Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20090316

Dossier : IMM-3327-08

Référence : 2009 CF 262

Ottawa (Ontario), le 16 mars 2009

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

MARIA DOLORES CANTO RODRIGUEZ

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue le 7 juillet 2008 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle la Commission a rejeté la demande de la demanderesse d’être déclarée réfugié au sens de la Convention ou personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

 

LE CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse soutient avoir fui le Mexique parce que son ex‑petit ami, Adrian, a menacé à plusieurs reprises de la tuer.

 

[3]               La demanderesse est une citoyenne du Mexique, elle est née le 1er novembre 1983 à Merida, dans l’État du Yucatan, au Mexique, où elle a grandi avec ses parents, ses deux frères et sa sœur aînés.

 

[4]               En 2002, la demanderesse a commencé des études en nutrition à l’Université du Yucatan, mais elle a abandonné après une session. En mars 2002, elle a trouvé un emploi en tant que vendeuse dans un Sears à Merida. Le 8 septembre 2002, elle s’est rendue au restaurant Eldios à Merida avec quelques amis du travail, où elle a fait la connaissance du gérant du restaurant, Adrian Vargas Rubio, qu’elle a commencé à fréquenter peu de temps après cette rencontre. En date du 3 mars 2003, ils formaient un couple.

 

[5]               En octobre 2003, Adrian a amené la demanderesse à une grande fête dans une maison particulière, où certaines personnes présentes étaient impliquées dans le trafic de stupéfiants, ce qui a rendu la demanderesse mal à l’aise et elle en a fait part à Adrian.

 

[6]               Le 18 décembre 2003, la demanderesse était à la fête de Noël organisée par Sears lorsque Adrian est arrivé et a dit à la demanderesse de partir avec lui. Ils se sont disputés et Adrian est devenu agressif. Il a forcé la demanderesse à monter dans sa camionnette sans que la demanderesse puisse ramasser ses affaires. Adrian a ensuite conduit sans but précis pendant une demi-heure avec la demanderesse tout en se disputant avec elle. Il ne la laissait pas partir et il a affirmé qu’il soupçonnait qu’elle voyait un autre homme. Il s’est arrêté dans un parc, a fait sortir la demanderesse de la camionnette et a continué de se disputer avec elle. Après un certain temps, il s’est calmé et a supplié la demanderesse de lui pardonner.

 

[7]               Le 5 février 2004, la demanderesse a dit à Adrian qu’elle voulait mettre fin à leur relation. Il a sorti un couteau et l’a tenu contre le cou de la demanderesse, puis il lui a fait une coupure.

 

[8]               Plus le temps passait, plus Adrian devenait possessif, jaloux, grossier et violent. En plus, il espionnait la demanderesse. À de nombreuses reprises, Adrian a violemment secoué la demanderesse. À une occasion, Javier Abreu, un ami en qui la demanderesse avait confiance, attendait à un arrêt d’autobus avec la demanderesse près du Sears lorsque Adrian est arrivé. Adrian a frappé l’ami de la demanderesse et l’a averti qu’il devait se tenir loin de la demanderesse, sans quoi, il lui arriverait malheur. Adrian a par la suite envoyé trois hommes agresser l’ami de la demanderesse.

 

[9]               Le 20 septembre 2005, Adrian a eu une crise de jalousie : il a fait échapper ce que la demanderesse tenait dans ses mains et l’a frappée au visage. La demanderesse, qui saignait du nez, a dit à Adrian que leur relation était terminée. Adrian a menacé de faire du mal à la demanderesse et à sa famille si elle le quittait. La demanderesse n’a pas parlé à Adrian pendant plusieurs jours, mais il s’est entêté jusqu’à ce qu’elle cède de nouveau.

