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Date : 20090616

Dossier : T-791-08

Référence : 2009 CF 635

Montréal (Québec), le 16 juin 2009

En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

RENÉ LAMY ET FRANCIS PICHON

demandeurs

 

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 14 avril 2008 par un arbitre des griefs en application de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35 (Loi), par laquelle il a rejeté leurs griefs, au motif qu’ils n’accomplissaient pas, en substance, les tâches comprises dans leur nouvelle description de travail avant le 21 juin 2002 et qu’en conséquence leur rémunération ne pouvait donc pas prendre un effet rétroactif à une date antérieure.

II.         Faits

 

Aperçu

[2]               Au moment de déposer leurs griefs, le 23 décembre 2003, le demandeur René Lamy occupait  un poste de gestionnaire de projets (AR-05) au ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (MTPSG), tandis que le demandeur Francis Pichon occupait  un poste de conseiller technique en immobilisation (EN-ENG-04) au MTPSG. Les griefs contestaient la date pertinente de rétroactivité à laquelle les demandeurs avaient droit suite à la reclassification à la hausse de leur poste de travail.

 

[3]               Cette reclassification découlait directement des nouvelles tâches et responsabilités que l’employeur a ajoutées à la nouvelle description de travail approuvée en août 2003. Les demandeurs soutenaient que la rétroactivité devait remonter à 1995, alors que l’employeur ne consentait à accorder celle-ci qu’à compter de leur demande de reclassification de leur poste, soit le 21 juin 2002.

 

[4]               Malgré les prétentions des demandeurs, il semble, selon la preuve retenue par le Tribunal, que les demandeurs n’avaient pas accompli avant le 21 juin 2002, les nouvelles tâches ou responsabilités comprises dans leur nouvelle description de travail.

 

Historique

[5]               À partir de 1998, à l’initiative du Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT), l’employeur déploie beaucoup d’efforts concernant la mise en œuvre de la Norme générale de classification (NGC) visant l’uniformisation des postes de travail à l’échelle nationale. Durant ce processus, les demandeurs ne pouvaient déposer de grief en vue d’obtenir la reclassification à la hausse de leur poste de travail.

 

[6]               Or, voici qu’après avoir distribué l’ébauche d’une nouvelle description de travail de la NGC, le SCT annonce finalement, en mai 2002, l’abandon de celle-ci; par la suite, toutefois, il consent, à la demande des employés, à réévaluer leur classification de travail en fonction de la description de tâches générique 0212105A élaborée dans le cadre de la NGC.

 

[7]               La décision du 22 août 2003, portant sur la reclassification des postes des demandeurs était fondée tant sur la description de travail générique 0212105A, que sur les données du questionnaire complété par les demandeurs, et de l’analyse effectuée par l’agent de classification.

 

[8]               La nouvelle description de travail élaborée dans le cadre de la NGC avait pour but l’uniformisation des descriptions de travail dans les différentes régions du pays. Il était confié de nouvelles responsabilités aux employés; simultanément, il leur était accordé une plus grande mobilité. La nature générique de cette description de travail permettait l’inclusion de plusieurs activités. Cette description était plus variée que les précédentes. Elle s’adressait aux professionnels de gestion de projets et indiquait clairement l’ensemble des fonctions qui leur étaient confiées.

 

[9]               Selon la preuve produite devant l’arbitre, qui devait confirmer, le 22 août 2003, la reclassification du poste des demandeurs, celle-ci comprenait de nouvelles attributions de tâches et responsabilités qui s’ajoutaient à la description de tâches générique 0212105A.

 

III.       Décision contestée

 

[10]           Le rejet des griefs par l’arbitre s’appuie sur les motifs suivants :

 

a.       Les faits en cause ne justifient pas la modification de la date d’entrée en vigueur de la reclassification des postes en litige;

b.      Les demandeurs ont trop tardé à réclamer une reclassification et à présenter leurs griefs; en effet, s’ils se croyaient vraiment lésés, au lieu de demeurer inactifs, ils auraient pu agir huit ans avant la date choisie pour déposer leurs griefs;

c.       Contrairement à leurs prétentions, les demandeurs n’accomplissaient pas depuis le 1er octobre 1995 les fonctions de leurs  postes tels que reclassifiés en août 2003, et n’exerçaient pas avant le 21 juin 2002, en substance,  les tâches de la description de travail 0212105A;

d.      S’agissant de griefs de nature continue, de toute façon, la rémunération provisoire ne saurait excéder la période de 25 jours précédant la date de présentation des griefs; en l’espèce, l’employeur avait déjà accordé 14 mois de rétroactivité.

 

IV.       Questions en litige

 

[11]           L’arbitre a-t-il été déraisonnable dans son appréciation des faits et des motifs, laquelle a abouti au rejet des griefs?

 

V.        Analyse

 

A. Norme de contrôle

[12]           Les partis conviennent que, vu l’expertise de l’arbitre et la nature des questions en litige, il faut accorder à sa décision un haut degré de déférence; la  norme de contrôle est donc celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12).

 

B. Fonctions et responsabilités des demandeurs

[13]           Les demandeurs ont soutenu que la nouvelle description de tâches n’a pas apporté de changements fondamentaux à leurs fonctions; cependant, la preuve produite devant l’arbitre ne l’a pas convaincu que, concrètement, la nouvelle description de tâches ne leur imposait pas de nouvelles tâches et de plus lourdes responsabilités et que, en substance, la nature même de certaines de leurs fonctions restait inchangée.

 

[14]           M. Lamy soutient que ses fonctions n’ont changé que dans la seule mesure où, en 1995, le MTPSG décidait de transférer ses responsabilités aux Conseils de bande afin que les communautés autochtones jouent un rôle plus actif; cependant, depuis lors, ses fonctions sont restées entièrement inchangées.

