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Federal Court

 

Cour fédérale

 


 

Date : 20090120

Dossier : T-861-08

Référence : 2009 CF 47

Ottawa (Ontario), le 20 janvier 2009

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

MICHAEL CURB

 

demandeur

 

et

 

 

 

SMART & BIGGAR

 

défenderesse

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Mike Curb est un producteur de disques américain bien connu. Sa société, Curb Records, représente des artistes country et western célèbres comme LeAnn Rimes, Tim McGraw et Jo Dee Messina. Il est également le propriétaire inscrit de la marque de commerce Curb Records enregistrée au Canada, sous le numéro LMC521,953, initialement en liaison avec les marchandises et les services suivants :

Marchandises : enregistrements sonores et audiovisuels; publications imprimées, nommément affiches; vêtements, nommément tee-shirts et casquettes.

 

Services : services de divertissement fournis au moyen de musique préenregistrée et de musique en direct; et production, édition et distribution d’enregistrements sonores et audiovisuels.

 

[2]               Le 4 novembre 2005, à la demande de Smart & Biggar, la registraire a transmis, en application de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, un avis enjoignant à M. Curb de lui fournir la preuve que la marque de commerce avait été employée en liaison avec chacune des marchandises et chacun des services susmentionnés à un moment quelconque au cours des trois années précédentes.

 

[3]               À la lumière de l'affidavit de Tracy Moore, vice-présidente directrice, Affaires commerciales et juridiques, chez Curb Records, et des observations écrites des parties, la registraire a conclu que la marque de commerce avait été utilisée au Canada pendant la période pertinente en liaison avec des enregistrements sonores et audiovisuels. Toutefois, elle a aussi conclu que la preuve ne permettait pas de conclure que la marque de commerce avait été utilisée en liaison avec les autres marchandises et les services énumérés dans l'enregistrement, et elle a ordonné que la marque de commerce soit modifiée de manière à ce que les marchandises et services suivants n’y figurent plus : affiches, tee-shirts, casquettes, services de divertissement au moyen de musique préenregistrée et de musique en direct et production, édition et distribution d’enregistrements sonores et audiovisuels. Il s'agit d'un appel de cette décision déposé en vertu de l'article 56 de la Loi.

 

[4]               La défenderesse et la registraire ont pris part à l’instruction.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[5]               L’appel soulève les questions suivantes :

a.       Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de la registraire ?

b.      M. Curb a-t-il utilisé la marque de commerce Curb Records au Canada pendant la période pertinente en liaison avec chacune des marchandises et chacun des services ayant été radiés de l’enregistrement?

 

NORME DE CONTRÔLE

[6]               Un appel interjeté en application de l’article 56 est une procédure hybride en ce sens qu’il est de plein droit permis d’apporter une preuve nouvelle. En l’espèce, de nouveaux éléments de preuve ont été présentés concernant quatre des cinq marchandises et services radiés de l’enregistrement. Bien que la nouvelle preuve ne vise pas de façon spécifique le cinquième élément, à savoir les tee‑shirts et les casquettes, le demandeur demande à la Cour de faire des inférences à partir du contexte factuel, plus particulièrement à partir des nouveaux éléments de preuve soumis quant à d’autres marchandises et services, et d’infirmer la décision de la registraire en ce qui le concerne également.

 

[7]               Lorsque de nouveaux éléments, qui auraient eu d’importantes incidences sur les conclusions du registraire, sont déposés en preuve, la Cour peut entendre l’affaire de nouveau, sans qu’il soit nécessaire de faire preuve de déférence à l’égard du registraire ou avoir à relever une erreur de sa part (Maison Cousin (1980) Inc. c. Cousins Submarines Inc., 2006 CAF 409, 60 C.P.R. (4th) 369, et John Labatt Ltd. et al. c. Molson Breweries, a Partnership, 5 C.P.R. (4th) 180).

