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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20080811

Dossier : T-1465-07

Référence : 2008 CF 936

Ottawa (Ontario), le 11 août 2008

En présence de Madame la juge Mactavish

 

 

Entre :

DEREK SMART

demandeur

et

 

le procureur général du Canada

défendeur

 

motifs du jugement modifiéS et jugement

 

[1]               Le gendarme Derek Smart sollicite le contrôle judiciaire d’une décision du sous‑commissaire Martin de la Gendarmerie royale du Canada. Le sous-commissaire Martin a infirmé la décision d’un comité d’arbitrage de la GRC suspendant les procédures disciplinaires à l’encontre du gendarme Smart au motif que les procédures avaient été instituées à l’extérieur du délai prévu par la loi pour l’institution de telles procédures. Le sous-commissaire Martin a également annulé la conclusion subsidiaire du comité selon laquelle les procédures devaient être suspendues parce qu’elles constituaient un abus de procédure.

 

[2]               Le gendarme Smart soutient que le sous-commissaire Martin a commis une erreur en interprétant mal la période de prescription pertinente et en omettant de faire preuve de suffisamment de retenue à l’égard de la décision du comité d’arbitrage.

 

[3]               Subsidiairement, le gendarme Smart fait valoir que le sous-commissaire Martin a commis une erreur en appliquant le mauvais critère pour décider qu’il n’y avait pas eu abus de procédure relativement au traitement de la plainte formulée contre lui.

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue que le sous-commissaire Martin a erré comme l’allègue le demandeur. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

 

Le cadre législatif

 

[5]               Avant d’examiner les faits de l’espèce, il est utile de comprendre les dispositions législatives qui régissent les procédures disciplinaires au sein de la GRC.

 

[6]               En l’espèce, le délai de prescription en cause est celui prévu au paragraphe 43(8) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R‑10. Ce paragraphe prévoit ce qui suit : « L’officier compétent ne peut convoquer une audience en vertu du présent article relativement à une contravention au code de déontologie censément commise par un membre plus d’une année après que la contravention et l’identité de ce membre ont été portées à sa connaissance. »

 

[7]               Les Consignes du commissaire (officier compétent) prévoient que, pour un membre ou un officier d’une division de la GRC, l’« officier compétent » sera le commandant divisionnaire. En l’espèce, l’officier compétent était le commandant de la division E, la sous-commissaire Bev Busson.

 

[8]               Le paragraphe 43(9) de la Loi est également pertinent en l’espèce. Il prévoit qu’« [e]n l’absence de preuve contraire, » un certificat présenté comme signé par l’officier compétent et faisant état du moment où ont été portées à sa connaissance une contravention au code de déontologie censément commise par un membre et l’identité de ce dernier, « constitue une preuve de ce moment sans qu’il soit nécessaire d’établir l’authenticité de la signature ni la qualité du signataire ».

 

[9]               Les Consignes du commissaire (représentation) contiennent des dispositions concernant l’assistance qui doit être fournie aux officiers compétents pour s’acquitter de leurs responsabilités en matière disciplinaire. Cette assistance est fournie par des « représentants des officiers compétents » qui sont des membres à plein temps d’une « Section des représentants des officiers compétents », une unité de la GRC qui représente ou assiste les officiers compétents.

 

[10]           Une des responsabilités d’un représentant des officiers compétents consiste à communiquer avec l’officier compétent concernant de la décision de tenir des audiences disciplinaires officielles à l’encontre de membres de la GRC.

 

 

Le contexte

 

[11]           Le 21 mai 2002, une plainte concernant la conduite du gendarme Smart a été déposée auprès de ses officiers supérieurs par un membre du public. Il était allégué dans la plainte que le gendarme Smart avait irrégulièrement eu accès à des documents concernant des tiers provenant de bases de données policières confidentielles et qu’il les avait divulgués à une personne non autorisée.

 

[12]           L’officier responsable du détachement du gendarme Smart l’a avisé trois jours plus tard de la réception de la plainte concernant sa conduite. Le gendarme Smart a également été avisé que le sergent Michael Racicot, de l’Unité des affaires internes du District du Nord (l’UAI), avait été nommé pour enquêter sur la plainte.

 

[13]           L’UAI était chargée de superviser l’enquête et de faire, à l’officier compétent, un rapport sur la contravention alléguée au code de déontologie.

 

[14]           L’UAI ne communiquait pas directement avec l’officier compétent dans le cas des questions d’ordre disciplinaire, mais s’adressait plutôt à Timothy Nixon, qui était le représentant des officiers compétents dans le cas du gendarme Smart.

 

[15]           Selon l’inspecteur Fleury, l’officier responsable de l’Unité des affaires internes de la division E, l’UAI fournissait régulièrement une liste de tous les dossiers actifs en matière disciplinaire au représentant des officiers compétents. Toutefois, il y avait de la correspondance concernant des dossiers précis uniquement à l’égard des « cas graves » et elle était alors envoyée non pas à l’officier compétent lui-même, mais au représentant des officiers compétents.

 

[16]           Selon l’inspecteur Fleury, les « cas graves » incluaient ceux dans lesquels le membre était suspendu sans solde, les cas mettant possiblement en cause une conduite criminelle de la part d’un membre et les cas qui avaient attiré l’intérêt des médias. Il semble n’y avoir aucune indication selon laquelle le cas du gendarme Smart répondait à la définition d’un « cas grave ».

