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Date : 20081016

Dossier : T-1054-07

Référence : 2008 CF 1173

Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2008

En présence de madame la juge Dawson

 

 

ENTRE :

ALPHIUS J. WILSON, GILBERT HART, ANDREW MOORE
et WILLIAM A. SIMPSON

demandeurs

et

 

ERIC ROSS, BETSY DEAFFIE, ELEANOR MONIAS et GERTRUDE MEIKLE,
FORMANT LE COMITÉ D’APPEL EN MATIÈRE D’ÉLECTIONS DE LA NATION CRIE DE NORWAY HOUSE, ainsi que ELIZA CLARKE, MIKE MUSWAGON et
LANGFORD SAUNDERS

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Le 16 mars 2006, une élection a été tenue au sein de la Nation crie de Norway House (la NCNH ou la Bande). Les demandeurs, Alphius J. Wilson, Gilbert Hart, Andrew Moore et William A. Simpson, se sont portés candidats - sans succès toutefois – à des postes de conseiller de bande. Les défendeurs, Eliza Clarke, Mike Muswagon et Langford Saunders, étaient des conseillers sortants qui ont été réélus (les trois candidats réélus).

 

[2]               La NCNH est une bande coutumière, qui a donc tenu son élection en vertu des dispositions de sa propre Elections Procedures Act. Cette dernière énonce les motifs pour lesquels les résultats d’une élection peuvent faire l’objet d’un appel, et elle prévoit à cette fin l’établissement d’un comité chargé d’entendre cet appel (le Comité d’appel).

 

[3]               L’alinéa 7.1a) de l’Elections Procedures Act est pertinent en l’espèce. Cette disposition permet à n’importe quel candidat ou électeur qui a des motifs raisonnables de croire [traduction] « qu’il y a eu une manœuvre corruptrice en rapport avec l’élection » d’interjeter appel de l’élection d’un ou de plusieurs candidats.

 

[4]               Les demandeurs ont interjeté appel en application de l’alinéa 7.1a) de l’Elections Procedures Act, alléguant l’existence d’une manœuvre corruptrice de la part des trois candidats réélus.

 

[5]               Le Comité d’appel a entendu la preuve les 20 et 21 février 2007, ainsi que les 3 et 4 avril 2007. Il a rejeté l’appel le 10 mai 2007, pour des motifs exposés le 26 juin 2007. C’est cette décision-là qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[6]               La demande de contrôle judiciaire est accueillie car le Comité d’appel a commis une erreur de droit dans son interprétation de ce qui constitue une manœuvre corruptrice.

 

Les motifs de l’appel

[7]               Il est possible de résumer comme suit la manœuvre corruptrice dont les demandeurs font état :

(i)                  Peu avant l’élection, les trois candidats réélus ont signé et expédié des lettres avisant certains membres de la Bande que leur [traduction] « demande de logement a été approuvée pour l’année financière 2005-2006 ». Des maisons ou des roulottes avaient été censément attribuées aux destinataires de ces lettres. Ceux-ci ont été informés qu’on les contacterait pour discuter de l’endroit où ils aimeraient que leur maison ou leur roulotte soit située. (Plus de 70 personnes ont reçu de telles lettres, et 95 lettres ont été expédiées.)

 

(ii)                Juste avant l’élection, les trois candidats réélus ont accordé à des membres de la Bande une somme extraordinaire de fonds pour besoins spéciaux.

 

(iii)               Les trois candidats réélus n’ont pas fourni de renseignements aux autres candidats, et ils se sont servis des renseignements dont ils disposaient à titre de conseillers en vue d’obtenir un avantage indu par rapport aux demandeurs.

 

(iv)              Les trois candidats réélus ont pris part à des réunions secrètes, dont une en particulier, le 9 janvier 2006, à l’occasion de laquelle ils ont discuté d’attributions de logements.

 

(v)                Les trois candidats réélus ont pris part à l’attribution des logements, mais sans suivre la politique en matière d’habitation que la Bande avait adoptée en 2005.

 

La preuve

[8]               Le Comité d’appel a admis en preuve un certain nombre de documents. La pièce 3 était le manuel de la Politique en matière d’habitation de la NCNH. Cette politique avait été adoptée et entérinée par le chef et le conseil le 6 juillet 2005 (voir la pièce 2)1. Cette date est importante, en ce sens que l’élection du 16 mars 2006 était la première que tenait la Bande depuis l’adoption de la Politique en matière d’habitation.