 

[10]           La demanderesse a porté plainte contre Adrian à la police pour mauvais traitements, agression et blessure. Un agent de police s’est rendu à la maison d’Adrian et l’a informé des accusations et de l’enquête dont il faisait l’objet, ce à quoi Adrian a répliqué [traduction] « qu’il se contrefoutait de ce que cette vache avait fait [...] ». Adrian a poursuivi en disant « maudit chien sale de policier, j’ai des relations, t’as intérêt à sortir de ma maison si tu veux pas que je te mette en pièces comme cette vache et perdre ta job ». Le policier a signifié une assignation à Adrian avant de partir. Les renseignements présentés ne permettent pas de savoir s’il y a eu d’autres mesures prises par la police quant à cet incident.

 

[11]           Au cours de la première semaine de janvier 2007, la demanderesse a eu une autre grosse dispute avec Adrian et elle a arrêté de lui parler pendant quelques jours. Le jeudi 11 janvier 2007, Adrian a agrippé la demanderesse, qui s’en allait à la maison après son travail, et l’a fait monter de force dans son automobile. Il a tenu un couteau contre le cou de la demanderesse et a menacé de la tuer et de faire du mal à sa famille si elle ne renouait pas avec lui. Il l’a ramenée à la même maison où il y avait eu la fête avec les trafiquants de stupéfiants. Pendant deux jours, Adrian a gardé la demanderesse dans cette maison contre son gré.

 

[12]           Adrian s’est disputé avec la demanderesse et de la convaincre qu’elle devait encore l’aimer. Il l’a enfermée dans la maison, où il n’y avait aucun téléphone. La nuit venue, il a forcé la demanderesse à avoir des relations sexuelles avec lui, puis il l’a laissée dans une chambre verrouillée. Adrian ne s’est pas montré au cours de la journée, mais il est revenu le soir et s’est disputé avec la demanderesse et l’a encore forcée à avoir des relations sexuelles avec lui.

 

[13]           Le troisième jour, la demanderesse a commencé à acquiescer à ce qu’Adrian disait et elle a promis de lui pardonner et de ne parler à personne de ce qui s’était passé. Ils ont fait l’amour, et la demanderesse a prétendu que tout était normal. Plus tard ce jour-là, Adrian a reconduit la demanderesse à sa maison. La demanderesse n’a dit à personne où elle s’était trouvée parce qu’elle était traumatisée et honteuse. Elle a dit à sa famille qu’elle était restée chez une amie pendant quelques jours. En outre, elle ne pensait pas que sa famille la croirait, parce que tout le monde aimait Adrian.

 

[14]           Le 18 janvier 2007, la demanderesse a décidé qu’elle ne tolérerait plus Adrian; elle a fait ses bagages et s’est enfuie à Cancun en autobus. Elle a dit à sa mère qu’elle partait à Cancun, mais elle lui a fait promettre de n’en parler à personne. Adrian a proféré sa dernière menace en février 2007 par téléphone.

 

[15]           La demanderesse s’est rendue à Cancun et est demeurée dans un hôtel. Elle est restée à l’intérieur la plupart du temps de peur qu’Adrian ne vienne et ne la trouve, et elle communiquait avec sa famille par téléphone. Les membres de sa famille étaient inquiets et ont dit à la demanderesse qu’Adrian était également inquiet et la cherchait partout. Plusieurs amis de la demanderesse lui ont dit la même chose.

 

[16]           La demanderesse a parlé avec son amie, Mara Vivas Novelo, qui vivait à Merida, laquelle lui a dit qu’elle pourrait s’enfuir au Canada et présenter une demande d’asile sur le fondement de ses problèmes au Mexique. La demanderesse a vécu à Cancun pendant un mois. Elle a utilisé une partie des épargnes qu’elle avait accumulées alors qu’elle travaillait au Sears. Elle a acheté un billet d’avion et est arrivée à Toronto, le 1er mars 2007.

 

[17]           L’amie de la demanderesse lui avait donné le numéro de téléphone d’un certain Dante qui allait pouvoir l’aider à Toronto. La demanderesse ne savait pas comment présenter une demande d’asile ni qu’elle devait en principe le faire à l’aéroport. La demanderesse a téléphoné à Dante le jour suivant, et Dante l’a aidée en allant avec elle au bureau d’immigration à Etobicoke le 5 mars 2007, où elle a présenté une demande d’asile.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[18]           La Commission a rendu sa décision le 7 juillet 2008. La prétention de la demanderesse – selon laquelle elle avait la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger – a été rejetée par la Commission pour trois motifs : l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (la PRI), l’existence de la protection de l’État et l’absence de crédibilité.

