Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20080918

Dossier : T-2040-07

Référence : 2008 CF 1049

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 18 septembre 2008

En présence de monsieur le juge Hughes

 

ENTRE :

 

CHRYSLER CANADA INC.

intimée (demanderesse)

 

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL ET L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

requérants (défendeurs)

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les auteurs de la présente requête (les défendeurs en l’instance) – Sa Majesté la Reine et al. (la Couronne) – interjettent appel de la décision rendue par le protonotaire Aalto le 10 juin 2008 par laquelle il a rejeté la requête de la Couronne de radier la présente instance. Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’appel est rejeté avec dépens.

 

[2]               L’instance a été introduite au moyen d’une demande présentée par la demanderesse, Chrysler Canada inc. (CCI). Aucun élément de preuve n’a encore été présenté. Aux fins de la demande en radiation soumise au protonotaire, les parties ont mentionné être disposées à accepter comme exacts les faits exposés dans l’avis de demande.

 

[3]               Le critère de la norme de contrôle applicable à un appel interjeté de la décision d’un protonotaire a été énoncé comme suit par la Cour d’appel fédérale au paragraphe 19 de l’arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., [2004] 2 R.C.F. 459 :

 

19        Afin d’éviter la confusion que nous voyons parfois découler du choix des termes employés par le juge MacGuigan, je pense qu’il est approprié de reformuler légèrement le critère de la norme de contrôle. Je saisirai l’occasion pour renverser l’ordre des propositions initiales pour la raison pratique que le juge doit logiquement d’abord trancher la question de savoir si les questions sont déterminantes pour l’issue de l’affaire. Ce n’est que quand elles ne le sont pas que le juge a effectivement besoin de se demander si les ordonnances sont clairement erronées. J’énoncerais le critère comme suit :

 

Le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

 

a) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal,

 

b) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

 

 

[4]               Lorsqu’un protonotaire rejette une instance, il est entendu que sa décision a une influence déterminante sur l’issue du principal. Cependant, lorsque le protonotaire ne rejette pas l’instance, comme dans les circonstances en l’espèce, cette décision n’a aucune influence déterminante sur l’issue du principal. Par conséquent, la décision visée par la présente doit être examinée en appel selon le second motif établi dans l’arrêt Merck, précité, à savoir que la décision est entachée d’erreur flagrante parce qu’elle est fondée sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits. Comme le juge Hugessen le dit au paragraphe 2 de la décision Peter G. White management ltd. c. Canada, 2007 CF 686 :

 

2     Comme je suis d’accord avec le protonotaire, non seulement au sujet de sa conclusion, mais aussi au sujet des motifs qu’il a rendus à l’appui de sa conclusion, il n’est pas nécessaire que j’examine en détail la norme de contrôle applicable aux appels devant un juge d’une décision d’un protonotaire. Je note cependant que, contrairement à l’observation de l’avocat de la Couronne, le simple fait que le recours présenté au protonotaire aurait pu avoir une influence déterminante sur l’issue du principal ne veut pas dire que le juge doive reprendre l’affaire de novo. Il ressort clairement de l’examen des décisions, et particulièrement de l’arrêt clé de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), que ce n’est pas le recours présenté, mais plutôt l’ordonnance que le protonotaire rend qui doit avoir une influence déterminante sur l’issue du principal pour que le juge ait à examiner l’affaire de novo. J’ajoute que, bien que je sois évidemment au courant de la récente décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc., [2003] A.C.F. no 1925 (C.A.) (QL), dans laquelle le juge Décary a reformulé la règle et a parlé, selon la version anglaise de l’arrêt, de « the questions raised in the motion [les questions soulevées dans la requête] », je suis convaincu qu’il ne faisait pas référence à la requête présentée au protonotaire, mais plutôt à la requête (voir article 51 des Règles des Cours fédérales) présentée au juge en appel de l’ordonnance du protonotaire. En bref, sauf circonstances extraordinaires, la décision d’un protonotaire de ne pas radier une déclaration n’a pas d’influence déterminante sur l’issue du principal. Le choix de la norme de contrôle est dicté par l’ordonnance qui a été prononcée, et non par celle qui aurait pu l’être.

