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Date : 20090717

Dossiers : T-1976-06

T-2047-06

 

Référence : 2009 CF 725

 

Halifax (Nouvelle‑Écosse), le 17 juillet 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MANDAMIN

 

Dossier : T‑1976‑06

ENTRE :

L’ASSOCIATION CANADIENNE

DU MÉDICAMENT GÉNÉRIQUE

            demanderesse

 

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

 

et

LES COMPAGNIES DE RECHERCHE PHARMACEUTIQUE

DU CANADA

intervenante


Dossier : T‑2047‑06

ET ENTRE :

APOTEX INC.

demanderesse

 

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

 

et

ELI LILLY CANADA INC.

intervenante

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

[1]               Les demanderesses demandent le contrôle judiciaire de l’édiction par le gouverneur en conseil, en 2006, de l’article C.08.004.1 (le Règlement sur la protection des données) du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870 (le Règlement de la LAD). Les demanderesses cherchent à obtenir un jugement déclarant que le Règlement sur la protection des données est invalide et sans effet juridique ainsi que d’autres redressements afférents.

 

[2]               Dans le dossier T‑1976‑06, la demanderesse est l’Association canadienne du médicament générique (ACMG), association qui regroupe des fabricants de médicaments génériques et leurs fournisseurs. Le défendeur est le Canada, représenté par le procureur général du Canada et le ministre de la Santé. L’intervenante, Les compagnies de recherche pharmaceutique du Canada (Rx&D), est une association de fabricants de médicaments et de sociétés apparentées.

 

[3]               Dans le dossier T‑2047‑06, la demanderesse est Apotex Inc. (Apotex), le plus gros fabricant de médicaments génériques au Canada. Le défendeur est le Canada, représenté par le procureur général du Canada et le ministre de la Santé. L’intervenante est Eli Lilly Canada Inc. (Eli Lilly), gros fabricant de médicaments canadien qui participe à la recherche et au développement pharmaceutiques mondiaux par le groupe international Eli Lilly.

 

[4]               Dans les deux demandes, les parties et les intervenantes soulèvent les mêmes questions, soit la validité du paragraphe 30(3) de la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. 1985, ch. F‑27 (la Loi), et du Règlement sur la protection des données. Les parties et les intervenantes ont présenté des observations orales dans le cadre d’une audience conjointe, en séparant leurs observations orales sur les questions soulevées selon leurs positions respectives. Je traiterai les deux demandes comme des instances jointes et les présents motifs s’appliqueront aux deux procédures, soit aux dossiers T‑1976‑06 et T‑2047‑06.

 

[5]               Le paragraphe 30(3) de la Loi confère au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements pour la mise en œuvre de dispositions particulières concernant la protection des données de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Accord sur les ADPIC). La gouverneure en conseil a pris le Règlement sur la protection des données le 5 octobre 2006.

 

[6]               Le Règlement sur la protection des données introduit une période d’exclusivité de marché par l’imposition d’un moratoire de huit ans sur l’autorisation en vue de la commercialisation de la copie générique d’une drogue nouvelle déjà autorisée.

 

[7]               Avant l’édiction du Règlement sur la protection des données, la seule restriction empêchant un fabricant de médicaments génériques d’obtenir l’autorisation de commercialiser un médicament générique était la protection d’un brevet non expiré. Depuis l’édiction du Règlement sur la protection des données, la société pharmaceutique qui souhaite faire approuver sa copie générique doit attendre l’expiration de la période d’exclusivité sur le marché de la drogue nouvelle avant de pouvoir obtenir l’autorisation recherchée, même en l’absence de la protection d’un brevet.

 

[8]               La question que soulèvent les deux présentes demandes est de savoir si le Parlement dispose du pouvoir constitutionnel d’adopter le paragraphe 30(3) de la Loi et le Règlement sur la protection des données et si le gouverneur en conseil peut prendre le Règlement sur la protection des données dans sa forme actuelle.

 

[9]               J’ai décidé que le paragraphe 30(3) de la Loi et le Règlement sur la protection des données constitue un exercice valide de la compétence constitutionnelle fédérale en matière de réglementation des échanges et commerce, prévue au paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867. J’ai également conclu que le Règlement sur la protection des données a un lien rationnel avec le paragraphe 30(3) de la Loi et tombe sous la compétence réglementaire conférée au gouverneur en conseil par le Parlement.

 

[10]           S’agissant de la question de procédure, j’ai conclu que l’ACMG a qualité pour agir dans l’intérêt public.

 

II.        Le contexte

[11]           Pour commencer, il est utile de décrire le processus d’obtention de l’autorisation de commercialiser des médicaments au Canada.

 

[12]           En général, une société pharmaceutique obtient l’autorisation relative à une drogue nouvelle en présentant à Santé Canada une présentation de drogue nouvelle (PDN). Cette présentation doit comporter des données exhaustives établissant l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle. La preuve étant faite à la satisfaction du ministre de la Santé et de ses fonctionnaires, la société pharmaceutique innovatrice obtient un avis de conformité qui approuve la drogue nouvelle. Le fabricant de médicaments génériques qui cherche à commercialiser une version générique d’une drogue déjà approuvée par le ministre de la Santé établit l’innocuité du médicament générique en présentant une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN). Le fabricant du médicament générique doit produire des renseignements démontrant que le médicament générique est un équivalent pharmaceutique du médicament approuvé et qu’il possède la même biodisponibilité. Quand l’innocuité et l’efficacité du médicament générique sont établies par cette comparaison, le fabricant du médicament générique obtient lui aussi un avis de conformité pour son produit générique.

 

La présentation de drogue nouvelle

[13]           Le Règlement de la LAD interdit la commercialisation de toute drogue dont l’innocuité à la consommation et l’efficacité thérapeutique n’ont pas été établies. Avant qu’un fabricant de médicaments puisse mettre sur le marché une drogue nouvelle au Canada, un avis de conformité doit lui être délivré par le ministre de la Santé. L’avis de conformité indique que le ministre est persuadé de l’innocuité et de l’efficacité de la drogue nouvelle. Il est délivré en conformité avec le titre 8 de la partie C du Règlement de la LAD qui prévoit :

C.08.002. (1) Il est interdit de vendre ou d’annoncer une drogue nouvelle, à moins que les conditions suivantes ne soient réunies :

 

a) le fabricant de la drogue nouvelle a, relativement à celle-ci, déposé auprès du ministre une présentation de drogue nouvelle ou une présentation abrégée de drogue nouvelle que celui-ci juge acceptable;

b) le ministre a, aux termes de l’article C.08.004, délivré au fabricant de la drogue nouvelle un avis de conformité relativement à la présentation de drogue nouvelle ou à la présentation abrégée de drogue nouvelle;

 

 

[14]           La PDN contient les renseignements nécessaires pour établir l’innocuité et l’efficacité de la drogue. En général, ses données définissent la drogue, ses avantages, ses effets indésirables, les procédés de fabrication, les essais cliniques réalisés sur des sujets volontaires sains et les essais cliniques médicaux sur des patients ainsi que l’innocuité et l’efficacité du produit médicamenteux. Le juge Binnie a décrit le processus relatif aux présentations de drogue nouvelle dans l’arrêt Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CSC 26 (Bristol‑Meyers) :

13        La Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. 1985, ch. F‑27, met en place un cadre réglementaire qui permet de s’assurer que les exigences rigoureuses en matière de santé et de sécurité soient respectées avant que les drogues ne puissent être commercialisées au Canada. La procédure d’approbation réglementaire aboutit à un ADC que délivre le ministre suivant les conseils de ses fonctionnaires du Programme des produits thérapeutiques (« PPT ») du ministère fédéral de la Santé.

14        Selon le Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C. 1978, ch. 870, et les politiques ministérielles, les fabricants de produits pharmaceutiques doivent soumettre différents types de présentations de drogue nouvelle à des fins différentes. Les deux principales formes de présentation sont la Présentation de drogue nouvelle, déposée par un fabricant de produits d’origine à l’égard d’un nouveau produit pharmaceutique, et la Présentation abrégée de drogue nouvelle, déposée par un fabricant de produits génériques qui allègue que son produit est l’« équivalent pharmaceutique » d’un « produit de référence canadien » déjà approuvé (al. C.08.002.1(1)a)).

15        Une société pharmaceutique qui entend commercialiser une drogue nouvelle au Canada doit indiquer dans sa PDN les qualités qu’on lui attribue, les effets indésirables éprouvés, la composition chimique de ses ingrédients et les procédés de fabrication et de purification et ce, de manière suffisamment détaillée pour permettre au ministre d’évaluer l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle en fonction de ce qu’indique la PDN. Par la suite, le ministre et ses fonctionnaires examinent les documents, exigent éventuellement d’autres études, posent des questions et se livrent généralement à une enquête approfondie, ce qui peut prendre en tout plusieurs années.

16        Selon l’art. C.08.001 du Règlement sur les aliments et drogues, l’expression « drogue nouvelle » s’entend d’une drogue qui renferme une substance qui « n’a pas été vendue comme drogue au Canada pendant assez longtemps et en quantité suffisante pour établir, au Canada, l’innocuité et l’efficacité de ladite substance employée comme drogue ».

17        En définitive, s’il est satisfait, le ministre « doit » délivrer un ADC (par. C.08.004(1)). Le ministre doit aussi être satisfait des procédés prévus pour la fabrication, le contrôle de la qualité, etc. (art. C.08.002). La drogue nouvelle peut alors être commercialisée.

 

[15]           Les parties précliniques de la PDN comprennent tous les renseignements concernant les nombreuses épreuves que l’innovateur a réalisées en laboratoire. Ces épreuves visent à tester l’action et la toxicité du médicament. Les parties cliniques de la PDN réunissent les renseignements recueillis dans les essais cliniques auprès de sujets volontaires et/ou de patients en vue de tester l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle. Le ministre de la Santé peut exiger d’autres renseignements ou d’autres études avant d’être persuadé. Le contenu, la taille et le coût de chaque PDN peuvent varier. Toutefois, les renseignements généralement exigés dans une PDN pour une drogue nouvelle active représentent un engagement important pour la société pharmaceutique innovatrice et peuvent compter de cent jusqu’à trois cents volumes de données.

 

[16]           Le ministre de la Santé, s’il est convaincu de l’innocuité et de l’efficacité de la drogue nouvelle, délivre un avis de conformité. La drogue est alors inscrite à titre de produit de référence canadien et reçoit une identification numérique de drogue (DIN) unique.

 

La présentation abrégée de drogue nouvelle

[17]           Les fabricants de médicaments qui souhaitent obtenir l’autorisation de commercialiser la copie générique d’un médicament approuvé procèdent par la voie d’une PADN. La présentation comporte des renseignements sur la composition et la fabrication du générique et des études qui démontrent que le médicament générique contient une quantité identique du même ingrédient médicinal sous des formes posologiques comparables au produit de référence canadien, en est un équivalent pharmaceutique et a la même biodisponibilité que le produit de référence canadien. Dans la décision Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 1062, le juge Hughes a résumé le processus réglementaire d’approbation de la vente de la copie générique d’un médicament approuvé :

6          La législation canadienne prévoit que les copies génériques de médicaments approuvés peuvent être offertes en vente au Canada, peu importe que le fabricant du médicament d’origine y consente ou non. Cela suppose que le ministre soit convaincu que les copies présentent la même innocuité et la même efficacité que le médicament original conformément à la Loi sur les aliments et drogues et à son règlement d’application. Le fabricant du médicament générique n’est pas tenu, toutefois, de fournir les renseignements complets fournis par le fabricant du médicament d’origine. Il peut simplement dire au ministre qu’il s’appuie sur les renseignements du fabricant du médicament d’origine ou y « renvoie » en déposant une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN). Le fabricant du médicament générique doit présenter des données sur son produit, visant pour la plupart à convaincre le ministre que le produit est l’équivalent pharmacologique de l’original et que la biodisponibilité de l’ingrédient ou des ingrédients actifs est la même. De cette façon, le fabricant du médicament générique est obligé de faire un certain investissement en fournissant des renseignements.

 

 

 

[18]           La PADN peut également comporter des études de stabilité et une validation de procédé dans le cas où le fabricant du médicament générique emploie un procédé de fabrication différent ou des ingrédients inactifs différents de ceux qu’emploie l’innovateur. La PADN typique contient un volume inférieur de données, qui vont généralement d’une à deux douzaines de volumes.

 

[19]           Lorsque le ministre de la Santé est convaincu par la PADN, un avis de conformité est délivré à l’égard du médicament générique; le médicament devient alors un produit de référence canadien et reçoit une identification numérique de drogue (DIN).

 

[20]           Qu’il s’agisse de la PDN ou de la PADN, si le ministre est convaincu que la drogue nouvelle ou le médicament générique envisagés ont l’innocuité et l’efficacité voulues et qu’ils satisfont pour le reste aux exigences du Règlement de la LAD, il doit sans délai délivrer un avis de conformité au fabricant du médicament, sous réserve des considérations relatives au brevet, qui ne sont pas pertinentes par rapport aux présentes demandes.

 

III.       La législation et les accords internationaux

L’historique législatif

[21]           Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) décrit l’article C.08.004.1 du Règlement de la LAD comme une disposition de protection des données. Le gouverneur en conseil a adopté cette modification réglementaire en vertu du paragraphe 30(3) de la Loi. Le paragraphe 30(3) était déjà une modification législative passée en vertu de la Loi de mise en œuvre de l’Accord sur l’Organisation mondiale du commerce, L.C. 1994, ch. 47, article 117. La version antérieure du paragraphe 30(3) avait été adoptée en vertu de la Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre‑échange nord‑américain, L.C. 1993, ch. 44, article 158.

 

[22]           La formulation de la version actuelle du paragraphe 30(3) autorise le gouverneur en conseil à prendre, concernant les drogues, les règlements qu’il estime nécessaires pour la mise en œuvre de l’article 1711 de l’Accord de libre‑échange nord‑américain et du paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Accord sur les ADPIC).

 

L’ALENA

[23]           L’ALENA est un accord de commerce nord‑américain trilatéral passé par les gouvernements du Canada, des États-Unis et du Mexique. Il a été signé le 17 décembre 1992. L’article 1711 de l’ALENA dispose :

Article 1711 : Secrets commerciaux

1. Chacune des Parties donnera à toute personne le moyen juridique d’empêcher que des secrets commerciaux ne soient divulgués à des tiers, acquis ou utilisés par eux, sans le consentement de la personne licitement en possession de ces renseignements et d’une manière contraire aux pratiques commerciales honnêtes, dans la mesure où :

 

a) les renseignements sont secrets, en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration et l’assemblage exacts de leurs éléments, ils ne sont pas généralement connus de personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre de renseignements en question ou ne leur sont pas aisément accessibles;

b) les renseignements ont une valeur commerciale, réelle ou potentielle, du fait qu’ils sont secrets;

c) la personne licitement en possession de ces renseignements a pris des dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, en vue de les garder secrets.

