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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20080916

Dossier : IMM-658-08

Référence : 2008 CF 1035

Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2008

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

ALEJANDRINA DAYNA GALLO FARIAS

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]         La présente demande de contrôle judiciaire porte sur une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu le 14 décembre 2007 que la demanderesse, une citoyenne du Mexique, n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger.

 

[2]         Dans la présente demande, la Cour a conclu que (1) la Commission n’a pas dûment pris en compte la situation personnelle de la demanderesse à l’égard de son présumé agresseur, un représentant haut placé de l’État; et que (2) la Commission n’a pas bien examiné la question de savoir si la demanderesse disposait d’une possibilité de refuge intérieur (la PRI) au Mexique.

La Cour a résumé les critères juridiques qui permettent à la Commission de vérifier s’il existe une possibilité de refuge intérieur au Mexique et ailleurs, et qui doivent être appliqués aux circonstances de la demanderesse et d’autres demandeurs d’asile.

 

LES FAITS

[3]         La demanderesse est arrivée au Canada en juillet 2005 à l’âge de 22 ans cherchant à obtenir l’asile en raison d’une relation de violence avec un haut fonctionnaire dans l’État d’Hidalgo au Mexique.

 

[4]         La demanderesse affirme qu’elle a rencontré cet homme pour la première fois en janvier 2002 lorsqu’elle a fait une demande d’emploi au ministère de la sécurité publique, des transports et de la protection civile et municipale de l’État d’Hidalgo. La demanderesse était alors âgée de 19 ans. Le fonctionnaire était de 20 ans son aîné.

 

[5]         La demanderesse affirme que les deux ont entretenu une relation intime. Cependant, le fonctionnaire était marié à une autre femme à l’époque, et il l’est demeuré tout au long de leur relation. En juin 2003, la demanderesse a déménagé dans un appartement loué par le fonctionnaire. Elle précise que, durant cette période, le fonctionnaire l’a aidée à obtenir son admission à l’université de Pachuca et qu’il lui a fourni de l’argent et une carte de crédit.

 

[6]         La demanderesse indique dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP) que peu de temps après son déménagement dans l’appartement, le fonctionnaire a commencé à l’agresser physiquement et verbalement. Elle a décrit plusieurs incidents de ce genre :

                        [traduction]

a.       En août 2003, le fonctionnaire a giflé la demanderesse à la suite d’une dispute au sujet du temps qu’elle passait avec ses amis à l’université;

 

b.      En novembre 2003, le fonctionnaire a frappé la demanderesse lors d’une dispute parce qu’il refusait de l’autoriser à rendre visite à sa famille à Mexico. Quelques jours plus tard, il l’a violée, invoquant la dispute pour justifier son geste;

 

c.       En janvier 2004, après avoir passé le Jour de l’An avec la famille de la demanderesse, le fonctionnaire et la demanderesse se sont disputés à propos de la façon dont il avait traité sa famille. Au cours de la dispute, il est « devenu plus violent que jamais auparavant », l’a agressée verbalement, et l’a violée. La demanderesse a consulté un médecin et a signalé l’incident à la police de Pachuca. Les agents de police ont refusé de recueillir sa plainte de viol en raison de la position du fonctionnaire, et lui ont dit qu’ils avaient des doutes quant à la véracité de la plainte du fait qu’il était marié et qu’il était une personnalité publique. Après cet incident, la demanderesse a commencé à assister aux rencontres d’un groupe de femmes victimes de violence, qui lui a répondu que, parce que le groupe était lié au ministère géré par le fonctionnaire, aucune aide ne pouvait lui être fournie pour intenter une action contre ce fonctionnaire;

 

d.      En mai 2004, le fonctionnaire a accusé la demanderesse d’infidélité et l’a jetée à terre, l’a étranglée avec une ceinture et l’a violée. Après l’incident, la demanderesse a quitté l’appartement et est allée vivre chez sa grand-mère à Mexico. Elle a été examinée par un médecin, a obtenu un rapport médical et a signalé l’incident à la police de Mexico, qui lui a toutefois répondu qu’elle ne pouvait déposer une déclaration qu’auprès de la police de son État d’origine d’Hidalgo, où l’agression s’était produite;

 

e.       En août 2004, le fonctionnaire a retracé la demanderesse à Mexico et est arrivé chez sa grand‑mère dans une « voiture de police » accompagné de quatre hommes armés qui ont forcé la demanderesse à retourner avec lui.