 

[17]           Le 10 avril 2003, le sergent Racicot a terminé son enquête à propos de la plainte déposée contre le gendarme Smart et son rapport d’enquête a été présenté à l’inspecteur Fleury.

 

[18]           Le 28 avril 2003, la sous-commissaire Busson a signé un certificat visé par le paragraphe 43(9) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, faisant état qu’elle avait eu connaissance ce jour-là des allégations de contravention au code de déontologie visant le gendarme Smart.

 

[19]           Le gendarme Smart n’est pas d’accord qu’en l’absence de preuve contraire, ce certificat a pour effet de créer une présomption selon laquelle la date du certificat est la date à laquelle l’officier compétent a eu la connaissance requise pour instituer des procédures disciplinaires. Il reconnaît cependant que le 28 avril 2003 était la date à laquelle la sous-commissaire Busson a personnellement eu connaissance des allégations de contravention au code de déontologie soulevées contre lui.

 

[20]           Le 21 juillet 2003, soit environ trois mois après que la sous-commissaire Busson ait personnellement eu connaissance de la contravention alléguée et de l’identité du gendarme Smart, des procédures disciplinaires ont été instituées contre le gendarme Smart au moyen de la signification d’un avis d’audience disciplinaire. L’audience disciplinaire elle-même, présidée par le comité d’arbitrage, a commencé le 21 mai 2004.

 

 

Les procédures du comité d’arbitrage

 

[21]           Au commencement de l’audience disciplinaire tenue par le comité d’arbitrage, le représentant du gendarme Smart a présenté deux requêtes en suspension des procédures. La première requête a été présentée parce que le processus disciplinaire avait été institué à l’extérieur du délai, et la deuxième requête était fondée sur le motif que les procédures constituaient un abus de procédure.

 

[22]           Dans une décision rendue le 6 juin 2004, le comité d’arbitrage a suspendu les procédures à l’encontre du gendarme Smart. Le comité a conclu que l’objet du paragraphe 43(9) de la Loi était mieux servi en interprétant le délai de prescription comme courant à partir du moment où l’officier compétent connaissait, ou aurait dû connaître, les détails de la contravention alléguée et l’identité du membre. Pour en arriver à cette conclusion, le comité d’arbitrage avait tenu compte du principe de la « possibilité de découvrir » dans son interprétation de la disposition législative.

 

[23]           En l’espèce, le comité d’arbitrage a conclu que la sous-commissaire Busson [traduction] « aurait dû connaître » les principaux détails entourant la contravention alléguée au code de déontologie, de même que l’identité du gendarme Smart, quelque part entre le 24 mai 2002 et le 21 juillet 2002. En conséquence, les procédures disciplinaires instituées le 21 juillet 2003 ne l’avaient pas été à l’intérieur du délai de prescription d’un an prévu au paragraphe 43(8) de la Loi et elles étaient donc hors délai.

 

[24]           Subsidiairement, le comité d’arbitrage a également conclu que les procédures disciplinaires constituaient un abus de procédure. Le comité a fondé cette conclusion sur l’omission l’UAI et du commandant du détachement de signaler l’information concernant le cas du gendarme Smart à l’officier compétent dans un délai raisonnable après le début de l’enquête concernant le code de conduite.

 

[25]           Même si le comité d’arbitrage n’était pas convaincu que la non-communication de l’information à la sous-commissaire Busson était intentionnelle ou que l’information avait été « dissimulée » de façon délibérée en l’espèce, il était néanmoins convaincu que l’omission de transmettre l’information en temps opportun constituait [traduction] « un abus du délai de prescription ».

 

[26]           Compte tenu de l’abus de procédure lié à l’incapacité de se prévaloir de l’avantage d’un délai de prescription, le comité d’arbitrage a conclu que le préjudice causé au gendarme Smart serait aggravé si on le forçait à se soumettre à la procédure disciplinaire et qu’aucune réparation ne pourrait empêcher ce préjudice, sauf la suspension des procédures.

 

[27]           Par conséquent, le comité d’arbitrage a conclu qu’il existait un deuxième fondement pour la suspension des procédures, à savoir qu’il y avait eu abus de procédure.

 

 

La décision du sous-commissaire Martin

           

[28]           Le représentant des officiers compétents a alors interjeté appel de la décision du comité d’arbitrage suspendant les procédures. Conformément aux dispositions du paragraphe 45.14(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, l’appel a tout d’abord été renvoyé au Comité externe d’examen de la GRC pour examen avant que l’affaire ne soit retournée au commissaire de la GRC pour décision.

 

[29]           Après avoir examiné l’affaire, le Comité externe d’examen a conclu que l’officier compétent avait respecté le délai de prescription. Pour en arriver à cette conclusion, le Comité externe d’examen a jugé qu’en l’absence de toute preuve contraire, le certificat visé au paragraphe 43(9) constituait une preuve de la date à laquelle la sous-commissaire Busson avait eu connaissance des contraventions alléguées au code de déontologie et de l’identité du gendarme Smart. Puisque les procédures disciplinaires n’avaient été instituées que trois mois plus tard, le délai de prescription avait été respecté.

 

[30]           Le Comité externe d’examen a également jugé que le comité d’arbitrage avait commis une erreur en concluant qu’il y avait eu abus de procédure dans le cas du gendarme Smart. Selon le Comité externe d’examen, il n’y avait pas eu de délai excessif ou abusif.

 

[31]           Pour évaluer la question de savoir s’il y avait eu en l’espèce retard constituant un abus de procédure, le Comité externe d’examen s’est reporté à l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307.

