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Date : 20090310

Dossier : T-575-08

Référence : 2009 CF 251

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2009

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

PFIZER CANADA INC., PFIZER LIMITED et

PFIZER RESEARCH AND DEVELOPMENT COMPANY, NV/SA

 

demanderesses

et

 

PHARMASCIENCE INC.

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté par Pfizer Canada Inc., Pfizer Limited et Pfizer Research and Development Company, NV/SA (collectivement désignées sous le nom de Pfizer) à l’encontre d’une décision par laquelle un protonotaire a rejeté une requête en production de documents qui, selon Pfizer, est nécessaire et pertinente quant à la poursuite de sa demande d’avis de conformité (l’AC). La présente instance découle de la seconde de deux requêtes présentées par Pfizer en vue d’obtenir essentiellement la production des mêmes documents. La requête initiale a été rejetée par le protonotaire Kevin Aalto dont la décision a été confirmée en appel par le juge Russel Zinn. 

 

I.                   Contexte

[2]               Pharmascience Inc. a signifié un avis d’allégation (l’AA) à Pfizer le 22 février 2008 à l’égard des brevets nos 1 321 393 et 2 170 278, concernant le produit médicamenteux Norvasc (bésylate d’amlodipine). Pfizer a répondu en présentant, conformément au Règlement AC, une demande afin d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la santé (le ministre) de délivrer un avis de conformité à l’endroit de Pharmascience avant l’expiration de ces brevets. Pharmascience a répondu en présentant une demande de rejet, conformément aux alinéas 6(5)a) et b) du Règlement AC, fondée sur des allégations d’absence de contrefaçon et d’inadmissibilité à l’inscription. 

 

[3]               Pfizer avait au départ demandé la production d’une série de documents qui était apparemment pertinente quant à l’argument selon lequel le ministre avait peut-être commis une erreur dans son traitement de la présentation de drogue nouvelle de Pharmascience. Pfizer a présenté une requête en production de plusieurs documents qui, selon elle, étaient nécessaires « pour établir sa preuve quant au caractère insuffisant de la présentation de drogue nouvelle de Pharmascience ».  Il ressort clairement du dossier que cette requête était formulée plus étroitement que la lettre initiale du 2 mai 2008 de Pfizer à Pharmascience qui demandait ces documents également en raison de leur prétendue pertinence quant à l’allégation d’absence de contrefaçon de Pharmascience. On ne m’a présenté aucun élément de preuve exposant les raisons pour lesquelles Pfizer a plus tard formulé sa requête initiale aussi étroitement qu’elle ne l’a fait et sans faire référence, de façon évidente, à la question de fond relative à l’absence de contrefaçon. 

 

[4]               Dans la requête initiale en production de Pfizer, le protonotaire Aalto a examiné la question de la pertinence des allégations concernant les mesures prises par le ministre. Il a également examiné leur pertinence quant à la question de fond de l’absence de contrefaçon. C’est ce qui ressort clairement du passage suivant tiré de sa décision :

[traduction]

 

L’avis d’allégation décrit les questions à trancher dans les instances introduites sous le régime du Règlement. En l’espèce, l’avis d’allégation porte sur la validité et la contrefaçon plutôt que sur des questions d’innocuité et d’efficacité [voir l’article 5 du Règlement; et aussi Fournier Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) 2004 CF 1718, aux paragraphes 6 et 8; et, Bayer, précitée].  Pharmascience a fourni à Pfizer les sections pertinentes de sa PDN à l’égard de son produit en cause. Ces documents indiquent entre autres, la substance médicamenteuse, le nom du fabricant, les spécifications de cette substance, le procédé de fabrication et les études de stabilité de ce produit. Pharmascience a également fourni une copie de la monographie du produit. Ces documents sont manifestement nécessaires, pertinents et importants.

 

Vu les circonstances de la présente affaire, je ne suis pas convaincu de la nécessité, de la pertinence ou de l’importance de la vaste série de documents supplémentaires demandés par Pfizer pour qu’elle puisse faire valoir sa position dans la présente instance. Pharmascience a une requête pendante en vertu du paragraphe 6(5) du Règlement. Dans la requête, les questions soulevées sont de déterminer si le produit médicamenteux de Pharmascience est équivalent à celui de Pfizer et d’examiner le principe de la préclusion. Les documents sollicités par Pfizer ne sont pas pertinents non plus quant aux questions soulevées dans cette requête. Par conséquent, la requête est rejetée […]

 

 

[5]               La décision du protonotaire Aalto a fait l’objet d’un appel qui a été entendu par le juge Zinn : voir Pfizer Canada Inc. et al. c. Pharmascience Inc. et al., 2008 CF 950. Le juge Zinn a reconnu que la décision du protonotaire Aalto ne se limitait pas à la pertinence des documents sollicités sur les mesures prises par le ministre, mais qu’elle visait aussi la question de leur pertinence quant aux questions de fond soulevées par Pharmascience dans son AA. Suivant la décision du juge Zinn, Pfizer a fait valoir que le protonotaire Aalto avait commis une erreur en interprétant les documents sollicités comme se rapportant directement aux questions d’innocuité et d’efficacité du produit (voir le paragraphe 16). Le juge Zinn a rejeté l’appel en alléguant que les documents n’étaient pas pertinents à l’égard d’aucune question soulevée dans le cadre de l’instance (voir le paragraphe 18). 

