que le brevet était invalide pour deux motifs, l’antériorité et l’évidence, et que l’utilité n’avait été ni démontrée ni divulguée dans le brevet. Ratiopharm allègue également que le brevet 492 devrait être considéré comme abandonné, conformément aux dispositions de l’alinéa 73(1)a) de la Loi sur les brevets, pour absence de poursuite de bonne foi.

 

[232]       Chacune de ces allégations sera examinée dans l’ordre.

 

i)          L’allégation de Ratiopharm sur l’antériorité est‑elle justifiée?

 

[233]       Les parties conviennent que, selon l’alinéa 28.2(1)a) de la Loi sur les brevets, la date pertinente pour apprécier si l’invention revendiquée dans le brevet 492 était antériorisée ou était évidente à la lumière des publications comprises dans l’état de la technique et de l’usage, est le 31 mai 2002.

 

[234]       Dans son avis d’allégation, Ratiopharm cite divers documents décrivant l’état de la technique à l’appui de son allégation d’antériorité, mais seuls deux d’entre eux ont été invoqués au cours de l’audience : Gary L. Wenk et al., « No Interaction of Memantine with Acetylcholinesterase Inhibitors Approved for Clinical Use » [Absence d’interaction de la mémantine avec les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase approuvés à des fins cliniques] (2000) 66 :12 Life Sciences, pages 1079 à 1083 (Wenk), et K.K. Jain, « Evaluation of Memantine for Neuroprotection in Dementia » [Évaluation de l’effet neuroprotecteur de la mémantine contre la démence] (2000) 9 :6 Expert Opin. Investig. Drugs, pages 1397 à 1407 (Jain). Il semble que les autres articles cités par Ratiopharm dans son avis d’allégation ont été publiés après la date pertinente. Il sera cependant fait référence à l’une de ces études (étude de Tariot) au moment de l’examen de la question de l’utilité.

 

Wenk

[235]       Wenk présente les résultats d’une étude in vitro qui examine si la mémantine, lorsqu’elle est associée à un inhibiteur de l’acétylcholinestérase, atténue l’inhibition de l’acétylcholinestérase exercée par l’inhibiteur de l’acétylcholinestérase.

 

[236]       Les auteurs mentionnent que la maladie d’Alzheimer peut être une pathologie secondaire résultant de la perte de neurones cholinergiques dans le cerveau des patients atteints et que l’hyperactivation des récepteurs NMDA peut être à la base de la dégénérescence des neurones cholinergiques. Les deux types de traitements médicamenteux qui existaient à l’époque amélioraient la fonction cholinergique, soit en inhibant l’acétylcholinestérase (les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase), soit en produisant un antagonisme pharmacologique des récepteurs NMDA (les antagonistes des récepteurs NMDA, notamment la mémantine).

 

[237]       Les auteurs ont avancé l’hypothèse que l’association d’un inhibiteur de l’acétylcholinestérase et de la mémantine pourrait ralentir de façon plus efficace la progression de la maladie d’Alzheimer. Ils ont toutefois fait remarquer qu’une série de rapports ont établi que la mémantine, utilisée en association avec certains inhibiteurs reconnus de l’acétylcholinestérase, atténuait ou affaiblissait l’inhibition de l’acétylcholinestérase. Il ressort donc que l’emploi de la mémantine en association avec un inhibiteur de l’acétylcholinestérase pourrait contrecarrer l’effet bénéfique de l’inhibiteur de l’acétylcholinestérase.

 

[238]       L’étude de Wenk a indiqué que bien que certains inhibiteurs de l’acétylcholinestérase perdent effectivement leur effet thérapeutique lorsqu’ils sont combinés à la mémantine, d’autres le conservent. Autrement dit, les auteurs ont découvert que l’effet neutralisant de la mémantine se limitait aux inhibiteurs de l’acétylcholinestérase « irréversibles », comme le DFP, qui est un inhibiteur de l’acétylcholinestérase au stade expérimental. D’autres inhibiteurs de l’acétylcholinestérase « réversibles » tels que le donépézil, le THA (chlorhydrate de tacrine) et la galantamine ne perdaient pas leur effet thérapeutique lorsqu’ils étaient associés à la mémantine.

 

[239]       Les auteurs de l’article concluent :

[traduction] D’après nos données in vitro […] l’association clinique de la mémantine et d’un [inhibiteur de l’acétylcholinestérase] réversible devrait offrir une solution pharmacothérapeutique utile contre la démence. Cette bithérapie devrait assurer à la fois une neuroprotection et une amélioration fonctionnelle plus marquée. D’autres études doivent être effectuées afin d’examiner l’efficacité potentielle des bithérapies pour soulager les symptômes cliniques des patients atteints de la MA.

 

 

 

[240]       Je suis d’accord avec les demanderesses que l’article de Wenk n’antériorise pas le brevet 492, car la publication ne répond pas à l’exigence de divulgation pour l’antériorité. Même si l’étude a examiné l’efficacité des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase en présence de mémantine, les auteurs n’ont pas tenu compte de l’effet exercé, le cas échéant, par les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase sur l’efficacité de la mémantine.

 

[241]       De plus, l’étude de Wenk n’a pas examiné l’efficacité possible de deux classes de médicaments utilisés en association dans le traitement du trouble cognitif léger ou de la démence, notamment de la maladie d’Alzheimer. Pour reprendre les propos du Dr Sadavoy, tout ce que les auteurs ont fait, c’est d’[traduction] « avancer des hypothèses ».

 

[242]       En outre, comme l’a reconnu le Dr Sadavoy en contre‑interrogatoire, l’étude de Wenk n’enseigne pas à la personne versée dans l’art que l’association des deux classes de médicaments pourrait produire un effet synergique.

 

[243]       Enfin, la simple suggestion que des études cliniques futures pourraient démontrer l’efficacité potentielle des bithérapies ne suffit pas à démontrer l’antériorité : voir la décision Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., [2008] CF 142, 63 C.P.R. (4th) 406, paragraphe 131, conf. par 2009 CAF 97, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2009] A.C.S.C. no 219.

 

[244]       S’appuyant sur le juge Hughes dans la décision Abbott, Ratiopharm soutient qu’il suffit que l’article de Wenk montre que la bithérapie aurait une certaine utilité clinique. Selon Ratiopharm, il n’était pas nécessaire que l’état de la technique prédise que l’association des deux classes de médicaments aurait un effet synergique pour qu’il y ait antériorité.

 

[245]       Je n’accepte pas cette observation. Lorsqu’elle examine les questions d’évidence et de nouveauté, la Cour doit examiner l’invention « telle que revendiquée » : voir Ratiopharm Inc. c. Pfizer Ltd., 2009 CF 711, paragraphe 158. Comme je l’ai mentionné précédemment, l’invention revendiquée dans le brevet 492 consiste en l’utilisation d’une composition pharmaceutique synergique associant la mémantine et des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase pour le traitement du trouble cognitif léger ou de la démence légère, notamment la maladie d’Alzheimer. Bien que l’article de Wenk puisse avoir incité les inventeurs du brevet 492 à poursuivre leurs recherches, il ne donnait aucune indication de l’effet synergique de l’association des deux classes de médicaments.

 

[246]       La situation n’est pas la même que dans le cas du brevet 453. La mémantine était déjà utilisée à l’époque pour le traitement de la maladie d’Alzheimer, bien que personne n’ait compris son mécanisme d’action ou les raisons de son efficacité. Me fondant sur le raisonnement présenté dans la décision Abbott, j’ai conclu que la découverte du mécanisme d’action de la mémantine n’était pas nouvelle et que l’état de la technique, qui comportait la description de l’usage de la mémantine pour le traitement de la maladie d’Alzheimer, antériorisait le brevet 453.

 

[247]       En revanche, dans le cas du brevet 492, personne, pas même Wenk, n’a reconnu, voire prédit, que l’association de la mémantine et d’un inhibiteur de l’acétylcholinestérase produirait un effet synergique. Je suis donc convaincue que l’allégation de Ratiopharm selon laquelle l’article de Wenk antériorisait le brevet 492 n’est pas fondée.

 

Jain

[248]       L’article de Jain effectue une recension détaillée des études publiées sur l’utilisation de la mémantine en monothérapie. Ni analyse ni données ne sont fournies sur l’association de la mémantine et des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase dans le traitement de la maladie d’Alzheimer. La seule observation relative à la bithérapie dans cet article est la suivante :

[traduction] Comme l’hyperactivation des récepteurs NMDA peuvent être à la base de la dégénérescence des neurones cholinergiques, la mémantine (à titre d’antagoniste du récepteur NMDA) peut être un complément utile au traitement actuel [par les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase] de la [maladie d’Alzheimer]. L’utilité d’une telle association est évoquée par les données in vitro et il a été également établi que [les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase] ne perdent pas leur efficacité thérapeutique lorsqu’ils sont associés à la mémantine [renvoi à l’article de Wenk omis]. Il serait bon d’effectuer des essais cliniques où la mémantine serait associée à un [inhibiteur de l’acétylcholinestérase].

 

 

 

[249]       Comme c’était le cas dans l’article de Wenk, Jain évoque simplement la possibilité d’études cliniques futures. La personne versée dans l’art n’apprend pas de l’article de Jain qu’une bithérapie associant la mémantine et un inhibiteur de l’acétylcholinestérase serait un moyen efficace de traiter la maladie d’Alzheimer. L’article n’établit pas non plus que cette bithérapie exercerait un effet synergique. J’estime donc que l’article de Jain n’antériorise pas le brevet 492.

 

 

ii)         L’allégation de Ratiopharm sur l’évidence est‑elle fondée?

 

[250]       Ratiopharm soutient que même s’ils n’antériorisaient pas l’invention revendiquée par le brevet 492, les articles de Wenk et de Jain incitaient à effectuer des essais cliniques pour évaluer les bienfaits de l’association de la mémantine et d’un inhibiteur de l’acétylcholinestérase. Selon Ratiopharm, il était plus ou moins évident à la lumière de ces enseignements que ces médicaments pourraient et devraient être utilisés en association et pourraient procurer un bienfait aux humains.

