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Federal Court

 

Cour fédérale


 

Date : 20090521

 

Dossier : T-1376-08

Référence : 2009 CF 528

Ottawa (Ontario), le 21 mai 2009

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

C.B. POWELL LTD.

demanderesse

et

 

 

 

LE PRÉSIDENT DE L’AGENCE

DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Un refus de rendre une décision est‑il une décision? C’est la question de l’accès à la justice qui est soulevée dans le présent contrôle judiciaire et cette question soulève également la question de la compétence de la Cour fédérale.

 

[2]               Bien que C.B. Powell ne le sût pas à l’époque, la déclaration de douane qu’elle a produite à l’égard de miettes de bacon importées des États‑Unis en 2005 étaient insatisfaisantes à deux égards. Elle faisait mention du classement tarifaire générale et du traitement tarifaire de la nation la plus favorisée. Si la déclaration avait été bien remplie, aucun droit de douanes ne serait payable. Toutefois, une vérification ultérieure effectuée par l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a révélé que les miettes de bacon n’étaient pas comprises dans ce classement. Elles ont été importées dans des bocaux en verre auxquels s’appliquait un classement tarifaire particulier et qui comportait un droit de nation la plus favorisée de 12,5 p. 100. C.B. Powell a reconnu son erreur, mais a également prétendu qu’elle possédait un « certificat d’origine » qui lui aurait permis d’importer les miettes de bacon en vertu du tarif des États‑Unis (ALENA). Si elle avait été au courant de son erreur de classement tarifaire, C.B. Powell aurait produit le certificat d’origine. Dans ce cas, il n’y aurait pas eu non plus de droit à payer.

 

[3]               L’ASFC a prétendu qu’elle n’a que révisé le classement tarifaire et non pas l’origine (parfois appelé traitement tarifaire). C.B. Powell a payé le droit sous toutes réserves et a interjeté appel auprès du président de l’ASFC conformément à l’article 60 de la Loi sur les douanes (la Loi). Elle a reçu ce qu’on appelle un « avis de rejet B‑2 » dans lequel il était mentionné ce qui suit : [traduction] « Votre demande est rejetée car il n’y a eu aucune révision antérieure de l’origine en vertu de l’article 59 de la Loi sur les douanes. Par conséquent, aucun appel ne peut être interjeté en vertu de l’article 60 ».

 

[4]               C.B. Powell demande à la Cour de déclarer que l’avis de rejet était une décision du président de l’ASFC qui peut faire l’objet d’un appel au Tribunal canadien du commerce extérieur (le TCCE) ou, à titre subsidiaire, de lui ordonner de rendre une telle décision.

 

[5]               La compétence de la Cour fédérale pour entendre la présente demande est primordiale, mais, pour mieux comprendre cette question, il faut d’abord exposer les faits de façon plus détaillée au regard de l’économie de la Loi sur les douanes.

 

LES FAITS

[6]               C.B. Powell est un importateur de longue date. Elle importe surtout des denrées alimentaires. Elle emploie un courtier en douane qui produit des déclarations en son nom. En 2005, elle a fait un très grand nombre d’importations.

 

[7]               De manière générale, un importateur de marchandises doit déclarer et payer les droits et la taxe de vente générale qui sont dus. Les formulaires qu’il produit mentionnent ce qui est importé, sa valeur, son traitement tarifaire, c’est‑à-dire l’origine et le classement tarifaire applicable.

 

[8]               En 2008, l’ASFC a décidé d’effectuer une vérification du respect des formalités douanières quant aux importations de C.B. Powell pour l’année 2005. En vertu de la Loi, elle disposait d’un délai de quatre ans pour ce faire. Il convient de mentionner que rien au dossier n’indique que les activités de C.B Powell sont louches et ce n’est pas ce que les défendeurs insinuent. En effet, C.B. Powell a fait l’objet d’un très bon rapport. C’est une tâche ardue que de choisir le classement approprié comme l’illustre la décision rendue par la Cour fédérale dans Canada (Agence des douanes et du revenu du Canada) c. Produits Laitiers Advidia Inc., 2006 CAF 41, 346 N.R. 309, ainsi que l’arrêt plus récent rendu par la Cour suprême dans United Parcel Service du Canada Ltée c. Canada, 2009 CSC 20. La vérification visait, notamment, à évaluer le degré de conformité avec la Loi sur les douanes, le Tarif des douanes et avec les autres lois afin d’aider le client et de le conseiller quant à la déclaration des marchandises appropriée, de permettre un ajustement automatique, si nécessaire, et de relever les domaines qui peuvent poser des difficultés. L’examen a couvert un certain nombre de domaines liés aux activités douanières, notamment le classement tarifaire et le traitement tarifaire. Vingt‑cinq importations ont été sélectionnées au hasard pour analyse.

