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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20091021

Dossier : T-166-09

Référence : 2009 CF 1068

Toronto (Ontario), le 21 octobre 2009

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

ENTRE :

SCANNEX TECHNOLOGIES, LLC

demanderesse

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales et de l’alinéa 300a) des Règles des Cours fédérales en vue de soumettre à un contrôle judiciaire une décision datée du 5 janvier par laquelle le commissaire aux brevets a refusé de remplacer des chiffres inexacts que Scannex Technologies LLC (la demanderesse) avait fournis à l’appui de sa demande de brevet canadien portant le numéro de série 2 373 253 (la demande de brevet), conformément à l’article 8 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4.

 

UNE QUESTION PRÉLIMINAIRE

[2]               Par une lettre datée du 15 octobre 2009, la demanderesse a informé la Cour que, sans même avoir demandé l’autorisation de cette dernière ou le consentement du défendeur, elle ne se présenterait pas à l’audience fixée au 20 octobre 2009 et se fonderait uniquement sur son dossier de demande.

 

[3]               La Cour a donc procédé à l’audience en présence du défendeur, et elle accordé peu de poids aux observations écrites de la demanderesse.

 

LE CONTEXTE

[4]               La demanderesse a déposé une demande de brevet américaine, portant le numéro de série 09/311 442 et intitulée [traduction« Essais non destructifs de vices cachés » (la demande américaine) le 14 mai 1999, et elle était accompagnée d’une série de chiffres. La demande américaine a été accueillie et un brevet a été délivré.

 

[5]               La demanderesse a déposé le 10 mai 2000 une demande de brevet internationale correspondante (la demande PCT), portant le numéro PCT/US00/12780. Une série de chiffres a elle aussi été déposée avec cette demande; cependant il ne s’agissait pas des mêmes que ceux qui avaient été déposés avec la demande américaine et ils étaient donc inexacts.

 

[6]               La demande PCT est ensuite entrée dans la phase nationale au Canada, devenant ainsi la demande de brevet. Les chiffres accompagnant la demande de brevet sont donc inexacts eux aussi.

 

[7]               Le 28 novembre 2006, un rapport d’examinateur canadien a informé la demanderesse que les chiffres déposés avec la demande de brevet étaient inexacts.

 

[8]               En réponse, la demanderesse a demandé au commissaire de remplacer les chiffres inexacts qui avaient été déposés avec la demande de brevet par les chiffres exacts, conformément à l’article 8 de la Loi sur les brevets, dont le texte est le suivant :

8. Un document en dépôt au Bureau des brevets n’est pas invalide en raison d’erreurs d’écriture; elles peuvent être corrigées sous l’autorité du commissaire.

 

8. Clerical errors in any instrument of record in the Patent Office do not invalidate the instrument, but they may be corrected under the authority of the Commissioner.

 

[9]               La demanderesse a déposé un affidavit indiquant que des chiffres inexacts avaient été déposés avec la demande PCT et donc aussi avec la demande de brevet, à la suite d’une erreur involontaire d’un commis de l’agent de la demanderesse aux États-Unis. Elle a aussi déposé une copie certifiée de la demande américaine, qui contenait les chiffres exacts.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[10]           Dans une lettre datée du 5 janvier 2009, le commissaire a refusé de procéder à la substitution que demandait la demanderesse. Il a exprimé l’avis que [traduction« le type d’erreur qu’envisage l’article 8 [de la Loi sur les brevets] englobe clairement celle que commet un commis ou un subalterne dans le processus mécanique de rédaction ou de transcription, mais cette erreur ne s’étend pas aux obligations et aux responsabilités inhérentes d’un agent qui s’occupe de la poursuite des demandes de brevets ».

 

[11]           Au dire du commissaire, la production de chiffres exacts est l’une des [traduction« obligations et responsabilités inhérentes » d’un demandeur de brevet, et il n’est pas habilité à corriger des chiffres inexacts qui ont été produits.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[12]           La présente demande soulève les questions suivantes :

1) Quelles sont la ou les normes de contrôle appropriées?

2) La décision du commissaire contient-elle une erreur susceptible de contrôle?

 

ANALYSE

1) Quelles sont la ou les normes de contrôle appropriées?

[13]           Le pouvoir discrétionnaire que le législateur confère au commissaire de modifier les demandes de brevet en vertu de l’article 8 de la Loi sur les brevets se limite à corriger les « erreurs d’écriture ». La définition d’une « erreur d’écriture » que le commissaire a appliqué en l’espèce a été énoncée dans la décision Bayer, et récemment approuvée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Apotex Inc. c. ADIR, 2009 CAF 222, au paragraphe 124.

 

[14]           Cependant, la Cour a utilisé des approches quelque peu différentes pour déterminer quelle est la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à la décision du commissaire d’accepter ou de rejeter la requête d’un demandeur concernant la correction d’une prétendue erreur d’écriture.

