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Date : 20090407

Dossiers : T-459-07

T-712-08

Référence : 2009 CF 244

Ottawa (Ontario), le 7 avril 2009

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

Dossier : T-459-07

 

TECHNOLOGIES PHARMACEUTIQUES CANADIEN INTERNATIONAL (T.P.C.) INC.

 

demanderesse

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

ET ENTRE :

 

Dossier : T-712-08

 

TECHNOLOGIES PHARMACEUTIQUES CANADIEN INTERNATIONAL (T.P.C.) INC.

 

demanderesse

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur


MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
(Motifs du jugement et jugement confidentiels rendus le
26 mars 2009)

 

[1]               Technologies Pharmaceutiques Canadien International (T.P.C.) Inc. (TPCI) sollicite le contrôle judiciaire de ce qu’elle dit être deux décisions par lesquelles un haut fonctionnaire de Santé Canada a décidé que le produit de TPCI appelé « Vancopak » était classé à juste titre comme une « drogue sous forme posologique » et qu’il était donc assujetti aux dispositions de la Loi sur les aliments et drogues, L.R.C. 1985, ch. F‑27, et du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C. 1978, ch. 870.

 

[2]               TPCI soutient que Santé Canada, dans le processus que ce dernier a suivi pour arriver à une décision finale dans la présente affaire, a manqué envers elle au principe de l’équité procédurale. Elle ajoute que Santé Canada a agi de manière discriminatoire en retenant exclusivement son produit - le  Vancopak - pour examen, tandis que d’autres sociétés vendent des produits semblables sans être dérangées par Santé Canada. Enfin, elle prétend que Santé Canada a commis de nombreuses erreurs en décidant que Vancopak était effectivement une « drogue sous forme posologique » et qu’il était donc assujetti à la Loi sur les aliments et drogues et à son règlement d’application.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que, dans le cadre du processus de réexamen, il n’y a pas eu de manquement au principe de l’équité procédurale envers TPCI. Je suis également persuadée que TPCI n’a pas été victime de discrimination illicite dans le cadre du processus réglementaire et qu’il était raisonnablement loisible au fonctionnaire de Santé Canada de conclure, au vu du dossier qui lui était soumis, que le Vancopak est une « drogue sous forme posologique » pour l’application du Règlement sur les aliments et drogues. Les demandes de contrôle judiciaire de TPCI seront de ce fait rejetées.

 

Le contexte

[4]               « Vancopak » est le nom commercial utilisé par TPCI pour désigner son produit de chlorydrate de vancomycine. Le chlorydrate de vancomycine est un antibiotique qui utilisé dans le traitement d’infections graves ou potentiellement mortelles comme l’entérocolite à staphylocoques ou la colite pseudomembraneuse associée à la prise d’antibiotiques et causée par la bactérie C. difficile.

 

[5]               Le produit Vancopak de TPCI est constitué de 5 g de poudre de chlorydrate de vancomycine prémesurée et dans des emballages unitaires fixes. La poudre est contenue dans une fiole de plastique graduée de 100 ml conçue de manière à faciliter la reconstitution du chlorydrate de vancomycine en une solution que peuvent avaler les malades.

 

[6]               TPCI achète du chlorydrate de vancomycine en vrac de la société Baralex Inc. qui, elle, importe le produit dans des contenants de 5 kg scellés en usine, qui proviennent d’une usine de produits pharmaceutiques en Chine. Une deuxième entreprise, Valeo Pharma Inc., prend en charge toutes les étapes restantes qui sont nécessaires pour produire le Vancopak pour le compte de TPCI. Ces étapes comprennent l’entreposage, la manutention, le pesage, le réemballage de la poudre de chlorydrate de vancomycine en portions de 5 g, l’étiquetage et la distribution.

 

[7]               TPCI vend son Vancopak à des pharmacies et à des hôpitaux au Canada, mais pas directement aux consommateurs.

 

[8]               Comme une solution de chlorydrate de vancomycine n’est pas stable à long terme, le produit est vendu aux pharmaciens sous forme de poudre et la solution n’est reconstituée qu’au moment où elle est effectivement administrée au malade. Lorsqu’un malade fait remplir une prescription de Vancopak en pharmacie, le pharmacien ajoutera de l’eau à la poudre afin d’obtenir une solution reconstituée. TPCI affirme que les pharmaciens ajoutent toujours des excipients, tels que des édulcorants et des stabilisateurs, à la solution avant de la donner au malade.

 

[9]               Au début de l’année 2005, Santé Canada a reçu d’une tierce partie des informations selon lesquelles TPCI vendait du chlorydrate de vancomycine sans une identification numérique de drogue (ou « DIN »). Après enquête, Santé Canada a fait part à TPCI de son opinion selon laquelle le Vancopak était assujetti aux dispositions du Règlement sur les aliments et drogues. D’après Santé Canada, le Vancopak était à la fois une « drogue nouvelle » et une « drogue sous forme posologique », et il s,ensuivait donc que ce produit nécessitait une DIN et qu’il était par ailleurs assujetti au processus fédéral d’homologation des médicaments.

 

[10]           Selon TPCI, son produit de chlorydrate de vancomycine n’était pas une « drogue sous forme posologique » au sens du Règlement et n’avait donc pas besoin d’une DIN avant qu’on puisse le vendre au Canada. Son produit (vendu à l’époque sous la marque « Vancomysol ») était simplement ce que cette société appelle un « ingrédient pharmaceutique actif » (ou « IPA »), pour préparation par un pharmacien titulaire d’un permis d’exercice, conformément à une ordonnance.

 

[11]           Pour répondre à certaines des préoccupations de Santé Canada, TPCI a changé le nom de « Vancomysol » pour « Vancopak » et a modifié le libellé de son étiquette, remplaçant la mention « Pour usage magistral » par [traduction« POUR PRÉPARATION SUR ORDONNANCE ».

 

[12]           Insatisfait de ces changements, Santé Canada a rendu le 16 septembre 2005 une décision officielle en matière de classification qui identifiait le Vancopak comme une nouvelle « drogue sous forme posologique » et non comme un simple « ingrédient pharmaceutique actif » pour préparation, comme le soutenait TPCI.

 

[13]           Par suite de la décision de Santé Canada, TPCI allait devoir obtenir une DIN pour son Vancopak si elle souhaitait continuer de vendre ce produit au Canada. Pour ce faire, il allait falloir que TPCI dépose d’abord une présentation de drogue nouvelle et subisse ensuite le rigoureux processus réglementaire connexe.

 

[14]           Au lieu de cela, TPCI a demandé que la décision du 16 septembre 2005 de Santé Canada soit soumise à un contrôle judiciaire, alléguant notamment que l’on avait manqué à son égard au principe de l’équité procédurale dans le cadre du processus menant à la décision prise en matière de classification.

 

La décision du juge Kelen

[15]           Dans une décision rendue en juin 2006, le juge Kelen a statué que Santé Canada avait manqué à son obligation d’équité envers TPCI dans son application de la procédure de classification : voir Technologies pharmaceutique Canadien International (T.P.C.) Inc.  c. Canada (Procureur général), 2006 CF 708 ( TPCI no 1).

 

[16]           En particulier, le juge Kelen a conclu que Santé Canada avait omis d’informer TPCI des arguments qu’elle devait réfuter, à savoir les motifs pour lesquels Santé Canada croyait que le Vancopak avait besoin d’une DIN. De l’avis du juge Kelen, on avait aussi privé TPCI de la possibilité de répliquer complètement à la position de Santé Canada avant que ce dernier rende sa décision définitive en matière de classification : voir TPCI no 1, aux paragraphes 19 à 24.