2. Une Partie peut exiger que, pour faire l’objet d’une protection, un secret commercial soit établi par des documents, des médias électroniques ou magnétiques, des disques optiques, des microfilms, des films ou autres supports analogues.

3. Aucune Partie ne peut restreindre la durée de protection des secrets commerciaux tant que subsistent les conditions énoncées au paragraphe 1.

4. Aucune Partie ne peut entraver ou empêcher la concession de licences volontaires à l’égard de secrets commerciaux en imposant des conditions excessives ou discriminatoires à l’octroi de ces licences ou des conditions qui réduisent la valeur des secrets commerciaux.

5. Lorsqu’une Partie subordonne l’approbation de la commercialisation de produits pharmaceutiques ou de produits chimiques pour l’agriculture qui comportent des éléments chimiques nouveaux, à la communication de données non divulguées résultant d’essais ou d’autres données non divulguées nécessaires pour déterminer si l’utilisation de ces produits est sans danger et efficace, cette Partie protégera ces données contre toute divulgation, lorsque l’établissement de ces données demande un effort considérable, sauf si cela est nécessaire pour protéger le public, ou à moins que des mesures ne soient prises pour s’assurer que les données sont protégées contre toute exploitation déloyale dans le commerce.

6. Chaque Partie prévoira, en ce qui concerne les données visées au paragraphe 5 qui lui sont communiquées après la date d’entrée en vigueur du présent accord, que seule la personne qui les a communiquées peut, sans autorisation de cette dernière à autrui, utiliser ces données à l’appui d’une demande d’approbation de produit au cours d’une période de temps raisonnable suivant la date de leur communication. On entend généralement par période de temps raisonnable, une période d’au moins cinq années à compter de la date à laquelle la Partie en cause a donné son autorisation à la personne ayant produit les données destinées à faire approuver la commercialisation de son produit, compte tenu de la nature des données, ainsi que des efforts et des frais consentis par cette personne pour les produire. Sous réserve de cette disposition, rien n’empêchera une Partie d’adopter à l’égard de ces produits des procédures d’homologation abrégées fondées sur des études de bioéquivalence et de biodisponibilité.

7. Lorsqu’une Partie se fie à une approbation de commercialisation accordée par une autre Partie, la période raisonnable d’utilisation exclusive des données présentées en vue d'obtenir l’approbation en question commencera à la date de la première approbation de commercialisation.

 

La Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange nord-américain

 

[24]           Le 1er janvier 1994, le Parlement a adopté la Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre‑échange nord-américain, qui donnait effet à une version antérieure du paragraphe 30(3) de la Loi. Auparavant, l’article 30 de la Loi comportait deux paragraphes. La première version du paragraphe 30(3) était libellée dans les termes suivants :

 

Règlements relatifs à l’Accord de libre-échange nord-américain

[…]

(3) Sans que soit limité le pouvoir conféré par toute autre disposition de la présente loi de prendre des règlements d’application de la présente loi ou d’une partie de celle-ci, le gouverneur en conseil peut, pour la mise en œuvre de l’article 1711 de l'Accord de libre‑échange nord‑américain, prendre des règlements prévoyant dans quelle mesure, s’il y a lieu, une personne peut, lorsqu’elle tente de déterminer la sûreté ou l’efficacité d’une drogue nouvelle, pour l’application des règlements pris en vertu des paragraphes (1) ou (2), se fonder sur des essais ou d’autres données présentés au ministre, conformément à ces règlements, par une autre personne.

 

 

Le Règlement sur la protection des données au 9 juin 1995

 

[25]           L’article C.08.004.1 a été adopté en vertu du paragraphe 30(3) de la Loi et publié dans la Gazette du Canada le 9 juin 1995 dans le cadre du Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues (protection des données), DORS/95‑411. En voici la teneur :

 

C.08.004.1 (1) Lorsque le fabricant dépose une présentation de drogue nouvelle, une présentation abrégée de drogue nouvelle ou un supplément à l’une de ces présentations en vue de faire déterminer l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle qui en est l’objet, et que le ministre examine les renseignements et le matériel présentés, dans une présentation de drogue nouvelle, par l’innovateur d’une drogue contenant une substance chimique ou biologique dont la vente comme drogue n’a pas été préalablement approuvée au Canada et s’appuie sur les données y figurant pour étayer la présentation ou le supplément du fabricant, il ne peut délivrer un avis de conformité à l’égard de cette présentation ou de ce supplément avant l’expiration du délai de cinq ans suivant la date à laquelle est délivré à l’innovateur l’avis de conformité ou l’approbation de commercialiser cette drogue, selon le cas, d’après les renseignements ou le matériel présentés par lui pour cette drogue.

 

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas lorsque le fabricant d’une drogue nouvelle pour laquelle un avis de conformité a été délivré aux termes de l’article C.08.004 autorise par écrit un autre fabricant à se fonder sur les résultats d’essais ou d’autres données présentés au sujet de la drogue nouvelle.

 

(3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas lorsque les données sur lesquelles le ministre s’appuie étaient contenues dans les renseignements et le matériel présentés par l’innovateur avant le 1er janvier 1994.

 

 

L’Accord sur les ADPIC

 

[26]           L’Accord sur les ADPIC a été négocié en 1994 à l’issue du Cycle d’Uruguay de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). L’Accord sur les ADPIC est un accord international sous l’administration de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui définit des normes minimales applicables à la protection de nombreuses formes de propriété intellectuelle.

 

[27]           L’Accord sur les ADPIC a été signé le 15 avril 1994. L’article 39 de l’Accord sur les ADPIC dispose :

Article 39

1. En assurant une protection effective contre la concurrence déloyale conformément à l’article 10bis de la Convention de Paris (1967), les Membres protégeront les renseignements non divulgués conformément au paragraphe 2 et les données communiquées aux pouvoirs publics ou à leurs organismes conformément au paragraphe 3.

2. Les personnes physiques et morales auront la possibilité d’empêcher que des renseignements licitement sous leur contrôle ne soient divulgués à des tiers ou acquis ou utilisés par eux sans leur consentement et d’une manière contraire aux usages commerciaux honnêtes, sous réserve que ces renseignements :

a) soient secrets en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration et l’assemblage exacts de leurs éléments, ils ne sont pas généralement connus de personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre de renseignements en question ou ne leur sont pas aisément accessibles;

b) aient une valeur commerciale parce qu’ils sont secrets; et

c) aient fait l’objet, de la part de la personne qui en a licitement le contrôle, de dispositions raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à les garder secrets.

3. Lorsqu’ils subordonnent l’approbation de la commercialisation de produits pharmaceutiques ou de produits chimiques pour l’agriculture qui comportent des entités chimiques nouvelles à la communication de données non divulguées résultant d’essais ou d’autres données non divulguées, dont l’établissement demande un effort considérable, les Membres protégeront ces données contre l’exploitation déloyale dans le commerce. En outre, les Membres protégeront ces données contre la divulgation, sauf si cela est nécessaire pour protéger le public, ou à moins que des mesures ne soient prises pour s’assurer que les données sont protégées contre l’exploitation déloyale dans le commerce.

 

 

La Loi de mise en œuvre de l’Accord sur l’Organisation mondiale du commerce

 

[28]           Le Parlement a modifié le paragraphe 30(3) de la Loi au moment de l’adoption de la Loi de mise en œuvre de l’Accord sur l’Organisation mondiale du commerce. Cet accord est entré en vigueur le 1er janvier 1996. La disposition modifiée, qui forme désormais le paragraphe 30(3) actuel de la Loi, est ainsi conçue :

Règlements relatifs à l’Accord de libre‑échange nord‑américain et à l’Accord sur l’OMC

[…]

(3) Sans que soit limité le pouvoir conféré par toute autre disposition de la présente loi de prendre des règlements d’application de la présente loi ou d’une partie de celle-ci, le gouverneur en conseil peut prendre, concernant les drogues, les règlements qu’il estime nécessaires pour la mise en œuvre de l’article 1711 de l’Accord de libre‑échange nord‑américain ou du paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce figurant à l’annexe 1C de l’Accord sur l’OMC.

 

 

 

Le Règlement sur la protection des données au 5 octobre 2006

 

[29]           Le REIR déclare qu’au terme d’une consultation des parties prenantes, le Règlement de la LAD a été modifié pour qu’il reflète les obligations du Canada découlant des accords internationaux. Le gouverneur en conseil a modifié l’article C.08.004.1; la modification est entrée en vigueur le 5 octobre 2006 et elle a été publiée dans la Gazette du Canada le 18 octobre 2006. La version antérieure de l’article C.08.004.1, qui datait de 1995, a été remplacée par la reformulation suivante :

C.08.004.1 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

« drogue innovante » S’entend de toute drogue qui contient un ingrédient médicinal non déjà approuvé dans une drogue par le ministre et qui ne constitue pas une variante d’un ingrédient médicinal déjà approuvé tel un changement de sel, d’ester, d’énantiomère, de solvate ou de polymorphe. (innovative drug)

« population pédiatrique » S’entend de chacun des groupes suivants : les bébés prématurés nés avant la 37e semaine de gestation, les bébés menés à terme et âgés de 0 à 27 jours, tous les enfants âgés de 28 jours à deux ans, ceux âgés de deux ans et un jour à 11 ans et ceux âgés de 11 ans et un jour à 18 ans. (pediatric populations)

(2) Le présent article s’applique à la mise en œuvre de l’article 1711 de l’Accord de libre‑échange nord‑américain, au sens du terme « Accord » au paragraphe 2(1) de la Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre-échange nord-américain, et du paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce figurant à l’annexe 1C de l’Accord sur l’Organisation mondiale du commerce, au sens du terme « Accord » au paragraphe 2(1) de la Loi de mise en œuvre de l’Accord sur l’Organisation mondiale du commerce.

(3) Lorsque le fabricant demande la délivrance d’un avis de conformité pour une drogue nouvelle sur la base d’une comparaison directe ou indirecte entre celle-ci et la drogue innovante :

 

a) le fabricant ne peut déposer pour cette drogue nouvelle de présentation de drogue nouvelle, de présentation abrégée de drogue nouvelle ou de supplément à l’une de ces présentations avant l’expiration d’un délai de six ans suivant la date à laquelle le premier avis de conformité a été délivré à l’innovateur pour la drogue innovante;

 

b) le ministre ne peut approuver une telle présentation ou un tel supplément et ne peut délivrer d’avis de conformité pour cette nouvelle drogue avant l’expiration d’un délai de huit ans suivant la date à laquelle le premier avis de conformité a été délivré à l’innovateur pour la drogue innovante.

(4) Le délai prévu à l’alinéa (3)b) est porté à huit ans et six mois si, à la fois :

 

a) l’innovateur fournit au ministre la description et les résultats des essais cliniques concernant l’utilisation de la drogue innovante dans les populations pédiatriques concernées dans sa première présentation de drogue nouvelle à l’égard de la drogue innovante ou dans tout supplément à une telle présentation déposé au cours des cinq années suivant la délivrance du premier avis de conformité à l’égard de cette drogue innovante;

 

b) le ministre conclut, avant l’expiration du délai de six ans qui suit la date à laquelle le premier avis de conformité a été délivré à l’innovateur pour la drogue innovante, que les essais cliniques ont été conçus et menés en vue d’élargir les connaissances sur l’utilisation de cette drogue dans les populations pédiatriques visées et que ces connaissances se traduiraient par des avantages pour la santé des membres de celles-ci.

(5) Le paragraphe (3) ne s’applique pas si la drogue innovante n’est pas commercialisée au Canada.

(6) L’alinéa (3)a) ne s’applique pas au fabricant ultérieur dans le cas où l’innovateur consent à ce qu’il dépose une présentation de drogue nouvelle, une présentation abrégée de drogue nouvelle ou un supplément à l’une de ces présentations avant l’expiration du délai de six ans prévu à cet alinéa.

(7) L’alinéa (3)a) ne s’applique pas au fabricant ultérieur s’il dépose une demande d’autorisation pour vendre cette drogue nouvelle aux termes de l’article C.07.003.

(8) L’alinéa (3)b) ne s’applique pas au fabricant ultérieur dans le cas où l’innovateur consent à ce que lui soit délivré un avis de conformité avant l’expiration du délai de huit ans prévu à cet alinéa ou de huit ans et six mois prévu au paragraphe (4).

(9) Le ministre tient un registre des drogues innovantes, lequel contient les renseignements relatifs à l’application des paragraphes (3) et (4).

DORS/95-411, art. 6; DORS/2006-241, art. 1, entré en vigueur le 5 octobre 2006 (Gaz. Can., Partie II, vol. 140, n° 21, p. 1493).

 

 

IV.       La jurisprudence connexe

[30]           Il est pertinent également, dans l’examen du contexte législatif de l’article C.08.004.1 du Règlement de la LAD, de faire état de la jurisprudence relative à l’interprétation de la formulation originale de la disposition.

 

[31]           Dans la décision Bayer c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. nº 1560 (Bayer CF), Bayer Inc. a présenté une requête en vue d’obtenir un jugement déclarant que la première version de l’article C.08.004.1 prévoyait pour les innovateurs à l’origine de drogues nouvelles un délai de cinq ans de protection contre la concurrence d’autres fabricants de médicaments génériques semblables.

 

[32]           Dans la décision Bayer CF, le juge Evans a noté que le REIR indiquait que le paragraphe C.08.004.1(1) avait été adopté pour permettre au Canada de respecter les obligations qu’il avait contractées aux termes de l’ALENA, en particulier des paragraphes 5 et 6 de l’article 1711. Après avoir conclu que le médicament visé était une drogue nouvelle au sens du règlement dans la mesure où il s’agissait de la première approbation demandée pour un traitement chez l’humain, le juge Evans est passé à l’interprétation de la disposition. Premièrement, il a conclu au paragraphe 37 que « [c]ompte tenu de l’objet général du Règlement, on ne doit pas intercaler l’adverbe “indirectement” au paragraphe C.08.004.1(1) de manière à élargir la portée de l’expression “s’appuie sur” ». Deuxièmement, il a conclu qu’il faut interpréter le texte de l’article C.08.004.1 comme s’appliquant au ministre lorsque, dans l’examen d’une PADN, il examine en fait les données présentées dans la PDN correspondante sur le produit de référence canadien de comparaison. Enfin, il a conclu que la formulation et l’interprétation du règlement ne confèrent pas à Bayer le droit à une période d’exclusivité de marché de cinq ans puisque le ministre de la Santé n’examine pas les renseignements de la PDN présentés par l’innovateur lorsqu’il prend en considération la PADN subséquente soumise par un fabricant du médicament générique qui a l’intention de produire une copie générique.

