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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20090522

Dossier : IMM-5048-08

Référence : 2009 CF 506

Ottawa (Ontario), le 22 mai 2009

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

 

et

 

Mi Sook OH

Jie Eun (Zoe) SONG

défenderesses

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre), conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 17 octobre 2008 et dans laquelle il a été décidé que les défenderesses étaient des réfugiées au sens de la Convention.

* * * * * * * *

[2]               Les défenderesses Mi Sook Oh et sa fille, Ji Eun (Zoe) Song, sont des citoyennes de la Corée du Sud. Les faits en l’espèce sont plutôt inhabituels.

 

[3]               Les défenderesses sont entrées au Canada le 20 avril 2007 et ont déposé une demande d’asile le 12 septembre de la même année. L’audience devant la SPR a duré deux jours.

 

[4]               La première journée d’audience, soit le 27 mars 2008, les défenderesses n’étaient pas représentées. Mi Sook Oh a été désignée comme représentante de sa fille. Selon ses allégations, elle était persécutée par un pasteur connu du Full Gospel Church (l’Église du plein Évangile) qui avait [traduction] « tourné tout le monde contre elle ». Vers la fin de l’audience, lorsqu’on lui a demandé si elle pouvait fournir des renseignements additionnels à la SPR, la défenderesse est devenue très agitée. Lorsque sa fille a tenté de la calmer, elle l’a frappée et poussée.

 

[5]               Après cet incident, il a été décidé que le ministère de l’Enfance et de la Famille devrait être avisé de la situation et qu’un représentant devrait être désigné pour l’enfant mineur. On a conclu que la mère était une personne vulnérable et elle a été hospitalisée contre son gré pour des raisons de santé mentale. Il lui a été conseillé de confier sa fille au ministère de l’Enfance et de la Famille pour que celle-ci puisse être représentée par un conseil.

 

[6]               Pendant son hospitalisation au Canada, Mi Sook Oh a reçu un diagnostic de schizophrénie et de délire paranoïde chronique, même si elle nie avoir des problèmes de santé mentale. On lui a nommé un représentant désigné, qui l’a aidée à trouver un avocat.

 

 

[7]               Le ministre est intervenu à la reprise de l’audience le 20 août 2008. Les deux défenderesses étaient alors représentées par avocat. Dans ses motifs du 17 octobre 2008, la SPR a conclu que les défenderesses étaient des réfugiées au sens de la Convention.

 

[8]               Compte tenu des nouvelles questions soulevées à la suite de l’apparition des problèmes de santé mentale de Mi Sook Oh, la SPR a énoncé :

[17] […] Les questions sont les suivantes : Y a-t-il davantage qu’une simple possibilité que les demandeures d’asile soient persécutées, au sens de la Convention, si celles‑ci doivent rentrer en Corée? Est-ce que les personnes qui ont des problèmes de santé mentale ou qui sont perçues comme ayant des problèmes de santé mentale forment un groupe social particulier en Corée du Sud? Les demandeures d’asile sont-elles des réfugiées au sens de la Convention? Par ailleurs, la situation des demandeures d’asile relève-t-elle de l’alinéa 97(1)a) et/ou de l’alinéa 97(1)b)?

 

 

[9]               La SPR n’a pas fait l’analyse relative à l’article 97 parce qu’elle a conclu que les défenderesses satisfaisaient aux exigences de l’article 96 de la Loi pour être reconnues à titre de réfugiées au sens de la Convention.

 

[10]           Quant à la crédibilité, comme l’état de santé de la défenderesse réduisait considérablement la fiabilité de son témoignage, la SPR a estimé que davantage d’importance devait être accordée aux éléments objectifs de la demande. Toutefois, elle a considéré le témoignage de la fille de la défenderesse comme ayant la pleine valeur d’un témoignage sous serment. En ce qui concerne la demande de cette dernière, la SPR a jugé que la défenderesse mineure, en tant que fille de la défenderesse, appartenait à un groupe social particulier, soit celui des enfants des personnes atteintes de maladie mentale en Corée. La SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités et en se fondant sur le témoignage sous serment de la défenderesse mineure, que l’État s’occupait d’elle en Corée et que pendant cette période, elle n’était pas logée de façon adéquate, ne recevait pas de soutien affectif, n’allait pas à l’école et n’était pas informée de l’endroit où se trouvait sa mère. La SPR a conclu que les droits fondamentaux de cet enfant avaient été violés, ce qui équivalait à de la persécution.

