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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court


Date : 20090610

Dossier : T-1539-07

Référence : 2009 CF 626

Ottawa (Ontario), le 10 juin 2009

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

CYRIL EUGENE MCLEAN

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision dans laquelle le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le TACRA) a statué que le demandeur, un agent de la GRC à la retraite, n’avait pas droit à une pension prévue à l’article 32 de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-11.

 

 

 

II.         CONTEXTE

[2]               Le demandeur, un ancien membre de la GRC, à servi dans la gendarmerie du 14 avril 1970 au 8 juillet 1998, moment où il a pris sa retraite avec le grade d’inspecteur.

 

[3]               Le demandeur a servi dans plusieurs petites villes de la Saskatchewan pendant la majeure partie des années 1970, puis au quartier général de la GRC à Ottawa, et a eu ensuite de nombreuses affectations à l’étranger jusqu'à sa retraite. Il y a des éléments de preuve attestant que le demandeur a souffert de douleurs aux genoux depuis sa formation au début de sa carrière, mais que, lorsqu’il a été admis au sein de la GRC, il était en bonne santé et il n’y a pas d’allégations sérieuses voulant que ces blessures aux genoux fassent partie intégrante de l’appel concernant sa pension.

 

[4]               Au milieu des années 1970, alors qu’il était en devoir, le demandeur a été victime d’un grave accident d’automobile au cours duquel ses genoux ont été gravement endommagés. De plus, lors de sa première décennie de service à la GRC, il se trouvait dans des situations exigeantes sur le plan physique, dans des postes isolés où il n’y avait qu’un très faible nombre de collègues prêts à intervenir. 

 

[5]               Selon un rapport médical daté du 10 août 1976, le demandeur a été victime d’un « claquage » au genou, ainsi que de douleurs lorsqu’il s’est penché pour ramasser quelques déchets en quittant le poste pour se diriger vers chez lui. Le demandeur a signé une déclaration le 24 août 1976 attestant que son genou avait bien guéri.

 

[6]               M. McLean a demandé pour la première fois une pension d’invalidité en mai 2005; il a alors affirmé que ses deux genoux étaient endommagés, en plus d’un certain nombre d’autres blessures ou handicaps, affirmations qu’il a d’ailleurs en grande partie retirées. La revendication du demandeur était appuyée par des lettres de plusieurs collègues de la GRC qui faisaient état de la nature du travail, de l’accident d’automobile et du fait que le demandeur s’était plaint de problèmes aux genoux au cours de ses années de service.

 

[7]               La décision du ministre rendue le 26 janvier 2006 refusait au demandeur le droit à une pension d’invalidité parce que les plaintes persistantes au sujet du genou gauche et le lien de la blessure subie en 1976 avec le service n’étaient pas étayés par la preuve, et que le diagnostic fourni était un diagnostic provisoire. La raison pour laquelle l’avis médical était qualifié de provisoire ne ressort pas clairement du dossier.

 

[8]               Le demandeur a eu une audience de révision de la décision du ministre devant un comité du TACRA le 14 juillet 2006. À ce moment-là, le comité avait devant lui un élément de preuve émanant de l’actuel médecin du demandeur indiquant que les blessures qui affligeaient le demandeur sont compatibles avec les blessures chroniques dont souffrent le personnel policier (lettre du 22 février 2006, dossier certifié de la Cour, page 63). Une lettre du médecin du 12 juin 2006 détaillait davantage la preuve, en confirmant le caractère légitime de la prétention de M. McLean et en renvoyant à la preuve de confirmation des blessures à l’aide d’une IRM. Le comité a rejeté la demande de pension, au motif qu’il n’y avait pas d’élément de preuve à l’appui de la prétention que les plaintes étaient attribuables aux années de service dans la GRC.

 

[9]               La décision du comité a été examinée par le tribunal d’appel, qui a rendu la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire. Le tribunal d’appel a rejeté la demande d’examen, en mentionnant qu’il n’y avait pas de rapport portant sur les blessures qui appuyait la thèse que le demandeur avait subi une grave blessure au genou gauche en raison d’activités liées à son service. Le tribunal d’appel a aussi fait mention du diagnostic datant de 1977 de chondromalacie rotulienne chez le demandeur, et dit qu’il s’était infligé une blessure en 1976 en retournant chez lui à pied après le travail.

 

[10]           Le tribunal d’appel a ensuite noté que les plaintes n’avaient pas un caractère continu à compter de la fin des années 1970 jusqu'à 2005, qu’il n’y avait pas de témoin oculaire de l’accident d’automobile et que la preuve de l’allégation voulant que la blessure se soit produite lors d’activités liées au service était somme toute insuffisante. De plus, le tribunal d’appel a déclaré que les radiographies n’appuient pas la conclusion qu’il existe un traumatisme

 

[11]           Finalement, le tribunal d’appel a noté ce qui suit :

[traduction]

Le Dr Hansen ne traite pas des constatations minimes tirées de la radiographie tenue longtemps après son départ à la retraite. Il déclare que le rejet du droit à une pension de la part du tribunal de révision est « erroné et injustifié », mais il reste muet au sujet du manque de continuité des plaintes, du lien avec le service, et de l’effet du processus naturel de vieillissement associé à l’arthrose.  

 

[12]           Le demandeur dresse une liste de ce qu’il allègue être des failles dans la décision du tribunal d’appel; la question soulevée est essentiellement la suivante :

 

[traduction]

La décision portant inadmissibilité du demandeur aux prestations d’invalidité rendue par le tribunal d’appel sur le fondement de ses blessures aux genoux était-elle raisonnable?

