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Date : 20090319

Dossier : T‑1562‑07

Référence : 2009 CF 235

Ottawa (Ontario), le 19 mars 2009

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

ELI LILLY CANADA INC.

demanderesse

et

 

NOVOPHARM LIMITED et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

 

et

 

ELI LILLY AND COMPANY

 

défenderesse/brevetée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

[1]               La présente procédure a été intentée sous le régime des dispositions du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, modifié (le Règlement AC). La demanderesse cherche à faire interdire au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à la défenderesse Novopharm Limited à l’égard d’une version générique du médicament de chlorhydrate de raloxifène de la demanderesse jusqu’à l’expiration du brevet canadien no 2,250,191 (le brevet 191).

[2]               Par une procédure connexe simultanée (T‑1561‑07), la demanderesse cherche à faire interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à Novopharm Limited à l’égard de la version générique du même médicament jusqu’à l’expiration du brevet canadien no 2,150,399 (le brevet 399).

 

[3]               Une troisième procédure mettant en cause les mêmes parties concernant le même médicament, dossier no T‑1563‑07, a été ajournée sine die par ordonnance de la protonotaire Tabib, datée du 6 janvier 2009 et elle n’est aucunement pertinente quant à la présente procédure. On m’a informé que la présente procédure visait le brevet canadien no 2,101,356 qui faisait l’objet de ma décision dans une autre affaire dont la référence est 2008 CF 142 et qui est actuellement frappée d’appel.

 

[4]               Par les motifs qui suivent, je conclus que la présente demande doit être rejetée avec dépens en faveur de Novopharm. Les présents motifs ont été présentés de manière confidentielle aux parties le 4 mars 2009. Les parties ont eu la possibilité d’indiquer si des modifications devaient être apportées à la version publique présentée maintenant. Elles ont indiqué qu’aucune modification n’était nécessaire. J’ai apporté quelques corrections orthographiques aux paragraphes 22 et 25.

 

parties

[5]               La demanderesse Eli Lilly Canada Inc. (Lilly Canada) a reçu du ministre de la Santé (le ministre) un avis de conformité à l’égard d’un médicament contenant du chlorhydrate de raloxifène sous forme de comprimés de 60 mg. Elle commercialise ce médicament au Canada sous la marque EVISTA, DIN (numéro d’identification du médicament) 02239028. Ce médicament est utilisé dans le traitement et la prévention de l’ostéoporose. Le Règlement AC désigne cette partie comme étant la « première personne ».

 

[6]               La défenderesse Novopharm Limited (Novopharm) a signifié à Lilly Canada un avis d’allégation indiquant qu’elle avait l’intention de commercialiser une version générique de ces comprimés de 60 mg contenant du chlorhydrate de raloxifène et qu’elle cherchait à obtenir un avis de conformité du ministre pour ce faire en présentant une présentation abrégée de drogue nouvelle (la PADN) dans laquelle le produit de Lilly Canada était mentionné. Le Règlement AC désigne cette partie comme étant la « deuxième personne ».

 

[7]               Le ministre défendeur est chargé de l’application du Règlement AC et de la délivrance d’un avis de conformité, le cas échéant.

 

[8]               La défenderesse Eli Lilly and Company Limited (Lilly US) est la titulaire du brevet 399 et est une partie à la présente procédure conformément au paragraphe 6(4) du Règlement AC.

 

Brevet en cause

[9]               Le brevet canadien no 2,250,191 (le brevet 191) est le brevet en cause. La demande de ce brevet a été déposée auprès du Bureau canadien des brevets le 10 mars 1997 en vertu des dispositions du Traité de coopération en matière de brevets (le PCT). Ainsi, le brevet est régi par les dispositions de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, dans la version reflétant les modifications du 1er octobre 1989. Ces dispositions peuvent être désignées comme la nouvelle Loi sur les brevets.

[10]           La demande du brevet 191 a été soumise à l’inspection publique le 2 octobre 1997. Cette date est importante pour l’interprétation du brevet. La demande du brevet porte revendication de priorité sur la base de demandes déposées auprès du United States Patent Office le 26 mars 1996 et le 4 avril 1996. Le brevet 191 expirera 20 ans après la date du dépôt de la demande au Canada, c’est‑à‑dire le 20 mars 2017. Le brevet 191 a été délivré et accordé le 15 octobre 2005. Cette date n’est pas particulièrement importante aux fins de la présente procédure, si ce n’est pour indiquer que le brevet a été délivré et accordé.

 

[11]           En général, et sous réserve d’une analyse ultérieure, le brevet vise la taille des particules d’un composé connu sous le nom de raloxifène et ses sels, tels que le chlorhydrate de raloxifène (le HCl). Ces composés servent notamment au traitement de l’ostéoporose. Il est dit qu’un bon choix de la taille des particules est avantageux à la fois pour la biodisponibilité et le contrôle du procédé de fabrication.

 

PREUVE

[12]           Dans la présente procédure, la preuve a été produite, comme il est d’usage pour les demandes devant la Cour, sous forme d’affidavits, de pièces jointes à des affidavits, de transcriptions de contre‑interrogatoires et de pièces à ces contre‑interrogatoires. Dans le cadre de la présente procédure, une ordonnance de confidentialité a été prononcée le 15 octobre 2007. J’ai prononcé une ordonnance supplémentaire concernant certains éléments de preuve qui doivent demeurer confidentiels.

 


[13]           La demanderesse a produit les affidavits des témoins suivants :

·        Mme Rubina Luebke, spécialiste des affaires réglementaires à la société de la demanderesse. Elle a fourni des renseignements concernant l’approbation du produit EVISTA de la demanderesse et a produite en preuve certains renseignements sur le produit que la demanderesse a soumis à Santé Canada.

·        M. Robert O. Williams III, professeur de pharmacie au College of Pharmacy à l’Université du Texas. Il s’est dit spécialiste de l’optimisation de la mise au point de formules et de l’administration de petits composés organiques, de peptides et de protéines au moyen de technologies variées. Il a témoigné sur la question de la validité.

·        Mme Dianne Azzarello, pharmacienne. Elle est versée dans la rédaction et le dépôt de présentations de drogue nouvelle. Elle a constitué sa propre société et ses activités portent sur le dépôt de présentations de drogues nouvelles et de présentations abrégées de drogues nouvelles auprès de Santé Canada. Elle a formulé des observations concernant certaines parties de l’avis d’allégation de Novopharm et la présentation de drogue nouvelle de la demanderesse à l’égard de son produit EVISTA.

·        Me Mark Feldstein, avocat américain autorisé à pratiquer devant le US Patent and Trademark Office; il est employé par le cabinet d’avocats Fennegan Henderson, à Washington. Ce cabinet représente la défenderesse Lilly US dans un contentieux  devant les tribunaux des États‑Unis contre une société appelée Teva. Teva fournirait à Novopharm des échantillons de produits qui ont été fabriqués dans le cadre de la procédure contentieuse aux États‑Unis. Me Feldstein a témoigné à ce sujet.

·        Mme Amy Ganden, directrice de laboratoire adjointe de Particle Technology Labs Ltd. (PTL). Ce laboratoire a analysé les échantillons fournis par Me Feldstein. Elle a fourni un rapport sur les résultats.

·        M. David E. Bugay, directeur général d’Aptuit Consulting. Il se spécialise dans l’analyse de substances à l’état solide, particulièrement des substances de produits pharmaceutiques et les formes posologiques. Son témoignage concernait la question de la contrefaçon dans son affidavit principal. Il a produit un affidavit supplémentaire en réponse concernant des questions soulevées par M. Biggs, un témoin de Novopharm, sur la question de la contrefaçon.

 

[14]           M. Williams, Mme Ganden et le M. Bugay ont tous trois été contre‑interrogés.

 

[15]           La défenderesse a produit les affidavits des témoins suivants :

·        Mme A. Louise McLean, technicienne juridique au cabinet des avocats de Novopharm. Elle a produit une copie de l’avis d’allégation et des copies des documents qui y sont mentionnés. Elle a produit un deuxième affidavit concernant la livraison de certains échantillons de Teva.

·        M. Isador Kanfer, professeur à la faculté de pharmacie de l’Université Rhodes, en Afrique du Sud, auteur et éditeur de manuels concernant les médicaments, tous dans les domaines de la biodisponibilité, de la dissolution et de l’absorption des médicaments. Il a traité de questions concernant la validité.

·        M. Mali Kadosh, directeur de projets de Teva, en Israël. Son témoignage concernait l’envoi de certains échantillons à Mme McLean, nommée ci‑dessus.

·        Mme Shirley Zhao, chimiste analytique à Dalton Pharma Services. Son témoignage concernait l’analyse de certains échantillons fournis par Mme McLean, nommée ci‑dessus.

·        M. Simon Biggs, professeur de science des particules et d’ingénierie à l’Université de Leeds, Royaume‑Uni. Ses travaux sont consacrés notamment à la mesure de la taille des particules, leur caractérisation et leur analyse. Son témoignage concernait la question de la contrefaçon. M. Biggs a fourni un autre affidavit en surréplique.

 

[16]           M. Kanfer, Mme Zhao et le M. Biggs ont tous trois été contre‑interrogés.

 

[17]           Le ministre n’a produit aucun élément de preuve et n’est pas intervenu activement dans à la présente procédure. Lilly US n’a pas participé activement à la présente procédure. Je suppose que Lilly Canada veillait à ses intérêts.

 

[18]           Je retiens les observations qu’a faites le juge Harrington, de la Cour, dans la décision Lundbeck Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2009 CF 146; au paragraphe 74, il a noté que nous ne disposons pas de témoignages rendus de vive voix ni même de [traduction] « grands experts » dans des procédures comme celle‑ci : nous n’avons que des paroles sur papier. Sauf dans les cas les plus exceptionnels, le juge n’est pas en mesure de dire si certains témoins étaient évasifs, s’exprimaient de manière partiale ou suivaient les directives des avocats en vue d’inciter la Cour à avoir une piètre opinion du comportement des témoins de l’autre partie. J’ajoute ma voix à ceux qui prêchent dans le désert pour que des améliorations soient apportées au processus.

Questions en litige

[19]           La présente procédure soulève deux questions : la validité et la contrefaçon du brevet 191. En ce qui a trait à la validité, deux motifs sont invoqués :

a.       l’évidence;

b.      l’absence d’utilité.

 

[20]           Novopharm a invoqué un autre motif quant à la validité, soit le double brevet. Ses avocats ont indiqué à l’audience que ce motif ne serait plus invoqué.

 

[21]           Novopharm a également allégué que son produit ne contreviendra pas aux revendications du brevet 191. Sur cette question, certains éléments de preuve ont été produits et demeureront confidentiels. À l’audience, les avocats des parties ont admis que le produit de Lilly Canada était visé par au moins certaines revendications du brevet 191 et ils ont admis que la revendication 7, qui vise une utilisation particulière du produit, n’est pas pertinente relativement à la présente procédure.