 

La demanderesse affirme que, malgré ces incidents, elle a maintenu sa relation jusqu’en mars 2005, et qu’elle a alors consulté un avocat à Pachuca. Ce dernier l’a informée qu’intenter une action contre un fonctionnaire aussi haut placé serait impossible. En fait, l’avocat craignait de subir des représailles sur sa personne s’il agissait contre le fonctionnaire.

 

[7]         La demanderesse a continué de se déplacer entre Hidalgo et Mexico, logeant chez des amis et des membres de la famille en vue d’échapper au fonctionnaire, ce qu’elle a fait de mars 2005 à juillet 2005, où elle a décidé de s’enfuir au Canada et de présenter une demande d’asile.

 

Décision faisant l’objet du contrôle

[8]         Le 14 décembre 2007, la Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger. Dans sa décision, la Commission n’a tiré aucune conclusion quant à la crédibilité de la demanderesse. (Dans la transcription de l’audience, à la page 322, le membre de la Commission a indiqué : « À la lumière du rapport psychologique […] je vais mettre de côté la question de la crédibilité. ») La décision de la Commission n’est plutôt fondée que sur le caractère adéquat de la protection de l’État; la Commission a conclu que le District fédéral de Mexico « fait des efforts sérieux pour fournir une protection adéquate » aux personnes qui se trouvent dans la même situation que la demanderesse.

 

[9]         La Commission a commencé son analyse en exposant les observations de l’avocat de la demanderesse, ainsi que les circonstances particulières entourant la situation de la demanderesse. Elle a ensuite examiné la preuve documentaire sur la protection de l’État au Mexique avant de conclure à la page 7 :

Compte tenu de ce résumé, je suis convaincu qu’au niveau fédéral, c’est-à-dire dans le District fédéral de Mexico du moins, il existe un cadre législatif qui offre des recours juridiques aux victimes de violence familiale.

 

[10]                 La Commission a ensuite examiné si la preuve était suffisante pour conclure que le cadre était « mis en application et appuyé » dans le District fédéral. Elle a souligné qu’il existe de « grandes différences » dans la façon dont les initiatives fédérales sont mises en application ou appuyées partout dans le pays. Cependant, la Commission a limité son analyse au District fédéral de Mexico, et elle a conclu que c’était dans ce District que toutes les initiatives pertinentes avaient été mises en œuvre de la manière la plus efficace.

 

[11]                 Après avoir examiné la preuve pertinente, la Commission a conclu à la page 13 :

Compte tenu de tout ce qui précède, la demandeure d’asile n’a pas établi qu’elle n’obtiendra pas une protection efficace dans le District fédéral, à Mexico, comme elle devait le faire. Par conséquent, la Section de la protection des réfugiés rejette la demande d’asile aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

[12]           Il y a trois questions à examiner dans la présente demande :

a.       La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse  disposait d’une protection adéquate de l’État dans le District fédéral de Mexico?

 

b.      La Commission a-t-elle conclu de manière implicite que la demanderesse disposait d’une possibilité de refuge intérieur à Mexico et, si c’est le cas, a-t-elle convenablement traité la question?

 

c.        La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant d’évaluer la preuve psychologique, la preuve médicale, les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et le risque que la demanderesse courrait au plan psychologique si elle était renvoyée au Mexique?

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[13]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 372 N.R. 1, la Cour suprême du Canada a conclu au paragraphe 62 que, à la première étape de l’analyse de la norme de contrôle, la Cour « vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de [déférence] correspondant à une catégorie de questions en particulier ».