 

[33]           Bayer a interjeté appel de la décision auprès de la Cour d’appel fédérale. Dans l’arrêt Bayer c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. nº 826 (Bayer CAF), le juge Rothstein a circonscrit la question de la manière suivante :

4          Il s’agit de savoir si, lorsque le concurrent d’un innovateur demande l’approbation de l’innocuité et de l’efficacité de son produit en le comparant avec le produit de l’innovateur, le ministre est réputé avoir examiné et utilisé les comptes rendus détaillés confidentiels de l’innocuité et les preuves confidentielles de l’efficacité clinique qui ont auparavant été déposés par l’innovateur auprès du gouvernement. Si la réponse est affirmative, l’innovateur aura droit à une protection minimale de cinq ans contre la concurrence.

 

 

[34]           Le juge Rothstein a confirmé l’évaluation du juge Evans selon laquelle la Cour ne devait lire dans le règlement « le mot “indirectement” ou un autre modificatif ». Il a conclu que le règlement prévoyait un processus séquentiel : d’abord, le dépôt de la PADN; deuxièmement, l’examen des renseignements produits dans la PDN antérieure; troisièmement, l’utilisation de ces renseignements par le ministre au moment de délivrer l’avis de conformité visant le médicament générique de la PADN. Point important, le ministre et les fonctionnaires du ministère n’ont pas fait l’examen des données de la PDN originale produite et la formulation du règlement en vigueur à l’époque ne l’exigeait pas implicitement.

 

[35]           Le juge Rothstein a fait l’examen de l’article 1711 de l’ALENA et a conclu :

18.       Le paragraphe C.08.004.1(1) et les paragraphes 5 et 6 de l’article 1711 de l’ALENA tiennent compte de l’obligation pour les innovateurs de produits pharmaceutiques de divulguer au gouvernement des renseignements confidentiels qui leur appartiennent. Les deux textes prévoient que le gouvernement peut utiliser, au nom du fabricant de produits génériques, ces renseignements confidentiels ou renseignements portant sur des secrets commerciaux, et, lorsque cela se produit, l’innovateur est protégé pendant un minimum de cinq ans contre la concurrence. Lorsque le gouvernement n’utilise pas, au nom du fabricant de produits génériques, lesdits renseignements confidentiels ou renseignements se rapportant à des secrets commerciaux, la disposition n’est pas applicable.

 

[36]           Le gouverneur en conseil a modifié l’article C.08.004.1 après l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Bayer CF. Selon le REIR joint aux modifications, ces modifications du Règlement de la LAD visent à clarifier et à mettre en œuvre, de façon efficace, les engagements du Canada en vertu de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC « en matière de protection des données de tests non divulgués ou d’autres données nécessaires afin de déterminer l’innocuité et l’efficacité d’un produit pharmaceutique ou agricole qui comporte une nouvelle entité chimique ». Le REIR faisait expressément référence à la décision Bayer CF et notait que la formulation antérieure du règlement n’assurait pas suffisamment la protection des données. Selon le REIR, le gouvernement fédéral est d’avis que les modifications créeraient un meilleur équilibre entre la nécessité de disposer de drogues nouvelles et celle de la concurrence sur le marché.

 

V.        Les questions soulevées

[37]           Les questions soulevées par l’ACMG sont les suivantes :

Le Règlement sur la protection des données excède-t-il la compétence réglementaire que confère au gouverneur en conseil le paragraphe 30(3) de la Loi?

 

Le Règlement sur la protection des données et le paragraphe 30(3) de la Loi excèdent-ils la compétence constitutionnelle du gouvernement fédéral?

 

 

[38]           Le Canada a répondu à ces deux questions et en a soulevé une autre sur la qualité de l’ACMG pour agir :

L’ACMG a-t-elle qualité pour demander le contrôle judiciaire du Règlement sur la protection des données?

 

 

[39]           Apotex soulève les questions suivantes :

Le Règlement sur la protection des données excède-t-il la compétence du gouverneur en conseil parce qu’il n’a pas de lien rationnel avec l’attribution de compétence de la disposition habilitante, qui concerne les secrets commerciaux et les renseignements confidentiels?

 

Le Règlement sur la protection des données excède-t-il la compétence législative fédérale prévue à l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867?

 

Le Règlement sur la protection des données comporte-t-il une sous‑délégation inadmissible des responsabilités de mise en œuvre des traités?

 

Le Règlement sur la protection des données est‑il invalide en raison du caractère incertain ou vague découlant de l’attribution d’un pouvoir discrétionnaire au ministre à l’égard de la portée du Règlement de la LAD?

 

[40]           Les demanderesses ont convenu que les deux demandes soulevaient ensemble trois questions, la contestation relative à l’incertitude n’ayant pas fait l’objet d’une argumentation. La première question vise la contestation de la validité constitutionnelle du paragraphe 30(3) de la Loi et du Règlement sur la protection des données. Les deux autres questions concernent la validité du Règlement sur la protection des données en regard de la disposition législative habilitante, le paragraphe 30(3) de la Loi : premièrement, le règlement attaqué n’aurait pas de lien rationnel avec la disposition habilitante, celle-ci se rapportant aux secrets commerciaux et aux renseignements confidentiels de la manière prévue par l’article 1711 de l’ALENA et l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC; deuxièmement, le paragraphe 30(3) serait une sous‑délégation inadmissible du Parlement en faveur du gouverneur en conseil.

 

[41]           En réponse à ces deux contestations, le Canada soutient que le paragraphe 30(3) de la Loi et le Règlement sur la protection des données tombent sous la compétence constitutionnelle du Parlement, entrant dans le champ de la compétence en droit criminel, prévue au paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867.

 

[42]           À mon avis, les questions de fond à trancher dans les présentes demandes sont les suivantes :

1.         Le Règlement sur la protection des données tombe-t-il sous la compétence législative fédérale en vertu du paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867?

2.         Le paragraphe 30(3) de la Loi et le Règlement sur la protection des données tombent-t-ils sous la compétence législative fédérale du fait qu’ils ont été édictés en vertu d’accords de commerce internationaux, l’ALENA et l’Accord sur les ADPIC :

a)         selon le volet de la réglementation générale des échanges et du commerce au paragraphe 91(2);

b)         selon le volet de l’intérêt national de la compétence fédérale en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement?

3.         Le Règlement sur la protection des données est‑il invalide :

a)         parce qu’il n’a pas de lien rationnel avec l’attribution de compétence prévue au paragraphe 30(3) de la Loi;

b)         parce que la disposition habilitante, soit le paragraphe 30(3), constitue une sous‑délégation inadmissible des responsabilités du Parlement en matière de mise en œuvre des traités internationaux?

 

VI.       La norme de contrôle

[43]           Les deux demandes de l’ACMG et d’Apotex visent le contrôle judiciaire de la validité d’un règlement pris par le gouverneur en conseil en vertu d’une loi du Parlement. Elles soulèvent donc une question de droit et la norme de contrôle est celle de la décision correcte.

Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 58

Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd., [2000] 1 R.C.S. 342

Westcoast Energy Inc. c. Canada (Office national de l’énergie), [1998] 1 R.C.S. 322

 

 

VII.     Analyse

La preuve

[44]           La preuve produite par les parties dans le dossier T-1976-06 comprend les éléments suivants :

1)      L’ACMG a produit les affidavits des personnes suivantes : James Keon, Paula Rembach et Michal Niemkiewicz.

 

James Keon est le président de l’ACMG. Il expose dans son affidavit l’importance des médicaments génériques à bas prix dans les dépenses en médicaments au Canada, le processus d’approbation des médicaments génériques sur le plan de la santé et de la sécurité et le fait que le ministre ne s’appuie pas sur les données de la PDN du fabricant initial du médicament pour la PADN. Il passe ensuite en revue le pouvoir que confère la Loi sur les aliments et drogues de prendre les règlements nécessaires pour la mise en œuvre de l’article 1711 de l’ALENA et du paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC. Est jointe à son affidavit une liste des membres de l’ACMG, qui comprend les sociétés suivantes : Cangene Corporation, Cobalt Pharmaceuticals Inc., Novopharm Limited, Nu-Pharm, Orbus Pharma Inc., Pharmascience Inc., Pro Doc Ltée, Ranbaxy Pharmaceuticals Canada Inc., ratiopharm inc., Sandoz Canada Inc., Taro Pharmaceuticals, ACIC, Debro Pharmaceuticals & Chemicals, PDi‑Pharmaceuticals, Inc., Algorithme Pharma Inc., SFBC Anapharm, Viovail Contract Research et MDS Pharma Services. Un tableau, intitulé Register of Innovative Drugs et daté du 2 novembre 2006, est annexé à son affidavit supplémentaire.

 

M. Keon note en particulier ce qui suit :

1.      Lorsque la version générique d’un médicament arrive sur le marché, son prix est généralement inférieur de 30 à 50 % à celui du médicament d’origine. La capacité des fabricants de médicaments génériques d’obtenir l’autorisation de commercialiser les médicaments génériques joue donc un rôle fondamental dans le contrôle des dépenses en médicaments au Canada.

2.      Quand il présente une PADN, le fabricant du médicament générique ne s’appuie pas sur les études cliniques et précliniques de l’innovateur pour établir l’innocuité et l’efficacité du médicament générique. Il se fonde, ainsi que le ministre, sur les éléments suivants :

a.       la délivrance antérieure d’un avis de conformité à l’égard du produit de référence canadien;

b.      la commercialisation actuelle au Canada du produit de référence canadien;

c.       les renseignements et les documents de la PADN.

3.      L’ACMG estime à 500 millions de dollars la perte économique totale du système de santé imputable aux monopoles qu’impose le Règlement de la LAD, comme l’expose de manière plus détaillée l’affidavit de Paula Rembach.

 

Paula Rembach est analyste de recherche pour l’ACMG. Son affidavit contient un sommaire de la pièce attachée à son affidavit : Data Protection Analysis – Estimated Cost of 8.5 Year Ban on Generic NOC’s.

 

L’affidavit de Michal Niemkiewicz comportait les documents suivants :

 

·                    une copie de l’article 1711 de l’Accord de libre-échange nord-américain;

·                    une copie de l’article 9 de l’Accord sur les aspects de la propriété intellectuelle reliés au commerce;

·                    une copie d’extraits de la Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre‑échange nord‑américain;

·                    une copie d’extraits de la Loi de mise en œuvre de l’Accord sur l’Organisation mondiale du commerce;

·                    une copie du décret du gouverneur en conseil, TR/94‑1, publié le 1er décembre 1994 dans la Gazette du Canada – Partie II, vol. 128, nº 1;

·                    une copie du décret du gouverneur en conseil, TR/96‑1, publié le 1er octobre 1996 dans la Gazette du Canada – Partie II, vol. 130, nº 1;

·                    une copie du chapitre 20 de l’Accord de libre‑échange nord‑américain;

·                    une copie de la Partie V de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce;

·                    une copie de l’annexe 2 de l’Accord instituant l’Organisation mondiale du commerce, intitulée Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends;

·                    une copie du Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues, DORS/95-411, publié dans la Gazette du Canada – Partie II, vol. 129, nº 18, pages 2489  à 2496 et du Résumé de l’étude d’impact de la réglementation;

·                    une copie du Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues (protection des données), DORS/2006-241, publié le 18 octobre 2006, accompagné du Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, dans la Gazette du Canada – Partie II, vol. 140, nº 21;

·                    une copie du titre 8 de la partie C du Règlement sur les aliments et drogues;

·                    une copie du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, publié le 24 mars 1993, accompagné du Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, dans la Gazette du Canada – Partie II, vol. 132, nº 4;

·                    une copie du Règlement modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/98-166, publié le 1er avril 1998, accompagné du Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, dans la Gazette du Canada – Partie II, vol. 132, nº 7;

·                    une copie du Règlement modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/99-379, publié le 13 octobre 1999, accompagné du Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, dans la Gazette du Canada – Partie II, vol. 133, nº 21;

·                    une copie du Règlement modifiant le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/2006-242, publié le 18 octobre 2006, accompagné du Résumé de l’étude d’impact de la réglementation dans la Gazette du Canada – Partie II, vol. 140, nº 21;

·                    Une copie du rapport intitulé « Dépenses en médicaments au Canada, de 1985 à 2006 » de l’Institut canadien d’information sur la santé.

 

L’ACMG a également produit les transcriptions des contre‑interrogatoires d’Anne Bowes et de Declan Hamill.

 

2)      Le Canada a présenté l’affidavit d’Elizabeth Bowes. Elle est directrice adjointe de Santé Canada au Bureau des médicaments brevetés et de la liaison, à la Direction des produits thérapeutiques. Elle est chargée d’administrer l’article C.08.004.1 du Règlement de la LAD et le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), [DORS/93‑133].

 

L’affidavit de Mme Bowes contient un aperçu du système de réglementation, notamment les catégories de présentations de drogues soumises au ministre de la Santé et le traitement confidentiel des PDN. Elle expose ensuite l’historique législatif des dispositions relatives à la protection des données. Les pièces suivantes sont jointes à son affidavit :

·                    un document sans mention de source, qu’on peut vraisemblablement attribuer à Santé Canada, intitulé Information Dissemination Procedures: Drug Submission‑Related Information;

·                    le Règlement sur la protection des données, accompagné du Résumé de l’étude d’impact de la réglementation;

·                    un document intitulé Frequently Asked Questions for New Drug Product Exclusivity, de la U.S. Food and Drug Administration;

·                    un tableau intitulé Registre des drogues innovantes, daté du 1er février 2007.

 

 

3)   Rx&D a présenté l’affidavit de Declan Hamill, vice‑président, Affaires juridiques et Propriété intellectuelle, de Rx&D. L’affidavit décrit les processus relatifs à la PDN et à la PADN et fait référence à l’article 1711 de l’ALENA et au paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC. L’auteur fait état de la préoccupation des sociétés de Rx&D au sujet de l’absence de protection des données au Canada et produit les pièces jointes suivantes :

 

·        un ensemble de documents de l’International Federation of Pharmaceutical Manufacturers and Associations intitulé A Review of Existing Data Exclusivity Legislation in Selected Countries;

·        un document du Journal officiel de l’Union européenne intitulé « Directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 modifiant la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain »;

·        un document du Bureau du représentant pour les questions commerciales internationales des États‑Unis intitulé Results of Bilateral Negotiations on Russia’s Accession to the World Trade Organization (WTO);

·        le Rapport annuel 2002 du président des États‑Unis sur le programme des accords commerciaux. Ce rapport présente les progrès accomplis par le Canada dans l’amélioration de son régime de propriété intellectuelle relatif aux brevets et à la protection des données;

·        les derniers documents inclus au dossier des intervenantes sont des extraits des Special 301 Reports des États‑Unis de 2001, 2003, 2004, 2005, 2006 et 2007. Ces extraits comportent un résumé de l’année, où figure un aperçu concernant le Canada pour l’année visée.