 

CHARGE de la preuve

[22]           La question de savoir à qui incombe le fardeau de la preuve dans les instances relatives à un AC, lorsque la question de la validité d’un brevet ou de la contrefaçon d’un brevet est en cause est une question que je croyais résolue. Néanmoins, les parties à ces instances continuent à débattre la question. Il semble que la décision que j’ai récemment rendue dans Brystol‑Myers Squibb Canada Co. c. Apotex Inc., 2009 CF 137, ait donné de nouvelles munitions à ceux qui souhaitent sans cesse revenir sur le sujet. Je tiens à affirmer catégoriquement que dans la décision Brystol‑Myers je n’ai pas eu l’intention d’écarter l’enseignement de mes décisions antérieures en ce qui concerne la charge de la preuve.

 

[23]           Pour être tout à fait clair, lorsqu’il s’agit de la charge de la preuve quant à l’invalidité, j’ai passé en revue la jurisprudence, plus particulièrement les arrêts récents de la Cour d’appel fédérale, et la décision Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2008), 69 C.P.R. (4th) 191, 2008 CF 11, j’ai conclu comme suit au paragraphe 32 :

32 À mon avis, la décision de chacune des deux formations de la Cour d’appel fédérale n’est pas substantiellement divergente. Le juge Mosley de la Cour a concilié ces deux décisions dans les motifs qu’il a énoncés dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., [2007] A.C.F. no 1271, 2007 CF 971 (aux paragraphes 44 à 51). Certains éléments, formulés comme suit, sont requis lorsque sont soulevées des questions de validité d’un brevet :

 

1. La seconde personne peut, dans son avis d’allégation, soulever un ou plusieurs motifs pour faire valoir l’invalidité.

 

2. La première personne peut, dans son avis de demande déposé auprès de la Cour, lier contestation à l’égard d’un ou de plusieurs de ces motifs.

 

3. La seconde personne peut produire une preuve pendant l’instance devant la Cour pour étayer les motifs à l’égard desquels a été liée contestation.

 

4. La première personne peut, à ses risques, se fier simplement sur la présomption de validité prévue par la Loi sur les brevets ou, si elle est plus prudente, présenter sa propre preuve quant aux motifs d’invalidité mis en cause.

 

5. La Cour apprécie la preuve. Si la première personne se fie uniquement sur la présomption, la Cour va malgré cela apprécier la solidité de la preuve produite par la seconde personne. Si cette preuve n’est pas concluante ni pertinente, la présomption prévaudra. Si les deux parties produisent une preuve, la Cour appréciera la preuve et tranchera la question selon la norme habituelle de la prépondérance des probabilités.

 

6. Si la preuve de l’une et l’autre partie s’équivaut à l’étape 5 (ce qui est rare), le requérant (la première personne) n’aura pas réussi à démontrer l’absence de fondement de l’allégation d’invalidité et n’aura pas droit à la délivrance de l’ordonnance d’interdiction sollicitée.

 

[24]           J’ai formulé la question plus succinctement dans Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 500, au paragraphe 12 :

12 La seule question qui se pose en l’espèce est la validité. Pharmascience a soulevé trois arguments à cet égard. Pfizer et Pharmascience ont toutes deux présenté des éléments de preuve et fait des observations sur ces points. Au bout du compte, il me faut trancher l’affaire selon la prépondérance de la preuve, en me fondant sur les éléments de preuve dont je dispose et sur le droit actuellement en vigueur. Si, au vu des éléments de preuve, je conclus que l’affaire s’équilibre, il me faudra conclure que Pfizer n’a pas établi que l’allégation de Pharmascience est injustifiée.

 

[25]           Les décisions précitées fixent, correctement à mon avis, l’état du droit relativement àa la charge de la preuve dans les procédures relatives à un AC en ce qui a trait à la question de l’invalidité.

[26]           En ce qui concerne la contrefaçon, le droit est bien fixé : lorsqu’un fabricant de médicaments génériques a allégué la non‑contrefaçon, la déclaration qu’elle fait à cet égard dans son avis d’allégation est présumée vraie. La demanderesse (la première personne) a la charge de prouver, selon la prépondérance des probabilités, à la Cour que les allégations de non‑contrefaçon ne sont pas justifiées. Soulever simplement la possibilité de contrefaçon n’est pas suffisant. La Cour d’appel fédérale s’est clairement exprimée à ce sujet dans son récent arrêt Novopharm Limited c. Pfizer Canada Inc. (2005), 42 C.P.R. (4th) 97, 2005 CAF 270, aux paragraphes 19, 20 et 24 :

19 Dans Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien‑être social) (1995), 64 C.P.R. (3d) 450 (C.A.F.), le juge Hugessen a examiné le fardeau de preuve qui incombe au fabricant de médicaments génériques en vertu du Règlement. Il a fait siens les motifs du juge de première instance, qui a décrit le fardeau en ces termes :

 

[...] les motifs qui poussent le titulaire du brevet à contester l'avis d'allégation du fabricant de médicaments génériques devraient être énoncés dans l'avis de requête introductive d'instance qui est déposé en application de l'art. 6(1) du Règlement. [...] Le fabricant de médicaments génériques peut ainsi être informé des motifs de l'opposition du titulaire du brevet et de la raison pour laquelle une ordonnance d'interdiction visant à empêcher la mise en marché de ses produits devrait être rendue. Initialement, c'est‑à‑dire devant le ministre, le fabricant de médicaments génériques a eu l'occasion de soulever la question de la non‑contrefaçon. À l'étape actuelle, devant la Cour, le fabricant a maintenant la possibilité de produire des éléments de preuve appuyant son énoncé détaillé. Voilà, essentiellement, la charge de présentation qui incombe à la partie intimée.

 

(Voir Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien‑être social) (1995), 60 C.P.R. (3d) 328, aux pages 339 et 340 (C.F. 1re inst.), le juge Wetston)

 

20 À mon avis, cet énoncé demeure valable. Lorsque l'avis d'allégation est jugé suffisant, comme en l'espèce, le fardeau ultime incombe clairement à Pfizer, c'est‑à‑dire qu'il appartient à cette dernière d'établir, selon la prépondérance de la preuve, que les allégations formulées dans l'avis d'allégation ne sont pas justifiées. Novopharm n'a aucune obligation de fournir des éléments de preuve au soutien des allégations figurant dans son avis d'allégation et dans son énoncé détaillé (voir AB Hassle 2, au paragraphe 35). En conséquence, il suffisait à Novopharm de fournir des éléments de preuve au soutien de son énoncé détaillé afin de réfuter, au besoin, la preuve fournie par Pfizer dans le cadre de l'instance en interdiction.

 

[...]

 

24 Pour je ne sais quelle raison, Pfizer a décidé de s'en remettre aux seules spéculations du Dr Munson dans la présente instance. Le droit est bien établi sur ce point, c'est‑à‑dire qu'il ne suffit pas à Pfizer de soulever une simple possibilité de contrefaçon pour s'acquitter de son fardeau de preuve en vertu de l'article 6 (voir Glaxo Group Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien‑être social) (1998), 80 C.P.R. (3d) 424 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 9). En s'appuyant uniquement sur le témoignage du Dr Munson, Pfizer n'a pas satisfait à son obligation de prouver que l'énoncé d'allégation de Novopharm n'était pas justifié.

 

Interprétation des revendications

[27]           La Cour suprême du Canada a statué que la Cour doit tout d’abord interpréter les revendications en cause avant de passer à l’examen des questions relatives à la validité et à la contrefaçon de celles-ci, et ce, dans le but de cerner ce que l’inventeur jugeait essentiel dans les revendications. Cette interprétation doit être téléologique, par souci d’équité à la fois envers le breveté et le public, comme l’indique le juge Binnie, s’exprimant pour la Cour suprême dans l’arrêt Whirlpool Inc. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067 :

 

43 Dans des poursuites en matière de brevet, la première étape consiste donc à interpréter les revendications. L’interprétation des revendications précède l’examen des questions de validité et de contrefaçon.

[…]

 

45 L’interprétation téléologique repose donc sur l’identification par la cour, avec l’aide du lecteur versé dans l’art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l’inventeur, constituait les éléments « essentiels » de son invention.

 

[28]           La date d’interprétation du brevet 191 pertinente, puisqu’il s’agit d’un brevet relevant de la « nouvelle » Loi sur les brevets, est celle de la publication de celui-ci, soit le 2 octobre 1997. La Cour doit l’interpréter, en examinant les revendications au regard de cette date, sous l’angle de la personne versée dans l’art, à l’aide, si nécessaire, de témoignages d’experts concernant la signification de certains termes et les connaissances que la personne versée dans l’art est censée posséder. La Cour doit tenir compte de l’ensemble de la divulgation du brevet et des revendications. Là encore, on compte plusieurs décisions enseignant ce principe, notamment l’arrêt de la Cour d’appel fédérale rendu par la juge Sharlow dans l’affaire Novopharm Ltd. c. Janssen‑Ortho Inc., 2007 CAF 217, au paragraphe 4. (Il y a lieu de souligner que le brevet en cause dans cette affaire était un brevet visé par l’ancienne Loi sur les brevets et, par conséquent, la date d’examen pertinente était différente.) :

4 Chaque fois que la validité ou la contrefaçon d'un brevet est en question, il y a nécessité d'interpréter la revendication : Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 S.C.R. 1067, au paragraphe 43. La date pertinente pour l'interprétation du brevet 080 est la date de sa délivrance, soit le 23 juin 1992. Il faut comprendre le brevet comme destiné à une personne versée dans l'art dont il relève et en tenant compte des connaissances qu'une telle personne est censée posséder à la date pertinente. L'interprétation du brevet appartient à la Cour; elle doit se fonder sur l'ensemble de l'exposé de l'invention et de la revendication, lus à la lumière de témoignages d'experts concernant la signification de certains termes et les connaissances que la personne versée dans l'art est censée posséder à la date pertinente.

 

Personne versée dans l’art

[29]           Les parties ont consacré peu de temps à débattre la définition de la personne versée dans l’art et à qui le brevet 191 s’adressait. Novopharm, par l’entremise de son témoin, M. Kanfer, au paragraphe 18 de son affidavit, en a donné la définition suivante :

[traduction]

« […] la personne possédant un diplôme en sciences, axé sur la physiologie et de préférence dans le domaine de la pharmacie, comptant au moins plusieurs années d’expérience en formulation pharmaceutique dans un milieu universitaire ou dans l’industrie. »

 

 

[30]           Les avocats de la demanderesse ont accepté cette définition dans leur plaidoirie. Je l’accepte également.

