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Cour fédérale

Federal Court

 


Date : 20091116

Dossier : T-1350-04

Référence : 2009 CF 1165

Toronto (Ontario), le 16 novembre 2009

En présence de monsieur le juge Hughes

 

ENTRE :

PFIZER CANADA INC. et PFIZER LIMITED

demanderesses

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et RATIOPHARM LIMITED

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les présents motifs et la présente ordonnance concernent une requête et une requête incidente présentées dans le cadre du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) DORS/93-133 (le Règlement AC). Des poursuites ont été intentées entre ces parties il y a plusieurs années et elles ont été tranchées par la Cour ainsi que par la Cour d’appel fédérale. Ces requêtes portent sur l’effet occasionné sur ces jugements antérieurs par un jugement ultérieur rendu dans une autre instance, une action en matière de validité du même brevet que celui dont il était question dans l’instance antérieure relative à un AC. Ceci illustre une fois de plus comment ces règlements excèdent de subtilité et comment ils ont un urgent besoin d’être modifiés.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je rejette la requête de Ratiopharm en modification du jugement rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’instance relative à un AC ainsi que la requête incidente de Pfizer en ajournement de la requête de Ratiopharm.

 

[3]               Ce qui suit est une chronologie des événements pertinents qui ont trait au brevet canadien 1,321,393 (le brevet 393) et à diverses ordonnances et divers jugements de la Cour et de cours d’instance supérieure portant sur la validité du brevet dans l’instance mettant en cause Pfizer et Ratiopharm:

a.       Le 17 février 2006 : la Cour fédérale (le juge von Finckenstein) dans le cadre d’une demande d’avis de conformité entre Pfizer, le ministre de la Santé et Ratiopharm, T‑1350-04, a rejeté la demande d’ordonnance d’interdiction de Pfizer après avoir conclu que Pfizer n’avait pas démontré que les allégations formulées par Ratiopharm quant à l’invalidité du brevet 393 étaient injustifiées (2006 CF 220);

b.      Le 9 juin 2006 : la Cour d’appel fédérale, dans A-75-06, a accueilli un appel de la décision du juge von Finckenstein et a délivré une ordonnance d’interdiction (2006 CAF 214);

c.       Le 8 août 2006 : la Cour d’appel fédérale a rejeté la requête de Ratiopharm en réexamen de son jugement du 9 juin 2006;

d.      Le 1er février 2007 : la Cour suprême du Canada a rejeté la demande de Ratiopharm visant à obtenir l’autorisation de pourvoi à l’encontre du jugement rendu par la Cour d’appel le 9 juin 2006;

e.       Le 8 juillet 2009 : la Cour fédérale (le juge Hughes), dans une action en contrefaçon du brevet 393 déposée par Ratiopharm contre Pfizer, a déclaré le brevet 393 invalide (2009 CF 711);

f.        Le 9 juillet 2009 : Pfizer dépose un avis d’appel à la Cour d’appel fédéral à l’encontre du jugement rendu par la Cour fédérale le 8 juillet 2006. Cet appel, A‑281-09, est actuellement en attente d’audience sous réserve de l’issue de plusieurs requêtes;

g.       Également, le 9 juillet 2009 : Ratiopharm a reçu son avis de conformité, l’ordonnance d’interdiction de la Cour d’appel fédérale a été considérée comme n’étant plus en vigueur car l’interdiction ne tenait que jusqu’à l’expiration du brevet 393 et le brevet a été déclaré invalide le 8 juillet 2009;

h.       Le 14 août 2009 : Ratiopharm a déposé, dans la présente instance, un avis de requête visant à faire annuler l’ordonnance rendue par la Cour d’appel fédérale le 9 juin 2006 et visant à faire rejeter la présente demande;

i.         Le 9 octobre 2009 : Pfizer a déposé un avis de requête en radiation ou en ajournement de la requête de Ratiopharm en attendant l’issue de l’appel dans le dossier A-284-09.

 

[4]               Je suis actuellement saisi de la requête déposée par Ratiopharm le 14 août 2009 et de la requête déposée par Pfizer le 9 octobre 2009.

 

[5]               J’examinerai d’abord la requête de Pfizer du 9 octobre 2009 par laquelle celle‑ci demande l’annulation de la requête de Ratiopharm. Essentiellement, le fondement de la requête de Pfizer est que, comme le jugement déclarant le brevet 393 invalide fait l’objet d’un appel, la requête de Ratiopharm est prématurée. Ratiopharm s’oppose à cette requête en affirmant que le jugement déclarant l’invalidité est présentement en vigueur et que sa requête doit être traitée au regard de la situation actuelle. Selon Ratiopharm, si la situation change après un appel, Pfizer peut déposer sa propre requête en fonction des changements de la situation.

 

[6]               D’ordinaire, je serais porté à souscrire au point de vue de Pfizer. D’ordinaire, ce serait gaspiller des ressources judiciaires que de traiter une affaire lorsqu’un appel est en instance et que, comme il appert en l’espèce, il se déroule avec diligence. Toutefois, comme la requête de Ratiopharm a été pleinement débattue et que, selon moi, il y a plusieurs motifs de la rejeter, et que, au nom de la meilleure utilisation possible des ressources judiciaires, il convient, en l’espèce, d’examiner cette requête. Par conséquent, j’ai instruit la requête de Ratiopharm et je vais me prononcer sur celle‑ci.