 

[9]               Les dispositions pertinentes de la Politique en matière d’habitation figurent au chapitre 2, intitulé [traduction] « Principes directeurs », et le texte des alinéas 1.A. (iii) et (v) est le suivant :

[traduction

iii.         Aucun membre du [Service d’habitation de la NCHN] ou du conseil ne peut rendre une décision définitive ou donner aux membres de la NCNH une garantie quelconque à l’égard de rénovations, d’un nouveau logement ou d’une décision favorable.

 

[…]

 

v.         Le chef et le conseil ont le pouvoir ultime et prennent les décisions finales pour tout ce qui concerne la Politique en matière d’habitation.

 

[10]           Le Comité d’appel a entendu les dépositions d’un certain nombre de témoins et a écrit dans ses motifs qu’il reconnaissait que [traduction] « la déposition de l’ensemble des témoins était franche et véridique », mais il n’a accordé aucun poids à celle de Farah Balfour, un témoin qui avait quitté l’audience avant qu’on puisse la contre-interroger.

 

[11]           Deux des témoins étaient des candidats qui avaient été élus : Marcel Balfour et Eric Apetagon. Marcel Balfour avait occupé le poste de conseiller de la Bande, et avait été élu comme chef le 16 mars 2006. Eric Apetagon était un conseiller de la Bande qui avait été réélu le 16 mars 2006.

 

[12]           En ce qui concerne les lettres envoyées au sujet de l’attribution de maisons ou de roulottes, le chef Balfour a déclaré ce qui suit :

 

·        Il avait cherché, mais sans succès, le procès-verbal d’une réunion quelconque au cours de laquelle le chef et le conseil auraient approuvé et ratifié les noms de membres de la Bande à qui une maison ou une roulotte avait été attribuée.

·        Aucun avis ne lui avait été signifié au sujet de la tenue d’une réunion où il serait question de l’attribution de logements.

·        À l’époque où les lettres avaient été envoyées, aucune maison ou roulotte n’avait été livrée, approuvée ou financée pour la NCNH.

·        Par une lettre datée du 6 mars 2006 (pièce 8), la Société canadienne d’hypothèques et de logement (la SCHL) a informé la NCNH qu’elle allait devoir lui présenter de nouveau sa demande de logements et réduire le nombre d’unités demandées de 70 unités à 47 roulottes et maisons en tout.

 

[13]           Le témoignage d’Eric Apetagon sur ce point a comporté ce qui suit :

 

·        Avant l’élection, aucune réunion du conseil et aucune résolution du conseil de bande n’ont approuvé l’attribution de logements.

·        Aucune demande de logements de la part de la NCNH ne pouvait être approuvée par le ministre responsable avant que le chef et le conseil aient pris une décision au sujet des capitaux propres que la Bande avancerait, et il n’était au courant d’aucune réunion tenue avant l’élection du chef et du conseil en vue de procéder à cette attribution.

·        On lui avait demandé de signer les lettres envoyées pour informer des membres de la Bande qu’une maison ou une roulotte leur avait été attribuée, mais il ne les avait pas signées, principalement parce que rien n’avait été approuvé ou conclu; la Bande avait simplement fait une demande de logements.

·        Il n’y avait aucune raison légitime pour envoyer les lettres pendant la campagne électorale.

 

[14]           En ce qui concerne les fonds pour besoins spéciaux, le chef Balfour a déclaré ceci :

 

·        La Bande a une politique écrite (pièce 18) au sujet des demandes relatives aux  besoins spéciaux.

·        La politique exige qu’une personne soit bénéficiaire de l’aide sociale pour être admissible à des fonds pour besoins spéciaux. Avant l’élection, certains fonds de cette nature avaient été versés à des personnes qui n’étaient pas bénéficiaires de l’aide sociale.

·        Son bureau a établi la pièce 13, une liste de tous les fonds pour besoins spéciaux qui ont été versés entre décembre 2005 et mars 2006.

·        La pièce 13 indique qu’au cours des mois de décembre 2005 et de janvier 2006, les fonds pour besoins spéciaux ont varié, pour chaque mois, entre 10 000 $ et 12 000 $. Au cours du mois précédant l’élection, soit février 2006, le montant payé au titre des fonds pour besoins spéciaux s’est élevé à 54 833,83 $. Durant les seize premiers jours du mois de mars 2006, un montant total de 12 000 $ a été dépensé à ce titre. La somme d’environ 2 000 $ a été dépensée en mars 2006, après l’élection.