 

[17]           Le juge Kelen a rejeté l’allégation de TPCI selon laquelle Santé Canada faisait preuve de discrimination à son endroit parce que d’autres sociétés au Canada vendaient à des pharmaciens du chlorydrate de vancomycine sans avoir dû obtenir une DIN au préalable. Il a fait remarquer que, dans cette affaire, des renseignements avaient été demandés ou une plainte avait été formulée au sujet de TPCI. C’était pour cette raison-là que Santé Canada avait fait enquête sur la société et qu’il avait pris la décision faisant l’objet du contrôle. De l’avis du juge Kelen, cela n’équivalait pas à une conduite discriminatoire de la part de Santé Canada : TPCI no 1, au paragraphe 29.

 

[18]           Ayant conclu que Santé Canada avait manqué à son obligation d’équité et n’avait pas donné à TPCI la possibilité de répliquer à l’aide d’éléments de preuve à la position prise par Santé Canada, le juge Kelen n’a pas examiné ensuite si Santé Canada avait conclu par erreur que le Vancopak était une « drogue sous forme posologique » : TPCI no 1, au paragraphe 25.

 

[19]           À titre de réparation, le juge Kelen a annulé la décision de Santé Canada datée du 16 septembre 2005, renvoyant l’affaire « à un haut fonctionnaire compétent de Santé Canada à Ottawa » pour réexamen, conformément aux modalités suivantes :

(i)         le haut fonctionnaire d’Ottawa ne doit pas avoir pris part à la décision en cause mais doit avoir de l’expérience en matière de conformité des produits de santé au Règlement sur les aliments et drogues;

 

(ii)        la demanderesse [TPCI] aura la possibilité de présenter des éléments de preuve pour répondre aux préoccupations formulées par Santé Canada dans sa lettre du 16 septembre 2005 et dans les documents versés au dossier de la décision, qui ont été communiqués à la demanderesse dans le cadre de la présente demande;

 

(iii)       la demanderesse [TPCI] sera informée de toute autre préoccupation que Santé Canada pourra avoir relativement à la preuve supplémentaire qu’elle pourra présenter et aura la possibilité d’y répondre avant que la nouvelle décision soit rendue.

 

 

Les faits survenus après la décision du juge Kelen

[20]           Pour se conformer à l’ordonnance du juge Kelen, la responsabilité du réexamen de Santé Canada a été confiée à M. David Clapin. Ce dernier occupait le poste de conseiller scientifique de la direction générale, auprès du Bureau de la science et de la gestion du risque, au sein de la Direction générale des produits de santé et des aliments de Santé Canada.

 

[21]           Dans une lettre datée du 23 août 2006, M. Clapin a informé le président de TPCI qu’on lui avait confié la tâche de réexaminer la situation réglementaire du Vancopak. M. Clapin a ensuite ajouté ce qui suit :

[traduction]

Pour faciliter le réexamen du statut réglementaire du Vancopak, je propose d’agir comme suit :

 

1.                  Les agents compétents de Santé Canada fourniront [à TPCI] et à moi-même un énoncé écrit indiquant ce qu’ils croient être les principaux problèmes en cause dans cette affaire, de même que leur position sur ces derniers.

 

2.                  [TPCI] obtiendra ensuite un délai de 30 jours civils pour me faire part par écrit de sa position sur les problèmes relevés par Santé Canada, comme il est décrit ci-dessus, ainsi que pour faire état de tout autre problème qui, à son avis, est pertinent à l’égard de la décision et pour formuler sur ce dernier des commentaires.

 

3.                  Après avoir eu l’occasion d’examiner les documents soumis, une réunion aura lieu entre des représentants du ou des décideurs initiaux de Santé Canada, [TPCI] et moi-même afin de donner aux deux parties initiales une meilleure chance d’éclaircir leurs positions respectives et me permettre de bien saisir comment chacune des parties interprète la preuve.

 

4.                  Après cette réunion, je rendrai ma décision sur la situation du Vancopak, et cette décision sera transmise par écrit à [TPCI] et aux agents compétents de Santé Canada.

 

5.                  Pour commencer, les documents que j’aurai en main pour examen se composeront de la lettre de décision contestée de Santé Canada, qui est datée du 16 septembre 2005, ainsi que tous les documents inclus dans le dossier de décision que Santé Canada a soumis à la Cour fédérale. Si jamais je décide d’examiner des documents ou des éléments de preuve additionnels, les deux parties en seront avisées.

 

[22]           TPCI reconnaît que les deux premières étapes du processus que M. Clapin a décrit dans sa lettre du 23 août 2006 ont été suivies. Cependant, elle conteste ce qui s’est passé après qu’elle a fait part à M. Clapin de ses observations écrites décrivant la position de la société au sujet des problèmes que Santé Canada avait relevés.

 

[23]           Plus précisément, avant la réunion dont il est question au troisième paragraphe numéroté de la lettre de M. Clapin, ce dernier a envoyé à TPCI un document intitulé [traduction« Position réglementaire préliminaire » [la « PRP »], accompagné d’une lettre datée du 13 février 2007.

 

[24]           TPCI prétend que le document de M. Clapin, la PRP, était en fait un décision de ce dernier selon laquelle le Vancopak était une « drogue sous forme posologique » vendue aux pharmaciens sous une forme « prête pour la consommation » et qu’il était donc assujetti au processus réglementaire.

 

[25]           TPCI a aussitôt fait part à M. Clapin, par écrit, de son inquiétude : en procédant de cette façon, M. Clapin avait enfreint le droit de TPCI à l’équité procédurale dans le cadre du processus de réexamen en préjugeant des questions qui lui étaient soumises. Peu après, TPCI a introduit une demande de contrôle judiciaire concernant la [traduction« décision » (dossier T‑459‑07) datée du 13 février 2007 de M. Clapin. Il est question ici de l’une des deux demandes de contrôle judiciaire dont la Cour est actuellement saisie.

 

[26]           TPCI a demandé à M. Clapin de ne pas poursuivre le processus de réexamen avant que sa demande de contrôle judiciaire ait été instruite et tranchée. M. Clapin a refusé de mettre le dossier en suspens, informant TPCI que le processus de réexamen allait se poursuivre. Il a ensuite demandé à TPCI de lui fournir une réponse écrite à la PRP, notant que s’il ne recevait pas de réponse de la société, une décision finale serait prise sur la question de la reclassification sans autre contribution de la part de TPCI.

 

[27]           TPCI a fait part de nouveau à M. Clapin de son opinion selon laquelle la PRP violait son droit à l’équité procédurale dans le cadre du processus de réexamen. TPCI a affirmé de plus qu’elle avait une attente légitime quant à la façon dont le processus de réexamen se déroulerait, d’après la manière dont M. Clapin avait lui-même décrit ce processus dans sa lettre du 23 août 2006.

 

[28]           TPCI a également avisé M. Clapin que sa PRP contenait des erreurs de fait et d’autre nature et qu’elle soulevait des questions nouvelles qui débordaient le cadre de celles qui, comme l’avait indiqué initialement Santé Canada, suscitaient des préoccupations. Néanmoins, TPCI a convenu de poursuivre le processus de réexamen « sous toutes réserves », tout en sollicitant réparation en même temps auprès de la Cour relativement à la PRP.

 

[29]           Le 5 juillet 2007, M. Clapin a rencontré des représentants de Santé Canada et de TPCI; à cette occasion-là, les deux parties lui ont fait des observations de vive voix sur les questions en litige. Après cette rencontre, TPCI a remis à M. Clapin des observations écrites supplémentaires, indiquant en détail ce qui constituait selon elle les erreurs de fait et de droit qui minaient l’analyse et les conclusions de M. Clapin quant à la situation réglementaire du Vancopak.