 

[8]               En l’absence de preuve nouvelle, la norme de contrôle applicable à l’égard de conclusions de fait ou de conclusions mixtes de fait et de droit est celle de la raisonnabilité (Guido Berlucchi & C. S.r.l. c. Brouillette Kosie Prince, 2007 CF 245, 56 C.P.R. (4th) 401, et Maison Cousin, susmentionnée). Les erreurs de droit sont examinées au regard de la norme de la décision correcte (Molson, susmentionnée).

 

DÉCISION

[9]               Je suis arrivé à la conclusion que les nouveaux éléments de preuve auraient eu des incidences importantes sur la décision de la registraire. Ayant examiné l’affaire de nouveau, j’estime que l’appel doit être accueilli, sauf en ce qui concerne les tee‑shirts et les casquettes. Je ne crois pas que la nouvelle preuve permette de répondre à la question de savoir si ces articles ont été vendus ou distribués au Canada. Les conclusions du registraire à cet égard étaient raisonnables. J’arriverais à cette conclusion même si j’exerçais mon pouvoir discrétionnaire de novo.

 

[10]           Comme je l’ai déjà signalé, la preuve soumise à l’attention de la registraire était constituée de l’affidavit de Tracy Moore. Dans le cadre de l’appel, Mme Moore a souscrit un nouvel affidavit, beaucoup plus précis que le premier.

 

[11]           Les dispositions pertinentes de la Loi sont les paragraphes 4(1), 4(2), 45(1) et 45(2). L’article 4 se lit comme suit :

4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

 

      (2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services. […]

4. (1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

 

 

 

      (2) A trade-mark is deemed to be used in association with services if it is used or displayed in the performance or advertising of those services. […]  

 

[12]           L’article 45 prévoit que le registraire peut, et doit sur demande écrite, à moins qu’il ne voie une raison valable à l’effet contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant de fournir un affidavit ou une déclaration solennelle « indiquant » si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédents. Les témoignages de vive voix ne sont pas permis, mais le registraire peut entendre des observations.

 

[13]           L’article 45 met en place une procédure sommaire visant à retirer, de façon expéditive, le « bois mort » du registre. Sur ce sujet, voir Re Wolfville Holland Bakery Ltd. (1965), 42 C.P.R. 88, et Aerosol Fillers Inc. c. Plough Canada (Ltd.) (1980), 45 C.P.R. (2nd) 194. Le propriétaire inscrit ne peut se contenter d’affirmer que la marque a été employée, il doit le démontrer. Des éléments de preuve sont nécessaires, et ceux-ci seront acceptés s’ils ne sont pas contredits.

 

[14]           En ce qui concerne les marchandises et les services en litige en l’espèce, la registraire a conclu que rien ne permettait de conclure que des affiches avaient été utilisées au Canada. Toutefois, dans le cadre de l’appel Mme Moore a indiqué que pendant la période pertinente Jo Dee Messina avait mis en vente au Canada un CD, intitulé Delicious Surprise, qui était accompagné d’une affiche.

 

[15]           La registraire a tiré la même conclusion en ce qui concerne les services de divertissement fournis au moyen de musique préenregistrée. Dans son nouvel affidavit, Mme Moore indique qu’à partir d’un ordinateur situé au Canada, il était possible de consulter le site www.curb.com et d’écouter de la musique préenregistrée et de regarder des vidéos. Bien que l’existence de sites Internet transnationaux soulève des problèmes intéressants, pour les besoins de l’espèce, je retiens que M. Curb a, par l’intermédiaire de sa société, avec laquelle il avait conclu une entente, fourni un service écouté au Canada. Cela est suffisant.

 

[16]           Pour ce qui est des services de divertissement fournis au moyen de musique en direct au Canada, la preuve soumise à l’attention de la registraire concernait un concert donné par Lisa Brokop. Toutefois, ce concert n’a pas eu lieu pendant la période pertinente. Je suis d’avis que la nouvelle preuve montre toutefois que Mme Brokop a aussi donné un concert au Canada pendant la période pertinente.