 

[32]           Sur ce point, le Comité externe d’examen a déclaré qu’afin de prouver qu’il y a eu abus de procédure, une partie doit établir que le retard était inacceptable au point d’être oppressif et de vicier les procédures en cause. Une telle décision est fonction des faits de l’affaire, des questions en litige, de sa nature et de sa complexité, de l’objet des procédures, de la question de savoir si la partie alléguant l’abus de procédure avait renoncé ou contribué au retard et de toute autre circonstance pertinente.

 

[33]           En l’espèce, le Comité externe d’examen a indiqué que tout le temps écoulé entre l’inconduite alléguée et l’institution des procédures disciplinaires était d’un peu moins de 14 mois et que le droit du gendarme Smart à une audience équitable n’avait pas été compromis.

 

[34]           En conséquence, le Comité externe d’examen a recommandé l’accueil de l’appel et le renvoi de l’affaire pour décision au fond. L’affaire a alors été envoyée au commissaire de la GRC pour décision.

 

[35]           Il s’est trouvé qu’au moment où l’affaire a été renvoyée au commissaire pour décision, la sous-commissaire Busson agissait à titre de commissaire. Compte tenu de sa participation antérieure dans l’affaire, elle s’est récusée de la procédure. Conformément aux dispositions du paragraphe 15(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, l’appel dans l’affaire du gendarme Smart a été plutôt renvoyé pour décision au sous-commissaire Peter Martin, à titre de sous-commissaire principal au quartier général de la GRC.

 

[36]           En accueillant l’appel, le sous-commissaire Martin a conclu que le délai de prescription avait été respecté en l’espèce. Pour en arriver à cette conclusion, il a examiné l’interprétation du délai de prescription visé au paragraphe 43(8) par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Thériault c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), [2006] CAF 61, un arrêt auquel le comité d’arbitrage n’avait pas accès lorsqu’il a rendu sa décision.

 

[37]           Dans l’arrêt Thériault, la cour a conclu, aux fins du délai de prescription prévu dans le paragraphe 43(8), que la connaissance de l’infraction et de l’identité du contrevenant prétendu doit être celle de l’officier compétent lui-même. La connaissance par des tiers, y compris les subalternes de l’officier compétent, ne peut pas être attribuée à l’officier compétent.

 

[38]           Sur ce point, le sous-commissaire Martin a conclu comme suit :

[traduction]

[61]      En l’espèce, l’appelant a présenté un certificat de l’officier compétent conformément au paragraphe 43(9) de la Loi, indiquant que l’officier compétent a eu connaissance de la contravention alléguée au code de déontologie par l’intimé le 28 avril 2003. Par conséquent, il est présumé que le délai de prescription a commencé à courir à cette date. Je suis d’accord avec le [Comité externe d’examen] que l’intimé a omis de présenter une preuve contraire et que «  le Comité était tenu d’accepter le certificat comme preuve que l’appelant a réellement acquis la connaissance requise le 28 avril 2003. Puisque l’audience a été instituée le 21 juillet 2003, le Comité aurait dû conclure que le délai de prescription prévu au paragraphe 43(8) a été respecté en l’espèce. » [Citation d’un passage du paragraphe 55 du rapport du Comité externe d’examen.]

 

[39]           En ce qui a trait à la requête pour abus de procédure, le sous-commissaire Martin était d’accord avec le Comité externe d’examen que les faits de l’affaire du gendarme Smart n’appuyaient pas la conclusion selon laquelle il y avait eu abus de procédure. Selon la partie pertinente de sa décision (en ce qu’elle se rapporte aux questions toujours en suspens dans le cadre de la présente demande), bien que le délai de onze mois dans la conduite de l’enquête ait été [traduction] « malheureux », il [traduction] « n’était pas inéquitable au point d’être contraire aux intérêts de la justice » que l’affaire fasse l’objet d’une audience disciplinaire.

 

[40]           Le sous-commissaire Martin a également conclu que le comité d’arbitrage avait commis une erreur en concluant que l’officier compétent avait délégué ses pouvoirs ou avait dit à ses subalternes de l’aviser uniquement des cas disciplinaires les plus graves au sein de la division, puisqu’aucun élément de preuve n’avait été présenté à cet égard à l’audience.

 

[41]           De plus, compte tenu de la conclusion du comité d’arbitrage selon laquelle l’information concernant le cas du gendarme Smart n’avait pas été délibérément dissimulée à l’officier compétent, il n’y avait pas eu abus de procédure, selon le sous-commissaire Martin.

 

[42]           Par conséquent, le sous-commissaire Martin a conclu que le comité d’arbitrage avait commis une erreur en concluant qu’il y avait eu abus du délai de prescription et l’appel a donc également été accueilli pour ce motif.

 

 

Les questions en litige

 

[43]           Tel que cela a été indiqué dans l’introduction des présents motifs, le gendarme Smart soulève trois questions dans la présente demande. Il soutient que le sous-commissaire Martin a commis une erreur en interprétant mal le délai de prescription pertinent.

 

[44]           Subsidiairement, le gendarme Smart prétend que le sous-commissaire a commis une erreur en omettant de faire preuve de suffisamment de retenue à l’égard de la décision du comité d’arbitrage de suspendre les procédures et en appliquant le mauvais critère pour décider qu’il n’y avait pas eu abus de procédure relativement au traitement de la plainte formulée contre lui.

 

[45]           Chacune de ces questions sera examinée séparément.