 

[7]               La requête de Ratiopharm vise à obtenir de la Cour une ordonnance d’annulation de l’ordonnance rendue par la Cour d’appel fédérale le 9 juin 2006 dans le dossier A-75-06. Cette ordonnance rejetait la demande présentée par Pfizer dans le présent dossier T-1350-04, et visait à obtenir l’adjudication des dépens extrajudiciaires de la demande et de l’appel ainsi que les dépens de la requête. Je rejette la requête pour les trois motifs suivants :

                                 i.            Je conclus que la Cour n’a pas compétence pour annuler l’ordonnance de la Cour d’appel fédérale, C’est à cette cour qu’incombe cette tâche, si elle le juge opportun, et non pas à la Cour;

                                     ii.         L’affaire est théorique;

                                    iii.         L’ordonnance de la Cour d’appel fédérale tranche la question et aucune ordonnance de rejet de la présente demande ne peut être désormais rendue.

 

 

1.         L’absence de compétence

 

[8]               Les pouvoirs de la Cour d’appel fédérale, dans le cas d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale, sont énoncés à l’alinéa 52b) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-2, et comprennent le pouvoir de rendre le jugement que la Cour fédérale aurait dû rendre et prendre toutes mesures d’exécution ou autres que celle-ci aurait dû prendre :

Pouvoirs de la Cour d’appel fédérale

 

52. La Cour d’appel fédérale peut :

 

[…]

 

b) dans le cas d’un appel d’une décision de la Cour fédérale :

(i) soit rejeter l’appel ou rendre le jugement que la Cour fédérale aurait dû rendre et prendre toutes mesures d’exécution ou autres que celle-ci aurait dû prendre,

 

 

Powers of Federal Court of Appeal

 

52. The Federal Court of Appeal may

 

[…]

 

(b) in the case of an appeal from the Federal Court,

(i) dismiss the appeal or give the judgment and award the process or other proceedings that the Federal Court should have given or awarded,

 

 

 

[9]               Cette disposition législative ne mentionne pas que le jugement de la Cour d’appel fédérale est un jugement de la Cour fédérale, elle mentionne qu’il s’agit du jugement que la Cour fédérale aurait dû rendre. Le jugement demeure celui de la Cour d’appel fédérale. Le juge Trudel, de la Cour d’appel fédérale, a écrit ce qui suit au paragraphe 6 (reproduit en partie) de l’arrêt Grenier c. La Reine, 2008 CAF 63 :

a.       Le tribunal de première instance ne peut corriger le jugement qu’il a rendu si celui-ci a fait l’objet d’un arrêt de la Cour d’appel et, j’ajouterai, encore moins si celui-ci est en cours d’exécution ou a été exécuté et que les conclusions recherchées étaient englobées dans celles visées par l’appel (voir Règle 399 des Règles des Cours féderales; Déziel c. Canada, 2005 CCI 70).

 

[10]           Bien que je comprenne que, dans l’arrêt Grenier, il était question d’un tribunal de première instance qui tentait de corriger son propre jugement, et non pas celui d’une cour d’appel, ce principe est clair, dès que la Cour d’appel a tranché l’affaire, c’est à elle, et non pas à la Cour, qu’il incombe de s’occuper de sa décision.

 

[11]           L’avocat de Ratiopharm a renvoyé à un certain nombre de décisions de la Cour et de la Cour d’appel fédérale et aucune ne permet de conclure qu’une ordonnance ou un jugement de la Cour d’appel fédérale rendu après l’audition de l’appel sur le fond peut être modifié ou annuler par la Cour fédérale. Selon moi, la Cour fédérale n’a pas le pouvoir de faire cela.

 

[12]           L’avocat de Ratiopharm a notamment invoqué une décision rendue par le juge Strayer, alors juge à la Cour d’appel fédérale, dans Allied Signal Inc. c. DuPont Canada Inc. (1996), 65 C.P.R. (3d) 230 (CAF). Dans cette affaire, Dupont, à l’égard de laquelle la Section de première instance avait conclu qu’elle avait contrevenu à un brevet, avait cherché à établir en Cour d’appel qu’un produit nouveau, censément différent, ne contrevenait pas. Le juge Strayer a conclu qu’une telle allégation exigeait de nouvelles preuves et de nouvelles conclusions de fait et devrait donc être instruite par la Section de première instance. Il a affirmé ce qui suit à la page 231 :

À mon sens, il devrait s’agir de la Section de première instance. Au point de vue du droit, la Cour d’appel a, en délivrant l’injonction, agi en vertu de l’alinéa 52b)(i) de la Loi sur la Cour fédérale en rendant le jugement que, selon elle, la Section de première instance aurait dû prononcer. L’injonction est donc en fait une injonction de la Section de première instance. Par ailleurs, en droit comme en pratique, il convient que la demande de déclaration soit entendue devant la Section de première instance. Il y a manifestement quelques points contestés qui obligeront à prendre en considération de nouvelles preuves et conclusions de fait. Il s’agit là de questions qui, habituellement, relèvent de la Section de première instance.

 

[13]           L’avocat de Ratiopharm met l’accent sur la déclaration que l’injonction est « en fait une injonction de la Section de première instance » et fait valoir que cela signifie que le jugement de la Cour d’appel est, en réalité, un jugement de la Section de première instance. Selon moi, cette déclaration ne peut pas être poussée aussi loin. Selon moi, le juge Strayer renforçait tout simplement son opinion que, compte tenu que de nouvelles preuves et de nouvelles conclusions de fait étaient exigées, la Section de première instance devrait traiter l’affaire.