 

 

[45]           La preuve produite par les parties dans le dossier T-2047-06 est la suivante :

1) Apotex a produit les documents suivants :

 

·        un tableau intitulé Registre des drogues innovantes, daté du 7 novembre 2006;

·        un tableau produit par Goodmans LLP et intitulé Data Protection Exclusivity Extensions, Drug Pricing;

·        un rapport du Centre for Health Services and Policy Research, intitulé The Canadian Rx Atlas, daté de décembre 2005. Selon les conclusions clés du rapport, les Canadiens ont dépensé plus de 13 milliards de dollars en médicaments d’ordonnance en 2004. Apotex a présenté ce rapport en complément du tableau de Goodmans LLP pour étayer l’hypothèse que le prix des produits génériques permettait de réaliser une économie de 30 % et que la pénétration des produits génériques sur le marché atteignait 85 %.

 

 

2) Le Canada s’appuie sur l’affidavit d’Elizabeth Bowes produit dans le dossier T‑1976‑06.

3) Eli Lilly a présenté trois affidavits de Jacques Gorlin, Peter Brenders et de Mme Loren Grossman.

 

L’affidavit de l’économiste Jacque Gorlin comportait divers rapports ayant trait aux dispositions reliées aux produits pharmaceutiques de l’Accord sur les ADPIC, notamment au rôle des l’exclusivité des données. Ces rapports identifient et examinent la justification commerciale et économique de la confidentialité des données résultant d’essais. L’affidavit expose également l’état actuel de la protection des données à l’échelle internationale.

 

L’affidavit de Peter Brenders explore la nécessité pour le Canada de disposer d’un solide régime de protection des données, facteur essentiel pour favoriser l’essor des sociétés de biotechnologie au Canada en vue d’améliorer la santé et le bien‑être des Canadiens, et présente des observations sur le sujet.

 

Dans son affidavit, le Dr Loren Grossman parle de la protection des données en regard de deux médicaments, CymbaltaMC et ByettaMC.

 

[46]           Voici les conclusions générales que je dégage de la preuve produite par les parties :

1.         La PDN exige la compilation d’un gros volume de données de recherche et cliniques sur l’innocuité et l’efficacité d’une drogue nouvelle, à laquelle les sociétés pharmaceutiques innovatrices doivent consacrer beaucoup d’effort, de temps et d’argent.

2.         La PADN relative aux copies génériques demande aussi des renseignements pharmacologiques et cliniques importants pour établir l’innocuité et l’efficacité par comparaison avec une drogue à l’innocuité démontrée. La compilation de ces renseignements requiert des fabricants de médicaments génériques un temps et un coût de développement importants, mais moindres par comparaison avec la PDN.

3.         Les médicaments génériques sont disponibles au public à un coût moindre que celui des drogues récemment approuvées, ce qui, dans une certaine mesure, résulte de leurs frais de développement inférieurs.

4.         La protection des données exigées par les gouvernements pour l’approbation des drogues nouvelles fait l’objet d’accords internationaux, l’ALENA et l’Accord sur les ADPIC, dont le Canada est signataire.

5.         Le Canada est perçu comme ne se conformant pas au même degré que d’autres pays, notamment les États-Unis et l’Union européenne, aux prescriptions de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC en matière de protection des données.

 

Le Règlement sur la protection des données tombe-t-il sous la compétence législative fédérale en vertu du paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867?

 

[47]           La protection de la santé et de la sécurité du public constitue un exercice valide de la compétence du gouvernement en matière de droit criminel. Le Canada fait valoir que le Règlement sur la protection des données contribue à la protection de la santé et de la sécurité du public. Il soutient que le Règlement sur la protection des données fait partie intégrante du fonctionnement d’un système global applicable à la commercialisation des médicaments au Canada. L’essence du système de réglementation des médicaments dans le Règlement de la LAD est l’interdiction de toutes les drogues, sauf celles dont l’innocuité et l’efficacité ont été établies.

 

[48]           Le Canada décrit de la manière globale suivante les éléments touchant la sécurité du public dans le système de réglementation des médicaments :

i)                    la protection de la sécurité du public est un exercice valide de la compétence du gouvernement fédéral en matière de droit criminel;

ii)                   la commercialisation d’une drogue nouvelle sans autorisation est une infraction criminelle étant donné la menace inhérente qu’elle présente pour la sécurité du public;

iii)                 le Règlement de la LAD établit un processus détaillé permettant au fabricant d’une drogue nouvelle d’obtenir l’exemption de responsabilité criminelle;

iv)                 le Règlement de la LAD cherche à minimiser le risque de commercialisation des drogues dangereuses tout en maximisant le potentiel d’accessibilité rapide au marché des drogues sûres;

v)                  le processus réglementaire d’approbation des médicaments demande des renseignements exhaustifs, complets et précis sur l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle;

vi)                 il comporte aussi un moyen abrégé d’établir l’innocuité de la drogue nouvelle par rapport à une drogue dont l’innocuité a déjà été établie, qui favorise la concurrence, la diminution du coût des médicaments sûrs pour le public et la réduction des essais sur les sujets humains;

vii)               le processus abrégé d’approbation des médicaments est assorti de restrictions destinées à prévenir la diminution des présentations de drogues nouvelles des innovateurs en vue d’obtenir l’approbation;

viii)              ces restrictions, qui semblent à première vue se rapporter aux pratiques commerciales déloyales, sont inscrites dans la réglementation et font partie intégrante du système global de droit criminel adopté pour assurer la protection de la sécurité du public.

 

[49]           Le Canada soutient que le Règlement sur la protection des données doit être considéré dans l’ensemble du processus de réglementation des médicaments établi pour la protection de la sécurité du public. Le Règlement sur la protection des données contribue à l’efficacité du système global en prévoyant un processus abrégé et en contrebalançant ses inconvénients par la protection adéquate des données volumineuses produites par les fabricants de médicaments innovateurs.

 

[50]           La position du Canada que la protection de la santé et de la sécurité du public relève de la compétence fédérale en matière de droit criminel selon le paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 n’est pas contestée. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, au paragraphe 32 (RJR MacDonald Inc.), a reconnu cette vaste compétence en matière de santé et de sécurité du public, circonscrite par trois exigences relativement simples :

[…] il importe de faire ressortir de nouveau la nature plénière de la compétence en matière de droit criminel. Dans le Renvoi sur la margarine, précité, aux pp. 49 et 50, le juge Rand établit clairement que la protection de la « santé » constitue un des « buts habituels » du droit criminel, et que la compétence en matière de droit criminel peut validement être exercée pour protéger le public contre un « effet nuisible ou indésirable ». Le fédéral possède une vaste compétence pour ce qui est de l’adoption de lois en matière criminelle relativement à des questions de santé, et cette compétence n’est circonscrite que par les exigences voulant qu’elles comportent une interdiction accompagnée d’une sanction pénale, et qu’elles visent un mal légitime pour la santé publique. Si une loi fédérale donnée possède ces caractéristiques et ne constitue pas par ailleurs un empiétement « spécieux » sur la compétence provinciale, c’est alors une loi valide en matière criminelle;

 

 

[51]           L’interdiction figure à l’article C.08.002 du Règlement de la LAD, qui interdit la vente de drogues nouvelles à moins que des conditions spécifiques soient réunies. La peine est définie à l’article 31 de la Loi, qui prévoit des amendes ou l’emprisonnement, ou les deux, pour une contravention à la Loi ou aux règlements d’application.

 

[52]           Le Canada dit que l’interdiction et la peine, bien qu’elles ne figurent pas dans la formulation de l’article C.08.004.1, ne sont pas indépendantes ou séparables du système global. Le Règlement sur la protection des données fait partie d’une exemption définie à l’interdiction liée à la fourniture de médicaments sûrs et accessibles. Le Canada invoque à l’appui de sa position les deux jugements suivants : Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Canada), [2000] 1 R.C.S. 783 (Renvoi relatif aux armes à feu) et C.E. Jamieson & Co. (Dominion) c. Canada (Procureur général), [1987] A.C.F. n° 826, (C.E. Jamieson).

 

[53]           Dans le Renvoi relatif aux armes à feu, la Cour suprême a résumé la jurisprudence de la manière suivante :

39          L’Alberta et les intervenants qui l’appuyaient ont soutenu que la seule façon pour le Parlement de contrôler les armes à feu serait d’interdire carrément les armes à feu ordinaires. Avec égards, cette proposition n’est étayée ni par la logique ni par la jurisprudence. Premièrement, la jurisprudence établit que le Parlement peut utiliser des moyens indirects pour atteindre ses fins. Une interdiction directe et totale n’est pas requise : Renvoi relatif à l’art. 193 et à l’al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123, et RJR‑MacDonald, précité. Deuxièmement, les exemptions n’empêchent pas une loi d’être prohibitive et, par conséquent, de nature pénale : R. c. Furtney, [1991] 3 R.C.S. 89, Morgentaler c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 616, et Lord’s Day Alliance of Canada c. Attorney General of British Columbia, [1959] R.C.S. 497.

 

 

[54]           Dans la décision C.E. Jamieson, le juge Muldoon a conclu que la délimitation d’une exception peut faire partie d’un exercice valide du droit criminel.

Il semble clair, autant qu’une notion puisse l’être, qu’étant donné l’autorité que lui confère la constitution d’identifier et de condamner un comportement, le Parlement peut soustraire expressément un autre comportement connexe à l’emprise du droit criminel, en le déclarant non criminel. Il peut le faire expressément, bien sûr, ou par implication nécessaire. En termes évocateurs, on peut dire que, puisque le Parlement peut modeler un crime, il peut également y découper une exception ou y faire une échancrure, de sorte qu’il ne couvre pas un comportement défini ou implicitement visé au départ ou antérieurement couvert.

 

 

[55]           Le Canada soutient que le Règlement sur la protection des données fait partie intégrante du système de réglementation des médicaments et qu’il prescrit simplement des conditions supplémentaires à la PADN pour l’approbation d’un médicament générique. Le Règlement sur la protection des données vise à limiter la portée de cette exception en faveur de la sécurité du public.

 

[56]           Enfin, le Canada soutient qu’il n’y a pas d’empiétement sur la compétence provinciale au sens constitutionnel. Même si le Règlement sur la protection des données empiétait sur la compétence provinciale, il s’agirait d’un effet accessoire étant donné que la législation relève de la compétence du gouvernement fédéral en matière de droit criminel.

 

[57]           Rx&D fait également valoir que le Règlement sur la protection des données est valide, car il tombe sous la compétence fédérale en matière de droit criminel et elle appuie les observations du Canada.

 

[58]           L’intervenante Eli Lilly cite la décision C.E. Jamieson, en s’attachant à l’objet du règlement :

51        […] La Cour souscrit à la thèse des défendeurs (transcription 3, p. 128) selon laquelle, lorsque le but « légitime » – c’est-à-dire « le caractère véritable » – de la législation est la protection de la sécurité publique, à quoi s’ajoute la répression du mensonge et de la fraude, et non une tentative de protéger ou d’éliminer un échange ou commerce particulier, le Parlement peut légiférer en se fondant sur le droit criminel.

52        […] Toutefois, quand il s’agit de fabrication, d’étiquetage ou de mise en marché, dans tout le Canada, des substances qui, pouvant être ingérées, sont susceptibles, selon les doses, d’être toxiques, d’altérer l'humeur ou d’être tout simplement mortelles, on ne saurait soutenir que la réglementation de la Direction générale de la protection de la santé (D.G.P.S.), visant à protéger la santé et la sécurité publiques en informant notamment le consommateur sur les substances qu’il achète et ingère, est trop vaste pour pouvoir s’appuyer utilement sur le droit criminel. […]

 

[59]           Eli Lilly a ensuite noté que l’arrêt R. c. Wetmore et al., [1983] 2 R.C.S. 284 (Wetmore), a conclu que les articles 8 et 9 de la Loi, qui interdisent la vente d’aliments et de drogues fabriqués, emballés ou vendus dans des conditions non hygiéniques et la publicité fausse, trompeuse ou mensongère des drogues, constituaient un exercice valide de la compétence en matière de droit criminel.

 

[60]           Eli Lilly a également fait mention du REIR comme élément de preuve attestant le rôle du Règlement sur la protection des données dans la protection de la santé et de la sécurité, par l’encouragement apporté au développement de drogues innovantes et, en ce qui concerne les données pédiatriques, en « bénéfici[ant] à la santé des enfants ».

 

Le Règlement sur la protection des données est-il un exercice valide de la compétence fédérale en matière de droit criminel?

[61]           La position que le Règlement sur la protection des données fait partie du système de réglementation visant la protection de la santé et de la sécurité du public est séduisante, étant donné que le système de réglementation des médicaments exposé dans le Règlement de la LAD est incontestablement une législation valide en matière de droit criminel. Toutefois, il ne faut pas oublier que la réglementation de la commercialisation des médicaments a des effets très importants dans le domaine du commerce.

 

[62]           Dans l’arrêt Brasseries Labatt du Canada Ltée c. Canada, [1980] 1 R.C.S. 914 (Brasseries Labatt), le juge Estey a déclaré qu’il existe des limites à l’étendue de la compétence en matière de droit criminel. Dans l’arrêt Reference re: Dairy Industry Act (Canada) S. 5(a), [1949] R.C.S. 1 (le Renvoi sur la margarine), le juge Rand a dit :

[traduction] Un crime est un acte que la loi défend en y attachant des sanctions pénales appropriées; mais comme les interdictions ne sont pas promulguées en vase clos, nous pouvons à bon droit rechercher le mal ou l’effet nuisible ou indésirable pour le public qui est visé par la loi. Cet effet peut viser des intérêts sociaux, économiques ou politiques; et le législateur a eu en vue la suppression du mal ou la sauvegarde des intérêts menacés.

 

[…]

 

[…] accorder une protection commerciale à l’industrie laitière en ce qui a trait à la fabrication et à la vente du beurre; favoriser un groupe de personnes au détriment de concurrents qui, en l’absence de législation, seraient libres d’exploiter leur entreprise dans la province. Interdire la fabrication et la vente de cette denrée à cette fin touche directement, de prime abord, les droits civils des particuliers relativement à un commerce précis à l’intérieur d’une province.