 

 

Le sous-commissaire Martin a-t-il commis une erreur dans son interprétation du délai de prescription?

 

[46]           Je conviens avec les parties que, dans la mesure où la présente demande exige un examen de l’interprétation correcte du paragraphe 43(8) de la Loi sur la Gendarmerie royale, et plus particulièrement de la signification des mots « ont été portées à sa connaissance » [la connaissance de l’officier compétent], la décision du sous-commissaire Martin doit être examinée selon la norme de la décision correcte : voir l’arrêt Thériault, au paragraphe 20.

 

[47]           Le gendarme Smart reconnaît également que, puisque l’interprétation correcte de la disposition législative est une question de droit, le sous-commissaire Martin n’était pas tenu de faire preuve de retenue à l’égard de l’interprétation de la disposition par le comité d’arbitrage et qu’il n’a pas commis d’erreur en omettant de le faire.

 

[48]           Il importe de rappeler que le paragraphe 43(8) prévoit ce qui suit : « L’officier compétent ne peut convoquer une audience en vertu du présent article relativement à une contravention au code de déontologie censément commise par un membre plus d’une année après que la contravention et l’identité de ce membre ont été portées à sa connaissance. » [Non souligné dans l’original.]

 

[49]           Il importe aussi de rappeler que le comité d’arbitrage n’a pas conclu que le certificat signé par l’officier compétent était inexact ni que la sous-commissaire Busson avait elle-même personnellement eu connaissance de la contravention alléguée et de l’identité du gendarme Smart à un moment quelconque avant la date à laquelle elle a signé le certificat prévu au paragraphe 43(9), soit le 28 avril 2003. Le comité a plutôt conclu que la sous-commissaire Busson [traduction] « aurait dû connaître » cette information avant le 21 juillet 2002.

 

[50]           Le gendarme Smart reconnaît que, dans l’arrêt Thériault, précité, la Cour d’appel fédérale a clairement indiqué que la connaissance exigée pour faire démarrer le délai de prescription doit être celle de l’officier compétent et non celle de subalternes de l’officier compétent qui sont chargés de faire enquête et rapport sur les allégations de manquement à la déontologie.

 

[51]           Toutefois, le gendarme Smart fait valoir que son cas se distingue des scénarios examinés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Thériault, puisque la connaissance attribuée à l’officier compétent en l’espèce n’était pas la connaissance que possédaient les subalternes de l’officier compétent chargé de faire enquête et rapport sur les allégations de manquement à la déontologie, mais était plutôt la connaissance du représentant même de l’officier compétent.

 

[52]           Le gendarme Smart soutient que le rôle du représentant des officiers compétents dans des procédures disciplinaires en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada est analogue au rôle de l’avocat d’une partie, de sorte que la connaissance du représentant des officiers compétents devrait être considérée comme la connaissance de l’officier compétent lui-même.

 

[53]           Je ne suis pas d’accord.

 

[54]           Comme l’a mentionné la Cour d’appel fédérale au paragraphe 29 de l’arrêt Thériault, l’objet du délai de prescription du paragraphe 43(8) vise à concilier la nécessité de protéger le public et la crédibilité de la GRC en tant qu’institution et celle d’octroyer un traitement équitable à ses membres.

 

[55]           La Cour d’appel fédérale a ensuite poursuivi en déclarant que le mécanisme du paragraphe 43(8) offre une flexibilité désirable à des fins d’enquête et de poursuite. Cette flexibilité a toutefois ses limites et, comme l’a indiqué la Cour d’appel, « inévitablement le couperet du temps finit par tomber sur l’inaction et trancher la question en faveur du contrevenant ». : voir l’arrêt Thériault, au paragraphe 29.

 

[56]           Conformément aux dispositions du paragraphe 43(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, seul l’officier compétent lui-même a le pouvoir d’instituer des procédures disciplinaires officielles. Ce pouvoir ne peut pas être délégué et ne peut donc pas être exercé par le représentant de l’officier compétent.

 

[57]           Muni des directives appropriées, l’avocat représentant une partie dans une affaire civile peut agir pour le compte de cette partie et peut poser des gestes qui lient cette partie. Ce n’est pas la situation en l’espèce, dans la mesure où le pouvoir d’instituer des procédures disciplinaires en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada est concerné.

 

[58]           Puisque seul l’officier compétent a le pouvoir prévu par la loi d’instituer des procédures disciplinaires officielles, il s’ensuit que l’officier compétent doit avoir personnellement la connaissance requise afin d’être en mesure de le faire. La connaissance présumée, même de la part du représentant de l’officier compétent, ne suffit pas.

 

[59]           En conséquence, je suis convaincue que l’interprétation du paragraphe 43(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada par le sous-commissaire Martin était correcte et que le comité d’arbitrage a commis une erreur de droit en concluant que la connaissance attribuée à l’officier compétent avant le 21 juillet 2002 était suffisante pour faire démarrer le délai de prescription pour instituer des procédures disciplinaires contre le gendarme Smart.

 

[60]           Comme les procédures disciplinaires ont réellement commencé environ trois mois après que l’officier compétent eut acquis la connaissance requise pour instituer des procédures, il n’y a pas eu non-respect du délai de prescription en l’espèce.

 

[61]           En conséquence, le comité d’arbitrage a commis une erreur de principe en suspendant les procédures disciplinaires au motif qu’elles avaient été instituées après l’expiration du délai d’un an prévu au paragraphe 43(8) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada. Le sous-commissaire Martin a eu raison de conclure qu’il n’y avait pas eu non-respect du délai de prescription.

