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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20091026

Dossier : IMM-51-09

Référence : 2009 CF 1089

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

ENTRE :

TEK MING LAU

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE JUGE SUPPLÉANT GIBSON

Introduction

[1]               Les présents motifs font suite à l’audition d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision datée du 17 décembre 2008 par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté un appel à l’encontre d’une décision d’un agent des visas, en poste au Consulat général du Canada à Hong Kong, qui a refusé d’accueillir la demande de visa de résident permanent présentée par Ying Feng, de la République populaire de Chine, et dont l’entrée au Canada était parrainée par Tek Ming Lau (le demandeur). La décision de l’agent des visas reposait sur sa conclusion selon laquelle le mariage prétendu entre Ying Feng et le demandeur n’était pas authentique et visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés[1]. La SAI a rejeté l’appel qui lui était soumis, pour des motifs différents de celui sur lequel s’était fondé l’agent des visas.

 

Contexte

[2]               Le contexte factuel dont découle la présente demande de contrôle judiciaire est essentiellement incontesté et peut être résumé comme suit :

-                     le demandeur est né en République populaire de Chine (la Chine) le 26 janvier 1954; pendant toute la période applicable à la présente demande, il est demeuré citoyen de la Chine, où il a vécu jusqu’en 1990, date à laquelle il est parti pour le Canada en vue de solliciter le statut de réfugié;

-                     Ziao Ying Huang (Huang) est née en Chine le 23 juin 1962;

-                     le demandeur et Huang se sont mariés en Chine en 1984; un fils est né de cette union dans ce pays, le 22 novembre 1985;

-                     à l’instar du demandeur, Huang a vécu toute sa vie en Chine jusqu’à ce qu’elle parte pour le Canada en 1990, quelque temps avant l’arrivée du demandeur au pays, et, à l’instar du demandeur, elle a été citoyenne de la Chine pendant toute la période applicable à la présente demande;

-                     le demandeur et Huang n’ont pas eu de succès dans leur demande d’obtention du statut de réfugié au Canada, mais la demande d’établissement qu’ils ont présentée en sol canadien pour des raisons d’ordre humanitaire a été accueillie; ils sont devenus résidents permanents du Canada en 1999;

-                     le demandeur et Huang ont eu un second enfant, une fille, au Canada, le 14 mars 1992;

-                     la SAI a quelques doutes au sujet de ce fait particulier, mais le demandeur atteste qu’il a en Chine un frère cadet avec lequel il est resté en contact depuis qu’il a quitté ce pays; s’il est vrai que le demandeur a un tel frère, la SAI doute de l’importance de ce contact;

-                     le demandeur est retourné en Chine pour y faire une visite en 2000 et il y est retourné une fois de plus à la fin de décembre 2004 en vue d’obtenir son divorce d’avec Huang et de régler des questions de partage de biens et de garde;

-                     par contraste, Huang est retournée en Chine à intervalles d’un an ou un an et demi, chaque fois pour un séjour de dix jours à un mois, entre le moment où elle a obtenu le statut de résidente au Canada en 1999 et celui où le divorce entre le demandeur et elle a été prononcé, au début de janvier 2005; il semble qu’elle faisait ces voyages dans le but de rendre visite à sa famille, dont sa mère malade;

-                     le demandeur et Huang possédaient conjointement un appartement en Chine, à titre de placement semble-t-il, et cet appartement a été transféré à Huang dans le cadre du règlement de partage des biens associé à leur divorce;

-                     le demandeur atteste qu’à compter de 1995, il est devenu [traduction] « de plus en plus insatisfait » de son mariage avec Huang; cette dernière et lui ont fini par divorcer le 6 janvier 2005, en Chine, par consentement mutuel;

-                     le demandeur et Huang ont déclaré avoir pris la décision de divorcer en Chine parce qu’on les avait informés que, dans ce pays, ils pouvaient obtenir le divorce plus rapidement qu’en Ontario et que, en même temps, ils pouvaient y régler la disposition de leurs biens conjoints ainsi que la question de la garde de leurs enfants;

-                     sept mois après le divorce, le demandeur a épousé Ying Feng en Chine; il a déclaré que l’une des conditions préalables à son mariage avec Ying Feng était que les parties fournissent au bureau de mariage un certificat attestant leur état, à ce moment-là, de personne non mariée (célibataire ou divorcée), et qu’il a produit ce certificat.