 

[251]       De plus, la réalisation de ces essais cliniques ne comporterait aucune étape inventive. Des essais cliniques subséquents ont établi que la prédiction d’utilité faite dans l’étude de Wenk était valable. Par conséquent, les articles de Wenk et de Jain rendent évidente l’invention revendiquée par le brevet 492.

 

[252]       Comme je l’ai noté précédemment au sujet du brevet 453, la Cour d’appel fédérale a statué que l’expression « allant de soi » dans la locution « essai allant de soi » signifie « très clair » : voir l’arrêt Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CAF 8. Le critère n’est pas respecté dans le cas où l’état de la technique « aurait éveillé la personne versée dans l’art à la possibilité que quelque chose valait d’être tenté » : paragraphe 29, [non souligné dans l’original]. Le juge doit être convaincu, selon la prépondérance de la preuve, qu’il allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention : arrêt Sanofi, paragraphe 66.

 

[253]       Pour les motifs indiqués au sujet de la question de l’antériorité, je conclus que les allégations de Ratiopharm en ce qui concerne l’évidence ne sont pas fondées. Ni l’article de Wenk ni l’article de Jain, seuls ou combinés, ne décrivent de quelque manière l’effet synergique obtenu par l’association de la mémantine et de l’inhibiteur de l’acétylcholinestérase. Qui plus est, il n’était pas du tout évident au vu de ces éléments de l’état de la technique que la bithérapie produirait un effet synergique.

 

 

iii)        L’allégation de Ratiopharm sur l’utilité est‑elle fondée?

 

[254]       Ratiopharm reconnaît que le brevet 492 revendique l’utilisation alléguée nouvelle de deux médicaments connus – la mémantine et un des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase spécifiés – en association pour produire un effet thérapeutique synergique chez les humains. Ratiopharm allègue toutefois que le brevet est invalide en raison de l’absence d’une utilité établie ou prédite.

 

[255]       S’agissant de la prédiction d’utilité, les demanderesses font valoir dans leur mémoire des faits et du droit que si l’utilité n’avait pas été démontrée à la date pertinente, les inventeurs avaient néanmoins un fondement et un raisonnement valables pour étayer l’association synergique revendiquée.

 

[256]       Cependant, le Dr Herrmann et le Dr Gauthier ont convenu avec le Dr Pedersen, l’un des co‑inventeurs du brevet 492, que le brevet ne divulgue pas les faits et le raisonnement à partir desquels on pourrait déduire le résultat recherché. En fait, les demanderesses n’ont pas affirmé dans leurs observations orales que le brevet 492 renfermait les renseignements nécessaires pour satisfaire au critère tripartite de la prédiction valable formulé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt AZT. Les demanderesses font valoir, ce qui constitue le cœur de leur argumentation, que cela n’était pas nécessaire, l’utilité de l’invention revendiquée dans le brevet 492 ayant déjà été établie en date du 8 mai 2003.

 

[257]       Sur la question de l’utilité établie, Ratiopharm affirme qu’à la date de dépôt au Canada, soit le 8 mai 2003, il n’avait pas été établi que l’association de la mémantine et d’un inhibiteur de l’acétylcholinestérase exerçait vraiment un effet synergique qui serait utile dans le traitement du trouble cognitif léger ou de la démence.

 

[258]       Ratiopharm déclare également qu’en supposant même l’existence de cette démonstration, celle‑ci n’était pas divulguée dans le brevet 492, point que concèdent les Drs Herrmann, Gauthier et Pedersen. En l’absence de données établissant l’utilité dans le brevet, Ratiopharm allègue que le mémoire descriptif du brevet 492 est insuffisant et que le brevet est invalide pour inutilité.

 

[259]       Je n’ai pas besoin de décider s’il fallait que le brevet expose les données établissant l’utilité. Je suis en effet persuadée que l’utilité n’avait pas été établie au 8 mai 2003.

 

[260]       Comme je l’ai mentionné précédemment, le Dr Pedersen est l’un des co‑inventeurs du brevet 492. Il occupe également un poste de cadre supérieur au sein de l’entreprise H. Lundbeck A/S, ayant joint les rangs de la société en 2000 à titre de vice‑président à la recherche clinique. Le Dr Pedersen est devenu depuis le vice‑président exécutif au développement des médicaments de l’entreprise.

 

[261]       Dans son affidavit, le Dr Pedersen affirme qu’avant de travailler pour H. Lundbeck A/S, il s’intéressait à la mise au point d’anticancéreux. Selon son témoignage, l’expérience lui a appris que l’association de deux médicaments différents peut donner un résultat clinique plus bénéfique que l’usage exclusif de l’un ou de l’autre, à cause de l’interaction synergique positive entre les médicaments.

 

[262]       Le Dr Pedersen ajoute que cet aspect présentait un intérêt dans le cas du traitement de la maladie d’Alzheimer, car la cause de la maladie n’était pas connue, mais pouvait être multifactorielle. La mémantine et les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase s’attaquent à des causes sous‑jacentes différentes en utilisant des mécanismes d’action différents qui, selon lui, pourraient offrir des avantages très importants. S’il est vrai que les neurones dans le cerveau peuvent être en mesure de résister à la modulation d’un mécanisme pathogène induite par un médicament et ainsi neutraliser l’effet d’un médicament, il est beaucoup plus difficile pour les neurones d’agir de la sorte si deux mécanismes pathogènes différents sont modulés simultanément.

 

[263]       Le Dr Pedersen reconnaît qu’une bithérapie peut ne pas fonctionner pour plusieurs raisons, notamment la possibilité que les deux médicaments s’entrenuisent. Il souligne cependant que l’article de Wenk a déjà établi que certains inhibiteurs de l’acétylcholinestérase ne perdaient pas leur efficacité lorsqu’ils étaient associés à la mémantine. (À noter qu’on ne m’a signalé aucune recherche étudiant si l’inverse est également vrai, c’est‑à‑dire si la mémantine perd son efficacité lorsqu’elle est associée à un inhibiteur de l’acétylcholinestérase.)

 

[264]       Le Dr Pedersen affirme ensuite que ses connaissances relatives à la mémantine, au mécanisme d’action distinct et différent de la mémantine et des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase, son expérience passée des bithérapies utilisées dans le traitement du cancer et l’étude de Wenk l’ont amené à conclure que [traduction] « l’utilisation de la mémantine en association avec [des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase] chez les humains aurait un effet synergique en ce qu’il produirait des résultats supérieurs à ceux de l’un ou l’autre des deux médicaments utilisé isolément ».

 

[265]       J’ai deux observations à faire au sujet du témoignage du Dr Pedersen. La  première a trait à sa conclusion suivant laquelle une bithérapie associant la mémantine et un inhibiteur de l’acétylcholinestérase exercerait, prétend‑il, un effet synergique « en ce qu’il produirait des résultats supérieurs à ceux de l’un ou l’autre des deux médicaments utilisé isolément ».

 

[266]       La signification du terme « synergique » a été examinée précédemment dans les présents motifs. Comme je l’ai alors souligné, les parties reconnaissent que ce terme indique que la combinaison de deux médicaments procure un avantage supplémentaire qui surpasse la somme prévue des avantages fournis par les deux médicaments déjà connus. En termes arithmétiques, un effet synergique s’exprime de la façon suivante : « 1 + 1 = 3 ». Ce résultat diffère du simple effet additif obtenu lorsque deux médicaments combinés produisent de meilleurs résultats que ceux de l’un ou l’autre des deux médicaments utilisé isolément (en termes arithmétiques : « 1 + 1 = 2 »).

 

[267]       Bien que le Dr Pedersen utilise le terme « synergique » dans son affidavit, sa conclusion qu’une association de la mémantine et d’un inhibiteur de l’acétylcholinestérase « produirait des résultats supérieurs à ceux de l’un ou l’autre des deux médicaments utilisé isolément » décrit, semble‑t‑il, un effet additif, plutôt qu’un effet synergique.

 

[268]       Le Dr Pedersen comprenait bien la différence entre les effets additifs et synergiques, ayant discuté de cette différence lorsqu’il a été interrogé de nouveau. Même s’il a utilisé le terme « synergique » dans son affidavit, ce que son affidavit décrit en fait comme une prédiction d’interaction entre la mémantine et un inhibiteur de l’acétylcholinestérase est un effet additif, plutôt qu’un effet synergique.

 

[269]       Le second point que j’aimerais faire observer au sujet due témoignage du Dr Pedersen est le fait qu’il n’a fourni aucune preuve de quelque nature que ce soit de l’existence de données expérimentales issues des travaux d’un des co‑inventeurs établissant qu’une bithérapie associant la mémantine et un inhibiteur de l’acétylcholinestérase créait réellement un effet synergique.

 

[270]       Le seul élément de preuve fourni par le Dr Pedersen au sujet de la question de l’utilité figure dans son affidavit à la rubrique [traduction] « Confirmation de mon invention ». Il y examine une étude menée par Pierre Tariot (Pierre Tariot et al., « Memantine Treatment in Patients with Moderate to Severe Alzheimer Disease Already Receiving Donepezil » [Traitement par la mémantine de patients souffrant d’une maladie d’Alzheimer d’intensité modérée à grave qui reçoivent déjà du donépézil] (2004) 291 :3 JAMA). Selon lui, cette étude établit que la prédiction de la synergie alléguée était valable.

 

[271]       Le Dr Gauthier a reconnu qu’aucun avantage synergique associé à la bithérapie n’avait été établi avant la réalisation de l’étude de Tariot.

 

[272]       L’étude de Tariot a été financée par les Laboratoires Forest, Inc. et n’a été publiée qu’en 2004, après la date du dépôt au Canada du brevet 492. Toutefois le Dr Pedersen déclare qu’il a pris connaissance des résultats de l’étude de Tariot en juin 2002. En 2000, Merz avait conclu une entente avec H. Lundbeck pour effectuer des recherches sur la mémantine et son utilisation dans le traitement de la maladie d’Alzheimer. Une entente similaire a été négociée entre Merz et Forest, et des discussions ont eu lieu entre le personnel des trois entreprises au sujet des résultats de leurs recherches.