 

[14]           L’avocat de Ratiopharm invoque également le paragraphe 21 de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Nu-Pharm Inc. c. Canada (Procureur général) (1999), 2 C.P.R. (4th) 49, où la Cour a affirmé que lorsqu’un recours est possible devant la Section de première instance, les parties devraient d’abord d’adresser à cette instance. Le juge Décary, au nom de la Cour, a écrit ce qui suit au paragraphe 21 :

21     En l’espèce, si l’appel était autorisé, la Cour d’appel serait appelée à statuer sur des questions qui n’ont pas été soulevées en première instance et à le faire d’après une preuve qui n’a pas été présentée en première instance. Il serait plus pratique dans ces circonstances de faire entendre de nouveau la requête par la Section de première instance. Lorsqu’un recours est possible devant la Section de première instance, les parties devraient normalement s’adresser d’abord à la Section de première instance. Je souligne que dans Société des Acadiens, l’existence d’un recours subsidiaire ne semble pas avoir été soulevée, l’intérêt des parents à l’égard de l’instance n’était pas en cause - dans la présente espèce, au contraire, la question de savoir si les requérants ont un intérêt à l’égard de l’instance est précisément la question que la présente Cour est appelée à trancher sans disposer de l’avis du juge de première instance sur cette question - et la partie absente avait convenu d’être liée en appel par le dossier de première instance (voir Re Acadiens du Nouveau-Brunswick Inc. et al. (1984), 8 D.L.R. (4th) 238, à la page 246 (C.A.N.-B.)).

 

 

[15]           Selon moi, ce paragraphe dit que si un recours est possible devant la Section de première instance, celui‑ci devrait être intenté en premier. Selon moi, ce paragraphe ne dit pas qu’il faut d’abord s’adresser à la Section de première instance pour demander la révision d’un jugement de la Cour d’appel fédérale.

[16]           Par conséquent, je conclus que si Ratiopharm dispose d’un recours, c’est à la Cour d’appel fédérale qu’elle doit s’adresser. Sa requête est donc rejetée. Toutefois, si ma conclusion est erronée, j’examinerai les autres questions qui sont soulevées.

 

2.         Le caractère théorique

 

[17]           Dans la présente instance, l’ordonnance d’interdiction délivrée par la Cour d’appel fédérale est devenue théorique car l’avis de conformité, qui aurait été interdit par cette ordonnance, a maintenant été donné à Ratiopharm.

 

[18]           Ratiopharm prétend qu’une deuxième question est toujours en suspens, c’est‑à‑dire la question de savoir si la demande devrait être rejetée, lui permettant ainsi de demander le verserment d’une indemnité en vertu de l’article 8 du Règlement AC.

 

[19]           Dans l’arrêt bien connu Borowski c. Canada (Procureur général) [1989], 1 R.C.S. 342, la Cour suprême du Canada affirme que bien qu’une cour de justice ne devrait d’ordinaire pas instruire un litige qui est devenu théorique, elle a le pouvoir discrétionnaire d’instruire l’affaire lorsqu’il y a encore un litige actuel ou lorsque que, pour une autre raison, l’affaire doit être entendue. Ratiopharm invoque la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Apotex Inc. c. Bayer AG, 2004 CAF 242, aux paragraphes 14 et 17, où, malgré qu’un avis de conformité eût été délivré immédiatement après une décision de la Cour fédérale rejetant une demande d’interdiction, la Cour d’appel fédérale a décidé d’instruire l’appel car l’ordonnance de la Cour fédérale rejetant la demande déclencherait une demande d’indemnisation en vertu de l’article 8.

 

[20]           Je fais une distinction d’avec l’arrêt Apotex. Il s’agissait d’une affaire où la Cour d’appel n’avait pas encore instruit l’appel au fond. En l’espèce, la Cour d’appel a instruit l’affaire au fond et a décidé d’ordonner l’interdiction. L’affaire a été tranchée de façon définitive. Pour les motifs qui suivent concernant la troisième question en litige en l’espèce, il n’y a plus de litige actuel dans la présente instance quant à l’article 8. Toutes les questions sont maintenant théoriques. Il n’y a aucune raison d’instruire la requête de Ratiopharm. 

 

3.         Une ordonnance de rejet peut-elle être délivrée?

 

[21]           L’avocat de Ratiopharm invoque les trois motifs suivants à l’appui du rejet de l’instance relative à un AC :

1.         La compétence inhérente de la Cour de contrôler sa propre procédure et ses ordonnances;

2.         Des faits nouveaux sont survenus après que l’ordonnance a été rendue, à savoir le jugement quant à l’invalidité (alinéa 399(2)a))

3.         L’ordonnance a été obtenue par fraude (alinéa 399(2)b)).

Premièrement, je vais examiner l’affaire d’une manière générale.

 

[22]           L’article 8 du Règlement AC prévoit l’obligation d’indemnisation d’une défenderesse comme Ratiopharm par une demanderesse comme Pfizer si la demande à la Cour a retirée, fait l’objet d’un désistement ou rejetée. Par conséquent, on comprend pourquoi une défenderesse comme Ratiopharm souhaite une ordonnance qui rejette la demande.