 

Décision faisant l’objet du présent contrôle

[3]               Plus tôt dans les présents motifs, j’ai mentionné que la SAI avait rejeté l’appel qui lui était soumis pour des motifs différents de celui sur lequel l’agent des visas s’était fondé. Au paragraphe [7] de ses motifs, la SAI écrit :

Après avoir lu ces observations [celles des conseils représentant les parties] et après avoir analysé la loi, le tribunal détermine, selon la prépondérance des probabilités, que le divorce en question [le divorce entre le demandeur et Huang] n’a pas été entrepris en conformité avec le droit canadien et qu’il n’est pas considéré comme valide au titre des lois du Canada. En conséquence, l’appelant est encore marié avec sa femme, Ziao Ying Lau, de son nom de jeune fille Ziao Ying Huang, et n’a par conséquent pas le droit de parrainer la demandeure, étant donné qu’il ne correspond pas à la définition de répondant au sens de la LIPR.

 

La définition d’un « répondant » figure au paragraphe 130(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés[2].

 

[4]               La SAI traite très succinctement du motif qu’a invoqué l’agent des visas. Dans sa conclusion, aux paragraphes [27] à [29] de ses motifs, la SAI écrit :

En conséquence, compte tenu du raisonnement ci-dessus, de l’avis du tribunal, selon la prépondérance des probabilités, le divorce entre l’appelant et Huang n’est pas valide au sens de la Loi sur le mariage du Canada, et l’appelant [le demandeur en l’espèce] n’a par conséquent pas le droit de parrainer la demandeure [Ying Feng]. […]

 

Étant donné que le présent appel est rejeté, il n’est pas nécessaire que le tribunal statue sur la question de fond visant à déterminer si le mariage [entre le demandeur et Ying Feng] est de bonne foi.

 

L’appel est rejeté.

 

 

[5]               Il est question à l’article 22 de la Loi sur le divorce[3] de la reconnaissance des divorces étrangers au Canada. Cette disposition est rédigée en ces termes :

22. (1) Un divorce prononcé à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, conformément à la loi d’un pays étranger ou d’une de ses subdivisions, par un tribunal ou une autre autorité compétente est reconnu aux fins de déterminer l’état matrimonial au Canada d’une personne donnée, à condition que l’un des ex-époux ait résidé habituellement dans ce pays ou cette subdivision pendant au moins l’année précédant l’introduction de l’instance.

 

(2) Un divorce prononcé après le 1er juillet 1968, conformément à la loi d’un pays étranger ou d’une de ses subdivisions, par un tribunal ou une autre autorité compétente et dont la compétence se rattache au domicile de l’épouse, en ce pays ou cette subdivision, déterminé comme si elle était célibataire, et, si elle est mineure, comme si elle avait atteint l’âge de la majorité, est reconnu aux fins de déterminer l’état matrimonial au Canada d’une personne donnée.

 

(3) Le présent article n’a pas pour effet de porter atteinte aux autres règles de droit relatives à la reconnaissance des divorces dont le prononcé ne découle pas de l’application de la présente loi.

 

22. (1) A divorce granted, on or after the coming into force of this Act, pursuant to a law of a country or subdivision of a country other than Canada by a tribunal or other authority having jurisdiction to do so shall be recognized for all purposes of determining the marital status in Canada of any person, if either former spouse was ordinarily resident in that country or subdivision for at least one year immediately preceding the commencement of proceedings for the divorce.

 

(2) A divorce granted, after July 1, 1968, pursuant to a law of a country or subdivision of a country other than Canada by a tribunal or other authority having jurisdiction to do so, on the basis of the domicile of the wife in that country or subdivision determined as if she were unmarried and, if she was a minor, as if she had attained the age of majority, shall be recognized for all purposes of determining the marital status in Canada of any person.