 

DESCRIPTION du brevet 191

[31]           Le brevet 191 commence à la page 1 en précisant que l’invention vise une plage granulométrique d’une classe de composés pharmaceutiques appelés benzothiophènes, cette plage augmente la biodisponibilité et permet le contrôle pendant la fabrication :

Cette invention relève des domaines pharmaceutiques et de la chimie organique et permet d’obtenir un composé du benzothiophène, sous forme de particules, qui est utile pour le traitement de différentes indications médicales, y compris l’ostéoporose et l’abaissement du taux de lipide. Plus particulièrement, la plage granulométrique du benzothiophène permet d’augmenter sa biodisponibilité et le contrôle pendant la fabrication.

 

 

[32]           Plus loin, aux pages 1 et 2, le brevet restreint l’analyse à un benzothiophène, le raloxifène, utile pour traiter l’ostéoporose, mais on indique qu’il existe des problèmes de solubilité du raloxifène affectant sa biodisponibilité et sa fabrication :

Le développement du raloxifène a été quelque peu entravé par ses caractéristiques physiques : sa biodisponibilité et sa fabrication. Par exemple, il est en général insoluble ce qui peut nuire à sa biodisponibilité. De toute évidence, toute amélioration des caractéristiques physiques du raloxifène pourrait éventuellement améliorer ses qualités thérapeutiques et sa capacité de production.

 

 

[33]           À la page 2 figure la description générale de l’invention du brevet. Le raloxifène est représenté par sa formule chimique développée :

Cette invention donne un composé de formule (I)

 

 

ainsi que ses sels et ses solvates de qualité pharmaceutique, caractérisés par la forme de leurs particules, à savoir des particules de taille moyenne inférieure à 25 microns et de préférence comprises entre 5 et 20 microns environ.

 

 

 

[34]           L’invention est donc,considérée comme une méthode de fabrication du raloxifène en particules de taille inférieure à 25 microns environ et de préférence entre 5 et 20 microns environ. D’autres déclarations indiquent qu’au moins 90 % des particules ont une taille inférieure à 50 microns, de préférence inférieure à 35 microns. Il est souligné que ce raloxifène peut être formulé avec des composés pharmaceutiques en vue du traitement de l’ostéoporose et d’autres conditions.

 

[35]           Il est dit que les avantages d’arriver à une granulométrie de particules dans la plage étroite précisée se rapportent aux capacités de dissolution, de biodisponibilité et d’amélioration de la fabrication. Aux pages 2 et 3 du brevet, il est précisét :

On a maintenant trouvé qu’en traitant les composés de formule (I), de façon à obtenir une granulométrie des particules située dans une plage étroite précisée, on peut préparer des compositions pharmaceutiques qui présentent un profil consistant de dissolution in vitro et une biodisponibilité in vivo pour l’ingrédient actif. En plus d’apporter ces caractéristiques voulues de dissolution et de biodisponibilité, le contrôle de la granulométrie des particules dans une plage étroite a également entraîné des améliorations importantes des capacités de production.

 

 

 

[36]           La granulométrie et la plage des particules sont mentionnées à nouveau à la page 3 :

La granulométrie moyenne des composés de formule (I), telle que déterminée par l’invention, est inférieure à 25 microns environ, de préférence entre 5 et 20 microns environ. De plus, l’invention comprend les composés de formule (I) avec au moins 90 % des particules ayant une taille inférieure à 50 microns environ, de préférence inférieure à 35 microns environ. Encore mieux, la plage granulométrique moyenne est située entre 5 et 20 microns environ, avec au moins 90 % des particules d’une taille inférieure à 35 microns environ.

 

[37]           Aux pages 4 et 5 du brevet, on parle de stéréotypes, à savoir qu’il est possible d’augmenter la solubilité en réduisant la taille des particules, mais la réduction de la taille des particules entraîne des problèmes de fabrication tels que l’échauffement des ingrédients et leur agglomération dans les machines. Il doit y avoir un compromis entre les deux :

On peut souvent améliorer la biodisponibilité des composés à solubilité faible en augmentant la surface des particules formulées. En général, la surface par unité de volume augmente quand la taille des particules diminue. Diverses techniques de mouture ou de broyage sont bien connues dans le métier […] les matières très finement divisées présentent des difficultés, la préparation de tablettes ou le remplissage de capsules coûtent cher parce que la matière ne s’écoulera pas bien et des grumeaux pourraient ainsi se former dans les machines. Ces difficultés de finition génèrent un produit final qui n’est pas homogène et qui n’est pas acceptable en pharmacie. En outre, le processus de mouture génère physiquement de la chaleur et de la pression sur la matière, ces conditions conduisent à la dégradation chimique du composé, c’est pourquoi on évite habituellement au maximum d’utiliser ces techniques de mouture.

 

Donc, il existe toujours une dynamique entre les propriétés qui permettent d’obtenir une biodisponibilité maximale (superficie des particules), ce sont les limites pratiques de fabrication. Le point de compromis qui indique la « meilleure solution » est unique à chaque situation et sa détermination est unique.

 

 

[38]           À la page 5, le brevet indique au lecteur que le raloxifène, à l’état brut, possède une distribution granulométrique très large, avec un diamètre volumétrique allant de 110 à 200 microns environ. La granulométrie est effectuée à l’aide d’un appareil Horiba LA900. À la page 7, la technique de mesure granulométrique d’un raloxifène, dont on a réduit la taille des particules, est décrite plus en détail :

La mesure de la taille des particules du chlorhydrate de raloxifène réduit s’est effectuée comme suit. L’analyse de la distribution de la taille des particules au moyen de la diffusion par laser est effectuée sur un petit échantillon de matière réduite en suspension dans environ 180 ml d’une solution d’agent dispersant. On ajoute l’échantillon à l’agent dispersant jusqu’à ce qu’un niveau acceptable d’occultation de la lumière laser soit atteint, à ce moment‑là, on mesure la distribution de la taille des particules. Avant la mise en suspension de l’échantillon, une solution d’agent dispersant avait été préparée en ajoutant 20 gouttes de dispersant Coulter 1A à une solution aqueuse de chlorhydrate de raloxifène. La solution dispersante a été filtrée avec un filtre à membrane microporeuse de 0,2 micron afin d’obtenir la solution dispersante voulue sans particule.

 

Dans les cinq minutes qui suivaient la préparation de cette solution dispersante, on a effectué à trois reprises la mesure de la taille des particules.

 

 

[39]           À la page 8, on commence une analyse du taux de dissolution du raloxifène et de son absorption dans le tractus gastro‑intestinal, donc de l’effet sur sa biodisponibilité :

Compte tenu de la faible solubilité, la vitesse à laquelle la forme posologique se dissout dans le tractus intestinal est susceptible d’avoir un impact sur le taux et l’étendue de l’absorption du composé actif. Pour beaucoup de médicaments, la taille et la superficie des particules sont les deux propriétés physiques qui peuvent modifier le taux de dissolution de leur forme pharmaceutique.

 

 

[40]           Aux pages 9 à 12 suit une description des essais in vitro et in vivo de raloxifène, avec différentes tailles de particules, obtenues par recristallisation (qualifié de lot de contrôle), par micronisation et par deux formes de broyage. Comme il est indiqué à la page 9,

Pour déterminer l’effet de la taille et de la superficie des particules de chlorhydrate de raloxifène sur sa dissolution in vitro, on a obtenu des lots de particules avec différentes distributions granulométriques au moyen de la recristallisation et puis on les a modifiés à l’aide de différentes technologies de broyage.

 

 

 

[41]           Des tableaux indiquant la superficie et la taille des particules ainsi que la vitesse de dissolution des échantillons sont présentés aux onglets 1, 2 et 3. À la page 11, le brevet postule que l’on ne peut prédire, au moyen de la superficie des particules, mesurée au moyen d’une certaine technique, la dissolution de celles-ci:

L’hypothèse émise est la suivante : la superficie mesurée par la technique d’adsorption de l’azote par les différents types de raloxifène broyé ne permet pas de prédire la superficie effectivement accessible au milieu dissolvant.

 

 

 

[42]           À la page 12, le brevet indique qu’une décision a donc été prise, à savoir de continuer à considérer la taille des particules comme étant un facteur de rendement du médicament :

Sur la base de ces conclusions, la décision a été prise de continuer à considérer la composition granulométrique comme un paramètre de contrôle permettant d’assurer un rendement constant du médicament relatif à la libération du composant actif du médicament.

 

 

 

[43]           Comme il est indiqué dans les pages 12 à 15 du brevet, on a réalisé une étude où on a administré à des singes du raloxifène de deux lots différents, un lot avec des particules de taille moyenne de 48,1 microns (lot 5A) et l’autre avec des particules de taille moyenne de 9,0 microns (lot 5B).

 

[44]           À la page 15 du brevet, il est indiqué que la taille des particules est critique et que l’étude confirme que les essais in vitro peuvent confirmer l’absorption in vivo :

Ces données constituent une preuve supplémentaire de la nature critique de la granulométrie des particules relative à l’impact sur la biodisponibilité. L’étude confirme également la capacité de discriminer la méthode de dissolution in vitro et sa relation avec l’absorption in vivo. Une fois de plus, les différences observées dans les profils de dissolution in vitro se traduisent par des différences d’absorption in vivo.

 

 

[45]           Sur la base de cette étude, il a été établi des spécifications pour la taille des particules et il a été entrepris des travaux pour justifier les limites établies. À la page 15 et à la page 17, le lecteur était informé que des lots de raloxifène en vrac avaient été broyés, formulés en comprimés, puis étudiés :

Sur la base des travaux susmentionnés et des données générées par les propriétés physiques, on a établi des spécifications pour la taille des particules. L’invention prévoit que la moyenne de la taille des particules, déterminée par diffraction de la lumière laser, devrait être inférieure à environ 25 microns. En outre, 90 % des particules en volume devraient être inférieures à 50 microns, ce qui tient compte de la caractérisation de la distribution. De préférence, la taille des particules devrait être comprise entre 5 et 20 microns environ et 90 % de ces particules devraient avoir une taille inférieure à 35 microns environ. Pour justifier cette plage, des lots en vrac ont été broyés sur cylindre et des échantillons des extrêmes disponibles ont été mis sous forme de comprimés formulés et puis des essais de dissolution in vitro ont été effectués. Dans une étude, on a reçu six lots en vrac de chlorhydrate de raloxifène (environ 1 kg) et on a fabriqué des comprimés formulés de 60 mg de chlorhydrate de raloxifène qui étaient représentatifs des comprimés utilisés pour les essais cliniques de la phase III.

 

[…]

 

Une étude semblable a été effectuée avec le médicament en vrac et sept granulométries différentes, chacune formulée en comprimés de 60 mg.