 

[15]           L’une de ces approches, que décrit le juge Roger Hughes dans Pason Systems Corp. c. Canada (Commissaire aux brevets), 2006 CF753, [2007] 2 R.C.F. 269, au paragraphe 21, exige que la cour siégeant en contrôle judiciaire, en premier lieu, examine la décision du commissaire selon laquelle il y a eu « erreur d’écriture » ou non et, en second lieu, si le commissaire a conclu qu’une telle erreur a été effectivement commise, qu’il examine la décision du commissaire de la corriger ou non. Souscrivant à cette approche dans la décision Laboratoires Servier c. Apotex Inc., 2008 CF 825, 67 C.P.R. (4th) 241, la juge Judith Snider a conclu, au paragraphe 205, que « la norme de contrôle applicable à l’égard des deux étapes d’une décision prise en vertu de l’article 8 est la norme de la décision raisonnable ». Elle a également souscrit à la conclusion du juge Hughes, dans l’arrêt Pason, précité, au paragraphe 21, selon laquelle « [l]a détermination de ce qui constitue une erreur d’écriture est de nature hautement factuelle ».

 

[16]           En ce qui concerne cette approche, la question de savoir si le changement sollicité par un demandeur concerne une « erreur d’écriture » comporte une seule étape, basée sur la conception suivante d’une erreur d’écriture : [traduction« on le sait quand on la voit ».

 

[17]           Le juge Robert Barnes, dans la décision Procter & Gamble Co. c. Canada (Commissaire aux brevets), 2006 CF 976, [2007] 2 R.C.F. 542, a adopté une seconde approche. Dans cette affaire, le commissaire avait refusé d’apporter les changements demandés, concluant qu’il n’était pas compétent pour le faire parce que l’erreur que la demanderesse souhaitait corriger n’était pas une « erreur d’écriture ». Au paragraphe 19, le juge Barnes a déclaré que « la question décidée par le commissaire mettait en jeu une interprétation du droit à effet déterminant sur la définition du pouvoir que lui confère l’article 8 de la Loi. En outre, cette question n’exigeait pas la mise en œuvre d’une expertise spéciale, pas plus qu’elle ne commandait la prise en considération d’une multiplicité de facteurs concurrents du point de vue de l’action publique. Dans de telles affaires, la norme de la décision correcte est nécessairement la norme de contrôle applicable. »

 

[18]           En ce qui concerne cette approche, la question de savoir si le changement demandé concerne une erreur d’écriture ou non comporte deux étapes : premièrement, une décision juridique, à savoir l’interprétation de l’expression « erreur d’écriture » qui figure dans la loi et, deuxièmement, une conclusion factuelle à propos de la question de savoir si l’erreur en litige constitue ou non une « erreur d’écriture » au sens de la Loi sur les brevets.

 

[19]           La décision Bayer, sur laquelle se fonde le commissaire, peut elle-même être vue comme le précurseur de l’approche en deux étapes, car elle traite presque exclusivement de la définition de l’expression « erreur d’écriture ».

 

[20]           Dans la décision Dow Chemical Co. c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1236, 63 C.P.R. (4th) 89, le juge Barnes avait à contrôler une décision par laquelle le commissaire avait rejeté une demande de correction d’une prétendue « erreur d’écriture ». Soit dit en passant, les faits de cette affaire ressemblent à ceux dont il est question en l’espèce : à cause d’une erreur de l’agent de brevets américain du demandeur, neuf pages de la demande de brevet américaine n’avaient pas été jointes à la demande de brevet canadienne portant sur la même invention. Le commissaire avait conclu que l’omission de neuf pages allait au-delà de ce qu’envisage la notion d’une « erreur d’écriture », telle qu’interprétée dans la décision Bayer, précitée, et que, même si ce n’était pas le cas, il s’agissait d’une affaire dans laquelle il refuserait d’exercer le pouvoir discrétionnaire dont il était investi pour corriger une « erreur d’écriture ». Le juge Barnes a écrit ce qui suit, au paragraphe 12 de sa décision :

Il y a, bien sûr, des cas où la question qui se pose dans le cadre d’un contrôle judiciaire est qualifiée de question mixte de fait et de droit mais où la question juridique peut être isolée des faits qui l’entourent. Lorsqu’il est possible de dégager ainsi une question juridique des éléments de preuve et lorsque le décideur a commis une erreur dans l’identification du principe ou de la norme juridique à appliquer aux éléments de preuve pertinents, la norme de contrôle sera habituellement celle de la décision correcte [...] Cependant, dans les cas où il y a véritablement mixité des faits et du droit, une retenue judiciaire se situant au moins au niveau de la norme de la décision raisonnable sera indiquée à l’égard du décideur.

 

 

 

[21]           Selon le juge Barnes, l’affaire Procter & Gamble se rangeait dans la première catégorie – la question juridique qu’elle soulevait avait un caractère autonome et pouvait être contrôlée selon la norme de la décision correcte. Dans l’affaire Dow Chemical, il y avait une mixité inextricable des faits et du droit. Le juge Barnes a confirmé la décision du commissaire après avoir conclu que le pouvoir discrétionnaire qu’avait le commissaire de ne pas corriger une erreur d’écriture, même s’il y en avait une, n’était pas déraisonnable.