 

[9]               En ce qui concerne le classement tarifaire, les miettes de bacon ont été consignées sous le numéro de classement tarifaire 16.02.49.90.00. Il a été confirmé que le produit satisfaisait aux exigences de la position 16.02. Toutefois, au niveau tarifaire individuel, une distinction est établie entre préparations et conserves de viande de l’espèce porcine qui sont mis en conserves ou en pots de verre plutôt que dans d’autres types de contenant. Il a été décidé qu’il convenait davantage de classer l’échantillon sous le numéro de classement tarifaire 16.02.49.10.19.

 

[10]           En ce qui concerne le traitement tarifaire ou le pays d’origine, 11 échantillons ont été importés en vertu du tarif des États‑Unis (ALENA) les 14 autres échantillons ont été traités en vertu du tarif de la nation la plus favorisée. Ces deux tarifs sont considérés comme étant des tarifs préférentiels car il est mentionné dans le rapport qu’[traduction] « aucun autre traitement tarifaire préférentiel n’a été utilisé ». Il est également mentionné dans le rapport que l’importateur doit détenir une justification de l’origine et doit la présenter sur demande pour toutes les marchandises importées en vertu d’un traitement tarifaire préférentiel.

 

[11]           Parmi les 25 échantillons, il y a en a un qui a été jugé comme ayant été importé en vertu d’un traitement tarifaire erroné. Des t‑shirts ont été fabriqués avec du coton cultivé et traité aux États‑Unis et ont été importés en vertu du tarif américain. Toutefois, comme ils avaient été confectionnés au Mexique, le nom du pays d’origine qui a été inscrit était erroné car les marchandises auraient dû être consignées en vertu du tarif mexicain. Cela n’a entraîné aucune modification du droit.

 

[12]           C.B. Powell a déclaré que le traitement tarifaire de la nation la plus favorisée s’appliquait aux miettes de bacon. Cette affirmation n’est pas erronée car les États‑Unis sont une nation plus favorisée. Toutefois, en présumant qu’elle détenait le certificat d’origine approprié, l’importation en vertu du tarif américain aurait été plus précise et, en fin de compte, plus avantageuse pour l’importateur, c’est‑à‑dire aucun droit payable par opposition à un droit payable de 12,5 p. 100.

 

[13]           Une ébauche du rapport de vérification a été envoyée à C.B. Powell pour commentaires avant qu’il soit officiellement publié. La société a reconnu l’erreur de classement tarifaire, mais elle a ajouté ce qui suit : [traduction] « Lorsque le produit a été importé, un certificat de libre‑échange était disponible et à portée de main, comme l’atteste votre vérification ». La société a invoqué des difficultés car les marchandises avaient déjà été vendues sans qu’aucune marge bénéficiaire ne soit incluse afin de couvrir le coût du droit et car les modifications de non-revenu du traitement tarifaire relatif aux certificats ALENA sont limitées à un an.

 

[14]           L’Agence a répondu qu’un traitement tarifaire préférentiel ALENA n’avait pas été demandé au moment de la déclaration des marchandises. En effet, le relevé détaillé de réajustement (le RDR) joint prétend être une décision en vertu du paragraphe 59(1) de la Loi sur les douanes. Il mentionne plus précisément ce qui suit : [traduction] « Cette décision représente une révision du classement tarifaire uniquement. Le traitement tarifaire n’a pas été révisé et n’est pas révisé dans le présent relevé détaillé de réajustement ». [Non souligné dans l’original.]

 

[15]           C.B. Powell, par l’entremise de son courtier, a demandé ce qu’elle a appelé une [traduction] « nouvelle révision » en vertu du paragraphe 60(1) de la Loi sur les douanes au motif que les marchandises sont amissibles au traitement d’origine de l’ALENA. L’article 60 prévoit que l’on peut interjeter appel au président d’une décision d’un agent de l’ASFC. L’avis d’appel concluait ce qui suit : [traduction]« Le contribuable demande qu’une décision soit rendue le plus tôt possible par le président en vertu de l’article 60 de telle sorte que, si cela est nécessaire, le contribuable peut interjeter appel au TCCE de la décision rendue en vertu de l’article 60 par le président ».