 

 

[46]           Les données ainsi que les tableaux concernant ces études sont présentés. Une conclusion est énoncée à la page 18. Cette conclusion, soutient le demandeur, constitue l’étape inventive du brevet : à savoir que, dans la plage granulométrique déclarée, les caractéristiques relatives à la biodisponibilité et à l’absorption in vivo sont étonnamment cohérentes :

Compte tenu de la relation établie entre la dissolution in vitro et l’absorption in vivo, il résulte que la plage de distribution granulométrique revendiquée dans ce brevet présentera des caractéristiques d’absorption et de biodisponibilité in vivo étonnamment cohérentes.

 

 

[47]           Aux pages 18 et 19, suit une analyse relative à la taille des particules et à la fabrication. Des particules trop fines entraînent un écoulement médiocre et un mauvais contrôle du processus. Les contraintes de taille des particules prescrites par le brevet apportent donc plus de souplesse au processus. À la page 19 :

Une granulométrie trop fine peut mener à un mauvais écoulement des granulés et à un mauvais contrôle du poids individuel des comprimés pendant l’étape de compression. Ainsi, les contraintes relatives à la petite taille des particules, mentionnées précédemment, ont aussi abouti à rendre le processus plus apte à l’automatisation, et ce, en réduisant les variations de l’eau requise pendant l’étape de granulation et en produisant des granulés broyés à sec de répartition appropriée. On évite ainsi le rejet de comprimés pendant la compression à cause d’un poids inacceptable.

 

 

[48]           De la page 19 à la page 36, on donne différentes formules de fabrication de comprimés contenant du raloxifène et des ingrédients ajoutés (excipients). Le brevet se termine avec huit revendications.

 

REVENDICATIONS DU BREVET 191

[49]           Les huit revendications du brevet 191 sont les suivantes :

1. Un composé de formule I

et les sels de qualité pharmaceutique de ce composé, caractérisés par leur forme, à savoir que le composé se présente sous forme de particules, les particules en question ont une taille moyenne inférieure à 25 microns, au moins 90 % de ces particules ont une taille inférieure à 50 microns.


2. Le composé de la revendication 1 dans lequel les particules en question ont une taille moyenne comprise entre 5 et 20 microns.

3. Le composé de la revendication 1 ou 2 dans lequel au moins 90 % des particules en question ont une taille inférieure à 35 microns.

4. Une composition pharmaceutique comprenant ou formulée en utilisant le composé conforme à l’une des revendications 1, 2 ou 3, ou un sel de qualité pharmaceutique de ce composé, combiné avec un ou plusieurs supports, diluants ou excipients de qualité pharmaceutique.

5. Un composé d’une des réclamations 1, 2 ou 3 qui est du chlorhydrate de 6‑hydroxy‑2‑(4‑hydroxy‑phényl)‑3‑[4‑(2‑pipéridinoéthoxy)benzoyl]benzo[b]thiophène.

6. L’utilisation d’un composé de la revendication 5 ou d’un sel de qualité pharmaceutique de ce composé servant à inhiber l’ostéoporose chez une personne qui en a besoin.

7. L’utilisation d’un composé de la revendication 5 ou d’un sel de ce composé de qualité pharmaceutique pour la prévention du cancer du sein chez une femme qui en a besoin.

 

8. Une composition pharmaceutique comprenant ou formulée en utilisant le composé de la revendication 5 et un ou plus d’un support, diluant ou excipient de qualité pharmaceutique.

 

[50]           Le composé tel que décrit dans la formule (I) de la revendication 1 est le même que celui qui est énoncé dans la revendication 5 et peut être simplement désigné comme du raloxifène. Le sel de qualité pharmaceutique peut être défini, aux fins de la présente procédure, comme du chlorhydrate. Ainsi, les réclamations peuvent être réécrites plus succinctement comme suit :

a.       Chlorhydrate de raloxifène sous forme de particules ayant une taille moyenne de moins de 25 microns, au moins 90 % des particules ont une taille inférieure à 50 microns.

b.      Selon la revendication 1, avec des particules ayant une taille moyenne comprise entre 5 et 20 microns.

c.       Selon les revendications 1 et 2, avec 90 % des particules ayant une taille inférieure à 35 microns.

d.      Une composition pharmaceutique utilisant un composé des revendications 1, 2 ou 3.

e.       Un composé d’une des revendications 1, 2 ou 3 comprenant du chlorhydrate de raloxifène.

f.        Utilisation du composé de la revendication 5 pour inhiber l’ostéoporose.

g.       (N’est pas en cause). Utilisation de ce composé pour la prévention du cancer du sein.

h.       Une composition pharmaceutique selon la revendication 5.

 

[51]           Il n’y a pas de controverse sur les éléments essentiels des revendications et, aux fins de la présente procédure, nous ne sommes appelés à nous pencher que sur les revendications 1, 2 et 3. Les éléments essentiels de ces revendications sont les suivants :

Revendication 1 :          ‑Chlorhydrate de raloxifène

                                                               i.      Sous forme de particules

                                                             ii.      Ces particules ayant une taille moyenne de moins de 25 microns, au moins 90 % des particules ont une taille moyenne de moins de 50 microns

Revendication 2 : Le composé de la revendication 1 où la taille moyenne des particules est comprise entre 5 et 20 microns.

Revendication 3 : le composé des revendications 1 et 2 où au moins 90 % des particules ont une taille de moins de 35 microns.

 

contrefaçon

[52]           Aux fins de l’examen des allégations de non‑contrefaçon de Novopharm, il est constant que seule la revendication 1 doit être examinée. Il est présumé que Novopharm formulera son chlorhydrate de raloxifène en compositions pharmaceutiques pour une utilisation destinée à l’ostéoporose. La seule question en litige concerne la taille des particules du chlorhydrate de raloxifène. Les paramètres les plus généraux de la taille des particules sont ceux qui se trouvent dans la revendication 1 qui exige que la taille des particules soit d’au moins environ 25 microns et qu’au moins 90 % des particules aient une taille de moins de 50 microns.

 


[53]           Aux pages 36 et 37 de son avis d’allégation, Novopharm fait des observations sur son allégation de non‑contrefaçon et déclare, entre autres, ce qui suit :

Les comprimés de Novopharm ne porteront pas atteinte aux revendications du brevet 191. Les comprimés de Novopharm ne contiendront pas de particules de raloxifène, ou un de ses sels de qualité pharmaceutique, dont la taille est inférieure à environ 25 microns, et qui a au moins 90 % des particules d’une taille inférieure à 50 microns, tel qu’il est revendiqué et requis par le brevet 191. Les particules de raloxifène que Novopharm va utiliser et incorporer dans ses comprimés auront une taille moyenne beaucoup plus élevée que 25 microns, et les particules de raloxifène (ou un de ses sels de qualité pharmaceutique) utilisées par Novopharm n’auront pas au moins 90 % des particules d’une taille inférieure à 50 microns.

 

 

[54]           Novopharm s’appuie sur deux éléments au soutien de son allégation. Premièrement, l’information qu’elle a fournie à Santé Canada à l’appui de sa propre présentation abrégée de drogue nouvelle (la PADN). Deuxièmement, elle s’est appuyée sur des tests réalisés par un laboratoire externe appelé Dalton et son employée Mme Zhao, qui a produit un affidavit et a été contre‑interrogée. L’expert de Novopharm, M. Biggs, a fait des observations sur ces tests et les résultats.

 

[55]           La demanderesse s’est appuyée sur des tests effectués sur des échantillons fournis par Teva, une organisation apparentée à Novopharm, dans le cadre d’une certaine procédure contentieuse aux États‑Unis. Il est constant que le résultat de ces tests pouvait être présenté dans la présente procédure comme si les échantillons avaient été fournis par Novopharm dans le cadre de celle-ci. Les tests ont été réalisés par un laboratoire externe, PTL, sous la surveillance de Mme Ganden, qui a produit un affidavit et a été contre‑interrogée dans la présente procédure. L’expert de la demanderesse, le M. Bugay, a fait des observations sur ces tests et les résultats.

 

[56]           MM. Biggs et Bugay ont tous deux également présenté des observations sur les tests réalisés par les autres parties et les conclusions qui peuvent être tirées quant au témoignage de chacun.

 

[57]           Je n’ai aucune raison de douter que tous les tests ont été réalisés tel qu’indiqué et que les résultats ont été consignés avec exactitude. Je n’ai pas non plus de raison de critiquer les témoignages donnés par Mme Ganden, Mme Zhao, M. Biggs ou le M. Bugay, ni leur indépendance ou crédibilité.

 

[58]           La question essentielle vise la manière dont la taille des particules de raloxifène est mesurée. Je retiens le témoignage de M. Bugay en contre‑interrogatoire, aux pages 40 à 42 de la transcription, pages 1569 à 1570 du dossier, selon lequel il faut prendre soin de ne pas faire dissoudre les particules en mesurant leur taille, de s’assurer que les particules ne sont pas agglomérées et de veiller à ce que les particules ne se fracturent pas pendant la mesure. Je retiens également le témoignage de Mme Zhao, au paragraphe 6 de son affidavit, selon lequel les bulles dans l’échantillon peuvent nuire à la mesure.

 

[59]           L’information donnée dans le brevet 191 sur la manière d’effectuer la mesure de la taille des particules est énoncée aux pages 5 et 7 :

L’efficacité du broyage est vérifiée par échantillonnage au moyen d’un granulomètre par diffraction laser LA900 de Horiba et la taille finale des particules est vérifiée de la même manière.

 

[…]

 

La taille des particules du chlorhydrate de raloxifène broyé a été mesurée comme suit. La granulométrie laser a été effectuée sur un petit échantillon de la matière broyée en suspension dans environ 180 ml d’une solution dispersante. On ajoute l’échantillon au dispersant jusqu’à ce qu’un niveau acceptable d’obscurcissement de la lumière laser soit atteint; à ce moment‑là on mesure la distribution granulométrique des particules. Avant de mettre l’échantillon en suspension, la solution de dispersant a été préparée en ajoutant 20 gouttes de dispersant Coulter 1A à une solution aqueuse saturée en chlorhydrate de raloxifène. La solution dispersante a été filtrée au moyen d’une membrane microporeuse de 0,2 micron de façon à obtenir le dispersant sans particules nécessaire.

 

Dans les cinq minutes suivant la préparation de la dispersion, on a effectué les mesures granulométriques des particules en trois exemplaires. Les mesures en trois exemplaires sont effectuées à titre de vérification minimale a) pour produire des mesures plus fiables et b) pour vérifier si l’échantillonnage équivalent des matières en suspension a été reproductible, c'est‑à‑dire si la suspension ne s’est pas déposée.

 

Les résultats sont enregistrés automatiquement et affichés sur des graphiques qui donnent un pourcentage des fréquences en fonction de la taille minimale et un pourcentage cumulatif en fonction des courbes de taille minimale caractéristiques de l’échantillon.