 

[273]       Lundbeck s’est servi de l’étude de Tariot pour obtenir son avis de conformité pour son produit à base de mémantine, EBIXA.

 

[274]       Selon le Dr Pedersen [traduction] « l’étude de Tariot a montré qu’une combinaison d’une posologie normalisée connue de mémantine et de donépézil [inhibiteur de l’acétylcholinestérase] était plus efficace dans le traitement de la maladie d’Alzheimer que l’utilisation exclusive du donépézil, ce qui concorde avec la conclusion de l’effet synergique de l’association ».

 

[275]       La question est donc de savoir si c’est vraiment ce que l’article de Tariot établissait.

 

[276]       Selon une recension du rapport publié, l’objectif de l’étude était de [traduction] « comparer l’efficacité et l’innocuité de la mémantine et d’un placebo chez les patients modérément ou gravement atteints [de la maladie d’Alzheimer] qui recevaient déjà un traitement stable de donépézil ». L’étude a porté sur 404 patients ayant reçu un diagnostic de maladie d’Alzheimer probable qui ont été sélectionnés en fonction de critères précis. Tous les sujets ont reçu une posologie stable de donépézil. La moitié des patients ont également reçu de la mémantine, et l’autre moitié un placebo.

 

[277]       Les conclusions des auteurs sont décrites succinctement dans le résumé de l’article :

[traduction] Chez les patients atteints d’une forme modérée à grave [de la maladie d’Alzheimer] qui reçoivent une posologie stable de donépézil, la mémantine a produit des résultats significativement meilleurs que le placebo lors d’évaluations de la capacité cognitive, des activités de la vie quotidienne, de l’état global et du comportement, et elle était bien tolérée. Ces résultats, combinés aux données d’études antérieures, semblent indiquer que la mémantine offre une nouvelle solution pour le traitement des patients atteints d’une forme modérée à grave [de la maladie d’Alzheimer].

 

 

 

[278]       L’article de Tariot souligne que les médicaments qui ciblent le système glutamatergique (tels que les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase) semblent jouer un rôle thérapeutique dans le traitement de la maladie d’Alzheimer. Les auteurs ajoutent que la mémantine peut bloquer les canaux des récepteurs NMDA, améliorant en théorie la capacité cognitive dans les états d’hyperstimulation glutamatergique.

 

[279]       Après avoir traité de la méthodologie utilisée et des données obtenues dans leur étude, les auteurs concluent ainsi leur article :

[traduction] Il est plausible que l’association du donépézil et de la mémantine, qui agissent sur des systèmes distincts de neurotransmetteurs, puisse conférer des avantages cliniques indépendants. Toutefois, compte tenu de l’interconnexion complexe des différents systèmes de neurotransmetteurs, un mécanisme synergique est également plausible. [non souligné dans l’original]

 

 

 

[280]       Il ressort ainsi clairement que l’étude de Tariot n’établissait pas réellement qu’un avantage synergique pourrait être obtenu de l’association de la mémantine et d’un inhibiteur de l’acétylcholinestérase comme le donépézil dans le traitement de la maladie d’Alzheimer. Un examen de l’article intégral montre que ce qu’a révélé l’étude, c’était que les patients traités par la mémantine et le donépézil ont obtenu de meilleurs scores que les patients ayant pris du donépézil et un placebo. On n’y conclut pas que l’association des deux types de médicaments a produit un effet synergique, mais plutôt que cet effet était simplement additif.

 

[281]       En effet, le paragraphe de conclusion cité ci‑dessus laisse entendre que dans l’esprit des auteurs de l’article, ces deux explications des résultats obtenus dans l’étude étaient également plausibles.

 

[282]       Le communiqué de presse publié par Forest en septembre 2002 pour annoncer les résultats de l’étude de Tariot est aussi révélateur. Bien qu’il fasse référence aux effets bénéfiques de la bithérapie par rapport à l’utilisation du donépézil en monothérapie pour le traitement de la maladie d’Alzheimer, aucune mention n’est faite d’un effet synergique produit par l’association des deux types de médicaments.

 

[283]       Reportons‑nous maintenant au témoignage du Dr Pedersen : il a déclaré dans son affidavit que [traduction] « l’étude de Tariot a montré qu’une combinaison d’une posologie normalisée connue de mémantine et de donépézil [inhibiteur de l’acétylcholinestérase] était plus efficace dans le traitement de la maladie d’Alzheimer que l’utilisation exclusive du donépézil, ce qui concorde avec la conclusion que l’association produit un effet synergique ». Cela est vrai jusqu’à un certain point. Toutefois, comme l’ont souligné eux‑mêmes les auteurs de l’article, les résultats de l’étude concordaient également avec la conclusion que l’association du donépézil et de la mémantine conférait des bienfaits cliniques indépendants, c’est‑à‑dire que la bithérapie avait un effet additif.

 

[284]       En contre‑interrogatoire, le Dr Pedersen a indiqué qu’un tableau dans l’article de Tariot (figure 2) révélait que l’effet relevé était [traduction] « supérieur à ce à quoi on pourrait s’attendre de la simple administration de ce type de traitement ». Les demanderesses soutiennent que cela prouve que l’article de Tariot a établi l’effet réellement synergique de l’utilisation de la bithérapie.

 

[285]       Si cette conclusion devait être tirée des données compilées dans l’étude de Tariot, les auteurs n’auraient‑ils pas claironné une découverte aussi importante dans leur article? D’autant plus que, comme les demanderesses l’ont souligné dans leur argumentation, la maladie d’Alzheimer est une maladie terrible incurable pour laquelle il n’existe aucun remède connu, situation propre à stimuler les chercheurs en quête d’un traitement contre cette maladie.

 

[286]       En fait, les auteurs de l’article ont pu tout au plus affirmer qu’un effet synergique de la bithérapie était une explication [traduction] « plausible » des résultats de l’étude, bien qu’il y ait une seconde explication [traduction] « plausible », à savoir que l’association du donépézil et de la mémantine [traduction] « confé[rait] des bienfaits cliniques indépendants ». Comme je l’ai signalé précédemment, il semble que les auteurs aient considéré les deux explications comme également plausibles, car rien n’indique dans la conclusion de l’article qu’une explication soit plus probable ou [traduction] « plausible » que l’autre.

 

[287]       Le Dr Herrmann s’est également penché sur l’article de Tariot dans un de ses affidavits, affirmant que celui‑ci [traduction] « milite fortement en faveur de la prédiction d’un effet synergique de la bithérapie ». Le Dr Herrmann fait également remarquer qu’en date de janvier 2009, l’étude de Tariot était le seul essai clinique publié d’évaluation de l’efficacité de la bithérapie dans les cas de maladie d’Alzheimer d’intensité modérée à grave. Cet essai représentait donc une bonne part de la justification du recours à la bithérapie.

 

[288]       Il est cependant très intéressant d’examiner de près les propos textuels tenus par le Dr Herrmann dans son affidavit concernant les enseignements de l’étude de Tariot qui, selon lui, appuyait fortement la prédiction d’un effet synergique de la bithérapie.

 

[289]       Le Dr Herrmann a affirmé que l’étude de Tariot établissait que [traduction] « l’association de la mémantine et du donépézil était plus efficace pour traiter la maladie d’Alzheimer que l’utilisation exclusive du donépézil ». Il a également déclaré que [traduction] « les résultats présentés dans l’article de Tariot donnent fortement à penser que la bithérapie est également plus efficace que la monothérapie [par la mémantine exclusivement] ».

 

[290]       Encore une fois, cela est vrai jusqu’à un certain point.

 

[291]       À ma connaissance, Ratiopharm ne conteste pas le fait que le traitement des formes modérées à graves de la maladie d’Alzheimer par la mémantine et le donépézil puisse avoir un effet additif et produire ainsi un meilleur résultat que le traitement exclusif par la mémantine ou le donépézil.

 

[292]       La question n’est pas toutefois de savoir si l’association des deux médicaments produit un meilleur résultat, mais si ce résultat supérieur est attribuable à un effet synergique et non pas simplement à un effet additif. En déclarant que l’étude de Tariot établit que [traduction] « l’association de la mémantine et du donépézil était plus efficace pour traiter la maladie d’Alzheimer que l’utilisation exclusive du donépézil », le Dr Herrmann n’affirme pas que l’article de Tariot établit l’effet synergique de l’utilisation de la bithérapie, et l’article ne le dit pas non plus.

 

[293]       Enfin, les demanderesses soutiennent que Ratiopharm a fait appel au Dr Sadavoy pour déclarer que l’article de Tariot antériorisait l’invention revendiquée par le brevet 492. Selon les demanderesses, l’étude ne pouvait pas antérioriser l’invention si elle n’établissait pas que la bithérapie produisait un effet synergique.

 

[294]       Un examen de l’affidavit du Dr Sadavoy révèle qu’il a en fait déclaré que l’étude de Tariot concluait que les patients atteints d’une forme modérée à grave de la maladie d’Alzheimer et soignés par la bithérapie obtenaient de meilleurs résultats que ceux qui prenaient du donépézil et un placebo. Par conséquent, la prédiction du traitement de la maladie d’Alzheimer par une association de mémantine et de donépézil aurait été largement connue avant la date pertinente. L’affidavit du Dr Sadavoy ne dit pas que l’article de Tariot enseigne que l’utilisation de la mémantine en association avec le donépézil produirait un effet synergique

 

[295]       En interprétant le brevet 492, j’ai conclu que chacune des revendications visées comporte comme élément essentiel la production d’un effet synergique par chacune des compositions revendiquées. J’ai aussi conclu que le brevet 492 ne renferme pas les renseignements nécessaires pour satisfaire au critère tripartite de la prédiction valable exposé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt AZT. Enfin, j’ai conclu que l’utilité de l’invention revendiquée dans le brevet 492 n’avait pas été établie au 8 mai 2003.

 

[296]       Par conséquent, je conclus que l’allégation de Ratiopharm touchant l’inutilité est justifiée à l’égard du brevet 492.

