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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20090326

Dossier : T-1903-07

Référence : 2009 CF 321

Ottawa (Ontario), le 26 mars 2009

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

 

KEVIN MARK WESTERHAUG

demandeur

et

 

LE SERVICE CANADIEN DU RENSEIGNEMENT DE SÉCURITÉ (le SCRS)

sous la responsabilité du

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un recours exercé en vertu de l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21 visant à faire réviser la réponse du Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) à la demande de communication de renseignements personnels en possession du SCRS faite par M. Westerhaug.

 

Contexte

[2]               Le 31 janvier 2006, M. Westerhaug a présenté une demande au SCRS, en vertu du paragraphe 12(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels (la Loi), en vue de se faire communiquer les renseignements personnels le concernant détenus par le SCRS et versés dans les fichiers de renseignements SRS PPU 015, SRS PPU 020 et SRS PPU 045.

 

[3]               Le SCRS a répondu par lettre, datée du 16 février 2006, dans laquelle il avisait M. Westerhaug que des recherches avaient été faites dans les trois fichiers et qu’aucun renseignement personnel le concernant n’avait été trouvé dans l’un ou l’autre des fichiers SRS PPU 015 ou SRS PPU 020. Quant au fichier SRS PPU 045, le SCRS a répondu de la façon suivante :

[traduction]

Le gouverneur en conseil considère ce fichier de renseignements personnels comme inconsultable au sens de l’article 18 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Si le type de renseignements décrits dans le fichier existaient vraiment, ils seraient visés par une exception prévue à l’article 21 (étant donné qu’ils se rapportent aux efforts de détection, de prévention ou de répression d’activités hostiles ou subversives du Canada, ou en vertu des alinéas 22(1)a) ou b) de la Loi.

 

[4]               M. Westerhaug a ensuite déposé une plainte auprès du Commissariat à la protection de la vie privée (le CPVP), conformément à l’article 29 de la Loi, concernant la réponse du SCRS. Il a écrit qu’il aurait été sous surveillance et victime d’atteinte à sa vie privée au cours des quinze dernières années, et que sa plainte visait à déterminer qui était responsable pour éliminer ceux qui n’avaient rien fait. M. Westerhaug a présenté des demandes semblables afin d’obtenir les renseignements personnels le concernant auprès d’un certain nombre d’organismes gouvernementaux et d’institutions réglementées.

 

[5]               Le CPVP a répondu le 14 septembre 2007. Dans sa réponse, il a indiqué que la plainte concernait la demande de communication de renseignements versés dans le fichier SRS PPU 045. Le CPVP avait confirmé antérieurement à M. Westerhaug que cette question était sa seule préoccupation. À l’audition de la présente demande, M. Westerhaug a tenté de soulever des questions autres que celle du refus du SCRS de communiquer des renseignements personnels versés au fichier SRS PPU 045. Ces autres questions ne peuvent être examinées par la Cour dans le cadre de la présente audience. L’article 41 de la Loi exige, avant qu’un recours en révision soit exercé devant la Cour, que la décision de refus soit d’abord examinée par le CPVP, et puisque la plainte déposée auprès du CPVP ne concernait que le fichier SRS PPU 045, il s’agit de la seule question pouvant être examinée par la Cour en l’espèce. De toute façon, il ressortait clairement des observations orales de M. Westerhaug que sa préoccupation principale était le refus de communiquer les renseignements le concernant versés au fichier SRS PPU 045.

 

[6]               Dans sa réponse du 14 septembre 2007, le CPVP a indiqué qu’il était convaincu, après avoir fait enquête, que la réponse du SCRC datée du 16 février 2006 respectait les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels. L’auteur de la réponse a écrit, après avoir examiné le dossier, qu’il était convaincu que [traduction] « si de tels renseignements existaient, on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’ils soient visés par au moins l’une des exceptions prévues à l’article 21 ou aux alinéas 22(1)a) ou b) ». L’auteur poursuit en informant M. Westerhaug de la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2000] 3 C.F. 589, qui confirme qu’une institution gouvernementale a le droit, en vertu du paragraphe 16(2) de la Loi, d’adopter comme politique générale de ne jamais faire état de l’existence de renseignements personnels concernant un demandeur dans un fichier de renseignements donné. Il fait également référence aux décisions de la Cour dans Ternette c. Solliciteur général du Canada, [1984] 2 C.F. 486 et Zanganeh c. Canada (Service canadien du renseignement de sécurité), [1989] 1 C.F. 244, qui confirment le droit d’une institution gouvernementale de ne pas confirmer ou nier l’existence de tels renseignements personnels et aussi que leur caractère secret ne contrevient pas à la Charte.