 

 

[60]           Il semble que, dans les tests produits devant la Cour, un dispositif appelé Malvern Mastersizer ait été utilisé plutôt qu’un Horiba LA900, mais il est constant que ces dispositifs pourraient être considérés comme équivalents aux fins de la présente procédure.

 

[61]           Il y a lieu de mentionner deux événements concernant la procédure relative à la mesure granulométrique des particules énoncée dans le brevet 191. Premièrement, l’utilisation d’un dispersant appelé Coulter 1A. Deuxièmement, la procédure est muette quant à l’agglutination et si celle‑ci a été constatée, la manière, le cas échéant, de la traiter. Il est noté que les mesures sont prises dans les cinq minutes qui suivent le traitement de l’échantillon avec le dispersant.

 

[62]           Je retiens le témoignage de l’expert de la demanderesse, M. Bugay, concernant la préparation et la manutention d’un échantillon telles qu’énoncées au paragraphe 27 de son affidavit :

27. Il est important de noter que toutes les mesures granulométriques sont conçues pour mesurer des échantillons représentatifs des fines particules individuelles de la matière à étudier plutôt que des amas de ces particules tels que les agrégats ou les agglomérats. Par conséquent, indépendamment de l’appareil de mesure utilisé, la précision de la granulométrie dépend beaucoup de la présentation de la matière en fines particules et non en grumeaux. On peut arriver à ce résultat grâce à une bonne préparation de l’échantillon et à une bonne manutention, notamment en : (1) désagglutinant l’échantillon original pour pouvoir mesurer les fines particules individuellement; (2) choisissant le milieu de suspension de ces particules pour une mesure ultérieure; (3) utilisant un agent dispersant afin d’éviter l’agrégation et (4) concentrant les particules dans la matrice de suspension en vue d’obtenir le bon obscurcissement.

 

 

[63]           Je conviens que la personne versée dans l’art, correctement définie, aurait connu et suivi cette procédure à la date de publication de la demande du brevet 191, le 2 octobre 1997. Cela n’a d’ailleurs jamais été mantière à controverse.

 

[64]           Je me penche maintenant sur les observations de Novopharm quant à la preuve de non‑contrefaçon. Premièrement, Novopharm s’appuie sur sa présentation à Santé Canada au soutien de sa présentation abrégée de drogue nouvelle, qui est la pièce D jointe à l’affidavit de M. Bugay. Elle contient des données à l’égard de deux lots pilotes de son chlorhydrate de raloxifène. Les mesures granulométriques des particules effectuées avec un Malvern Mastersizer donnaient pour un lot une taille moyenne de 37,4 microns et de 39,4 microns pour l’autre lot, ce qui est bien au‑dessus de la valeur de 25 microns mentionnée dans la revendication 1. Le critère de 90 % de la valeur granulométrique des particules pour le premier lot est établi à 92 microns et le deuxième à 97,2 microns, encore ici bien au‑delà de la valeur de 50 microns fixée dans la revendication 1. Novopharm soutient que sa présentation à Santé Canada doit être prise très au sérieux et que tout écart de ces valeurs peut entraîner des conséquences graves. Je conviens que, s’il n’y avait pas d’autres éléments de preuve, ces éléments de preuve qui se trouvent dans la présentation pourraient peut‑être être considérés comme déterminants. Il y a cependant ici d’autres éléments de preuve qui doivent tous être appréciés.

 

[65]           La méthode selon laquelle ces échantillons ont été mesurés est exposée dans la pièce B jointe à l’affidavit de M. Biggs, aux pages 607 et 608 du dossier, et fait l’objet d’observations dans son affidavit aux paragraphes 50 à 52. Il y a deux éléments à souligner. Premièrement, le dispersant utilisé était de l’alcool isopropylique (IPA) et non le Coulter 1A prévu dans le brevet. Deuxièmement, l’échantillon a été soumis à une agitation‑mélange pendant 30 secondes (selon la preuve, il s’agit de fixer une ventouse au récipient contenant l’échantillon et de l’agiter) et à la sonication pendant cinq secondes (selon la preuve, il s’agit de l’application d’ondes d’énergie ultrasonique à l’échantillon). Il faut se souvenir que le brevet est muet sur la manière, le cas échéant, dont l’échantillon est mélangé ou agité ou sur l’utilisation de la sonication.

 

[66]           La demanderesse a critiqué cette méthode (appelée la méthode Teva) pour deux raisons. La première est l’utilisation de l’IPA comme dispersant et non le Coulter 1A. Selon la deuxième raison, il n’y avait pas suffisamment d’agitation ou de mélange de l’échantillon pour éliminer l’agglomération.

 

[67]           Novopharm a effectué une autre série de tests, cette fois par l’intermédiaire d’un laboratoire indépendant appelé Dalton, par l’une des employées de celui-ci, Mme Zhao. L’affidavit de Mme Zhao indique que les deux séries de tests ont été effectuées conformément au protocole fourni par un avocat du cabinet représentant Novopharm. En ce qui concerne les premiers tests, on soupçonnait que la présence de bulles avait eu une influence; une deuxième série de tests a donc été effectuée. À l’audience, s’appuyant sur les questions posées à M. Biggs qui se trouvent à la page 44 de la transcription de son contre‑interrogatoire (page 1788 du dossier), les avocats de la demanderesse ont soutenu que l’avocat a élaboré le protocole. Vu les questions et les réponses, je conclus que le protocole a été élaboré par M. Biggs et non l’avocat, même si celui-ci a rédigé le protocole. On dit que le protocole suit celui énoncé dans le brevet 191 dans la mesure où cela peut être fait.

 

[68]           Le Coulter 1A est utilisé comme dispersant (non l’IPA). L’échantillon a été brièvement agité à la main. Les avocats de la demanderesse soutiennent que cela était insuffisant pour éliminer l’agglomération. Dans son contre‑interrogatoire, Mme Zhao a indiqué clairement que la sonication n’était pas recommandée pour l’analyse de la granulométrie des particules. En ce qui concerne la sonication, Mme Zhao a répondu aux questions 186 à 192 qu’elle n’était pas recommandée pour l’analyse de la granulométrie des particules :

186.     Q. Alors, quand nous parlons d’un mélange court, est‑ce que nous parlons du mélange à la main?

R. Oui

 

187.     Q. Puis, on mentionne : « [...] On ne devrait pas utiliser la sonication. »

R. Oui.

 

188.     Q. Pourquoi utilise‑t‑on la sonication?

R. La sonication, vous demandez à quoi sert la sonication, n’est‑ce pas?

 

189.     Q. Oui.

R. La sonication lorsque l’on utilise en général en laboratoire […] en terme général, dans le laboratoire, nous l’utilisons pour le dégazage, à des fins de dissolution.

 

190.     Q. Pour dissoudre?

R. Oui. Vous y placez le solide et ensuite la solution, mais parfois il est nécessaire de dégazer à cause de la présence de gaz, vous y placez la sonication […] et ensuite vous le démarrez. C’est comme cela que la sonication marche.

 

191.     Q. Donc, la sonication permet d’éliminer le gaz présent dans la solution?

R. Oui. C’est comme cela que la sonication marche.

 

192.     Q. Peut‑il également être utilisé pour les agglomérats, si les particules s’agglomèrent?

R. Nous l’utilisons dans ce but au laboratoire, nous l’utilisons à des fins de dissolution. Certains échantillons mettent du temps à se dissoudre, et cela aide la dissolution. Mais ceci […] pour ces tailles de particules, la sonication n’est pas recommandée.

 

193.     Q. Elle n’est pas recommandée?

R. Non. Elle sert à un usage général en laboratoire, mais pas pour une analyse granulométrique.

 

 

[69]           La deuxième série de tests menée par Zhao montre que la taille moyenne des particules dans les deux échantillons était de 43,7 microns et 40,4 microns, bien au‑dessus des 25 microns de la revendication 1 et le critère de 90 % était de 108,0 microns et 100,3 microns, à nouveau bien au‑dessus des 50 microns requis par la revendication 1 (voir la pièce B de Zhao, page 556 du dossier). Les résultats du premier essai (pièce A de Zhao, page 548) étaient également au‑dessus des limites de la revendication 1.

 

[70]           Le demandeur s’appuie sur les essais menés par PTL, supervisés par Mme Ganden. En 2004, à la demande de Mark Feldstein, un avocat du cabinet d’avocats américain Finnegan Henderson, PTL a préparé un protocole pour les essais de granulométrie du chlorhydrate de raloxifène. Ce protocole (qui se trouve à la pièce H de l’affidavit de Feldstein, pages 80 à 93 du dossier) a été présenté par Lilly US à l’United States Food and Drug Authority (Secrétariat américain aux produits alimentaires et pharmaceutiques) dans le cadre de ses soumissions relatives à son médicament à base de chlorhydrate de raloxifène. À cet égard, elle est sur un pied d’égalité avec la soumission PADN de Novopharm. À la page 80 du dossier, la première page de la présentation, il est indiqué que trois dispersants ont été étudiés, l’hexane, l’alcool isopropylique et l’eau, et que dans l’eau contenant 20 gouttes par litre de Coulter 1A les particules se dispersaient rapidement. Dans les autres (hexane et alcool isopropylique) les particules s’agglutinaient et formaient des agglomérats. Il n’est pas indiqué si la sonication a été utilisée. Les vitesses de mélange et les vitesses d’agitation sont mentionnées.

 

[71]           En 2006, à la demande de Feldstein, PTL a effectué l’analyse granulométrique de deux échantillons Teva admis comme étant pertinents quant aux produits Novopharm en litige dans la présente affaire. Un rapport a été produit, soit la pièce A de l’affidavit Ganden et la pièce F de l’affidavit Feldstein, aux pages 65 à 78D du dossier. Les résultats des essais des deux échantillons apparaissent à la page 67 du dossier. La taille moyenne des particules du premier échantillon était de 25,18 microns, très près de la limite de 25 microns de la revendication 1 et celle du second échantillon était de 21,71 microns, dans la limite de 25 microns de la revendication 1. Le résultat pour les 90 % du premier échantillon était de 56,55 microns, il dépassait donc la limite de 50 microns de la revendication 1 et pour le second échantillon elle était de 45,27 microns, donc dans la limite de 50 microns de la revendication 1. En résumé, les résultats obtenus pour le premier échantillon étaient au-delà des deux paramètres de la revendication 1, tandis que ceux du deuxième échantillon étaient à l’intérieur de ces paramètres.