 

 

La détermination du caractère véritable

 

[63]           La Cour suprême du Canada a exposé le processus à suivre pour déterminer le caractère véritable d’un texte législatif qui est attaqué. La doctrine du caractère véritable sert à déterminer sous quel chef de compétence tombe une loi. L’analyse peut porter sur le texte législatif dans son ensemble ou sur certaines dispositions. L’analyse relative au caractère véritable comporte deux volets : premièrement, la disposition visée est identifiée par sa caractéristique dominante; deuxièmement, l’objet auquel se rapporte la loi est identifié. La loi est classée sous la compétence législative fédérale ou provinciale mentionnée à l’article 91 ou 92 de la Loi constitutionnelle de 1867.

 

[64]           Plus récemment, dans l’arrêt Chatterjee c. Ontario (Procureur général), 2009 CSC 19, le juge Binnie a écrit :

16        Lors d’une contestation constitutionnelle, il faut tout d’abord déterminer « la matière » (pour reprendre les termes de la Loi constitutionnelle de 1867) à l’égard de laquelle a été adoptée la loi contestée. Quel est le caractère essentiel de l’objectif recherché par la loi et de quelle façon cet objectif est‑il atteint? Cela « doit être déterminé sous deux aspects : le but visé par le législateur qui l’a adoptée et l’effet juridique de la loi » (Loi sur les armes à feu, par. 16). C’est l’exercice que l’on appelle traditionnellement la détermination du « caractère véritable » de la loi. Cet exercice peut comporter non seulement l’examen de la loi contestée, mais également l’examen des documents externes entourant son adoption, y compris le Hansard. En principe, cet examen devrait être effectué sans égard aux chefs de compétence législative, dont on ne doit tenir compte qu’une fois déterminé le « caractère véritable » de la loi contestée. Si les deux étapes ne sont pas abordées de façon distincte, l’exercice tout entier risque d’être confus et indûment axé sur les résultats.

 

[65]           La Cour n’est pas liée par une disposition relative à l’objet quand elle examine la constitutionnalité d’un texte législatif. Néanmoins, l’énoncé de l’intention du législateur est utile. Arrêt Chatterjee, au paragraphe 18.

 

[66]           L’article 117 de la Loi de mise en œuvre de l’Accord sur l’Organisation mondiale du commerce dispose :

117. Les paragraphes 30(3) et (4) de la Loi sur les aliments et drogues sont remplacés par ce qui suit :

 

  (3) Sans que soit limité le pouvoir conféré par toute autre disposition de la présente loi de prendre des règlements d’application de la présente loi ou d’une partie de celle-ci, le gouverneur en conseil peut prendre, concernant les drogues, les règlements qu’il estime nécessaires pour la mise en œuvre de l’article 1711 de l’Accord de libre-échange nord-américain ou du paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce figurant à l’annexe 1C de l’Accord sur l’OMC.

 

  (4) Les définitions qui suivent s’appliquent au paragraphe (3).

« Accord de libre‑échange nord‑américain » S’entend de l’Accord au sens du paragraphe 2(1) de la Loi de mise en œuvre de l’Accord de libre‑échange nord‑américain.

 

« Accord sur l’OMC » S’entend de l’Accord au sens du paragraphe 2(1) de la Loi de mise en œuvre de l’Accord sur l’Organisation mondiale du commerce.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

 

[67]           Le REIR accompagnant le Règlement sur la protection des données expose l’intention expresse du gouvernement fédéral. On y trouve notamment l’extrait suivant :

Les modifications à l’article C.08.004.1 le règlement visent à clarifier et à mettre en œuvre, de façon efficace, les engagements du Canada en vertu de l’Accord de libre‑échange nord‑américain (ALENA) et les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) en matière de protection des données de tests non divulgués ou d'autres données nécessaires afin de déterminer l’innocuité et l’efficacité d'un produit pharmaceutique ou agricole qui comporte une nouvelle entité chimique. Les obligations prévues aux ADPIC exigent que les signataires fournissent une protection contre l’exploitation déloyale dans le commerce des données, alors que l’ALENA exige que les signataires prévoient une période raisonnable pendant laquelle aucun fabricant ultérieur n’est autorisé à se fonder sur les données du premier auteur pour obtenir l’approbation du produit. La période raisonnable est précisée et ne doit normalement pas être inférieure à cinq ans à partir de la date à laquelle la première approbation réglementaire a été accordée à l’auteur des données. Dans l’esprit de ces dispositions, le gouvernement a décidé d’accorder cette protection en permettant à l’innovateur ou au premier auteur des données soumises à l’approbation réglementaire de protéger l’investissement fait dans le développement du produit en prévoyant une période d’exclusivité du marché.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

[68]           Lorsqu’on examine la formulation du Règlement sur la protection des données, il est manifeste qu’il vise l’application de l’article 1711 de l’ALENA et du paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC en prévoyant une période d’exclusivité de marché pour les fabricants de médicaments qui obtiennent l’approbation de drogues nouvelles par la voie des PDN.

 

[69]           L’objet du Règlement sur la protection des données est exposé par le Parlement dans le texte législatif habilitant, édicté par le gouverneur en conseil dans le règlement et expliqué par le gouvernement fédéral dans le REIR comme étant la mise en œuvre de l’article 1711 de l’ALENA et du paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC par l’instauration d’une période d’exclusivité de marché. De cette manière, les fabricants de médicaments obtiennent la protection de leur investissement substantiel dans la recherche et dans l’élaboration des renseignements médicaux qu’ils doivent présenter au ministre de la Santé et à ses fonctionnaires, condition prescrite par le processus d’approbation visant l’avis de conformité.

 

[70]           L’étape suivante dans la détermination du caractère véritable est l’examen des effets du texte législatif contesté. Le juge Binnie, au paragraphe 19 de l’arrêt Chatterjee, a dit :

[…] la Cour examinera, pour déterminer le caractère véritable de cette loi, « la manière dont le texte législatif dans son ensemble influe sur les droits et les obligations de ceux qui sont assujettis à ses dispositions » (R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, p. 482).

 

La cour saisie d’une demande de contrôle judiciaire ira au-delà de l’effet juridique pour examiner l’effet prévu de la législation.

 

[71]           Le Règlement sur la protection des données a trois conséquences juridiques spécifiques. La première est l’interdiction, pendant un délai de six ans suivant la délivrance d’un avis de conformité relatif à une drogue nouvelle, du dépôt d’une PADN par un fabricant d’un médicament générique à l’égard de la copie générique. La deuxième est l’interdiction faite au ministre, pendant un délai de huit ans suivant la date de délivrance d’un premier avis de conformité à l’égard d’une drogue nouvelle, de délivrer un avis de conformité à l’égard d’une PADN relative à la copie générique. La troisième est l’ajout d’un délai supplémentaire de six mois pour la délivrance d’un avis de conformité dans le cas où des études cliniques pédiatriques ont été réalisées et les résultats en sont fournis à la satisfaction du ministre.

 

[72]           Allant au-delà des effets juridiques directs, le REIR affirme dans la partie intitulée Avantages et coûts :

Le gouvernement est d’avis que ces modifications, y compris les changements découlant des commentaires reçus de la part des intervenants, créeront un meilleur équilibre entre la nécessité de disposer de drogues nouvelles et celle de préserver l’aspect concurrentiel du marché afin de faciliter l’accès à ces drogues.

 

 

[…]

 

Le résultat net de ces modifications aux dispositions de protection des données du règlement, simultanément avec celles apportées au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), sera d’engendrer un système équilibré et stable qui favorisera l’innovation, tout en s’assurant que les Canadiennes et les Canadiens ont accès à des médicaments abordables.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

 

L’ACMG a produit des éléments de preuve selon lesquels sa demande établit que, si le Règlement sur la protection des données est valide, il aurait pour effet d’entraîner des coûts pour le système de santé du Canada en retardant l’arrivée sur le marché de médicaments génériques moins chers. L’ACMG estime ces coûts à environ 500 millions de dollars sur un horizon de huit ans et demi. Les intervenantes rétorquent que ces mesures sont nécessaires pour protéger l’investissement important que doivent faire les fabricants de médicaments pour réunir les renseignements volumineux qui sont exigés dans la PDN relative à une drogue nouvelle.

 

[73]           Le délai de huit ans, le plus long, est le plus important et il guide toute appréciation de l’effet du Règlement sur la protection des données. S’il est vrai que le REIR fait mention d’un délai incitatif supplémentaire de six mois pour les renseignements concernant les études cliniques pédiatriques, l’imposition du délai le plus long de huit ans pour l’approbation des médicaments génériques a pour effet global de conférer un avantage commercial aux fabricants de drogues innovantes plutôt qu’un avantage au public sur le plan de la sécurité.

 

[74]           Dans la décision Bayer CF, le juge Evans a noté que le règlement antérieur avait pour effet de suspendre le système de réglementation des médicaments visant précisément la sécurité du public. Dans l’arrêt Bayer CAF, le juge Rothstein, après avoir renvoyé aux dispositions de l’ALENA pour éclairer l’interprétation du règlement, a conclu que le règlement visait la protection des secrets commerciaux. Le Règlement sur la protection des données actuel va à peu près dans le même sens. Il suspend lui aussi l’approbation de médicaments génériques qui pourraient autrement faire l’objet d’un avis de conformité. Le Règlement sur la protection des données s’attache à des considérations commerciales plutôt qu’à des préoccupations touchant la sécurité du public.

 

[75]           On peut également s’inspirer des accords internationaux pour aider à l’interprétation d’une disposition législative, comme l’a fait le juge Rothstein dans l’arrêt Bayer CAF en renvoyant à l’ALENA. Les termes du paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC évoquent également la protection de la propriété intellectuelle dans un contexte commercial :

Lorsqu’ils subordonnent l’approbation de la commercialisation de produits pharmaceutiques ou de produits chimiques pour l’agriculture qui comportent des entités chimiques nouvelles à la communication de données non divulguées résultant d’essais ou d’autres données non divulguées, dont l’établissement demande un effort considérable, les Membres protégeront ces données contre l’exploitation déloyale dans le commerce. En outre, les Membres protégeront ces données contre la divulgation, sauf si cela est nécessaire pour protéger le public, ou à moins que des mesures ne soient prises pour s’assurer que les données sont protégées contre l’exploitation déloyale dans le commerce.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

 

[76]           Le Règlement sur la protection des données ne renforce pas directement la sécurité du public, car il retarde l’arrivée de médicaments génériques moins chers. Le REIR affirme que le Règlement sur la protection des données est destiné à encourager les fabricants de drogues innovantes, à tout le moins à leur permettre de récupérer leur investissement, et ainsi inciter les innovateurs à mettre au point de médicaments nouveaux. Cependant, la preuve sur ce point est davantage une affirmation logique qu’une démonstration claire que, en l’absence de cette disposition, les innovateurs ne présentent ou ne présenteront pas de médicaments nouveaux en vue d’en obtenir l’approbation.

 

[77]           Le Règlement sur la protection des données s’intègre à un système de réglementation comportant une interdiction, un système global de réglementation des médicaments et une sanction pénale. Cependant, cela ne suffit pas. Le texte législatif doit viser un objectif lié au « droit criminel » et assurer la protection du public. Dans le cas des règlements relatifs aux médicaments, le mal à corriger touche des questions de santé et de sécurité du public et doit être relié à ces questions. Comme je l’ai noté ci‑dessus au sujet des lois en citant le paragraphe 32 de l’arrêt RJR‑MacDonald, il faut « qu’elles visent un mal légitime pour la santé publique ».

 

[78]           Considérant le Règlement sur la protection des données, son objet, ses effets juridiques et économiques, ainsi que les termes de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC, je conclus que l’objet du Règlement sur la protection des données est la mise en œuvre de dispositions spécifiques de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC. Son effet juridique est la protection des renseignements des PDN que soumettent les sociétés pharmaceutiques innovatrices, et son effet recherché est l’équilibre entre les considérations commerciales d’une part, soit la protection des frais de recherche et de développement qu’engagent les fabricants innovateurs pour les drogues nouvelles, et d’autre part la réduction du coût des médicaments par l’entrée éventuelle sur le marché de médicaments génériques produits par les fabricants de génériques.

 

[79]           Je conclus que le caractère véritable du Règlement sur la protection des données est la recherche d’un équilibre de considérations commerciales entre la protection des investissements des fabricants innovateurs pour rassembler l’information de la PDN visant l’obtention d’un avis de conformité à l’égard d’une drogue nouvelle et l’approbation éventuelle par un avis de conformité de la PADN d’un fabricant de génériques à l’égard d’une version générique moins chère de la drogue nouvelle.

 

[80]           À la dernière étape de l’analyse du caractère véritable, je conclus que l’objet du Règlement sur la protection des données ne cadre pas avec l’aspect de la santé et de la sécurité du public de la compétence fédérale en matière de droit criminel prévue au paragraphe 91(27).

 

Le Règlement sur la protection des données est‑il partie intégrante du système de réglementation des médicaments?

[81]           Nul ne conteste que le système de réglementation des médicaments dans la Loi est une mesure adoptée en vue de la sécurité et de la santé du public dans le cadre de la compétence fédérale en matière de droit criminel. Si une disposition attaquée fait partie intégrante d’un système légal valide, cette disposition peut être valide même si elle serait invalide autrement.

 

[82]           Au paragraphe 35 de l’arrêt Kirkbi AG c. Ritvik Holdings Inc., 2005 CSC 65 (Kirkbi), la Cour suprême du Canada a conclu que l’alinéa 7b), qui codifie le délit de commercialisation trompeuse en common law, est suffisamment intégré à la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985 ch. T‑13, son caractère véritable étant directement lié à la protection législative des marques de commerce.

 

[83]           S’il est vrai que le REIR fait mention des avantages tirés du délai supplémentaire de six mois consenti en cas de conduite d’études pédiatriques acceptables, j’ai conclu que la caractéristique dominante du Règlement sur la protection des données est la recherche d’un équilibre de considérations commerciales entre, d’une part, la protection des investissements du fabricant de médicaments innovateur pour rassembler l’information de la PDN visant l’obtention d’un avis de conformité à l’égard d’une drogue nouvelle et , d’autre part, l’approbation éventuelle par un avis de conformité de la PADN d’un fabricant de génériques à l’égard d’une version générique moins chère de la drogue nouvelle. L’équilibre recherché porte sur des considérations commerciales; il ne concerne pas la santé et la sécurité du public. Si le Règlement sur la protection des données est relié au régime de réglementation des médicaments dans la Loi, je dirais que sa relation avec le Règlement de la LAD est celle d’une partie accessoire plutôt que d’une partie intégrante.

