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Date : 20080904

Dossier : T-404-08

Référence : 2008 CF 991

ENTRE :

SYLVAIN RIOUX

demandeur

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

[1]        J’ai rejeté séance tenante la présente demande de contrôle judiciaire à l’issue de son audition. Je vous présente les motifs de ma décision.

 

[2]        Le matelot-chef Rioux a présenté, en vertu du paragraphe 32(1) de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18 (la Loi), une demande de réexamen de la décision par laquelle le comité d’appel du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le TACRA) a rejeté sa demande de pension d’invalidité. À l’appui de sa demande, le demandeur a soumis une attestation de suivi médical, un article tiré d’Internet et des lettres d’anciens collègues. Le comité a conclu que sa décision antérieure ne renfermait aucune erreur de droit ou de fait et que la documentation produite ne constituait pas des éléments de preuve nouveaux et pertinents. Il a donc rejeté la demande.

 

[3]        Le matelot-chef Rioux allègue que le comité a commis une erreur en refusant de réexaminer sa décision et, de plus, que sa conclusion était déraisonnable. 

 

[4]        Après examen de la documentation au dossier et des observations des avocats, je ne suis pas convaincue que la décision du comité peut être considérée comme déraisonnable.

 

Contexte

[5]        Le matelot-chef Rioux s’est enrôlé dans la Marine canadienne en 1981. En 1999 et 2001, il a subi un remplacement des deux hanches pour traiter une nécrose avasculaire bilatérale. Il a par la suite été incapable de reprendre son travail. Il a présenté une demande de pension d’invalidité auprès du ministère des Anciens Combattants Canada en mars 2001. Sa demande a été rejetée au niveau ministériel. Il a d’abord interjeté appel, sans succès, de la décision devant le comité de révision du TACRA, et il en a ensuite appelé devant le comité d’appel du même tribunal. Le 31 mai 2002, le comité d’appel du TACRA a confirmé la décision du comité de révision et rejeté la demande. Le matelot-chef Rioux a été renvoyé pour raisons médicales de la marine en novembre 2002.

 

[6]        La demande de pension d’invalidité a été rejetée à toutes les instances au motif que la preuve était insuffisante pour conclure que l’état de santé allégué était consécutif ou rattaché directement au service militaire dans la force régulière. Autrement dit, le lien de causalité entre l’invalidité et le service militaire du matelot-chef Rioux n’a pas été établi.

 

[7]        Des explications supplémentaires sur le contexte sont nécessaires. Le matelot-chef Rioux a commencé sa carrière en tant qu’opérateur radar. Au fil des ans, il a reçu de la formation supplémentaire sur les radars. Entre juin et décembre 1994, il a suivi une formation spécialisée pour devenir électronicien naval.  Il a ensuite effectué son service en tant qu’électronicien naval à bord du NCSM Ville de Québec, frégate de patrouille polyvalente de la classe Halifax. Ce service comprenait une période de déploiement dans la mer Adriatique de juillet à décembre 1995. Durant son affectation, le matelot-chef Rioux a été exposé à des rayonnements à haute énergie autres que des rayons X ionisants émanant de radar de conduite de tir à système de poursuite et d’illumination, à de l’uranium appauvri provenant d’obus tirés par un système de défense rapproché de 22 mm, ainsi qu’à du benzène et d’autres fumées d’échappement qui sortent des cheminées de turbine des moteurs diésels et des moteurs à essence sur les navires. Le matelot‑chef Rioux affirme que même si des mesures de sécurité étaient en place, ces précautions ont depuis été modifiées et augmentées.

 

[8]        Après avoir connu des problèmes respiratoires et des symptômes apparentés à ceux de la grippe, le matelot-chef Rioux a reçu un diagnostic de lymphome lymphoblastique non hodgkinien en juin 1996. Il a subi des traitements sans délai, entre autres, de la chimiothérapie, une irradiation prophylactique cérébrale et une transplantation autologue de moelle osseuse. Il est en rémission depuis le 7 juillet 1996. Le matelot-chef Rioux croit que son lymphome a été causé par son exposition aux substances et aux matières toxiques susmentionnées.