 

[15]           Pour sa part, M. Pichon soutient aussi que ses fonctions sont demeurées les mêmes depuis le 1er octobre 1995 et que la nouvelle description de tâches n’a ajouté rien d’important à ses fonctions.

 

[16]           Cependant, l’arbitre note dans sa décision que la description de travail générique 0212105A diffère de façon importante avec les descriptions de poste antérieures. Il signale que, afin d’harmoniser la description de travail des demandeurs avec celle de leurs collègues des autres régions, le ministère a non seulement ajouté des tâches, mais a aussi modifié à la hausse le niveau de responsabilité de leurs tâches. À la vérité, il ressort même des débats relatifs à leurs griefs devant l’arbitre que les demandeurs n’accomplissaient toujours pas toutes les fonctions prévues dans leur nouvelle description de travail; l’arbitre n’a donc pu que constater ce fait et il a noté les divergences entre la nouvelle description de tâches et celles qui l’avaient précédée.

 

[17]           En somme, il revenait à l’arbitre d’apprécier les faits et les demandeurs n’ont pas réussi à convaincre la Cour que, vu son analyse des faits, il était déraisonnable de sa part de conclure, pour les motifs énoncés dans sa décision que, depuis 1995, les demandeurs n’avaient pas accompli en substance, les nouvelles fonctions de postes comprises dans la nouvelle description de tâches à la base de la reclassification de 2003.

 

[18]           Bien que les demandeurs contestaient que leur nouvelle description de tâches ait apporté des changements fondamentaux à leurs fonctions, vu la preuve produite devant l’arbitre, il lui était loisible de conclure que la nouvelle description de tâches à la base de leur reclassification comportait non seulement de nouvelles tâches, mais également un niveau accru de responsabilité.

 

[19]           Or, toutes ces modifications de fonctions ont été élaborées en 2002 et approuvées en 2003. En supposant même que les tâches qu’ils effectuaient n’aient pas vraiment changé avec la nouvelle description de travail, cela  ne signifie aucunement qu’ils doivent être reclassifiés rétroactivement à compter du 1er octobre 1995 (Cairns c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] C.R.T.F.P.C. no 131).

 

[20]           En ce qui a trait à la rémunération rétroactive réclamée en fonction d’une échelle salariale plus élevée pour le travail de niveau supérieur effectué depuis 1995, les demandeurs se devaient de démontrer qu’ils effectuaient depuis lors, en substance, les nouvelles responsabilités découlant de la reclassification de leurs postes. Or, vu la preuve produite, l’arbitre a pu constater, sans équivoque, que les demandeurs n’avaient jamais avant cette reclassification, assumé certaines tâches que celle-ci a ajouté à leurs postes en août 2003, par exemple : la gestion de fonds, la réalisation de projets, la gestion des résultats, et la gestion de contrats.

 

[21]           En somme, les demandeurs s’acquittaient, avant la nouvelle reclassification de leurs postes, des fonctions énoncées dans leur ancienne description de tâches. Bien que ces fonctions se retrouvent dans leur nouvelle description de tâches, il ne faut pas perdre de vue le fait que celle-ci s’est accrue de nouvelles responsabilités, d’où la reclassification à la hausse de leurs postes.

 

[22]           Il s’ensuit donc qu’il n’était pas déraisonnable pour l’arbitre de conclure que les demandeurs n’accomplissaient pas depuis 1995 les fonctions énoncées dans la description de 2003 et pour lesquelles ils sollicitaient une rémunération rétroactive.

 

C. Rémunération provisoire

[23]           Les demandeurs soutiennent subsidiairement que l’arbitre a commis une erreur de droit dans son interprétation de la jurisprudence traitant de la question de la rémunération provisoire. Ils prétendent que l’arbitre a conclu, à tort, que les demandeurs ne pouvaient pas réclamer une rémunération provisoire pour une période antérieure à celle du délai prévu pour la présentation du grief.

 

[24]           Rappelons qu’indépendamment de la question de savoir si leurs griefs étaient fondés, l’employeur a tout de même accordé aux demandeurs une rétroactivité à compter du 21 juin 2002, soit la date où ceux-ci ont effectivement demandé la reclassification de leur postes. Ont-ils droit à plus? La réponse est certainement négative s’ils n’ont pas accompli, comme l’a conclu en l’occurrence l’arbitre, les nouvelles tâches découlant de la reclassification des postes.

 

[25]           Comme la Cour conclut qu’était raisonnable la décision arbitrale concernant la substance des fonctions et responsabilités des demandeurs avant la reclassification de leurs postes en 2003, ce moyen est tout à fait théorique puisqu’il n’y a pas eu violation de leurs droits, donc aucun droit pour eux à une rémunération provisoire. Y aurait-il eu une telle violation, vu la nature continue de celle-ci, la Cour ne voit pas à quel titre les demandeurs auraient pu réclamer une rémunération provisoire pour la période antérieure à celle prévue dans le Règlement en ce qui concerne la présentation des griefs; et, en l’espèce, le paragraphe 71(3) du Règlement  limite cette période à 25 jours  (Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. (1993), DORS/93-348).

 

VI.       Conclusion

 

[26]           Pour tous ces motifs, la Cour conclut que les demandeurs n’ont pas établi que la décision arbitrale contestée était déraisonnable. Leur demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée avec dépens.

 


JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

REJETTE la demande de contrôle judiciaire, le tout avec dépens.

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


                                                           COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-791-08

 

INTITULÉ :                                       RENÉ LAMY et FRANCIS PICHON

                                                            c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 8 mai 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      le 16 juin 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sean T. McGee

Christine Poirier

 

POUR LES DEMANDEURS

Karl Chemsi

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nelligan O’Brien Payne

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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