 

[14]           Dans Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 362 N.R. 1, la Cour d’appel fédérale a confirmé au paragraphe 38 que les « questions concernant le caractère adéquat de la protection étatique sont des questions mixtes de fait et de droit habituellement susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable ». Cette norme a été antérieurement appliquée dans un certain nombre de décisions de la Cour : voir Chaves  c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, 45 Imm. L.R. (3d) 58; Nunez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1661, 51 Imm. L.R. (3d) 291; et Franklyn c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1249, [2005] A.C.F. no 1508 (QL). Ainsi, si le motif de la Commission « tient la route dans la mesure où il peut résister à un examen assez poussé », la décision est raisonnable et la Cour ne doit pas intervenir à l’égard de la décision de la Commission : voir Franklyn, précitée, au paragraphe 17.

 

ANALYSE

Première question :    La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse disposait d’une protection adéquate de l’État dans le District fédéral de Mexico?

 

[15]           Dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour a conclu que la protection des réfugiés est une forme de « protection auxiliaire » qui ne s’applique qu’en l’absence de protection de la part de l’État d’origine. Comme le juge La Forest l’a affirmé à la page 709 :

[…] Le droit international relatif aux réfugiés a été établi afin de suppléer à la protection qu’on s’attend à ce que l’État fournisse à ses ressortissants. Il ne devait s’appliquer que si la protection ne pouvait pas être fournie, et même alors, dans certains cas seulement. La communauté internationale voulait que les personnes persécutées soient tenues de s’adresser à leur État d’origine pour obtenir sa protection avant que la responsabilité d’autres États ne soit engagée.[…]

 

De plus, la Cour a conclu que, sauf dans le cas d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il existe une présomption générale selon laquelle l’État a la capacité de protéger ses citoyens.

 

[16]           Bien que la présomption relative à la protection de l’État puisse être réfutée, cela n’est possible que lorsque le demandeur fournit une preuve « claire et convaincante » confirmant l’incapacité de l’État d’assurer sa protection. Une telle preuve peut comprendre le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable au demandeur et que les dispositions prises par l’État pour les protéger n’ont pas aidées, ou le propre témoignage du demandeur au sujet d’incidents antérieurs au cours desquels la protection de l’État n’a pas été obtenue : voir l’arrêt Ward, aux pages 724 et 725.

 

[17]           Dans Hinzman, précité, la Cour d’appel fédérale s’est fondée sur l’arrêt Ward pour conclure qu’une personne n’obtiendra l’asile au Canada que s’il est prouvé de façon « claire et convaincante » qu’aucune protection de l’État d’origine « n’était offerte ou qu’elle était inefficace » : voir Hinzman, au paragraphe 54.

 

[18]           Dans l’arrêt Kadenko c. Canada (Solliciteur général) (1996), 206 N.R. 272 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a conclu au paragraphe 5 que, pour réfuter la présomption relative à la protection de l’État, le demandeur d’asile doit faire des « efforts raisonnables » pour obtenir la protection de l’État, et que le fardeau de preuve qui incombe au demandeur augmente lorsque l’État en cause est un état démocratique :

5          Lorsque l’État en cause est un état démocratique comme en l’espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu’il s’est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l’État en cause : plus les institutions de l’État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s’offrent à lui […]

 

[19]           Cependant, dans sa récente jurisprudence, la Cour fédérale a conclu que l’arrêt Kadenko ne peut être interprété comme signifiant que les demandeurs d’asile doivent épuiser « tout recours possible » pour réfuter la présomption de protection de l’État. Cela est d’autant plus vrai lorsque l’État est présumé s’est livré à la persécution. Par exemple, dans Chaves, précitée, la juge Tremblay‑Lamer a conclu au paragraphe 15 :

15        Cependant, à mon avis, les arrêts [Ward] et Kadenko ne sauraient signifier qu’une personne doit épuiser tous les recours disponibles avant de pouvoir réfuter la présomption de protection de l’État (voir Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 536 (1re inst.) (QL), et Peralta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 123 F.T.R. 153 (C.F. 1re inst.)). La situation est plutôt la suivante. Lorsque les représentants de l’État sont eux-mêmes à l’origine de la persécution en cause et que la crédibilité du demandeur n’est pas entachée, celui-ci peut réfuter la présomption de protection de l’État sans devoir épuiser tout recours possible au pays. Le fait même que les représentants de l’État soient les auteurs présumés de la persécution affaiblit la nature démocratique apparente des institutions de l’État, ce qui diminue d’autant le fardeau de la preuve […]

 

Voir également Nunez, précitée, au paragraphe 15 et Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 731, 36 Imm. L.R. (3d) 283, par la juge Mactavish, au paragraphe 22.