 

[15]           Le conseiller Apetagon a déclaré qu’il n’a pas signé d’allocation pour besoins spéciaux le 8 février 2006 parce que la fin de l’année financière approchait et qu’il s’inquiétait du fait que [traduction] « nous n’aurions pas les fonds nécessaires pour la payer ». Il n’y a pas eu de discussion entre le chef et le conseil à propos de la question de savoir si les destinataires étaient admissibles ou si les fonds étaient disponibles.

 

La décision du Comité d’appel

[16]           La conclusion du Comité d’appel sur l’allégation découlant des lettres envoyées au sujet de l’attribution de maisons ou de roulottes a été la suivante :

[traduction

68.       Personne, sauf Farah Balfour, n’a déclaré qu’on lui avait promis une maison en échange d’un vote. C’est peut-être cette impression que les lettres ont donnée à certains électeurs, mais il n’y a eu aucune preuve directe que c’était le cas.

 

69.       Le Comité conclut que la preuve n’établit pas l’existence d’une manœuvre corruptrice sur la seule foi des lettres. Particulièrement lorsque les défendeurs ont déclaré qu’ils appliquaient leur mandat en tant qu’élus. D’autant plus que de telles lettres avaient été envoyées dans le passé, juste avant des élections, et auparavant en 2004, comme l’a confirmé le conseiller Apetegon.

 

[17]           Pour ce qui est de l’allocation pour besoins spéciaux, le Comité d’appel a écrit ce qui suit :

[traduction

75.       Aucun des témoins des appelants n’a dit avoir reçu ou s’être fait promettre une allocation pour besoins spéciaux en échange d’un vote. Toutes les personnes qui ont reçu une telle allocation étaient connues des appelants et auraient pu être appelées comme témoins. Aucune ne l’a été.

 

76.       Le Comité conclut que la preuve est loin d’établir l’existence d’une manœuvre corruptrice en rapport avec les allocations pour besoins spéciaux.

 

[18]           Au sujet de ce qui constitue, en droit, une manœuvre corruptrice, le Comité d’appel a conclu ce qui suit :

[traduction

77.       Le Comité d’appel a pris en considération la décision Sideleau c. Davidson, [1942] 3 D.L.R. 609 en rapport avec les principes suivants :

 

i.          une certaine conduite donnera lieu à une présomption de manœuvre corruptrice;

 

ii.          lors d’une élection, la distribution d’argent et d’alcool à des organisateurs locaux à qui on n’avait pas demandé de rendre compte de leurs déboursés a créé une présomption et permis à la Cour d’inférer que cette distribution avait pour but de corrompre des électeurs;

 

iii.         il n’est pas nécessaire de prouver l’existence d’un régime systématique de manœuvres corruptrices susceptibles d’influencer les votes à grande échelle.

 

78.       Dans cette situation, l’octroi de fonds pour besoins spéciaux et l’attribution de logements s’inscrivent dans le cadre ordinaire des activités de la bande et de son conseil. Rien dans l’Elections Procedures Act ne suspend les activités du conseil en période électorale. Le Comité considère donc que les intimés avaient une « fin licite » principale.

 

79.       Les appelants doivent donc détenir une preuve de l’existence de manœuvres corruptrices de ce genre en marge des fonctions ordinaires des conseillers (c’est-à-dire, l’attribution de logements ou l’octroi de fonds pour besoins spéciaux) ou prouver qu’ils ont exécuté leurs fonctions ordinaires d’une manière corrompue (p. ex., attribuer des fonds ou des articles pour besoins spéciaux à des membres fortunés de la bande, réattribuer à des membres de la Bande qui ne sont pas dans le besoin des logements destinés à des membres dans le besoin) ou qu’ils ont attribué des fonds pour besoins spéciaux excessifs à des membres.

 

[19]           Le Comité d’appel a conclu ce qui suit :

[traduction

82.       Dans l’appel, les appelants n’ont produit aucun témoin qui a prétendu qu’on lui avait promis des fonds pour besoins spéciaux ou un logement en échange de son vote.

 

83.       Les défendeurs ont déclaré qu’ils exécutaient leurs fonctions ordinaires, pour lesquelles ils ont une fin licite. [Non souligné dans l’original.]

 

Qu’est-ce qu’une manœuvre corruptrice?

[20]           L’Elections Procedures Act ne définit pas ce qu’est une manœuvre corruptrice. En outre, il semble y avoir peu de jurisprudence sur ce point.