 

 

[5]               Une autre question doit être prise en considération, à savoir que la présente instance constitue une demande, et non une action. Bien qu’il puisse être fondé de vouloir conclure une action rapidement lors de l’audition d’une requête, cela est moins justifié, sauf dans la plus claire des affaires, lorsque l’instance est introduite par voie de demande. Une bonne partie de l’argumentation consacrée à une requête en radiation n’est simplement qu’une répétition d’arguments pouvant être soulevés à l’audition de la demande elle-même. Dépenser les ressources de la Cour pour une requête en radiation, en particulier lorsqu’on interjette appel de la décision d’un protonotaire de ne pas accueillir la radiation, oblige bien souvent la Cour à entendre l’affaire à deux reprises, c’est-à-dire sur la requête par voie d’appel et sur le bien-fondé de la demande elle-même. Pour reprendre les mots de la Cour d’appel dans l’arrêt Merck, précité, l’appel d’une décision de refuser la radiation devrait être examiné seulement lorsqu’on peut démontrer que l’ordonnance du protonotaire était « clairement erronée ». La Cour d’appel fédérale a présenté la question clairement au paragraphe 10 de l’arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.), sous la plume du juge Strayer :

 

10     L’absence de dispositions prévoyant la radiation des avis de requête dans les Règles de la Cour fédérale s’explique fondamentalement par les différences qui distinguent les actions des autres instances. Dans une action, le dépôt des plaidoiries écrites est suivi de la communication de documents, d’interrogatoires préalables et d’instructions au cours desquelles des témoignages sont rendus de vive voix. Il est de toute évidence important d’éviter aux parties les délais et les dépenses nécessaires pour mener une instance jusqu’à l’instruction s’il est « manifeste » (c’est le critère à appliquer pour radier une plaidoirie écrite) que la plaidoirie écrite en cause ne peut pas établir une cause d’action ou une défense. Bien qu’il soit important, tant pour les parties que pour la Cour, qu’une demande ou une défense futiles ne subsistent pas jusqu’à l’instruction, il est rare qu’un juge soit disposé à radier une procédure écrite par application de la Règle 419. De plus, le processus de radiation est beaucoup plus facile à appliquer dans le cas des actions, étant donné que de nombreuses règles exigent des plaidoiries écrites précises quant à la nature de la demande ou de la défense et aux faits qui l’appuient. Aucune règle comparable n’existe relativement aux avis de requête. Tant la Règle 319(1), la disposition générale applicable aux demandes présentées à la Cour, que la Règle 1602(2), la règle pertinente en l’espèce, qui vise une demande de contrôle judiciaire, exigent simplement que l’avis de requête indique « avec précision, le redressement » recherché et « les motifs au soutien de la demande ». Le fait que les avis de requête ne doivent pas nécessairement contenir des allégations de fait précises aggrave beaucoup le risque que prendrait la Cour en radiant ces documents. De plus, une demande introduite par voie d’avis de requête introductive d’instance est tranchée sans enquête préalable et sans instruction, mesures qu’une radiation permet d’éviter dans les actions. En fait, l’examen d’un avis de requête introductive d’instance se déroule à peu près de la même façon que celui d’une demande de radiation de l’avis de requête : la preuve se fait au moyen d’affidavits et l’argumentation est présentée devant un juge de la Cour siégeant seul. Par conséquent, le moyen direct et approprié par lequel la partie intimée devrait contester un avis de requête introductive d’instance qu’elle estime sans fondement consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l’audition de la requête même. La présente cause illustre bien le gaspillage de ressources et de temps qu’entraîne l’examen additionnel d’une requête interlocutoire en radiation dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire qui devrait être sommaire. La présente requête en radiation a donné lieu, inutilement, à une audience devant le juge de première instance et à plus d’une demi-journée devant la Cour d’appel, ainsi qu’au dépôt, devant cette dernière, de plusieurs centaines de pages de documents. Le bien-fondé de l’avis de requête introductive d’instance peut être tranché, et le sera de façon définitive, à l’audience dont la tenue, devant un juge de la Section de première instance, est maintenant fixée au 17 janvier 1995.