 

[20]           Dans l’affaire qui nous occupe, la Commission a conclu que, dans le District fédéral de Mexico au moins, l’État fait « des efforts sérieux pour fournir une protection adéquate » aux personnes qui se trouvent dans la même situation que la demanderesse. Cette dernière fait valoir que la Commission a commis une erreur dans sa conclusion en assimilant « les efforts sérieux pour fournir une protection adéquate » à l’exigence réelle de l’arrêt Ward, précité, selon laquelle l’État doit être en mesure d’assurer une « protection adéquate ».

 

[21]           La demanderesse a allégué que les circonstances particulières entourant sa relation avec une personnalité publique puissante l’empêche d’obtenir une protection de l’État quelle qu’elle soit. La Commission a abordé la question de la corruption des fonctionnaires en examinant les recours offerts aux personnes agressées par des fonctionnaires et des membres des forces de sécurité. Cependant, l’analyse de la Commission sur ce point ne répond pas directement à la question de savoir si la demanderesse pouvait raisonnablement obtenir la protection de l’État même si l’agent de persécution était un fonctionnaire haut placé et puissant. Étant donné que la Commission n’a tiré aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité, elle a admis que la demanderesse avait en vain sollicité l’assistance de la police à plus d’une occasion, ainsi que l’aide d’un avocat et d’un groupe de soutien auquel elle s’était jointe dans l’État d’Hidalgo.

 

[22]           La Commission n’a pas tenu compte des tentatives de la demanderesse de se prévaloir de la protection de l’État. La demanderesse a non seulement tenté de déposer une déclaration auprès de la police d’Hidalgo, mais elle s’est aussi rendue aux services de police de Mexico, emportant avec elle le rapport d’un médecin de cette même ville, lorsqu’elle a réussi à s’enfuir après l’agression survenue en mai 2004. La demanderesse soutient que, s’il existait une protection de l’État adéquate à Mexico, ses services de police auraient pris des mesures pour communiquer avec la police d’Hidalgo plutôt que de simplement la renvoyer pour absence de compétence. Compte tenu de ces faits, qui ne sont pas contestés par la Commission, celle-ci ne pouvait raisonnablement conclure que la protection de l’État était à la disposition de la demanderesse à Mexico. Pouvait-on s’attendre à ce que la demanderesse retourne à Mexico, après avoir été amenée de force dans l’État d’Hidalgo pour signaler cet incident aux autorités alors que ces dernières lui avaient déjà répondu qu’elles étaient dans l’impossibilité de l’aider?

 

[23]           L’analyse de la Commission sur la protection de l’État offerte à Mexico est trop générale et ne tient pas suffisamment compte de l’allégation selon laquelle la demanderesse s’est adressée à la police de Mexico pour obtenir de l’aide, après s’être vu refuser la protection de la police et du groupe de soutien dans Hidalgo, l’État dans lequel elle aurait été agressée et violée.

 

[24]           Dans Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359, [2006] A.C.F. no 439 (QL), le juge Martineau a conclu au paragraphe 32 :

32     En effet, le principal vice de la décision sous étude résulte du manque total d’analyse de la situation personnelle du demandeur. Il ne suffit pas non plus que la Commission fasse état, dans sa décision, du fait qu’elle a considéré toute la preuve documentaire […]

 

[25]           De même, en l’espèce, la Commission n’a fourni dans sa décision aucune analyse sur la situation personnelle de la demanderesse relativement au caractère adéquat de la protection policière, notamment quant à savoir :

a.       si la police poursuivrait le haut fonctionnaire qui l’a prétendument violée deux fois et enlevée;

 

b.      si les trois tentatives de la demanderesse pour signaler les actes criminels commis par le haut fonctionnaire à la police de Mexico, d’Hidalgo, et à un avocat d’Hidalgo démontrent que les autorités ne protégeront pas la demanderesse étant donné que l’agresseur présumé est un représentant haut placé de l’État. Cette absence d’analyse par la Commission rend la décision déraisonnable. « Le fait de procéder à une analyse de la protection de l’État sans se prononcer sur la nature de l’agent de persécution risque de court‑circuiter une appréciation complète de la demande. » Voir Lopez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1341, [2007] A.C.F. n1733 (QL), au paragraphe 21.

