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Date : 20090610

Dossier : T-1299-08

Référence : 2009 CF 627

Ottawa (Ontario), le 10 juin 2009

En présence de monsieur le juge Lemieux

 

 

ENTRE :

KAMSUT, INC.

 

demandeur

 

et

 

 

JAYMEI ENTERPRISES INC.

 

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

1) Introduction et historique

[1]               En vertu de l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C., 1985, ch. T-13, (la Loi), Kamsut, Inc. (Kamsut), une société californienne établie en 1969, sur demande à la Cour datée du 19 août 2008, demande à ce que soit radiée du registre des marques de commerce, la marque de commerce KAMA SUTRA, enregistrée sous le numéro LMC 587,731 (l’enregistrement 731) que Jaymei Enterprises Inc., une société de la Colombie‑Britannique ayant sa place d’affaires à Vancouver Nord, a obtenue, le 21 août 2003, sur demande déposée le 19 février 2002 pour emploi en liaison avec (1) des chocolats, des bonbons, des truffes au chocolat et des fruits confits, depuis 1994 et (2) des bonbons, des gaufres, du café et du chocolat chaud emballé depuis juillet 2003. La preuve révèle que les marchandises décrites dans le groupe 2 et les bonbons et les fruits confits décrits dans le groupe 1 dans l’enregistrement 731 de Jaymei ne sont pas visés en l’espèce.

 

[2]               L’enregistrement 731, sous la rubrique « Traduction des caractères étrangers », mentionne ceci : [traduction] « Selon la requérante, le mot KAMA se traduit en anglais par « love » (amour) ou « desire » (désir) et le mot SUTRA se traduit en anglais par « manual » (guide).

 

[3]               Kamsut affirme qu’elle exploite au Canada depuis 1973 une entreprise de fabrication, de distribution et de vente d’articles de cadeau romantique, d’articles de soin du corps et de la peau et d’articles de soins personnels, notamment des lotions pour le corps, des huiles de massage, des cosmétiques, des produits de parfumerie, des gels pour le bain, des baumes aromatiques, des lubrifiants personnels et des articles de vêtement, et ce, en liaison avec sa marque de commerce KAMA SUTRA (les produits Kamsut). Elle affirme que, parmi ces produits figurent un certain nombre de produits KAMA SUTRA comestibles à saveur de chocolat, notamment la crème de massage Body Soufflé au chocolat, la peinture corporelle au chocolat et l’huile de massage au chocolat (produits au chocolat Kamsut) qu’elle utilise au Canada, en liaison avec la marque de commerce KAMA SUTRA depuis au moins 1988 et, à titre d’exemple, elle affirme qu’elle a exporté sans interruption depuis 1988 ses lotions et ses huiles corporelles à saveur de chocolat à son distributeur canadien, Telford Investments Inc. (Telford).

 

[4]               Kamsut prétend que l’enregistrement 731 est invalide pour deux raisons :

 

1)   En vertu des paragraphes 18(1) et 16(1) de la Loi, Jaymei n’avait pas le droit d’obtenir son enregistrement 731 parce que, à la date de sa demande d’enregistrement (19 février 2002) et à la date de sa première utilisation en liaison avec des chocolats ou des truffes au chocolat en 1994, sa marque KAMA SUTRA créait de la confusion avec la marque de commerce KAMA SUTRA de Kamsut qui avait déjà été utilisée en liaison avec ses produits KAMA SUTRA, et plus particulièrement en liaison avec ses produits au chocolat KAMA SUTRA, avant la présumée date de première utilisation ou avant la date de la demande d’enregistrement présentée par Jaymei. En ce qui concerne son Huile d’Amour au chocolat et menthe, Kamsut affirme que la preuve révèle qu’elle l’utilise depuis au moins 1988.

 

2)   À la date de l’introduction de sa procédure en radiation (19 août 2008), la marque de commerce KAMA SUTRA de Jaymei n’était pas distinctive de ses marchandises.

 

[5]               Jaymei n’a pas contesté que Kamsut avait la qualité de « personne intéressée » au sens du paragraphe 57(1) de la Loi et qu’elle pouvait, à ce titre, introduire la présente procédure en radiation et elle n’a pas fait valoir que Kamsut ne pouvait pas, en vertu du paragraphe 57(2) de la Loi, intenter des procédures.

 

[6]               La défense de Jaymei à l’égard de la procédure de radiation comporte deux volets :

 

1)   Premièrement, il incombait à Kamsut de prouver qu’elle avait utilisé ou avait révélé sa marque KAMA SUTRA avant la première utilisation par Jaymei en 1994 ou qu’elle l’utilisait déjà avant la date de la demande d’enregistrement de Jaymei en février 2002 (l’utilisation antérieure) et, le cas échéant, l’utilisation par Jaymei à ce moment-là de sa marque KAMA SUTRA créerait vraisemblablement de la confusion avec la marque de Kamsut. Jaymei affirme que Kamsut ne s’est pas acquittée de sa charge de prouver qu’elle  utilisait déjà sa marque au Canada ou que sa marque était connue au Canada. S’appuyant sur la décision rendue dans Auld Phillips Ltd. c. Suzanne’s Inc., [2005] A.C.F. no 70 (la décision Auld Phillips), Jaymei prétend que la Cour n’a pas à examiner la question de la confusion.

 

2)    Jaymei prétend que, quoi qu’il en soit, sa marque KAMA SUTRA ne créait aucune confusion avec la marque KAMA SUTRA de Kamsut compte tenu des marchandises de Jaymei, et cela pour un certain nombre de raisons : les marchandises de Kamsut arborant la marque KAMA SUTRA sont différentes et distinctes de ses marchandises énumérées dans son enregistrement 731. Les consommateurs ne supposeront pas que ses marchandises en question proviennent de la même source, c’est‑à‑dire Kamsut. Les chocolats de Jaymei ne sont pas des articles de cadeaux romantiques. Sa demande d’enregistrement révèle qu’ils sont décrits comme étant des produits alimentaires comestibles. Les produits de Kamsut sont, eux, des cosmétiques ou des stimulants sexuels.

 

3)   Enfin, Jaymei prétend que sa marque KAMA SUTRA distingue véritablement ses marchandises de celles des autres parce qu’elle est connue par ses clients et qu’elle est associée aux produits qu’elle fabrique et que c’est ainsi qu’elle est connue dans ses réseaux de distribution. De plus, Jaymei ajoute que sa marque était distinctive en raison de l’utilisation isolée de la part de Kamsut, la société contrevenante. Kamsut n’a pas prouvé qu’elle faisait une utilisation assez importante ou suffisante pour rendre la marque déposée de Jaymei non distinctive. Jaymei prétend que sa marque a acquise un caractère distinctif régional.

 

2) Les dispositions législatives pertinentes

[7]               Les dispositions pertinentes de la Loi en l’espèce sont les suivantes (non souligné dans l’original) :

 

1)   Le paragraphe 57(1) de la Loi qui autorise la Cour « […] sur demande de […] toute personne intéressée » à ordonner qu’une inscription dans le registre « soit biffée » […] parce que, à la date de cette demande, l’inscription figurant au registre « n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque ».

 

2)   Le paragraphe 18(1) de la Loi prévoit ce qui suit : « L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants : […] b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement », ou […] « sous réserve de l’article 17, l’enregistrement est invalide si l’auteur de la demande n’était pas la personne ayant droit de l’obtenir ».

 

3)   L’article 16 de la Loi mentionne qu’un requérant qui « […] a employ[é] ou fait connaître [une marque de commerce] au Canada en liaison avec des marchandises ou services, a droit […] d’en obtenir l’enregistrement à l’égard de ces marchandises ou services, à moins que, à la date où le requérant […] l’a en premier lieu ainsi employée ou révélée, elle n’ait créé de la confusion a) soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne; […] ». [Non souligné dans l’original.]

 

4)   Certains concepts clés découlent du régime législatif susmentionné :

 

(1) « distinctive » est défini comme suit à l’article 2 de la Loi:

 

«distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

 

“distinctive”, in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them.

 

 

 

(2) « emploi » y est défini comme suit : 

 

«emploi » ou «usage » À l’égard d’une marque de commerce, tout emploi qui, selon l’article 4, est réputé un emploi en liaison avec des marchandises ou services.