 

[7]               Insatisfait de cette réponse, le 2 novembre 2007, M. Westerhaug a présenté une demande à la Cour, en vertu de l’article 41 de la Loi, en vue de faire réviser la décision du SCRS telle qu’elle avait été présentée dans la lettre du 16 février 2006.

 

[8]               À la suite d’une requête présentée par le défendeur, la Cour a ordonné le 4 juillet 2008 que l’affidavit confidentiel supplémentaire de Nicole Jalbert soit déposé à la Cour à titre de document confidentiel, conformément à l’article 151 des Règles des Cours fédérales, et que la demande, en ce qui avait trait à l’affidavit confidentiel, soit entendue à huis clos afin que le défendeur puisse présenter des observations sur cet affidavit en l’absence de l’autre partie. Dans son affidavit public, souscrit le 9 juillet 2008, Nicole Jalbert indique au paragraphe 19 de son affidavit confidentiel, [traduction] « si de tels renseignements existent et, dans l’affirmative, pourquoi ils sont visés par une exception prévue aux articles 21 ou 22 de la Loi sur la protection des renseignements personnels ». Conformément à l’ordonnance rendue par le juge Campbell, une audience ex parte a été tenue à huis clos le 27 janvier 2009, à Ottawa, à seule fin de recevoir des observations relatives à l’affidavit confidentiel de Nicole Jalbert.

 

Question en litige

[9]               La présente demande découle de la volonté de M. Westerhaug d’obtenir la communication de renseignements détenus par le SCRS versés au fichier SRS PPU 045, à la condition que de tels renseignements existent effectivement. Ainsi, la question en litige dont la Cour est saisie est de savoir si le SCRS a commis une erreur en refusant de confirmer ou de nier l’existence de renseignements personnels dans ce fichier. M. Westerhaug a également soulevé la question de savoir si le SCRS a fait, dans ses fichiers, une recherche appropriée sur les renseignements personnels le concernant.

 

Analyse

Le SCRS a-t-il procédé à une recherche appropriée?

[10]           M. Westerhaug invoque une incohérence apparente dans les réponses fournies par le SCRS les 16 février 2006 et 3 janvier 2008, à l’appui de sa prétention selon laquelle le SCRS n’aurait pas procédé à une recherche appropriée et approfondie sur les renseignements personnels le concernant.

 

[11]           Dans sa lettre du 16 février 2006, concernant le fichier SRS PPU 020, le SCRS a écrit : [traduction] « nous avons fait une recherche dans ce fichier et n’avons trouvé aucun renseignement personnel vous concernant ». En réponse à une demande subséquente présentée le 29 octobre 2007 en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, le SCRS a répondu le 3 janvier 2008 de la façon suivante :

[traduction]

 

[…] veuillez prendre note que nous avons fait une recherche, en votre nom, dans le fichier de renseignements personnels SRS PPU 020 – Demande d’accès. Vous trouverez ci-joint une copie des renseignements à communiquer conformément au paragraphe 12(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Certains renseignements sont visés par une exception prévue à l’article 21 de la Loi (étant donné qu’ils se rapportent aux efforts de détection, de prévention ou de répression d’activités hostiles ou subversives du Canada).

 

 

[12]           Bien que la réponse du SCRS à cette demande subséquente présentée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne soit pas en cause devant la Cour dans la présente affaire, je suis prêt à accepter cet élément de preuve dans le seul but de déterminer si le SCRS a procédé ou non à une recherche appropriée et approfondie sur les renseignements personnels concernant le demandeur avant d’envoyer sa réponse du 16 février 2006.

 

[13]           L’édition 2006-2007 d’« Info Source », publiée conformément à l’article 11 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, décrit le fichier de renseignements personnels SIS PPU 020 de la façon suivante :

 

Ce fichier renferme des renseignements personnels sur des personnes qui ont présenté une demande officielle en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels ou de la Loi sur l’accès à l’information en vue d’obtenir des informations que le SCRS s’est procuré ou a préparé lui-même. Il contient également des demandes de consultation et de corrections, des annotations, des consultations, des communications d’informations, des plaintes, des documents préparés par la Cour, et d’autres documents relatifs au traitement de la demande.

 

 

[14]           La Cour est d’avis qu’il n’y a rien dans les réponses du SCRS qui laisse entendre que la recherche faite en 2006 n’était pas appropriée et approfondie.

