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Date : 20091109

Dossier : T-737-08

Référence : 2009 CF 1142

Montréal (Québec), le 9 novembre 2009

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

ENTRE :

EUROCOPTER,

société par actions simplifiée

 

demanderesse/

défenderesse reconventionnelle

 

et

 

 

BELL HELICOPTER TEXTRON

CANADA LIMITÉE

 

défenderesse/

demanderesse reconventionnelle

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] La Cour est saisie d’une requête en appel d’une ordonnance rendue le 8 octobre 2009 par le protonotaire Richard Morneau, statuant sur des objections soulevées lors de la suite de l’interrogatoire du représentant de Bell Helicopter Textron Canada Limitée (« Bell »), tenue le 25 août 2009, présentée en vertu du paragraphe 51(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les « Règles »). Le protonotaire a maintenu bon nombre d’objections, et Eurocopter en appelle de sa décision devant cette Cour.

LES FAITS

 

[2]  Les faits pertinents à cet appel sont relatés dans les motifs de décision des deux requêtes en appel entendues le 26 octobre 2009 (2009 CF 1141).

 

  • 1) Questions 5 à 14 et 17 à 19, relatives aux caractéristiques des trains d’atterrissage fabriqués par Bell

 

  • [3] Selon Eurocopter, les questions portant sur les éléments des trains d’atterrissage en litige sont factuelles et pertinentes et devraient donc être permises. Eurocopter soutient que les réponses à ces questions permettraient de comprendre le fonctionnement des trains d’atterrissage prétendument contrefacteurs et donc de déterminer s’il y a bel et bien eu contrefaçon. De plus, contrairement à ce qu’a conclu le protonotaire, ces questions ne nécessitent pas l’interprétation du brevet en litige, et donc une preuve d’expert, même si elles emploient des expressions similaires à celles du brevet. Ces expressions seraient des termes de l’art, et le représentant de Bell, un ingénieur, les connaît. Quant aux questions 17 à 19, elles viseraient à établir l’utilité que retire Bell de l’utilisation d’un train d’atterrissage similaire à celui d’Eurocopter et seraient donc pertinentes à la question de la contrefaçon. Finalement, Bell aurait répondu à des questions similaires lors du premier interrogatoire préalable (tenu en juin), renonçant ainsi implicitement à s’objecter à ces questions.

 

  • [4] Bell soutient que les questions 5 à 10 et 12 à 14 sont superflues, car sa défense et demande reconventionnelle y constitue une réponse suffisante. De toute façon, y répondre exigerait l’interprétation des termes du brevet en litige, et elles seraient donc inappropriées au stade de l’interrogatoire préalable. Les expressions employées ne seraient pas les termes de l’art, et le fait que Bell soit représentée par un ingénieur ne détermine pas quelles questions sont appropriées. Quant à la question 11, elle viserait à obtenir une opinion, et serait donc inappropriée. Finalement, les questions 17 à 19 n’auraient pas de lien avec la contrefaçon alléguée en l’espèce et ne seraient donc pas pertinentes. Par ailleurs, Bell rejette l’argument d’Eurocopter à l’effet que son représentant aurait répondu à des questions similaires et ainsi renoncé à s’objecter aux questions en cause dans le présent appel. De plus, même si M. Gardner avait répondu à des questions similaires, il ne pourrait s’agir d’une admission de leur pertinence.

 

  • [5] Je note, d’abord, que le protonotaire n’avait pas retenu l’argument de Bell à l’effet que les questions 5 à 10 et 12 à 14 sont superflues mais avait plutôt conclu que ces questions requièrent une interprétation du brevet ‘787 et donc une preuve d’expert. Ces questions portent sur les différentes caractéristiques et structures du train modifié de Bell. Bien que la terminologie soit semblable à celle utilisée dans les revendications, ces questions portent sur des éléments dont le témoin a une connaissance directe (James River Corp. of Virginia v. Hallmark Cards Inc. (1997), 72 C.P.R. (3 d) 157, à la page 163). D’ailleurs, l’argument de Bell est miné par le fait que lors de l’interrogatoire du 11 juin 2009, M. Gardner a fourni des renseignements similaires au sujet du train d’origine, ce qui confirme qu’il est capable de comprendre le sens de ces questions.

 

  • [6] Le protonotaire a donc commis une erreur flagrante en déterminant qu’il s’agissait d’une preuve d’expert.

  • [7] Finalement, il m’apparaît que les questions 17 à 19 qui se rapportent à la présence de « dampers » et de « shock absorbers » sont pertinentes puisqu’elles ont pour but de vérifier qu’en adoptant la configuration du train revendiqué au brevet ‘787, Bell a réussi à éliminer ces dispositifs. Ces questions permettent donc à Eurocopter de confirmer l’utilité de l’invention décrite au brevet 787 et l’avantage que retire Bell de cette utilité. Le protonotaire a donc commis une erreur flagrante en maintenant les objections de Bell sur ces questions.

 

  • [8] Quant à la question 11, je suis d’accord avec Bell qu’elle vise à obtenir une opinion et qu’elle est inappropriée.

 

  • 2) Questions 24 et 25, relatives à la correspondance entre Bell et Transports Canada

 

  • [9] Comme dans le cadre du premier appel, Eurocopter soutient que les documents soumis par Bell à Transports Canada sont pertinents pour établir que les différents trains d’atterrissage produits par Bell ont un fonctionnement identique.

 

  • [10] Bell reprend également les arguments qu’elle avait présentés lors du premier appel. Ainsi, les documents qu’elle a soumis à Transports Canada ne seraient pas pertinents, et ces questions seraient trop larges et onéreuses.