 

“use”, in relation to a trade-mark, means any use that by section 4 is deemed to be a use in association with wares or services.

 

 

 

 

5)  L’article 4 de la Loi mentionné dans la définition d’« emploi » est ainsi libellé :

 

Quand une marque de commerce est réputée employée

 

4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

 

Idem

 

(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

 

Emploi pour exportation

 

(3) Une marque de commerce mise au Canada sur des marchandises ou sur les colis qui les contiennent est réputée, quand ces marchandises sont exportées du Canada, être employée dans ce pays en liaison avec ces marchandises.

When deemed to be used

 

 

4. (1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

 

 

Idem

 

(2) A trade-mark is deemed to be used in association with services if it is used or displayed in the performance or advertising of those services.

 

Use by export

 

(3) A trade-mark that is marked in Canada on wares or on the packages in which they are contained is, when the wares are exported from Canada, deemed to be used in Canada in association with those wares.

 

 

 

 

6)   L’article 6 de la Loi est intitulé « Quand une marque ou un nom crée de la confusion ». Le paragraphe 6(2) de la Loi est ainsi libellé :

 

Quand une marque ou un nom crée de la confusion

 

[…]

 

Idem

 

6. (2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

 

[…]

 

When mark or name confusing

 

 

 

Idem

 

6. (2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

 

 

 

 

….

 

 

 

7)  Le paragraphe 6(5) de la Loi énonce que, en décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris de certaines circonstances qui y sont énoncées. Il est ainsi libellé :

 

Quand une marque ou un nom crée de la confusion

 

[…]

 

 

Éléments d’appréciation

 

6. (5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

 

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

 

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

 

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

 

d) la nature du commerce;

 

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

 

When mark or name confusing

 

 

 

 

What to be considered

 

6. (5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

 

 

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

 

 

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

 

 

(c) the nature of the wares, services or business;

 

(d) the nature of the trade; and

 

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

 

 

 

8)  L’article 5 de la Loi porte sur le moment où une marque de commerce est réputée révélée au Canada. Il est ainsi libellé :

 

Quand une marque de commerce est réputée révélée

 

5. Une personne est réputée faire connaître une marque de commerce au Canada seulement si elle l’emploie dans un pays de l’Union, autre que le Canada, en liaison avec des marchandises ou services, si, selon le cas :

 

a) ces marchandises sont distribuées en liaison avec cette marque au Canada;

 

b) ces marchandises ou services sont annoncés en liaison avec cette marque :

 

(i) soit dans toute publication imprimée et mise en circulation au Canada dans la pratique ordinaire du commerce parmi les marchands ou usagers éventuels de ces marchandises ou services,

 

(ii) soit dans des émissions de radio ordinairement captées au Canada par des marchands ou usagers éventuels de ces marchandises ou services, et si la marque est bien connue au Canada par suite de cette distribution ou annonce.

 

S.R., ch. T-10, art. 5.

When deemed to be made known

 

 

5. A trade-mark is deemed to be made known in Canada by a person only if it is used by that person in a country of the Union, other than Canada, in association with wares or services, and

 

 

(a) the wares are distributed in association with it in Canada, or

 

(b) the wares or services are advertised in association with it in

 

(i) any printed publication circulated in Canada in the ordinary course of commerce among potential dealers in or users of the wares or services, or

 

 

(ii) radio broadcasts ordinarily received in Canada by potential dealers in or users of the wares or services, and it has become well known in Canada by reason of the distribution or advertising.

 

 

R.S., c. T-10, s. 5.

 

 

3) La preuve

[8]               Kamsut fabrique, distribue et vend certaines marchandises en liaison avec sa marque KAMA SUTRA. Elle possède une marque de commerce canadienne enregistrée le 11 mars 1983, sous le numéro LMC 277,435 quant à sa marque de commerce KAMA SUTRA employée en liaison avec des « cosmétiques, à savoir des crèmes corporelles et des crèmes faciales, des sels et des huiles de bain, des lotions et des crèmes nettoyantes, des poudres pour le corps, des articles de parfumerie, des articles de toilette, des émulsions, à savoir, du rouge à lèvres, du vernis à ongle, des huiles et des lotions corporelles, des shampoings, des savons pour le bain et des savons de beauté, des produits de beauté, à savoir, du maquillage pour le visage et pour les yeux, du mascara et du rouge à lèvres » employés au Canada depuis au moins avril 1973.

 

[9]               Kamsut, dans une demande déposée le 29 septembre 2004, demande à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) d’enregistrer sa marque de commerce KAMA SUTRA and Design en liaison avec : (1) huile corporelle, crème corporelle, poudre corporelle, crème de massage corporelle, savon pour le corps, sels pour le bain non médicamenteux, huiles de massage, crèmes de massage, baume plaisir stimulant employés au Canada depuis au moins le 30 juin 1995; (2) des baumes et des lubrifiants personnels; (3) des vêtements, à savoir de la lingerie, des tenues de détente, des sous‑vêtements et des vêtements de nuit pour emploi projeté. Jaymei s’oppose à sa demande d’enregistrement. Lorsque la Cour a entendu cette affaire, elle a été informée que la demande de Kamsut était à l’état de l’opposition.

 

[10]           La demande de Kamsut visant à faire radier l’enregistrement 731 de Jaymei était étayée par l’affidavit de Joseph C. Bolstad, qui a été à son emploi à titre de président depuis 1969. Sa demande de radiation a également été étayée par l’affidavit de Darrell Gibbs, qui est l’acheteur de Telford Investments, Inc. (Telford) et qui est à son emploi depuis 1990.

 

[11]           La défense de Jaymei à l’égard de la demande de radiation de Kamsut était étayée par l’affidavit de Fu Mei Leonard. Il déclare qu’il a été son directeur et son seul actionnaire ainsi que son fabricant de chocolats depuis le 18 juillet 1994.

 

[12]           Aucun des souscripteurs d’affidavit n’a été contre‑interrogé au sujet de son affidavit. J’ajoute, toutefois, dans le contexte des procédures d’opposition présentement en cours, à savoir, la demande de Kamsut déposée le 29 septembre 2004 et l’opposition de Kamsut à la demande de Jaymei, datée du 2 juin 2004, d’enregistrement de la marque de commerce KAMA SUTRA en liaison avec l’emploi envisagé d’une gamme de marchandises, M. Bolstad et M. Leonard ont été contre‑interrogés au sujet de leurs affidavits déposés dans ses procédures d’opposition respectives.  Des extraits des transcriptions figurent dans les dossiers des parties soumis à la Cour.

 

[13]           M. Bolstad, dans son affidavit, déclare ce qui suit : [traduction] « Kamsut fabrique, distribue et vend au Canada depuis au moins 1973 des articles de cadeaux romantiques, des articles de soins pour le corps, de soins pour la peau et de soins personnels, y compris des lotions pour le corps, des huiles de massage, des cosmétiques, des articles de parfum, des gels pour le bain, des baumes aromatiques, des lubrifiants personnels et des vêtements, en liaison avec les marques de commerce KAMA SUTRA et KAMA SUTRA & Design (produits Kamsut) ».

 

[14]           Fu Mei Leonard déclare ceci dans son affidavit : [traduction] « Jaymei fabrique, distribue et vend des chocolats, des bonbons, des truffes au chocolat et des fruits confits, et cela, depuis au moins 1994 ». Il affirme ce qui suit : [traduction] « Ces produits sont vendus sous la marque de commerce KAMA SUTRA ».

 

[15]           Après avoir mentionné que Jaymei était la propriétaire de sa marque, M. Leonard mentionne ce qui suit : [traduction] « Jaymei est la propriétaire enregistrée de la marque de commerce FORBIDDEN PLEASURES/KAMA SUTRA & DESIGN enregistrée au Canada le 8 août 1997 sous le numéro LMC 479920 (l’enregistrement 920) en liaison avec des chocolats ». Fu Mei Leonard affirme que tous les produits en chocolat KAMA SUTRA de Jaymei sont confectionnés à la main par lui‑même. Tel qu’il est souligné au paragraphe 1 des présents motifs, l’enregistrement a la même traduction anglaise de KAMA et SUTRA.