 

 

 

(3) Nothing in this section abrogates or derogates from any other rule of law respecting the recognition of divorces granted otherwise than under this Act.

 

 

 

[6]               La SAI a conclu que le paragraphe 22(1) ne s’applique tout simplement pas aux faits de l’espèce car ni le demandeur ni Huang n’ont résidé habituellement en Chine pendant au moins l’année précédant l’introduction de l’instance de divorce.

 

[7]               De la même façon, le paragraphe 22(2) ne s’applique pas aux faits de la présente situation.

 

[8]               En définitive, le paragraphe 22(3) de la Loi sur le divorce, eu égard aux faits de l’espèce, renvoie la question de la reconnaissance du divorce censément accordé au demandeur et à Huang en Chine à la common law, qui constitue d’autres règles de droit régissant la reconnaissance au Canada des divorces dont le prononcé ne découle pas de l’application de la Loi sur le divorce.

 

[9]               La SAI écrit ce qui suit aux paragraphes [12] à [15] de ses motifs :

[…] [L]e paragraphe 22(3) de la Loi sur le divorce, 1985 autorise la reconnaissance des divorces prononcés à l’étranger compte tenu des principes de la common law, qui ont fait l’objet de certaines causes de droit au fil des ans, à bon nombre desquelles le conseil de l’appelant [le demandeur en l’espèce] a fait référence dans ses observations pertinentes du 23 octobre 2008.

 

Le tribunal ne considère pas nécessaire d’invoquer bon nombre des cas que le conseil de l’appelant a énoncés dans ses observations, parce qu’il a l’avantage de pouvoir examiner l’ensemble de cette question des divorces prononcés à l’étranger dans le contexte du droit de l’immigration en examinant la décision que la Cour fédérale a récemment rendue dans Amin, Tariq c. M.C.I. (C.F., IMM-1293-07), Barnes, 8 février 2008; 2008 CF 168. La conseil du ministre a fait allusion à cette affaire, que le conseil de l’appelant a par la suite commentée dans sa réplique du 21 novembre 2008.

 

Dans la décision Amin, le juge Barnes a précisé que l’intention évidente du paragraphe 22(1) de la Loi sur le divorce, 1985, était de faire en sorte que puisse intervenir dans le divorce une autorité judiciaire ou quelque autre autorité officielle avant que le Canada ne reconnaisse un divorce étranger. Il a poursuivi en affirmant que les principes de common law qui régissent la reconnaissance des divorces étrangers vont au-delà de la nécessité de l’existence d’un lien réel et substantiel avec le lieu où est prononcé le divorce, mais comprennent les conditions primordiales que sont le respect des formes régulières et l’équité procédurale.

 

Le juge Barnes poursuit en disant que le critère du lien réel et substantiel intervient seulement lorsqu’un divorce étranger a été jugé au Canada légalement valide à l’endroit où il a été accordé, et lorsqu’il constitue également un divorce obtenu selon une procédure qui s’accorde avec la notion canadienne de l’équité et avec l’ordre public canadien. Il précise que l’exigence du lien réel et substantiel constitue plutôt une autre condition de la reconnaissance par le Canada d’un divorce étranger, afin de faire obstacle notamment à la pratique consistant à rechercher la juridiction la plus favorable.

 

[10]           La SAI passe ensuite en revue les éléments de preuve qui lui ont été soumis à propos de l’attachement du demandeur et de Huang envers la Chine au moment de leur divorce. Tout en prenant acte de la preuve de l’existence d’un lien, la SAI conclut :

De l’avis du tribunal, dans les circonstances de l’espèce, la demande de divorce ne s’accordait pas avec l’ordre public canadien, et heurtait l’idée que nous nous faisons d’un divorce authentique au Canada. Permettre aux résidents du Canada de divorcer dans un État où ils n’ont aucun lien substantiel contreviendrait à la notion canadienne de l’équité et ne s’accorderait pas avec l’ordre public canadien.