 

[30]           Le 4 avril 2008, M. Clapin a rendu une décision datée du 27 février 2008 concernant le statut réglementaire du Vancopak. Au vu de la nature même du Vancopak, des activités et des étapes qu’il a subies pour être transformé en un produit prêt à l’emploi ultime auquel il est destiné et de la nature des contrôles exercés par TPCI, M. Clapin a conclu que Vancopak était « une drogue sous forme posologique » et qu’elle était vendue aux hôpitaux et aux pharmacies sous une forme prête pour la consommation.

 

[31]           TPCI a ensuite demandé que l’on soumette à un contrôle judiciaire la décision du 27 février 2008 de M. Clapin. La protonotaire Aronovitch a par la suite ordonné que les deux demandes de contrôle judiciaire de TPCI soient fusionnées, avec le résultat que les deux affaires ont été instruites ensemble. Les présents motifs se rapportent à ces deux demandes.

 

Les questions en litige

[32]           Les demandes de contrôle judiciaire de TPCI soulèvent les questions suivantes :

1.         TPCI a-t-elle été privée de l’équité procédurale dans le cadre du processus de réexamen?

2.         Santé Canada a-t-il fait preuve de discrimination à l’égard de TPCI?

3.         M. Clapin a-t-il commis une erreur en décidant que le Vancopak est une « drogue sous forme posologique »?

 

[33]           De plus, la Cour doit déterminer la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à chacune des questions en litige.

 

La norme de contrôle applicable

[34]           Le premier point en litige de TPCI a trait à une question d’équité procédurale, et les parties conviennent que la norme de contrôle à appliquer à cet aspect-là de la décision de M. Clapin est la décision correcte. Je suis d’accord qu’il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence à l’endroit des opinions de M. Clapin à cet égard, et qu’il incombe à la Cour de former sa propre opinion quant à l’équité du processus qui a mené à la décision finale de M. Clapin : voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43.

 

[35]           Comme je l’expliquerai plus loin, je suis d’avis que la conclusion de M. Clapin selon laquelle Santé Canada n’a pas fait preuve de discrimination à l’endroit de TPCI est correcte. Il n’est donc pas nécessaire d’indiquer la norme de contrôle qui s’applique à cette question en litige.

 

[36]           La dernière question en litige est celle de savoir si M. Clapin a commis une erreur en décidant que le Vancopak était une « drogue sous forme posologique » pour l’application du Règlement sur les aliments et drogues, par opposition à un « ingrédient pharmaceutique actif » utilisé par les pharmaciens pour préparation.

 

[37]           Il n’est pas toujours nécessaire que la Cour se livre à sa propre analyse pour arrêter la bonne norme de contrôle dans une affaire donnée, et il est possible de prendre en considération la jurisprudence : voir Dunsmuir, au paragraphe 57.

 

[38]           Il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale que, dans la mesure où la décision contestée repose sur l’interprétation que M. Clapin a faite de la Loi sur les aliments et drogues et de son règlement d’application, cette décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte : voir Abbott Laboratories Limited c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 354.

 

[39]           Cependant, il ne semble pas y avoir en l’espèce de véritable litige à propos de l’interprétation qu’il convient de donner à la Loi ou au Règlement. Le véritable débat qui oppose les parties est essentiellement de nature factuelle. C’est-à-dire que le point sur lequel les parties ne s’entendent pas est celui de savoir si les faits liés à la fabrication du Vancopak font de ce produit une drogue qui se présente sous une forme « prête pour la consommation sans autre transformation ». Comme l’a fait remarquer le juge Kelen dans TPCI no 1, il s’agit là d’une question mixte de droit et de fait, et principalement d’une question de fait. En conséquence, il y a lieu de faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de Santé Canada en matière de classification : voir TPCI no 1, au paragraphe 17.

 

[40]           Le juge Kelen a conclu que Santé Canada a plus d’expertise que la Cour en matière de classification, de fabrication et de vente sécuritaire de médicaments. Selon le juge Kelen, pour décider si un produit doit être classé comme une « drogue sous forme posologique », il est nécessaire d’« exercer un jugement développé par une expérience particulière en médecine fondamentale et appliquée. Conformément à l’intention du législateur, c’est l’organisme de réglementation spécialisé en matière de médicaments qui est le mieux placé pour déterminer si un médicament donné est une “ drogue sous forme posologique ” ou un produit nécessitant une autre “ transformation ” » : TPCI no 1, au paragraphe 13.

 

[41]           Le juge Kelen a ensuite fait remarquer que dans les dispositions législatives applicables aux décisions que prend Santé Canada en matière de classification de produits, il n’existe pas de clause privative ou de droit d’appel : voir TPCI no 1, au paragraphe 12. De plus, la Loi sur les aliments et drogues et son règlement d’application ont pour objet de « régir la fabrication, la distribution, l’utilisation et la vente de médicaments afin de protéger la santé et la sécurité du public canadien ». Le juge Kelen a ensuite fait remarquer que l’objet fondamental du Règlement qui est en litige en l’espèce est d’assurer l’innocuité et l’efficacité des médicaments vendus au Canada. Le juge Kelen a conclu qu’étant donné que les décisions de Santé Canada en matière de classification des produits sont « par nature administratives et polycentriques » et « visent à protéger le public par la surveillance du marché pharmaceutique », l’objet principal du système était de protéger l’intérêt du public. Ce facteur faisait pencher la balance en faveur d’une déférence importante à l’égard des décisions en matière de classification : voir TPCI no 1, au paragraphe 15.

 

[42]           En l’espèce, M. Clapin ne prenait peut-être pas part régulièrement aux décisions prises en matière de classification mais, en sa qualité de conseiller scientifique de la direction générale, auprès du Bureau de la science et de la gestion du risque de la Direction générale des produits de santé et des aliments de Santé Canada, il était manifestement un haut fonctionnaire de Santé Canada qui jouissait d’une certaine expertise à l’égard de la conformité des produits de santé visés par la Loi sur les aliments et drogues et de son règlement d’application.

 

[43]           Enfin, le juge Kelen n’a pas souscrit à l’argument de TPCI selon lequel les questions de fait ou les questions mixtes de fait et de droit qui étaient en litige en l’espèce touchaient la compétence conférée par la Loi à Santé Canada et qu’il était donc nécessaire de les contrôler d’après la norme de la décision correcte : voir TPCI no 1, au paragraphe 17.

 

[44]           Compte tenu de tous ces facteurs, je suis d’avis que la décision de M. Clapin selon laquelle le Vancopak était une « drogue sous forme posologique » pour l’application de la Loi sur les aliments et drogues et de son règlement d’application doit être contrôlée selon la norme de la raisonnabilité.

 

[45]           Pour contrôler une décision en fonction de la norme de la raisonnabilité, la Cour se doit de prendre en considération la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables qui peuvent se justifier au regard des faits et du droit : voir Dunsmuir, au paragraphe 47.

 

TPCI a-t-elle été privée de l’équité procédurale dans le cadre du processus de réexamen?

[46]           L’élément fondamental de l’argument de TPCI à propos de cette question est que la PRP de M. Clapin datée du 13 février 2007 n’était pas du tout une évaluation préliminaire. TPCI soutient plutôt qu’en rendant sa décision du 13 février 2007 M. Clapin est arrivé, en fait, à une décision finale sur la question de la classification, et ce, avant de donner à TPCI l’occasion d’être entendue en personne.

 

[47]           TPCI soutient que même si une audience a bel et bien eu lieu après la [traduction] « décision » du 13 février 2007, dans les faits, l’idée de M. Clapin était déjà faite au moment où il a fait part de sa PRP. C’est ce qui ressort, déclare TPCI, d’une comparaison entre la décision préliminaire et la décision finale.

