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Date :  20080716

Dossier :  T-1461-07

Référence :  2008 CF 874

Ottawa (Ontario), le 16 juillet 2008

En présence de L'honorable Louis S. Tannenbaum 

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

 

THU-CUC LÂM

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le soussigné est saisi d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre de grief rendue le 9 juillet 2007. L’ordonnance de l’arbitre se lit comme suit :

 

« …

1.      Le grief est accueilli partiellement.

2.      L’employeur doit reconsidérer sa décision du 3 octobre 2004. Il serait souhaitable que l’employeur fasse savoir à la fonctionnaire s’estimant lésée qu’il est désolé de l’incident survenu le 18 mars 2003 et qu’il souhaite que de tels incidents ne se reproduisent pas à l’avenir. »

 

Les faits

[2]               La défenderesse, Thu-Cuc Lâm, travaille pour Santé Canada, représenté en l’espèce par le Procureur général du Canada (ci-après « le demandeur ») depuis 1998. À compter de l’an 2000, elle a travaillé à titre de consultante à la Direction générale de la santé de la population et de la santé publique (« DGSPSP »), région du Québec.

 

[3]               En 2003, la défenderesse dénonce une situation de harcèlement. Le 18 mars 2003, la défenderesse et son représentant syndical ont rencontré son gestionnaire et le directeur général. Alors qu’ils étaient tous assis autour d’une table, le gestionnaire a pointé du doigt, près du visage, la défenderesse, et lui a dit « Désormais, je ne te fais plus confiance ». Selon le représentant syndical, la défenderesse a eu un geste de recul.

 

[4]               La défenderesse, intimidée par le geste, est bouleversée au point de retourner à la maison et d’aller rencontrer son médecin.

 

[5]               La défenderesse fait une plainte verbale à sa directrice générale le 3 juin 2003 et dépose une plainte écrite le 3 juillet 2003. Elle demande de ne plus relever de son gestionnaire.

 

[6]               Le 25 août 2003, la directrice générale écrit à la défenderesse pour lui indiquer qu’à la suite d’une enquête, sa plainte est considérée non fondée. Lors de cette enquête, la directrice générale n’a rencontré ni la défenderesse, ni le gestionnaire.

 

[7]               Ce n’est que le 3 octobre 2003 que la directrice générale de la région du Québec convoque une rencontre entre la défenderesse et le gestionnaire. Lors de cette rencontre, le gestionnaire a indiqué qu’il était profondément désolé de son geste, mais a refusé de s’excuser au motif qu’il parle souvent en faisant des gestes avec ses mains.

 

[8]               Insatisfaite du résultat et du processus, la défenderesse dépose le grief suivant :

 

« Je conteste la décision de Santé Canada (annexe 3) dans le traitement de ma plainte pour harcèlement.

Que ce soit par la décision du 26 novembre 2003, ou de la façon dont l’enquête a été menée, les représentants de l’employeur n’ont pas respecté l’esprit et la lettre de la politique de Santé Canada et du Conseil du Trésor concernant le harcèlement. »

 

[9]               La défenderesse invoque les articles 1 et 19 de la convention collective et demande comme mesure correctrice que l’enquête soit menée selon la politique de Santé Canada sur le harcèlement, une copie du rapport d’enquête et des conclusions des enquêteurs ainsi que des excuses de la part de son gestionnaire.

 

[10]           Le grief a été renvoyé à l’arbitrage et entendu en même temps que trois autres griefs contestant des mesures disciplinaires imposées entre 2003 et 2004. Les trois griefs portant sur les mesures disciplinaires ont été rejetés. Le grief portant sur l’élimination de la discrimination et du harcèlement a été accueilli en partie.

 

[11]           L’arbitre a indiqué qu’il ne partageait pas la conclusion de l’employeur relativement à la plainte de la défenderesse et la façon dont il l’a traité :

 

« Bien que le geste du gestionnaire mis en cause soit involontaire, je crois que l’employeur doit prendre acte du fait que la fonctionnaire s’estimant lésée se soit sentie intimidée.

À mon avis, l’employeur aurait dû dire à la fonctionnaire s’estimant lésée qu’il était désolé qu’elle se soit sentie intimidée.

L’employeur aurait dû indiquer qu’il ne souhaitait pas que de telles situations se reproduisent. Je ne crois pas que l’on puisse tolérer que lors de rencontres les employés et les gestionnaires se pointent du doigt, plus particulièrement comme dans le cas présent où les parties sont assises l’une près de l’autre.

Pour les raisons évoquées précédemment, je considère qu’il n’y a eu aucune violation de l’article 19 de la convention collective relativement à des mesures de discrimination.