 

La preuve de Kamsut – l’affidavit de M. Bolstad

[16]           Je résume l’affidavit de M. Bolstad et les pièces qui y sont jointes :

 

1. Preuve d’exportation et de vente au Canada

a)  Les pièces D, E et F portent sur ce point. M. Bolstad affirme que la pièce D [traduction] « est composée de copies authentiques de produits représentatifs de Kamsut démontrant l’emploi de la marque de commerce KAMA SUTRA sur les produits à saveur de chocolat [définis comme étant la crème de massage comestible Body Soufflé au chocolat, la peinture corporelle au chocolat et l’huile de massage au chocolat] comme elle est utilisée depuis au moins 1988 ». Ce qui figure dans la pièce D sont des photographies de l’emballage et de l’étiquette des marchandises suivantes : (1) une bouteille Huile d’Amour – KAMA SUTRA and Design – saveur de chocolat; l’emballage de la bouteille avec l’inscription suivante : « A kissable silky smooth water based oil that gently warms the skin » (une huile de base aqueuse douce comme la soie qui caresse la peau); (2) une boîte portant la marque « Lover’s Paintbox » de KAMA SUTRA (sur laquelle, on peut voir trois bocaux portant l’inscription « chocolate body paint – KAMA SUTRA and Design with paint brush » (peinture corporelle au chocolat – KAMA SUTRA and Design – avec pinceau) comprenant le texte suivant : « Three Rich and Decadent Chocolate Body Paints with supple body brush for romantic body art » (trois peintures au chocolat décadentes avec un pinceau doux souple); 3) une boîte sur laquelle il est écrit « KAMA SUTRA chocolate body paint – milk chocolate with supple paintbrush » (peinture corporelle au chocolat - chocolat au lait KAMA SUTRA avec pinceau doux souple). La photo montre également le pinceau et un bocal portant la marque KAMA SUTRA et les mots « Chocolate Body Paint – Milk Chocolate » (peinture corporelle au chocolat – chocolat au lait).

 

b)   La pièce E est une photocopie d’une lettre circulaire qui, selon M. Bolstad, [traduction] « a été envoyée par Kamsut à ses distributeurs, notamment à son distributeur au Canada Telford Investments Inc., le 10 janvier 1989 ». Cette lettre, sans en‑tête, datée du 10/01/89, adressée aux « chers amis » mentionne que la société a été obligée d’augmenter ses prix de gros sur certains de ses produits, notamment le prix du « Oil of Love – The Original, Chocolate Mint, and Cherry Almond » (Huile d’Amour ‑ l’original, chocolat et menthe et cerise et amande). La lettre se termine par les mots Kama Sutra Company et elle n’est pas signée. M. Gibbs, dans son affidavit, affirme que cette pièce est marquée d’une estampille indiquant que la lettre a été reçue le « 17/01/89 » et qu’elle se trouvait dans les dossiers de Telford.

 

c)    La pièce F est une copie d’un bon de commande qui, selon M. Bolstad, mentionne ce qui suit : « Son distributeur au Canada nous a remis ses dossiers qui ont été utilisés par notre société avec ses distributeurs en 1988 ». Il s’agit d’une photocopie d’une carte portant l’en‑tête « KAMA SUTRA ORDER CARD » (bon de commande KAMA SUTRA) sur laquelle sont énumérés les produits qui peuvent être commandés. Il s’agit notamment des produits suivants : « Oil of Love – The Original » (Huile d’Amour – l’original), « Oil of Love – Chocolate Mint » (Huile d’Amour- chocolat et menthe) et « Oil of Love – Cherry Almond » (Huile d’Amour – cerise et amande). Dans son affidavit, M. Gibbs affirme que cette pièce est datée de juin 88 et qu’elle se trouvait dans les dossiers de Telford et qu’elle servait à commander les produits KAMA SUTRA.

 

2. La nature de la marque de commerce de Kamsut

Sous la rubrique « Nature of Trade » (types de produits), M. Bolstad affirme ce qui suit aux paragraphes 13, 14, 15 et 16 de son affidavit : [traduction] « Les produits KAMA SUTRA sont ce que l’on appelle généralement des articles de cadeaux romantiques et ils visent à procurer aux consommateurs une sensation agréable d’intimité et de tendresse, à améliorer la santé des hommes et des femmes sur le plan physique et émotionnel. Les produits KAMA SUTRA sont vendus au Canada dans des magasins de détail spécialisés comme Love Boutique, par vente directe, dans les magasins à rayons, dans les pharmacies, sur le site Web de la boutique électronique de Kamsut (le site Web). Au paragraphe suivant, il écrit ce qui suit : [traduction] « Plus particulièrement, les produits au chocolat de KAMA SUTRA sont vendus au Canada dans plus de 1 000 points de vente au détail, notamment dans les pharmacies Shoppers Drug Mart au Canada, sur le site Web de cette société et les produits KAMA SUTRA sont vendus dans les magasins la Baie et Zellers. Les produits au chocolat KAMA SUTRA sont offerts dans les minibars, les boutiques de cadeaux, les spas et dans le cadre des forfaits romantiques des hôtels des principales chaînes hôtelières au Canada, notamment les chaînes Pan Pacific, Executive Hotel, Sutton Place, et l’hôtel Le Soleil ».

 

3. Ventes, mise en marché et utilisation

a)  M. Bolstad affirme ce qui suit dans son affidavit : [traduction] « Kamsut a dépensé à chaque année, de 2001 à 2008, au moins 75 000 $US au Canada en publicité liée aux produits vendus sous la marque de commerce KAMA SUTRA. Kamsut fait de la publicité quant aux produits KAMA SUTRA dans les publications imprimés, dans les magazines, à la radio, à la télévision, dans Internet, par campagne postale, par commandites, par concours promotionnels, dans des foires commerciales et dans le cadre de présentations faites dans des magasins ». Il joint, à titre de pièce G, des documents de publicité imprimée des produits KAMA SUTRA figurant dans un certain nombre de publications dont les noms sont mentionnés et qui, selon lui, [traduction] « ont un très grand tirage et que plusieurs d’entre elles sont diffusées au Canada ou peuvent être achetées au Canada par abonnement, y compris une copie de deux annonces diffusées dans la publication canadienne Corps et Âme pour les produits au chocolat KAMA SUTRA, lesquels sont tous offerts sous la marque de commerce KAMA SUTRA ». Les publications mentionnées par M. Bolstad comprennent certains numéros mensuels de 2005 et de 2006 ainsi qu’une publication intitulée « Intimate Apparel Business » (mai/juin 2007).

 

b)   À titre de pièce H, M. Bolstad joint une copie d’une brochure faisant la promotion des produits KAMA SUTRA sous la marque de commerce KAMA SUTRA. La brochure présente de façon détaillée tous les produits de Kamsut. Elle est écrite en quatre langues : anglais, français, espagnol et allemand. Les produits annoncés comprennent « Oil of Love » (Huile d’Amour) en neuf saveurs, des poudres pour le corps, des lubrifiants, des crèmes et peintures corporelles au chocolat. À titre de pièce I, il joint des copies papiers représentatives provenant du site Web de Kamsut « montrant l’emploi de la marque par Kamsut dans le cadre de la promotion des produits KAMA SUTRA, notamment des produits au chocolat KAMA SUTRA, de 1997 à 2004, et en 2007 et 2008 ».

 

c)    Au paragraphe 21, M. Bolstad écrit ce qui suit : [traduction] « les ventes au détail de Kamsut au Canada, de 2001 à 2008, ont dépassé les 15 millions de dollars américains. Ce chiffre est fondé sur une majoration de prix moyenne d’au moins 2,5 fois le prix auquel KAMA SUTRA a vendu ses produits à ses distributeurs au Canada. Les chiffres de vente par année sont les suivants : 600 000 $ (est.) en 2001, 840 351,82 $ en 2002, 778 420,21 $ en 2003, 783 901,64 $ en 2004, 681,977.56 $ en 2005, 655 851,65 $ en 2006, 911 058,54 $ en 2007, 980 382,31 $ en 2008 (depuis le début de l’année) ».

