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Date : 20081107

Dossier : IMM-1949-08

Référence : 2008 CF 1246

Toronto (Ontario), le 7 novembre 2008

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

EMMANUEL MEJIA BALLESTEROS,

MARIA EUGENIA GUZMAN DE LA CRUZ

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs, citoyens du Mexique, sont conjoints de fait. Le demandeur est arrivé au Canada le 30 septembre 2006 et a présenté une demande d’asile le 15 décembre 2006. La demanderesse est arrivée au Canada le 29 janvier 2007 et a présenté une demande l’asile le jour même.

 

[2]               Les demandes des demandeurs (la demande) ont été instruites de concert en novembre et en décembre 2007. La demande a été rejetée dans une décision écrite rendue le 10 avril 2006 par le membre de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ayant présidé à l’audience. Il s’agit de la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la demande sera accueillie.

 

[4]               Les demandeurs demeuraient auparavant dans la région de Mexico. Deux prétendants faisaient la cour à la sœur du demandeur; l’un d’eux était un agent de police haut placé. La sœur du demandeur a finalement choisi l’autre prétendant. L’agent de police, Romero, a réagi en harcelant la sœur du demandeur d’une telle façon qu’elle s’est enfuie du Mexique et qu’elle est venue au Canada pour s’accorder du répit. Environ un an plus tard, la sœur du demandeur a présenté une demande d’asile au Canada, qui a été accueillie par la Commission dans une décision rendue le 11 décembre 2002. Les demandeurs allèguent ne pas avoir été au courant de cette décision ou, du moins, de son fondement.

 

[5]               Le demandeur allègue que l’agent de police, Romero, l’a poursuivi et a menacé de le tuer s’il ne lui révélait pas où sa sœur se trouvait. Le demandeur soutient que par deux fois il a porté à la connaissance de la police la conduite de Romero, en vain. Il a quitté le Mexique et est venu au Canada où il a présenté sa demande d’asile.

 

[6]               La demanderesse serait alors devenue la cible du harcèlement et des menaces de Romero, qui voulait la contraindre à lui révéler où la sœur du demandeur se trouvait. La demanderesse et le demandeur attendait un enfant à l’époque. Elle a quitté le Mexique et est venue au Canada où elle a présenté une demande d’asile. L’enfant est né au Canada.

 

[7]               La question fondamentale en l’espèce est de savoir si le Mexique est capable d’offrir aux demandeurs une protection de l’État adéquate. Il est de droit constant qu’il est présumé que la protection de l’État existe, et qu’un demandeur doit réfuter cette présomption au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). Pour réfuter la présomption de protection de l’État, le demandeur doit déposer des éléments de preuve quant à l’insuffisance de la protection de l’État : il s’agit d’un fardeau de présentation. En outre, le demandeur a un fardeau de persuasion : il doit convaincre la Commission que la preuve déposée établit que la protection est insuffisante (Canada (MCI) c. Carrillo, 2008 CAF 94, paragraphes 17 à 19).

 

[8]               Les faits qui suivent ne sont pas contestés :

·        Au regard de faits semblables à ceux de l’espèce, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a accueilli la demande d’asile de la sœur du demandeur;

·        Romero a continuellement et sans ménagement harcelé le demandeur, la demanderesse et même les parents du demandeur;

·        Romero est un agent de police et son père est haut placé au sein du bureau du procureur général. Ses collègues décrivaient Romero comme étant un agent de police dévoyé;

·        Romero a physiquement menacé et agressé les demandeurs;

·        Le demandeur a dénoncé Romero à la police à deux occasions, en vain;

·        La demanderesse a reçu de sa sœur, avocate, le conseil qu’elle devrait simplement quitter le pays, car il était inutile de dénoncer Romero à la police.

 

[9]               Tous ces faits ont été établis par la preuve, et leur crédibilité n’est pas mise en doute.

 

[10]           Le commissaire a écrit ce qui suit à la page 8 de ses motifs :

Si les demandeurs d’asile étaient d’avis que certains membres des forces de l’ordre étaient corrompus, il leur incombait de s’adresser à d’autres membres de cette force ou à un autre service de police. Je suis guidé dans cette analyse par la décision De Baez, dans laquelle la Cour a déclaré : « les actes posés par certains policiers n’empêchent pas qu’il soit nécessaire de tenter d’obtenir la protection des autorités. La discrimination exercée par certains policiers n’est pas une preuve suffisante que l’État n’est pas disposé à protéger les demandeurs ou que ces derniers sont incapables de solliciter la protection de l’État. »

 

 

[11]           Le commissaire n’a pas mentionné que la juge Dawson avait affirmé au paragraphe 14 de la décision De Baez (De Baez c. Canada (MCI), 2003 CFPI 785) que les demandeurs n’avaient jamais communiqué avec la police.

 

[12]           En l’espèce, la preuve établit que le demandeur s’est adressé à la police par deux fois et, selon mon interprétation de la transcription orale, il existe une preuve crédible selon laquelle il aurait communiqué avec la police une troisième fois. La preuve montre clairement que, peu importe qu’il ait communiqué avec la police deux ou même trois fois, la police n’a rien fait.

 

[13]           La demanderesse a demandé conseil à une avocate, qui lui a dit qu’il était inutile de s’adresser à la police.

 

[14]           Étant donné la preuve susmentionnée, le commissaire devait l’apprécier à l’aune d’autres éléments de preuve – documentaires ou autres – clairement établis dont il disposait et non à celle d’une norme arbitraire. Il devait ainsi déterminer si la preuve des demandeurs était prépondérante ou non, ce qu’il n’a pas fait.

 

[15]           L’affaire doit être renvoyée à un autre commissaire pour nouvel examen.

 

[16]           Les parties n’ont présenté aucune question aux fins de certification, et n’ont pas demandé l’adjudication des dépens.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

  1. que la demande est accueillie;
  2. que l’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour nouvel examen;
  3. qu’il n’y a aucune question à certifier.
  4. qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme,

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-1949-08

 

INTITULÉ :                                                   EMMANUEL MEJIA BALLESTEROS, MARIA EUGENIA GUZMAN DE LA CRUZ c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 6 NOVEMBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 6 NOVEMBRE 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Neil Cohen

 

POUR LES DEMANDEURS

Ada Mok

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

Neil Cohen

Avocat

Toronto (Ontario)

 

 

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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