 

[16]           Comme je l’ai déjà mentionné, la demande de C.B. Powell, présentée par l’entremise de son courtier, a été rejetée. Dans un document intitulé « avis de rejet B-2 », le président a fait valoir que, puisqu’il n’y a eu aucune révision antérieure de traitement tarifaire par un agent de l’ASFC en vertu de l’article 59 de la Loi sur les douanes, il n’avait pas compétence pour procéder à un réexamen. Par conséquent, un appel relatif à l’origine ne pouvait pas être interjeté en vertu de l’article 60.

 

[17]           Plutôt que d’interjeter appel du rejet susmentionné au TCCE, C.B. Powell demande à la Cour le contrôle judiciaire de cette décision.

 

LA LOI SUR LES DOUANES

[18]           La présente demande porte sur deux aspects particuliers de la Loi. Mis à part une révision entreprise par l’ASFC, l’importateur peut volontairement effectuer des corrections lorsqu’il a des raisons de croire qu’il a commis une erreur. Le rapport de vérification mentionne expressément qu’il constitue les « motifs de croire » de C.B. Powell dont parle l’article 32.2 de la Loi. Toutefois, des délais sont prescrits. Au vu des faits de l’espèce, l’ASFC disposait d’un délai de quatre ans pour effectuer une révision alors que C.B. Powell disposait d’un délai plus court pour corriger ses erreurs. Si la vérification avait été effectuée plus tôt, aucun droit n’aurait été payable.

 

[19]           Le deuxième aspect de la Loi sur les douanes qui nous occupe est le mécanisme de recours offert au contribuable. La Loi ne prévoit pas officiellement le contrôle judiciaire par la Cour fédérale. Elle prévoit plutôt que la révision effectuée par un agent de l’ASFC peut faire l’objet d’un réexamen par le président. Ce réexamen peut faire l’objet d’un appel au TCCE, la décision du TCCE peut faire l’objet d’un appel à la Cour d’appel fédérale sur une question de droit et la décision de la Cour d’appel fédérale, sur autorisation, peut faire l’objet d’un appel à la Cour suprême. De plus, quoiqu’il en soit, le TCCE est l’un des tribunaux fédéraux sur lequel la Cour d’appel fédérale, plutôt que la Cour fédérale, possède un pouvoir de contrôle judiciaire (Loi sur les Cours fédérales, articles 18, 18.1 et 28).

 

[20]           Le paragraphe 58(2) de la Loi sur les douanes est une disposition applicable par défaut. Sauf s’ils ont été déterminés par un agent, ou corrigés par l’importateur, l’origine, le classement tarifaire et la valeur en douane des marchandises importées sont considérés comme ayant été déterminés comme l’importateur l’a déclaré au départ.

 

[21]           L’article 32.2 traite des corrections par l’importateur. Si le traitement tarifaire préférentiel découlant d’un accord de libre‑échange est demandé, l’importateur, qui a des « motifs de croire » que la déclaration est inexacte, doit, dans les 90 jours suivant sa constatation, effectuer une correction. Lorsque les marchandises ont été importées, C.B. Powell n’a pas demandé le traitement américain (ALENA). Autrement, une déclaration d’origine inexacte, indépendamment des accords de libre‑échange, peut être corrigée dans un délai de quatre ans. Les marchandises ont été déclarées comme provenant des États‑Unis et le traitement tarifaire de la nation la plus favorisée a été demandé. Il ne s’agissait pas d’une erreur. Cela nous amène à l’article 73 et suivants qui traitent des abattements et remboursements. L’alinéa 74(1)c.1) permet à une partie de demander un remboursement si les marchandises ont été importées d’un pays ALENA mais n’ont pas fait l’objet d’une demande visant l’obtention du traitement tarifaire préférentiel de l’ALENA au moment de leur déclaration en détail. Le sous‑alinéa 74(3)b)(ii) exige que la demande soit présentée dans un délai d’un an après l’importation.