 

  • [11] Les arguments présentés étant essentiellement les mêmes que lors du premier appel, ma conclusion l’est également. Les documents recherchés par Eurocopter sont pertinents, mais étant donné leur caractère délicat sur le plan commercial, ils seront communiqués pour consultation par les avocats seulement.

 

  • 3) Questions 26 à 32 et 36, relatives à l’étendue de la contrefaçon

 

  • [12] Selon Eurocopter, ces questions, qui visent à savoir de quel train d’atterrissage étaient équipés des hélicoptères de Bell présentés lors de diverses expositions aéronautiques sont pertinentes, car elles visent à établir l’étendue de la contrefaçon, plutôt que les profits que Bell en aurait retiré.

 

  • [13] Selon Bell, ces questions portent justement sur ces profits, et ne sont donc pas pertinentes à ce stade, suite à la scission de l’instance. L’étendue de la contrefaçon n’est pertinente qu’à l’étape de l’évaluation des dommages.

 

  • [14] Les deux parties s’appuient sur l’arrêt de cette Cour dans Wellcome Foundation Ltd. c. Novopharm Ltd., 177 F.T.R. 182, [1999] A.C.F. no 1743 (QL), où le juge Lemieux avait statué, au par. 30, que le « chevauchement [entre les questions posées pour déterminer l’étendue de la contrefaçon dans le cadre de l’action en responsabilité et dans le cadre de la référence] n’est pas irrégulier puisque Novopharm tente actuellement d’obtenir les renseignements à une autre fin que celle qui sous-tend la référence. » [Je souligne.]

 

 

  • [15] La différence entre les objectifs que peuvent poursuivre des questions portant sur l’étendue de la contrefaçon aux différents stades de l’instance a été expliquée par la juge Reed, dont le juge Lemieux a adopté les propos, dans Geo Vann Inc. c. N.L. Industries, Inc., 4 C.P.R. (3d) 19, [1985] A.C.F. no 247 (QL). La juge Reed avait noté que :

la phrase ‘portée de la contrefaçon’ peut servir à connoter deux aspects différents d’une contrefaçon alléguée (l’un que j'appellerai la portée quantitative et, l’autre, la portée qualitative). La portée de la contrefaçon au sens quantitatif fait partie de l’évaluation des dommages-intérêts, mais la portée de la contrefaçon au sens qualitatif (c’est-à-dire ce qui constitue une contrefaçon en substance et non pas littéralement, la question de savoir si une ou plusieurs mais pas toutes les demandes sont violées) s’inscrit tout à fait justement dans la détermination de la contrefaçon qui sera faite à l'instance.

 

 

  • [16] Je suis d’avis que les questions en cause portent sur la substance de la contrefaçon, puisque Bell allègue que le train d’origine n’était qu’expérimental. Ainsi, ces questions visent à démontrer que le train d’atterrissage servait à bien d’autres choses qu’à l’expérimentation et donc sont pertinentes quant à l’étendue de la contrefaçon.

 

  • [17] Le protonotaire a commis une erreur flagrante en acceptant l’argument de Bell que ces questions visaient le calcul des profits réalisés par Bell.

 

  • 4) Questions 40 à 60 et 67, relatives à l’invalidité du brevet ‘787

 

  • [18] Comme pour le premier appel, je suis d’avis qu’Eurocopter a le droit d’obtenir des précisions sur les éléments de l’art antérieur sur lesquels Bell fonde ses allégations d’invalidité. Il s’agit précisément du genre de renseignements qu’une partie a le droit d’obtenir : voirDek-Block Ontario Ltd. c. Béton Bolduc (1982) Inc., (1998),81 C.P.R. (3d) 232, [1998] A.C.F. no 680 (QL).

 

  • [19] Quant à la question 67, Bell ne peut pas plaider la non-pertinence de renseignements sur les trains d’atterrissage rétractables pour s’opposer à cette question, puisqu’elle vise justement à vérifier si un train d’atterrissage est rétractable ou non. J’estime que la décision du protonotaire de maintenir les objections à ces questions est entachée d’une erreur flagrante.

 

CONCLUSION

 

  • [20] Pour ces motifs, l’appel est accueilli sauf pour la question 11, avec dépens devant cette Cour et devant le protonotaire.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que :

  1. La requête en appel du 8 octobre 2009 d’Eurocopter soit accueillie sauf pour la question 11;

  2. Bell communique, dans les cinq (5) jours,

  1. Les réponses et engagements visés par les questions 5 à 10, 12 à 14, 17 à 19, 26 à 32, 36, 40 à 60 et 67;

  2. Les réponses et engagements visés par les questions 24 et 25 pour consultation par les avocats seulement;

  1. Bell communique à Eurocopter toutes les réponses aux questions et engagements pris lors de l’interrogatoire de son représentant, M. Robert Gardner, les 10, 11 et 12 juin 2009 et le 25 août 2009 dans les cinq jours de l’ordonnance;

  2. Les dépens de la présente requête et de la requête devant le protonotaire sont accordés à la demanderesse Eurocopter.

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-737-08

 

INTITULÉ :  EUROCOPTER c. BELL HELICOPTER TEXTRON CANADA LIMITÉE

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 4 novembre 2009

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :  Le 9 novembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marek Nitoslawski

Chloé Latulippe

 

POUR LA DEMANDERESSE/

DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

Daniel Artola

Louis Gratton

 

POUR LA DÉFENDERESSE/

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fasken Martineau DuMoulin LLP

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE/

DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

Ogilvy Renault

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE/

DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE

 

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