 

[21]           Dans Hudson c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord) (2007), 309 F.T.R 52, la présente Cour fait remarquer, au paragraphe 85, qu’une preuve directe de mesures explicites pour acheter des votes n’est pas le seul type de preuve susceptible d’amener à conclure qu’une pratique électorale est corrompue.

 

[22]           Dans Sideleau c. Davidson, [1942] R.C.S. 306, la Cour suprême du Canada a reconnu qu’une certaine conduite permettra d’inférer que celle-ci visait à corrompre des électeurs.

 

[23]           À mon avis, aucune définition exhaustive ne peut être donnée sur ce qui constitue une manœuvre corruptrice dans le contexte d’une élection. Cependant, une conception fondamentale d’une manœuvre corruptrice est, à tout le moins, qu’il s,agit d’une tentative pour éviter, entraver ou influencer le libre exercice du droit d’un électeur de choisir pour qui voter. Ce qui importe, c’est le mobile ou l’intention qui sous-tend la conduite reprochée. La conduite a-t-elle pour objet d’influencer irrégulièrement le résultat d’une élection?

 

La norme de contrôle applicable

[24]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. New Brunswick (2008), 372 N.R. 1, au paragraphe 62, la Cour suprême du Canada indique que la première étape dans le cadre d’un contrôle judiciaire est de vérifier si la jurisprudence a déjà déterminé de manière satisfaisante le degré de retenue qu’il convient d’accorder à une catégorie particulière de question.

 

[25]           À mon avis, en l’espèce, la catégorie de question pertinente est celle de savoir si le Comité d’appel a appliqué le juste critère en droit à propos de ce qui constitue une manœuvre corruptrice.

 

[26]           Dans Giroux c. Première nation de Swan River (2006), 288 F.T.R. 55, jugement modifié pour d’autres motifs (2007), 361 N.R. 360 (C.A.F.), la présente Cour a procédé à une analyse pragmatique et fonctionnelle et conclu qu’il y avait lieu de faire preuve d’un faible degré de retenue à l’égard de l’interprétation juridique du comité d’appel sur ce qui constitue une manœuvre électorale corruptrice en vertu d’un règlement régissant des élections coutumières. La norme de contrôle à appliquer était la décision correcte (voir les paragraphes 54 et 55 de la décision).

 

[27]           À mon avis, il s’agit là de la norme à appliquer. Cette conclusion reflète, en l’espèce, la présence d’une clause privative à l’article 7.3 de l’Elections Procedures Act, qui autorise à interjeter appel auprès de la Cour au sujet d’une question de droit. Un contrôle selon la norme de la décision correcte reflète aussi la nature de la question. Le Comité d’appel jouit d’une expertise supérieure en matière de questions telles que les coutumes de la Bande, mais les tribunaux en ont davantage au chapitre de l’interprétation des lois et des règlements.

 

[28]           La conclusion selon laquelle c’est la décision correcte qui constitue la norme de contrôle appropriée concorde aussi avec la mise en garde servie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 60, à savoir que les tribunaux doivent continuer de se fonder, dans le cadre d’un contrôle, sur la norme de la décision correcte « dans le cas d’une question de droit générale “ à la fois d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre ” ». En l’espèce, la notion de « manœuvre corruptrice » est présente dans de nombreux règlements régissant les élections coutumières de bande, de même qu’à l’alinéa 12(1)a) du Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens, C.R.C., ch. 952. Il s’agit donc d’une question de droit générale importante qui est étrangère au domaine d’expertise du Comité d’appel.

 

L’application de la norme de contrôle

[29]           Au paragraphe 68 de ses motifs, précité, le Comité d’appel a reconnu que les lettres relatives aux logements avaient peut-être donné l’impression à certains électeurs qu’on leur promettait une maison en échange d’un vote. Cependant, le Comité d’appel a exigé des demandeurs qu’ils prouvent directement que c’était ce qu’un électeur croyait. Par ailleurs, il leur a exigé de prouver qu’un électeur avait reçu des fonds pour besoins spéciaux, ou obtenu la promesse d’en recevoir, en échange de son vote.

 

[30]           En arrivant à cette conclusion, le Comité d’appel a commis une erreur de droit. Exiger qu’un électeur vienne témoigner que son vote a été acheté impose un fardeau trop lourd à une partie qui allègue l’existence d’une manœuvre corruptrice. De plus, cette exigence est contraire à la conclusion tirée par la Cour suprême du Canada dans Sideleau, à savoir qu’une certaine conduite permettra d’inférer l’existence d’une manœuvre corruptrice. Elle est également contraire à la conclusion que la présente Cour a tirée dans Hudson, selon laquelle il n’est pas obligatoire, pour établir l’existence d’une manœuvre corruptrice, d’avoir une preuve directe d’efforts explicites pour acheter des votes.