 

[19]           Lors de l’audience relative à la demande d’asile, le président de l’audience a exercé son pouvoir discrétionnaire et a constitué un tribunal de trois commissaires. L’avocate de la demanderesse s’y est opposée, mais le président a estimé que, selon la politique de la Commission Constitution de tribunaux de trois commissaires - approche de la SPR entrée en vigueur le 23 janvier 2003, le président a le pouvoir de constituer un tribunal de trois commissaires pour toute affaire qui concerne la stratégie décisionnelle de la Commission. La constitution de tribunaux de trois commissaires vise la réalisation des objectifs relatifs à la stratégie décisionnelle de la Commission et est autorisée à des fins de formation. En l’espèce, la constitution du tribunal de trois commissaires a été autorisée à des fins de formation, et la Commission a estimé que ce n’était pas inapproprié.

 

La protection de l’État

 

[20]           La Commission a conclu que la demanderesse et son petit ami avaient vécu une relation marquée par la violence, « entrecoupée de périodes harmonieuses », de décembre 2003 jusqu’en janvier 2007.

 

[21]           La Commission a mis l’accent sur les réconciliations répétées de la demanderesse avec son petit ami : « Il est à noter que, durant sa relation instable avec l’agresseur, la demandeure d’asile finissait toujours par se réconcilier avec lui. »

 

[22]           La Commission a conclu que, lorsque la demanderesse avait porté plainte à la police quant à l’agression du 20 septembre 2005, la police avait pris des mesures. La police avait convoqué Adrian au poste de police pour qu’il réponde aux accusations qui avaient été portées contre lui, et, lorsque Adrian ne s’est pas présenté au poste malgré l’assignation, un agent de police s’est rendu chez lui pour donner suite à l’affaire. Cependant, la Commission a noté que « [l]a demandeure d’asile a déclaré qu’elle n’était pas satisfaite de la protection de la police ».

 

[23]           Au vu de récentes décisions rendues par la Cour fédérale, à savoir Mendez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 584, et Samuel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 762, la Commission a conclu qu’« il convient d’appliquer la norme relative au caractère adéquat et non la norme d’efficacité ».

 

[24]           La Commission a souligné que le Mexique est une démocratie dotée d’un régime politique et d’un appareil judiciaire qui fonctionnent. Le fardeau incombant à la demanderesse de réfuter la présomption de protection de l’État était lourd.

 

[25]           Selon la Commission, les mesures prises par la police par suite de la plainte de la demanderesse établissaient que la protection de l’État était adéquate. En outre, la Commission a conclu qu’« [i]l est à noter que la police n’avait pas à prendre d’autres mesures puisque la demandeure d’asile s’était réconciliée avec Adrian ».

 

[26]           La Commission a estimé que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État parce qu’elle n’avait pas fourni une « preuve claire et convaincante » de l’incapacité de l’État de la protéger : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, page 724.

 

[27]           La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas porté plainte à la police lorsqu’elle avait été enlevée et violée. La demanderesse a expliqué qu’Adrian avait des relations très influentes et qu’elle avait peur qu’il exerce des représailles contre elles. La Commission a rejeté cette explication parce que, malgré ces prétendues relations, la police avait tout de même délivré une assignation à Adrian et lui avait parlé lorsque la demanderesse avait porté plainte. 

 

[28]           La Commission a estimé que la protection de l’État n’avait pas besoin d’être parfaite pour être adéquate : Zalzali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 C.F. 605 (C.A.F.). La Commission a rejeté la prétention de la demanderesse selon laquelle le gouvernement du Mexique n’avait pas toujours offert une protection efficace aux personnes se trouvant dans une situation semblable. Le Mexique a le contrôle de son territoire, possède des autorités militaires, civiles et policières établies, et il déploie de sérieux efforts pour protéger ses citoyens; par conséquent, le fait que le Mexique n’est pas toujours capable de protéger ses citoyens ne signifie pas que la demanderesse ne pouvait bénéficier d’aucune protection de l’État : Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 (C.A.F.)