 

[23]           En l’espèce, la demande a été rejetée  en première instance par la Cour, toutefois cette ordonnance a été infirmée par la Cour d’appel fédérale, donc elle n’a pas été rejetée. La Cour, dans une autre instance, une action en invalidation du brevet 363 déposée contre Pfizer par la défenderesse, Ratiopharm, a déclaré que le brevet était invalide. Un appel de cette décision est en instance. Le brevet a été invalidé, donc le brevet est « expiré », l’ordonnance d’interdiction de la Cour d’appel fédérale ne tient plus. Le dispositif du jugement de la Cour d’appel fédérale daté du 9 juin 2009 est ainsi libellé :

 

[traduction]

JUGEMENT

 

[1]        L’appel est accueilli avec dépens et l’ordonnance rendue le 17 février 2006 par le juge saisi des demandes est annulée.

 

[2]        La demande des demanderesses est accueillie avec dépens et il est ordonné au ministre de ne pas accorder un AC à Ratiopharm eu égard à ses produits de bésylate d’amlodipine envisagés tant que le brevet 393 ne sera pas expiré. [Non souligné dans l’original.].

 

 

[24]           Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles un brevet peut être considéré comme étant « expiré »; sa durée (17 ou 20 ans) est peut‑être terminé; le breveté peut avoir arrêté ou négligé de payer les taxes périodiques, le brevet a pu être déclaré invalide. C’est cette dernière éventualité qui s’est produite en l’espèce. L’ordonnance d’interdiction relative à un AC a pris fin non pas parce que l’instance a été rejetée, mais parce que le brevet est expiré (sauf si une cour d’instance supérieure en décide autrement en appel).

 

1.         Compétence inhérente

[25]           L’avocat de Ratiopharm affirme que la Cour a compétence inhérente sur ses ordonnances, notamment sur les ordonnances d’interdiction rendues dans le cadre d’une instance relative à un AC, de sorte que lorsque les événements changent, l’ordonnance peut être réexaminée. Il invoque la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Apotex Inc. c. AB Hassle, 2008 CAF 416, notamment le paragraphe 30 où la juge Sharlow, s’exprimant au nom de la Cour, a écrit ce qui suit :

30     Comme susmentionné, il a été établi que la décision définitive par laquelle la Cour fédérale déclare un brevet invalide aura préséance sur une ordonnance d’interdiction relative à ce brevet, justifiant ainsi l’annulation de cette ordonnance (Hoffmann-La Roche, précité). Suivant le même raisonnement, les ordonnances d’interdiction dans le dossier 1 ou dans le dossier 2 pourraient être annulées dans l’éventualité où il serait statué dans le cadre d’une action que le produit d’Apotex ne contrefait aucun brevet en cause dans ces décisions. Je crois comprendre, d’après les arguments d’Astrazeneca dans le présent appel, que la question de la contrefaçon doit être tranchée dans une action devant la Cour fédérale (T‑1409‑04). Rien dans les présents motifs ne portera atteinte au droit d’Apotex de demander l’annulation des ordonnances d’interdiction dans le dossier 1 ou le dossier 2, si elle a gain de cause dans cette action.

 

 

[26]           Selon moi, ce jugement dit qu’une ordonnance d’interdiction peut être annulée si, comme c’est le cas en l’espèce, il est statué dans le cadre d’une action que le brevet est invalide ou que le produit générique ne contrefait aucun brevet. Selon moi, cette déclaration ne signifie pas que la demande d’interdiction sera ultérieurement rejetée malgré que l’ordonnance d’interdiction ne soit plus valide.

 

[27]           Une instance relative à un AC ne constitue pas une action in rem portant sur la validité d’un brevet. Il s’agit d’une instance à « objet particulier » qui porte sur la question de savoir s’il convient d’interdire au ministre de délivrer un AC à un fabricant de produits génériques (Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2007 CAF 359, au paragraphe 40). Les instances relatives à un AC sont des instances indépendantes conçues afin d’établir si oui ou non le ministre de la Santé doit délivrer un avis de conformité à un fabricant de produits génériques en se fondant sur une décision de la Cour quant à savoir si les allégations formulées par le fabricant de produits génériques dans son avis d’allégation sont justifiées. Aucune décision in rem n’est rendue.

 

[28]           Il faut faire une distinction d’avec une action en invalidation d’un brevet, qui est une autre sorte d’instance. Si la Cour décide que le brevet est invalide, il est invalidé, c’est‑à-dire qu’il est déclaré invalide et nul. Le jugement touche le brevet lui‑même, pas seulement les parties (Loi sur les brevets, article 60). Je répète ce que j’ai déclaré dans Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Ltd., 2009 CF 494, au paragraphe 41, où je renvois aux propos de Sir Robin Jacob, dans Unilin, selon lesquels une instance ultérieure invalidant un brevet ne devrait avoir aucune incidence sur un jugement antérieur portant que le brevet est invalide :

41     Les tribunaux anglais ont examiné, dans plusieurs affaires, le cas d’une partie réputée avoir contrefait un brevet qui était déclaré invalide par la suite dans une autre instance : Poulton c. Adjustable Cover and Boiler Block Company (1908), 25 R.P.C. 661 (CA); Coflexip SA c. Stolt Offshore MS Ltd. (no 2), [2004] F.S.R. 708 (CA); Unilin Beheer BV c. Beerry Floor NV, [2007] EWCA Civ. 364 (CA). Dans ces affaires, ils ont maintenu les dommages‑intérêts et les dépens accordés, mais ont mis fin à l’injonction. La position de la Cour d’appel anglaise a été bien exposée récemment par le lord juge Jacob dans Unilin, aux paragraphes 44 à 46 :

[traduction]

44. Un puriste pourrait cependant dire : c’est absurde et, de surcroît, injuste qu’un homme ait à payer pour faire ce que nous savons, avec du recul, avoir été légitime. Je suppose que le puriste pourrait dire également qu’un titulaire de licence qui a versé des redevances en vertu d’un brevet qui est ensuite annulé rétroactivement devrait ravoir son argent. Il pourrait même dire qu’un homme qui a perdu des profits en s’abstenant de mener une activité commerciale par crainte de contrefaire le brevet – une crainte que l’on sait maintenant être sans fondement – devrait avoir droit à une forme de réparation.