 

[31]           Pour justifier la conduite, le Comité d’appel s’est fondé sur une conduite antérieure, dans le cadre de laquelle des lettres relatives à des logements avaient été envoyés avant la tenue d’une élection. À mon sens toutefois, le Comité d’appel était tenu de prendre expressément en considération s’il s’agissait à ce moment-là – ou encore - d’une pratique appropriée, compte tenu surtout de :

 

·        L’adoption en 2005 de la Politique en matière d’habitation de la NCNH, qui empêchait des particuliers, ou un groupe de particuliers, de décider de l’existence d’un engagement en matière d’habitation, ou de sous-entendre qu’un tel engagement existait.

·        La décision rendue par la présente Cour dans Balfour c. Nation crie de Norway House, [2006] 4 F.C.R. 404, où, aux paragraphes 49 et 55, la Cour a fait des observations sur le fait qu’un sous-groupe de conseillers s’étaient rencontrés pour prendre des décisions. Voici ce qu’a écrit le juge Blais :

[49]           Compte tenu de ce qui précède, j’estime qu’il est permis qu’un sous-groupe de membres d’un conseil de bande se rencontrent en dehors du contexte formel des réunions dudit conseil pour discuter de questions concernant la bande. Cependant, il importe d’établir une distinction entre ce type de réunions et celles qui ont été tenues en l’espèce. En effet, il n’est pas permis que le sous-groupe de conseillers de la bande prenne des décisions en secret et fasse subséquemment ratifier ces décisions à des réunions ultérieures du conseil sans tenir compte des lignes directrices de celui-ci ou des dispositions de la Loi sur les Indiens.

 

[…]

 

[55]           J’insiste pour dire que le processus de ratification que les défendeurs mentionnent est un mythe. Les résolutions ne peuvent être adoptées au cours de réunions secrètes, puis ratifiées subséquemment à une réunion dûment convoquée sans être examinées. La résolution elle-même doit être adoptée au cours d’une réunion dûment convoquée. Elle ne peut avoir été prise lors d’une réunion secrète, puis simplement approuvée plus tard sans discussion au cours d’une réunion dûment convoquée. Les résolutions ne peuvent être le produit de décisions prises à l’avance. Elles doivent être débattues et adoptées conformément aux règles et lignes directrices de la bande ainsi qu’aux principes de la démocratie. Dans la présente affaire, de nombreux exemples illustrent le caractère foncièrement partial du processus de ratification des résolutions du conseil de bande. Je décris maintenant l’un de ces exemples. [Non souligné dans l’original.]

 

[32]           De plus, le Comité d’appel était tenu de prendre en compte la nature cumulative de la conduite des trois candidats réélus.

 

[33]           Le Comité d’appel était également tenu de prendre en compte leur intention. Il lui incombait d’examiner, par exemple, pour quelle raison les trois candidats réélus avaient agi comme ils l’avaient fait, et s’ils tentaient d’influencer irrégulièrement l’issue de l’élection. Une élection ne suspend pas les activités du conseil, mais les conseillers doivent exécuter leurs fonctions de manière scrupuleusement équitable et honnête. Les avantages doivent être distribués au mérite. Lorsqu’un avantage conféré n’est pas fondé sur le mérite mais plutôt sur une intention d’influencer un électeur, cela donne lieu à une manœuvre corruptrice.

 

[34]           En exigeant, au paragraphe 79 de ses motifs, que les demandeurs prouvent divers faits, comme celui de savoir si les trois candidats réélus avaient attribué des fonds pour besoins spéciaux aux membres fortunés de la Bande, versé des allocations pour besoins spéciaux excessives, ou bien réattribué à des membres de la Bande qui n’étaient pas dans le besoin des logements destinés à des membres dans le besoin, le Comité d’appel a commis une erreur. La question fondamentale à laquelle il fallait répondre est la suivante : les trois candidats réélus, de par leur conduite, considérée dans son ensemble, avaient-ils l’intention ou ont-ils tenté d’influencer irrégulièrement l’issue de l’élection?

 

La réparation

[35]           La demande de contrôle judiciaire sera accueillie parce que le Comité d’appel a commis une erreur en droit dans son interprétation de ce qui constitue une manœuvre corruptrice.