 

[9]        Le matelot-chef Rioux a produit une preuve médicale à l’appui de sa demande consistant en une lettre reçue de son oncologiste. Cette lettre indique que [traduction] « la polychimiothérapie à dose élevée qu’il a subi est probablement la cause de sa nécrose avasculaire bilatérale des hanches ». Très peu d’attention a été prêtée au lien entre la nécrose avasculaire bilatérale des hanches (l’invalidité qui a accéléré son renvoi pour raisons médicales) et le traitement contre le lymphome lymphoblastique. À la suite de mes lectures des diverses décisions, il est juste de conclure que le lien entre les deux n’a pas été contesté de manière précise.

 

[10]      En fait, la question qui a été soulevée portait sur le lien de causalité entre le service accompli par le matelot-chef Rioux et le lymphome lymphoblastique dont il est atteint. Premièrement, dans la décision prise au niveau ministériel, et ensuite dans celles rendues à tous les autres niveaux décisionnels, le lien de causalité a été considéré comme un élément essentiel et décisif. À chaque instance, il a été décidé que la preuve était insuffisante pour conclure que l’état de santé allégué était le résultat direct de l’exposition du matelot-chef Rioux à des radiations durant son service militaire.

 

[11]      La preuve médicale, datée du 6 avril 2001, établissait quant à la question décisive :

[traduction]

L’exposition du matelot-chef Rioux à des radiations dans l’exercice de ses fonctions en tant qu’électronicien naval a pu constituer un facteur de risque de développement du lymphome non hodgkinien. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[12]      À l’appui de sa demande de réexamen, le matelot-chef Rioux a soumis les lettres de quatre collègues. Toutes ces lettres confirmaient son exposition à des substances toxiques. Il a présenté un article tiré d’Internet qui décrivait les divers facteurs de risque associés au lymphome non hodgkinien, notamment l’exposition à des radiations et à des produits chimiques. Il a également présenté une deuxième lettre, datée du 23 septembre 2002, signée par son oncologiste.

 

[13]      Comme je l’ai signalé au tout début, le comité a conclu que sa décision antérieure ne renfermait aucune erreur de fait ou de droit (excluant ainsi un réexamen de son propre chef) et que les nouveaux renseignements n’étaient pas conformes aux facteurs relatifs au critère énoncé dans MacKay c. Procureur général du Canada (1997), 129 F.T.R. 286 (la décision MacKay).

 

Les dispositions législatives pertinentes

[14]      Le paragraphe 32(1) de la Loi autorise le comité à réexaminer une décision antérieure si l’un ou plus des motifs de réexamen prévus par la loi est établi. La disposition est ainsi rédigée :

Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel),

L.C. 1995, ch. 18

 

32. (1) Par dérogation à l’article 31, le comité d’appel peut, de son propre chef, réexaminer une décision rendue en vertu du paragraphe 29(1) ou du présent article et soit la confirmer, soit l’annuler ou la modifier s’il constate que les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit étaient erronées; il peut aussi le faire sur demande si l’auteur de la demande allègue que les conclusions sur les faits ou l’interprétation du droit étaient erronées ou si de nouveaux éléments de preuve lui sont présentés.

Veterans Review and Appeal Board Act,

S.C. 1995, c. 18

 

32. (1) Notwithstanding section 31, an appeal panel may, on its own motion, reconsider a decision made by it under subsection 29(1) or this section and may either confirm the decision or amend or rescind the decision if it determines that an error was made with respect to any finding of fact or the interpretation of any law, or may do so on application if the person making the application alleges that an error was made with respect to any finding of fact or the interpretation of any law or if new evidence is presented to the appeal panel.

 

 

La norme de contrôle

[15]      Les parties conviennent, et je suis du même avis, que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (l’arrêt Dunsmuir) prévoit un processus en deux étapes pour déterminer la norme de contrôle appropriée. Tout d’abord, je dois examiner la jurisprudence pour vérifier si la norme de contrôle a déjà été établie. Sinon, je dois entreprendre une analyse relative à la norme de contrôle. 

 

[16]      Depuis longtemps, les décisions du comité d’appel du TACRA sont examinées en fonction de la norme de la décision manifestement déraisonnable ou de celle de la décision raisonnable, selon la nature de la question. La norme de la décision manifestement déraisonnable a été fondue en une seule et appelle désormais l’application de la norme de la décision raisonnable.