 

[62]           Avant de passer à la prochaine question, il convient de reconnaître que cette interprétation du paragraphe 43(8) de la Loi pourrait potentiellement donner lieu à la « dissimulation » de l’information aux officiers compétents, de manière à éviter le déclenchement de la période d’un an pour l’institution de procédures disciplinaires.

 

[63]           En effet, le comité d’arbitrage indique dans ses motifs que la haute direction de la division E a dans le passé délibérément caché de l’information aux officiers compétents à cette fin. Bien qu’il soit nettement inapproprié de le faire, il existe des moyens pour décourager une telle pratique, notamment l’utilisation du principe de l’abus de procédure pour suspendre les procédures dans les cas qui s’y prêtent.

 

[64]           La question de savoir s’il était pertinent de le faire en l’espèce sera examinée plus loin dans les présents motifs. Cependant, avant de me pencher sur cette question, il est tout d’abord nécessaire d’aborder l’argument du gendarme Smart selon lequel le sous-commissaire Martin a commis une erreur en omettant de faire preuve de suffisamment de retenue à l’égard de la décision du comité d’arbitrage concernant la question de l’abus de procédure.

 

 

L’omission de faire preuve de retenue à l’égard de la décision du comité d’arbitrage

 

[65]           Le gendarme Smart déclare que le sous-commissaire Martin a commis une erreur en omettant de faire preuve de suffisamment de retenue à l’égard de la décision du comité d’arbitrage, affirmant qu’il ne lui était pas loisible de simplement remplacer l’exercice du pouvoir discrétionnaire du comité d’arbitrage par celui de son propre pouvoir discrétionnaire.

 

[66]           Selon le gendarme Smart, le sous-commissaire Martin n’aurait pas dû intervenir dans la présente affaire à moins d’avoir été convaincu que la décision était fondée sur une erreur de droit ou à moins qu’il n’eut été clair que le comité avait exercé erronément son pouvoir discrétionnaire, en ce qu’aucun poids ou un poids insuffisant avait été accordé aux considérations pertinentes, ou que le comité avait tenu compte de facteurs non pertinents ou avait omis de tenir compte de facteurs pertinents.

 

[67]           Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue qu’il était clair que le comité d’arbitrage avait exercé à tort son pouvoir discrétionnaire de la manière décrite ci-dessus et que, par conséquent, l’intervention du sous-commissaire Martin était justifiée.

 

 

Le sous-commissaire Martin a-t-il commis une erreur en annulant la suspension en ce qu’elle se rapporte à l’abus de procédure allégué?

 

[68]           La première question à examiner est la norme de contrôle pertinente que doit appliquer la Cour à l’égard de cet aspect de la décision du sous-commissaire Martin.

 

[69]           Le défendeur prétend que la conclusion du sous-commissaire Martin selon laquelle il n’y a pas eu d’abus de procédure justifiant la suspension des procédures disciplinaires à l’encontre du gendarme Smart devrait être examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable. En revanche, le gendarme Smart invoque le paragraphe 60 de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] A.S.C. no 9, à l’appui de la thèse selon laquelle les décisions mettant en cause des questions d’abus de procédure devraient être examinées selon la norme de la décision correcte.

 

[70]           Le paragraphe 60 de l’arrêt Dunsmuir indique ce qui suit :

Rappelons que dans le cas d’une question de droit générale « à la fois, d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre » (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., par. 62, le juge LeBel), la cour de révision doit également continuer de substituer à la décision rendue celle qu’elle estime constituer la bonne. Pareille question doit être tranchée de manière uniforme et cohérente étant donné ses répercussions sur l’administration de la justice dans son ensemble. C’est ce que la Cour a conclu dans l’affaire Toronto (Ville) c. S.C.F.P., où étaient en cause des règles de common law complexes ainsi qu’une jurisprudence contradictoire concernant les doctrines de la chose jugée et de l’abus de procédure, des questions qui jouent un rôle central dans l’administration de la justice (par. 15, la juge Arbour).  [Non souligné dans l’original.]

 

 

[71]           La question en litige dans Toronto (Ville) c. S.C.F.P. à laquelle renvoie le paragraphe 60 de l’arrêt Dunsmuir était celle de savoir si la déclaration de culpabilité en matière pénale d’un employé devrait être considérée comme une preuve concluante dans un arbitrage ultérieur en relations du travail qu’il était coupable de la conduite en cause ou si le syndicat de l’employé était habilité à remettre la question en litige.

 

[72]           La Cour suprême du Canada a statué que le syndicat n’était pas habilité à remettre en litige une question qui avait été tranchée à l’encontre de l’employé dans une instance criminelle et que l’arbitre avait commis une erreur de droit en autorisant le syndicat à tenter d’attaquer la déclaration de culpabilité dans une instance criminelle en tentant de mettre à nouveau en litige la question devant un autre forum. La Cour suprême a conclu qu’agir ainsi constituerait un « abus flagrant de procédure ».

 

[73]           Il est vrai qu’en examinant la question de savoir si une déclaration de culpabilité dans une instance criminelle peut être réfutée ou devrait être considérée comme concluante dans des procédures ultérieures, la Cour suprême a examiné le principe de l’abus de procédure pour déterminer si la remise en litige porterait atteinte au processus décisionnel judiciaire.