 

[29]           La Commission a conclu que la lettre rédigée par le médecin de la demanderesse, même si elle correspondait au témoignage de la demanderesse, n’établissait pas qu’elle avait été victime d’agressions : « Les déclarations de la demandeure d’asile sont conformes à l’exposé circonstancié de son FRP et à son témoignage oral en ce qui concerne les prétendues agressions, mais il n’y a aucun élément convaincant dans les conclusions du rapport permettant d’établir que la demandeure d’asile a été victime d’agressions. »

 

[30]           La Commission n’a accordé aucun poids à la lettre du médecin :

En outre, la seule évaluation clinique de la Dre Pilowsky, fondée sur son opinion professionnelle, est la suivante : il est vraisemblable que la demandeure d’asile, même si elle ne présente pas de symptômes importants, sur le plan clinique, permettant un diagnostic, souffrait de dépression et du syndrome de stress post-traumatique. Cette évaluation est fondée sur le récit des agressions de la demandeure d’asile, puisque les tests cliniques ne révèlent que peu de symptômes. Le tribunal ne considère pas ce document comme un élément de preuve convaincant attestant les allégations de violence familiale formulées par la demandeure d’asile. Le tribunal fait remarquer que, même si la demandeure d’asile a été interrogée par la Dre Pilowsky, le rapport de cette dernière ne confirme pas de façon satisfaisante ou convaincante que les expériences de la demandeure d’asile résultent des prétendues agressions formulées dans le cadre de sa demande d’asile. Il ne s’agit pas, pour le tribunal, d’un élément de preuve convaincant attestant que le médecin est en mesure d’affirmer catégoriquement que la demandeure d’asile est victime de violence familiale. Dans Rokni , un rapport psychiatrique versé en preuve « ne peut justifier toutes les lacunes du témoignage d’un demandeur d’asile ».

 

[31]           Vu le paragraphe 108(4) de la Loi, la Commission a également tenu compte de la déclaration de la psychologue de la demanderesse, selon laquelle la demanderesse pourrait subir des préjudices psychologiques et émotionnels si elle retournait au Mexique : 

Je compatis à la situation de la demandeure d’asile, qui résulte de son anxiété et de ses craintes. Par conséquent, j’ai tenté d’établir, en l’espèce, si des raisons impérieuses, tenant à des persécutions ou à des préjudices passés, pouvaient être établies en vertu du paragraphe 108(4) de la Loi. Puisque j’ai estimé que la demandeure d’asile avait accès à une protection de l’État, aucune raison impérieuse ne peut être invoquée. En outre, ma décision n’est pas fondée sur un changement de la situation de la demandeure d’asile depuis le départ de celle‑ci de son pays d’origine.

 

 

[32]           La Commission a conclu que le Mexique déployait des efforts sérieux pour s’attaquer au problème de la violence familiale, comme en témoignaient les lois et le cadre procédural. Elle a noté que la demanderesse ne s’était adressée à la police qu’à quelques reprises, et qu’il n’y avait aucune preuve selon laquelle la police avait refusé de la protéger. La Commission a mis l’accent sur le fait que la demanderesse s’était réconciliée avec Adrian à plusieurs reprises, « ce qui confirme qu’elle n’avait pas besoin de l’aide des autorités ».

 

[33]           La Commission a cité de nombreuses sources portant sur les mesures légales prises par le Mexique pour s’attaquer au problème de la violence familiale, et elle a conclu que la demanderesse n’avait pas réfuté, au moyen d’une preuve claire et convaincante, la présomption de protection de l’État.