 

[17]      Mes collègues, le juge Blanchard (dans Pierre Dugré c. Canada (Procureur général), 2008 CF 682) et la juge Heneghan (dans Lenzen c. Canada (Procureur général), 2008 CF 520), ont conclu que la norme de contrôle applicable dans le cas des décisions de réexamen du comité d’appel du TACRA est celle de la décision raisonnable. J’approuve leurs conclusions à cet égard.

 

Analyse

[18]      L’expression « nouveaux éléments de preuve » n’est pas définie par la Loi. Cependant, il n’est pas contesté que le critère énoncé par le juge Teitelbaum dans la décision MacKay (qui est le même que le critère applicable à la présentation d’un nouvel élément de preuve en appel énoncé dans l’arrêt R. c. Palmer, [1980] 1 R.C.S. 759) constitue le critère d’application en ce qui concerne la réception d’un nouvel élément de preuve dans le cadre d’une décision de réexamen. Les facteurs à prendre en compte sont les suivants :

·        On ne devrait généralement pas admettre une déposition qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès;

·        La déposition doit être pertinente, en ce sens qu’elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès;

·        Elle doit être plausible, en ce sens qu’on puisse raisonnablement y ajouter foi;

·        Elle doit être telle que si l’on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu’avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat.

 

[19]      Le comité a rejeté les « nouveaux éléments de preuve » à tous les égards. Comme je l’ai indiqué à l’audience, à mon avis, la conclusion selon laquelle la déposition n’était pas pertinente parce qu’elle ne portait pas suffisamment sur la question décisive et qu’elle ne pouvait avoir influé sur le résultat de l’affaire est déterminante. 

 

[20]      Plus particulièrement, avant de présenter sa demande de réexamen, le matelot-chef Rioux a demandé une décision administrative, la révision de la décision et un appel. Chacun de ses recours consistait en une nouvelle audition de sa demande avec la possibilité de présenter des éléments de preuve et de soumettre des arguments : Nolan c. Canada (Procureur général) (2005), 279 F.T.R. 311.

 

[21]      L’article tiré d’Internet, comme l’a signalé l’avocat du défendeur, n’appuie pas la prétention de lien de causalité du matelot-chef Rioux. Il dresse une liste générale des facteurs de risque, dont l’exposition à des radiations et à des produits chimiques parmi tant d’autres. Il décrit les facteurs de risque comme [traduction] « quoi que ce soit qui puisse augmenter le risque d’une personne d’être atteinte d’un cancer ». Dans cet article, on étudie des hypothèses et soulève l’incertitude qui entoure la question de la cause du cancer. De plus, l’article est daté du 20 décembre 1998. Il était donc accessible, ou pouvait l’être, à la première étape du processus décisionnel. Rien n’a été fourni pour expliquer les raisons pour lesquelles l’article n’avait pas pu être produit plus tôt.

 

[22]      Il en va de même des lettres écrites par les collègues du matelot-chef Rioux. À une exception près, ces lettres précèdent la décision administrative. Là encore, il n’a pas été expliqué pourquoi les lettres n’avaient pas été obtenues plus tôt. De toute façon, toutes les lettres traitent de l’exposition du matelot-chef Rioux à des radiations et à des fumées d’échappement de produits chimiques, un fait qui n’était pas en cause.

 

[23]      On peut soutenir que l’élément de preuve le plus problématique est la deuxième lettre fournie par l’oncologiste du matelot-chef Rioux. Même si cette lettre faisait état de facteurs de risque précis, le comité a conclu qu’ [traduction] « elle ne portait pas suffisamment sur la question décisive dans le présent dossier qui est celle de savoir s’il existe un lien direct entre le service militaire et l’état de santé allégué ». 

 

[24]      La lettre révisée de l’oncologiste traite du lien de causalité de la façon suivante :

[traduction]

J’estime qu’il est très probable que le lymphome non hodgkinien dont souffre le matelot-chef Rioux ait pu se développer en raison de son exposition à des substances cancérogènes dans le cadre de l’exercice de ses fonctions. [Non souligné dans l’original.]

 

On ne trouve rien d’autre.