 

[84]           Le Règlement sur la protection des données ne constitue pas un texte visant la sécurité du public qui relèverait de la compétence fédérale en matière de droit criminel en vertu du paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867, contrairement au système global de réglementation des médicaments. Le règlement visé n’en fait pas partie intégrante dans la mesure où il ne renforce pas la protection de la santé et la sécurité du public sans la disposition relative à la protection des données.

 

[85]           Je conclus que le Règlement sur la protection des données n’est pas valide au titre de la compétence fédérale en matière de droit criminel, prévue au paragraphe 91(27).

 

Le paragraphe 30(3) de la Loi et le Règlement sur la protection des données sont-ils dans les limites de la compétence législative fédérale selon le volet de la réglementation générale des échanges et du commerce au paragraphe 91(2)?

 

 

[86]           La question suivante est de savoir si le Règlement sur la protection des données peut être valide en vertu d’un autre chef de compétence législative fédérale, par exemple la réglementation des échanges et du commerce prévue au paragraphe 91(2), ou la dimension d’intérêt national de la compétence résiduelle en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement. Les deux demanderesses le contestent.

 

[87]           Apotex soutient, pour commencer, que le gouvernement fédéral, s’il a bien le pouvoir de signer des traités internationaux, n’a pas la pleine compétence constitutionnelle de mise en œuvre des obligations découlant de traités internationaux. Il faut que la compétence législative se fonde sur l’un des chefs de compétence énumérés à l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 : Canada (A.G.) c. Ontario (A.G.), [1937] A.C. 326 (C.P.) (l’arrêt relatif aux Conventions du travail).

 

[88]           Apotex fait valoir que l’exercice valide de la compétence fédérale en matière d’échanges et de commerce doit satisfaire aux critères exposés au paragraphe 17 de l’arrêt Kirkbi :

(i) la mesure législative contestée doit s’inscrire dans un système de réglementation;

(ii) le système doit faire l’objet d’une surveillance constante par un organisme de réglementation;

(iii) la mesure législative doit porter sur le commerce dans son ensemble plutôt que sur un secteur en particulier;

(iv) la loi devrait être d’une nature telle que la Constitution n’habiliterait pas les provinces, conjointement ou séparément, à l’adopter;

(v) l’omission d’inclure une seule ou plusieurs provinces ou localités dans le système législatif compromettrait l’application de ce système dans d’autres parties du pays (City National Leasing, p. 662‑663).

 

 

[89]           Apotex soutient que le Règlement sur la protection des données ne satisfait pas à ces critères. Pour commencer, elle plaide que ce texte est accessoire au système de réglementation de l’approbation des médicaments. Ensuite, le Règlement sur la protection des données ne vise qu’un seul secteur, et finalement, il n’est pas établi que les gouvernements provinciaux seraient incapables de légiférer ou de coopérer dans cette matière puisque des législatures provinciales ont déjà adopté des lois prévoyant la prescription de médicaments génériques au lieu de médicaments d’origine : Loi sur l’interchangeabilité des médicaments et les honoraires de préparation, L.R.O. 1990, ch. P‑23; Loi sur le régime de médicaments de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. O‑10.

 

[90]           Enfin, Apotex fait valoir que le besoin d’uniformité dans tout le Canada en matière d’approbation de médicaments ne peut à lui seul justifier le recours à la compétence en matière d’échanges et de commerce : Brasseries Labatt; Renvoi : Loi anti‑inflation, [1976] 2 R.C.S. 373.

 

Réglementation générale des échanges s’appliquant à tout le Dominion

[91]           On n’attaque pas la validité constitutionnelle de la Loi ou du système de réglementation des médicaments. Des dispositions législatives intégrées dans un système de réglementation ne concernent pas nécessairement la même matière que ce système : John Deere Plow c. Wharton (1914), 18 D.L.R. 353.

 

[92]           La jurisprudence a donné une interprétation stricte de la portée de la compétence fédérale en matière d’échanges et de commerce en raison du risque d’empiétement sur les compétences des provinces, particulièrement en matière de propriété et de droits civils. Dans l’arrêt Citizens Insurance c. Parsons (1881), 7 App.Cas. 96 (Parsons), le Conseil privé a conclu que la compétence en matière de réglementation des échanges et du commerce, prévue au paragraphe 91(2), comportait deux volets : le premier visait les arrangements politiques réglementant les échanges interprovinciaux et le second, la réglementation générale des échanges s’appliquant à l’ensemble du Dominion. Cependant, cette compétence n’embrassait pas un commerce particulier dans une seule province. Lord Smith a déclaré :

[traduction]

25      Par conséquent, si l’on interprète les termes « réglementation des échanges et du commerce » en s’aidant des divers moyens mentionnés plus haut, on voit qu’ils devraient inclure les arrangements politiques concernant les échanges qui requièrent la sanction du Parlement et la réglementation des échanges dans les matières d’intérêt interprovincial. Il se pourrait qu’ils comprennent la réglementation générale des échanges s’appliquant à tout le Dominion. […] Pour juger la présente affaire, il suffit, d’après Elles, de dire que le pouvoir fédéral de légiférer pour réglementer les échanges et le commerce ne comprend pas le pouvoir de légiférer pour réglementer les contrats d’un échange ou d’un commerce en particulier, tel que les affaires d’assurance-incendie dans une seule province.

 

 

[93]           La compétence en matière de réglementation des échanges et du commerce a aussi été restreinte dans la sphère des accords internationaux. Dans l’arrêt relatif aux Conventions du travail, le Conseil privé a conclu que la loi était invalide parce que le Parlement n’avait pas le pouvoir constitutionnel de mettre en œuvre les conventions sur les normes du travail. Lord Atkin a déclaré :

[traduction] Rien dans la Constitution actuelle ne permet d’étendre la compétence du Parlement du Dominion jusqu’au point où elle irait de pair avec l’extension des attributions de l’Exécutif du Dominion… En d’autres termes, le Dominion ne peut par de simples promesses à des pays étrangers se revêtir d’une autorité législative incompatible avec la Constitution à laquelle il doit son existence.

 

[94]           Dans l’arrêt MacDonald c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134 (Vapor), le juge en chef Laskin a examiné la portée de la compétence législative fédérale en matière d’échanges et de commerce définie dans l’arrêt Parsons. Il a commencé par reprendre la distinction entre les deux volets de la compétence prévue au paragraphe 91(2). Le juge en chef Laskin s’est demandé si l’alinéa 7e) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. ch. T‑10, qui interdisait les actes contraires aux honnêtes usages commerciaux, devait être considéré comme faisant partie d’un système de réglementation contrôlé par la surveillance d’un organisme et visant le commerce dans son ensemble. Il a dit :

Toutefois l’art. 7 comprend des dispositions visant les fins de la loi fédérale dans la mesure où l’on peut les considérer comme un complément des systèmes de réglementation établis par le Parlement dans l’exercice de sa compétence à l’égard des brevets, du droit d’auteur, des marques de commerce et des noms commerciaux. Si les alinéas de l’art. 7 se limitaient à cela, ils seraient valides […]

 

 

Toutefois, Le juge en chef Laskin a conclu que l’alinéa 7e) de la Loi sur les marques de commerce ne pouvait être déclaré valide parce qu’il ne vise pas les brevets, le droit d’auteur, les marques de commerce et les noms commerciaux.

 

[95]           Le juge en chef Laskin a également statué que, dans l’hypothèse où le Parlement pouvait légiférer sur la mise en œuvre de traités internationaux d’une manière conforme aux compétences fédérales, il devait le faire d’une manière claire, de façon qu’on n’ait pas à recourir à des déductions à ce sujet. Il a exposé la condition préalable suivante :

À mon avis, en supposant que le Parlement a le pouvoir de légiférer pour mettre en vigueur un traité ou une convention à l’égard de matières qui en font l’objet mais autrement relèveraient de la compétence législative provinciale seulement, il faut que cela ressorte clairement du texte de la loi visant la mise en vigueur et ne soit pas objet de déduction.

 

 

[96]           Dans l’arrêt Brasseries Labatt du Canada Ltée, le juge Estey a statué que la réglementation attaquée ne visait qu’une seule industrie et ne constituait pas une législation visant l’industrie « au sens général » où l’entendait l’arrêt Parsons.

 

[97]           Dans l’arrêt Procureur général du Canada c. Transports nationaux du Canada, [1983] 2 R.C.S. 206 (Transports nationaux du Canada), le juge Dickson, dans des motifs séparés, a ajouté un complément aux critères de validité selon le second volet de la compétence en matière d’échanges et de commerce formulés par le juge en chef Laskin. Outre 1) le fait que la disposition fasse partie d’un système général de réglementation, 2) le fait que le système soit contrôlé par un organisme de surveillance et 3) le fait que la législation porte sur le commerce dans son ensemble plutôt que sur une industrie particulière, le juge Dickson a ajouté 4) le fait que les provinces ne pourraient pas, conjointement ou séparément, adopter une telle loi et 5) le fait que l’omission d’inclure une seule ou plusieurs provinces compromettrait l’application de cette loi dans d’autres parties du pays.

 

[98]           Le juge Dickson a ajouté la réserve que ces cinq éléments ne constituaient pas une liste exhaustive et que la présence ou l’absence de l’un d’entre eux n’était pas concluante :

Ce qui précède ne se veut pas une énumération exhaustive; de plus, la présence de l’un ou l’autre ou de la totalité de ces indices n’est pas nécessairement concluante. La bonne façon d’aborder la caractérisation est encore celle proposée dans l’arrêt Parsons, c’est-à-dire qu’on doit procéder à une appréciation méticuleuse de chaque cas qui se présente. Néanmoins, la présence de tels facteurs rend tout au moins beaucoup plus probable que ce que vise la loi fédérale en cause est vraiment une question économique d’intérêt national plutôt que simplement une série de questions d’intérêt local.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

[99]           Dans l’arrêt General Motors of Canada c. City National. Ltd., [1989] 1 R.C.S. 641 (City National Leasing), la Cour suprême du Canada a appliqué les critères en voie d’élaboration au sujet de l’exercice valide de la compétence fédérale en matière d’échanges et de commerce. Le juge en chef Dickson a reconnu le besoin permanent de restreindre la compétence fédérale en matière d’échanges et de commerce pour ne pas saper la compétence provinciale en matière de propriété et de droits civils. Il a dit au paragraphe 30 :

Le véritable équilibre entre la propriété et les droits civils d’une part et la réglementation des échanges et du commerce d’autre part réside quelque part entre une interprétation compréhensive du par. 91(2) et une interprétation qui rend la compétence générale en matière d’échanges et de commerce pratiquement insipide et dépourvue de sens.

 

 

 

[100]       Il a ensuite rappelé l’élaboration des critères spécifiques dans les arrêts Vapor et Transports nationaux du Canada. Le juge en chef a conclu son exposé en faisant observer que les cinq principes énumérés dans l’arrêt Transports nationaux du Canada constituent une façon ordonnée de distinguer les matières qui relèvent de la compétence fédérale concernant les échanges et le commerce et les matières locales provinciales.

 

[101]       Le Règlement de la LAD établit un système valide de réglementation pour l’approbation des médicaments nouveaux et des médicaments génériques. Le système de réglementation est surveillé par le ministre de la Santé et ses fonctionnaires. L’existence d’un système fédéral valide sur le plan constitutionnel et soumis à la surveillance du ministre de la Santé satisfait aux deux premiers critères.

 

[102]       On peut dire que le Règlement sur la protection des données, bien qu’il soit accessoire à ce système, plutôt que partie intégrante de celui-ci, constitue un « complément » du système fédéral valide de réglementation établi pour la commercialisation des médicaments au Canada au sens précis décrit par le juge en chef Laskin dans l’arrêt Vapor. Il assure la conformité du mécanisme d’approbation des copies génériques de médicaments nouveaux aux obligations du Canada découlant de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC.

 

[103]       Dans l’arrêt Vapor, la Cour a statué que, si le Parlement a le pouvoir de légiférer pour mettre en œuvre un traité, il faut que l’exercice de ce pouvoir ressorte clairement du texte de la loi. Ce critère est respecté, puisque le Parlement a exprimé son intention de mettre en œuvre l’article 1711 de l’ALENA et le paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC dans la Loi de mise en œuvre de l’Organisation mondiale du commerce et a réitéré cette intention dans la formulation même du paragraphe 30(3) de la Loi et dans le Règlement sur la protection des données même.

 

[104]       Le Règlement sur la protection des données traite de la fabrication et de la commercialisation des médicaments, soit une matière locale dans un secteur en particulier. Toutefois, la preuve établit aussi que ce règlement a une incidence de dimension nationale. Il a été pris en application de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC. Les parties à l’ALENA sont le Canada, les États-Unis et le Mexique. L’Accord sur les ADPIC regroupe de nombreux pays dans le monde, dont la plupart participent à un certain degré, au système de l’Accord sur les ADPIC pour la protection de l’investissement dans la recherche de médicaments nouveaux par des mécanismes d’exclusivité de marché.

 

[105]       La mise en œuvre ou le défaut de mise en œuvre par le Canada de ces accords commerciaux internationaux a une dimension nationale en ce qui concerne la capacité du Canada de participer aux échanges mondiaux. Dans ce sens, le Règlement sur la protection des données porte sur une véritable question économique d’intérêt national du type envisagé par le juge Dickson dans l’arrêt Transports nationaux du Canada.

 

[106]       Le Règlement sur la protection des données porte sur l’autorisation de la commercialisation de médicaments nouveaux. Les législatures provinciales ne peuvent adopter de loi qui retarde l’approbation des médicaments génériques parce que l’approbation par les provinces de médicaments en vue de la commercialisation entrerait en conflit de façon caractérisée avec la compétence fédérale en matière de droit criminel, prévue au paragraphe 91(27), permettant d’interdire la commercialisation de drogues, sauf celles dont l’innocuité et l’efficacité ont été établies. Vu l’incapacité des gouvernements provinciaux d’adopter une loi en vue de l’approbation par stades des médicaments génériques, le cinquième critère énoncé par le juge en chef Dickson, soit le défaut d’une ou plusieurs provinces compromettant l’application du système dans d’autres parties du pays, est sans application.

 

[107]       Je conclus que le Règlement sur la protection des données est intra vires en tant qu’exercice valide sur le plan constitutionnel du pouvoir législatif fédéral en matière d’échanges et de commerce, prévu au paragraphe 91(2), étant donné qu’il satisfait aux critères applicables au second volet de la compétence fédérale en matière d’échanges et de commerce.

 

Le paragraphe 30(3) de la Loi et le Règlement sur la protection des données relèvent-ils de  la compétence du Parlement fédéral selon le volet de l’intérêt national de la compétence en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement?