 

[17]           La registraire était également d’avis que rien ne permettait de conclure que des services de production, d’édition et de distribution d’enregistrements sonores et audiovisuels avaient été offerts au Canada. À cet égard, seul un très court extrait d’une entente de distribution entre Curb Records et EMI Music Canada avait été soumis à son attention. Des extraits additionnels du contrat ont été déposés en preuve devant moi, lesquels démontrent que la production, l’édition et la distribution étaient contrôlées par M. Curb. De plus, Curb Records a produit le vidéoclip de Lisa Brokop, intitulé « Wildflower », à Vancouver pendant la période pertinente. Il s’agissait d’une des chansons tirées d’un CD lancé au Canada en janvier 2005. Curb Records a retenu les services de la société qui avait enregistré le vidéo et a approuvé tous les aspects de la production, et de cette façon elle a eu le contrôle ultime sur la musique du vidéo ayant été produit. Cette preuve est suffisante.

 

[18]           Toutefois, s’agissant des tee-shirts et des casquettes, voici ce qu’a déclaré Mme Moore tant devant la registraire que devant la Cour :

[traduction]

En ce qui a trait aux vêtements, ma société ou ses distributeurs autorisés ont, au fil des ans et notamment durant les trois années qui ont précédé la date prévue à l’avis donné en vertu de l’article 45, soit le 4 novembre 2005, vendu et/ou distribué des tee-shirts et des casquettes portant la marque CURB ou CURB RECORDS aux États‑Unis et/ou au Canada. J’ai devant moi des photographies, que je joins comme pièce « G » à mon affidavit, montrant des casquettes et des tee-shirts portant la marque CURB ou CURB RECORDS qui auraient été vendus et/ou distribués aux États-Unis et/ou au Canada.

[Mis en gras par la registraire.]

 

[19]           En appel, le débat a principalement porté sur la question de savoir s’il était nécessaire que les marchandises aient été vendues plutôt que distribuées par d’autres moyens dans la pratique normale du commerce pour satisfaire aux exigences de l’article 4 de la Loi. Or, il faut d’abord se demander si, les marchandises ont été d’une manière ou d’une autre distribuées au Canada. La registraire a conclu qu’il n’y avait aucune preuve en ce sens. L’affidavit de Mme Moore peut certainement mener à cette conclusion sans même qu’il soit nécessaire de s’appuyer sur le principe selon lequel toute ambiguïté dans un affidavit doit être interprétée contre son auteur. Sa décision était raisonnable.

 

[20]           On m’a demandé d’inférer de la preuve, prise dans son ensemble, particulièrement du fait qu’il a été établi que Lisa Brokop a donné un concert au Canada, que des articles de promotion comme les tee-shirts et les casquettes ont été offerts en vente ou autrement sur le marché. Même dans le cadre d’un examen de novo, je conclurais, comme la registraire, que le témoignage de Mme Moore ne démontre pas que ces articles étaient disponibles au Canada. Une conclusion à l’effet contraire relèverait de la spéculation plutôt que de se fonder sur une inférence tirée des faits établis.

 

[21]           Si ces articles ont été importés au Canada, et par la suite exportés, le courtier en douane de M. Curb devrait pouvoir fournir des renseignements pertinents. S’ils ont été vendus, il devrait y avoir des documents comptables, notamment en ce qui concerne la taxe sur les produits et services. Il n’existe tout simplement pas de preuve que les tee-shirts et les casquettes étaient distribués au Canada.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                  que l'appel soit accueilli en partie;

2.                  que la décision de la registraire, datée du 27 mars 2008, soit annulée;

3.                  que la registraire maintienne l’enregistrement de la marque de commerce Curb Records no LMCA521,953 ainsi que la liste initiale des marchandises et services, sauf pour ce qui est de la mention, sous la rubrique Marchandises, des « vêtements, nommément tee‑shirts et casquettes », qui est radiée;

4.                  qu’aucuns dépens ne soient adjugés.

 

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                        T-861-08

 

INTITULÉ :                                                       Michael Curb c. Smart & Biggar

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                               Le 16 janvier 2009

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LE JUGE HARRINGTON

 

DATE :                                                               Le 20 janvier 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christine M. Pallota

 

POUR LE DEMANDEUR

Personne n'a comparu

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bereskin & Parr

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

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