 

[34]           La Commission a également tenu compte du témoignage donné par Guillermo Zepeda Lecouna, un professionnel associé au Centre de recherche sur le développement à Guadala-jara, au Mexique, où il coordonne le projet [traduction] « Les droits de la personne, la sécurité des citoyens et la justice pénale au Mexique ». M. Lecouna a exposé les difficultés auxquelles les victimes de violence familiale doivent faire face au Mexique. La Commission a noté que M. Lecouna, au paragraphe 7 de son affidavit, affirme que les juges rendent effectivement des ordonnances de protection contre les agresseurs. Cependant, la Commission a noté que la demanderesse n’avait jamais essayé d’obtenir d’ordonnances de protection contre Adrian :

Le tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve attestant que la demandeure d’asile n’a pas été exposée au monde extérieur. Elle possède plus qu’une instruction de base; elle occupait un emploi rémunérateur à titre de vendeuse; elle a échappé à Adrian et a vécu seule dans un hôtel de Cancun pendant un mois; et elle s’était déjà plainte à la police auparavant. Par conséquent, si la situation avait exigé la prise d’une mesure de protection, le tribunal ne voit pas comment la demandeure d’asile aurait pu ne pas en obtenir une.

 

 

[35]           Dans son affidavit, M. Lecouna met l’accent sur les délais d’obtention d’une ordonnance de protection, sur l’attitude de la police à l’égard de la violence familiale et sur d’autres obstacles bureaucratiques qui se présentent en cours de processus. Cependant, la Commission a noté que la demanderesse n’avait jamais essayé d’obtenir une ordonnance de protection. Même si la situation difficile vécue par les victimes de violence familiale « n’est pas parfaite », en l’espèce la Commission « accorde une valeur probante bien plus grande à la preuve documentaire qu’au témoignage de la demandeure d’asile concernant la protection offerte par l’État du Mexique » : Roman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1311 (C.F.). La Commission a affirmé privilégier la preuve tirée de sources indépendantes – parce qu’elle est impartiale – à celle de la demanderesse.

 

La possibilité de refuge intérieur

 

[36]           La Commission a demandé à la demanderesse si elle serait en sécurité dans le District fédéral ou à Mexico. La demanderesse a affirmé qu’Adrian a de nombreuses relations et qu’il pourrait la trouver peu importe où elle se cache.

 

[37]           Selon la preuve documentaire sur le District fédéral, la Commission était convaincue qu’il y avait des lois en vigueur qui protégeaient les victimes de violence familiale et qui leur fournissaient des recours. En outre, la Commission a conclu que l’expérience de travail de la demanderesse en tant que vendeuse était transférable et que la demanderesse pourrait se trouver un emploi dans le District fédéral. 

 

[38]           La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas cherché une PRI ailleurs au Mexique avant de s’enfuir au Canada : « Je suis fermement convaincu qu’il ne faut quitter à contrecœur son pays pour demander l’asile à l’étranger qu’en dernier recours, et que nul ne peut prendre cette décision sans avoir au préalable tenté, sans succès et en vain, de prendre d’autres mesures, par exemple en cherchant une PRI dans son propre pays. Cela n’est pas le cas en l’espèce. »

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[39]           La demanderesse a soulevé les questions en litige suivantes :

 

1.                  La Commission a-t-elle commis une erreur de droit dans son analyse de la protection de l’État et en particulier :

a.       a-t-elle omis de se pencher sur la question du caractère adéquat de la protection de l’État?

b.      a-t-elle utilisé de façon sélective des parties des documents portant sur la situation au pays?

c.       a-t-elle mal interprété le témoignage de la demanderesse quant aux efforts déployés par la demanderesse dans le passé pour bénéficier de la protection de l’État?

2.                  La Commission a-t-elle commis une erreur de droit dans son analyse relative à la PRI et en particulier :

a.     a-t-elle commis une erreur en n’accordant aucun poids au rapport psychologique?

b.    a-t-elle omis d’examiner la question de savoir si les mesures de protection offertes à Mexico étaient adéquates?

c.    a-t-elle mal interprété la preuve portant sur le fait que la demanderesse avait demeuré un mois à Cancun après avoir fui son ex-petit ami?

d.    a-t-elle négligé des éléments de preuve pertinents quant à la capacité de la demanderesse à vivre de façon anonyme à Mexico?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[40]           La demanderesse et le défendeur conviennent que la norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à la protection de l’État et à la PRI tirées par la Commission est la raisonnabilité.