 

[108]       Apotex plaide aussi que la disposition sur la protection des données ne satisfait pas au critère de l’intérêt national exposé dans l’arrêt Crown Zellerbach Canada Ltd., [1988] 1 R.C.S. 401 (Crown Zellerbach), au paragraphe 33, selon lequel la compétence législative résiduelle en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement ne peut être exercée que si la loi en cause remplit les conditions suivantes :

[…] elle doit avoir une unicité, une particularité et une indivisibilité qui la distinguent clairement des matières d’intérêt provincial, et un effet sur la compétence provinciale qui soit compatible avec le partage fondamental des pouvoirs législatifs effectué par la Constitution; […]

 

 

[109]       Pour commencer, il faut aussi prendre en considération un autre aspect. Dans l’arrêt Crown Zellerbach, la Cour suprême a exposé le critère relatif à la théorie de l’intérêt national. Le juge Le Dain a énuméré les éléments suivants :

1.   La théorie de l’intérêt national est séparée […]

2.   elle s’applique autant à de nouvelles matières qui n’existaient pas à l’époque de la Confédération qu’à des matières qui sont depuis devenues d’intérêt national […]

3.   elle doit avoir une unicité, une particularité et une indivisibilité qui la distinguent clairement des matières d’intérêt provincial et son effet sur la compétence provinciale est compatible avec le partage des pouvoirs effectué par la Constitution;

4.   pour décider du point 3, il est utile d’examiner quel effet aurait sur les intérêts extra‑provinciaux l’omission d’une province de s’occuper efficacement de la réglementation de cette matière.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

 

[110]       On peut dire que les accords de commerce international du type de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC sont de nouvelles matières qui n’existaient pas à l’époque de la Confédération et qui sont depuis devenues d’intérêt national. Cette question n’a pas été pleinement débattue. Je n’ai pas l’intention d’aller plus loin dans l’examen de cette question.

 

Le Règlement sur la protection des données excède-t-il la compétence réglementaire du gouverneur en conseil en raison de l’absence de lien rationnel avec  l’habilitation relative aux secrets commerciaux et aux renseignements confidentiels au paragraphe 30(3) de la Loi sur les aliments et drogues?

 

[111]       Apotex fait valoir que le Règlement sur la protection des données a été pris en vertu des dispositions de traités internationaux, l’ALENA et l’Accord sur les ADPIC, qui régissent la protection des « secrets commerciaux » ou des « renseignements confidentiels » respectivement. Puisque les dispositions des traités ont été intégrées par renvoi au paragraphe 30(3) de la Loi, les limitations de ces traités restreignent le pouvoir du gouverneur en conseil de prendre des règlements.

 

[112]       Apotex soutient que le Règlement sur la protection des données ne se rattache pas rationnellement à la protection des secrets commerciaux ou des renseignements confidentiels parce que le paragraphe 30(3) de la Loi et le Règlement sur la protection des données tirent leur objet des dispositions concernant les secrets commerciaux de l’ALENA et des dispositions concernant les renseignements non divulgués de l’Accord sur les ADPIC : Canada (Commission du blé) c. Canada (Procureur général), 2007 CF 807, aux paragraphes 35 à 39. Le Règlement sur la protection des données s’applique sans égard au fait que les renseignements ou les données contenus dans les PDN :

a)                  soient secrets ou non divulgués, ou aient fait l’objet de mesures raisonnables pour en protéger le secret;

 

b)         aient une valeur commerciale réelle ou potentielle;

 

c)         soient le résultat d’efforts ou de dépenses considérables;

 

d)         doivent être divulgués pour protéger le public.

 

 

[113]       Apotex fait aussi valoir que le Règlement sur la protection des données :

a)         s’applique sans égard au fait que le ministre s’appuie sur les renseignements ou les données, ou au point de savoir si l’approbation de la présentation du médicament générique serait contraire aux usages commerciaux honnêtes;

b)                  s’applique sans égard au fait qu’une personne quelconque examine, utilise ou divulgue les secrets commerciaux ou les renseignements autrement non divulgués;

c)                  s’applique sans égard au fait que l’examen, l’utilisation ou la divulgation des secrets commerciaux ou des renseignements autrement non divulgués est exigé pour le dépôt d’une présentation de médicament générique ou pour l’octroi d’un ADC à l’égard d’une présentation de médicament générique.

 

[114]       Apotex plaide que le Règlement sur la protection des données protège les secrets commerciaux par des mesures qui reviennent à accorder une injonction à l’avantage d’un fabricant de médicament innovant interdisant au fabricant de médicaments génériques de présenter une PADN et au ministre de la Santé d’accorder un ADC pour un médicament générique au cours de délais déterminés. Apotex plaide aussi que la période de protection en vertu du Règlement sur la protection des données n’a aucun rapport avec la valeur des données en question, le maintien de la confiance dans le système de réglementation ou la question de savoir si les données ont été élaborées dans un autre pays. La période d’exclusion du marché est fixée pour tous les médicaments admissibles. Le Règlement sur la protection des données assure simplement l’exclusivité de marché sans égard à la protection des données de la PDN.

 

[115]       L’ACMG soutient aussi que le Règlement sur la protection des données excède la portée du paragraphe 30(3) de la Loi. Les règlements permis ne doivent pas restreindre le pouvoir conféré ailleurs dans la Loi, ils ne doivent s’appliquer qu’aux secrets commerciaux ou aux données non divulguées et ne doivent viser que la personne qui « utilise » ces données et seulement pendant une « période de temps raisonnable », normalement cinq ans. Le Règlement sur la protection des données excède ces limitations; il crée un nouveau régime de propriété intellectuelle sans autorisation de la loi.

 

 

[116]       Apotex plaide que le Règlement sur la protection des données empiète nettement sur la compétence législative exclusive des provinces. L’ACMG soutient aussi que le Règlement sur la protection des données excède la compétence fédérale parce qu’il porte sur une matière qui relève de la compétence exclusive des provinces. L’objet du règlement est de mettre en œuvre les obligations découlant de traités concernant les secrets commerciaux et les renseignements confidentiels dans le but « de protéger l’investissement fait dans le développement du produit en prévoyant une période d’exclusivité du marché » (REIR, p. 1495).

 

[117]       Apotex et l’ACMG notent que la formulation et l’objet de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC sont très proches de ceux de l’alinéa 7e) de la Loi sur les marques de commerce, lequel disposait :

7. Nul ne peut :

 

e) faire un autre acte ou adopter une autre méthode d’affaires contraire aux honnêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada.

 

Dans l’arrêt Vapor, aux paragraphes 23, 36, 37 et 46, la Cour suprême du Canada a déclaré invalide l’alinéa 7e) de la Loi sur les marques de commerce au motif qu’il excédait la compétence législative fédérale, constituant une disposition portant sur la propriété et les droits civils.

 

[118]       Dans l’arrêt Bayer CAF, le juge Rothstein a conclu au paragraphe 7 :

Lorsqu’un fabricant de produits génériques dépose une PADN, l’innocuité et l’efficacité du produit générique peuvent être démontrées par la preuve que le produit est l’équivalent pharmaceutique et le bioéquivalent du produit de l’innovateur. Si le fabricant de produits génériques est en mesure d’apporter cette preuve uniquement en comparant son produit avec le produit de l’innovateur qui est commercialisé, le ministre ne sera pas tenu d’examiner ou d’utiliser les renseignements confidentiels figurant dans la PDN déposée par l’innovateur.

 

[119]       Les dispositions de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC font mention de données qui sont secrètes ou non divulguées, qui ont fait l’objet de dispositions raisonnables en vue de les garder secrètes, qui résultent d’un effort considérable et qui ont une valeur commerciale, ce qui correspond aux critères des secrets commerciaux ou renseignements confidentiels en common law. Le juge Cumming, dans la décision CPC International Inc. c. Seaforth Creamery Inc., [1996] O.J. No. 3393 (Div. gén. Ont.), a déclaré au paragraphe 22 :

[traduction] Les « secrets commerciaux » et les « renseignements confidentiels » sont difficiles à définir avec une précision absolue, mais constituent, une fois qu’ils sont constatés, des droits de propriété. On trouvera une description utile des facteurs à prendre en compte pour décider ce qui constitue un secret commercial ou des renseignements confidentiels protégés dans la décision Software Solutions Inc. c. Depow (1989), 25 C.P.R. (3d) 129 (B.R. N.‑B.) aux pages 138 et 139. Pour que des renseignements constituent un secret commercial, il faut qu’ils ne soient pas de nature générale, mais soient précis. Il faut que les renseignements précis ne soient pas généralement connus du public, mais ils peuvent être obtenus de sources accessibles au public à condition qu’on y mette le temps et l’effort. Le propriétaire des renseignements précis doit les traiter comme confidentiels et il doit être manifeste qu’il les considère comme secrets. Les renseignements ne devraient être communiqués qu’à un employé qui en a besoin et dans des conditions où le propriétaire des renseignements manifeste son intention de les garder secrets. S’il y a divulgation à un tiers en dehors d’une relation d’emploi, le propriétaire doit exiger que ce tiers ne les divulgue ou ne les utilise que de la façon autorisée expressément par lui.

 

(Non souligné dans l’original.)

 

 

[120]       D’après la formulation des paragraphes 1 et 5 de l’article 1711 de l’ALENA et du paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC, il est évident que les renseignements ne sont pas nécessairement « secrets », mais comprennent aussi des données recueillies moyennant un coût considérable et qui ne sont pas autrement accessibles au public assemblées sous cette forme.

 

[121]       L’article 1711 de l’ALENA définit les renseignements comme des données « lorsque l'établissement de ces données demande un effort considérable ». Selon la définition donnée dans l’ALENA :

[…] les renseignements sont secrets, en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration et l’assemblage exacts de leurs éléments, ils ne sont pas généralement connus de personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre de renseignements en question ou ne leur sont pas aisément accessibles;

 

[122]       Le paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC définit les renseignements comme des données « dont l’établissement demande un effort considérable », ce qui correspond à la définition du juge Cumming : [traduction] « Il faut que les renseignements précis ne soient pas généralement connus du public, mais ils peuvent être obtenus de sources accessibles au public à condition qu’on y mette le temps et l’effort », sans être expressément secrets.

 

[123]       À mon avis, les données de la PDN des fabricants de médicaments innovateurs répondent aux définitions tant de l’ALENA que de l’Accord sur les ADPIC. Les renseignements ne sont peut-être pas secrets à tous égards, mais sous la forme où ils sont compilés, ils sont propres au fabricant de médicaments innovateur et ont de la valeur. Je conclus que ce sont des renseignements qui tombent dans la portée du Règlement sur la protection des données.

 

[124]       L’ALENA et l’Accord sur les ADPIC prévoient tous deux que les pays membres protègent les données qui ont été assemblées au prix d’un effort considérable. Le paragraphe 5 de l’article 1711 de l’ALENA dispose : « cette Partie protégera ces données contre toute divulgation […] ou à moins que des mesures ne soient prises pour s'assurer que les données sont protégées contre toute exploitation déloyale dans le commerce ». Le paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC dispose : « Lorsqu’ils subordonnent l’approbation de la commercialisation […] les Membres protégeront ces données contre la divulgation […] ou à moins que des mesures ne soient prises pour s’assurer que les données sont protégées contre l’exploitation déloyale dans le commerce ».

 

[125]       L’ALENA définit un mécanisme de protection consistant dans l’exclusivité de marché. L’Accord sur les ADPIC ne précise pas quelles dispositions doivent être prises. Il incombe au gouvernement fédéral de décider quelles dispositions mettre en œuvre pour s’acquitter de ses obligations internationales.

 

[126]       Le gouvernement fédéral a reconnu que le règlement antérieur ne satisfaisait pas à ses obligations découlant de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC comme il l’a indiqué en renvoyant dans le REIR aux conclusions de la Cour dans l’arrêt Bayer CF. En édictant la version actuelle du Règlement sur la protection des données, le gouvernement fédéral assure, au moyen d’un mécanisme d’exclusivité de marché, la protection de l’investissement effectué par le fabricant de médicaments pour compiler les études de recherche et les données cliniques étendues nécessaires pour obtenir un ADC portant sur un nouveau médicament. Le règlement prévoit la possibilité pour le fabricant de médicaments innovateur de rentrer dans son investissement coûteux et d’en tirer profit pendant une certaine période avant que d’autres ne puissent aussi en profiter en faisant des copies génériques de ce médicament.

 

[127]       En fabriquant une copie générique d’un médicament approuvé, on échappe au besoin de produire les études de recherche et les données cliniques. Le processus de la PADN tire profit indirectement des renseignements de la PDN qu’a dû élaborer le fabricant de médicaments innovateur. Il en résulte une utilisation de deuxième stade ou ultérieure des travaux effectués par l’innovateur pour obtenir l’approbation de la PADN. Dans l’arrêt Bristol‑Meyers, le juge Binnie a expliqué comment le fabricant de médicaments génériques « s’appuie » sur le nouveau médicament approuvé du fabricant de médicaments innovateur.

21        Le Règlement ADC n’emploie pas l’expression « fabricant de produits génériques », mais il est possible de désigner ainsi, pas souci de simplicité, le fabricant qui obtient un ADC en raison d’une équivalence pharmaceutique avec un « produit de référence canadien ».

 

22        De façon générale, la « deuxième personne » entend fabriquer et distribuer une « copie » du médicament actif. Si elle copie le produit approuvé, elle peut s’appuyer sur les données relatives à son innocuité et à son efficacité et sur les études cliniques soumises par la première personne « innovante ». Ces emprunts réduisent la quantité de données justificatives nécessaires et le délai d’approbation, d’où le fait que la demande écourtée est connue sous le nom de Présentation abrégée de drogue nouvelle (« PADN »).

 

                        (Non souligné dans l’original.)

 

 

[128]       La période d’exclusivité de marché peut ne pas s’appliquer dans tous les cas. L’article 2 du Règlement sur la protection des données renvoie expressément aux dispositions de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC. Les deux accords apportent des limitations aux situations dans lesquelles des mesures de protection sont nécessaires :

ALENA : extrait de l’article 1711

 

On entend généralement par période de temps raisonnable, une période d’au moins cinq années à compter de la date à laquelle la Partie en cause a donné son autorisation à la personne ayant produit les données destinées à faire approuver la commercialisation de son produit, compte tenu de la nature des données, ainsi que des efforts et des frais consentis par cette personne pour les produire.

 

Accord sur les ADPIC : extrait du paragraphe 3 de l’article 39

 

Lorsqu’ils subordonnent l’approbation de la commercialisation de produits pharmaceutiques ou de produits chimiques pour l’agriculture qui comportent des entités chimiques nouvelles à la communication de données non divulguées résultant d’essais ou d’autres données non divulguées, dont l’établissement demande un effort considérable, les Membres protégeront ces données contre l’exploitation déloyale dans le commerce.