 

45. Je pense cependant qu’il existe des raisons valables et pragmatiques pour lesquelles l’approche puriste traduit un mauvais sens des affaires. Vous ne pouvez pas tout réduire à néant sans créer de l’incertitude. Et lorsqu’une décision finale a été rendue dans une affaire opposant équitablement les parties, elle devrait être considérée comme la réponse finale à leur litige.

 

46. Un brevet est toujours potentiellement menacé. Une personne peut se présenter avec une antériorité tout à fait pertinente, mais qui est peu connue (mon exemple favori est une antériorité écrite en sanskrit se trouvant par erreur dans la section pour enfants de la bibliothèque publique d’Alice Springs) ou simplement avec une meilleure preuve concernant des antériorités connues. Il n’y a aucune raison de défaire ce qui a été fait ou de considérer une décision finale comme une décision simplement provisoire. Une fois qu’une décision finale est rendue, les gens d’affaires devraient être en mesure de poursuivre leurs activités, sachant quelle est la position.

 

 

[29]           En l’espèce, Ratiopharm s’est fait entendre par la Cour dans le cadre de l’instance relative à un AC, elle a soulevé les questions qui, selon elle, étaient importantes, elle a produit la preuve qu’elle a choisie et elle a formulé les arguments qu’elle désirait. Il en a résulté une ordonnance d’interdiction valide jusqu’à l’« expiration » du brevet. 

 

[30]           Le jugement rendu dans le cadre de l’action en invalidation, qui est une instance différente, a entraîné l’« expiration » du brevet, mais il ne « rejette » pas l’instance relative à un AC.

 

 

2.         L’alinéa 399(2)a)

 

[31]           L’alinéa 399(2)a) des Règles des Cours fédérales mentionne que la Cour peut annuler ou modifier une ordonnance si :

a) des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue

 

 

[32]           La question en litige en l’espèce est la même que celle qui a été discutée relativement à la compétence inhérente. Il y a eu une instance distincte, une action en invalidation du brevet 393, qui a entrainé l’« expiration » du brevet. L’ordonnance d’interdiction, de par son libellé, a perdu sa force exécutoire. Cela ne veut pas dire que la procédure de demande d’AC doit être rejetée.

 

3.         L’alinéa 399(2)b

 

[33]           L’alinéa 399(2)b) des Règles des Cours fédérales mentionne que la Cour peut annuler ou modifier une ordonnance si :

b) l’ordonnance a été obtenue par fraude

 

 

[34]           Cette question m’a causé beaucoup de difficulté. Dans l’action en invalidation relative au brevet 363, Ratiopharm Inc. c. Pfizer Limited, 2009 CF 711, j’ai conclu que l’article 53 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-5, était presque une disposition législative portant sur les questions de fraude et que Pfizer avait contrevenu à l’article 53 sous au moins trois aspects. J’ai écrit ce qui suit aux paragraphes 196, 197 et 204 :

196     Le Canada, contrairement à d’autres pays comme les États‑Unis, ne possède pas de disposition législative portant expressément sur les questions de fraude. Cependant, l’article 53 s’en approche. De ce fait, je suis d’accord avec les observations de l’avocat de Pfizer voulant que les allégations s’appuyant sur cet article doivent être plaidées d’une façon précise et que la partie à qui on reproche d’avoir contrevenu à ses dispositions doit avoir amplement la possibilité de connaître le contenu des allégations afin de pouvoir préparer sa défense.

 

197     Ratiopharm a allégué que Pfizer avait contrevenu à l’article 53 sous trois aspects, eu égard à la déclaration modifiée, 20 octobre 2008, paragraphes 63 à 78 :

 

i)                    en omettant de mentionner la stabilité du monohydrate de mésylate et en ajoutant qu’il n’était pas adapté à la préparation des comprimés;

ii)                  en omettant les données concernant les essais sur l’acide sulfonique, qui montrent que le mésylate, le napsylate et le tosylate sont des hydrates stables et non hygroscopiques;

iii)                en ajoutant une déclaration selon laquelle il avait été établi qu’aucun des sels décrits dans le BE167 ne répondait aux quatre critères relatifs à des sels pharmaceutiquement acceptables.

 

[]

 

204     En l’espèce, je conclus que les trois questions plaidées étaient des déclarations inexactes, qu’elles induisaient en erreur et que la preuve établit qu’elles ont été faites de manière intentionnelle. Le brevet 393 est invalide pour cette raison également et il ne peut pas être sauvegardé par le paragraphe 53(2) de la Loi sur les brevets.

 

[35]           Dans l’instance relative à un AC qui a en bout de ligne mené au jugement de la Cour d’appel fédérale que nous examinons actuellement, Ratiopharm n’a soulevé dans son avis d’allégation aucune allégation ou question relative à la fraude ou à l’article 53 de la Loi sur les brevets. En conséquence, ni la Cour fédérale ni la Cour d’appel fédérale n’a eu à traiter ces questions. Il n’y avait, pour utiliser le vocabulaire de l’instance relative à un AC, aucune question de « justification » d’allégation concernant la fraude ou l’article 53.