 

[22]           Comme il a déjà été mentionné, le mécanisme de recours prévu dans la Loi sur les douanes, lequel est constitué d’une série de révisions et d’appels, est un mécanisme dans lequel la Cour fédérale ne joue aucun rôle. Le processus a récemment été examiné, dans un autre contexte factuel, par la juge Sharlow, dans la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Sa Majesté la Reine c. Fritz Marketing Inc., 2009 CAF 62.

 

[23]           Les défendeurs traitent l’avis de rejet B-2 comme étant une « non‑décision ». Le président a estimé que la révision n’avait porté que sur le classement tarifaire et non pas sur le traitement tarifaire. Comme l’ASFC n’a pas contesté la détermination initiale faite par C.B. Powell quant au traitement tarifaire, le président ne pouvait pas interjeter appel en vertu de l’article 60 de la Loi. On ne peut pas demander une révision ou un réexamen de l’origine, si aucune détermination n’a d’abord été faite par l’ASFC. La détermination était la détermination faite par C.B. Powell elle‑même dans ses formulaires de déclaration douanière et il est trop tard pour apporter une correction.

 

COMPÉTENCE DE LA COUR FÉDÉRALE ET ANALYSE

[24]           En l’absence de précédent, j’aurais été porté à croire que la Cour n’a pas compétence pour entendre la demande de C.B. Powell. Selon moi, l’avis de rejet délivré au nom du président de l’ASFC était une décision en fait et en droit au sens de l’article 60 de la Loi sur les douanes, et le seul recours disponible serait d’interjeter appel au TCCE. Si le TCCE, tout comme le président de l’ASFC, était d’avis que le rejet n’était pas une décision qui pouvait faire l’objet d’un appel devant lui, le recours serait d’interjeter appel à la Cour d’appel fédérale car une question de compétence est une question de droit.

 

[25]           Le relevé détaillé de rajustement qui mentionnait que le traitement tarifaire n’avait pas été examiné et n’était pas révisé n’est pas, à première vue, conforme au rapport de vérification qui mentionnait clairement que le classement tarifaire et le traitement tarifaire relatif à 25 importations faisait l’objet d’un examen. En séparant le classement tarifaire et le traitement tarifaire pour les miettes de bacon, l’ASFC a créé un « fait attributif de compétence » qui a amené le président à affirmer qu’il n’avait pas compétence pour réviser le traitement tarifaire parce qu’il fallait qu’une révision ou qu’un réexamen ait déjà été effectué par un agent des douanes.

 

[26]           De plus, compte tenu des décisions antérieures, C.B. Powell avait toutes les raisons de croire qu’un appel au TCCE serait un effort inutile car celui‑ci aurait conclu qu’il n’avait pas compétence pour déclarer qu’une « non‑décision » était une décision ou d’ordonner au président de rendre une décision.

 

[27]           Selon moi, compte tenu du mécanisme de recours élaboré énoncé dans la Loi, le législateur ne voulait pas qu’un contribuable puisse se voir refuser accès à la justice par la création artificielle de faits attributifs de compétence.

 

[28]           Les cours de justice se sont elles-mêmes souvent servies des « faits attributifs de compétence » pour se livrer à ce qui est aujourd’hui considéré comme étant de l’interférence prématurée avec les activités des offices et des tribunaux fédéraux. Une parfaite illustration de cette affirmation est la décision rendue par la Cour suprême dans l’arrêt Bell c. Ontario Human Rights Commission, [1971] R.C.S. 756. Le Human Rights Code (Ontario) prévoyait que nul ne peut se voir refuser la location d’un logement indépendant en raison de sa race, de ses croyances, de sa couleur, de sa nationalité, de son ascendance, de son lieu d’origine. La Cour a statué que le logement en question n’était pas un logement indépendant et que, par conséquent, la Commission n’avait pas compétence pour se prononcer sur la prétendue discrimination. Avec l’élaboration ultérieure de l’analyse pragmatique et fonctionnelle dans les procédures de contrôle judiciaire, le concept de faits attributifs de compétence a plus ou moins été abandonné. Le juge Evans a affirmé ce qui suit dans Air Canada c. Lorenz, [2000] 1 C.F. 494, au paragraphe 13 :

En règle générale, il est beaucoup plus difficile de nos jours pour une partie de convaincre une cour d’intervenir avant que le demandeur n’ait épuisé les recours administratifs disponibles que cela l’était lorsque l’arrêt Bell c. Ontario Human Rights Commission, [1971] R.C.S. 756, a été rendu.