 

d)   M. Bolstad affirme ensuite ce qui suit : [traduction] « Kamsut conserve les documents pendant sept ans, par conséquent, les documents ayant trait à des opérations effectuées il y a plus de sept ans ont été détruits ». Il a joint à son affidavit, à titre de pièce J, un certain nombre de factures qui seraient représentatives d’opérations et de ventes relatives à des envois de produits au Canada à partir de 2002. Les factures représentatives sont les suivantes :

 

i)      De nombreuses factures, datées de 2002, 2003, 2004 et 2005, adressées à Ultra Love, à Vancouver, relativement à l’achat de divers produits, notamment « Oil of Love – Chocolate Mint » (Huile d’Amour – chocolat et menthe);

 

ii)     Trois factures datées respectivement de 2002, 2003 et 2008 adressées à B.M.S. Enterprises de Mississauga (Ontario) relativement à une gamme de produits, notamment au produit « Oil of Love – Chocolate Mint » (Huile d’Amour - chocolat et menthe);

 

iii)    Une facture, datée de 2002, adressée à Lanco Import Canada Inc. de Laval (Québec) relativement à une gamme de produits, notamment au produit « Oil of Love Chocolate Mint » (Huile d’Amour – chocolat et menthe) et Lover’s paint box (la Boîte aux trois chocolats);

 

iv)   Une facture, datée de 2004, adressée à Stag Shop de Waterloo (Ontario) relativement, notamment, au produit « Oil of Love – Chocolate mint » (Huile d’Amour- chocolat et menthe);

 

v)    Deux factures distinctes, datées respectivement de 2006 et 2007, adressées à Telford Investments d’Edmonton relativement à une gamme de produits, notamment aux produits « Oil of Love Chocolate Mint » (Huile d’Amour – chocolat et menthe) et Lover’s paint box (la Boîte aux trois chocolats);

 

vi)   Une facture datée de 2007, adressée à Sexy Living Enterprises, de Vancouver, relativement à de nombreux produits, notamment au produit « Lover’s paint boxes » (la Boîte aux trois chocolats);

 

vii)   De nombreux bons de commande adressés à Shoppers Drug Mart relativement à des produits devant être expédiés vers des entrepôts (trois bons de commande datés du 23 juillet 2008 relativement à des livraisons, l’une prévue pour le 1er décembre 2008 et les autres prévues pour le 27 août 2008.) Les produits visés par ces livraisons comprenaient notamment le produit « Lover’s paint boxes » (la Boîte aux trois chocolats).

 

e)  Au paragraphe 23 de son affidavit, M. Bolstad mentionne ce qui suit : [traduction] « Kamsut est très présente sur Internet. Une recherche sur Internet quant aux produits de chocolaterie associés à la marque de commerce KAMA SUTRA donne comme résultat « KAMA SUTRA Chocolate Products » ». Il joint à son affidavit, à titre de pièce K [traduction] « une copie d’écran des résultats de recherche obtenus après avoir inscrit « KAMA SUTRA chocolate » sur www.google.com montrant que quatre des cinq premiers résultats de recherche font mention de « KAMA SUTRA Chocolate Products ».

 

4. Les produits de Jaymei

a)    M. Bolstad décrit les produits de Jaymei de la façon suivante :

 

[traduction]

 

Les marchandises sont des prolongements naturels du monde des « articles de cadeaux romantiques ». D’après mon expérience avec les ventes de nos produits, je crois que les clients qui connaissent bien les articles de cadeaux romantiques de Kamsut présumeront que les produits vendus par la défenderesse sous la marque KAMA SUTRA proviennent de Kamsut ».

 

[Non souligné dans l’original.]

 

5. L’opposition de Kamsut à la deuxième demande d’enregistrement présentée par Jaymei

a)    M. Bolstad, joint à son affidavit, à titre de pièce M, une copie, tirée de la base de données de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC), de la demande no 1218942 déposée par Jaymei le 2 juin 2004 qui a fait l’objet d’une opposition de la part de Kamsut. Cette demande présentée par Jaymei a trait à l’utilisation envisagée de la marque KAMA SUTRA quant à un large éventail de produits principalement non comestibles. Il affirme que le ou vers le 29 avril 2008, il a été contre‑interrogé à Vancouver sur l’affidavit qu’il avait déposé dans le cadre de la procédure d’opposition. Il a joint à son affidavit, à titre de pièce N, une copie de la transcription du contre‑interrogatoire. Il conclut son affidavit en joignant, à titre de pièce O, une copie d’une lettre portant la mention « sous réserve de tout droit », datée du 29 novembre 2007, émanant de l’avocat de Jaymei et adressée à l’avocat de Kamsut au Canada. Je déclare cette lettre inadmissible.

 

La preuve de Kamsut – l’affidavit de M. Gibbs

[17]           Comme il a été souligné, la demande de radiation de Kamsut était également étayée par l’affidavit de Darrell Gibbs, l’acheteur de Telford depuis 1990. Au paragraphe 2 de son affidavit, celui‑ci déclare ce qui suit :

 

[traduction]

 

Lorsque j’ai commencé à travailler pour Telford en 1990, Telford était le distributeur au Canada des produits de Kamsut Inc. portant la marque de commerce KAMA SUTRA, et elle est toujours le distributeur au Canada des produits de Kamsut Inc. portant la marque de commerce KAMA SUTRA. Kamsut, Inc. est connue de Telford sous le nom de « The Kama Sutra Company »

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[18]           Au paragraphe 3 de son affidavit, M. Gibbs déclare ce qui suit :

[traduction]

 

L’un des produits de Kamsut, Inc. que Telford distribuait au Canada lorsque j’ai commencé à travailler pour elle en 1990 était une huile de massage à saveur de chocolat portant la marque de commerce KAMA SUTRA et appelée « Chocolate Mint Oil of Love » (Huile d’Amour chocolat et menthe).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[19]           Au paragraphe 4 de son affidavit, M. Gibbs joint à titre de pièce A, une copie authentique de la lettre qui est annexée à l’affidavit de M. Boldstad à titre de pièce E. M. Gibbs affirme que [traduction] « sa lettre est une copie d’une lettre émanant de Kama Sutra Company datée du 10 janvier 1989 et estampillée “17 janvier 1989” par Telford, informant ses distributeurs quant à certaines augmentations de prix, y compris une augmentation de prix du produit « Chocolate Mint Oil of Love » (Huile d’Amour chocolat et menthe). Il a trouvé cette lettre dans les dossiers de Telford. Il a également joint à son affidavit, à titre de pièce B, le bon de commande de Kama Sutra daté de juin 88 qu’[traduction] « [il a] également trouvé dans les dossiers de Telford et qui était utilisé pour commander les produits KAMA SUTRA.

 

[20]           Au paragraphe 6 de son affidavit, M. Gibbs affirme ce qui suit : [traduction] « Les ventes au Canada du produit « Chocolate Mint Oil of Love » (Huile d’Amour chocolat et menthe) de KAMA SUTRA sont faites par Telford depuis au moins 1990 et il en est encore ainsi ». Comme il a été souligné, celui‑ci n’a pas été contre‑interrogé. [Non souligné dans l’original.]

 

La preuve de Jaymei – l’affidavit de M. Leonard

[21]           Comme il a été souligné, la preuve de Jaymei a été soumise grâce à l’affidavit de Fu Mei Leonard, dont certains éléments ont déjà été décrits dans les présents motifs.

 

[22]           Au paragraphe 10 de son affidavit, M. Leonard joint, à titre de pièce D, une liste de factures émanant de Jaymei pour la vente de ses chocolats KAMA SUTRA. Les factures ont trait aux années comprises entre 1994 et 2008. Elles comprennent les ventes faites à des personnes au Dorset College ainsi qu’à d’autres personnes, à Tesco Canada Investment Corporation, à Seregeti Investments Inc., à DBA Garnier Hardware, à Pearsons Hardware, à des personnes à l’hôtel Bayshore, au Coastal Mountain College of Arts, Inc., à Street Smart Tracing, à Coastal Trademark Services, à XTOPER’S Hair Design, à WSI Consulting & Education, à Rosemary Cooks & Associates, à Prime Seeds International Inc., à Zaz-WSI Consulting & Education et à KAMA SUTRA Essensuals en 1999 et en 2000. Il ajoute ce qui suit : [traduction] « Jaymei vend toujours ses produits de chocolaterie KAMA SUTRA ». Un examen des factures révèle que, dans une large mesure, les ventes de Jaymei sont faites dans la région de Vancouver et très peu à l’extérieur et il s’agit en général de ventes de petites quantités de produits. Dans la majorité des cas, le produit mentionné dans les factures est le « Forbidden Pleasures Chocolates » de Kama Sutra.