 

[25]      Bien que cette observation soit un peu plus solide que celle présentée antérieurement selon laquelle les fonctions exercées par le matelot-chef Rioux pouvaient avoir été un facteur de risque du développement de la maladie, on trouve une série de décisions dans lesquelles la Cour a conclu qu’elle doit faire preuve d’énormément de retenue à l’égard de l’expertise du Tribunal d’appel lorsqu’elle pondère des données médicales non concluantes. En outre, dans les cas où le comité a rejeté des rapports médicaux semblables, les rejets ont été maintenus par la Cour fédérale : Goldsworthy c. Canada (Procureur général), 2008 CF 380; Comeau c. Canada (Procureur général) (2005), 284 F.T.R. 107 (C.F.), conf. par (2007), 360 N.R. 323 (C.A.F.).

 

[26]      En plus de conclure que la nouvelle lettre ne portait pas suffisamment sur la question décisive, le comité a jugé, même si l’oncologiste constituait une source crédible, que sa déposition sur le lien de causalité n’était pas plausible. Cette conclusion reposait sur l’absence de raisonnement et d’analyse quant à la question relative au lien de causalité et sur la formulation d’un avis prudent sur la possibilité de risque.

 

[27]      Enfin, le comité a conclu qu’il était peu probable que la nouvelle preuve influe sur le résultat de ses décisions antérieures. Compte tenu que le comité a conclu que la nouvelle preuve ne portait pas sur la question décisive, il s’ensuit nécessairement qu’elle ne pouvait avoir influé sur le résultat.

 

[28]      L’arrêt Dunsmuir enseigne que la norme déférente du caractère raisonnable tient à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. 

 

[29]      En l’espèce, le comité a examiné les facteurs qu’il doit prendre en compte avant d’accepter de nouveaux éléments de preuve. Il a conclu que l’élément n’était pas « nouveau » au sens de la loi. Le deuxième avis médical n’était pas pertinent ni plausible. Les lettres fournies par les collègues du matelot-chef Rioux n’ont rien ajouté aux renseignements antérieurs. Les « nouveaux éléments de preuve » auraient pu être obtenus plus tôt si l’on avait fait preuve de diligence raisonnable. Enfin, les « nouveaux éléments de preuve » ne présentent pas plus qu’une simple possibilité que le service militaire ait été une cause de l’état de santé allégué. 

 

[30]      À mon avis, le comité n’a pas commis d’erreur en rejetant les nouveaux éléments de preuve. À l’exception de la lettre d’un des collègues, tous ces éléments de preuve auraient pu ou auraient dû être produits lors des étapes préliminaires du processus administratif. Quant au deuxième avis médical, je suis d’accord avec le défendeur lorsqu’il dit qu’il était évident après la décision administrative que le lien de causalité constituait un problème. Une preuve médicale supplémentaire était manifestement requise. De plus, même si le comité avait conclu (mais il ne l’a pas fait) que l’avis ne pouvait être accessible plus tôt, au mieux, il est équivoque et prudent. 

 

[31]      Le comité a exposé les motifs de son rejet de la demande du matelot-chef Rioux. Je ne puis conclure que sa décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[32]      L’article 39 de la Loi, qui exige que le comité tranche en faveur du demandeur toute incertitude, ne dispense pas le demandeur de la charge d’établir par prépondérance de la preuve les faits nécessaires pour ouvrir droit à une pension : Wannamaker c. Canada (Procureur général) (2007), 361 N.R. 266 (C.A.F.). Cela dit, il reste loisible au matelot-chef Rioux de demander à nouveau un droit de pension advenant que la preuve qui lui est accessible justifie une telle demande.

 

[33]      Le défendeur n’a pas réclamé de dépens et aucuns ne lui sont adjugés.

 

 

« Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

Fredericton, Nouveau-Brunswick

4 septembre 2008

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-404-08

 

INTITULÉ :                                       SYLVAIN RIOUX

                                                            c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Fredericton (Nouveau-Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               3 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

DATE DES MOTIFS :                      4 septembre 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher Lavigne

 

POUR LE DEMANDEUR

W. Dean Smith

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hazen F. Calabrese

Fredericton (Nouveau-Brunswick)

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la Justice

Halifax (Nouvelle-Écosse)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

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