 

[48]           TPCI soutient en outre que M. Clapin a limité son pouvoir discrétionnaire en indiquant dans sa PRP qu’il ne modifierait la [traduction] « décision » du 13 février 2007 que [traduction] « si TPCI peut démontrer qu’un aspect de l’analyse est entaché factuellement d’une erreur qui invalide l’analyse ».

 

[49]           D’après TPCI, il était intrinsèquement injuste que M. Clapin préjuge de l’issue de l’évaluation réglementaire. À cause de l’opinion prédéterminée et bien ancrée de ce dernier, TPCI a été privée d’une audition équitable ou véritable devant un décideur impartial. Par ailleurs, TPCI déclare que le processus suivi par M. Clapin était contraire à celui décrit dans sa lettre du 23 août 2006, et donc contraire aux attentes légitimes de TPCI quant à la démarche que l’on allait suivre dans le cadre du processus de réexamen.

 

[50]           Pour déterminer si le processus de réexamen que M. Clapin a suivi en l’espèce a été inéquitable pour TPCI, il est tout d’abord nécessaire de savoir en quoi consiste l’obligation d’équité qu’avait M. Clapin envers TPCI, compte tenue de toutes les circonstances de l’espèce.

 

[51]           Une décision administrative qui classe une substance comme une « drogue sous forme posologique » pour l’application de la Loi sur les aliments et drogues et de son règlement d’application est à l’évidence une décision qui a une incidence sur les intérêts de TPCI. Dans ce contexte, l’obligation d’équité est engagée : voir Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643.

 

[52]           Cependant, la teneur de l’obligation d’équité varie, et l’étendue des obligations qu’assume un décideur à cet égard dépend du contexte législatif dans lequel la décision a été prise, de même que de la nature des droits touchés : Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 21 et 22.

 

[53]           Aux paragraphes 23 à 27 de l’arrêt Baker, la Cour suprême a dressé une liste non exhaustive de facteurs à prendre en compte au moment de déterminer le degré d’équité procédurale qui est exigé dans une affaire donnée :

1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir;

 

2) la nature du régime législatif et les « termes de la loi en vertu de laquelle agit l’organisme en question »;

 

3) l’importance de la décision pour les personnes visées;

 

4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;

 

5) les choix de procédure que l’organisme fait lui-même.

 

 

[54]           En l’espèce, le point en litige est une décision de nature réglementaire rendue à la suite d’un processus non décisionnel. Même si TPCI a, à maintes reprises, qualifié de [traduction] « audience » la réunion tenue le 5 juillet 2007 entre M. Clapin, des représentants de Santé Canada et des représentants de TPCI, un examen du dossier confirme que ce n’est pas une audience de type décisionnel qui a eu lieu, mais plutôt une discussion informelle, dans laquelle chaque partie a expliqué pourquoi elle croyait que c’était sa propre position qu’il fallait retenir.

 

[55]           Il est également utile de signaler que le juge Kelen a exprimé l’avis que TPCI était en droit de répondre aux préoccupations de Santé Canada au sujet de la question de la classification, mais qu’il n’a pas laissé entendre qu’il était nécessaire, dans le processus de réexamen, de tenir une audience officielle.

 

[56]           De plus, ni la Loi sur les éléments et drogues ni son règlement d’application ne prescrivent une procédure à suivre pour rendre une décision comme celle qui est en litige dans la présente affaire, ce qui signifie que les personnes qui sont chargées de prendre des décisions en matière de classification seront habituellement maîtresses de leurs propres procédures.

 

[57]           Il est indubitable que la classification réglementaire du Vancopak est importante pour TPCI, mais l’intérêt de la société dans cette affaire est de nature purement économique. À l’audition des présentes demandes, TPCI a fait valoir que le Vancopak était le seul produit de la société et que la décision de M. Clapin mettait en péril son existence même. Cependant, l’avocate de la société n’a pu relever aucune preuve dans le dossier qui étayerait cette prétention quand la Cour l’a invitée à le faire.

 

[58]           Par conséquent, les premier, deuxième, troisième et cinquième facteurs énumérés dans l’arrêt Baker donnent tous à penser que le processus de classification réglementaire ferait pencher la balance du côté de l’extrémité la moins rigoureuse de l’échelle de l’équité. En fait, cette conclusion concorde avec la décision du juge Kelen, qui a renvoyé l’affaire pour réexamen.

 

[59]           Pour être plus précis, l’ordonnance du juge Kelen donne à penser que Santé Canada devait à TPCI les éléments les plus fondamentaux de l’équité procédurale, soit le droit de connaître la preuve qu’elle devait réfuter, ainsi que la possibilité d’y répondre.

 

[60]           Pour ce qui est du quatrième facteur énoncé dans l’arrêt Baker, TPCI soutient qu’au vu du processus de réexamen établi par la lettre du 23 août 2006 de M. Clapin, elle s’attendait légitimement à ce que ce dernier ne rende aucune décision avant qu’elle ait eu l’occasion d’être entendue en personne. TPCI déclare que M. Clapin, en rendant une décision finale avant la réunion du 5 juillet 2007, a manqué à l’obligation d’équité procédurale qui lui était due.

 

[61]           Il convient de signaler que l’argument de l’attente légitime de TPCI repose sur le fait que la PRP du 13 février 2007 de M. Clapin est assimilable à une décision finale. Comme je le dirai plus loin dans les présents motifs, je ne suis pas convaincue que c’est le cas.

 

L’effet de la PRP du 13 février 2007 de M. Clapin

[62]           Comme il a été  mentionné plus tôt, TPCI déclare qu’il ressort d’un examen de la PRP de M. Clapin qu’en fait ce dernier avait déjà pris sa décision à propos de la classification à ce stade du processus.

 

[63]           Pour être plus précis, TPCI déclare que M. Clapin était bel et bien arrivé à une décision finale avant de lui donner la possibilité d’être entendue en personne. Ainsi, TPCI s’est vu privée d’une occasion valable de répondre aux préoccupations de M. Clapin lors des étapes procédurales qui ont lieu après cette date, dont, notamment, la réunion du 5 juillet 2007.

 

[64]           Par contraste, le défendeur soutient que la communication de la PRP du 13 février 2007 n’était rien de plus qu’une tentative de la part de M. Clapin pour préciser les observations ultérieures des parties sur les points qui, selon lui, étaient cruciaux pour la question de la classification et d’accorder aux deux parties tout le loisir d’y répondre.

 

[65]           Après avoir examiné avec soin la PRP du 13 février 2007 de M. Clapin ainsi que la décision du 27 février 2008 de ce dernier à propos de la situation réglementaire du Vancopak, je suis d’avis que M. Clapin n’avait pas préjugé de la question quand il a communiqué le document daté du 13 février 2007 et qu’il a gardé l’esprit ouvert au sujet des principaux points dont il était saisi jusqu’à ce qu’il rende sa décision finale en l’espèce.

 

[66]           En fait, je suis convaincue que la PRP n’était rien de plus qu’une tentative faite de bonne foi par M. Clapin pour se conformer à l’ordonnance du juge Kelen, à savoir qu’il fallait faire part à TPCI des préoccupations de Santé Canada et lui donner une occasion de répondre à ces dernières.

 

[67]           Cette vision des choses concorde avec le texte du document du 13 février 2007 lui-même, de même qu’avec la lettre de présentation l’accompagnant.