 

[6]               Pfizer a ensuite présenté une seconde requête en vue d’obtenir essentiellement la production des mêmes documents sollicités dans sa première requête. Cette seconde requête en production était fondée sur la preuve et l’argument selon lesquels les documents étaient pertinents quant à la question de fond de l’absence de contrefaçon et qu’il y a donc lieu de prononcer une ordonnance. La protonotaire Martha Milczynski a entendu la seconde requête de Pfizer et l’a rejetée. Les motifs de sa décision sont exposés dans le passage suivant tiré de l’ordonnance  :

[traduction]

 

Pharmascience a refusé, de la même manière qu’elle l’avait fait dans la première requête, de fournir des renseignements au sujet de la fabrication de l’ingrédient brut, une description du procédé de fabrication, l’élaboration du procédé ou la composition de la forme dosifiée et de ses composantes. Pharmascience allègue que les demanderesses ont sollicité ces renseignements et que ceux-ci leur ont été refusés dans la première requête en production, et que même si de nouveaux documents étaient sollicités, Pharmascience soutient que de telles demandes auraient pu et auraient dû être faites dans la requête initiale. Je suis du même avis. La présente requête est effectivement la deuxième tentative des demanderesses et doit être rejetée.

 

En particulier dans le cadre des demandes faites en vertu du glement sur les MB(ADC), les requêtes en production, même si elles visent à obtenir des choses différentes (ce qui n’est pas le cas en l’espèce selon moi), ne peuvent être présentées en séries ou par tranches. Les demandes sont traitées par voie sommaire en vertu du glement sur les MB(ADC) et doivent être entendues et tranchées dans la période prévue de deux ans. Il n’y a pas de temps pour les requêtes en production multiples, de même que pour les délais inévitables et la complexité accrue qu’entraîneraient de telles requêtes. Comme l’a énoncé la Cour suprême du Canada dans Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, aux paragraphes 18 à 20 :

 

Le droit tend à juste titre à assurer le caractère définitif des instances.  Pour favoriser la réalisation de cet objectif, le droit exige des parties qu’elles mettent tout en œuvre pour établir la véracité de leurs allégations dès la première occasion qui leur est donnée de le faire.  Autrement dit, un plaideur n’a droit qu’à une seule tentative.

 

Une personne ne devrait être tracassée qu’une seule fois à l’égard d’une même cause d’action..

 

C’est contre cette décision que les demanderesses ont interjeté appel.

 

II.        Question en litige

[7]               La protonotaire a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a décidé de rejeter la requête en production de documents de Pfizer?

 

III.       Analyse

[8]               Je ne suis pas tout à fait sûr si Pfizer a exposé de manière approfondie son argument relatif à la pertinence dans sa requête initiale en production présentée au protonotaire Aalto. Néanmoins, Pfizer ne peut prétendre maintenant qu’elle a oublié la question de la pertinence quant au fond à l’égard de cette requête, puisqu’elle avait au départ demandé à Pharmascience de produire des documents sur ce fondement général dans sa lettre du 5 mai 2008. De plus, elle n’a produit aucune preuve pour expliquer les raisons pour lesquelles elle avait formulé si étroitement sa requête initiale alors qu’elle était apparemment d’avis que les mêmes documents étaient pertinents quant à la question de l’absence de contrefaçon. 

 

[9]               Je ne peux relever aucune erreur dans la décision de la protonotaire Milczynski d’exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser d’accorder la réparation en se fondant sur la préclusion de la même question en litige ou sur l’autre motif d’abus de procédure pour remise en cause. Dans des affaires comme celle-ci, on s’attend à ce qu’un demandeur présente ses meilleurs moyens dès le départ, et il ne devrait pas lui être permis de séparer ses argument s’il échoue à la première tentative.  Bien que je reconnaisse que ces règles ne sont peut-être pas toujours rigidement appliquées dans le cadre des requêtes interlocutoires, certaines explications devraient être fournies lorsque la requête initiale n’était pas exhaustive. Dans ces circonstances, je ne serais pas prêt à exercer mon pouvoir discrétionnaire différemment pour les mêmes raisons précisément que celles exposées par la protonotaire Milczynski. 

 

[10]           Je suis également d’accord avec Pharmascience pour dire que la seconde requête en production de Pfizer constitue une contestation indirecte de l’ordonnance du juge Zinn. Le dernier a jugé que les documents sollicités n’étaient pas pertinents quant à aucune des questions soulevées dans la demande sous-jacente. Peu importe si cette conclusion dépassait la portée de la requête dont il était saisi, elle constituait néanmoins une conclusion qui devrait être examinée en appel et qui, en réalité, ne pouvait être contestée dans une seconde requête sollicitant la même réparation. 

 

[11]           J’ajouterais que je ne trouve pas que le témoignage du DStephen Byrn justifie à ce point la pertinence de ces documents. Le témoignage du Dr Alexander Klibanov semble suffire pour établir que la demande de Pfizer ne révèle rien de plus qu’une hypothèse improbable ou, autrement dit, qu’elle constitue « une expédition de pêche » : voir également la décision du protonotaire Aalto dans Pfizer c. Apotex (T-876-08 et T-886-08) daté du 10 février 2009. 

 

[12]           Par conséquent, la présente demande sera rejetée, les demanderesses étant tenues de payer les dépens pour un montant de 2 500 $, incluant les débours.    

 


 

ORDONNANCE

 

            LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée, les demanderesses étant tenues de payer les dépens pour un montant de 2 500 $, incluant les débours. 

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-575-08

 

INTITULÉ :                                       Pfizer Canada Inc. et al.

                                                            c.

                                                            Pharmascience Inc. et al.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 décembre 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Barnes

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 mars 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Kamleh J. Nicola et

W. Grant Worden

416-865-7324

416-865-7698

 

POUR LES DEMANDERESSES

Carol Hitchman et

Greg Beach

416-777-2270

 

POUR LA DÉFENDERESSE

PHARMASCIENCE INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Torys LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Hitchman & Sprigings

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

PHARMASCIENCE INC.

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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