 

[29]           Cette décision a été rendue dans la foulée de la décision que le juge avait rendue dans Zündel c. Canada (Procureur général), [1999] 4 C.F. 289 dans laquelle il avait déclaré ce qui suit au paragraphe 44 : « […] l’arrêt Bell ne fait presque plus, sinon plus du tout autorité depuis la révolution du droit applicable au contrôle judiciaire d’un acte administratif amorcée par l’arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, de la Cour suprême du Canada ». Voir également Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, 82 Admin. L.R. (4th) 1, au paragraphe 45.

 

[30]           La décision rendue par la Cour suprême dans Vaughan c. Canada, 2005 CSC 11, [2005] 1 R.C.S. 146, milite en faveur de la thèse selon laquelle le pouvoir d’intervention d’une cour supérieure avant que les dispositions relatives aux recours prévues dans une loi aient été utilisées n’est pas complètement écarté si le recours n’est pas exercé auprès d’un décideur indépendant. Même si l’on pourrait affirmer ce qui précède à l’égard du président de l’ASFC, il en va autrement d’un appel interjeté au TCCE qui offre l’avantage supplémentaire d’être beaucoup plus spécialisé dans ce domaine que les cours elles‑mêmes. De plus, s’il existe un recours, celui‑ci prend la forme soit d’un appel interjeté à la Cour d’appel fédérale sur une question de droit en conformité avec la Loi sur les douanes, soit la forme d’une demande de contrôle judiciaire en conformité avec l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[31]           Par analogie, la notion de « faits attributifs de compétence » a causé des problèmes considérables au mécanisme d’appel prévu dans le Régime de pensions du Canada, particulièrement en ce qui concerne les appels des décisions du tribunal de révision interjetés devant la Commission d’appel des pensions, dépendamment si oui ou non il y avait des « faits nouveaux ». La Cour d’appel a conclu, dans un certain nombre de décisions, notamment dans Kent c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 420, 328 N.R. 161, que la Commission d’appel des pensions ne peut pas entendre un appel d’une décision du tribunal de révision concluant à l’absence de « faits nouveaux » parce que sa compétence se limite aux appels interjetés contre les décisions au fond. Par conséquent, l’unique moyen de contester une décision selon laquelle il n’y a pas de faits nouveaux consiste à introduire en Cour fédérale une demande fondée sur les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[32]           Toutefois, dans Mazzotta c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 297, 368 N.R. 306, la Cour, s’exprimant par la voix du juge Létourneau, a conclu que des décisions comme Kent ne correspondaient plus à l’état actuel du droit. Si j’ai bien compris, le paragraphe 20 de Mazzotta établit qu’un refus est en soi une décision soumise au mécanisme de révision prévu dans la loi habilitante :

À mon humble avis, cette conclusion n’est pas conforme à la réalité des faits ni à celle du droit. Lorsqu’un tribunal de révision – ou d’ailleurs le ministre – rejette sous le régime du paragraphe 84(2) une demande d’annulation d’une décision antérieure, il rend une décision, aussi bien en droit que dans les faits. Une décision est bel et bien rendue dans ce cas, tout autant que s’il décide d’accueillir la demande et, ensuite, annule ou modifie sa décision antérieure. La décision de rejeter la demande d’annulation ou de modification est une décision rendue sous le régime du paragraphe 84(2). Le paragraphe 83(1) confère sans ambiguïté dans ce cas un droit d’appel devant la CAP; il dispose en effet que la personne qui se croit lésée par une décision du tribunal de révision rendue en application du paragraphe 84(2) peut présenter une demande afin d’obtenir la permission d’interjeter un appel de la décision du tribunal de révision (that decision) auprès de la CAP. Peu importe que le tribunal de révision accueille la demande de réexamen et annule sa décision antérieure au motif qu’il est saisi de nouveaux éléments de preuve substantiels, ou au contraire rejette cette demande au motif de l’absence de faits nouveaux ou du caractère non substantiel des nouveaux éléments produits et maintienne sa décision antérieure. Dans les deux cas, une décision est rendue en application du paragraphe 84(2), et cette décision est, à mon sens, susceptible d’appel.