 

[41]           Dans la décision Estrella c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 633, paragraphe 9, la Cour s’est penchée sur la question de la norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à la PRI :

La question dont il s’agit ici est de nature factuelle et entre dans la spécialisation de la Commission; sa décision commande donc une certaine retenue, ainsi qu’on peut le lire dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47 :

 

[…] La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

[42]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a reconnu que, bien que la décision raisonnable simpliciter et la décision manifestement déraisonnable constituent des normes de contrôle différentes d’un point de vue théorique, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples »; Dunsmuir, paragraphe 44. Par conséquent, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il y avait lieu de fondre ces deux normes contrôles en une seule : la « raisonnabilité ».

 

[43]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a également conclu qu’il n’était pas nécessaire d’effectuer l’analyse relative à la norme de contrôle dans chaque affaire. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à la question particulière soumise au tribunal de révision est bien établie par la jurisprudence, ce dernier peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque la recherche dans la jurisprudence s’avère infructueuse que la cour de révision doit tenir compte des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[44]           Par conséquent, à la lumière de l’arrêt Dunsmuir de la Cour suprême du Canada et de la jurisprudence de la Cour, je conclus que la norme de contrôle applicable aux questions de la protection de l’État et de la PRI est la raisonnabilité. Lorsque la norme de contrôle applicable à une décision est la raisonnabilité, l’analyse a trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »; Dunsmuir, paragraphe 47. Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

ANALYSE

 

[45]           Les questions déterminantes en l’espèce sont la protection de l’État et la PRI. Même si la Commission a estimé que la crédibilité était une question en litige, cela ne semble pas avoir joué un grand rôle dans sa décision.

 

[46]           La demanderesse affirme que la Commission a utilisé de façon sélective des parties de la preuve portant sur les efforts qu’elle avait déployés dans le passé pour essayer de bénéficier de la protection de l’État ainsi que des documents portant sur la situation au pays concernant l’existence de la protection de l’État au Mexique.

 

[47]           La Commission était clairement d’avis que, vu les faits de l’espèce, la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État. La demanderesse s’est bien adressée à la police concernant l’incident du 20 septembre 2005. Cependant, même si la demanderesse a déclaré qu’elle n’avait pas été satisfaite des mesures prises par la police, la Commission a conclu que la police avait bien pris des mesures et que la réaction rapide de la police établissait l’existence de la protection de l’État.

 

[48]           La demanderesse allègue qu’elle n’a pas porté plainte à la police quant à l’enlèvement et aux viols parce que l’agresseur avait des relations influentes qu’il aurait pu utiliser pour exercer des représailles contre elle.

 

[49]           En définitive, la Commission a estimé que la demanderesse aurait dû déployer plus d’efforts pour obtenir la protection de l’État, avant de demander l’asile au Canada.

 

[50]           La demanderesse affirme que la Commission a négligé de tenir compte de certains éléments de preuve dans ses conclusions relatives aux efforts déployés par la demanderesse pour obtenir la protection de la police, lesquels éléments de preuve établissaient clairement que les mesures prises par la police en réponse à la demande d’aide de la demanderesse étaient tout à fait inadéquates.

 

[51]           Il ressort nettement du dossier du Tribunal que la demanderesse a fourni une preuve claire selon laquelle, après avoir déposé sa plainte à la police, elle a fait un suivi et a appris qu’Adrian n’avait pas répondu aux avis qui lui avaient été envoyés, et qu’elle avait abandonné parce qu’elle recevait des appels téléphoniques d’Adrian, ce à quoi s’ajoutait l’apparente incapacité de la police à faire en sorte qu’Adrian lui réponde. Il l’appelait régulièrement trois fois par jour et la raillait en lui disant qu’elle ne serait jamais capable de lui faire quoi que ce soit et qu’elle devrait renouer avec lui sans quoi il allait lui faire du mal. La demanderesse a de toute évidence cru qu’elle n’avait pas d’autre choix dans sa situation, parce que les mesures prises par la police n’étaient pas efficaces. Elle a simplement abandonné et fait ce qu’elle devait faire pour être en sécurité.