 

[23]           A titre de pièce E, M. Leonard annexe à son affidavit des photocopies d’étiquettes représentatives, des photos de produits vendus actuellement au Canada et des photos des emballages de Jaymei pour ses produits de chocolaterie KAMA SUTRA. M. Leonard affirme ce qui suit : [traduction] « Cet emballage est utilisé depuis au moins 1994 ». Je souligne que l’emballage est principalement composé des mots « Forbidden Pleasures », d’une photo d’une rose, de la marque KAMA SUTRA et d’un texte mettant l’accent sur le mot « Love ».

 

[24]           Le reste de l’affidavit de M. Leonard est ainsi libellé : 

[traduction]

12.               Jaymei vend ses produits de chocolaterie KAMA SUTRA dans la région de Vancouver, (C.‑B.) grâce à des ventes directes à des personnes, à d’autres sociétés, dont certaines sont mentionnées au paragraphe 10 de mon affidavit.

 

13.               Jaymei fait la promotion de ses produits de chocolaterie KAMA SUTRA grâce au bouche à oreille. J’ai également été interviewé à la station de radio Rock 101 à propos des produits de chocolaterie KAMA SUTRA.

 

14.               Selon moi, les produits de chocolaterie KAMA SUTRA de Jaymei sont uniques et cela ressort des communications que j’entretiens avec les clients avec lesquels je traite. Selon moi, les clients de Jaymei savent, lorsqu’ils achètent les produits de chocolaterie KAMA SUTRA de Jaymei, que ceux‑ci proviennent de Jaymei, et qu’ils sont confectionnés au Canada.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Le point de vue de Jaymei quant à la preuve de Kamsut

[25]           L’avocat de Jaymei conteste la valeur de la preuve de Kamsut. Il fait valoir ces points dans ses observations écrites afin de démontrer que Kamsut ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait. Il a souligné qu’il est clair en droit que l’enregistrement de Jaymei jouit d’une présomption de validité :

 

·        Kamsut n’a soumis aucune preuve de fabrication au Canada;

 

·        Ses emballages et ses étiquettes ne portent aucune date;

 

·        Kamsut fait mention d’un certain nombre de produits à saveur de chocolat, mais elle ne mentionne pas quand ces produits ont été vendus pour la première fois au Canada ou s’ils sont actuellement offerts en vente au Canada;

 

·        Kamsut affirme que les lotions corporelles à saveur de chocolat portant la marque de commerce KAMA SUTRA sont exportées au Canada depuis 1988, mais sa demande d’enregistrement en cours de traitement, datée du 29 septembre  2004, ne fait aucune mention d’eux et sa preuve ne fait état d’aucun volume de ventes;

 

·        La pièce D ne porte aucun étiquette en français;

 

·        La pièce E ne comporte aucune adresse. Rien ne prouve que la lettre a été envoyée, encore moins qu’elle a été envoyée à quelqu’un au Canada et elle ne mentionne pas sous quelles marques de commerce les ventes ont été faites;

 

·        Les paragraphes 13 à 16 de l’affidavit de M. Bolstad ne comprennent aucun renseignement sur les ventes; aucun contrat, aucun bon de commande ni aucune facture n’a été soumis;

 

·        Le fait d’annoncer une marque de commerce n’établit pas l’emploi de la marque de commerce;

 

·        Rien ne prouve que les magazines mentionnés étaient distribués au Canada et aucun renseignement n’est donné quant à leur tirage;

 

·        La pièce H, la brochure, ne porte aucune date de référence;

 

·        Les chiffres des ventes ne sont confirmés par aucun document à l’appui et ils ne remontent pas aux dates pertinentes de la demande de radiation. Les chiffres des ventes ne sont pas détaillés en fonction des produits;

 

·        Rien n’explique pourquoi les documents ne sont conservés que pendant sept ans et pourquoi aucun renseignement ne remonte à 2001. La plus vieille facture qui a été soumise est datée du 7 novembre 2002, soit après les dates pertinentes de 1994 et du 19 février 2002;

 

·        Kamsut semble s’être départie de documents lorsqu’elle a pris connaissance de l’enregistrement 731. Aucun document relatif aux années 90 n’a été soumis.

 

 

4) L’analyse

a) Les principes

[26]           Il est utile, selon moi, d’énumérer au début de la présente analyse, certains principes applicables tirés de la jurisprudence.

 

(i) La présomption de validité et le fardeau de la preuve

[27]           Il est bien établi que c’est au demandeur qui demande la radiation de l’enregistrement d’une marque de commerce qu’incombe le fardeau de prouver (c’est‑à‑dire qu’il doit prouver), selon la prépondérance des probabilités, les motifs d’invalidité qu’il invoque relativement à l’enregistrement d’une marque de commerce et, selon l’article 19 de la Loi, cet enregistrement est présumé valide. Comme le juge Binnie l’a affirmé au paragraphe 5 de ses motifs dans l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, [2006] 1 R.C.S. 824 (l’arrêt Veuve Clicquot) : « Selon l’article 19 de la Loi, l’enregistrement des marques des intimées est présumé valide et leur donne le droit de les employer de la façon susmentionnée […] ». Au paragraphe 15, en parlant de la probabilité de dépréciation, il a affirmé qu’« il appartenait à l’appelante de prouver la probabilité de dépréciation, et non aux intimées de la réfuter ni au tribunal de la présumer » (voir également Tubeco Inc. c. Association québécoise des fabricants de tuyau de béton, Inc., (1980) 49 C.P.R. (2d) 228) (Tubeco), au paragraphe 3, et Omega Engineering, Inc. c. Omega SA, 2006 CF 1472, au paragraphe 12 (Omega)).

 

[28]           Dans l’arrêt Emall.ca Inc. (faisant affaires sous la raison sociale Cheaptickets.ca) c. Cheap Tickets and Travel Inc., 2008 CAF 50, le juge Sharlow, au nom de la Cour d’appel fédérale, a écrit ce qui suit au paragraphe 12 :

 

12    La présomption de validité établie par l’article 19 de la Loi sur les marques de commerce est semblable à la présomption de validité d’un brevet établie à l’article 45 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4. Dans l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153, le juge Binnie a estimé que la formulation de la présomption était plutôt faible et expliqué (au paragraphe 43) que la présomption augmente peu la charge qui incombe déjà, de la manière habituelle, à la partie qui attaque la validité du brevet. Cela signifie, à mon avis, qu’une demande de radiation sera accueillie seulement si l’examen de toute la preuve présentée à la Cour fédérale permet d’établir que la marque de commerce n’était pas enregistrable à l’époque pertinente. La présomption de validité ne sert à rien de plus.

 

 

(ii) L’objet visé par les marques de commerce

 

[29]           Dans l’arrêt Veuve Clicquot, au paragraphe 18, le juge Binnie a écrit ce qui suit : « […] l’objet des marques de commerce est de symboliser la source et la qualité des marchandises et des services, de distinguer les marchandises ou les services du commerçant de ceux d’un autre commerçant et d’éviter ainsi la « confusion » sur le marché ». Il a ensuite expliqué que, selon le paragraphe 6(2) de la Loi, l’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion au sens de la Loi avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi d’une marque de commerce serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, ou exécutées, par la même personne.