 

[297]       Sans y être strictement tenue, je traiterai à titre subsidiaire la dernière attaque de Ratiopharm à l’encontre de la validité du brevet 492, au cas où une cour de révision adopterait une position différente sur la question de l’utilité.

 

iv)        Y a‑t‑il eu absence de bonne foi dans l’instruction?

 

[298]       L’alinéa 73(1)a) de la Loi sur les brevets prévoit que la demande de brevet est considérée comme abandonnée si le demandeur omet, notamment, « de répondre de bonne foi, dans le cadre d’un examen, à toute demande de l’examinateur, dans les six mois suivant cette demande ou dans le délai plus court déterminé par le commissaire ».

 

[299]       Ratiopharm affirme que les agents de brevets des demanderesses n’ont pas révélé de façon complète, franche et équitable l’importance de l’article de Wenk. Autrement dit, Ratiopharm affirme que les demanderesses, en réponse à une demande de l’examinateur de brevets, ont déclaré de façon inexacte que les éléments de l’état de la technique [traduction] « décourageaient » l’association de la mémantine et d’un inhibiteur de l’acétylcholinestérase pour le traitement de la maladie d’Alzheimer.

 

[300]       Ratiopharm insiste sur le fait qu’elle n’allègue pas que les demanderesses ont agi de mauvaise foi; elle fait valoir que les déclarations ci‑dessus constituaient un défaut de communiquer de bonne foi avec l’examinateur. Par conséquent, Ratiopharm dit que la Cour devrait considérer la demande de brevet comme abandonnée.

 

[301]       Pour comprendre l’argumentation de Ratiopharm, il faut comprendre la suite des événements qui ont mené à la délivrance du brevet 492.

 

[302]       La demande de brevet a été déposée au Canada le 8 mai 2003; elle revendiquait la priorité d’une demande danoise de brevet déposée le 31 mai 2002. Dans une demande d’observation des conditions datée du 12 novembre 2003, l’examinateur du brevet a dit qu’à son avis, les revendications au dossier ne satisfaisaient pas à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets. Selon l’examinateur, l’objet des revendications aurait été évident, à la date de la revendication, à la personne versée dans l’art.

 

[303]       L’examinateur de brevets a souligné que les revendications concernaient l’agrégation de deux types connus de composés et qu’il n’y avait aucune invention dans la combinaison de deux composés connus, à moins que l’usage soit nouveau. Comme l’utilisation des composés, pris isolément, était déjà connue dans l’état de la technique, l’association des deux composés pour les mêmes fins serait évidente, [traduction] « à moins qu’il y ait un résultat nouveau et inattendu ». L’examinateur de brevets a ajouté qu’il n’y avait [traduction] « aucune preuve » de l’effet synergique des deux composés dans le traitement du trouble cognitif léger ou de la démence.

 

[304]       Conformément aux dispositions de l’article 29 de la Loi sur les brevets, l’examinateur de brevet a demandé à la demanderesse [traduction] « d’identifier tous les éléments de l’état de la technique cités à l’égard des demandes de brevet déposées aux États‑Unis et auprès du Bureau européen des brevets ».

 

[305]       Par lettre datée du 14 octobre 2004, les agents de brevet canadiens de H. Lundbeck A/S ont répondu à cette demande en signalant qu’il n’y avait pas de demande de brevet correspondante en instance aux États‑Unis ou devant le Bureau européen des brevets. Dans leur réponse, ils ont néanmoins mentionné deux documents cités dans le Rapport de recherche internationale, dont l’article Wenk examiné précédemment dans les présents motifs.

 

[306]       La réponse des agents de brevet ne dit rien au sujet de la pertinence de l’article Wenk et elle ne fournit pas, à ce moment, de copie de l’article à l’examinateur de brevet.

 

[307]       Le 11 mars 2005, l’examinateur de brevet envoie une autre demande d’observation des conditions. Il y réitère sa préoccupation touchant l’évidence de l’invention revendiquée. Il déclare plus précisément que [traduction] « la demanderesse n’a pas établi que son association produisait un résultat unitaire et n’était pas la simple addition des effets de deux médicaments connus ». L’examinateur de brevet a donc ajouté qu’à son avis, [traduction] « l’objet de ces revendications aurait été évident à la personne versée dans l’art […] eu égard aux éléments de la technique cités par la demanderesse dans sa description ».

 

[308]       Les agents de brevet ont répondu à la seconde demande d’observation des conditions le 20 mars 2006. C’est cette réponse, affirme Ratiopharm, qui ne fait pas preuve de la bonne foi nécessaire.

 

[309]       La réponse des agents de brevets comportait l’affirmation suivante :

[traduction] […] Afin d’évaluer l’originalité de la présente invention, il importe de bien mesurer les connaissances que posséderait la personne versée dans l’art au moment du dépôt de la présente demande. Il est donc capital de noter qu’à cette époque, l’état de la technique comprenait de nombreux articles qui mettaient en garde contre l’association des antagonistes des récepteurs NMDA et des inhibiteurs de l’AChE [ou acétylcholinestérase] parce que les antagonistes des récepteurs NMDA atténuaient l’effet des inhibiteurs de l’AChE, c.‑à‑d. les antagonistes des récepteurs NMDA rendaient les inhibiteurs de l’AChE inefficaces […] [non souligné dans l’original]

 

 

 

[310]       Les agents font ensuite état d’un article publié dans (1989) 28 J. Toxicol. Environ. Hlth., aux pages 111 à 122, qui indiquait que la mémantine atténuait l’action inhibitrice d’un inhibiteur de l’acétylcholinestérase appelé carbofuran. Ils font également référence à un article paru dans (1991) 24 Drug Dev. Res., aux pages 329 à 341, qui concluait que la mémantine atténuait l’inhibition de l’acétylcholinestérase par un inhibiteur de l’acétylcholinestérase réversible appelé aldicarb. Un troisième article publié dans (1992) 112 Toxicol. Appl. Pharmacol., aux pages 95‑103, a établi que la mémantine atténuait l’inhibition de l’acétylcholinestérase par un autre inhibiteur de l’acétylcholinestérase réversible, le soman. Enfin, un article publié dans (1996) 48 J. Pharm. Pharmacol., aux pages 71 à 76, a montré qu’un autre antagoniste du récepteur NMDA, à savoir le (+)-5-méthyl-10, 11-dihydro-5H-dibenzocycloheptène-5,10-imine maléate, atténuait l’inhibition de l’acétylcholinestérase par un inhibiteur de l’acétylcholinestérase appelé diisopropyle fluorophosphate (ou DFP).

 

[311]       Les agents de brevets ajoutent que dans ce contexte :

[traduction] Il aurait donc été contraire au bon sens et nettement improbable que, compte tenu de l’état de la technique au moment du dépôt, la personne versée dans l’art ait été incitée à combiner un antagoniste du récepteur NMDA et un inhibiteur de l’AChE pour obtenir la composition revendiquée. En fait, compte tenu de l’état de la technique, selon lequel les antagonistes des récepteurs NMDA atténuaient l’effet des inhibiteurs de l’AChE, il n’était pas évident pour la personne versée dans l’art d’en arriver à la présente invention. De fait, l’état de la technique décourage clairement l’association d’un antagoniste du récepteur NMDA et d’un inhibiteur de l’AChE, telle qu’elle est revendiquée dans la présente demande. [non souligné dans l’original]

 

 

 

[312]       Les agents en arrivent ensuite à la conclusion suivante :

[traduction] Les demanderesses sont donc d’avis que les enseignements contenus dans l’état global de la technique n’auraient pas incité la personne versée dans l’art, confrontée au problème de la formulation d’une composition pour le traitement du trouble cognitif léger ou de la démence, à mettre au point la présente composition; par conséquent, les revendications au dossier ne sont pas évidentes au regard de l’état de la technique. Nous nous permettons donc de solliciter le retrait de cette objection. [non souligné dans l’original]

 

 

 

[313]       Ratiopharm soutient que la demanderesse a contrevenu à son devoir de bonne foi en ne soulignant pas à l’examinateur de brevets l’importance de l’article de Wenk qui, rappelons‑le, indiquait que si certains inhibiteurs de l’acétylcholinestérase perdaient effectivement leur effet thérapeutique lorsqu’ils étaient associés à la mémantine, d’autres le conservaient. Plus particulièrement, l’article de Wenk a montré que l’effet neutralisant de la mémantine se limitait aux inhibiteurs de l’acétylcholinestérase « irréversibles » tels que le DFP, et que d’autres inhibiteurs de l’acétylcholinestérase « réversibles » comme le donépézil, le THA (chlorhydrate de tacrine) et la galantamine ne perdaient pas leur effet thérapeutique lorsqu’ils étaient utilisés en association avec la mémantine.

 

[314]       Les demanderesses nient avoir une obligation de franchise dans l’instruction d’une demande de brevet au Canada. Elles citent la décision Janssen-Ortho Inc. c. Apotex Inc., [2008] A.C.F. n° 936, 2008 CF 744, à l’appui de cette prétention.

 

[315]       Les demanderesses soulignent également que l’article Wenk avait déjà été porté à la connaissance de l’examinateur de brevet dans la lettre des agents de brevet du 4 octobre 2004. Comme l’article Wenk était déjà connu de l’examinateur, les demanderesses soutiennent qu’elles n’avaient pas besoin d’en discuter plus amplement.

 

[316]       La première question à trancher est de savoir si les demanderesses sont tenues par une obligation de franchise dans l’instruction des demandes de brevet au Canada.

 

[317]       Pour y répondre, il y a lieu de faire deux observations concernant la décision Janssen‑Ortho sur laquelle se fondent les demanderesses. La première est que la décision de la Cour fédérale a été ultérieurement infirmée par la Cour d’appel fédérale, encore que sans observation sur la question de la bonne foi : voir l’arrêt [2009] A.C.F. n° 730, 2009 CAF 212.

 

[318]       Point plus important toutefois, le brevet attaqué dans la décision Janssen‑Ortho avait été délivré le 23 juin 1992. La demande relative à ce brevet était donc assujettie à la Loi sur les brevets dans sa version antérieure à 1996, qui ne comportait pas de disposition comparable à l’alinéa 73(1)a) de la Loi actuelle. Cette décision est par conséquent peu utile en l’espèce.