 

[72]           Il semble que le protocole utilisé par PTL pour ses essais est celui qui a été élaboré en 2004. Bien que ce ne soit pas tout à fait clair dans ce protocole, il apparaît, par exemple, comme il est indiqué au paragraphe 5 de l’affidavit en réponse de M. Bugay, pages 147‑148 du dossier que, après l’ajout du dispersant à l’échantillon, l’échantillon a été soumis à une agitation manuelle suivie par une sonication d’au moins 15 secondes. Aux paragraphes 6 et 7 du même affidavit, à la page 148 du dossier, M. Bugay se réfère à un tableau, à la page 1490 du dossier, montrant la taille des particules en fonction du temps d’utrasonication. Ce tableau montre une réduction visible de la taille des particules au cours des quinze premières secondes, une période relativement stable, puis une baisse progressive après trois minutes.

 

[73]           MM. Bugay et Biggs ont des divergences de vues claires quant aux effets de la sonication. M. Bugay prétend qu’une sonication de quinze secondes ne sert qu’à briser l’agglomération. M. Biggs affirme que la sonication n’est pas utilisée du tout, à moins que l’agglomération puisse être détectée visuellement, et que toute sonication entraîne la rupture de certaines des particules en réduisant ainsi la taille des particules pour l’ensemble de l’échantillon. Les différents points de vue sont le plus clairement énoncés dans leur deuxième affidavit. Il est impossible de trancher ces différences sur le fondement de la crédibilité : je n’ai pas vu les témoins; je n’ai que des affidavits et des transcriptions. Rien ne permet mieux d’évaluer la crédibilité du témoin que le contre‑interrogatoire. Ils sont donc tous les deux crédibles.

 

[74]           Voici les éléments dont nous disposons. Dans sa PADN, Novopharm a dit à Santé Canada que la taille de ses particules serait au-delà de la plage revendiquée dans le brevet 191. Cependant, ces données semblent avoir été créées à l’occasion de tests utilisant un dispersant (IPA) ce qui, selon ce qu’en a dit Lilly aux autorités américaines, aboutirait à l’agglomération, et donc que les lectures selon Lilly sont trop élevées. Novopharm a donc demandé à un laboratoire indépendant d’effectuer des tests sur son matériel en utilisant le dispersant mentionné dans le brevet, le Coulter 1A. Les résultats des tests ont encore indiqué que les deux échantillons étaient en dehors de la plage revendiquée par le brevet. Lilly a critiqué ce deuxième test en ce que l’échantillon n’avait pas été agité suffisamment et qu’il n’avait pas été soumis à la sonication afin qu’il n’y ait pas d’agglomération.

 

[75]           Lilly a effectué ses propres tests sur deux échantillons. Un échantillon était en deçà de la plage revendiquée, l’autre était au-delà de celle‑ci. Lilly a utilisé le dispersant décrit dans le brevet 191 et a soumis l’échantillon à l’agitation pendant une minute, suivie de 15 secondes de sonication.

 

[76]           Le brevet est muet concernant l’agitation ou la sonication ou toute autre manipulation du matériel sur lequel les tests doivent être effectués.

 

[77]           Je prends note de ce que Mme Zhao, de Dalton, a dit concernant les tests qu’elle a effectués pour le compte de Novopharm. Elle a déclaré qu’elle n’avait pas observé d’agglomération de l’échantillon qui devait faire l’objet d’un test. Dans l’échange décrit plus haut dans les présents motifs, il est utile de souligner qu’elle a déclaré que, pour les tests de la granulométrie des particules, la sonication n’était pas habituellement utilisée.

 

[78]           Le but de l’agitation ou de l’utilisation de la sonication est de s’assurer qu’il n’y a pas d’agglomération. Vu la preuve, je conclus que, à la date de publication de la demande de brevet, en octobre 1997, la personne versée dans l’art de mesurer la taille des particules voudrait se débarrasser de l’agglomération et que, si une agglomération était détectée, elle le serait par une inspection visuelle, et que l’agitation servirait de remède habituel. Je conclus, eu égard en particulier à l’affidavit en réponse de M. Biggs, que la sonication crée beaucoup d’énergie dans l’échantillon et qu’une certaine rupture, en d’autres mots une réduction de la taille de certaines particules, est susceptible de se produire.

 

[79]           Le brevet ne dit rien au sujet des techniques de désagglomération, si nécessaire. Je retiens l’opinion exprimée par M. Biggs au paragraphe 63 de son premier affidavit, pages 601 et 602 du dossier : si l’agglomération était un problème et exigeait l’application de techniques utilisant de l’énergie telle que la sonication, alors le brevet l’aurait indiqué?

 

[80]           Ce qui reste à déterminer est la mesure granulométrique telle qu’elle aurait été comprise et effectuée en octobre 1997. La technique Dalton ressemble le plus à ce qui aurait été compris à l’époque. Les résultats de la technique Dalton appliquée aux deux échantillons montrent qu’ils sont clairement au-delà des paramètres de la revendication 1 du brevet 191. Les résultats obtenus par la technique plus musclée de PTL utilisant l’énergie fournie par la sonication montrent qu’un seul des deux échantillons est en deçà  de ces paramètres. En conséquence, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que l’allégation de non‑contrefaçon de Novopharm est justifiée.

 

VALIDITÉ – observations générales

[81]           Novopharm a conteste la validité des revendications du brevet 191 pour deux motifs, l’évidence et l’utilité.

 

[82]           À titre préliminaire, les revendications ont déjà été interprétées. Les éléments essentiels de la revendication 1 sont les suivants :

Chlorhydrate de raloxifène

                                                               i.      Sous forme de particules

                                                             ii.      La taille moyenne de ces particules est inférieure à 25 microns, et au moins 90 % de ces particules ont une taille inférieure à 50 microns.

De la revendication 2 :

‑ le composé de la revendication 1 où la taille moyenne des particules se situe entre 5 et 20 microns.

            De la revendication 3 :

                                                            iii.      Le composé de la revendication 1 et de la revendication 2 où au moins 90 % des particules ont une taille inférieure à 35 microns.

 

[83]           Les autres revendications visent des composés ainsi que des compositions et des utilisations pharmaceutiques. Il est constant qu’il n’est pas nécessaire de les examiner en l’espèce, car si les revendications 1, 2 ou 3 sont valides, les revendications 4 à 8 le sont également; inversement, si les revendications 1, 2 et 3 sont invalides, les revendications 4 à 8 le sont également; si une ou plusieurs des revendications 1, 2 ou 3 sont valides, alors dans la mesure où les revendications 4 à 8 sont fonction d’une revendication valide, elles sont valides aussi.

 

[84]           Le brevet 191 reconnaît aux pages 1 et 2,  reproduites plus haut dans les présents motifs, que le chlorhydrate de raloxifène était un composé connu utile pour le traitement de l’ostéoporose et d’autres maladies, mais qu’il était généralement non soluble et que cela pouvait avoir une incidence sur la biodisponibilité. À la page 5 du brevet 191, il est dit que le chlorhydrate de raloxifène, à « l’état brut », possède une distribution granulométrique très large, avec un diamètre volumétrique allant de 110 à 200 microns.

 

[85]           Aux pages 4 et 5 du brevet 191, il est reconnu qu’il est établi que souvent les composés dont la solubilité est faible peuvent avoir une biodisponibilité accrue par la réduction de la taille des particules. Cependant, il est dit qu’il était établi dans l’état de la technique que la diminution de la taille des particules entraîne des problèmes connexes dans la fabrication, tels que l’échauffement des ingrédients et leur agglomération dans les machines. Les experts cités à témoigner par les parties, M. Williams pour la demanderesse aux paragraphes 25 à 28 de son affidavit et aux pages 37 à 42 de la transcription de son contre‑interrogatoire, M. Kanfer pour Novopharm aux pages 53 à 67 de son affidavit et aux questions de 16 à 48 de la transcription de son contre‑interrogatoire, sont tous deux d’accord.

 


[86]           Le brevet 191 énonce le problème à la page 5 qui consiste à trouver la « meilleure solution » pour le médicament particulier en cause :

Par conséquent, il existe toujours une dynamique entre les propriétés qui procurent une biodisponibilité maximale (superficie des particules) et les limites pratiques de fabrication. Le point de compromis qui indique la « meilleure solution » est unique à chaque situation et unique dans sa détermination.

 

 

[87]           Au paragraphe 28 de son affidavit, M. Williams déclare que chaque ingrédient pharmaceutique est différent. En conséquence, le chercheur pharmaceutique doit identifier les facteurs particuliers sur lesquels il doit se concentrer, concevoir des expériences et analyser leurs effets avant d’en arriver à une meilleure solution. Aux paragraphes 63 à 68 de son affidavit, M. Kanfer semble souscrire à cette vue, mais déclare qu’une telle évaluation faisait partie de l’approche type dans la fabrication des lots pilotes en usine. Répondant à la question 35 de son contre‑interrogatoire, M. Kanfer a déclaré ce qui suit :

[traduction]

35.       Q. Très bien, et pour une personne versée dans l’art, le choix et la conception et l’interprétation est un processus complexe. Il est nécessaire de soupeser les facteurs, de voir leur effet et d’essayer d’atteindre votre objectif final?

 

R. Comme je l’ai mentionné, ce domaine est appelé biopharmaceutique, et dans un cours de pharmacie, un étudiant de premier cycle connaîtrait très bien ce genre de choses.

 

 

[88]           Lors de son contre‑interrogatoire, plus particulièrement aux pages 38 à 43, M. Williams a convenu qu’il était établi que la biodisponibilité était améliorée par l’augmentation de la superficie des particules et que la capacité de fabrication s’en trouverait alors diminuée.

 

[89]           Par conséquent, en ce qui a trait à ce point, le brevet ne divulgue rien que la personne versée dans l’art n’aurait pas connu concernant le problème et la manière de le régler et que toute personne versée dans l’art pourrait résoudre le problème aisément pour en arriver à une « meilleure solution ». A ce stade, rien n’est inévident; en outre nulle divulgation supplémentaire n’est nécessaire pour démontrer l’utilité.

 

[90]           Le brevet 191, à la page 3, définit la plage et la taille des particules. Comme il est mentionné plus haut, c’est le résultat qui serait obtenu par une personne versée dans l’art, même par un étudiant de premier cycle :

La taille moyenne des particules du composé de formule I, telle que définie par l’invention, est inférieure à environ 25 microns, de préférence entre 5 et 20 microns environ. De plus, l’invention comprend les composés de formule I avec au moins 90 % de particules dont la taille est inférieure à 50 microns environ, de préférence inférieure à 35 microns environ. Encore mieux, la plage des tailles moyennes des particules est comprise entre 5 et 20 microns environ, avec au moins 90 % des particules de taille inférieure à 35 microns environ.