 

[68]           Dans la lettre datée du 13 février 2007 que M. Clapin a envoyée à l’avocate de TPCI, et à laquelle était jointe un exemplaire de sa [traduction] « Position réglementaire préliminaire » , il est écrit que M. Clapin avait terminé l’examen des documents que TPCI et Santé Canada avaient fournis relativement à la classification du Vancopak et qu’il était arrivé à une position préliminaire sur le sujet. M. Clapin mentionne ensuite ceci : [traduction] « À ce stade-ci, je crois qu’il est utile d’obtenir des commentaires additionnels des parties en cause afin de garantir que chacune ait toute possibilité de faire valoir sa position, ainsi que de répondre à toute nouvelle question soulevée dans mon évaluation préliminaire de la question de la classification ».

 

[69]           Dans sa lettre, M. Clapin fait ensuite référence à la réunion des parties qu’il avait proposée dans sa lettre du 23 août 2006, qualifiant cette réunion de [traduction] « dernière occasion pour les parties en cause de définir leurs positions sur la question de la classification ». Il explique qu’il faisait part aux parties de son évaluation préliminaire des questions en litige [traduction] « de façon à préciser la discussion » qui aurait lieu à cette réunion.

 

[70]           M. Clapin ajoute ensuite qu’il était disposé à ne pas tenir une réunion si TPCI pensait pouvoir faire part comme il faut de ses commentaires par écrit, ajoutant qu’il examinerait [traduction] « les autres documents que vous souhaiterez fournir avant qu’une décision finale soit prise sur la question de la classification ».

 

[71]           Il ressort donc très clairement de la lettre de M. Clapin que sa PRP du 13 février 2007 ne décidait rien du tout de manière définitive et qu’il acceptait de recevoir et d’examiner les autres observations que TPCI voudrait formuler.

 

[72]           Un examen de la PRP mène à une conclusion semblable. En fait, le titre du document lui-même indique que celui-ci était destiné à évaluer de manière préliminaire les questions en litige, et non pas à rendre une décision finale.

 

[73]           C’est ce qui ressort d’une lecture du tout premier paragraphe du document, où il est indiqué que ce dernier a pour but de [traduction] « présenter une position réglementaire préliminaire en vue de régler la question relative au Vancopak fabriqué par [TPCI] ».

 

[74]           Le paragraphe 1.3 de la PRP comporte ensuite la mention suivante : [traduction] « TPCI aura l’occasion de faire part de ses commentaires et de fournir les preuves qui, à son avis, peuvent invalider un aspect quelconque de la présente position réglementaire préliminaire », ajoutant que [traduction] « Santé Canada modifiera ce document, le cas échéant, avant de rendre une décision finale si TPCI peut démontrer qu’un aspect de la décision comporte une erreur de fait qui invalide l’analyse ».

 

[75]           Après une longue analyse des positions de chacune des parties, M. Clapin expose ensuite sa propre PRP. Il débute son analyse en indiquant, au paragraphe 5.2, ce qui suit :

[traduction

Les paragraphes qui suivent décrivent un principe général, ainsi que deux critères connexes, que l’on pourrait utiliser pour décider si le Vancopak est une « drogue sous forme posologique » ou non pour l’application du règlement. Ces énoncés sont une position réglementaire préliminaire émanant d’un haut fonctionnaire de Santé Canada [D. Clapin] qui n’a pas pris part à la décision contrôlée par le juge Kelen [dossier : T‑1603‑05], mais qui jouit d’une certaine expertise dans le domaine de la conformité des produits de santé à la Loi sur les aliments et drogues et à son règlement d’application. Il ne faudrait pas considérer ces énoncés comme une décision réglementaire finale de la part de Santé Canada, avant que le fabricant, TPCI, et d’autres autorités au sein de Santé Canada, aient eu la possibilité de réfuter le principe et les critères décrits ci-après. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[76]           M. Clapin indique donc qu’il a relevé un principe général et deux critères connexes qui pourraient servir à déterminer si le Vancopak est une « drogue sous forme posologique » ou non. Il ne laisse pas entendre que ce principe et ces critères seraient forcément utilisés pour répondre à la question qui lui a été soumise.

 

[77]           TPCI conteste particulièrement l’énoncé fait par M. Clapin au paragraphe 1.3 de la PRP, à savoir que [traduction] « Santé Canada modifiera ce document, le cas échéant, avant de rendre une décision finale si TPCI peut démontrer qu’un aspect de la décision comporte une erreur de fait qui invalide l’analyse ». D’après TPCI, cet énoncé montre que M. Clapin a entravé son propre pouvoir discrétionnaire en disant qu’il ne modifierait la [traduction] « décision » du 13 février 2007 que si TPCI pouvait montrer qu’il avait commis une erreur de fait dans son analyse.

 

[78]           Cependant, lorsqu’on examine la partie du paragraphe 5.2 de la PRP de M. Clapin qui a été cité plus tôt, il devient évident que M. Clapin était en fait ouvert à l’idée de recevoir des observations de TPCI, et ce, non seulement quant à l’exactitude du fondement factuel de sa décision, mais aussi à propos des principes et des critères qu’il devait appliquer pour décider si le Vancopak était bel et bien une « drogue sous forme posologique ».

 

[79]           M. Clapin analyse ensuite le principe et les critères qui, selon lui, pourraient servir à déterminer si le Vancopak est une « drogue sous forme posologique » ou non pour l’application du règlement. Dans le cadre de cette analyse, il signale ce qu’il décrit comme une [traduction] « préoccupation importante » que suscite la position de TPCI, à savoir que les pharmaciens ne sauraient pas si une erreur a été commise dans la fabrication du Vancopak avant de délivrer la substance à leurs clients.

 

[80]           M. Clapin conclut son analyse en affirmant que « [s]on opinion initiale » est que le produit Vancopak présente des caractéristiques physiques intrinsèques qui indiquent qu’il est une « drogue sous forme posologique » et qu’en outre il est vendu aux pharmacies sous une forme qui est « prête pour la consommation ». [Non souligné dans l’original.]

 

[81]           Compte tenu du libellé explicite de la PRP de M. Clapin, je ne puis souscrire à l’argument de TPCI selon lequel M. Clapin avait déjà pris une décision à propos de la classification en date du 13 février 2007, pas plus que je ne crois pas que l’on puisse raisonnablement inférer que M. Clapin a abordé l’esprit fermé la tâche d’arriver à une décision finale à cet égard.

 

[82]           Cette opinion se confirme par un examen de la décision réglementaire finale du 27 février 2008 de M. Clapin, qui révèle que celui-ci a examiné avec soin les observations ultérieures de TPCI. En fait, il est dit au paragraphe 1.3 de la décision que la justification donnée dans la PRP pour conclure que le Vancopak était une « drogue sous forme posologique » a été modifiée après un [traduction] « examen minutieux et approfondi » des observations ultérieures de TPCI.

 

[83]           Par ailleurs, même si la conclusion de M. Clapin selon laquelle le Vancopak était bel et bien une « drogue sous forme posologique » n’a pas changé, il est fait plusieurs fois référence dans sa décision finale aux observations intermédiaires de TPCI, et l’analyse a été modifiée afin de tenir compte de ces dernières.

 

[84]           À titre d’exemple, un tableau illustrant les étapes à suivre lors de la fabrication et de la délivrance du Vancopak a été modifié après la communication de la PRP de façon à refléter les commentaires ultérieurs de TPCI (voir le paragraphe 6.3 et la figure 1 de la décision finale de M. Clapin, par opposition à la figure 1 de la PRP).

 

[85]           De plus, le texte de la décision finale a été nettement remanié par rapport à celui qui se trouvait dans le document antérieur, et l’on note dans l’analyse des différences entre la PRP de M. Clapin et celle qui figure dans sa décision finale.