 

[319]       En outre, l’alinéa 73(1)a) de la Loi sur les brevets actuelle impose explicitement au demandeur de brevet l’obligation de « répondre de bonne foi, dans le cadre d’un examen, à toute demande de l’examinateur ». Par conséquent, il est clair qu’à l’heure actuelle les demanderesses sont tenues par une obligation de franchise dans l’instruction d’une demande de brevet au Canada.

 

[320]       Les parties conviennent que la seule jurisprudence concernant la portée de l’alinéa 73(1)a) se résume à la décision G.D. Searle & Co. c. Novopharm Ltd., 2007 CF 81, 56 C.P.R. (4th) 1 de la Cour fédérale et à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale qui l’infirme : voir 2007 CAF 173, 58 C.P.R. (4th) 1.

 

[321]       Dans l’affaire G.D. Searle, on avait allégué que le brevet visé avait été abandonné en vertu de l’alinéa 73(1)a) de la Loi sur les brevets parce que Searle avait induit en erreur le Bureau canadien des brevets au cours de l’instruction de la demande de brevet. Novopharm alléguait le manquement à l’obligation de bonne foi à deux égards. Premièrement, les demanderesses avaient affirmé que le Bureau européen des brevets avait autorisé des revendications identiques aux revendications 1 à 16 du brevet attaqué dans l’instruction de la demande de brevet alors que le Bureau européen des brevets n’avait en fait autorisé que les revendications 1 à 8.

 

[322]       La seconde allégation de manquement à l’obligation de bonne foi concernait le traitement fait par les demanderesses de certains renseignements désignés comme la « référence à Matsuo ». À ce sujet, le juge Hughes a conclu que Searle n’avait pas révélé les renseignements obtenus des tests réalisés sur certains des composés de Matsuo, alors que ces résultats avaient été communiqués par un employé de Searle lors d’une conférence scientifique et dans un article scientifique.

 

[323]       Le juge Hughes a statué que la prétention selon laquelle les revendications 1 à 16 des demandes de brevet européen avaient été autorisées ne justifiait pas de conclure à l’abandon de la demande de brevet pour défaut de bonne foi, mais que la référence à Matsuo dans l’état de la technique le justifiait.

 

[324]       Point plus important à l’égard de la présente affaire, le juge Hughes a fait observer ce qui suit :

[72] Le brevet est un monopole que le demandeur recherche volontairement : il n’y est pas obligé. La demande de brevet est dans les faits une procédure ex parte, c’est‑à‑dire un dialogue engageant seulement le demandeur et l’examinateur du Bureau des brevets. Par ailleurs, la Loi sur les brevets établit une présomption de validité du brevet lorsqu’il est délivré.

 

[73] Le brevet n’est pas délivré à seule fin d’offrir à un membre du public la possibilité d’en contester la validité;Le demandeur de brevet est tenu d’agir de bonne foi dans ses rapports avec le Bureau des brevets. La demande de brevet comprend un mémoire descriptif et des projets de revendications. Le mémoire descriptif constitue la divulgation en contrepartie de quoi est octroyé le monopole défini par les revendications. Cette divulgation, pour reprendre les termes de la Cour suprême, doit être complète, franche et impartiale. Des renseignements complémentaires peuvent être communiqués au cours du dialogue avec l’examinateur du Bureau des brevets. Depuis au moins le 1er octobre 1996, l’obligation de bonne foi est applicable aux rapports avec l’examinateur. On attend du demandeur une divulgation complète, franche et impartiale. Ce dernier a toute possibilité, au cours de la poursuite de sa demande, de communiquer des renseignements complémentaires, ainsi que de corriger les inexactitudes ou de combler les lacunes de ses déclarations antérieures. Il n’est ni déraisonnable ni excessivement sévère de la part de la Cour de considérer la demande, et par suite le brevet, comme ayant été abandonnés si, après la délivrance de celui‑ci, elle déclare la divulgation entachée de mauvaise foi.

 

 

[325]       Le juge Hughes a ajouté au paragraphe 77 de la décision G.D. Searle : « Le point essentiel est que la demanderesse aurait dû déclarer tous les faits pertinents dans la demande de brevet même et les communiquer au Bureau des brevets, de manière à permettre à l’examinateur d’évaluer cette demande en complète connaissance de cause et, le cas échéant, d’exiger la modification ou l’annulation d’éléments du mémoire descriptif ou de l’une ou l’autre des revendications proposées. »

 

[326]       Le défaut de Searle de divulguer complètement et avec franchise les circonstances entourant les tests sur les composés de Matsuo a incité le juge Hughes à conclure que Searle n’avait fait preuve de bonne foi, ni au moment du dépôt de sa demande de brevet auprès du Bureau canadien des brevets, ni dans ses réponses à l’examinateur du Bureau des brevets portant sur Matsuo. Par conséquent, le juge Hughes a conclu à l’abandon de la demande.

 

[327]       La Cour d’appel fédérale a infirmé la décision. Elle a statué que la conclusion du juge Hughes, à savoir que Searle n’était pas la demanderesse à une date donnée, n’était pas étayée par le dossier, toute la preuve documentaire établissant que Searle était la demanderesse. À cet égard, la communication faite par un représentant de Searle au cours d’une conférence scientifique tombait dans le délai de grâce d’un an prévu à l’alinéa 28.3a) de la Loi sur les brevets. Par conséquent, la divulgation faite à la conférence n’a pas été prise en considération à l’égard de l’évidence.

 

[328]       Il s’ensuivait que les révélations de l’employé de Searle à la conférence n’avaient pas besoin d’être divulguées à l’examinateur. Par conséquent, on n’a pas considéré qu’il y avait abandon en l’occurrence.

 

[329]       Point qui mérite d’être souligné, la Cour d’appel fédérale, bien qu’elle ait conclu différemment sur les faits de l’espèce dans l’arrêt G.D. Searle, n’a pas contesté la revue du droit du juge Hughes sur l’obligation de bonne foi dans l’instruction des demandes de brevet. Je considère la revue du juge Hughes comme une vue d’ensemble exacte des obligations imposées au demandeur de brevet. Je suis particulièrement d’accord avec l’analogie qu’il établit entre la demande de brevet et la procédure ex parte.

 

[330]       Le droit en matière de procédure ex parte est bien établi. La partie qui demande un redressement ex parte est tenue de veiller à ce que la Cour soit saisie de tous les faits pertinents. Comme l’a noté le juge Sharpe dans la décision United States of America c. Friedland, [1996] O.J. No. 4399, (C. J. Ont. (Div. gén.)), le juge qui instruit une requête ex parte et la partie à l’encontre de laquelle l’ordonnance est demandée sont littéralement [traduction] « à la merci » de la partie qui demande le redressement visé.

 

[331]       Le juge Sharpe a poursuivi en faisant observer au paragraphe 26 de la décision Friedland que dans une procédure ex parte [traduction] « les contrepoids habituels du système contradictoire ne jouent pas ». C’est la raison pour laquelle le droit exige, dans le cas où une partie demande un redressement ex parte, que cette partie fasse plus que présenter simplement son dossier sous le meilleur éclairage possible, ce qui serait le cas si la partie adverse était présente. Le demandeur doit établir le bien‑fondé de sa cause équitablement et il doit renseigner la Cour sur tous les points de fait ou de droit à sa connaissance qui jouent en faveur de la partie adverse : décision Friedland, au paragraphe 27.

 

[332]       Après avoir attentivement examiné l’échange de correspondance entre les agents de brevet des demanderesses et l’examinateur de brevet, j’ai conclu que les demanderesses n’ont pas répondu de bonne foi à la demande de l’examinateur reliée à son examen. Les motifs de ma conclusion sont les suivants.

 

[333]       L’examinateur de brevets était clairement préoccupé par la question de l’évidence lorsqu’il a évalué la demande à l’origine du brevet 492. Il a exprimé notamment certaines réserves, car l’utilisation des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase et de la mémantine pour le traitement du trouble cognitif léger ou de la démence était déjà connue dans l’état de la technique.

 

[334]       Dans leur réponse datée du 20 mars 2006, les agents de brevets des demanderesses ont informé l’examinateur de brevets qu’à la date pertinente, il existait de nombreux articles dans l’état de la technique qui mettaient en garde contre l’association d’antagonistes des récepteurs NMDA et d’inhibiteurs de l’acétylcholinestérase vu l’atténuation de l’effet des inhibiteurs par les antagonistes des récepteurs NMDA.

 

[335]       Les agents de brevets donnent ensuite quatre exemples précis, pris dans l’état de la technique, qui en venaient à cette conclusion. Il importe de noter que les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase considérés dans les quatre articles en question étaient le carbofuran, l’aldicarb, le soman et le DFP.

 

[336]       Les agents de brevets ont indiqué : [traduction] « Compte tenu de l’état de la technique au moment du dépôt », il aurait été [traduction] « contraire au bon sens et nettement improbable » que la personne versée dans l’art ait été incitée à combiner un antagoniste du récepteur NMDA et un inhibiteur de l’acétylcholinestérase pour obtenir la composition revendiquée. Les agents de brevets vont même jusqu’à dire : [traduction] « De fait, les éléments de l’état de la technique découragent clairement l’association d’un antagoniste du récepteur NMDA et d’un inhibiteur [de l’acétylcholinestérase], telle qu’elle est revendiquée dans la présente demande ». [non souligné dans l’original]

 

[337]       Les agents de brevets concluent en disant que [traduction] « les enseignements contenus dans l’état global de la technique » n’auraient pas incité la personne versée dans l’art [traduction] « à mettre au point la présente composition », ce qui signifie que l’invention revendiquée n’était pas évidente.

 

[338]       Rappelons que le brevet 492 revendiquait l’utilisation de la mémantine en association avec un ou plusieurs inhibiteurs de l’acétylcholinestérase spécifiquement identifiés. Les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase identifiés dans le brevet sont la tacrine, le donépézil, la rivastigmine et la galantamine, ou des mélanges de ces substances. Le carbofuran, l’aldicarb, le soman ou le DFP n’étaient pas mentionnés dans la demande. C’est donc dire qu’aucun des éléments de l’état de la technique auxquels les agents de brevets ont fait référence dans leur réponse du 20 mars 2006 à la requête ne concernait directement l’invention revendiquée par le brevet 492.