Je considère cependant que l’employeur n’a pas respecté la lettre et l’esprit de l’article 1 de la convention collective et a mal appliqué la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail préparé par le Secrétariat du Conseil du Trésor. L’audience du grief a remédié à la procédure, mais l’employeur devrait reconsidérer sa décision sur le bien-fondé de la plainte. L’article 19 de la convention collective ne s’applique pas au cas de la fonctionnaire se sentant lésée. »

 

 

[12]           L’arbitre a ordonné à l’employeur de reconsidérer sa décision sur la plainte de harcèlement. Il a dit : « il serait souhaitable que l’employeur fasse savoir à la fonctionnaire s’estimant lésée qu’il est désolé de l’incident survenu le 18 mars 2003 et qu’il souhaite que de tels incidents ne se reproduisent pas à l’avenir ».

 

[13]           La défenderesse a témoigné à l’effet que tout ce qu’elle demande ce sont des excuses.

 

[14]           La norme de contrôle dans un cas tel que celui-ci est celle de la décision correcte, et je suis d’avis que la décision arbitrale devrait être renversée pour les motifs qui suivent.

 

Le grief

[15]           Je reproduis ici les termes du grief :

 

«ÉNONCÉ DU GRIEF »

Je conteste la décision de Santé Canada (annexe 3) dans le traitement de ma plainte pour harcèlement.

Que ce soit par la décision du 26 novembre 2003, ou de la façon dont l’enquête a été menée, les représentants de l’employeur n’ont pas respectés l’esprit et la lettre de la politique de Santé Canada et du Conseil du Trésor concernant le harcèlement.

Par ces faits et ceux exprimés dans la plainte de harcèlement (annexe 4) l’employeur contrevient à :

La Politique de Santé Canada sur le harcèlement

La Politique du Conseil du Trésor sur le harcèlement

La convention collective article 1

La convention collective article 19

Tout autre article de la convention ou politiques pertinentes.

 

MESURES CORRECTRICES

1- Que l’enquête soit traitée selon la politique de Santé Canada sur le harcèlement

2- Que le rapport d’enquête me soit remis avec les conclusions des enquêteurs

3- Que M. Guassiran me fasse ses excuses écrites pour son geste inapproprié

4- Être représentée par l’AFPC et être présente à chaque étape de ce grief et ce, au frais de l’employeur. »

           

                                                                        (Je souligne)

 

 

 

[16]           Nous voyons donc que les mesures correctrices demandées par la fonctionnaire sont :

 

1- Que l’enquête soit traitée selon la politique de Santé Canada sur le harcèlement

2- Que le rapport d’enquête me soit remis avec les conclusions des enquêteurs

3- Que M. Guassiran me fasse ses excuses écrites pour son geste inapproprié

4- Être représentée par l’AFPC et être présente à chaque étape de ce grief et ce, au frais de l’employeur. »

           

 

À mon avis la fonctionnaire a déjà reçu des excuses de M. Guassiran lors de la réunion du 3 octobre 2003 (para. 255 de la décision) lorsque ce dernier a indiqué qu’il était profondément désolé de son geste.

 

[17]           Au paragraphe 278 de sa décision l’arbitre dit :

 

« À mon avis, l’employeur aurait dû dire à la fonctionnaire s’estimant lésée qu’il était désolé qu’elle se soit sentie intimidée. »

 

 

[18]           Rappelons cependant que dans les mesures correctrices, la défenderesse demande que ce soit M. Guassiran qui fasse ses excuses et non pas l’employeur.

 

[19]           Je suis d’avis que lorsqu’on dit « je suis désolé » cela équivaut à des excuses. Le dictionnaire Le Petit Robert donne la définition suivante : « désolé » être désolé, regretter.

 

[20]           Dans le Dictionnaire des synonymes (Hector Dupuis, Romain, Légaré) nous trouvons « regretter » … synonyme « être désolé ».

 

[21]           De plus, l’ordonnance rendue (para. 284 de la décision) n’est pas du tout une ordonnance. Je cite la soi-disant ordonnance :

 

« L’employeur doit reconsidérer sa décision du 3 octobre 2004. Il serait souhaitable que l’employeur fasse savoir à la fonctionnaire s’estimant lésée qu’il est désolé de l’incident survenu le 18 mars 2003 et qu’il souhaite que de tels incidents ne se reproduisent pas à l’avenir. »

 

[22]           L’arbitre est un décideur et à ce titre il devrait décider, pas souhaiter.

 

[23]           Le demandeur soumet que l’arbitre a outrepassé ses pouvoirs en décidant que l’article 1 de la convention collective s’applique et que l’employeur n’a pas respecté la lettre et l’esprit de cet article.

 

[24]           Les paragraphes 281 et 282 de la décision arbitrale se lisent comme suit :

 

«[281] Je considère cependant que l’employeur n’a pas respecté la lettre et l’esprit de l’article 1 de la convention collective et a mal appliqué la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail préparée par le Secrétariat du Conseil du Trésor. L’audience du grief a remédié à la procédure, mais l’employeur devrait reconsidérer sa décision sur le bien-fondé de la plainte. L’article 19 de la convention collective ne s’applique pas au cas de la fonctionnaire s’estimant lésée.