 

 

[6]               La même situation s’est présentée dans une affaire qui m’a été soumise récemment, Sanofi‑Aventis Canada Inc. v. Canada, 2008 FC 129, dans laquelle j’ai conclu que les questions controversées qui sont soulevées dans le cadre d’une demande ne devraient pas être réglées en interjetant appel de la décision d’un protonotaire de refuser la radiation d’une demande, mais devraient plutôt être laissées à l’audition de la demande elle-même. Ainsi, les ressources de la Cour ne seraient pas gaspillées inutilement.

 

[7]               En l’espèce, j’ai soigneusement examiné les motifs de la décision rendue par le protonotaire, lu les mémoires des parties et entendu l’argumentation orale des avocats. Il ne fait aucun doute que la présente demande soulève des questions controversées, notamment, plus précisément, la compétence de la Cour d’entendre et de trancher les questions que CCI cherche à invoquer. Ces questions sont à ce point controversées qu’il ne serait pas approprié de les traiter en interjetant appel d’une radiation refusée. La décision du protonotaire de refuser la requête en radiation n’est pas clairement erronée. L’énergie des parties et les ressources de la Cour devraient être utilisées pour trancher ces questions à l’audition de la demande elle-même.

 

[8]               Au renvoi de l’audition de cette requête, le jeudi 18 septembre 2008, les parties ont discuté de modifications à l’avis de demande. L’avocate de Chrysler semble vouloir le modifier d’une certaine façon et ceux de la Couronne, d’une façon différente. Il convient de rappeler aux parties qu’un avis de demande n’est pas soumis à la même rigueur qu’une déclaration, et qu’un défendeur n’est pas tenu de déposer un acte de procédure en réponse, seulement une comparution. Les parties échangent ensuite des éléments de preuve, produisent les documents demandés, le cas échéant, exposent leurs arguments respectifs et inscrivent l’affaire au rôle pour audition. À ce moment, les questions en litige devraient être claires pour les parties. Une ordonnance de la Cour stipule déjà que l’affaire doit être gérée par le protonotaire Aalto en cas de difficulté. Je permettrai à Chrysler de modifier son avis de demande sans ordonner de modifications particulières. L’essentiel est que les parties donnent suite à l’affaire et présentent leurs arguments de fond à l’audition de la demande elle-même, sans gaspiller davantage les ressources de la Cour.

 

[9]               La Cour rejette la requête de la Couronne, par voie d’appel de la décision rendue par le protonotaire Aalto le 10 juin 2008, le tout avec dépens.

 

 

 

 


ORDONNANCE

           

Pour les motifs exposés ci-dessus :

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

 

1.                                          La requête de la Couronne, présentée par voie d’appel de la décision rendue par le protonotaire Aalto le 10 juin 2008, est rejetée.

 

2.                                          La demanderesse, Chrysler Canada inc., est autorisée à modifier son avis de demande, si elle le juge opportun, à condition que le document modifié soit déposé et signifié avant la fermeture des bureaux du greffe, à Toronto, le vendredi 26 septembre 2008.

 

3.                                          La demanderesse (l’intimée saisie de la requête), Chrysler Canada inc., a droit aux dépens du milieu de la fourchette prévue à la colonne III.

 

« Roger T. Hughes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-2040-07

 

INTITULÉ :                                       CHRYSLER CANADA INC. c.

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL ET L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 18 SEPTEMBRE 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 18 SEPTEMBRE 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Barrack

Tom Aiken

Brandon Kain

 

POUR LES REQUÉRANTS

 

Naomi Goldstein

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McCarthy Tétrault

Toronto (Ontario)

 

 

 

POUR LES REQUÉRANTS

 

John H. Simms, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

POUR L’INTIMÉE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.