 

[339]       La seule étude qui traitait directement des conséquences de l’usage de la mémantine en association avec la tacrine, le donépézil, la rivastigmine ou la galantamine était celle de Wenk. L’article de Wenk a montré que si certains inhibiteurs de l’acétylcholinestérase « irréversibles » tels que le DFP perdaient leur effet thérapeutique lorsqu’ils étaient associés à la mémantine, d’autres inhibiteurs de l’acétylcholinestérase « réversibles » comme le donépézil, la tacrine et la galantamine le conservaient.

 

[340]       En d’autres termes, les agents de brevets des demanderesses ont fourni à l’examinateur de brevets quatre éléments moins pertinents de l’état de la technique qui « décourageaient » l’exploration de l’invention, et n’ont pas mentionné la seule étude directement pertinente qui en venait à la conclusion opposée.

 

[341]       Le témoignage du Dr Pedersen lui‑même indique bien que la réponse du 20 mars 2006 ne représente pas de façon exacte ou juste l’état de la technique à l’époque pertinente. Le Dr Pedersen a déclaré au paragraphe 19 de son affidavit :

[traduction] Les bithérapies ne sont pas toujours efficaces. Par exemple, on risque que l’association de deux médicaments soit contre‑productive, neutralisant ou réduisant l’efficacité d’un ou des deux médicaments. Toutefois, en 2002, des données montraient qu’un tel effet neutralisant ne devrait pas survenir lorsque la mémantine était associée à des [inhibiteurs de l’acétylcholinestérase]. Plus particulièrement, je connaissais à l’époque l’existence d’une étude publiée par Wenk intitulée « No Interaction of Memantine with Acetylcholinesterase Inhibitors Approved for Clinical Use » [citation omise]. L’étude de Wenk était une étude de petite envergure effectuée sur des cerveaux de rats, et les auteurs en sont arrivés à la conclusion que trois [inhibiteurs de l’acétylcholinestérase] différents (donépézil, [tacrine] et galantamine) ne perdaient pas leur efficacité thérapeutique lorsqu’ils étaient associés à la mémantine. [non souligné dans l’original]

 

 

 

[342]       En effet, le Dr Pedersen a lui‑même témoigné que l’article de Wenk [traduction] « fournissait essentiellement des motifs légitimes pour aller de l’avant et [vérifier] de plus près cette hypothèse ».

 

[343]       Les demanderesses mentionnent également la référence faite par les agents de brevets dans leur réponse du 20 mars 2006 aux [traduction] « enseignements contenus dans l’état global de la technique », soulignant qu’il n’a pas été établi que l’état de la technique concluait invariablement à l’impossibilité de combiner la mémantine à un inhibiteur de l’acétylcholinestérase sans atténuer l’effet de cet inhibiteur.

 

[344]       Je n’accepte pas cette argumentation. La référence aux [traduction] « enseignements contenus dans l’état global de la technique » doit être considérée à la lumière des autres affirmations figurant dans la réponse du 20 mars 2006 à la requête, notamment qu’il aurait été [traduction] « contraire au bon sens et nettement improbable » que la personne versée dans l’art ait été incitée à combiner un antagoniste du récepteur NMDA et un inhibiteur de l’acétylcholinestérase [traduction] « compte tenu de l’état de la technique au moment du dépôt ». Ce n’est tout simplement pas le cas ici, vu que l’article de Wenk était très certainement accessible au moment du dépôt.

 

[345]       Qui plus est, les agents de brevets sont même allés jusqu’à dire que « les éléments de l’état de la technique découragent clairement » l’association d’un antagoniste du récepteur NMDA et d’un inhibiteur de l’acétylcholinestérase, telle qu’elle est revendiquée dans la demande. Cette affirmation n’est pas une représentation exacte des enseignements tirés de l’état de la technique, en ce qu’il s’agit de l’association de la mémantine avec les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase spécifiquement identifiés dans la demande à l’origine du brevet 492.

 

[346]       Les demanderesses signalent aussi que l’étude de Wenk avait été expressément identifiée par les agents de brevet dans leur lettre du 4 octobre 2004 comme l’un des deux documents qui avaient été cités dans le Rapport de recherche internationale. Selon les demanderesses, comme l’existence de l’étude de Wenk avait été divulguée à l’examinateur de brevet, il n’était pas nécessaire d’en parler plus amplement. Par conséquent, on ne pouvait dire qu’il y avait eu un manque de franchise de la part des demanderesses.

 

[347]       À mon avis, cette observation n’aide pas non plus les demanderesses. Le fait que l’étude de Wenk puisse avoir été identifiée par les agents de brevet des demanderesses dans une lettre antérieure ne change rien au fait que les déclarations figurant dans la réponse du 20 mars 2006 à la demande d’observation des conditions ne donnaient pas une description complète et juste des enseignements figurant dans l’état de la technique.

 

[348]       Enfin, les demanderesses soutiennent que Wenk ne parle pas de l’effet synergique issu de l’association de la mémantine à un inhibiteur de l’acétylcholinestérase. À cet égard, elles disent que Wenk n’avait rien à voir avec l’invention revendiquée dans le brevet 492 et que l’étude n’avait pas une importance telle que le défaut d’en faire mention correspondait à l’absence de bonne foi.

 

[349]       Je n’accepte pas non plus cette observation.

 

[350]       Il est vrai que Wenk ne dit rien de l’effet synergique issu de l’association de la mémantine à un inhibiteur de l’acétylcholinestérase. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai conclu que Wenk n’antériorisait pas le brevet 492 et ne le rendait pas évident. Toutefois, rien ne suggère qu’aucune des quatre études citées par les agents de brevet des demanderesses dans leur réponse du 20 mars 2006 à la demande d’observation des conditions ne mentionnait quoi que ce soit sur l’effet synergique susceptible d’être obtenu par l’association de la mémantine à un inhibiteur de l’acétylcholinestérase. Néanmoins, il était clair pour les agents de brevet que ces articles étaient pertinents et utiles pour répondre aux préoccupations de l’examinateur de brevet au sujet de l’évidence. Les agents de brevet sont même allés jusqu’à dire que les articles étaient [traduction] « d’une importance capitale » pour la question visée.

 

[351]       Si les quatre études citées par les agents de brevet étaient [traduction] « d’une importance capitale » à l’égard de la question de l’évidence, l’étude de Wenk était certainement d’une importance plus grande encore étant donné qu’elle était beaucoup plus pertinente qu’aucune des quatre études citées par les agents de brevet dans leur réponse.

 

[352]       Comprendre correctement l’état de la technique est nettement critique dans l’examen d’un brevet. L’obligation de bonne foi prescrite par l’alinéa 73(1)a) de la Loi sur les brevets postérieure à 1996 commande que l’état de la technique soit complètement et équitablement décrit par les demanderesses et leurs agents lorsqu’ils répondent aux demandes d’observation des conditions du Bureau des brevets. Cela ne s’est pas produit en l’espèce et je conclus donc que l’allégation d’abandon de Ratiopharm est justifiée.

 

c)         La contrefaçon

 

[353]       Rappelons que Ratiopharm demande un avis de conformité pour pouvoir vendre son propre produit à base de mémantine. Elle ne cherche pas à vendre une composition pharmaceutique qui associe la mémantine à un ou plusieurs inhibiteurs de l’acétylcholinestérase. Ainsi, selon elle, son produit ne comporte pas d’association synergique entre deux compositions pharmaceutiques, de sorte qu’il n’y aura pas contrefaçon du brevet 492.

 

[354]       Les demanderesses n’allèguent pas que Ratiopharm contrefera elle‑même le brevet 492. Elles disent plutôt que Ratiopharm incitera ou aidera d’autres personnes à contrefaire le brevet.

 

[355]       Comme l’a fait observer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sanofi‑Aventis Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2007 CAF 167, 59 C.P.R. (4th) 24 (Sanofi‑Aventis), il est possible qu’un fabricant de médicaments génériques comme Ratiopharm soit impliqué dans la contrefaçon d’un brevet par d’autres personnes, si le fabricant de médicaments génériques incite à la contrefaçon : voir l’arrêt Sanofi‑Aventis au paragraphe 11.

 

[356]       La Cour a conclu que la contrefaçon par incitation peut être établie par divers moyens. L’un de ces moyens est d’inférer raisonnablement la contrefaçon du contenu de la monographie du médicament générique. On peut également établir la contrefaçon par incitation par des éléments de preuve reliés à la forme posologique du produit générique, à son étiquetage ou à sa mise en marché : arrêt Sanofi‑Aventis au paragraphe 11.

 

[357]       Toutefois, la Cour a prévenu que l’incitation à la contrefaçon ne peut généralement pas s’inférer de la simple mention d’une nouvelle utilisation particulière dans la monographie de produit, par exemple dans l’explication des contre‑indications ou des interactions médicamenteuses, ou dans une bibliographie scientifique : arrêt Sanofi‑Aventis au paragraphe 11.

 

[358]       L’argumentation des demanderesses touchant l’incitation reposait pour une bonne part sur la monographie du produit proposé à base de mémantine de Ratiopharm. Selon les demanderesses, il est clair dans la monographie que l’objectif de Ratiopharm est d’utiliser son produit à base de mémantine en association avec des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase, ce qui contreferait le brevet 492.

 

[359]       Les demanderesses ont également annexé ce qu’on pourrait appeler une « analyse de rentabilité » à l’appui de leur argumentation que le produit ratio‑MEMANTINE de Ratiopharm contrefera inévitablement le brevet 492. Je me pencherai d’abord sur ce dernier type de preuve.