 

 

Néanmoins, la juge Layden-Stevenson, vu l’ambiguïté de cette loi, a conclu que la compétence de la Cour n’était pas complètement écartée (Kiefer c. Canada (Procureur général), 2008 CF 786, 330 F.T.R. 242, au paragraphe 10).

 

[33]           La décision plus récente rendue par la Cour fédérale dans Fritz Marketing Inc., précitée, traite de la compétence conférée à la Cour par la Loi sur les douanes et non pas des faits attributifs de compétence. La question en litige était de savoir si la Cour fédérale avait compétence pour annuler un relevé détaillé de réajustement. Après avoir décrit les faits de l’espèce, les clauses privatives et les mécanismes de recours prévus par la Loi sur les douanes, la juge Sharlow a déclaré au paragraphe 33 que le paragraphe 59(6) de la Loi sur les douanes prive la Cour fédérale de la compétence d’annuler un relevé détaillé de rajustement pour quelque motif que ce soit. La question fondamentale était l’admissibilité de la preuve qui avait été contestée. Le TCCE a compétence pour écarter, le cas échéant, des éléments de preuve pour des motifs prévus dans la Charte.

 

[34]           Toutefois, les parties ont été incapables d’attirer mon attention sur une décision de la Cour d’appel fédérale qui traite précisément des répercussions d’une décision du président de l’ASFC de rejeter une demande de révision pour des motifs de compétence. Par contre, une décision rendue par la Cour en 1993 porte directement sur cette question – Mueller Canada Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 70 F.T.R. 197. Dans cette affaire, le sous‑ministre, qui occupait alors les fonctions de président de l’ASFC, a refusé de faire un réexamen au motif que la demande initiale avait été rejetée « […] sans décision et sans autre traitement ». Le juge Rouleau a formulé la question en litige de la façon suivante :

Comme cette dernière décision l’empêchait en fait de s’adresser au TCCE ou à la Cour d’appel fédérale, la requérante a donc déposé une requête devant la présente Cour pour qu’il soit déclaré que le refus signifié en vertu de l’article 63 était une décision, soumise de ce fait aux dispositions d’appel de la Loi; ou, subsidiairement, pour obtenir une ordonnance de mandamus contraignant le sous-ministre à rendre une telle décision […]

 

[35]           Il a conclu que le rejet était une décision sur le fond déguisée :

Par ailleurs, en qualifiant ces décisions de « non-décisions » plutôt que de décisions négatives, les intimés ont privé la requérante des droits d’appel visés prévus aux articles 60 et 63, des droits que l’article 72.1 confère expressément, et l’unique recours qu’avait la requérante était devant la présente Cour. Je le répète, je ne crois pas que c’est ce que le législateur envisageait, étant donné que le TCCE est expressément habilité à traiter de ces questions techniques.

 

Par conséquent, il a déclaré que la non-décision était une décision qui pouvait faire l’objet d’un appel au TCCE.

 

[36]           Toutefois, le TCCE, compte tenu de Mueller, précitée, semble avoir adopté le point de vue que seule la Cour fédérale a compétence pour conclure qu’une « non-décision » est, en droit, une décision, ou si aucune décision n’a été rendue pour obliger le président à rendre une décision (Eu égard à une question préliminaire de compétence relative à divers appels interjetés aux termes de l’article 67 de la Loi sur les douanes, y compris Vilico Optical Inc., (7 mai 1996), AP-94-365, rendu en 1996 et Chicago Rawhide Products Canada Ltd. c. Le sous‑ministre du Revenu national, (21 décembre 2000), AP-97-133).

 

[37]           La décision qui ne cadre pas est Editions Gallery Ltd. c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, (26 juillet 2006), AP-2005-017. Dans cette affaire, le Tribunal a estimé que le RDR en question comprenait une révision de l’origine qui confirmait la détermination initiale de nation la plus favorisée. Toutefois, dans cette affaire, le RDR précise avec force qu’il n’y a eu aucune révision, contrairement à ce que laisse entendre le rapport de vérification.