 

[36]           Les demandeurs sollicitent une ordonnance portant que le fond de l’appel ne soit pas renvoyé au Comité d’appel, mais que la Cour conclue plutôt à l’existence d’une manœuvre corruptrice. Une telle réparation ne peut pas être accordée dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Voir le paragraphe 5 de la décision de la Cour fédérale d’appel dans l’arrêt Giroux, précité.

 

[37]           Les demandeurs sollicitent subsidiairement une ordonnance portant que l’appel soit renvoyé au Comité d’appel, assorti d’instructions précisant que ce comité conclue que les lettres d’attribution de logements ou de roulottes et les versements accrus de fonds pour besoins spéciaux constituaient une manœuvre corruptrice.

 

[38]           La Cour a effectivement compétence, aux termes du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, pour donner des instructions très précises. Voir, par exemple, Ali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 3 C.F. 73, aux paragraphes 17 et 18 (C.F. 1re inst.) et Turanskaya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 210 N.R. 235 (C.A.F.). Il convient cependant d’exercer cette compétence avec prudence.

 

[39]           En l’espèce, le Comité d’appel n’a pas répondu à des questions concernant les mobiles ou l’intention des trois candidats réélus. Je ne suis pas disposée à substituer l’opinion que j’ai sur la preuve à celle du Comité d’appel sur la question importante qu’est l’existence d’une manœuvre corruptrice. Je ferai toutefois part de certaines instructions, lesquelles figurent dans le jugement qui suit les présents motifs.

 

[40]           Les avocats ont demandé que la question des dépens soit différée afin qu’ils puissent soumettre des observations écrites sur cette dernière. La question est donc différée.

 

1.  Le Service d’habitation de la Nation crie de Norway House n’a pas encore été créé.

 


JUGEMENT

 

LA PRÉSENTE COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision du Comité d’appel, datée du 10 mai 2007, est par la présente infirmée. L’affaire est renvoyée au Comité d’appel pour nouvelle décision, conformément aux présents motifs et aux instructions données dans le présent jugement.

 

2.                  Le Comité d’appel examinera l’allégation de manœuvre corruptrice en se fondant sur le dossier de preuve existant. Il ne devrait recevoir des éléments de preuve additionnels que s’il considère qu’il en a besoin pour trancher l’appel d’une manière qui cadre avec les présents motifs.

 

3.                  Le Comité d’appel commencera à recevoir des preuves ou des observations dans les 60 jours suivant la date du présent jugement.

 

4.                  La question des dépens est différée.

 

5.                  L’avocat des demandeurs signifiera et déposera des observations écrites au sujet des dépens dans les 21 jours suivant la date du présent jugement. À ces observations, d’une longueur maximale de cinq pages, sera joint un projet de mémoire de dépens afin de faciliter une attribution forfaitaire de dépens, si tant est qu’il convient d’en attribuer. Pour plus de certitude, le projet de mémoire de dépens ne fera pas partie intégrante des observations écrites, de sorte qu’il pourra être joint à ces dernières, qui seront d’une longueur maximale de cinq pages. Un affidavit pourra être signifié et déposé à l’appui de toute demande de débours.

 

6.                  Les avocats des intimés Clarke, Muswagon et Saunders signifieront et déposeront les observations en réponse dans les 21 jours suivant la date de réception des observations des demandeurs. Ces observations seront d’une longueur maximale de cinq pages. Un projet de mémoire de dépens ou un affidavit en réponse pourra également être signifié et déposé.

 

7.                  Par la suite, les demandeurs auront sept jours pour signifier et déposer des observations en réplique, d’une longueur maximale de trois pages.

 

 

 

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

[…], trad. a., LL.L

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1054-07

 

 

INTITULÉ :                                       ALPHIUS J. WILSON ET AL c. ERIC ROSS ET AL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 WINNIPEG (MANITOBA)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 21 AOÛT 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE DAWSON

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 16 OCTOBRE 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

GEORGE J. ORLE, c.r.

 

POUR LES DEMANDEURS

 

1)   HARVEY I. POLLOCK, c.r.
LAURIE A.E. OAKES

 

2)   BRENT KANESKI
(à titre d’observateur)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

NATION CRIE DE NORWAY HOUSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ORLE DAVIDSON GIESBRECHT BARGEN

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

1)   POLLOCK & COMPANY
Avocats
Winnipeg (Manitoba)

 

2)   BOOTH, DENNEHY
Avocats
Winnipeg (
Manitoba)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

NATION CRIE DE NORWAY HOUSE

 

 

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