 

[360]       Patrick Cashman est président de Lundbeck. Il déclare dans son affidavit que sur le marché canadien, la mémantine est utilisée en très grande partie pour la bithérapie. En effet, les données de Lundbeck relatives aux ventes révèlent que 63,6 % des ordonnances d’EBIXA au Canada prévoient que ce médicament soit pris en association avec des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase. Cela dit, M. Cashman reconnaît qu’il reste encore un marché pour la mémantine prise en monothérapie et que les ventes de mémantine utilisées dans le cadre d’une monothérapie ont de fait augmenté légèrement en 2008 par rapport à 2007.

 

[361]       D’après d’autres témoins, la mémantine serait même plus souvent utilisée en bithérapie. Par exemple, le Dr Herrmann a déclaré que jusqu’à 75 % de ses patients traités par la mémantine prenaient également un inhibiteur de l’acétylcholinestérase. La Dre Gagné, vice‑présidente aux affaires scientifiques de Lundbeck, a affirmé que plus de 80 % des patients inscrits dans une étude clinique en cours parrainée par Lundbeck suivent une bithérapie.

 

[362]       En effet, le Dr Herrmann a indiqué que les données cliniques les plus récentes donnent à penser que l’usage combiné de la mémantine et d’un inhibiteur de l’acétylcholinestérase est recommandé pour le traitement de la maladie d’Alzheimer.

 

[363]       Les demanderesses ajoutent que la taille du marché canadien de la mémantine est relativement modeste, les ventes annuelles de Lundbeck au Canada atteignant environ 12 millions de dollars. Si le produit à base de mémantine de Ratiopharm est approuvé, mis sur le marché à un prix réduit et accapare ensuite tout le marché de la monothérapie uniquement, les revenus produits pourraient avoisiner les 2 millions de dollars, somme relativement peu élevée en regard de l’ensemble des ventes de médicaments. De plus, si Ratiopharm obtient un avis de conformité pour la mémantine, il est probable que l’entreprise devra partager ce petit marché avec Lundbeck, et peut‑être avec d’autres fabricants de médicaments génériques.

 

[364]       Les demanderesses voudraient que j’en déduise que Ratiopharm fera la promotion de son produit de mémantine pour la bithérapie. Elles déclarent en effet que sans une telle promotion, on ne peut s’attendre à ce que Ratiopharm atteigne un chiffre de vente raisonnable.

 

[365]       À l’appui de cette argumentation, les demanderesses font état du témoignage de la Dre Gagné, qui a déclaré que les patients traités par EBIXA résident souvent dans des hôpitaux ou des établissements de soins de longue durée tels que les maisons de convalescence et de retraite. Ces établissements ne gardent habituellement en stock qu’une seule marque d’un produit pharmaceutique et administreront seulement le médicament de cette marque pour toutes les indications approuvées.

 

[366]       Ces établissements administreront donc de la mémantine tant pour la monothérapie que pour la bithérapie. En outre, presque tous ces établissements préféreront acheter un produit générique qui coûte moins cher, s’il en existe un sur le marché. Il est peu probable toutefois qu’ils achètent le produit générique de Ratiopharm à moins que cette dernière ne garantisse que son produit de mémantine pourrait être utilisé pour toutes les indications pour lesquelles EBIXA a reçu une approbation conditionnelle.

 

[367]       S’appuyant sur les considérations qui précèdent, les demanderesses soutiennent qu’en raison de la nature du marché canadien de la mémantine, une contrefaçon du brevet 492 est inévitable, car la mémantine sera prescrite par les médecins, délivrée par les pharmaciens et utilisée par les patients dans le cadre d’une bithérapie.

 

[368]       C’est fort possible. En effet, la preuve circonstancielle semble indiquer que le produit ratio‑MEMANTINE de Ratiopharm peut finir par être utilisé en association avec des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase pour le traitement de la maladie d’Alzheimer, ce qui contreferait le brevet 492. Ratiopharm peut s’attendre à ce qu’une telle éventualité se produise. Ce sont cependant les actes et non les attentes de Ratiopharm qui sont en litige en l’espèce.

 

[369]       Les parties s’entendent sur le fait que la possibilité de contrefaçon en aval ne suffit pas, en soi, à établir la contrefaçon par incitation. Comme l’a fait observer la juge Gauthier dans la décision Aventis Pharma Inc. c. Pharmascience Inc. 2006 CF 861, 51 C.P.R. (4th) 161, même s’il peut être établi que la contrefaçon du fait d’autres personnes « est très probable, sinon inévitable », cette preuve ne sera pas suffisante pour établir qu’une allégation de non‑contrefaçon n’est pas justifiée : voir le paragraphe 31.

 

[370]       Il faut quelque chose de plus : voir l’arrêt Pharmascience Inc. c. Sanofi-Aventis Canada Inc., 2006 CAF 229, 53 C.P.R. (4th) 453 au paragraphe 35. Ce « quelque chose de plus » exige un comportement actif de la part de Ratiopharm : voir la décision Solvay Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2008 CF 308, 64 C.P.R. (4th) 246, au paragraphe 136.

 

[371]       En d’autres termes, Ratiopharm ne peut être tenue responsable de contrefaçon à l’égard du brevet 492 à moins qu’il ne soit établi qu’elle a elle‑même fait quelque chose pour inciter à la contrefaçon d’une certaine manière. À mon avis, l’incitation n’a pas été établie en l’espèce.

 

[372]       Premièrement, on ne m’a présenté aucune preuve de promotion effective de son produit de mémantine par Ratiopharm. Ce n’est pas étonnant, étant donné que Ratiopharm n’a pas encore reçu d’avis de conformité à l’égard de son produit.

 

[373]       Les demanderesses citent le témoignage de Judy Schure, qui a déclaré que la mémantine ne figure sur aucun des formulaires provinciaux de médicaments à part celui du Québec, où il est prévu qu’elle ne soit utilisée qu’en monothérapie. Mme Schure affirme donc que si le produit de Ratiopharm est approuvé, il ne pourra pas remplacer automatiquement le produit de sa concurrente, comme c’est habituellement le cas des médicaments qui figurent sur les formulaires officiels et sont jugés interchangeables. Selon Mme Schure, Ratiopharm devrait ainsi prendre des mesures concrètes pour commercialiser son produit ratio‑MEMANTINE.

 

[374]       Comme je l’ai noté précédemment dans les présents motifs, Ratiopharm remet en question l’expertise de Mme Schure, soutenant que son expertise est limitée et qu’elle n’a pas effectué d’études ni d’enquêtes pour étayer ses opinions.

 

[375]       Mme Schure est une pharmacienne diplômée qui a travaillé comme pharmacienne d’officine. Je suis donc convaincue qu’elle est habilitée à témoigner au sujet de l’importance de l’inscription d’un médicament sur un formulaire provinciale et des répercussions qu’une telle inscription aura sur les pratiques en matière de prescription.

 

[376]       Cela dit, j’accorde peu de poids à son témoignage en ce qui concerne la non‑inscription de la mémantine sur les formulaires provinciaux de médicaments à part celui du Québec et les conséquences que cela pourrait avoir sur les plans de commercialisation à venir de Ratiopharm.

 

[377]       Mme Schure n’est pas une experte en commercialisation de produits pharmaceutiques. Elle n’a jamais travaillé pour Ratiopharm, n’a jamais été en contact avec les représentants commerciaux de Ratiopharm et n’a donc aucune connaissance des plans ou des pratiques de commercialisation de Ratiopharm. En contre‑interrogatoire, elle a même reconnu que son avis était seulement une hypothèse personnelle sur ce qui pourrait se produire dans l’avenir.

 

[378]       Jean Proulx a également témoigné au nom des demanderesses sur ce point. M. Proulx est le directeur des Affaires scientifiques chez Lundbeck et un pharmacien titulaire d’un permis au Québec. Son témoignage a été semblable à celui de Mme Schure.

 

[379]       Je noterais d’abord qu’à titre d’employé confirmé de Lundbeck, M. Proulx peut difficilement être considéré comme un témoin désintéressé. Il est loin d’être évident qu’il possède une expertise particulière en commercialisation de produits pharmaceutiques. En outre, il n’a jamais travaillé comme pharmacien dans un établissement de soins infirmiers ou une résidence pour personnes âgées et n’a jamais travaillé pour Ratiopharm ou pour une autre société pharmaceutique qui vend ou commercialise les versions génériques de médicaments.

 

[380]       M. Proulx savait que Ratiopharm compte des douzaines de médicaments d’ordonnance inscrits au formulaire québécois, mais il n’avait jamais fait enquête, au Québec ou ailleurs, sur la façon dont Ratiopharm avait commercialisé ou vendu dans le passé ces autres médicaments. Il ne s’est pas adressé non plus à d’autres personnes pour savoir comment Ratiopharm commercialise ses médicaments d’ordonnance. Par conséquent, son témoignage au sujet des intentions futures de Ratiopharm est nécessairement de nature hypothétique et je décide de lui accorder peu de valeur pour cette raison.

 

[381]       Les témoignages de M. Cashman et de la Dre Gagné sur l’action éventuelle de Ratiopharm dans l’avenir ont le même caractère hypothétique. Dans le cas de la Dre Gagné, la valeur à accorder à son témoignage est d’autre part affaiblie par le fait qu’à titre de vice‑présidente aux Affaires scientifiques de Lundbeck, elle ne participe pas aux activités de commercialisation pharmaceutique.

 

[382]       Les allégations de non-contrefaçon sont présumées véridiques, sauf preuve contraire de la part du demandeur : voir l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Pharmascience Inc. c. Sanofi‑Aventis Canada Inc., [2006] A.C.F. n° 980, au paragraphe 30.

 

[383]       Je ne suis pas disposée à fonder une conclusion d’incitation à la contrefaçon sur des hypothèses au sujet des méthodes que pourrait employer Ratiopharm dans l’avenir pour faire la promotion de son produit, le ratio-MÉMANTINE. S’il s’avère à terme que Ratiopharm fait effectivement la promotion de son produit pour un usage en polythérapie, les demanderesses obtiendront des redressements par la voie d’une action en contrefaçon.

 

[384]       La question qui se pose maintenant est de savoir si le projet de monographie de produit de Ratiopharm visant le ratio-MÉMANTINE constituera une incitation à la contrefaçon.