 

                        (Non souligné dans l’original.)

 

 

[129]       Il me semble que les limitations exprimées par les formulations soulignées ci-dessus dans les accords internationaux auxquels renvoie expressément le Règlement sur la protection des données peuvent se rencontrer dans certaines situations, de sorte que le mécanisme de protection consistant dans l’exclusivité du marché pourrait ne pas s’appliquer. Toutefois, ces questions dépendraient des faits précis dans un cas donné et ne se posent pas dans les affaires dont je suis saisi. 

 

[130]       Bristol-Meyers a répondu à la question de l’utilisation des renseignements de la PDN dans le processus de la PADN. La preuve de l’innocuité et de l’efficacité d’un médicament générique par comparaison avec un médicament approuvé antérieurement s’appuie nécessairement sur les renseignements fournis dans la PDN antérieure.

 

[131]       Je suis aussi convaincu que le Règlement sur la protection des données prévoit une protection conforme tant à l’ALENA qu’à l’Accord sur les ADPIC. À mon avis, en établissant une période d’exclusivité de marché, le Règlement sur la protection des données prévoit une autre forme de protection contre la divulgation d’une manière envisagée dans les deux accords internationaux.

 

Le paragraphe 30(3) de la Loi constitue-t-il une sous-délégation inadmissible par le Parlement de ses responsabilités de mise en œuvre de traités internationaux?

 

[132]       Apotex soutient, à titre subsidiaire, que, si le paragraphe 30(3) permet au gouverneur en conseil d’édicter des textes d’application portant sur la même matière qui excèdent les limites des dispositions de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC, cela constitue une sous‑délégation et une abdication des fonctions législatives en faveur du gouverneur en conseil, qui sont inadmissibles. Une telle délégation est contraire aux principes de la suprématie du Parlement et du contrôle de la législation. Dans cette situation, le paragraphe 30(3) permettrait au gouverneur en conseil :

a)    d’exercer de vastes pouvoirs en temps de paix sans contrôle du Parlement;

b)    de déterminer la portée des obligations internationales du Canada et d’assumer des obligations indéterminées au nom du Canada;

c)    de réviser ses règlements en fonction des nouvelles modifications du droit international qui seraient incertaines et qui échapperaient au contrôle du Parlement.

 

[133]       L’ACMG prétend aussi que le paragraphe 30(3) de la Loi constitue une sous‑délégation inadmissible de la responsabilité du Parlement en matière de mise en œuvre des accords internationaux.

 

[134]       À mon avis, ces observations n’ont guère de fondement. Le Parlement a conféré au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements dans un domaine restreint délimité par les bornes des dispositions de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC.

 

[135]       Le Parlement n’a pas conféré au gouverneur en conseil un pouvoir réglementaire de portée indéfinie. Le paragraphe 30(3) de la Loi comporte la délimitation découlant du renvoi interne à l’article 1711 de l’ALENA et au paragraphe 3 de l’article 39 de l’Accord sur les ADPIC. La portée des dispositions de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC relatives aux médicaments est limitée. L’objet des règlements ne peut comprendre que les éléments suivants :    

1.         le moment de l’approbation des formulations proposées de médicaments génériques;

2.         les situations où l’innocuité du nouveau médicament initial a été prouvée par l’assemblage de données recueillies au prix d’un effort considérable;

3.         l’innocuité du médicament générique postérieur été prouvée par référence à l’innocuité antérieurement établie du nouveau médicament innovant;

4.         le délai minimal avant les copies génériques est de cinq ans.

 

[136]       Le problème résultant du fait que le paragraphe 30(3) de la Loi permet au gouverneur en conseil d’effectuer dans l’avenir des révisions non soumises au contrôle du Parlement à la suite de modifications nouvelles de l’ALENA ou de l’Accord sur les ADPIC ne se pose pas selon les faits présentés à la Cour. Si cette situation improbable devait se présenter à l’avenir, elle pourra alors être examinée.

 

[137]       Compte tenu des limitations du pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil indiquées ci-dessus, je conclus que la délégation consentie par le Parlement n’excède pas les bornes de ce qui est admissible.

 

L’ACMG a-t-elle la qualité pour demander le contrôle judiciaire du Règlement?

[138]       Le Canada soutient que l’ACMG n’a pas la qualité pour présenter la présente demande de contrôle judiciaire. Il s’appuie sur l’article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, qui prévoit que personne ne peut présenter une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale à moins d’être « directement touché par l’objet de la demande ».

 

[139]       Le Canada soutient que le Règlement sur la protection des données impose des limitations aux fabricants de médicaments cherchant à faire approuver une PADN à l’égard d’une version générique d’un nouveau médicament approuvé. L’ACMG, association regroupant les fabricants de médicaments génériques et des sociétés apparentées, n’est pas elle-même un fabricant de médicaments et ne présente pas de demandes d’ADC à l’égard de médicaments génériques ou autres. L’ACMG n’est pas une partie « directement touchée » par le règlement au sens de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Independent Contractors and Business Association c. Canada (Minister of Labour), [1998] A.C. F. n° 352, au paragraphe 30.

 

[140]       Le Canada soutient également que l’ACMG n’a pas la qualité pour agir dans l’intérêt public. Dans l’arrêt Canadian Council of Churches c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236, le juge Cory a énoncé au paragraphe 30 les trois conditions qu’une partie doit remplir pour établir sa qualité pour agir :

1.         il y a une question sérieuse à trancher;

2.         la partie a un intérêt direct ou véritable dans l’affaire;

3.         il n’y a pas d’autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour.

 

[141]       Le Canada fait valoir que le troisième critère est fondamental lorsqu’il s’agit d’accorder la qualité d’agir dans l’intérêt public. Hy and Zel’s Inc. c. Ontario (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 675, au paragraphe 16. Le Canada soutient qu’il existe un moyen plus raisonnable et efficace de soumettre l’affaire à la Cour, à savoir la contestation engagée par Apotex dans le dossier T‑2047-06. La qualité pour agir dans l’intérêt public n’est pas accordée lorsqu’un particulier contestera l’affaire : Canadian Council of Churches, précité, au paragraphe 36.

 

[142]       La demande de l’ACMG constitue une contestation de la validité du Règlement sur la protection des données. L’instruction d’une contestation de la validité n’exige pas nécessairement une situation comportant des faits précis. Des faits concernant une demande particulière d’approbation d’une PADN ne seraient donc pas pertinents. 

 

[143]       Le Canada a précédemment présenté une requête en radiation visant la demande de l’ACMG au motif que l’ACMG n’avait pas qualité pour agir. Dans la décision Association canadienne du médicament générique c. Canada, 2007 CF 154, le juge Harrington a conclu qu’il n’était pas évident et manifeste que l’ACMG n’avait pas qualité pour agir par elle‑même ou dans l’intérêt public et il a rejeté la requête en radiation sans préjudice du droit de soulever à nouveau la question de la qualité pour agir. Il a également accordé à Rx&D le statut d’intervenante, faisant observer que sa participation aidait à compléter le tableau d’ensemble. En appel, le juge Sexton a conclu qu’il y avait une question sérieuse à trancher et que l’ACMG avait un intérêt direct ou véritable dans l’affaire.

 

[144]       Sans conteste, la demande de l’ACMG concerne une question sérieuse. Le Règlement sur la protection des données retarde l’introduction des médicaments génériques, et ce retard a des répercussions sur le système de santé du Canada et sur les fabricants de médicaments génériques.

 

[145]       L’ACMG, association qui représente les fabricants de médicaments génériques et leurs fournisseurs, a manifestement un intérêt véritable dans l’affaire. Elle n’est pas au nombre des « ingéreurs officieux » dont parle l’arrêt Moresby Explorers Ltd. c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 144.

 

[146]       En ce qui concerne la troisième condition, qu’il n’y ait pas d’autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour, le juge Sexton a déclaré :

La conclusion à laquelle j’arrive n’est en aucune façon amoindrie par l’issue de l’appel instruit en même temps que celui-ci, […] dans lequel la Cour a jugé qu’il n’était pas évident et apparent qu’Apotex n’avait pas qualité pour contester le nouveau Règlement sur la protection des données. Puisqu’il n’y a pas eu décision définitive sur la question de savoir si Apotex a qualité pour contester la légalité du nouveau Règlement sur la protection des données, on ne saurait dire pour l’heure qu’il est évident et apparent qu’il y a une autre manière de soumettre la question à la Cour. (Souligné dans l’original.)

 

L’affaire connexe, Apotex c. Canada (Gouverneur en conseil), 2007 CAF 374, a aussi été renvoyée en vue de l’instruction du contrôle judiciaire sous réserve. Le Canada n’a pas renouvelé sa contestation de la qualité pour agir d’Apotex. Donc, on n’a pas demandé de décision définitive sur la qualité pour agir d’Apotex, de sorte que l’ACMG se retrouve à peu près dans la position où elle était lorsque l’appel sur la requête a été instruit.

 

[147]       Au moment où l’ACMG a présenté sa demande, Apotex n’avait pas encore produit sa demande. À mon avis, au moment où l’ACMG a présenté sa demande, elle avait le droit d’invoquer la qualité pour agir dans l’intérêt public. Étant donné que le Canada n’a pas présenté de jurisprudence établissant le principe que la partie qui avait la qualité pour agir au moment de la présentation de sa demande perd cette qualité lorsqu’une autre partie présente une demande portant sur la même question, je ne vois pas de raison de décider que l’ACMG aurait perdu la qualité pour agir dans l’intérêt public lorsqu’Apotex a présenté sa demande.

 

[148]       Enfin, s’agissant de l’intitulé dans Apotex c. Canada, dossier T-2047-06, le Canada a demandé que le gouverneur en conseil soit radié de l’intitulé, car l’article 48 de la Loi sur les Cours fédérales prévoit que le « procureur général du Canada » est nommé dans une instance contre le gouvernement fédéral. Le juge Harrington a accueilli la même demande dans ACMG c. Canada, 2007 CF 154. Il a également ajouté le ministre de la Santé. J’adopte la même approche. Je radierai le « gouverneur en conseil » comme défendeur et j’ajouterai le ministre de la Santé pour que tous les participants directement touchés soient présents.

 

Conclusion

[149]       Je conclus que le Règlement sur la protection des données est conforme à la compétence du gouvernement fédéral en matière de réglementation des échanges et du commerce, prévue au paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867.

 

[150]       Le Règlement sur la protection des données n’est pas valide selon la compétence en matière de droit criminel, prévue au paragraphe 91(27), parce que le caractère véritable du règlement visait à établir un équilibre des considérations commerciales entre les fabricants de médicaments innovateurs et les fabricants de médicaments génériques découlant de la mise en œuvre des accords de commerce international. Le Règlement sur la protection des données n’est pas validé du fait qu’il serait partie intégrante d’un système valide de réglementation des médicaments puisqu’il a pour effet de suspendre l’application du système de réglementation des médicaments.

[151]       Le Règlement sur la protection des données tombe dans le second volet de la compétence en matière d’échanges et de commerce, prévue au paragraphe 91(2), puisque cette disposition satisfait aux critères définis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt City National Leasing pour une véritable question économique d’intérêt national. Le Règlement sur la protection des données constitue un complément du système fédéral valide de réglementation des médicaments, il a une dimension économique nationale en raison des obligations du Canada découlant des accords de commerce international, l’ALENA et l’Accord sur les ADPIC, et il s’agit d’une matière sur laquelle les provinces ne peuvent légiférer individuellement ou collectivement.

 

[152]       Le Règlement sur la protection des données n’excède pas la compétence réglementaire du gouverneur en conseil dans la mesure où il porte véritablement sur la protection des données des fabricants de médicaments innovateurs qui doivent fournir des données confidentielles ayant une valeur commerciale pour obtenir un ADC en vue d’introduire de médicaments nouveaux sur le marché canadien. Cela est conforme aux prescriptions de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC.

 

[153]       Enfin, le Règlement sur la protection des données constitue une sous‑délégation admissible du Parlement au gouverneur en conseil puisque le pouvoir réglementaire délégué est limité par les dispositions de l’ALENA et de l’Accord sur les ADPIC.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE:

 

1.         L’Association canadienne du médicament générique a qualité pour présenter la demande dans le dossier T‑1976‑06.

 

2.         L’intitulé de la demande relative au dossier T‑2047‑06 est modifié par la suppression du gouverneur en conseil à titre de défendeur.

 

3.         Le Règlement sur la protection des données est déclaré dans les limites de la compétence du Parlement fédéral.

 

4.         Les demandes de contrôle judiciaire relatives aux dossiers T‑1976‑06 et T‑2047‑06 sont rejetées.

 

5.         Les dépens sont adjugés au Canada dans chaque demande. Il n’est pas adjugé de dépens aux intervenantes, Les compagnies de recherche pharmaceutique du Canada et Eli Lilly Canada Inc.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1976-06 et T-2047-06

 

INTITULÉ :                                       L’ASSOCIATION CANADIENNE DU MÉDICAMENT GÉNÉRIQUE c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET AL.

 

                                                            APOTEX INC. c.

                                                            LE GOUVERNEUR EN CONSEIL ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 décembre 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 17 juillet 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Edward Hore et M. Langen

Tél. : 416-868-1340; téléc. : 416-868-1468

 

 

M. Radomski, M. De Luca et Mme Murdock

Tél. : 416-979-2211; téléc. : 416-979-1234

 

M. Woyiwada

Tél. : 613-941-2353; téléc. : 613-954-1920

 

M. Dearden et Mme Wagner

Tél. : 613-786-0135; téléc. : 613-788-3430

 

M. Mason et M. Ragan

Tél. : 613-786-0159; téléc. : 613-563-9869

POUR LA DEMANDERESSE,

L’ASSOCIATION CANADIENNE DU MÉDICAMENT GÉNÉRIQUE

 

POUR LA DEMANDERESSE,

APOTEX INC.

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

POUR L’INTERVENANTE,

ELI LILLY CANADA INC.

 

POUR L’INTERVENANTE, LES COMPAGNIES DE RECHERCHE PHARMACEUTIQUE DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hazzard & Hore

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE,

L’ASSOCIATION CANADIENNE DU MÉDICAMENT GÉNÉRIQUE

 

POUR LA DEMANDERESSE,

APOTEX INC.

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Gowling Lafleur Henderson, s.e.n.c.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Gowling Lafleur Henderson, s.e.n.c.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

POUR L’INTERVENANTE,

ELI LILLY CANADA INC.

 

 

POUR L’INTERVENANTE,

LES COMPAGNIES DE RECHERCHE PHARMACEUTIQUE DU CANADA

 

 

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