 

[22]           Au vu de cette jurisprudence, je suis d’avis qu’au moins dans les affaires où l’on conteste le sens de l’expression « erreur d’écriture », comme le fait la demanderesse en l’espèce, la cour siégeant en contrôle judiciaire doit examiner la définition qu’applique le commissaire. L’interprétation de l’article 8 de la Loi sur les brevets est une question de nature juridique, et la norme de contrôle applicable est, de ce fait, la décision correcte, ainsi que l’a déclaré le juge Barnes dans Procter & Gamble. Si le commissaire a employé la bonne définition, l’application de cette dernière aux faits d’une affaire est une question mixte de faits et de droit, et donc susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

 

2)      La décision du commissaire contient-elle une erreur susceptible de contrôle?

[23]           Je reconnais que l’association constante de l’expression « erreur d’écriture » à l’acte de la rédaction (à la machine) est de plus en plus anachronique. Comme l’a fait remarquer le juge Barnes dans Dow Chemical, au paragraphe 28 : « à une époque où les documents sont produits et édités par ordinateur, de simples fautes de frappe ou autres erreurs de transcription peuvent avoir des effets qui paraissent disproportionnés ». Cependant, la jurisprudence est constante et n’étend pas la définition au-delà des erreurs que la juge Snider a décrites dans la décision Servier, précitée, au paragraphe 215 : « de nature mécanique et [commises] sans réfléchir ».

 

[24]           Cette interprétation de l’article 8 de la Loi sur les brevets est confortée par la version française de cette disposition, dans laquelle l’expression correspondant à « clerical error » est « erreur d’écriture ».

 

[25]           La version française de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21, art. 35, définit le mot « écrit » comme suit : «  [m]ots pouvant être lus, quel que soit leur mode de présentation ou de reproduction, notamment impression, dactylographie, peinture, gravure, lithographie ou photographie » [Non souligné dans l’original.]. Les exemples qui accompagnent la définition commencent à dater, mais cette définition s’étend à la reproduction de mots, peu importe le moyen technique employé pour ce faire. Quant au Petit Robert de la langue française, il indique que le mot « écrit » a le sens de « tracé par l’écriture ». Une « erreur d’écriture » est donc une erreur commise dans la reproduction de mots – il peut s’agir d’un mot oublié, d’une faute d’orthographe, d’un mot ajouté ou d’une autre erreur semblable – peu importe le moyen technique utilisé pour les reproduire.

 

[26]           Étant donné la définition que donne la juge Snider de l’expression « clerical error » dans le contexte de l’analyse qui précède à propos de l’expression « erreur d’écriture », il est bien établi que l’article 8 de la Loi sur les brevets envisage les erreurs qui surviennent lors de la rédaction « mécanique » ou de la reproduction d’un texte, quel que soit le moyen technique utilisé à cette fin.

 

[27]           En fait, cette définition est une version plus récente de celle qu’a formulée le juge Mahoney dans Bayer, mais sans faire référence à un moyen technique particulier. Comme la différence entre les deux n’est pas importante dans les circonstances de l’espèce, je conclus que le commissaire n’a pas commis d’erreur de droit en appliquant la définition qui figure dans Bayer.

 

[28]           Il est possible, j’en suis consciente, que cette définition soit encore trop restrictive compte tenu de la quantité et de la nature du travail d’écriture qui se fait par voie électronique dans les pratiques commerciales contemporaines, ainsi que de la possibilité de commettre par inadvertance des erreurs dans le cadre de ce travail.

 

[29]           Toutefois, en revanche, comme l’a expliqué la Cour d’appel fédérale dans Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Commissaire aux brevets), [1998] 229 N.R. 217, 82 C.P.R. (3d) 192 (C.A.F.) [Bristol-Myers], au paragraphe 25, une demande de brevet est un document public sur lequel une tierce partie peut se fonder, ce qui explique pourquoi le législateur a limité rétroactivement le pouvoir discrétionnaire qu’a le commissaire de corriger les documents qui accompagnent une demande de cette nature. Il appartiendrait au législateur de remettre en équilibre ces considérations.

 

[30]           Il est donc évident que l’erreur qui a entraîné la production des chiffres inexacts avec la demande de brevet de la demanderesse n’était pas une « erreur d’écriture », au sens certes strict de la Loi sur les brevets. La décision du commissaire n’était pas déraisonnable.

 

[31]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de la décision est rejetée. Vu le temps et les efforts que le défendeur a consacrés au présent contrôle judiciaire et le fait que la demanderesse a décidé à la dernière minute de ne pas se présenter à l’audience, la Cour, exerçant son pouvoir discrétionnaire, adjuge au défendeur des dépens payables sans délai de 2 159,01 $, conformément au mémoire de frais que ce dernier a déposé.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée, avec des dépens de 2 159,01 $ à payer au défendeur.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-166-09

 

INTITULÉ :                                       SCANNEX TECHNOLOGIES, LLC c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 20 OCTOBRE 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 21 OCTOBRE 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Aucune comparution

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jacqueline Dais-Visca

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Riches, McKenzie & Herbert LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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