 

[52]           Le sentiment de désespoir que ressentait la demanderesse face à la situation est corroboré par une lettre du 6 mars 2008 de Rosa Maria Orozco, qui a vu les agressions physiques et psychologiques que lui avait fait subir Adrian.

 

[53]           En outre, le profil d’Adrian, le type d’influence qu’il possède, ainsi que le mépris qu’il a pour la police sont clairement établis par la preuve.

 

[54]           Malgré cette preuve, la Commission a simplement décidé de mettre l’accent sur ce qu’elle a décrit comme étant « la réaction rapide de la police à la plainte de la demandeure d’asile », laquelle réaction « prouve que l’État assure une protection à ses citoyens ».

 

[55]           On ne peut douter des efforts déployés par la demanderesse pour faire un suivi et de l’inefficacité des mesures prises par la police à l’égard d’un agresseur influent et menaçant. En l’espèce, la Commission tente d’établir l’existence de la protection de l’État plutôt que de tenir compte de l’ensemble des faits qui ressort de la preuve.

 

[56]           On peut constater que la Commission a utilisé une approche semblable dans son traitement des documents portant sur la situation au pays. Dans les documents mêmes sur lesquels s’est fondée la Commission pour étayer ses conclusions relatives à la protection de l’État, il y a des passages qui mentionnaient des faits complètement différents des conclusions tirées par la Commission. En outre, il y a des éléments de preuve contradictoires dans des documents qui n’ont même pas été mentionnés par la Commission.

 

[57]           La Commission a également utilisé la même approche lorsqu’elle s’est penchée sur la PRI à Mexico. La Commission a effectué une analyse incomplète de la preuve, laquelle preuve révélait comment fonctionnait réellement l’appareil judiciaire dans le District fédéral en ce qui concerne les femmes maltraitées. Par exemple, la Commission disposait d’un affidavit de M. Francisco Rico‑Martinez, codirecteur du FCJ Refugee Centre (le Centre pour réfugié FCJ), qui s’était rendu au Mexique afin d’obtenir des renseignements expliquant l’augmentation du nombre de Mexicains venant au Canada demander l’asile. M. Rico-Martinez a fait état de ce qui se produit lorsqu’une femme se fait agresser à Mexico :

[traduction]

 

Le code criminel renferme diverses dispositions pénales générales qui pourraient s’appliquer dans les affaires de violence familiale. Les voies de fait et le viol, par exemple, constituent des infractions selon le code criminel général. Cependant, le code criminel contient de nombreuses notions archaïques et, dans les affaires de violence familiale, il est interprété de façon étroite par la police. Dans la plupart des situations, la police considère les menaces, les agressions et la violence en milieu familial comme n’étant pas de leur ressort. Si la police croit les allégations et est prête à aider la femme d’une façon quelconque, elle lui dira seulement de consulter le Bureau du ministère public, qui pourra la conseiller au sujet des lois en matière de violence familiale.

 

Habituellement, la police ne considèrera pas les affaires de violence familiale comme étant même valables d’un point de vue théorique à moins que la femme ne soit visiblement blessée et, même alors, la procédure suivie par la police n’est d’aucun secours. Par exemple, à Mexico, si une femme arrive à un poste de police manifestement ensanglantée et blessée, la police la dirigera vers le Bureau du ministère public ou le Service de surveillance en matière de prévention de la violence familiale. Dans ces deux organisations, une femme ne peut faire un signalement que pendant les heures de bureaux, ce qui constitue une contrainte qui dissuade les femmes victimes de violence familiale de faire un signalement. La procédure qui s’ensuit dissuade davantage les femmes à porter plainte.