 

[26]           Dans sa décision, la Commission a tenu compte de cette question sans fournir de réponse. Elle a indiqué à la page 10 :

Le fait que l’ancien amant de la demandeure d’asile est une personne puissante fait-il en sorte qu’elle ne puisse pas bénéficier des recours juridiques?

 

[27]           Pour ces motifs, la décision de la Commission sur la protection de l’État est déraisonnable et doit être annulée.

 

Deuxième question :  ­La Commission a-t-elle conclu de manière implicite que la demanderesse disposait d’une possibilité de refuge intérieur à Mexico et, si c’est le cas, a-t-elle convenablement traité la question?

 

[28]           La demanderesse n’est pas originaire de Mexico, mais de la ville de Pachuca dans l’État d’Hidalgo. La Commission ne s’est pas penchée sur le caractère adéquat de la protection étatique dans l’État d’Hidalgo. Elle a plutôt axé son examen de la protection de l’État sur la ville de Mexico. Ni la Commission ni les parties n’a expressément considéré la ville de Mexico comme une possibilité de refuge intérieur (la PRI) ou appliqué l’analyse en deux volets imposée pour déterminer l’existence d’une PRI.

 

[29]           La Commission a considéré la question de savoir s’il existe une protection adéquate de l’État à Mexico comme la question principale. Selon son analyse, il est évident que la Commission a reconnu que la demanderesse ne pouvait se prévaloir de la protection étatique dans l’État d’Hidalgo. Ensuite, la Commission a procédé au volet de son analyse relative à la PRI en examinant si Mexico offrait une protection de l’État adéquate. La conclusion de la Commission selon laquelle il existait une protection de l’État adéquate à Mexico était en fait une conclusion quant à l’existence d’une PRI pour la demanderesse. Ce n’est pas la bonne façon de procéder à une analyse relative à la PRI, comme je l’expliquerai maintenant.

 

La jurisprudence sur les possibilités de refuge intérieur

[30]           Le concept de la PRI est « inhérent » à la définition de réfugié au sens de la Convention : voir Urgel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 142 A.C.W.S. (3d) 486, 2004 CF 1777, au paragraphe 15; Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.), aux paragraphes 2  et 9. Dans Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.), s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, le juge Mahoney a déclaré ce qui suit :

6          […] par définition, le réfugié au sens de la Convention doit être un réfugié d’un pays, et non d’une certaine partie ou région d’un pays, le demandeur ne peut être un réfugié au sens de la Convention s’il existe une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays. Il s’ensuit que la décision portant sur l’existence ou non d’une telle possibilité fait partie intégrante de la décision portant sur le statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur.

 

[31]           La demanderesse n’a pas eu l’occasion de démontrer que Mexico ne constitue pas une PRI dans la présente affaire. L’omission de la Commission de soulever expressément la question d’une PRI et d’appliquer le critère à deux volets constitue une erreur de droit; Kulanthavelu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1993), 71 F.T.R. 129 (C.F.), 46 A.C.W.S. (3d) 503, au paragraphe 13, et justifie l’annulation de la décision de la Commission.