 

[86]           En conséquence, je ne suis pas convaincue que les circonstances ayant mené à la communication de la décision du 27 février 2008 de M. Clapin au sujet de la situation réglementaire du Vancopak, y compris la communication de sa PRP, étayent la conclusion voulant que M. Clapin ait préjugé de la question, ou qu’il ait limité sa capacité d’évaluer l’esprit ouvert les observations ultérieures de TPCI. Je ne suis donc pas persuadée que l’on a privé TPCI de l’équité procédurale dans le cadre du processus de réexamen.

 

Santé Canada a-t-il fait preuve de discrimination à l’égard de TPCI?

[87]           TPCI allègue que Santé Canada fait preuve de discrimination à son égard parce que d’autres sociétés présentes au Canada vendent à des pharmaciens des produits de chlorydrate de vancomycine sans être tenues par Santé Canada d’obtenir une DIN. Aux dires de TPCI, seul son Vancopak est soumis à un examen réglementaire, avec le résultat qu’on la traite d’une manière incompatible avec la Loi et le Règlement à l’égard d’une question de droit sur laquelle Santé Canada n’exerce aucun pouvoir discrétionnaire.

 

[88]           Citant la décision que la Cour a rendue dans Carpenter Fishing Corp. c. Canada, [1997] 1 C.F. 874 (1re inst.), ainsi que celle qu’a rendue la Haute Cour de Justice de l’Ontario dans Apotex Inc. c. Attorney General for Ontario et al. (1984), 47 O.R. (2d) 176, à la page 183, TPCI dit que cela équivaut à une discrimination illicite de la part de Santé Canada.

 

[89]           La question de la discrimination a été plaidée devant le juge Kelen, qui a fait remarquer qu’une demande de renseignements avait été formulée ou une plainte déposée au sujet de TPCI et que c’était pour cette raison-là que Santé Canada avait fait enquête sur la société et était arrivé à la décision qui se trouvait en litige devant lui : voir TPCI no 1, au paragraphe 29.

 

[90]           D’après le juge Kelen, le fait que Santé Canada ait demandé des renseignements ou formulé une plainte au sujet du Vancopak de TPCI ne voulait pas dire que cette dernière avait été victime de discrimination : voir TPCI no 1, au paragraphe 29.

 

[91]           TPCI a reconnu qu’aucun élément de preuve additionnel au sujet de la question de la discrimination n’a été soumis à M. Clapin dans le contexte du processus de réexamen et que le dossier relatif à cette question est identique à celui qui a été soumis au juge Kelen.

 

[92]           Cette question a déjà été tranchée en défaveur de TPCI. La décision du juge Kelen n’a pas été portée en appel et, cela étant, elle est définitive. Étant donné que la question qui m’est soumise est la même et que l’on a affaire aux mêmes parties, on pourrait dire que le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée interdit à TPCI de soulever de nouveau la question de la discrimination : voir Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, au paragraphe 25.

 

[93]           Cependant, comme ce n’est pas Santé Canada qui a avancé cet argument, je n’ai pas l’intention de régler la question de la discrimination sur ce fondement.

 

[94]           Pour ce qui est de l’argument de discrimination qu’invoque TPCI, M. Clapin a indiqué que Santé Canada avait donné les raisons pour lesquelles il avait conclu que le Vancopak était une « drogue sous forme posologique » et que, s’il existait sur le marché d’autres produits semblables au Vancopak qui n’étaient pas conformes au Règlement sur les aliments et drogues, Santé Canada entreprendrait, le cas échéant, les activités d’application et d’observation de la loi qui s’imposaient.

 

[95]           La preuve sur laquelle se fonde TPCI à l’appui de son argument de discrimination est extrêmement faible. TPCI a fourni des renseignements tirés des catalogues de concurrents qui vendent eux aussi du chlorydrate de vancomycine en portions de 5 grammes. Il y a aussi peu de preuves devant la Cour à propos de la situation réglementaire des sociétés concurrentes, et rien n’indique non plus si Santé Canada souhaite également réglementer leurs produits. En fait, la Cour n’a été saisie d’aucune preuve dénotant que TPCI est sur le même pied, du point de vue réglementaire, que ces autres sociétés.

 

[96]           Par contraste, dans la décision Apotex que TPCI a citée, la Cour était saisie d’une preuve évidente que Santé Canada avait traité une autre société d’une manière différente, car une date limite avait été strictement appliquée pour une société, et pas pour une autre.

 

[97]           Par ailleurs, il est indiqué dans la décision Carpenter que, pour qu’il y ait discrimination illicite dans le cadre d’un processus réglementaire, la conduite en question doit viser à favoriser un particulier ou à lui porter préjudice, sans égard à l’intérêt du public : voir Carpenter, au paragraphe 28, décision infirmée pour d’autres motifs par [1998] 2 C.F. 548.

 

[98]           Aucun mobile de ce genre de la part de Santé Canada n’a été établi en l’espèce, et il semble que le souci de Santé Canada était l’innocuité des médicaments que consomme le public canadien, ce qui constitue manifestement une question d’intérêt public.

 

[99]           Enfin, dans le contexte de procédures engagées en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, la Cour a statué dans les décisions Reddy-Cheminor Inc. c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 542 et Pharmascience Inc. c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1323, que, même si la cohérence au sein du processus réglementaire est un objectif admirable, elle ne peut prévaloir sur l’examen approprié de circonstances individuelles : voir Reddy-Cheminor, au paragraphe 35 et Pharmascience, au paragraphe 45.

 

[100]       Dans ces circonstances, je suis convaincue que M. Clapin a conclu avec raison que Santé Canada n’avait pas traité TPCI de manière discriminatoire.

 

M. Clapin a-t-il commis une erreur en décidant que le Vancopak est une « drogue sous forme posologique »?

[101]       Aux termes de l’alinéa 2a) de la Loi sur les aliments et drogues, une « drogue » inclut « les substances ou mélanges de substances fabriqués, vendus ou présentés comme pouvant servir : […] au diagnostic, au traitement, à l’atténuation ou à la prévention d’une maladie, d’un désordre, d’un état physique anormal ou de leurs symptômes, chez l’être humain ou les animaux ».

 

[102]       TPCI soutient que son Vancopak n’est pas une « drogue » au sens du Règlement, mais plutôt un « ingrédient pharmaceutique actif ». M. Clapin, ajoute-t-elle, a commis une erreur en omettant de faire une distinction entre un « ingrédient pharmaceutique actif » (IPA), comme le Vancopak, qui est vendu aux pharmaciens à titre de substance chimique brute à utiliser dans le cadre de la préparation de drogues, et les substances [traduction« prêtes à utiliser » qui sont vendues sous forme de « drogue » que les malades consomment directement.

 

[103]       Selon TPCI, il faut présumer que le législateur était au courant de l’existence d’IPA tels que le Vancopak, et du fait que les pharmaciens l’utilisent. Si le législateur avait voulu que le Règlement vise les IPA, il aurait utilisé une formule qui les englobait. Le fait de considérer que le mot « drogue » englobe les substances chimiques brutes telles que les IPA équivaudrait, selon TPCI, à faire abstraction de l’intention claire du législateur.

 

[104]       Je ne souscris pas aux observations de TPCI à cet égard. La définition législative d’une « drogue » est fort large et englobe les « substances » qui sont « fabriqué[s], vendu[s] ou présenté[s] comme pouvant servir […] au diagnostic, au traitement, à l’atténuation ou à la prévention d’une maladie, d’un désordre, d’un état physique anormal ou de leurs symptômes, chez l’être humain ou les animaux ».

 

[105]       Il ne fait aucun doute que le chlorydrate de vancomycine est une « substance ». De plus, le Vancopak de TPCI est « fabriqué, vendu ou présenté comme pouvant servir […] au diagnostic, au traitement, à l’atténuation ou à la prévention d’une maladie, d’un désordre, d’un état physique anormal ou de leurs symptômes, chez l’être humain […] ». Dans ce contexte, il ressort clairement d’une simple lecture de la loi que M. Clapin a conclu avec raison que le Vancopak est une « drogue » au sens de la Loi sur les aliments et drogues.