 

 

[91]           Le brevet 191 décrit un certain nombre de tests effectués lesquels, selon les dires du demandeur, ont abouti à une conclusion surprenante, à savoir que dans les limites fixées pour la taille des particules, les caractéristiques d’absorption in vivo et de biodisponibilité sont étonnamment cohérentes. À la page 18 du brevet 191, il est dit :

Comme avec la série précédente de distribution des tailles des particules, les profils comparables de dissolution obtenus avec ces distributions de taille des particules justifient la plage granulométrique donnée dans la présente invention. Compte tenu de la relation démontrée entre la dissolution in vitro et l’absorption in vivo, il en résulte que la plage granulométrique, revendiquée dans ce brevet, fournira des caractéristiques d’absorption in vivo et de biodisponibilité étonnamment cohérentes.

 

[92]           Autrement dit, la demanderesse indique que même si l’optimisation de la plage de granulométrie des particules peut avoir été un travail courant pour une personne versée dans l’art, elle mène à des résultats surprenants, à savoir que la plage des caractéristiques d’absorption et de biodisponibilité in vivo du chlorhydrate de raloxifène était étonnamment cohérente. Ainsi, à l’intérieur de la plage, pour de grosses ou de petites particules, l’absorption et la biodisponibilité du composé in vivo seraient à peu près les mêmes. Tel est le concept inventif, selon la demanderesse.

 

[93]           Novopharm conteste la validité des revendications pour deux motifs :

1.      l’évidence, c’est‑à‑dire d’une personne versée dans l’art aurait su comment optimiser la plage granulométrique des particules;

2.      l’utilité – si, selon une personne, le concept inventif est qu’à l’intérieur la plage granulométrique des particules il y a une absorption et une biodisponibilité in vivo étonnamment cohérents, elle n’a pas alors démontré cela au moyen des données fournies dans le brevet, pas plus que cela n’aurait pu être valablement prédit en octobre 1997, compte tenu des données présentées.

 

[94]           Ces arguments sont indissociables. J’examinerai tout d’abord l’évidence.

 

évidence

[95]           Dans le récent arrêt Apotex Inc. c. Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, la Cour suprême du Canada a passé en revue et reformulé le droit canadien en ce qui a trait à l’évidence au Canada. La Cour d’appel fédérale est allée plus loin dans l’arrêt Apotex Inc. c. Pfizer Canada Inc., 2009 CAF 8. Dans l’arrêt Sanofi, le juge Rothstein a, au nom de la Cour suprême, retenu le critère « reformulé » dans Windsurfing comme la démarche applicable à l’évidence. Il a fait les observations suivantes au paragraphe 67 :

67 Lors de l’examen relatif à l’évidence, il y a lieu de suivre la démarche à quatre volets d’abord énoncée par le lord juge Oliver dans l’arrêt Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.). La démarche devrait assurer davantage de rationalité, d’objectivité et de clarté. Le lord juge Jacob l’a récemment reformulée dans l’arrêt Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37, [2007] EWCA Civ 588 (par. 23) :

 

[traduction] Par conséquent, je reformulerais comme suit la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing :

 

(1)   a) Identifier la « personne versée dans l’art ».

       b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne.

(2)   Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation.

(3)   Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

(4)   Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité? [Je souligne.]

 

La question de l’« essai allant de soi » se pose à la quatrième étape de la démarche établie dans les arrêts Windsurfing et Pozzoli pour statuer sur l’évidence.

 

[96]           Si nous examinons le brevet 191 au regard de ces critères, nous pouvons voir que, même si l’optimisation granulométrie des particules avait été une tâche connue, qui pouvait être accomplie aisément par une personne versée dans l’art, le résultat, comme l’indique le brevet, étant des caractéristiques cohérentes d’absorption et de biodisponibilité, était étonnant selon le brevet.

 

[97]           Une jurisprudence abondante enseigne que les nouvelles compositions auxquelles la personne versée dans l’art peut arriver ne sont pas en soi inventives. Toutefois, s’il est conclu qu’elles possèdent une utilité imprévue, elles peuvent alors être promues au rang d’invention. Voici les observations du juge Thurlow (tel était alors son titre) dans la décision Société des Usines Chimiques Rhône‑Poulenc c. Jules R. Gilbert Ltd. (1968), 55 C.P.R. 207 (C. de l’É.), conf. par [1968] R.C.S. 950, à la page 227 :

[traduction] [...] L'invention revendiquée dans la revendication 18 vise un procédé qui inclut la réaction de certaines substances chimiques connues avec certaines autres substances chimiques connues. Il s'agit d'un type de réaction chimique bien connu qui a pour but de produire un résultat que tout chimiste compétent aurait pu prévoir. On a admis tout cela au paragraphe 1 de l'exposé conjoint des faits et il en découle, malgré le fait additionnel que personne n'avait encore effectué la réaction en utilisant ces substances précises, que le procédé ne pouvait constituer une invention, à moins qu'il n'ait produit des substances possédant une utilité que les connaissances de l'époque ne permettaient pas de prévoir. En tant que simples nouvelles substances chimiques, elles ne pourraient constituer des inventions, à moins de posséder des utilités imprévues, mais si on conclut qu'elles possèdent de telles utilités, comme médicaments, peinture ou teinture par exemple, ou qu'elles ont un quelconque usage pratique, elles pourraient à la fois constituer des inventions de substances nouvelles et utiles et présenter l'utilité nécessaire pour élever au statut d'invention des méthodes bien connues lorsque celles‑ci sont utilisées pour fabriquer ces substances. Si je comprends bien, cela est l’effet du raisonnement du juge Jenkins, dans Re May & Baker Ltd. and Ciba Ltd. (1948), 65 R.P.C. 255, auquel la Cour suprême du Canada a souscrit et qu’elle a adopté dans l’arrêt Commissioner of Patents c. Ciba Ltd., 30 C.P.R. 135, 19 Fox Pat. C. 18, 18 D.L.R. (2d) 375, [1959] R.C.S. 378.

 

 

[98]           En conséquence, dans la mesure où l’exigence de l’utilité est remplie, il est possible de dire que l’objet de la revendication est inventif. Pour ce motif, je dois me pencher sur l’allégation concernant l’absence d’utilité.

 

utilité

[99]           Selon la définition du mot « invention » à l’article 2 de la Loi sur les brevets,  l’invention doit présenter le caractère de « la nouveauté et de l’utilité ». Comme l’a observé le président Thorson dans Minerals Separation North American Corp. c. Noranda Mines Ltd., [1947] R.C.E. 306, à la page 317, il faut que la description du brevet énonce tous les renseignements connus de l’inventeur, sans que le sujet soit laissé au hasard, pour que l’invention fonctionne :

La description doit aussi fournir tous les renseignements nécessaires pour le bon fonctionnement ou la bonne utilisation de l'invention, sans que ce résultat soit laissé au hasard d'une expérience réussie, et si des avertissements sont nécessaires pour éviter l'échec, ces avertissements doivent être présents. De plus, l'inventeur doit agir en toute bonne foi et donner tous les renseignements qu'il connaît pour mettre en œuvre l'invention de façon à obtenir le mieux possible le résultat qu'il a conçu.

 

 

[100]       Il est clair qu’une utilité imprévue peut appuyer une invention évidente par ailleurs. Cette utilité doit cependant être clairement énoncée dans la description. Il ne suffit pas de simplement déclarer qu’il y a des avantages. J’ai passé en revue ce domaine du droit dans Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Ltd., [2008] 2 R.C.F. 749 (appel rejeté en raison de son caractère théorique, [2008] 3 R.C.F. 449, autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée) aux paragraphes 135 et 136 :

135 L’invention réside donc dans le fait d’avoir établi qu’un composé faisant partie d’une catégorie de composés antérieurement divulguée présente un avantage non divulgué antérieurement; le brevet qui revendique un tel avantage est valide si ce dernier ne pouvait être prédit « avec [. . .] tant soit peu de confiance » et si la personne versée dans l’art ne « se serait [pas] attendue à [le] trouver dans un grand nombre d’éléments de la catégorie antérieurement divulguée ». La Cour d’appel fédérale explique au paragraphe 31 de Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2007] 2 F.C.R. 137, [2007] 2 R.C.F. 137, que l’évitement d’un désavantage est assimilable à l’« avantage » en question :

 

Pour satisfaire à l’exigence d’utilité découlant du paragraphe 34(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C., 1985, ch. P‑4 ((ancienne Loi), les éléments sélectionnés doivent présenter un avantage par rapport à la catégorie en général (voir Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Sask.) [Ltd.], [1981] 1 R.C.S. 504, aux pages 525 et 526). Ce dernier arrêt a donné une définition large de l’utilité nécessaire à la validité d’un brevet dont traite Halsbury’s Laws of England (3e éd.), vol. 29, à la page 59 :

 

[traduction] [. . .] il y a suffisamment d’utilité pour justifier un brevet si l’invention donne soit un objet nouveau ou meilleur ou moins dispendieux ou si elle accorde au public un choix utile.

 

Toutefois, il n’existe aucune exigence juridique particulière quant au type précis d’avantage nécessaire. Il est établi que le critère en matière d’avantage comprend l’évitement d’un désavantage, comme c’est le cas en l’espèce (voir I.G. Farbenindustrie, à la page 322).

 

136 L’avantage, cependant, doit être exposé dans le mémoire descriptif. Le breveté ne peut se contenter de déclarer que le composé ou le groupe de composés sélectionné comporte des avantages. Il doit exposer clairement l’invention, c’est‑à‑dire les avantages précis de ce composé ou de ce groupe, ainsi que le faisait observer le juge Maugham aux pages 321 à 323 de l’arrêt In re I.G. Farbenindustrie A.G.’s Patents (1930), 47 R.P.C. 239 (Ch. D.), auquel la Cour d’appel fédéral se réfère dans Sanofi‑Synthelabo Canada Inc. c. Apotex Inc., (2006), 282 D.L.R. (4th) 179. On peut lire ce qui suit aux pages 322 et 323 de Farbenindustrie :

 

[traduction] Il est clair, par exemple, qu’une simple vérification n’est pas une invention; voir Sharpe & Dohme Inc. v. Boots Pure Drug Co. Ld. (1928), 45 R.P.C. 153. Lorsque le mode de fabrication est décrit dans le brevet d’origine, le brevet de sélection ne doit pas être la reproduction exacte de la description de ce procédé, accompagnée d’un exposé des propriétés des substances sélectionnées. Personne ne peut se faire délivrer un brevet pour avoir simplement établi les propriétés d’une substance connue.

[...]

 

Je dois ajouter quelques mots au sujet de la rédaction du mémoire descriptif d’un tel brevet. Il devrait être évident, après ce que j’ai dit au sujet de l’essence de l’étape inventive, qu’il est nécessaire pour le breveté de définir en termes clairs la nature de la caractéristique que possède selon lui la sélection sur laquelle il revendique un monopole. Il n’a en réalité divulgué aucune invention s’il affirme simplement que le groupe sélectionné possède des avantages. Tout à fait indépendamment de la question dite du caractère suffisant de l’exposé, il doit divulguer une invention, ce qu’il ne fait pas, dans le cas d’une sélection de caractéristiques spéciales, s’il ne définit pas adéquatement ces caractéristiques. Les mises en garde formulées de façon répétée à la Chambre des lords en ce qui a trait à l’ambiguïté ont, je crois, un poids spécial dans le contexte des brevets de sélection. Natural Colour etc. Ltd. v. Bioschemes Ltd. (1915), 32 R.P.C. 256, à la p. 266; voir aussi British Ore etc. Ltd. v. Minerals Separation Ltd. (1910), 27 R.P.C. 33, à la p. 47.