 

Possibilités de refuge intérieur au Mexique

[32]             Dans les affaires soumises à la Cour, il est clair que les cas de criminalité et de violence conjugale à Mexico sont très nombreux. Au cours des dernières années, la Cour a été saisie de demandes d’asile provenant du Mexique plus que de tout autre pays. Beaucoup de ces affaires sont liées à la violence conjugale. Dans son Rapport ministériel sur le rendement de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada remis au Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada pour l’exercice 2006-2007, accessible à l’adresse suivante : <http://www.tbs-sct.gc.ca/dpr-rmr/2006-2007/inst/irb/irb01-fra.asp>, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada fournit les statistiques suivantes :

Avec 5 490 demandes d’asile déférées, le Mexique a été le principal pays source de demandeurs d’asile en 2006-2007, suivi de loin par la Chine, avec 1 700 demandes d’asile, et la Colombie, avec 1 450 demandes d’asile. En 2006-2007, le Mexique a été le pays source dans 23 % des demandes d’asile déférées, ce qui représente une augmentation de 43 % par rapport aux demandes d’asile déférées en 2005-2006; ce pays source est le principal responsable de l’augmentation générale du nombre de demandes d’asile déférées.

 

[33]           Si l’État n’a pas la capacité de protéger les victimes de violence conjugale dans leur ville natale, la Commission doit se demander si ces victimes disposent d’une possibilité de refuge intérieur dans leur propre pays de 108 millions d’habitants. La direction de la recherche de la Commission du statut de réfugié devrait établir le nombre de villes et de villages au Mexique où une victime de violence conjugale pourrait chercher refuge loin de son agresseur. Le Mexique possède une superficie géographique étendue et une population trois fois supérieure à celle du Canada. Il est possible que le Mexique offre une PRI de sorte que le demandeur d’asile n’aura pas à se rendre aussi loin que le Canada pour demander l’asile pour cause de violence conjugale. Les victimes de violence conjugale ne peuvent demander l’asile au Canada sans prouver qu’elles ne pourraient pas raisonnablement se réinstaller en toute sécurité au Mexique.

 

Critères pour décider s’il existe une PRI

[34]           Par souci de commodité, je résume la liste des critères juridiques qui permettent de déterminer s’il existe une PRI. La liste est la suivante :

1.                  Si la PRI est une question litigieuse, la Commission du statut de réfugié doit en aviser le demandeur d’asile avant l’audience (Rasaratnam, précité, par le juge Mahoney au paragraphe 9, Thirunavukkarasu) et identifier des lieux précis comme PRI dans le pays d’origine du demandeur d’asile (Rabbani c. Canada (MCI), [1997] 125 F.T.R. 141 (C.F.), précitée, au paragraphe 16, Camargo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 472, 147 A.C.W.S. (3d) 1047, aux paragraphes 9 et 10);

 

2.                  Il convient d’appliquer un test disjonctif à deux volets afin de déterminer s’il existe une PRI. Voir, p. ex., Rasaratnam, précité; Thirunavukkarasu, précité; Urgel, précitée, au paragraphe 17.  

 

i.                     La Commission doit avoir été persuadée par le demandeur d’asile, selon la prépondérance de la preuve, qu’il existe une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté dans les lieux qu’elle a proposés comme PRI; ou

                         

ii.                   Compte tenu de la situation propre au demandeur, il serait déraisonnable que le demandeur cherche refuge dans les lieux proposés comme PRI;

 

3.                  Le demandeur a la charge de prouver qu’il n’existe pas de PRI ou que cette PRI est déraisonnable dans les circonstances. Voir Mwaura c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 748, par la juge Tremblay-Lamer, au paragraphe 13; Kumar c . Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 130 A.C.W.S. (3d) 1010, 2004 CF 601, par le juge Mosley, au paragraphe 17;

 

4.         Le critère est élevé pour déterminer ce qui rend une PRI déraisonnable dans la situation du demandeur d’asile : voir Khokhar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 449, par le juge Russell, au paragraphe 41. Selon Mwaura, précitée, au paragraphe 16, et Thirunavukkarasu, précité, au paragraphe 12, il convient d’appliquer un critère souple pour déterminer si une PRI est déraisonnable en tenant compte de la situation particulière au demandeur. C’est un critère objectif;

 

5.         La PRI doit être réalistement accessible au demandeur, p. ex. le demandeur n’est pas censé s’exposer à un grand danger physique ou subir des épreuves indues lorsqu’il se rend dans un lieu de PRI ou y demeure. Le demandeur ne devrait pas être tenu de se cacher dans une région isolée, par exemple dans une caverne, dans le désert ou dans la jungle. Voir : Thirunavukkarasu, précitée, au paragraphe 14;