 

[36]           Ratiopharm, toutefois, demande que la Cour envisage l’affaire dans une perspective plus large. Son avocat fait valoir qu’il a été conclu que Pfizer a sciemment rédigé, demandé et reçu la délivrance d’un brevet au sujet duquel il a été conclu qu’il contenait de fausses déclarations. Elle a inscrit le brevet sur une liste de brevets sous le régime du Règlement AC et a déposé une demande d’interdiction qu’elle a par la suite gagnée. On prétend que, compte tenu de la nature de la procédure d’avis de demande, qui ne comporte aucune communication préalable, Ratiopharm ne pouvait pas savoir ce qui se déroulait à huis clos chez Pfizer, donc elle ne disposait d’aucun fondement pour alléguer la fraude ou la violation de l’article 53. 

[37]           J’ai attiré l’attention des deux avocats sur la décision rendue par la juge McGillis de la Cour dans SmithKline Beecham Inc. c. Apotex Inc. (1999), 1 C.P.R. (4th) 99, dans laquelle le fabricant de produits génériques prétendait que son médicament ne contreferait pas le brevet en litige parce qu’il ne se transformerait pas en semi‑hydrate. Seul le fabricant de produits génériques savait cela. La juge McGillis a conclu en faveur du fabricant de produits génériques, mais elle a conclu qu’il y aurait de « très graves » conséquences si les arguments présentés à la Cour par le fabricant de produits génériques s’avéraient injustes. Elle a écrit ce qui suit au paragraphe 40 :

40     J’arrive donc à la conclusion qu’il n’y a pas lieu d’empêcher Apotex de mettre en marché ses comprimés d’anhydre en raison de la transformation éventuelle de l’anhydre en semi-hydrate à un moment ultérieur indéterminé. Dans le cas où les comprimés d’anhydre d’apotex se transformeraient en semi-hydrate, en totalité ou en partie, Apotex fera face alors à de « très graves consequences ». [Voir Hoffman-LaRoche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1996), 70 C.P.R. (3d) 206, à la p. 213 (C.A.F.); Zeneca Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1996), 69 C.P.R. (3d) 451, à la p. 452 (C.A.F.)].

 

 

 

[38]           La juge McGillis ne s’est pas étendue sur la question de savoir ce que pourraient être ces « très graves » conséquences et les causes qu’elle a citées ne permettent pas d’élaborer ce point. Les avocats de sociétés pharmaceutiques innovatrices demanderesses dans de nombreuses instances relatives à un AC ultérieures ont fait amplement allusion à cette déclaration de la juge McGillis, mais aucune cour n’a donné des précisions sur ces paroles. 

 

[39]           Par contre, l’avocat de Pfizer prétend que la fraude au sens de l’alinéa 399(2)b) doit être liée aux questions qui étaient soumises à la cour qui a délivré l’ordonnance visée. On prétend que la Cour ou la Cour d’appel n’a été saisie d’aucune question liée à l’article 53 ou à la fraude dans l’instance relative à un AC. Les questions tranchées par l’instance relative à un AC ne portaient pas sur l’article 53 ou sur la fraude. De plus, l’avocat de Pfizer prétend que celle‑ci avait parfaitement le droit de faire valoir la présomption de validité prévue par la Loi sur les brevets, une validité qui a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans les circonstances des allégations soulevées par Ratiopharm dans son avis d’allégation et de preuve soumise dans la présente instance.

 

[40]           Depuis 1993, l’année au cours de laquelle le Règlement AC a été introduit, une jurisprudence abondante quant à savoir comment ces instances doivent être menées est apparue. Le Canada fait cavalier seul dans ce domaine car seuls les États‑Unis ont des dispositions semblables, celles du Hatch‑Waxman Act (Orange Book). La procédure américaine est très différence de celle du Canada. Selon moi, la jurisprudence au Canada a évolué dans un sens restrictif, ce qui est regrettable. Par exemple, un avis d’allégation ne peut pas être modifié, les antérioritées citées comme avis d’allégation à un égard précis ne peuvent pas être invoquées dans l’argumentation à l’audience pour un autre égard et ainsi de suite. Mon opinion personnelle ne faussera pas ou n’influencera pas ma décision en l’espèce.

 

[41]           Récemment, la Cour d’appel fédérale a rendu deux décisions qui sont difficiles à concilier. La première est une décision majoritaire rendue en 2007 dans Sanofi Aventis Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2007 CAF 163, dans laquelle le juge Sexton, aux propos duquel la juge Sharlow a souscrit, a écrit ce qui suit au paragraphe 50 :