 

Après qu’une femme a porté plainte au Bureau du ministère public ou au Service de surveillance en matière de prévention de la violence familiale de Mexico, le Service communique avec l’homme et l’invite à participer à une médiation avec la femme en présence d’employés du Service. On demande ensuite à l’homme de signer une entente dans laquelle il promet de ne plus agresser la femme. Comme le Service nous l’a appris, cette entente n’est pas exécutoire, ce qui signifie que les organisations ne portent aucune accusation contre un homme qui ne la respecte pas. Le Service doit attendre qu’il y ait, contre la femme, un geste posé qui pourrait être considéré par la police comme étant des voies de fait. Alors, si la femme revient au Service avec des éléments de preuve vérifiables par une analyse judiciaire établissant qu’il y a eu récemment voie de fait et qu’elle a été blessée, elle est dirigée vers le Ministère public pour qu’il y ait une enquête criminelle qui peut mener à des accusations criminelles. Cette procédure renferme un problème important : la femme peut être tuée ou grièvement blessée, car il n’y a aucun degré de protection intermédiaire ni aucune poursuite criminelle entre les menaces ou les voies de fait qui ont mené le Service à faire une médiation et les voies de fait causant des blessures récentes et prouvable.                                [Non souligné dans l’original.]

 

[58]           Bien entendu, la Commission n’a pas à accepter une telle preuve, mais je pense qu’il aurait été important qu’elle se penche sur cette preuve dans sa décision, ce qu’elle n’a pas fait en l’espèce.

 

[59]           Des réserves semblables découlent de l’analyse de la Commission quant à la possibilité que la demanderesse soit retracée ainsi que l’omission de la Commission d’examiner le rapport psychologique au regard de la situation au pays dans le cadre de son analyse relative à la PRI; voir Cartagena c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 289, paragraphes 10 et 11 ; Javaid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1730, paragraphes 7 et 8.

 

[60]           Autrement dit, au lieu de tenir compte de l’ensemble du dossier, la Commission donne à penser que la demanderesse n’a simplement pas déployé assez d’efforts pour réfuter la présomption relative à la protection de l’État ou pour bénéficier de la PRI dans un pays où, selon l’interprétation que fait la Commission de la preuve documentaire, les femmes victimes de violence qui se trouvent dans une situation semblable à celle de la demanderesse peuvent bénéficier de la protection de l’État.

 

[61]           La Commission a conclu comme suit : « Lorsqu’il analyse la question de la protection de l’État dans le contexte de la preuve documentaire, le tribunal estime que la demandeure d’asile n’a pas réussi à réfuter, à l’aide d’éléments de preuve clairs et convaincants, la présomption relative à la protection de l’État. » Mon interprétation de la décision eu égard au dossier est que la Commission n’a pas suffisamment examiné la preuve de la demanderesse au sujet de l’inefficacité des mesures prises par la police dans une situation où la demanderesse recevait quotidiennement des menaces proférées par un agresseur influent qui, en plus de vouloir faire du mal à la demanderesse, n’hésitait pas à menacer la police même. En outre, la Commission disposait d’une importante preuve contradictoire selon laquelle les femmes ne sont en général pas protégées par la police ou par l’appareil judiciaire pénal au Mexique ou même à Mexico; voir Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (C.F.); Huerta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2008 CF 586; Mendoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2008 CF 387.

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen;

2.                  qu’il n’y aucune question à certifier.

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3327-08

 

INTITULÉ :                                                   MARIA DOLORES CANTO RODRIGUEZ

                                                                        c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION                                                                                

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                             

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 27 JANVIER 2009

                                                           

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 16 MARS 2009

 

 

COMPARUTIONS :   

 

Pamila Bhardwaj                                              POUR LA DEMANDERESSE

                                 

Michael Butterfiled                                            POUR LE DÉFENDEUR

                               

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pamila Bhardwaj                                              POUR LA DEMANDERESSE

Avocate

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

                                                                             

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.