 

[74]           Cela dit, la Cour suprême a statué que le syndicat n’était pas, en vertu de la common law ou d’une disposition législative, habilité à remettre en litige la question tranchée à l’encontre de l’auteur d’un grief dans une instance criminelle. Comme l’employé en cause avait épuisé la procédure d’appel en matière criminelle, la Cour suprême a jugé que la déclaration de culpabilité au criminel était valide en droit, avec tous les effets juridiques qui en découlent.

 

[75]           Il appert donc que, dans l’arrêt Toronto (Ville) c. S.C.F.P., la principale question en était une de droit générale que la Cour suprême a considéré comme une question « à la fois, d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre » : voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 60. Ainsi, elle devait être examinée en fonction de la norme de la décision correcte.

 

[76]           Par contre, la question en l’espèce vise l’application du droit concernant l’abus de procédure aux faits particuliers de la présente affaire. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit : voir la décision Sheriff c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 399, 2005 CF 305.

 

[77]           Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, la Cour suprême du Canada a statué qu’une cour d’appel sera justifiée d’intervenir dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un juge que si celui-ci s’est fondé sur des considérations erronées en droit ou si sa décision est erronée au point de créer une injustice : au paragraphe 87.

 

 

[78]           Dans la même veine, dans l’arrêt Elders Grain Co. c. Ralph Misener (Navire), [2005] A.C.F. no 612, 2005 CAF 139, la Cour d’appel fédérale a également examiné le rôle d’une cour d’appel dans l’examen de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du juge qui accorde une suspension, statuant comme suit au paragraphe 13 :

Une cour d'appel n'a pas la liberté de simplement substituer l'exercice de son propre pouvoir discrétionnaire à celui déjà exercé par le juge de première instance. Toutefois, si la décision était fondée sur une erreur de droit ou si la cour d'appel conclut que le pouvoir discrétionnaire a été exercé de façon erronée, parce qu'on n'a pas accordé suffisamment d'importance, ou qu'on en n'a pas accordé du tout, à des considérations pertinentes ou que le juge de première instance a pris en compte des facteurs non pertinents ou qu'il a omis de prendre en compte des facteurs pertinents, la cour d'appel peut alors exercer son propre pouvoir discrétionnaire.

 

 

[79]           En l’espèce, la décision en question n’est pas celle d’un juge de première instance mais celle d’un haut responsable de la GRC exerçant un pouvoir de décision prévu par la loi. Les observations de la Cour d’appel fédérale sont néanmoins instructives à cet égard.

 

[80]           Ces observations, jumelées à l’existence de la clause privative contenue au paragraphe 45.16(7) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, de même que l’expertise du sous-commissaire Martin à l’égard des questions de nature disciplinaire relativement aux membres de la GRC mènent à la conclusion que cet aspect de la décision du sous-commissaire Martin devrait être examiné en fonction de la norme de la décision raisonnable.

 

[81]           À la lumière de la norme de contrôle pertinente à appliquer à cet aspect de la décision du sous-commissaire Martin, j’examinerai maintenant la question de savoir si sa décision était en effet raisonnable.

 

[82]           Il importe de noter dès le début de cette analyse que le gendarme Smart a soutenu devant le comité d’arbitrage qu’il avait subi un préjudice de plusieurs manières en raison du retard à instituer des procédures disciplinaires contre lui, ce qui a eu pour effet de compromettre ou d’entraver sa capacité de se défendre pleinement devant le comité d’arbitrage.

 

[83]           Le gendarme Smart a également fait valoir qu’il avait subi un préjudice en raison du retard à informer l’officier compétent de la contravention alléguée au code de déontologie et de son identité, en ce qu’il a été privé de la capacité de s’appuyer sur le délai de prescription prévu au paragraphe 43(8) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada.

 

[84]           Toutefois, devant la Cour, le seul préjudice que le gendarme Smart dit avoir subi en conséquence du retard à instituer ces procédures est son incapacité de se prévaloir de l’avantage du délai de prescription prévu au paragraphe 43(8) de la Loi.

 

[85]           Cela signifie que le gendarme Smart ne prétend plus que sa capacité de répondre pleinement aux allégations dont il fait l’objet a été compromise de quelque manière par le retard à instituer les procédures disciplinaires.

 

[86]           Le gendarme Smart fait valoir que, même si le sous-commissaire Martin avait raison de conclure que la connaissance personnelle de la part de l’officier compétent était nécessaire pour que le délai de prescription commence à courir, le comité d’arbitrage a exercé correctement son pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures pour abus de procédure.

 

[87]           En ce qui a trait au critère pertinent à appliquer pour décider si une suspension des procédures devrait être accordée, le gendarme Smart souligne qu’il y a deux catégories d’abus de procédure. La première catégorie vise des affaires où la conduite d’un procureur du ministère public a une incidence sur l’équité ou porte atteinte aux droits d’une personne en matière de procédure. Un exemple de ce genre d’affaires concernant des allégations d’abus de procédure de cette nature serait l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Blencoe, précité.

 

[88]           La deuxième catégorie d’abus de procédure vise les affaires appartenant à la « catégorie résiduelle » des affaires évoquées par la Cour suprême dans l’arrêt Tobiass.