 

 

[11]           La décision faisant l’objet du présent contrôle, et citée plus tôt dans les présents motifs, a suivi.

 

Questions en litige

[12]           Je suis convaincu que les questions en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire sont, premièrement, la ou les normes de contrôle appropriées; deuxièmement, si le divorce que le demandeur et Huang ont obtenu en Chine a été considéré à bon droit comme un divorce valide dans ce pays; et troisièmement, si la SAI a commis une erreur susceptible de contrôle en statuant que le divorce que le demandeur et Huang ont obtenu en Chine ne satisfait pas au critère du lien ou de l’attachement réel et substantiel, eu égard aux faits de la présente affaire, et d’après la manière dont ce critère a été interprété à ce jour.

 

Analyse

1)   La norme de contrôle applicable

[13]           Dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Hazimeh[4], le juge Russell écrit ceci aux paragraphes 16 à 20 de ses motifs :

La défenderesse s’appuie sur Ismaeli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) […], au paragraphe 19, pour affirmer que :

 

L’obligation du requérant de réfuter les conclusions de la Commission est une lourde obligation. Le requérant doit être à même de prouver que les conclusions formulées étaient des conclusions tirées de façon abusive ou arbitraire ou étaient si déraisonnables que la Cour doit annuler la décision.

 

Dans Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) […], il a été conclu que la CISR est un organisme spécialisé dont le contexte factuel et réglementaire dans lequel ses décisions sont rendues est fort complexe […]. Le tribunal ayant le pouvoir de surveillance interviendra uniquement s’il a été démontré qu’une erreur manifeste a été commise, c’est-à-dire que les constatations et conclusions de fait sont manifestement déraisonnables […]

 

Dans Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) […], citant Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) […], il est déclaré […] que pour les questions de droit de portée générale dans les décisions de la CISR, la norme appropriée est celle de la décision correcte.

 

Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick […], la Cour a conclu que, lorsque la cour de révision applique la norme de la décision correcte relativement à certaines questions de droit, y compris une question de compétence, elle n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose.

 

Les questions soulevées par le demandeur touchent des questions de droit, et à la lumière de la jurisprudence qui m’a été soumise, je conclus que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte.

[Références omises.]

 

 

[14]           Avec les réserves qui suivent, je fais miens les propos qui précèdent. La deuxième question en litige susmentionnée – celle de savoir si le divorce que le demandeur et Huang ont obtenu en Chine a été considéré à juste titre comme un divorce valide dans ce pays – est, j’en suis convaincu, une question de droit à l’égard de laquelle la norme de contrôle appropriée est la décision correcte. Quant à la troisième question en litige susmentionnée – celle de savoir si la SAI a commis une erreur susceptible de contrôle en statuant que le divorce que le demandeur et Huang ont obtenu en Chine satisfait au critère du lien ou de l’attachement réel et substantiel, compte tenu des faits de l’affaire, et d’après la manière dont ce critère a été interprété à ce jour –, est une question mixte de fait et de droit, et il me faut donc contrôler la décision de la SAI pour décider si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit[5].

 

2)   La SAI a-t-elle conclu à juste titre que le divorce chinois entre le demandeur et Huang a été valablement obtenu en Chine?

 

[15]           Par souci de commodité, je reprends ici le texte du paragraphe 22(3) de la Loi sur le divorce[6] :

22. (3) Le présent article n’a pas pour effet de porter atteinte aux autres règles de droit relatives à la reconnaissance

 

 

des divorces dont le prononcé ne découle pas de l’application de la présente loi.

 

 [Non souligné dans l’original.]

22. (3) Nothing in this section abrogates or derogates from any other rule of law respecting the

 

 

 

recognition of divorces granted otherwise than under this Act.