 

[15]           La réponse du 16 février 2006, qui indiquait qu’aucun renseignement personnel concernant M. Westerhaug n’avait été trouvé dans le fichier en question, établissait, selon toute vraisemblance, que M. Westerhaug n’avait pas soumis antérieurement de demande en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels ou de la Loi sur l’accès à l’information qui aurait pu être à l’origine d’un dossier quelconque. Cependant, lorsque M. Westerhaug a déposé sa deuxième demande le 29 octobre 2007, une demande avait été soumise antérieurement – la demande et la réponse faisant l’objet du présent contrôle. Il n’est pas étonnant que les renseignements produits par la première demande puissent avoir été inscrits dans le fichier SIS PPU 020. On peut supposer que les renseignements dans ce fichier comprendraient la demande et la réponse de 2006, les documents relatifs à la présente instance, ainsi que les notes et les notes de service du personnel concernant la demande. En fait, si le SCRS avait répondu en 2007 qu’aucun renseignement ne se trouvait dans le fichier, on aurait alors fortement soupçonné qu’il n’avait pas procédé à une recherche approfondie en 2007. En somme, ces réponses ne présentent aucune incohérence ni motif permettant de supposer que la recherche de 2006 n’a pas été menée de manière appropriée.

 

Le SCRS a-t-il commis une erreur dans sa réponse?

[16]           Le juge Kelen a procédé à une analyse détaillée et approfondie de la Loi sur la protection des renseignements personnels et des fichiers inconsultables dans Cemerlic c. Canada (Solliciteur général), [2003] A.C.F. no 191, 2003 CFPI 133. Les deux parties se sont reportées à ce jugement.

 

[17]           L’article 16 de la Loi sur la protection des renseignements personnels permet à une institution gouvernementale d’adopter une politique de ne pas confirmer ou nier l’existence de renseignements dans un fichier inconsultable. Néanmoins, la Cour peut évaluer le caractère raisonnable de la décision de l’institution d’adopter une telle politique : Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2000] 3 C.F. 589 (C.A.F.), infirmé pour d’autres motifs dans [2002] 4 R.C.S. 3.

 

[18]           Dans l’arrêt Ruby, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’adoption d’une politique de non‑communication était raisonnable compte tenu de la nature du fichier en question, car le simple fait de révéler si l’institution détenait des renseignements sur une personne permettrait à l’appelant de savoir s’il avait fait l’objet d’une enquête ou non. Je suis d’accord avec cette conclusion. Si l’intérêt national exige de ne pas communiquer de renseignements à des personnes qui font l’objet d’une enquête, cela veut dire que l’intérêt national exige également de ne pas informer ces personnes du fait qu’elles font l’objet d’une enquête. L’une des conséquences malheureuses d’une politique générale de ce genre est que les personnes qui ne sont pas soumises à une enquête et qui n’ont rien à craindre d’une institution gouvernementale ne sauront jamais qu’elles ne sont pas soumises à une enquête. Néanmoins, et comme l’a souligné le juge Kelen, cette politique s’applique à tous les citoyens du pays, et même les juges de la Cour recevraient la même réponse que celle obtenue par M. Westerhaug et ne seraient pas en droit d’obtenir plus.

 

[19]           Je suis entièrement d’accord avec les motifs exposés par le juge Kelen dans Cemerlic qui portent sur le même fichier de renseignements que celui dont il est question en l’espèce. Le SCRS a agi de manière raisonnable en adoptant une politique générale de ne pas confirmer ou nier l’existence de renseignements dans le fichier SIS PPU 045.

 

[20]           Pour ces motifs, la demande doit être rejetée.

 

[21]           Le défendeur réclame les dépens dans la présente demande. Bien que la Cour ne soit pas indifférente à la situation dans laquelle le demandeur se trouve – estimant qu’il est surveillé mais sachant qu’il n’y a aucune raison qu’il le soit – les dispositions législatives applicables à la présente demande ont déjà été examinées en détail dans Cemerlic et réglées en grande partie. Le défendeur devrait donc avoir droit à ses dépens fixés par la Cour au montant de 500 $.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      La présente demande est rejetée.

2.      Le défendeur a droit à ses dépens fixés au montant de 500 $.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1903-07

 

INTITULÉ :                                       KEVIN MARK WESTERHAUG c.

LE SERVICE CANADIEN DU RENSEIGNEMENT DE SÉCURITÉ (le SCRS) sous la responsabilité du MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Saskatoon (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 février 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 26 mars 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kevin Mark Westerhaug

LE DEMANDEUR

pour son propre compte

 

Chris Bernier

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

S/O

 

 

LE DEMANDEUR

 auto-représenté

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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