 

[11]           Lorsqu’elle s’est penchée sur la question de la persécution, la commissaire de la SPR a examiné la preuve documentaire produite par les défenderesses et s’est fondée sur cette preuve pour conclure que « les violations des droits de la personne surviennent régulièrement au sein du système de santé mentale de la Corée ». Ces violations incluent :

-         l’hospitalisation illégale et forcée

-         le défaut d’assurer adéquatement l’efficacité de l’hospitalisation

-         la falsification des dossiers médicaux

-         le refus de donner congé aux patients de l’établissement de santé mentale

-         la séparation et les contrainte illicites

-         la limitation excessive de la liberté de correspondance

-         la quantité excessive d’appareils de télévision en circuit fermé dans l’établissement

-         les actes de violence fréquents

 

 

 

[12]           La SPR a examiné ensuite la question de l’existence d’une protection étatique, reconnaissant que l’État est présumé pouvoir protéger ses citoyens. Les observations du ministre sont résumées. Au paragraphe 44 de la décision, la SPR a conclu que la Corée du Sud déployait des efforts réels pour protéger les personnes atteintes de maladie mentale, mais elle a ajouté que ces efforts ne donnaient pas suffisamment de résultats pour que la protection offerte par l’État à la défenderesse soit adéquate.

 

[13]           Finalement, la SPR a examiné la demande de la défenderesse mineure et a conclu que si elle devait retourner en Corée, elle serait vraisemblablement confiée à l’État et se retrouverait donc dans une situation où il y aurait plus qu’une simple possibilité que ses droits fondamentaux soient bafoués, compte tenu de l’état des établissements chargés de s’occuper des enfants.

* * * * * * * *

[14]           Le ministre n’a relevé qu’une seule question à examiner dans le présent contrôle : la SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son application du critère en matière de protection de l’État?

 

[15]           Il est admis que la norme de contrôle applicable pour évaluer si la SPR a bien appliqué le critère en matière de protection de l’État est la raisonnabilité (Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 45 Imm. L.R. (3d) 58 (C.F.); Nava c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 706, [2008] A.C.F. no 901 (QL)).

 

[16]           Le ministre soutient que la SPR a commis une erreur qu’il a décrite comme suit :

[traduction] […] En concluant que la protection de l’État n’était pas adéquate parce que les personnes atteintes de maladie mentale en Corée sont victimes de violations des droits de la personne, la commissaire French a fusionné le critère quant à l’existence de persécution et l’évaluation du caractère adéquat de la protection de l’État et, par conséquent, elle a exigé et appliqué à tort un critère élevé de protection « parfaite » de l’État.

 

 

 

[17]           Je ne suis pas d’accord. Contrairement à ce que prétend le ministre, la SPR a conclu en affirmant que la demanderesse d’asile s’était « acquittée du fardeau de fournir des éléments de preuve clairs et convaincants et permettant d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que les efforts réels pour protéger les droits des malades mentaux déployés par la Corée ne suffisent pas à lui garantir une protection adéquate ».

 

[18]           Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada rappelle ce qui suit aux pages 731et 732 :

Comme nous l’avons déjà expliqué, le droit international relatif aux réfugiés était destiné à servir de «substitut» à la protection nationale si celle‑ci n’était pas fournie. C’est pourquoi le rôle international était assujetti à des limitations intrinsèques. Ces mécanismes restrictifs montrent que la communauté internationale n’avait pas l’intention d’offrir un refuge à toutes les personnes qui souffrent. […]

 

[19]           Le demandeur d’asile est donc appelé à « confirmer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer [s]a protection » (Ward, précité, à la page 724). En l’absence d’une telle preuve, la demande d’asile doit être rejetée compte tenu de la présomption selon laquelle les États sont en mesure de protéger leurs citoyens.

 

[20]           En fait, les notions de persécution et de protection de l’État sont expressément interreliées (voir Ward, précité, à la page 722). Je note qu’en l’espèce, aucune question n’a été soulevée quant aux conclusions de la SPR concernant le bien-fondé de la crainte de persécution des défenderesses.

 

[21]           Compte tenu des circonstances particulières en l’espèce, je suis convaincu que la SPR a appliqué le critère adéquat en matière de protection de l’État. La SPR a fait état de la présomption de protection de l’État et du fardeau dont les demanderesses d’asile devaient s’acquitter, et a évalué la preuve au dossier. Ses conclusions appartiennent « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et commandent la déférence (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

* * * * * * * *

 

[22]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

 

 

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire présentée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, visant la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 17 octobre 2008, est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5048-08

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. Mi Sook OH, Jie Eun (Zoe) SONG

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 5 mai 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 22 mai 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Helen Park                                                       POUR LE DEMANDEUR

 

Lobat Sadrehashemi                                         POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

Pivot Legal LLP                                               POUR LES DÉFENDERESSES

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

 

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