 

(iii) Probabilité de confusion et confusion réelle

 

[30]           Comme il a été expliqué dans l’arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772 (Mattel), le critère prévu par la loi quant à la confusion est la probabilité de confusion, c’est‑à‑dire qu’il est probable, compte tenu de l’ensemble des circonstances, que l’acheteur éventuel est susceptible de conclure à tort que les marchandises liées aux marques de commerce sont fabriquées ou vendues par la même personne. La preuve d’une confusion réelle n’est pas nécessaire. Aux paragraphes 55 et 89 de l’arrêt Mattel, le juge Binnie a écrit ce qui suit à propos de l’absence de preuve d’une confusion réelle :

 

 

55     La preuve d’une confusion réelle serait une « circonstance de l’espèce » pertinente, mais elle n’est pas nécessaire (Christian Dior, S.A., par. 19), même s’il est démontré que les marques de commerce ont été exploitées dans la même région pendant dix ans : Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., (1987), 19 C.P.R. (3d) 3 (C.A.F.). Comme nous le verrons plus loin, une conclusion défavorable peut toutefois être tirée de l’absence d’une telle preuve dans le cas où elle pourrait facilement être obtenue si l’allégation de probabilité de confusion était justifiée.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[…]

 

89     Il ne fait aucun doute qu’en principe, la marque de l’appelante est « célèbre » alors que celle dont l’intimée demande l’enregistrement ne l’est pas. Or, la question est de savoir s’il existe une probabilité de confusion (ou s’il y a eu confusion) sur le marché où les deux peuvent exercer leurs activités. À cet égard, la preuve d’une confusion réelle, même si elle n’était pas nécessaire, aurait été utile (ConAgra, Inc. c. McCain Foods Ltd., [2001] A.C.F. no 1331 (QL), 2001 CFPI 963; Matsushita Electric Industrial Co. c. Panavision, Inc., [1992] A.C.F. no 19 (QL) (1re inst.), mais elle n’a pas été produite. Le juge Décary a fait remarquer dans Christian Dior, par. 19 :

 

Bien que la question à laquelle il faut répondre soit celle de savoir s’il existe un « risque de confusion » et non une « confusion effective » ou « des cas concrets de confusion », l’absence de « confusion effective » est un facteur auquel les tribunaux accordent de l’importance lorsqu’ils se prononcent sur le « risque de confusion ». Une inférence négative peut être tirée lorsque la preuve démontre que l’utilisation simultanée des deux marques est significative et que l’opposant n’a soumis aucun élément de preuve tendant à démontrer l’existence d’une confusion.

 

Je suis d’accord. L’absence d’une preuve de confusion réelle (c.-à-d. que des consommateurs éventuels tirent la conclusion erronée) est une autre des « circonstances de l’espèce » à mettre dans la balance : Pepsi-Cola Co. of Canada, Ltd. c. Coca-Cola Co. of Canada, Ltd., [1940] R.C.S. 17, p. 30; General Motors Corp. c. Bellows, [1947] R.C. de l’É. 568, p. 577, conf. par [1949] R.C.S. 678; Freed & Freed Ltd. c. Registrar of Trade Marks, [1950] R.C. de l’É. 431; Monsport Inc. c. Vêtements de Sport Bonnie (1978) Ltée, [1988] A.C.F. no 1077 (QL) (1re inst.); Multiplicant Inc. c. Petit Bateau Valton S.A., [1994] A.C.F. no 382 (QL) (1re inst.), par. 26-27.

[Non souligné dans l’original.]

 

[31]           Dans Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., [1988] 3 C.F. 91 (C.A.), le juge en chef Thurlow a estimé qu’il s’agissait d’« un fait important » que, dans les dix années d’exploitation des deux entreprises dans la région de Dartmouth, antérieurement à l’instruction de l’action, aucun cas de confusion réelle ne s’était produit. Toutefois, pour les motifs qu’il a exposés, l’absence de preuve de confusion réelle ne l’a pas empêché de conclure à la probabilité de confusion entre les deux marques.

 

(iv)  Le critère de la première impression

[32]           Au paragraphe 20 de l’arrêt Veuve Clicquot, le juge Binnie a écrit ce qui suit :

 

20     Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue du nom Cliquot sur la devanture des boutiques des intimées ou sur une de leurs factures, alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce VEUVE CLICQUOT et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques. Pour reprendre les termes utilisés par le juge Pigeon dans Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St. Regis Tobacco Corp., [1969] R.C.S. 192, p. 202 :

 

[traduction] Nul doute que si une personne examinait les deux marques attentivement, elle les distinguerait facilement. Ce n’est toutefois pas sur cette constatation qu’il faut se fonder pour déterminer s’il existe une probabilité de confusion.

 

[...] les marques ne paraîtront pas côte à côte et [la Cour doit] essayer d’empêcher qu’une personne qui voit la nouvelle marque puisse croire qu’il s’agit de la même marque que celle qu’elle a vue auparavant, [page841] ou même qu’il s’agit d’une nouvelle marque ou d’une marque liée appartenant au propriétaire de l’ancienne marque.

 

(Citant Halsbury’s Laws of England, 3e éd., vol. 38, par. 989, p. 590.)

 

            (v) Le critère de « toutes les circonstances de l’espèce »

 

[33]           Au paragraphe 21 de l’arrêt Veuve Clicquot, le juge Binnie a écrit ce qui suit :

 

21     Dans chaque cas, pour décider si une marque de commerce crée ou non de la confusion dans l’esprit du consommateur plutôt pressé en tenant compte « de toutes les circonstances de l’espèce », il faut considérer notamment les facteurs énumérés au par. 6(5) de la Loi. Ce sont : « a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage; c) le genre de marchandises, services ou entreprises; d) la nature du commerce; e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent ». Cette liste n’est pas exhaustive et un poids différent sera accordé à différents facteurs selon le contexte, ainsi qu’il est mentionné dans Mattel. [Non souligné dans l’original.]

 

            (vi) En quoi s’est‑on acquitté du fardeau de la preuve?

 

[34]           Le droit est clair sur ce point. Il ne suffisait pas que Kamsut, dans les affidavits de M. Bolstad et de M. Gibbs, affirme tout simplement qu’elle vend ses produits de chocolaterie KAMA SUTRA depuis au moins 1990 ou avant la première utilisation par Jaymei en 1994.

 

[35]           Kamsut devait établir ou prouver l’existence de ces ventes par une preuve détaillée et précise de l’utilisation qui satisfait à l’exigence de l’article 4 de la Loi ou prouver que sa marque était bien connue au Canada avant la date pertinente (voir : (1) Redsand, Inc. c. Dylex Ltd., [1997] A.C.F. no 792 (C.F.P.I.), aux paragraphes 31 et 44 (Redsand); (2) J.C. Penney Co. c. Gaberdine Clothing Co., 2001 CFPI 1333, aux paragraphes 74, 75 et 82 (J.C. Penney); (3) Auld Phillips Ltd., au paragraphe 16.)

 

[36]           La nécessité d’une preuve directe pour prouver des affirmations d’emploi antérieur ou du caractère révélé de la marque découle des exigences prévues à l’article 4 de la Loi quant à ce qui constitue l’emploi et le caractère distinctif (voir J.C. Penney, aux paragraphes 80, 83, 84 et 86).

 

b) Application à la présente espèce

[37]           Dans la présente affaire, il s’agit essentiellement d’une concurrence entre les chocolats fabriqués par Jaymei et les « produits de chocolaterie » fabriqués par Kamsut. Plus précisément, sur le plan de l’emploi antérieur, le produit le plus pertinent est la lotion corporelle à saveur de chocolat de Kamsut.

 

[38]           Le fardeau qui incombe à Kamsut dans le cadre du premier volet de son attaque d’invalidité contre l’enregistrement de Jaymei est d’établir par une preuve convaincante, selon la prépondérance des probabilités, que Jaymei n’avait pas le droit d’enregistrer sa marque KAMA SUTRA parce que, au moment où Jaymei a employé sa marque pour la première fois ou au moment où elle a demandé l’enregistrement de sa marque, celle‑ci créait de la confusion avec la marque KAMA SUTRA de Kamsut qui était déjà employée ou bien connue au Canada.

 

[39]           Le paragraphe 16(1) de la Loi prévoit un critère à deux volets auxquels Kamsut doit satisfaire : (1) établir l’emploi antérieur de la marque ou que la marque est bien connue au Canada; et (2) établir qu’il y a confusion. Je suis d’accord avec l’avocat de Jaymei pour affirmer que si Kamsut n’établit pas l’emploi antérieur ou la réputation de la marque au Canada, il n’est pas nécessaire de se pencher sur la question de la confusion. La décision Auld Phillips est pertinente en l’espèce. D’un point de vue d’interprétation des lois, cette affirmation découle de la nature du critère à deux volets établi en vertu de l’article 16 de la Loi.

 

1) L’emploi antérieur

[40]           Comme il a été souligné, les pièces D, E et F sont soumises par Kamsut comme preuve de son emploi antérieur de la marque de commerce KAMA SUTRA. Aucun de ces documents ne prouve l’emploi par Kamsut de sa marque de commerce KAMA SUTRA au Canada, c’est‑à‑dire qu’elle est associée à un transfert de la propriété ou de la possession des marchandises : 1) une pièce est un bon de commande en blanc; 2) l’autre pièce est un avis d’augmentation de prix.