[101]       Dans ce qui est devenu connu comme la décision AZT, Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153, la question du caractère adéquat de la divulgation à l’égard de l’utilité a été examinée tout d’abord par le juge de première instance et finalement par la Cour suprême du Canada. Ce sont les principes consacrés par la Cour suprême qui doivent guider la Cour, et non ceux du juge première instance. La Cour suprême a statué que, en l’absence d’une divulgation pleine et entière dans le brevet lui‑même à partir de laquelle la personne versée dans l’art peut conclure qu’il y a une utilité, la divulgation peut néanmoins être considérée adéquate à cette fin si cette personne peut « prédire valablement » qu’il y aura une utilité. Au nom de la cour, le juge Binnie a énoncé les trois éléments d’une prédiction valable : premièrement, un fondement factuel; deuxièmement, un raisonnement clair et valable; troisièmement, une divulgation suffisante. Voici les observations qu’il a faites au paragraphe 70 :

70 La règle de la prédiction valable comporte trois éléments. Premièrement, comme c’est le cas en l’espèce, la prédiction doit avoir un fondement factuel. Dans les arrêts Monsanto et Burton Parsons, les composés testés constituaient le fondement factuel, mais d’autres faits peuvent suffire selon la nature de l’invention. Deuxièmement, à la date de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et « valable » qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité. Dans les arrêts Monsanto et Burton Parsons, le raisonnement reposait sur la connaissance de l’« architecture des composés chimiques » (Monsanto, p. 1119), mais là encore, d’autres raisonnement peuvent être légitimes selon l’objet de l’invention. Troisièmement, il doit y avoir divulgation suffisante. Normalement, la divulgation est suffisante si le mémoire descriptif explique d’une manière complète, claire et exacte la nature de l’invention et la façon de la mettre en pratique : H. G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions (4e éd. 1969), p. 167. En général, il n’est pas nécessaire que l’inventeur fournisse une explication théorique de la raison pour laquelle l’invention fonctionne. Le lecteur pragmatique est uniquement intéressé de savoir que l’invention fonctionne et comment la mettre en pratique. Dans ce type d’affaire, toutefois, la prédiction valable est, jusqu’à un certain point, la contrepartie que le demandeur offre pour le monopole conféré par le brevet. Il n’y a pas lieu en l’espèce de se prononcer sur la divulgation particulière requise à ce sujet, parce que les faits sous‑jacents (les données résultant des tests) et le raisonnement (l’effet bloquant sur l’élongation de la chaîne) étaient effectivement divulgués et que cette divulgation n’est pas devenue un sujet de controverse entre les parties. En conséquence, je ne m’y attarderai pas davantage.

 

[102]       Quelle est alors la divulgation relative à l’utilité dans le brevet 191 qui doit appuyer le monopole revendiqué à l’égard de la granulométrie des particules? Cette divulgation est‑elle en soi suffisante pour soutenir la revendication d’utilité et, sinon, la description dans le brevet contient‑elle suffisamment d’éléments pour permettre une prédiction valable que tout ce qui y est revendiqué sera utile en ce qui a trait à la taille des particules?

 

[103]       Je reviens à la page 18 du brevet 191, lequel affirme qu’il y a une cohérence surprenante dans la « plage de distribution des tailles des particules ». Au vu des réclamations, seule la revendication 2 définit une plage de tailles, entre 5 et 20 microns. Les réclamations 1 et 3 ne portent que sur la taille maximale, une taille moyenne des particules de moins de 25 microns, au moins 90 % de celles‑ci sont inférieures à 50 (dans la réclamation 3‑35) microns. Novopharm n’a pas allégué ou fait valoir l’ambigüité. Je supposerai que la personne versée dans l’art lira les réclamations 1 et 3 comme la définition d’une plage se référant à ce qui est appelé « distribution de Gauss » telle qu’illustrée par M. Bugay au paragraphe 20 de son affidavit :

 

[104]       On peut donc dire que la « plage » des réclamations 1 et 3, en l’absence d’une allégation de Novopharm d’imprécision et d’ambigüité, est ce qui est raisonnablement établi par la distribution de Gauss.

[105]       Quelle est donc l’information divulguée dans le brevet 191 pour établir que dans la plage il existe une cohérence surprenante entre l’absorption et la biodisponibilité in vivo?

 

[106]       Les seules données pertinentes concernant l’absorption et la biodisponibilité in vivo dans le brevet 191 sont celles qui figurent dans les tableaux 4 à 6 ainsi que les pages d’analyse 12 à 15. Dans ces tableaux et dans les analyses, seuls deux échantillons sont examinés. Un lot, le lot 5A, est bien au-delà de la plage revendiquée, avec une taille moyenne des particules de 48,1 microns (par opposition à 25 microns) et 90 % inférieures à 90 microns (par opposition à 50 microns). L’autre lot, le lot 5B, est en deçà de ces limites, avec une taille moyenne des particules de 9 microns (par opposition à 25 microns) et 90 % de moins de 15,1 microns (versus 50 microns). Un lot, le lot 5A, est bien en dehors de la plage, l’autre, le lot 5B, est bien en deçà de celle‑ci.

 

[107]       Un seul point ne peut pas définir une plage. Il n’existe pas de données aux limites ou près des limites de la plage, il n’est pas  non plus fourni de données sur un certain nombre de points à l’intérieur de cette plage de façon à établir qu’il existe dans la plage une étonnante cohérence. Un seul point dans la plage ne peut constituer une preuve de cohérence dans toute la plage.

 

[108]       Par conséquent, il faut donc rechercher si le brevet 191 contient suffisamment de renseignements permettant à la personne versée dans l’art de « prédire valablement » la cohérence à l’intérieur de la plage. L’expert de Novopharm, M. Kanfer aux paragraphes 82 à 95 de son affidavit, indique que le brevet 191 n’énonce pas de fondement pour une « prédiction valable ». Ses opinions n’ont pas vacillé en contre‑interrogatoire. Dans son affidavit, l’expert de la demanderesse, M. Williams, ne se prononce pas clairement sur la question de savoir si le brevet contient une description suffisante qui permettrait de prédire valablement la cohérence à l’intérieur de la plage. J’ai examiné avec soin la transcription du contre‑interrogatoire de M. Williams, plus particulièrement aux pages 37 à 69, et je conclus qu’il ne peut fournir aucun fondement à l’égard duquel une prédiction valable peut être faite. Il semble plutôt incertain et peut‑être même confus en ce qui a trait à cette question.

 

[109]       En conséquence, je conclus que les revendications 1, 2 et 3, et donc les revendications 4 à 8 du brevet 191 sont invalides en ce que la description du brevet n’établit pas que la plage revendiquée de la taille des particules possède l’utilité promise, à savoir une absorption et une biodisponibilité cohérentes in vivo. L’allégation de Novopharm quant à l’invalidité pour cause d’absence d’utilité est justifiée.

 

résumé

[110]       En résumé, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, l’allégation de Novopharm quant à la non‑contrefaçon doit être retenue. Je conclus également que l’allégation de Novopharm quant à l’invalidité des revendications du brevet 191 doit être retenue au motif que l’utilité de l’invention, la cohérence de l’absorption et de la biodisponibilité in vivo, en deçà de la plage revendiquée de la taille des particules n’a pas été décrite et n’aurait pas pu avoir été prédite valablement, étant donné le contenu de la description. La demande est donc rejetée avec dépens en faveur de Novopharm.

 

dépens

[111]       Novopharm est la partie qui a obtenu gain de cause en l’espèce. Elle a droit à ses dépens qui peuvent être taxés, comme il se doit dans ce genre de causes, selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne IV.

 

[112]       Les dépens pour deux avocats, un avocat principal et un avocat en second, à l’audience peuvent être taxés. Les dépens pour deux avocats, s’ils sont présents, un avocat principal et un avocat en second, qui mènent un contre‑interrogatoire peuvent être taxés. Seul un avocat, un avocat principal, est autorisé pour la défense d’un contre‑interrogatoire. Les dépens ne sont pas autorisés pour d’autres avocats, internes ou externes, des étudiants, des techniciens juridiques ou des employés.

 

[113]       Comme dans d’autres affaires antérieures du même genre, je persiste à dire que les honoraires accordés pour les experts sont peut-être excessifs. En l’espèce, Novopharm peut taxer les honoraires de MM. Kanfer et Biggs et peut taxer les coûts raisonnables des expériences réalisées par Dalton qui ont été communiquées dans les affidavits de Mme Zhao. Ces honoraires et coûts ne peuvent être démesurément élevés eu égard aux honoraires et coûts imposés à la demanderesse par ses témoins, MM. Williams et Bugay, ou pour les tests réalisés par PTL. Il sera possible de


s’adresser à moi si un différend devait survenir à cet égard. Je m’attends toutefois à ce que les avocats puissent convenir d’un montant. Aucun autre montant n’est autorisé pour d’autres experts ou personnes qui peuvent avoir aidé Novopharm ou ses témoins.

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                T‑1562‑07

 

INTITULÉ :                                                               ELI LILLY CANADA INC. c. NOVOPHARM LIMITED et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LES 16, 17, 18 ET 19 FÉVRIER 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE Hughes

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 19 MARS 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Patrick Smith

Jeff Mutter

 

POUR LA DEMANDERESSE

ELI LILLY CANADA INC.

 

Barbara Murchie

Trent Horne

Chandimal Nicholas

 

Aucune comparution

POUR LA DÉFENDERESSE

NOVOPHARM LIMITED

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowlings Lafleur Henderson, s.e.n.c.r.l.

Avocats

2600‑160, rue Elgin

Ottawa (Ontario)  K1P 1C3

Télécopieur : 613‑563‑9869

POUR LA DEMANDERESSE

ELI LILLY CANADA INC.

 

 

 

 

Bennett Jones LLP

3400, One First Canadian Place

C.P. 130

Toronto (Ontario)  M5X 1A4

Télécopieur : 416‑863‑1200

 

 

 

 

Ministère de la Justice

Section du contentieux des affaires civiles

234, rue Wellington, Tour Est

Ottawa (Ontario)  K1A 0H8

Télécopieur : 613‑954‑1920

 

POUR LA DÉFENDERESSE

NOVOPHARM LIMITED

 

 

 

 

 

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

 

 

 

 

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