 

[89]           En ce qui a trait à ce genre d’affaires, la Cour suprême a déclaré ce qui suit :

89     Le plus souvent, on demande la suspension des procédures pour corriger l’injustice dont est victime un particulier en raison de la conduite répréhensible de l’État. Toutefois, il existe une «catégorie résiduelle» de cas où une telle suspension peut être justifiée. Le juge L’Heureux‑Dubé l’a décrite de cette façon dans l’arrêt R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, au par. 73:

 

Cette catégorie résiduelle ne se rapporte pas à une conduite touchant l’équité du procès ou ayant pour effet de porter atteinte à d’autres droits de nature procédurale énumérés dans la Charte, mais envisage plutôt l’ensemble des circonstances diverses et parfois imprévisibles dans lesquelles la poursuite est menée d’une manière inéquitable ou vexatoire au point de contrevenir aux notions fondamentales de justice et de miner ainsi l’intégrité du processus judiciaire.

 

 

Cette catégorie résiduelle, il faut le noter, est une petite catégorie.  Dans la grande majorité des cas, l’accent sera mis sur le caractère équitable du procès.

 

 

[90]           Selon le gendarme Smart, le sous-commissaire Martin a commis une erreur en considérant la présente affaire comme appartenant à la première catégorie d’affaires relevées dans l’arrêt Tobiass et en concentrant son analyse sur la question de savoir si le délai d’institution des procédures avait compromis l’équité de l’audience disciplinaire du gendarme Smart.

 

[91]           Le gendarme Smart soutient qu’une suspension des procédures n’a pas été sollicitée en l’espèce pour mettre un terme à une audience dont l’équité avait été compromise. La suspension a plutôt été sollicitée parce qu’elle est le seul moyen raisonnable de mettre un terme à un abus qui se poursuivrait et serait aggravé tout au long du déroulement de l’audience disciplinaire.

 

[92]           Tel que je l’ai souligné plus tôt, le seul préjudice qu’a signalé le gendarme Smart devant la Cour est son incapacité de se prévaloir de l’avantage du délai de prescription prévu par la loi en raison de la conduite de la GRC, qui a omis de fournir à l’officier compétent les renseignements nécessaires pour instituer des procédures disciplinaires en temps opportun.

 

[93]           Cela n’a toutefois pas toujours été la position du gendarme Smart.

 

[94]           En effet, tout au long des procédures devant à la fois le comité d’arbitrage et le sous‑commissaire Martin, le gendarme Smart a soutenu que l’équité des procédures disciplinaires avait été compromise à la fois par son incapacité de se prévaloir de l’avantage du délai de prescription et par le retard dans la présente affaire.

 

[95]           Le gendarme Smart a soutenu, entre autres choses, qu’il avait déjà fait l’objet d’une mesure disciplinaire se rapportant aux allégations sous-jacentes aux procédures disciplinaires et qu’il avait subi un préjudice en raison de la disparition du dossier concernant cette mesure disciplinaire antérieure. Même si le dossier a finalement été retrouvé, il ne l’a pas été avant le début de l’audience. Selon le gendarme Smart, la présentation tardive du dossier a contribué encore plus au préjudice qu’il a subi.

 

[96]           Il a également allégué que l’équité du processus avait été compromise par l’omission de l’officier compétent de l’aviser de la sanction recherchée à l’égard de la contravention alléguée au code de déontologie, dans le cas où les allégations seraient en fin de compte déclarées fondées.

 

[97]           De plus, le gendarme Smart a soutenu devant le comité d’arbitrage que son incapacité de mener en temps opportun des entrevues avec des témoins, jumelée à [traduction] « des souvenirs flous et des éléments de preuve perdus, tels que le dossier [mentionné ci-dessus] », a diminué sa capacité de présenter une défense pleine et entière à l’égard des allégations, constituant ainsi un abus de procédure : voir la décision du comité d’arbitrage, à la page 9.

 

[98]           Dans son mémoire d’appel, le gendarme Smart a de plus soutenu que le retard à terminer l’enquête sur le manquement à la déontologie lui a causé un préjudice sérieux relativement à sa capacité de présenter une défense pleine et entière concernant les allégations formulées contre lui.

 

[99]           Dans les circonstances, on peut difficilement reprocher au sous-commissaire Martin d’avoir considéré la présente affaire principalement comme une affaire appartenant à la première des deux catégories décrites dans l’arrêt Tobiass et d’avoir examiné la question de savoir si l’équité future du processus disciplinaire et la capacité du gendarme Smart de présenter une défense pleine et entière avaient été compromises par le délai d’institution des procédures.

 

[100]       De plus, la conclusion du sous-commissaire Martin selon laquelle les délais en l’espèce n’étaient pas tels qu’ils constituaient un abus de procédure était tout à fait raisonnable.

 

[101]       Il importe de rappeler que le comité d’arbitrage a conclu que le fait que cela a pris onze mois pour mener une enquête sur l’affaire n’a pas donné lieu à un abus de procédure. Bien que le comité ait conclu qu’il était [traduction] « malheureux » que l’emploi du temps du sergent Racicot ne lui ait pas permis de s’occuper de l’affaire plus tôt, il a également conclu que le temps pris pour mener l’enquête ne constituait pas un abus de procédure.

 

[102]       Le comité d’arbitrage a également conclu que la procédure utilisée par l’officier compétent en déléguant certaines responsabilités à son représentant des officiers compétents ne constituait pas un abus de procédure, pas plus qu’il n’y avait eu dissimulation délibérée à l’égard de l’officier compétent de manière à empêcher le délai de prescription de commencer à courir.

 

[103]       Il semble que le comité d’arbitrage fonde sa conclusion selon laquelle les procédures disciplinaires à l’encontre du gendarme Smart constituaient un abus de procédure sur son avis que le temps pris par des officiers supérieurs de la division d’informer l’officier compétent de la plainte contre le gendarme Smart était déraisonnable. Selon le comité d’arbitrage, cela constituait [traduction] « un abus du délai de prescription ».