 

[41]           La pièce D ne porte aucune date et représente l’emballage et les étiquettes actuels qui ont été mis à jour à partir de l’emballage et des étiquettes originels utilisés pour les produits de Kamsut. De plus, M. Bolstad, dans son affidavit, ne nous dit pas quand les étiquettes mis à jour ont été introduits (comparer la pièce D avec l’annonce parue dans Nylon (août 2005) qui figure dans la pièce H). De plus, la pièce E, le bon de commande, ne fait pas mention de « Lover’s paint box » (la Boîte aux trois chocolats) dans la liste des produits qui pouvaient être commandés en 1988. Pour ces motifs, j’accorde peu de poids à la pièce D jointe à l’affidavit de M. Bolstad en ce qui concerne la preuve d’emploi antérieur des produits de chocolaterie Kamsut.

 

[42]           La pièce A jointe à l’affidavit de M. Bolstad qui est censée être des étiquettes et des emballages représentatifs des produits KAMA SUTRA n’est d’aucune utilité pour établir l’emploi antérieur par Kamsut parce qu’ils sont représentatifs des produits KAMA SUTRA actuellement vendus au Canada. Pour le même motif, la pièce J ne peut pas établir l’emploi antérieur parce que la première facture qui y figure est datée du 23 octobre 2002.

 

[43]           L’affidavit de M. Gibbs ne suffit pas pour combler les lacunes qui figurent dans l’affidavit de M. Bolstad. M. Gibbs nous dit que lorsqu’il a commencé à travailler pour Telford en 1990, Telford était le distributeur des produits de Kamsut Inc., mais il ne nous dit pas quelle sorte de distributeur Telford était : il ne dit pas que Telford achetait pour la revente des produits de Kamsut, Inc.; il n’a joint à son affidavit aucun bon de commande de Telford à Kamsut, ni aucune facture de Kamsut à Telford, ni aucune facture de Telford à ses clients qui nous sont inconnus. Il ne fournit aucune preuve quant au moment où la propriété ou la possession a été transférée de Kamsut à Telford, ni quant à la manière selon laquelle elle a été transférée.

 

2) La marque de commerce de Kamsut a‑t‑elle été révélée au Canada?

[44]           Dans sa plaidoirie, l’avocat de Kamsut a reconnu que la preuve n’était pas suffisante pour établir que la marque de Kamsut était bien connue au Canada au moment du premier emploi par Jaymei en 1994. Il n’est pas nécessaire d’examiner ce point davantage. Toutefois, comme on le verra, Kamsut prétend que sa marque de commerce est bien connue en 2008.

 

Confusion

[45]           Il est prudent de traiter de la question de la confusion au cas où je me serais trompé dans ma conclusion selon laquelle Kamsut n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour établir l’emploi antérieur de ses produits à saveur de chocolat avant 1994 ou février 2002.

 

[46]           L’arrêt Mattel mentionne des lignes directrices quant à l’analyse exigée en matière de probabilité de confusion, compte tenu des facteurs énumérés à l’article 6 de la Loi. L’arrêt Mattel portait sur la marque de commerce BARBIE en liaison avec des poupées et des accessoires de poupées et la marque de commerce BARBIE enregistrée au Canada par la société à numéro intimée qui exploitait une petite chaîne de restaurant BARBIE’S dans la région de Montréal.

 

[47]           Le premier facteur prescrit est le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont connues. Le juge Binnie, au paragraphe 75, a déclaré ce qui suit : « Le caractère distinctif d’une marque de commerce [TRADUCTION] « est essentiel et constitue une exigence fondamentale ». Les mots KAMA SUTRA figurent dans le New Shorter Oxford dictionary. Ce sont des mots sanskrits, une ancienne langue indo‑aryenne du sous‑continent indien. Le mot « Kama » signifie « amour, désir ». Le Shorter Oxford mentionne que « Kama Sutra » est le titre d’anciens traités sanskrits portant sur l’art de l’amour et des techniques sexuelles. Il s’agit d’un guide sexuel. Le mot « Sutra » figure également dans ce dictionnaire et signifie en littérature sanskrite « une règle, un ensemble de règles ».

 

[48]           Le caractère distinctif inhérent doit être distingué du caractère distinctif acquis grâce, par exemple, à la publicité ou à l’emploi. Selon moi, la marque de commerce KAMA SUTRA n’a pas un caractère distinctif inhérent. Il ne s’agit pas d’un mot inventé. Bien qu’il provienne d’une ancienne langue, il figure dans le Shorter Oxford dictionary; en anglais, c’est un mot qui est associé aux histoires sentimentales, au plaisir et au sexe; en ce sens, on peut dire qu’il est descriptif.

 

[49]           La preuve au dossier ne me permet pas de conclure que KAMA SUTRA est une marque de commerce connue au Canada en liaison avec les produits de chocolaterie de Kamsut. Les signes traditionnels servant à découvrir si une marque est connue pour être liée ou associée avec des marchandises sont les suivants : les ventes, la publicité et l’emploi. La preuve soumise par Kamsut est insuffisante parce que ses ventes au Canada ont trait à l’ensemble de ses produits et non pas seulement à ses produits de chocolaterie et, plus particulièrement à son « Oil of Love - Chocolate mint » (Huile d’Amour au chocolat et menthe). La publicité qui figure dans les nombreux magazines est principalement distribuée aux États‑Unis et peut‑être, on ne le sait pas de façon précise, un peu au Canada, notamment dans le magazine de langue française « Corps et Âme ». En ce qui concerne l’emploi, il semble que « Oil of Love – Chocolate mint » (Huile d’Amour au chocolat et menthe) était disponible pour la vente au Canada en 1988, mais il n’existe aucune preuve quant aux quantités vendues à partir de cette époque. Il ressort de la preuve que les autres produits de chocolaterie de Kamsut n’ont pas été commercialisés avant 1994.

 

Le type de marchandises et la nature du commerce

[50]           Je ne souscris pas à la prétention de l’avocat de Kamsut selon laquelle les produits de chocolaterie de cette dernière, en particulier son huile de massage à saveur de chocolat et sa peinture corporelle au chocolat sont des produits comestibles au même titre que les chocolats de Jaymei. Les produits de chocolaterie de Kamsut sont des huiles ou des peintures qui contiennent une essence de chocolat et qui ne sont pas destinées à être mangées. Manifestement, les huiles et les peintures à saveur de chocolat de Kamsut ne sont pas des chocolats. Les huiles de massage, les peintures corporelles à saveur de chocolat et les crèmes de massage Body Soufflé de Kamsut sont des stimulants sexuels. Cela est évident lorsque l’on examine les pièces G et H jointes à l’affidavit de M. Bolstad. Il ne ressort pas de la preuve que les chocolats de Jaymei sont des stimulants sexuels, sauf peut‑être de façon indirecte dans un cas (voir le dossier de la défenderesse, à la page 95).

 

[51]           Kamsut prétend que ses produits de chocolaterie sont distribués dans la même voie commerciale que celle utilisée par Jaymei. Mise à part cette vague déclaration, Kamsut n’offre aucune preuve que les voies commerciales sont les mêmes. Il ressort de la preuve que les chocolats de Jaymei sont vendus directement à des sociétés et à des personnes et non pas, comme c’est le cas de Kamsut, à des distributeurs ou à des détaillants pour la revente à des consommateurs. Kamsut n’a produit aucune preuve directe importante selon laquelle le produit de Jaymei était commercialisé pour la revente aux consommateurs. Mis à part Shopper’s Drug Mart, on ne sait pas exactement à qui les distributeurs de Kamsut vendent ses produits. La preuve révèle que Kamut vend à des boutiques érotiques au Canada (voir la couverture arrière du magazine Corps et Âme).

 

[52]           Le marché de Jaymei est un marché régional alors que le marché de Kamsut est étendu dans tout le Canada et les États‑Unis. Kamsut n’a produit aucune preuve qu’elle vend directement à des consommateurs.

 

[53]           Selon moi, il n’y a aucune probabilité de confusion entre les produits à saveur de chocolat de Kamsut et les chocolats de Jaymei. Kamsut n’a produit aucune preuve de confusion réelle alors qu’on s’attendrait à ce que l’on puisse trouver cette preuve dans le marché de Vancouver où les activités de Jaymei sont principalement concentrées. Je tire une conclusion défavorable de cette absence de preuve.