50     Enfin, Sanofi-Aventis et Schering soutiennent qu’en l’espèce, une conclusion d’abus de procédure serait source d’inéquité. Elles affirment que, bien qu’il soit interdit aux premières personnes de se défendre contre les allégations que font des fabricants ultérieurs après que l’on a conclu que l’allégation identique faite par un fabricant antérieur est justifiée, les fabricants ultérieurs sont autorisés à répéter les allégations déjà faites antérieurement par d’autres fabricants, et ce, même s’il a été conclu que les allégations antérieures étaient injustifiées. Cependant, il n’y aucune inéquité dans ce scénario. Toutes les parties sont tenues de respecter la même norme : chacune est tenue de présenter tous ses arguments, ainsi que tous les éléments de preuve pertinents, en première instance. Cela empêche l’innovateur de débattre à nouveau une question déjà tranchée dans une instance à laquelle il était partie, en s’appuyant sur des éléments de preuve additionnels qu’il avait décidé de ne pas produire à l’instance antérieure. De la même façon, les fabricants de médicaments génériques doivent faire valoir à la première occasion la totalité de leurs arguments. Les avis d’allégations multiples délivrés par le même fabricant en rapport avec un médicament particulier et alléguant l’invalidité d’un brevet particulier sont généralement interdits, même si l’on invoque des motifs d’invalidité différents dans chaque cas. Cependant, dans le cas où un fabricant particulier a formulé une allégation mais a omis de présenter les arguments requis pour montrer que l’allégation en question était justifiée, il serait injuste d’empêcher un fabricant ultérieur, disposant de meilleurs éléments de preuve ou d’un argument juridique plus valable, de l’introduire. Cette situation peut donner lieu à un résultat contradictoire, mais cette préoccupation cède le pas au risque de faire preuve d’inéquité à l’endroit du fabricant à qui l’on interdit de faire valoir ses arguments juste parce que la démarche d’un autre fabricant était inadéquate. Il est nécessaire dans chaque cas de mettre en équilibre l’effet d’une instance sur l’administration de la justice et l’inéquité que l’on cause à une partie en l’empêchant de faire valoir ses arguments.

 

[42]           Plusieurs estiment que cette décision a grandement permis à la Cour de traiter les nombreuses instances relatives à un AC dont elle était saisie qui portaient sur un brevet particulier à l’égard duquel des poursuites étaient sans arrêt intentées par des parties différentes.

 

[43]           À l’été 2009, la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Apotex Inc. c. Janssen Ortho Inc., 2009 CAF 212, a réexaminé l’affaire Sanofi. La décision majoritaire rendue dans Apotex a été rédigée par l’un des juges qui faisait partie de la formation dans Sanofi. Aux paragraphes 44 et 45, le juge Nadon, aux propos duquel le juge Trudel a souscrit, a écrit ce qui suit :

44     À mon avis, l’interprétation correcte du paragraphe 50 des motifs du juge Sexton dans l’arrêt Sanofi‑Aventis, précité, n’entraîne pas la conclusion qu’une seconde personne ne peut présenter un AA pour des motifs semblables à ceux d’un fabricant de médicaments génériques dans d’autres procédures que dans le cas où elle dispose de meilleurs éléments de preuve ou de meilleurs arguments juridiques. J’estime que le juge Sexton, au paragraphe 50 de ses motifs, cherchait simplement à expliquer son point de vue, soit que malgré la possibilité que des décisions différentes soient rendues à l’égard d’AA identiques ou similaires, l’équité exigeait que le fabricant de médicaments génériques, comme Apotex en l’espèce, qui n’avait pas encore débattu les questions qu’il soulevait dans son AA, soit autorisé à faire valoir son point de vue devant la Cour. À mon avis, on ne peut prétendre sérieusement que le juge Sexton soutenait qu’il fallait d’abord apprécier la preuve et les arguments juridiques du second fabricant de médicaments génériques avant que celui‑ci puisse envoyer son AA et répondre à la demande d’interdiction.

 

45     Je suis donc persuadé que rien dans l’arrêt de la Cour Sanofi‑Aventis, précité, n’appuie la conclusion du juge selon laquelle une seconde personne, sauf si elle est en mesure d’établir qu’elle dispose « de meilleurs éléments de preuve ou d’un argument juridique plus valable », ne peut envoyer un AA à un breveté et, de ce fait, répondre à la demande d’interdiction présentée par le breveté, en faisant valoir des motifs semblables à ceux qui ont été avancés par un autre fabricant de médicaments génériques dans d’autres procédures touchant le même breveté. Je conclus donc que le juge a commis une erreur en concluant comme il l’a fait sur la question de l’abus de procédure.

 


[44]           La juge Layden-Stevenson, qui a écrit une décision distincte dans Apotex, a écrit ce qui suit au paragraphe 81 :

81     LA JUGE LAYDEN-STEVENSON (motifs dissidents) :-- J’ai lu les motifs de mon collègue et je suis d’accord, pour les raisons qu’il donne, que l’arrêt de la Cour Sanofi‑Aventis, précité, n’appuie pas la position qu’à moins que la seconde personne soit capable d’établir qu’elle dispose « de meilleurs éléments de preuve et d’un argument juridique plus valable », elle ne peut envoyer un AA à un breveté et répondre à la demande d’interdiction du breveté pour des motifs semblables à ceux qui ont été présentés par un fabricant de médicaments génériques différent dans d’autres procédures avec le même breveté. Il s’ensuit nécessairement que le juge des requêtes a commis une erreur en concluant comme il l’a fait sur l’abus de procédure.

 

 

[45]           On peut faire une distinction étroite entre les décisions Apotex et Sanofi au motif que, dans Apotex, la Cour d’appel affirme qu’il est interdit à un fabricant de médicaments génériques d’alléguer quelque chose qui a déjà été tranchée dans une instance antérieure alors que, dans Sanofi, la Cour d’appel affirme qu’une cour de justice, en examinant l’affaire à l’audience doit faire preuve de prudence avant de rendre une décision différente d’une décision antérieure, sauf si elle dispose de meilleurs éléments de preuve ou d’un argument plus valable. S’il ce n’est pas là la différence, alors il est difficile de discerner une différence autre que le caractère contradictoire des décisions.