 

[38]           La courtoisie judiciaire exige que je suive Mueller. Bien qu’on estime habituellement que le principe du stare decisis oblige le juge de première instance à se conformer aux décisions de la Cour d’appel et de la Cour suprême et comme la raison d’être de la publicité des décisions est d’assurer la certitude et la prévisibilité du droit, il est préférable que le juge se range à ce qu’un autre juge de la même juridiction a déjà décidé. Néanmoins, aucun juge n’est tenu de suivre une décision dont le raisonnement n’emporte pas son adhésion. Malgré le fait que le principe du stare decisis était probablement plus ancré en 1947 qu’il ne l’est aujourd’hui, je trouve particulièrement éclairants les propos suivants qu’a tenus le juge en chef, lord Goddard, dans l’arrêt Police Authority for Huddersfield c. Watson , [1947] 1 K.B. 842, à la page 847 :

[traduction] Je pense que selon la pratique contemporaine et la conception contemporaine de la question, c’est par déférence confraternelle qu’un juge de première instance se conforme toujours à la décision d’un autre juge de première instance, à moins qu’il ne soit convaincu que cette décision est erronée. Il n’est certainement pas tenu de se conformer à la décision d’un juge de même rang. Il n’est tenu de suivre que les décisions qui ont force jurisprudentielle à son égard, c’est-à-dire, s’il est juge de première instance, celles qui émanent de la Cour d’appel, de la Chambre des lords et de la Cour divisionnaire.

 

[39]           Dans Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 341, 324 F.T.R. 133, la juge Dawson énumère les circonstances dans lesquelles il est justifié de refuser de suivre une décision antérieure rendue par la même cour :

Un juge de la Cour, par courtoisie judiciaire, doit suivre une décision antérieure rendue par un autre juge de la Cour, à moins qu’il ne soit convaincu que : a) des décisions subséquentes ont remis en question la validité de cette décision antérieure; b) la décision antérieure ne tenait pas compte d’un précédent faisant autorité ou d’une loi pertinente; c) la décision antérieure a été rendue sans délibéré, c’est‑à‑dire que le juge a rendu sa décision sans avoir le temps de consulter la jurisprudence. S’il se trouve en présence de l’une de ces circonstances, un juge peut s’écarter de la ligne établie par la décision antérieure, à la condition qu’il expose clairement ses motifs de ce faire et, dans une affaire d’immigration, qu’il permette à la Cour d’appel fédérale de clarifier le droit en certifiant une question. Voir Re Hansard Spruce Mills Ltd., [1954] 4 D.L.R. 590, à la page 591 (B.C.C.A.), et Ziyadah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 4 C.F. 152 (1re inst.).

 

[40]           La décision du juge Rouleau était tout à fait conforme à l’état du droit en 1993 et je ne suis pas certain que les décisions ultérieures auxquelles j’ai renvoyé ont eu une incidence sur sa validité. Depuis de nombreuses années, elle sert de fondement quant à la compétence de la Cour. De plus, comme il ne s’agit pas d’une affaire d’immigration dans laquelle l’autorisation est exigée par une question grave de portée générale, les défendeurs peuvent interjeter appel de plein droit.

 

[41]           C.B. Powell prétend également que, dans le cadre d’une demande présentée en vertu de l’article 60, elle pouvait offrir une garantie plutôt que de payer le droit. Elle a fourni une caution qui a été rejetée, non pas parce qu’elle était insuffisante, mais plutôt parce que, comme l’article 60 ne s’appliquait pas, l’ASFC ne pouvait pas accepter une garantie au lieu d’un paiement. Elle prétend qu’il existe une distinction importante entre un paiement et une garantie car les articles 73 et suivants, qui traitent des abattements et remboursements, ne s’appliquent pas aux garanties. Elle ne devrait pas demander un remboursement. Elle devrait demander une garantie. Il s’agit d’une question intéressante que le TCCE pourrait examiner.


ORDONNANCE

 

            LA COUR DÉCLARE que :

  1. L’avis de rejet B-2 de l’Agence des services frontaliers du Canada, daté du 7 août 2008, est une décision défavorable rendue par le président de l’Agence des services frontaliers du Canada en vertu des paragraphes 60(4) et (5) de la Loi sur les douanes à l’égard de laquelle une demande peut être présentée au Tribunal canadien du commerce extérieur en vertu de l’article 60.2 de cette même loi.
  2. La demanderesse a droit à ses dépens.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1376-08

 

INTITULÉ :                                       C.B. POWELL LTD.

                                                            c. LE PRÉSIDENT DE l’ASFC et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 avril 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             Le 21 mai 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael D. Kaylor

 

POUR LA DEMANDERESSE

Jacques Savary

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lapointe Rosenstein

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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