 

[106]       La question de savoir si le Vancopak est une « drogue nouvelle » assujettie au Règlement sur les aliments et drogues et pour laquelle il est nécessaire d’obtenir une DIN en vue de sa vente au Canada dépend du fait de savoir s’il s’agit d’une « drogue sous forme posologique ». Si le Vancopak n’est pas une « drogue sous forme posologique », mais plutôt une drogue préparée par un pharmacien conformément à une ordonnance, elle n’est pas assujettie au Règlement sur les aliments et drogues, mais plutôt à la réglementation provinciale régissant les pharmaciens : voir TPCI no 1, au paragraphe 26.

 

[107]       En fait, comme l’a signalé le juge Kelen dans sa décision, le législateur n’a pas encore légiféré sur la surveillance des ingrédients pharmaceutiques actifs utilisés dans la préparation de drogues : voir TPCI no 1, au paragraphe 27. Il a exprimé l’avis qu’il était urgent que le Canada réglemente les drogues vendues à titre d’ingrédients pharmaceutiques actifs, mais il ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si le Vancopak était effectivement une « drogue sous forme posologique ».

 

[108]       La question qui se pose consiste donc à savoir si la conclusion de M. Clapin selon laquelle le Vancopak est une « drogue sous forme posologique » pour l’application du Règlement sur les aliments et drogues est une conclusion qu’il lui était raisonnablement loisible de tirer au vu du dossier qu’il avait en main.

 

[109]       Aux termes du paragraphe C.01.005.(3) du Règlement, une « drogue sous forme posologique » est, en français : « […] une drogue prête pour la consommation sans autre transformation » ou, en anglais : « […] a drug in a form in which it is ready for use by the consumer without requiring any further manufacturing ».

 

[110]       Selon TPCI, M. Clapin a commis une erreur en concluant que le Vancopak est vendu en tant que médicament « prêt pour la consommation sans autre transformation », car  TPCI et les pharmaciens ne vendent jamais le Vancopak en poudre aux consommateurs.

 

[111]       TPCI affirme que l’ajout d’édulcorants, de stabilisateurs et d’autres excipients à la poudre de chlorydrate de vancomycine prémesurée vendue sous le nom de Vancopak constitue une étape de fabrication supplémentaire au cours de laquelle on transforme un produit chimique brut en un médicament propre à la consommation. Selon TPCI, en concluant que le Vancopak est une « drogue sous forme posologique », M. Clapin a erré en centrant son analyse sur l’agent initiateur de la transformation plutôt que sur la nature du procédé lui-même.

 

[112]       Par conséquent, la question essentielle est de savoir si les gestes que posent les pharmaciens avant de délivrer aux malades le Vancopak de TPCI sont assimilables à une autre « fabrication » ou « transformation » du produit. En concluant que le Vancopak est une « drogue sous forme posologique », M. Clapin a tenu compte de la nature du Vancopak, des mesures prises par TPCI pour fabriquer ce produit et de ce que les pharmaciens en font avant de le délivrer aux malades.

 

[113]       TPCI a admis que sa poudre de chlorydrate de vancomycine pouvait, en théorie, être dissoute au moins partiellement dans de l’eau stérile et être consommée sous cette forme par les malades. M. Clapin fait remarquer que la reconstitution dans l’eau n’est un acte réservé ni aux fabricants de médicaments, ni aux pharmaciens. De fait, certains médicaments qui sont disponibles sans ordonnance sont vendus sous forme de poudre préemballée et sont reconstitués après l’achat par les consommateurs eux-mêmes. M. Clapin en déduit que ces produits sont manifestement des « drogues sous forme posologique ».

 

[114]       Cependant, TPCI avance qu’on ne pourrait pas, dans les faits, reconstituer le Vancopak seulement dans de l’eau parce que la solution qui en résulterait aurait un goût désagréable. Pour que la solution ait un goût acceptable, il faudrait qu’un pharmacien y ajoute des ingrédients tels que des sucres et des aromatisants. D’autres ingrédients pourraient également être ajoutés afin de stabiliser la solution et d’inhiber la prolifération bactérienne ou fongique.

 

[115]       En réponse à une question de la Cour, l’avocat de TPCI a admis que les étapes suivies par le pharmacien avant de remettre une solution de Vancopak reconstituée à un malade n’augmentaient pas l’efficacité de la solution de chlorydrate de vancomycine ainsi obtenue dans le traitement des infections. Cependant, TPCI affirme que ces étapes intermédiaires permettent de faire en sorte que le produit puisse réellement être administré aux malades.

 

[116]       Signalant que ni le mot « fabrication » ni le mot « préparation » n’étaient définis dans la Loi sur les aliments et drogues ou dans son règlement d’application, M. Clapin a fait remarquer que certaines étapes mettant en cause des drogues, comme l’emballage, pouvaient être considérées comme une activité de « fabrication » ou de « préparation », suivant l’entité qui l’accomplissait.

 

[117]       M. Clapin a donc exprimé l’avis que, même si [traduction« c’est la nature de l’intervention des pharmaciens qui offre un moyen de faire une distinction entre […] la préparation [et] la fabrication » (décision du 27 février 2008, au paragraphe 8.3), on ne pouvait pas considérer uniquement la nature de l’activité pour déterminer si l’activité en question était de la « fabrication » ou de la « préparation ». Il fallait également tenir compte de l’identité de l’entité qui accomplissait l’activité en question.

 

[118]       M. Clapin a ensuite examiné avec soin les étapes suivies par TPCI dans la fabrication de son Vancopak, ainsi que par les pharmaciens au stade de la délivrance du médicament. Pour ce qui est des mesures prises par TPCI, M. Clapin a fait remarquer que c’est TPCI qui mesure la poudre de chlorydrate de vancomycine, qui la réemballe dans des contenants convenant à la reconstitution de la quantité prémesurée. La quantité de chlorydrate de vancomycine et la taille des contenants que vend TPCI correspondent aux besoins des pharmaciens, des médecins et des malades pour de nombreuses ordonnances.

 

[119]       M. Clapin a remarqué que cette activité détermine la quantité de substance médicamenteuse que l’on prévoit remettre à chaque patient. Selon M. Clapin, c’est cette activité effectuée par TPCI qui a fait passer le chlorydrate de vancomycine du statut « d’ingrédient médicinal actif » matière première au statut de « drogue sous forme posologique » prête à être utilisée par le pharmacien comme produit de départ d’une préparation en pharmacie et prête à être utilisée par les patients sans autre étape de transformation réalisée soit par le pharmacien, soit par le consommateur : décision du 27 février 2008, paragraphe 6.6.

 

[120]       Au yeux de M. Clapin, le fait que les pharmaciens doivent suivre un mode d’emploi fourni par le fabricant ne veut pas dire que le Vancopak n’est pas une « drogue sous forme posologique » au moment où il est vendu aux pharmaciens. Même si le produit ne donne pas une solution monodose, il était clair dans l’esprit de M. Clapin que le produit vendu l’est sous une forme qui permet expressément qu’une quantité prémesurée, préconditionnée soit délivrée pour une cure.

 

[121]       M. Clapin a indiqué qu’un élément clé de son analyse est le degré de contrôle qu’exercent les fabricants et les pharmaciens, respectivement, sur la dose de la substance médicamenteuse que l’on administre en fin de compte au malade. À son avis, si, par la conception du produit, un fabricant exerce un degré de contrôle important sur la quantité finale de la drogue administrée au patient conformément à une ordonnance, il s’ensuit que ce produit sera une « drogue sous forme posologique » : décision du 27 février 2008, aux paragraphes 9.2 et 9.3.