 

III.       ANALYSE

[13]           Dans l’arrêt Wannamaker c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 126, la Cour d’appel a jugé que la question de savoir si une blessure précise est attribuable au service doit être examinée selon la norme de la raisonnabilité. Un bon nombre d’autres questions devaient être jugées selon la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[14]           Même si l’arrêt Wannamaker précède Dunsmuir (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9), la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle la norme de la raisonnabilité doit être appliquée dans les cas de blessures attribuables au service (que l’on peut décrire, plus précisément, comme les blessures attribuables au service dans la GRC) est toujours valable. La Cour a utilisé cette norme de contrôle dans la décision Macdonald c. Canada (Procureur général), 2008 CF 796.

 

[15]           Le demandeur prétend que le tribunal d’appel a commis une erreur lorsqu’il a conclu qu’il y avait un manque de preuve documentaire, surtout étant donné qu’il n’y avait pas de conclusion négative en matière de crédibilité et d’exigence que les plaintes soient continues. Il prétend aussi que la preuve de l’accident d’automobile ne devrait pas être rejetée pour absence de témoins oculaires et que du poids aurait dû être attribué à l’avis médical du Dr Hansen.

 

[16]           Le défendeur accorde une grande importance à l’arrêt Wannamaker. Toutefois, cet arrêt soutient la décision de refuser les prestations vu que la seule preuve de blessure provenait de Wannamaker lui-même et que le TACRA n’avait pas conclu que sa preuve était fiable. Il n’y a pas de telle conclusion négative en matière de crédibilité en l’espèce.  

 

[17]           La conclusion du tribunal d’appel sur le caractère non continu des plaintes entre la fin des années 1970 et 2005 est problématique. Cette conclusion a joué un rôle crucial dans la décision du tribunal d’appel, puisque celui-ci y faisait aussi référence dans ses commentaires sur l’avis du Dr Hansen, commentaires où le tribunal laissait entendre qu’il s’agissait d’une lacune sur lequel l’avis médical restait muet.

 

[18]           Le défendeur a reconnu que la décision du tribunal d’appel de se fonder sur le caractère non continu des plaintes posait problème, et l’a décrit comme une conclusion « possiblement imparfaite ». Le défendeur a ensuite vaillamment tenté de reformuler la conclusion comme portant sur le lien entre le service et la blessure.

 

[19]           Dans la mesure où l’absence de continuité des plaintes peut être pertinente, cette absence est plutôt logiquement liée à la question de savoir si la blessure a eu lieu, et non à celle de savoir si la blessure était liée au service.

 

[20]           Le tribunal a fait fi du type de travail exercé par le demandeur : celui-ci devait lutter contre des assaillants, mettre fin à des batailles de bar, sans compter le travail quotidien « sur le terrain » d’un agent de police travaillant souvent seul, dans un endroit éloigné.

 

[21]           Le tribunal a aussi fait abstraction de la preuve du demandeur portant sur sa blessure à un genou à la suite son accident d’automobile. La justification du tribunal sur ce point était que la preuve présentée par ses collègues de la GRC ne pouvait avoir une importance que si ceux-ci avaient été des témoins oculaires de l’accident. Le tribunal n’a pas tenu compte des conditions du travail de policier dans la Saskatchewan rurale des années 1970, où les agents travaillaient souvent seuls.

 

[22]           La conclusion du tribunal à ce sujet contrevient à l’alinéa 39c) de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) :

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

 

[…]

 

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

 

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

 

 

 

 

 (c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

[23]           Dans la mesure où le tribunal soupesait, d’une part, l’absence d’un rapport officiel sur la blessure et, d’autre part, la présence de lettres faisant état de l’accident, de la blessure au genou et de la culture de la GRC incitant les agents travaillant à un petit poste à ne pas s’absenter du travail, le tribunal n’a ni appliqué l’alinéa 39b) de la Loi ni pris en considération l’application de cet alinéa, qui se lit ainsi :

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

 

[…]

 

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

 

 

 

 

 (b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances;

 

[24]           Le tribunal d’appel n’a tiré aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité, mais il a rejeté des éléments de preuve cruciaux comme si cela avait été le cas. Par conséquent, ses conclusions au sujet de la preuve étaient déraisonnables.

 

[25]           Le défendeur n’a pas obtenu, et n’avait pas l’obligation d’obtenir, un avis médical indépendant. Cependant, contrairement à Wannamaker, il existait en 1977 un élément de preuve médical relativement contemporain de l’événement qui faisait état d’une blessure à un genou (chondromalacie) et où on concluait de façon provisoire que le ménisque du demandeur pouvait ne pas être déchiré. Il n’y avait pas de conclusion définitive quant à savoir si le ménisque était effectivement déchiré.

 

[26]           Que le tribunal émette ensuite des doutes sur le recours du Dr. Hansen à l’IRM de 2005 plutôt qu’aux constatations minimes tirées de la radiographie de 1977, et qu’il conclût que la chondromalacie, qu’un expert attribue au service dans la GRC, n’ouvre pas droit à une pension parce qu’elle s’aggrave avec l’âge est tout aussi déraisonnable que les autres conclusions auxquelles j’ai précédemment fait référence.

 

IV.       CONCLUSION

[27]           Par conséquent, la décision du tribunal est révisable et doit être annulée. Cependant, la Cour ne rendra pas sa propre décision. L’affaire sera renvoyée à un nouveau comité pour évaluation et décision sur le droit à une pension totale ou partielle. Le demandeur aura droit aux dépens.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la décision du tribunal d’appel est annulée. L’affaire est renvoyée à un nouveau comité pour évaluation et décision sur le droit à une pension totale ou partielle. Le demandeur a droit à ses dépens.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A.Trad.


 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1539-07

 

INTITULÉ :                                       CYRIL EUGENE MCLEAN c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 10 juin 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael A. Kirk

 

POUR LE DEMANDEUR

Christine Ashcroft

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Witten LLP

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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