 

 

[emphasis added]

 

[16]           Dans la décision Amin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[7], une source sur laquelle la SAI s’est abondamment fondée, le juge Barnes écrit, au paragraphe 25 de ses motifs :

Il me semble que le critère du lien réel et substantiel intervient seulement lorsqu’un divorce étranger a été jugé au Canada légalement valide à l’endroit où il a été accordé, et lorsqu’il constitue également un divorce obtenu selon une procédure qui s’accorde avec la notion canadienne de l’équité et avec l’ordre public canadien. Autrement dit, il ne s’agit pas d’un critère permettant de compenser les faiblesses juridiques d’un divorce extrajudiciaire étranger. […]

[Non souligné dans l’original; une référence omise.]

 

 

 

[17]           Selon mon interprétation de l’extrait qui précède, ce dernier exige que l’on juge au Canada de la validité du divorce prononcé, dans le cas présent, en Chine. Ici, la SAI ne s’est prononcée d’aucune manière sur la question de savoir si le divorce en litige était légalement valide à l’endroit où il avait été accordé, c’est-à-dire la Chine, par rapport à la notion du lien réel et substantiel. Elle a plutôt conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le divorce en question n’avait pas été entrepris en conformité avec le droit canadien et qu’il n’était donc pas considéré comme valide au titre des lois du Canada. La SAI a ensuite examiné le volet du critère qui a trait à la notion canadienne de l’équité et à l’ordre public canadien. Je suis convaincu que, par rapport à la norme de contrôle de la décision correcte, la SAI, en agissant ainsi, a tout simplement omis de répondre à la question de savoir si le divorce en question faisait partie des « divorces dont le prononcé ne découle pas de l’application de la [Loi sur le divorce] » et qu’elle a ainsi omis d’appliquer entièrement le critère qu’elle était tenue d’appliquer aux termes du paragraphe 22(3) de la Loi sur le divorce. Il n’appartient pas à la Cour de conjecturer sur la question de savoir si les conclusions de la SAI au sujet du second volet du critère, celui de savoir si la procédure s’accorde avec la notion canadienne de l’équité et avec l’ordre public canadien, auraient été les mêmes si elle avait appliqué convenablement le premier volet du critère que prévoit le paragraphe 22(3) de la Loi sur le divorce, soit celui des « divorces dont le prononcé ne découle pas de l’application de [cette loi] ».

 

3)   L’analyse de la SAI et les conclusions concernant la notion canadienne d’équité et l’harmonie avec l’ordre public canadien

 

[18]           Dans l’ouvrage de Castel et Walker[8], les éminents auteurs écrivent ceci :

[traduction] Depuis quelques années, les tribunaux canadiens souscrivent à l’opinion selon laquelle ils reconnaîtront les jugements de divorce étrangers dans les cas où il existait un lien réel et substantiel entre le requérant et l’intimé et l’instance ayant accordé le divorce au début de la procédure. Le but de cette règle est d’éviter les mariages boiteux. C’est au tribunal de décider, après avoir analysé tous les faits pertinents, s’il existe un lien réel et substantiel entre l’instance qui a accordé le divorce et le requérant ou l’intimé.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[19]           Le juge G. A. Campbell, de la Cour de justice de l’Ontario, a récemment commenté cette idée d’« éviter les mariages boiteux » dans la décision Jahangiri-Mavaneh c. Taheri‑Zengekani[9] :

[traduction] 
[23]      Ce n’est que dans de très rares cas que l’on ne doit pas reconnaître comme valide un divorce étranger obtenu valablement sous le régime des lois du pays en question : […] Il ne s’agit pas, en l’espèce, d’un cas de fraude relative à la compétence, qui a été examiné dans Powell. Comme l’a déclaré le juge Dickson, au nom de la Cour […] :

 

Les motifs pour lesquels un jugement de divorce prononcé dans un État peut être attaqué dans un autre sont, en fait, peu nombreux. Cependant, la tendance de la jurisprudence est d’admettre l’infirmation du jugement lorsque les faits qui ont donné compétence à l’État où a été prononcé ledit jugement, ne la lui auraient pas conférée si la vérité avait été connue. La fraude portant sur le fond d’un litige peut être aussi exécrable que la fraude portant sur la compétence, mais jusqu’à présent nous avons refusé, pour des raisons pratiques et par courtoisie, de nous pencher sur la première. Même dans le cadre restreint de ce que l’on pourrait appeler la fraude relative à la compétence, il faut hésiter avant de conclure à la fraude pour des raisons évidentes.