 

[104]       S’appuyant sur le principe de la possibilité de découverte, le comité d’arbitrage a jugé que l’officier compétent [traduction] «  aurait dû connaître » la plainte et l’identité du gendarme Smart quelque part entre le 24 mai 2002 et le 21 juillet 2002, de sorte que le délai de prescription a expiré le 21 juillet 2003.

 

[105]       Comme la Cour suprême du Canada l’a indiqué dans l’arrêt Tobiass, précité, pour que la suspension des procédures soit appropriée dans un cas visé par la catégorie résiduelle, il doit ressortir que l’abus doit atteindre un niveau tel que la simple poursuite des procédures choquera le sens de la justice de la société : voir le paragraphe 91.

 

[106]       Il existe plusieurs raisons pour lesquelles la présente affaire n’est pas un des cas les plus clairs visés par l’arrêt Tobiass dans lequel l’iniquité qui découlerait, à l’égard du gendarme Smart, des procédures disciplinaires si elles étaient autorisées serait d’un niveau tel qu’elle viole les principes fondamentaux de la justice de manière à miner l’intégrité du processus judiciaire, justifiant ainsi l’octroi d’une suspension des procédures.

 

[107]       Premièrement, le délai en l’espèce n’était pas important. La période entière entre la réception de la plainte et l’institution des procédures disciplinaires était d’environ 14 mois.

 

[108]       Même si le comité d’arbitrage s’est dit quelque peu préoccupé par la pratique, il a conclu que le fait que l’officier compétent demande à des subalternes d’examiner des dossiers disciplinaires actifs et de l’informer uniquement de certains genres de dossiers ne constituait pas un abus de procédure.

 

[109]       De plus, le comité d’arbitrage a expressément conclu qu’il n’y avait pas, en l’espèce, [traduction] « dissimulation » à l’officier compétent et, en effet, la décision du comité ne semble pas indiquer qu’il y a eu mauvaise foi de la part de la GRC dans le traitement de la présente affaire.

 

[110]       En outre, le comité d’arbitrage était convaincu que la capacité du gendarme Smart de se défendre dans le cadre des procédures disciplinaires n’avait aucunement été compromise.

 

[111]       De plus, le comité d’arbitrage n’a pas eu l’avantage d’être informé du raisonnement de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Thériault, précité, et plus particulièrement du commentaire de la cour au paragraphe 28 : « Il n’est donc pas tout à fait exact de postuler que le législateur a voulu, et de mettre l’emphase sur ce point, que les poursuites disciplinaires en vertu de la Loi procèdent avec célérité. »

 

[112]       Comme la Cour d’appel fédérale l’a indiqué, si le législateur avait voulu que les poursuites disciplinaires procèdent toujours avec célérité, il aurait fait courir la prescription du jour de la contravention, et non de la date à laquelle l’officier compétent a acquis la connaissance requise.

 

[113]       On se préoccupe également du fait que le comité d’arbitrage a pu s’appuyer sur des considérations non pertinentes, comme le montre sa longue analyse du droit relativement à la dissimulation frauduleuse. Cela est surprenant, compte tenu de la conclusion du comité d’arbitrage selon laquelle il n’y avait pas eu de dissimulation intentionnelle en l’espèce.

 

[114]       Enfin, tel qu’il a été indiqué plus haut dans les présents motifs, le comité d’arbitrage a erré en droit dans son interprétation du délai de prescription en concluant que la connaissance présumée de la part de l’officier compétent était suffisante pour faire courir le délai de prescription dans la mesure où celui prévu au paragraphe 43(8) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada était visé.

 

[115]       Un examen des motifs du comité d’arbitrage en ce qui touche la question de l’abus de procédure révèle que cette erreur a influé sur le raisonnement de celui-ci à cet égard également. Cela ressort du long examen du principe de la découverte et de l’aveuglement volontaire par le comité.

 

[116]       Dans les circonstances, je suis convaincue que la décision du sous-commissaire Martin annulant la suspension des procédures accordée au motif d’abus de procédure était raisonnable.

 

 

Conclusion

 

[117]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens. L’affaire est renvoyée au comité d’arbitrage pour qu’elle soit tranchée au fond. Dans le cas où les membres du comité d’arbitrage initialement formé pour juger la présente affaire ne sont plus disponibles, alors un nouveau comité d’arbitrage peut être formé pour instruire l’affaire.

 


JUGEMENT

La cour statue que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens. L’affaire est renvoyée au comité d’arbitrage pour qu’elle soit tranchée au fond. 

 

 

« Anne L. Mactavish »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


Cour fédérale

 

Avocats inscrits au dossier

 

 

 

Dossier :                                        T-1465-07

 

Intitulé :                                       DEREK SMART c.

                                                            Le procureur général du Canada

 

Lieu de l’audience :                 Vancouver (C.-B.)

 

Date de l’audience :               Le 17 juillet 2008

 

Motifs du jugement

modifiés Et jugement :         La juge Mactavish

 

Date des motifs

MODIFIÉS ET DU JUGEMENT Le 11 août 2008

 

 

 

Comparutions :

 

Jillian Frank

 

Pour le demandeur

Keitha Elvin-Jensen

 

Pour le défendeur

 

 

Avocats inscrits au dossier :

 

Heenan Blaikie

Vancouver (C.-B.)

 

Pour le demandeur

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

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