 

[282] En fonction de l’esprit et la lettre de l’article 1 de la convention collective et selon la politique relative au harcèlement préparée par le Secrétariat du Conseil du Trésor, l’employeur doit reconsidérer sa décision du 3 octobre 2004. il serait souhaitable que l’employeur fasse savoir à la fonctionnaire s’estimant lésée qu’il est désolé de l’incident survenu le 18 mars 2003 et qu’il souhaite que de tels incidents ne se reproduisent pas à l’avenir. »

 

 

[25]           L’article 1 de la convention collective prévoit :

 

« 1.01 La présente convention a pour objet d’assurer le maintien de rapports harmonieux et mutuellement avantageux entre l’Employeur, l’Alliance et les employé-e-s et d’énoncer certaines conditions d’emploi pour tous les employé-e-s décrits dans le certificat émis le 7 juin 1999 par la Commission des relations de travail dans la fonction publique, à l’égard des employé-e-s du groupe Services des programmes et de l’administration.

 

1.02 Les parties à la présente convention ont un désir commun d’améliorer la qualité de la fonction publique du Canada et de favoriser le bien-être de ses employé-e-s afin que les Canadiens soient servis convenablement et efficacement. Par conséquent, elles sont déterminées à établir, dans le cadre des lois existantes, des rapports de travail efficaces à tous les niveaux de la fonction publique auxquels appartiennent les membres des unités de négociation. »

 

 

[26]           Dans sa décision, l’arbitre s’exprimait comme suit aux paragraphes 266 et 267 :

 

« [266] Cet article indique que la convention collective a pour objet de maintenir des rapports harmonieux entre l’employeur et les employés. À la stipulation 1.02, le texte indique : « […] le désir de favoriser le bien-être de ses employés […] et que par conséquent, elles sont déterminées à établir dans le cadre des lois existantes des rapports de travail efficaces […] »

 

[267] À mon sens, la politique relative au harcèlement en milieu de travail édictée par le Conseil du Trésor (pièce F-57) s’inscrit dans le cadre des objectifs de l’article 1 de la convention collective. »

 

 

[27]           L’arbitre a adéquatement conclu que l’article 19 de la convention collective ne s’applique pas en l’espèce puisque le harcèlement personnel n’y est pas mentionné. Cependant, en décidant que la politique relative au harcèlement en milieu de travail édictée par le Conseil du Trésor s’inscrit dans le cadre des objectifs de l’article 1 de la convention collective, il a mal interprété ledit article et a excédé sa compétence. De plus, sa décision est déraisonnable.

 

[28]           L’article 1 de la convention collective est une clause générale, une introduction ou un avant-propos qui ne confère aucun droit substantif aux employés. Il n’y a rien dans la convention collective qui peut amener à conclure que celle-ci voulait inclure la politique édictée par le Conseil du Trésor.

 

 

 

 

 


 

JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS PRÉCITÉS, LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que :

 

1)      La demande de contrôle judiciaire est accordée avec dépens;

2)      La décision de l’arbitre concernant le grief de harcèlement (dossier #166-02-36590) est annulé; et

3)      Ledit grief de harcèlement est renvoyé devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique afin que celui-ci soit rejeté en conformité avec les motifs de la présente décision.

 

 

 

« Louis S. Tannenbaum »

Juge suppléant

 


Législation, doctrine et jurisprudence consultées

 

1.                  Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, article 92

 

2.                  Palmer et Palmer, Collective Agreement Arbitration in Canada, 3e éd., Butterworths, 1991, pp. 100-105; 117-121; 128

 

3.                  Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), [2005] A.C.F. no 1849

 

4.                  Bratrud c. Bureau du surintendant des institutions financières, [2006] C.R.T.F.P.C. no 65

 

5.                  Chénier c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – service correctionnel), [2003] C.R.T.F.P.C. no 24

 

6.                  Croisetière-McGurran c. le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada [1986] C.R.T.F.P.C. no 185

 

7.                  Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226

8.                  Kolski c. le Conseil du Trésor (Agriculture Canada), [1994] C.R.T.F.P.C. no 149

9.                  Shneidman c. Canada (Procureur général), [2007] A.C.F. no 707

10.              UCCO-SACC-CSN c. Conseil du Trésor (Service correctionnel), 2007 CRTFP 120

11.              Barreau du Nouveau Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247

12.              Parry Sound (Services sociaux) c. S.E.E.F.P.O., [2003] 2 R.C.S. 157

13.              Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 2056

14.              Toronto Transit Commission and A.T.U. (Stina) (Re), (2004) 132 L.A.C. (4th) 225

15.              Voice Construction Ltd. c. Construction & General workers’ Union, Local 92, [2004] 1 R.C.S. 609

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1461-07

 

INTITULÉ :                                       PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c.

                                                            THU-CUC LÂM

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 30 mai 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            TANNENBAUM J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      16 juillet 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Neil McGraw

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Kim Patenaude

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

Raven, Cameron, Ballantyne

 & Yazbeck

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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