 

[385]       La monographie de produit ne fait aucunement mention de la bithérapie dans l’indication déclarée sur la page de titre, indiquant seulement que les comprimés de ratio‑MEMANTINE de Ratiopharm sont indiqués pour le traitement symptomatique de patients atteints d’une démence modérée à grave de type Alzheimer. En effet, on n’indique nulle part dans le document que Ratiopharm veut obtenir une approbation pour pouvoir utiliser la mémantine en association avec un autre médicament.

 

[386]       En outre, à la rubrique « Indication and Clinical Uses » [Indications et usage clinique] à la page 8, le projet de monographie mentionne que les comprimés de ratio‑MEMANTINE [traduction] « peuvent être utiles en monothérapie pour le traitement des symptômes de patients aux prises avec une démence modérée à grave de type Alzheimer » [non souligné dans l’original]. On n’y fait pas référence aux avantages qui pourraient être tirés de l’association de la mémantine à un autre médicament.

 

[387]       Le Dr Herrmann s’est élevé contre l’absence d’avertissement sur la page de titre du projet de monographie de produit portant que le ratio-MEMANTINE ne devait pas être utilisé en polythérapie. Toutefois, la Cour a conclu que si cet avertissement pouvait être un facteur utile pour aider à nier une intention de la part de l’auteur allégué de la contrefaçon, « l’absence d’avertissement ne peut servir en soi à inférer une intention de contrefaçon par le biais de l’incitation, de la commercialisation ou de tout autre lien » : voir la décision Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1461, 45 C.P.R. (4th) 449 au paragraphe 34.

 

[388]       Les arguments des demanderesses au sujet de l’incitation se fondaient pour une bonne part sur les références à deux essais cliniques non identifiés mentionnées dans le projet de monographie du produit. Ratiopharm reconnaît que l’un de ces essais était l’étude de Tariot dont il a été question dans les présents motifs. Selon les demanderesses, il n’y avait pas de raison d’inclure les données de l’étude de Tariot dans la monographie de produit à moins que Ratiopharm ait l’intention d’utiliser le ratio‑MEMANTINE dans le cadre d’une bithérapie.

 

[389]       À l’appui de cette argumentation, les demanderesses citent l’arrêt AB Hassle c. Genpharm Inc., 2004 CAF 413, 38 C.P.R (4th) 17 de la Cour d’appel fédérale, où le juge Rothstein a noté qu’il n’y avait aucune explication de la raison pour laquelle une monographie de produit comportait des références à une étude portant sur l’usage d’un médicament pour une maladie particulière, à moins que le médicament visé soit destiné à être utilisé pour cette maladie.

 

[390]       Cependant, il est évident de l’examen de la décision AB Hassle de la Cour fédérale que la Cour disposait d’éléments de preuve que les mentions d’une étude particulière dans une monographie de produit seraient interprétées comme renvoyant à un usage particulier contrefaisant du médicament visé : voir AB Hassle c. Genpharm Inc., 2003 CF 1443, 243 F.T.R. 6 (Genpharm).

 

[391]       En l’espèce, l’étude de Tariot n’est pas spécifiquement mentionnée dans le projet de monographie de produit. Elle n’est même pas citée dans la bibliographie à la fin du document. Il est vrai que la figure 2 de l’article de Tariot est reproduite dans le document, mais elle y figure sans mention de source et sans observation sur sa signification ou sa portée.

 

[392]       Les demanderesses concèdent n’avoir présenté à la Cour aucune preuve donnant à penser qu’un médecin ou un pharmacien, à la lecture du projet de monographie de produit, verrait qu’il y est fait mention d’essais cliniques et comprendrait que le sujet examiné était l’étude de Tariot.

 

[393]       Il n’y a aucune témoignage non plus d’un médecin ou d’un pharmacien désintéressé que le projet de monographie de produit de Ratiopharm les inciterait à faire usage du ratio‑MEMANTINE en polythérapie. Au contraire, le Dr Herrmann a déclaré qu’il s’appuie sur les résultats des essais cliniques pour décider quels médicaments prescrire et qu’il ne serait pas influencé par ce que les sociétés pharmaceutiques pourraient lui dire. En réalité, la preuve produite en l’espèce laisse entendre que les médecins et les pharmaciens ne prendraient peut‑être même pas connaissance d’une monographie de produit.

 

[394]       De plus, dans le projet de monographie de produit, on évoque l’étude de Tariot simplement pour comparer les patients traités par la mémantine à ceux qui reçoivent un placebo. On n’y mentionne aucunement que tous les patients de l’étude de Tariot prenaient également du donépézil au moment de l’étude, ni les conclusions de l’étude, à savoir les effets bénéfiques de la prise de mémantine en association avec un ou plusieurs inhibiteurs de l’acétylcholinestérase.

 

[395]       Comme l’a reconnu elle‑même la Dre Gagné, l’inclusion des résultats de l’étude de Tariot dans le projet de monographie de produit de Ratiopharm, sans description du plan de l’étude, est [traduction] « trompeuse et porte à confusion ».

 

[396]       Il ne ressort pas clairement de la comparaison de la monographie de produit de Lundbeck et du projet de monographie de produit de Ratiopharm que toutes les références à la bithérapie contenues dans la monographie de Lundbeck ont été retirées du document de Ratiopharm.

 

[397]       Le projet de monographie de produit de Ratiopharm ne contient en effet que trois références à des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase. Une mention est faite à la rubrique « Other Adverse Events Observed During Clinical Trials » [Autres événements indésirables observés durant les essais cliniques]. On y dit alors ce qui suit : [traduction] « Sont également inclus les événements indésirables observés dans l’essai comparatif avec placebo chez les patients qui avaient déjà été traités par le donépézil avant le traitement par le chlorhydrate de mémantine ». Bien que cela indique clairement qu’au moins certains sujets testés avaient déjà reçu du donépézil, rien n’indique qu’ils aient continué d’en prendre en même temps que la mémantine.

 

[398]       Les deux autres références aux inhibiteurs de l’acétylcholinestérase dans le projet de monographie de produit de Ratiopharm apparaissent aux pages 2 et 24 du document dans la section sur la pharmacologie de la mémantine. À ces deux endroits, on mentionne que la mémantine [traduction] « n’influe pas directement sur les récepteurs de l’acétylcholine ni sur la transmission cholinergique, lesquels sont en cause dans les effets secondaires cholinomimétiques [exemples omis] associés aux inhibiteurs de l’acétylcholinestérase ». Encore une fois, cela n’a rien à voir avec la bithérapie.

 

[399]       Comme l’a fait observer la juge Layden‑Stevenson dans la décision Genpharm, une « mention subtile » dans une monographie de produit peut suffire pour donner au lecteur l’impression qu’un médicament peut être utilisé d’une manière qui contreferait le brevet : voir le paragraphe 155. À mon avis toutefois, les références à l’étude de Tariot dans le projet de monographie de produit de Ratiopharm ne sont pas seulement subtiles, elles sont à la fois obscures et trompeuses. J’estime qu’elles n’inciteraient personne à prescrire la mémantine en association avec un inhibiteur de l’acétylcholinestérase en polythérapie.

 

[400]       Les demanderesses soulignent que Ratiopharm n’a produit aucune preuve à l’appui de ses allégations de non‑contrefaçon du brevet 492 ou en réponse aux témoignages des témoins des demanderesses affirmant la contrefaçon éventuelle. C’est vrai, mais il incombe aux demanderesses d’établir selon la prépondérance de la preuve que Ratiopharm contrefera directement le brevet 492, ou incitera d’autres personnes à la contrefaçon. Les demanderesses ne se sont pas acquittées de leur fardeau de preuve sur ce point. Par conséquent, je conclus que l’allégation de non‑contrefaçon de Ratiopharm est justifiée.

 

 

VIII.    Conclusion

 

 

[401]       Pour les motifs qui précèdent, j’ai conclu que les allégations d’invalidité de Ratiopharm sont justifiées à l’égard des brevets 453 et 492. J’ai également conclu que les allégations de non‑contrefaçon de Ratiopharm sont justifiées à l’égard du brevet 492. Par conséquent, la demande d’interdiction des demanderesses est rejetée.

 

[402]       Avant de conclure, j’aimerais féliciter les avocats pour la rigueur de leur préparation, pour la collaboration et l’attitude professionnelle dont ils ont fait preuve au cours de la procédure ainsi que pour leurs observations courtoises et utiles.

 

 

IX.       Les dépens

 

[403]       Les parties ont convenu que les dépens, taxés selon le milieu de la colonne IV, seraient attribués à la partie gagnante. Je suis d’accord que c’est approprié en l’espèce.

 

[404]       Fait très inhabituel dans une procédure de cette nature, Ratiopharm a été représentée par un seul avocat et a présenté le témoignage d’un seul témoin expert. Ratiopharm devrait donc avoir droit aux honoraires d’un seul avocat taxés selon le milieu de la colonne IV ainsi qu’aux honoraires et déboursés raisonnables de son témoin expert.

 

 


JUGEMENT

 

 

 

LA COUR STATUE :

 

la demande est rejetée, avec dépens.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-414-08

 

INTITULÉ :                                                   LUNDBECK CANADA INC. ET AL. c.

                                                                        RATIOPHARM INC. ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Les 14, 15 et 16 septembre 2009

 

MOTIFS PUBLICS

DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   Le 23 novembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Steven B. Garland

Colin B. Ingram                                                               POUR LA DEMANDERESSE

 

Arthur B. Renaud                                                            POUR LA DÉFENDERESSE

                                                                                       (RATIOPHARM INC.)

 

Aucune comparution                                                        POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                       (SANTÉ CANADA)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smart & Biggar                                                               POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

 

Bennett Jones LLP                                                          POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)                                                            (RATIOPHARM INC.)

 

John H. Sims, c.r.                                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada                                  (SANTÉ CANADA)

 



[1] Les parties ont reconnu qu’à une exception près, tous les témoins présentés comme experts par la partie adverse sont en effet des experts dans leurs domaines respectifs. Selon ratiopharm, la pharmacienne Judy Schure n’a pas les qualités requises pour témoigner comme experte. Son cas sera examiné un peu plus loin dans la présente décision.

 

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