 

6.         Le fait que le demandeur d’asile n’a ni amis ni parents dans le lieu proposé comme PRI ne rend pas cette PRI déraisonnable. Le demandeur d’asile n’a probablement pas d’amis ni de parents au Canada. Le fait que le demandeur d’asile ne soit pas en mesure de se trouver un emploi approprié dans son domaine de profession peut ou non rendre la PRI déraisonnable. Cela vaut également pour le Canada;

 

Troisième question :  La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant d’évaluer la preuve psychologique, la preuve médicale, les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et le risque que la demanderesse courrait au plan psychologique si elle était renvoyée au Mexique?

 

[35]           La demanderesse allègue que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte des preuves médicale et psychologique qui révèlent qu’elle a souffert d’un état de stress post‑traumatique et qu’elle subirait d’autres dommages psychologiques si elle était renvoyée au Mexique. En outre, la demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en ne faisant aucune mention de l’applicabilité des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe à l’égard des Revendicatrices du statut de réfugiée qui craignent d’être persécutées en raison de leur sexe (les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe).

 

[36]           Comme je l’ai mentionné dans Gisela Gallo Farias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 735 (QL), aux paragraphes 13 à 19, la preuve relative aux agressions psychologiques et physiques concerne la crédibilité du témoignage du demandeur et l’existence ou non d’une crainte subjective de persécution chez le demandeur.  Elle n’aide aucunement à trancher la question objective de la protection de l’État.

 

[37]           Étant donné que la protection de l’État était la question déterminante dont la Commission était saisie, les preuves médicale et psychologique n’étaient pas pertinentes, et la Commission n’était pas tenue de les mentionner dans sa décision. De la même façon, les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe dont a fait mention la demanderesse ne sont pas pertinentes quant à la question relative à la protection de l’État. 

 

CONCLUSION

[38]           J’ai conclu que la décision était déraisonnable puisque la Commission n’a pas dûment tenu compte des circonstances particulières entourant la relation de la demanderesse et les tentatives de celle-ci pour obtenir une protection de l’État. Comme il a été exposé, la Commission n’a pas mis en doute la crédibilité de la demanderesse lorsqu’elle a statué sur la présente demande d’asile et a donc accepté que ces événements s’étaient produits. Même si elle a reconnu le problème de corruption chez les fonctionnaires, la Commission n’a pas tenu compte des difficultés particulières éprouvées par la demanderesse pour obtenir une protection de l’État contre son agresseur, y compris dans le D.F., où la Commission a conclu qu’une protection adéquate était offerte. Elle n’a pas non plus appliqué le bon critère pour déterminer si la ville de Mexico constituait une PRI.

 

[39]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à la Commission pour nouvel examen.

 

[40]           Je tiens toutefois à souligner que, selon moi, c’est une coïncidence si la sœur de la demanderesse a présenté le même type de demande d’asile et si j’en ai été saisi dans Gisela Gallo Farias, précitée. J’ai renvoyé cette affaire à la Commission pour réexamen. Il peut être important que la Commission prenne en compte cette coïncidence lorsqu’elle statuera de nouveau sur la crédibilité de la demanderesse.

 

[41]           Ni l’une ni l’autre des parties estime que la présente affaire soulève une question grave de portée générale qui devrait être certifiée pour appel.  La Cour est aussi de cet avis.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour que celui‑ci statue à nouveau sur l’affaire.

 

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-658-08

 

INTITULÉ :                                       ALEJANDRINA DAYNA GALLO FARIAS                                  et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 19 août 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Kelen

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 16 septembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel M. Fine                                                                          POUR LA DEMANDERESSE

                                                                                               

 

Laoura Christodoulides                                                             POUR LE DEMANDEUR

                                                                                               

 

 

AVOCATS INSCRTIS AU DOSSIER :

 

Daniel M. Fine                                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

 

John Sims, c.r.                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

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