 

[46]           Je conclus de ces deux décisions et de la jurisprudence générale que les cours de justice ont adoptée une interprétation stricte et étroite du Règlement AC et des procédures qu’il prévoit. Le point de vue adopté par l’avocat de Pfizer en l’espèce est plus conforme à ce point de vue et le point de vue récemment exprimé par la Cour d’appel fédérale dans Apotex, précité, que chaque procédure doit être examinée en fonction de son « propre » bien‑fondé, sans égard à ce qui aurait pu se produire dans, par exemple, une action débattue et tranchée concernant le même brevet. Le juge Nadon a écrit ce qui suit dans Apotex, précité, aux paragraphes 38, 47, 48 et 70 :

38    À mon avis, le juge a manifestement commis une erreur en concluant, comme il le fait au paragraphe 205 de ses motifs, que « la Cour souscrit effectivement aux arguments des demanderesses au sujet de l’abus de procédure ». Plus précisément, le juge a accueilli les observations des intimées selon lesquelles, comme la validité du brevet 080 avait déjà été décidée par la Cour fédérale dans le procès Novopharm et par la Cour dans l’appel de Novopharm, la présente procédure d’Apotex pour contester la validité du brevet en tant que brevet de sélection n’était en réalité qu’une tentative, camouflée sous une argumentation différemment formulée, visant à débattre à nouveau des questions qui l’avaient été dans le procès Novopharm et dans l’appel de Novopharm. Comme la plupart, sinon la totalité, des arguments avancés par Apotex dans ces procédures avaient été considérés et traités par la Cour fédérale et la présente Cour, il n’y avait absolument aucun fondement pour autoriser Apotex à contester la validité du brevet 080, à moins qu’elle dispose « de meilleurs éléments de preuve ou d’un argument juridique plus valable ».

[]

 

47     En l’absence d’un d’abus de procédure de la part d’Apotex, le juge était tenu d’apprécier la preuve dont il était saisi par les deux parties d’une manière indépendante des conclusions du juge Hughes dans le procès Novopharm. J’aborderai maintenant cette question. Toutefois, avant d’y répondre, j’estime essentiel de reprendre les arguments d’Apotex lorsqu’elle dit que le juge a commis une erreur en appliquant le critère relatif à l’abus de procédure et que la Cour doit donc intervenir.

 

48     La position d’Apotex, réduite à l’essentiel, est qu’elle soulevait les questions dont est maintenant saisie la Cour pour la première fois, qu’elle avait donc droit à une décision nouvelle du juge sur ces questions, fondée sur la preuve dont il était saisi, et que cette décision devait être rendue sans égard aux faits et conclusions établis par le juge Hughes dans le procès Novopharm. Par conséquent, Apotex soutient qu’elle n’a pas eu d’audience équitable et que le procès Novopharm a déterminé l’issue de sa procédure.

[]

 

70     En résumé, j’ai lu à de nombreuses reprises les motifs du juge. Chaque fois, j’ai tenté de comprendre le raisonnement qui les sous‑tend pour décider s’il avait apprécié la preuve d’une manière indépendante de l’appréciation faite par le juge Hugues dans le procès Novopharm. Comme j’ai été incapable d’en arriver à cette conclusion, je suis inévitablement forcé de penser que l’incompréhension par le juge des principes exposés dans l’arrêt Sanofi‑Aventis, précité, a vicié son appréciation de la preuve dont il était saisi. Pour employer une autre formulation, j’estime que le juge, au lieu d’effectuer un examen parallèle, a mené un examen mélangeant la preuve dont il était saisi et les conclusions du juge Hughes dans le procès Novopharm.

 

 

Par conséquent, je conclus que je dois examiner la procédure de demande relative à un AC indépendamment de l’action en invalidation. En d’autres mots, les conclusions tirées et le jugement rendu dans l’action en invalidation n’ont aucune incidence sur la conclusion et le jugement rendu dans l’instance relative à un AC. Cela est particulièrement le cas car, dans l’instance relative à un AC, aucune allégation de fraude en vertu de l’article 53 n’a été soulevée.

 

[47]           Par conséquent, je conclus que l’alinéa 399(1)b) des Règles ne peut pas s’appliquer dans les présentes circonstances car il n’y a eu aucune fraude, ni aucune violation de l’article 53, en litige dans la instance relative à un AC.

 

Conclusion et dépens

 

[48]           J’ai instruit l’affaire au fond et j’ai rejeté la demande d’ajournement de Pfizer. Je n’ai pas « annulé » la requête de Ratiopharm comme Pfizer le demande et j’ai rejeté la requête de Ratiopharm.  

 

[49]           Pfizer a droit aux dépens relatifs à la présente requête. J’ai invité les parties à formuler des observations quant aux dépens. Je ne fixerai le montant que lorsque j’aurai reçu ces observations dans une semaine.

 

ORDONNANCE

 

Pour les motifs qui précèdent :

 

LA COUR ORDONNE :

1.      La requête de Pfizer en vue de faire radier ou de faire ajourner la requête de Ratiopharm est rejetée;

2.      La requête de Ratiopharm en vue de faire rejeter l’instance relative à un AC est rejetée;

3.      Pfizer a droit aux dépens qui seront fixés après la réception des observations des avocats dans une semaine.

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1350-04

                                                           

INTITULÉ :                                       PFIZER CANADA INC. et PFIZER LIMITED c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SANTÉ et RATIOPHARM LIMITED

                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 novembre 2009

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HUGHES

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             Le 16 novembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Laskin

Jennifer Conroy

 

 

POUR LES DEMANDERESSES

Glen Bloom

Bryan Norrie

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

RATIOPHARM

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Torys LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

RATIOPHARM

 

 

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