 

[24]      Que la demanderesse ait hésité à participer à l’instance de divorce iranienne ou, comme elle le révèle maintenant, qu’elle ait agi sous la « contrainte », elle y a bel et bien participé. Elle a accepté à cette époque le règlement pécuniaire et fait état en l’espèce de l’effet que cela a eu sur sa situation en Iran en tant que femme divorcée. À cet égard, elle admet l’effet qu’a eu cette instance appropriée sur sa famille et elle à l’époque. Le fait que la demanderesse invoque maintenant (trois ans plus tard) la question du degré de sa participation volontaire à l’instance et la question de savoir si c’est son père ou elle qui a obtenu le règlement de divorce me semble tomber carrément sous le coup du « cadre » du fond sur lequel, a déclaré le juge Dickson, les tribunaux canadiens ont refusé de se « pencher ».

[Non souligné dans l’original; références omises.]

 

Compte tenu des faits de la présente affaire, la SAI semble dans son analyse ne pas s’être concentrée sur le fait d’éviter les mariages boiteux, en tant que question relevant de l’ordre public canadien et notion canadienne d’« équité », à titre de seuil peu élevé. Au-delà de l’observation qui précède, la Cour, au vu de ce qu’elle a conclu au sujet de la deuxième question en litige qui lui est soumise, par rapport à la norme de contrôle de la raisonnabilité, ne se prononce pas sur la conclusion de la SAI au sujet du volet « notion d’équité et harmonie avec l’ordre public canadien » du critère.

 

Conclusion

[20]           Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision visée par le contrôle judiciaire sera annulée et l’appel du demandeur auprès de la SAI sera renvoyé à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour nouvelle audition et nouvelle décision.

 

Certification d’une question

[21]           À l’issue de l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, la Cour a remis sa décision à plus tard et s’est engagée à remettre ses motifs aux avocats et à donner à ces derniers la possibilité de formuler des observations au sujet de la certification d’une question avant qu’une ordonnance soit délivrée. Les présents motifs seront remis aux avocats. L’avocate du défendeur aura dix (10) jours à compter de la date de remise des motifs pour signifier et déposer ses observations à propos uniquement de la certification d’une question. L’avocat du demandeur aura par la suite sept (7) jours pour signifier et déposer le cas échéant des observations en réponse. Par la suite, l’avocate du défendeur disposera d’un délai de trois (3) jours pour signifier et déposer une réplique, s’il y a lieu. Ce n’est qu’après l’expiration des délais susmentionnés et


après que la Cour aura eu l’occasion d’étudier les observations formulées qu’une ordonnance sera délivrée en l’espèce.

 

« Frederick E. Gibson »

Juge suppléant

 

Ottawa (Ontario)

Le 26 octobre 2009

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-51-09

 

 

INTITULÉ :                                       TEKI MING LAU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 23 septembre 2009

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  Le juge suppléant Gibson

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 26 octobre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Samuel R. Baker, c.r.                                                                            POUR LE DEMANDEUR

 

Kareena Wilding                                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Baker & Associates                                                                              POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)



[1]               L.C. 2001, ch. 27.

[2]               DORS/2002-227.

[3]               L.R.C. (2e suppl.), ch. 3.

[4]               2009 CF 380 (CanLII), 2009 CF 380, 15 avril 2009.

[5]               Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47.

[6]               Précitée, note 3.

[7]               2008 CF 168, 8 février 2008.

[8]               Canadian Conflict of Laws, 6e édition, LexisNexis Limited, 2006, vol. 2, aux pages 17-7 et 17.2.

[9]               (2003), 66 O.R. (3rd) 272, à la page 280 (Cour supérieure de justice de l’Ontario).

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