 

[122]       Dans ce cas, une unité de Vancopak contient une quantité prémesurée d’une substance médicamenteuse qui correspond à la dose type de chlorydrate de vancomycine qui est habituellement administré au malade. Cela étant, ce sont les mesures que prend TPCI qui déterminent la quantité de substance médicamenteuse que reçoit le malade. Les mesures intermédiaires que prennent les pharmaciens quand ils ajoutent des excipients ou des diluants à la drogue ne changent pas le fait que c’est le fabriquant qui a déterminé la dose totale délivrée à partir de l’unité de produit : décision du 27 février 2008, aux paragraphes 9.4 à 9.7.

 

[123]       M. Clapin a fait également remarquer que, si une erreur est commise dans la fabrication du Vancopak, les pharmaciens ne le sauraient pas à cause de la nature du produit, et il s’ensuivrait que les consommateurs courraient un risque : décision du 27 février 2008, au paragraphe 9.8. Il est vrai que les pharmaciens pourraient se fonder sur l’homologation, par la United States Pharmacopoeia (ou « USP »), du médicament à l’égard de la qualité et de la pureté de cette dernière, mais cette homologation ne donnerait aux pharmaciens aucune garantie sur d’autres aspects de l’innocuité du produit, comme l’exactitude du pesage de la poudre de chlorydrate de vancomycine par TPCI.

 

[124]       M. Clapin a donc conclu que le Vancopak [traduction« comporte des caractéristiques physiques intrinsèques qui dénotent qu’il s’agit d’une “drogue sous forme posologique” » : décision du 27 février 2008, au paragraphe 9.9.

 

[125]       M. Clapin a aussi fait remarquer qu’aucun autre cadre réglementaire n’offre un degré de protection équivalent à celui que procurent la Loi sur les aliments et drogues et son règlement d’application à l’égard de la fabrication de produits qui sont des « drogues sous forme posologique ».

 

[126]       TPCI soutient qu’en fait M. Clapin [traduction« a contredit le régime réglementaire régissant les drogues » en concluant que le Vancopak devait être une « drogue sous forme posologique » car, sans cela, il ne serait pas réglementé. TPCI souligne que le juge Kelen a déjà fait remarquer qu’il existe en fait une lacune dans le régime réglementaire.

 

[127]       Je ne crois pas qu’une lecture objective de la décision de M. Clapin étaye une telle conclusion. Ce dernier a interprété le Règlement en fonction de son objet, de façon à donner effet à l’objet du régime réglementaire, tel que décrit dans la décision Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général) (2002), 22 C.P.R. (4th) 345 (C.F. 1re inst.), c’est-à-dire : « protéger la santé du public en assurant un certain degré d’innocuité et d’efficacité des médicaments » : au paragraphe 24. Même si les commentaires faits par la Cour dans cette décision ont trait au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), la Loi sur les aliments et drogues et son règlement d’application jouent un rôle comparable.

 

[128]       TPCI soutient que la définition réglementaire d’une « drogue sous forme posologique » empêche qu’une tierce partie intervienne à l’égard du produit avant que celui soit délivré aux malades. En fait, le Règlement empêche toute autre fabrication de la part d’une tierce partie, mais pas nécessairement des formes d’intervention moindres.

 

[129]       M. Clapin a considéré que la nature de l’intervention des pharmaciens, qui ajoutent de l’eau stérile, des édulcorants et des stabilisateurs à la poudre de Vancopak, équivaut à des gestes fort simples, qui ne changement pas sensiblement le fait que c’est TPCI, dans le cadre de son processus de fabrication, qui détermine la dose totale de chlorydrate de vancomycine à partir d’une unité de Vancopak. Cette conclusion implique une recherche de faits de la part de M. Clapin, ainsi qu’un certain degré de connaissance des processus de préparation, de fabrication et de formulation pharmaceutiques que ne possède pas la Cour et, cela étant, il convient de lui accorder une déférence considérable.

 

[130]       TPCI n’a pas montré qu’il n’était pas raisonnablement loisible à M. Clapin, au vu des éléments de preuve que celui-ci avait en main, de tirer cette conclusion.

 

[131]       Par ailleurs, les pharmaciens n’ajoutent aucun ingrédient médicinal à la poudre de Vancopak, et rien ne donne à penser que les gestes quelconques que posent les pharmaciens relativement à la poudre de Vancopak ont une incidence sur l’effet thérapeutique de ce médicament.

 

[132]       La version anglaise du Règlement précise que, pour être une « drug in dosage form », la drogue en question doit être « ready for use by the consumer without requiring any further manufacturing ». Par contraste, la version française du Règlement exige que la drogue soit prête pour la consommation « sans autre transformation ». TPCI soutient que le mot « transformation » a un sens plus large que « manufacturing » (fabrication) et saisit de manière plus juste le sens ordinaire du terme.

 

[133]       Cet argument pose deux difficultés.

 

[134]       Premièrement, selon la règle du « sens commun » de l’interprétation législative, lorsque la version anglaise et la version française d’une disposition législative ne disent pas la même chose, c’est le sens commun aux deux qu’il convient d’adopter : voir Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. (Markham :  LexisNexis, 2008), à la page 100. Plus précisément, il convient de privilégier une interprétation qui concilie les deux versions car il est présumé que cette façon de faire reflète le travail d’un législateur rationnel : voir Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 3e éd., (Scarborough : Carswell Thomson Professional Publishing, 2000), aux pages 323, 324 et 349.

 

[135]       Par conséquent, dans la mesure où le mot « transformation » a un sens plus large que le mot « fabrication », c’est le sens commun, plus strict, du terme qu’il faut privilégier.

 

[136]       La seconde difficulté que pose l’argument de TPCI découle de la prétention de cette dernière selon laquelle le simple fait d’ajouter de l’eau à une poudre, ce qui « transforme » cette dernière en une solution, équivaut à une autre étape de fabrication. Si tel était le cas, des médicaments préemballés et disponibles en vente libre, comme le Bromo-Seltzer, ne seraient pas considérés comme des « drogues sous forme posologique », car la personne qui l’achète doit ajouter de l’eau à la poudre de Bromo-Seltzer avant de consommer le produit. TPCI a toutefois admis que des produits tels que le Bromo-Seltzer sont en fait des « drogues sous forme posologique ».

 

[137]       Pour ces motifs, je suis persuadée que la conclusion de M. Clapin selon laquelle le Vancopak de TPCI est une « drogue sous forme posologique », qui a besoin d’une DIN avant de pouvoir être vendue au Canada, appartient aux issues possibles acceptables qui peuvent se justifier au regard des faits et du droit.

 

Conclusion

[138]       Pour les motifs qui précèdent, les deux demandes de contrôle judiciaire de TPCI sont rejetées, avec dépens.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que les présentes demandes de contrôle judiciaire soient rejetées, avec dépens en faveur du défendeur.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                      T-459-07 ET T-712-08

 

INTITULÉ :                                       TECHNOLOGIES PHARMACEUTIQUES CANADIEN INTERNATIONAL (T.P.C.) INC. c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
et
 TECHNOLOGIES PHARMACEUTIQUES CANADIEN INTERNATIONAL (T.P.C.) INC. c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 18 FÉVRIER 2009

                                                            OBSERVATIONS ADDITIONNELLES REÇUES LES 13 ET 20 MARS 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE Mactavish

 

DATE DES MOTIFS

et du jugement :                       LE 7 AVRIL 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Martha Healey                                                                          POUR LES DEMANDERESSES

 

David Cowie                                                                               POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ogilvy Renault s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)                                                                      POUR LES DEMANDERESSES

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

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