 

Le degré de ressemblance

[54]           KAMA SUTRA est une composante figurant dans les deux marques. Kamsut a raison de prétendre que ces mots identiques tendent à indiquer un degré de ressemblance important sur le plan du son, de la présentation et des idées qu’ils suggèrent.

 

L’absence de caractère distinctif

[55]           La question soulevée par Kamsut quant à ce motif de radiation est si, le 18 août 2008, lorsqu’elle a introduit son action en radiation, la marque KAMA SUTRA de Jaymei distinguait véritablement ses chocolats ou ses truffes au chocolat des produits à saveur de chocolat de Kamsut ou si elle est adaptée à les distinguer.

 

[56]           Pour l’avocat de Kamsut la question consiste à savoir si, en date du début de la procédure en radiation (le 18 août 2009), la marque KAMA SUTRA ne permettait pas vraiment de distinguer les marchandises de Jaymei des marchandises de Kamsut.

 

[57]           Il prétend que le caractère distinctif est une question de fait et que, pour avoir un caractère distinctif, Jaymei doit démontrer qu’un message clair a été envoyé aux consommateurs, à savoir que ses chocolats auxquels sa marque de commerce est associée et employée sont les chocolats produits par Jaymei.

 

[58]           Kamsut prétend que Jaymei n’a produit aucune preuve démontrant que son message aux consommateurs est qu’elle est la source du chocolat portant sa marque, alors que Kamsut a indiqué clairement au public que ses marchandises provenaient d’elle et non pas d’une autre partie, y compris Jaymei.

 

[59]           Kamsut prétend que, en date du 19 août 2008, sa marque KAMA SUTRA était connue au Canada et qu’elle avait acquis un caractère distinctif. Kamsut renvoie à sa publicité et à sa promotion au Canada et souligne que ses produits de chocolaterie KAMA SUTRA sont affichés sur son site Web depuis au moins 1997. Elle souligne le niveau de ses ventes au détail et sa présence sur Internet.

 

[60]           Kamsut prétend de plus que la preuve de Jaymei ne démontre pas que sa marque KAMA SUTRA a acquis un caractère distinctif. Elle souligne que Jaymei n’a soumis aucun chiffre d’affaires, soi exprimé en volume soit exprimé en argent. Kamsut reconnaît toutefois que les ventes de Jaymei sont principalement effectuées dans la région de Vancouver.

 

[61]           Enfin, Kamsut prétend que la marque KAMA SUTRA de Jaymei ne possède aucun caractère distinctif, compte tenu de l’emploi antérieur important par Kamsut de la marque KAMA SUTRA, laquelle marque est associée aux marchandises de Kamsut.

 

[62]           Si je comprends bien les observations orales et écrites de Kamsut, le nœud de sa preuve quant à l’absence de caractère distinctif des produits de Jaymei n’est pas fondé sur un emploi constituant une contrefaçon de sa marque de commerce KAMA SUTRA, il est plutôt fondé sur l’absence de preuve de la part de Jaymei que ses produits ont un caractère distinctif et sur l’emploi important et valide par elle (Kamsut) de sa marque, en liaison, notamment, avec ses produits de chocolaterie.

 

[63]           Par contre, Jaymei, en citant la décision Auld, a prétendu que Kamsut s’est livrée à de la contrefaçon isolée.

 

[64]           Dans les circonstances de l’espèce, je n’ai pas à traiter de la question de l’emploi constituant une contrefaçon à titre de moyen d’établir le caractère distinctif. La preuve dont je suis saisi établit que le marché de Jaymei pour ses chocolats est un marché régional, c’est‑à‑dire le marché de la région de Vancouver. Le commerce de Jaymei est un commerce de nature régional comme, par exemple, un restaurant, une boulangerie ou une pâtisserie dont la clientèle est principalement composée de personnes vivant dans une région.

 

[65]           Il est bien établi en droit des marques de commerce que, afin d’avoir un caractère distinctif, il n’est pas nécessaire que la marque distingue les marchandises dans l’ensemble du Canada. La marque conservera son caractère distinctif tant et aussi longtemps que les personnes qui demeurent dans une région donnée du Canada reconnaissent la marque comme étant associée au propriétaire des marchandises. De plus, il n’est pas nécessaire que le propriétaire de la marque de commerce démontre qu’il est le seul utilisateur de la marque pour démontrer le caractère distinctif (voir ITV Technologies, Inc. c. WIC Television Ltd., [2003] A.C.F. no 1335, 29 C.P.R. (4th) 182, aux paragraphes 98 et 99 et Alibi Roadhouse Inc. c. Grandma Lee’s International Holdings Ltd., [1997] A.C.F. no 1329) à l’appui de la thèse selon laquelle un enregistrement de marque de commerce peut être maintenu si la marque de commerce a un caractère distinctif. De plus, Bojangles’ International, LLC c. Bojangles Café Ltd., 2006 CF 657 consacre le principe selon lequel une autre marque doit être très connue au Canada pour que le caractère distinctif d’une marque de commerce soit nié.

 

[66]           En appliquant ces principes à l’espèce, je conclus que la marque KAMA SUTRA de Jaymei a acquis un caractère distinctif régional quant au chocolat grâce à l’emploi et, surtout, grâce au type de commerce auquel Jaymei s’adonne dans la région de Vancouver. Jaymei vend ses chocolats directement à ses clients. Le caractère distinctif est l’association qui est faite entre la marque de commerce et son propriétaire à titre de source du produit. Le service individualisé comme la vente directe aux clients est un indice important que les chocolats KAMA SUTRA qui sont vendus sont associés à Jaymei, le fabricant du produit. De plus, l’affidavit de M. Leonard fait mention du caractère distinctif grâce au bouche à oreille et grâce à la réputation. La preuve du bouche à oreille est un facteur pertinent (voir Bojangles, au paragraphe 29).

 

[67]           Par contre, la preuve produite par Kamsut en vue de nier le caractère distinctif régional de Jaymei est vague. La preuve de Kamsut quant à l’absence de caractère distinctif grâce à l’emploi ou grâce à la réputation échoue pour les motifs déjà mentionnés dans les présents motifs. Sa publicité figure surtout dans des magazines américains qui sont peu distribués au Canada. Le chiffre d’affaires de Kamsut s’applique à l’ensemble de ses produits. Kamsut a tenté de séparer ses ventes, effectuées entre le 11 novembre 2002 et le 29 mai 2008, de produits de chocolaterie qui s’élèvent à de faibles montants en ce qui concerne ses huiles de massage. En ce qui concerne les peintures corporelles, le chiffre est beaucoup plus élevé, mais les achats de Shopper’s Drug Mart effectués après le 19 août 2008 ne doivent pas être pris en compte. Quoi qu’il en soit, aucun chiffre d’affaires n’est fourni par Kamsut quant aux ventes de ses produits de chocolaterie dans la région de Vancouver. J’insiste à nouveau sur ma conclusion selon laquelle il est mal approprié de la part de Kamsut de désigner comme étant des produits de chocolaterie ses huiles et ses peintures corporelles à saveur de chocolat parce que ce ne sont pas des produits comestibles. Les marchandises ne sont pas semblables. Le facteur des marchandises semblables est pertinent dans le cadre de l’évaluation de la négation du caractère distinctif en fonction de l’emploi concurrentiel. En résumé, pour les motifs susmentionnés, je ne suis pas convaincu que Kamsut se soit acquittée de son fardeau d’établir l’absence de caractère distinctif de la marque Jaymei associant Jaymei comme étant la source du produit.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande présentée par Kamsut en vue de faire radier du registre des marques l’enregistrement LMC 587,731 de la défenderesse est rejetée avec dépens, lesquels sont fixés à l’échelon supérieur des unités figurant à la colonne IV du tarif prévu dans les Règles des Cours fédérales.

 

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1299-08

 

INTITULÉ :                                       KAMSUT, INC.

                                                            c. JAYMEI ENTERPRISES INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (C.‑B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 février 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :                             Le 10 juin 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Bruce M. Green

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

Tim Goepel

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Oyen Wiggs Green & Mutala LLP

Vancouver (C.‑B.)

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

Lindsay Kenney LLP

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

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