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Date : 20080716

Dossier : T-1607-07

Référence : 2008 CF 873

Ottawa (Ontario), le 16 juillet 2008

En présence de L'honorable Louis S. Tannenbaum

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

 

FRANÇOIS DEMERS

défendeur

 

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le soussigné est saisi d’une demande de contrôle judiciaire concernant la décision d’un arbitre de grief rendue le 16 août 2007. Dans cette décision, l’arbitre a accueilli le grief du défendeur et ordonné que le montant de la sanction pécuniaire imposée au défendeur lui soit remboursé. L’arbitre a également ordonné à l’employeur de dédommager le défendeur pour la perte d’avantages et de revenus résultant de son congé de maladie.

 

[2]               L’employeur est le Service correctionnel du Canada (ci-après « SCC ») et le défendeur est un agent correctionnel pour le SCC.

 

[3]               Le demandeur, le Procureur général du Canada, allègue que l’arbitre a erré en faits et en droit ou a excédé sa juridiction en renversant la sanction pécuniaire et en ordonnant à l’employeur de dédommager le défendeur pour la perte d’avantages et de revenus résultant de son congé de maladie.

 

Résumé des faits

[4]               Le défendeur travaille comme agent correctionnel pour le SCC depuis 1977. Au moment de l’incident il travaillait à l’établissement Cowansville.

 

[5]               En juin 2005, le SCC a adopté un nouveau code vestimentaire et l’uniforme des agents a été modifié. Ces changements ont été conçus en collaboration avec le Syndicat des agents correctionnels (ci-après « SACC »).

 

[6]               L’ancien uniforme exigeait le port d’une cravate par les agents, tandis que le nouvel uniforme interdit le port d’une cravate. La preuve a démontré que la cravate pour l’uniforme de service fut éliminée à la suggestion des agents eux-mêmes.

 

[7]               Le défendeur, ayant toujours porté une cravate dans le cadre de ses fonctions, a refusé de la retirer nonobstant le nouveau code vestimentaire et les nouvelles règles.

 

[8]               Le 28 octobre 2005 le superviseur du défendeur, M. Pierre Sansoucy, a écrit une note de service (pièce 14) à M. Demers qui se lit :

« PORT DE L’UNIFORME

Monsieur,

Mme Karine Dutil G.U. int. du secteur 2 m’a mandaté pour vous rencontrer concernant le port du nouvel uniforme. Nous avons été informés que vous ne portiez pas le nouvel uniforme qui a été adopté par le service et le syndicat. Comme vous savez un code vestimentaire est en vigueur depuis l’arrivée du nouvel uniforme. Le non respect de ce code vestimentaire entraîne des sanctions disciplinaires qui peuvent mener jusqu’à la suspension. J’ai parlé avec le représentant syndical national et local de ce sujet. Ceux-ci soutiennent le service dans l’application du port de l’uniforme. Donc, si vous n’êtes pas conforme à ce code vestimentaire, je vous demande de vous conformer à ce code dès maintenant. Je vais vous rencontrer dès mon retour de vacance pour voir si vous vous êtes plié à cette exigence.

Je compte sur votre collaboration habituelle.

Pierre Sansoucy S/C secteur 2

CC : dossier employé; K. Dutil G.U.

P.S. je vous remets dans votre case un code accompagné de cette note. »

 

 

[9]               Le soussigné est satisfait que M. Sansoucy a remis au défendeur une copie du code vestimentaire avec la note de service (pièce 14).

 

[10]           Il y a lieu de citer certains articles du code vestimentaire :

 

« art. 8 – «Les employés doivent porter les uniformes du SCC et les articles vestimentaires pour le travail distribués par ce dernier en respectant rigoureusement les règles énoncées dans le présent document. Aucun article additionnel visible ni substitution par un article semblable n’est permis, sauf si expressément autorisé dans le présent document».

art. 9 – […] «En conséquence, les employés en uniforme doivent s’abstenir :

f. de porter des articles vestimentaires non réglementaires avec les articles réglementaires (p.ex., une casquette de baseball) pour donner un style décontracté ou autre;

g. de modifier de quelque façon l’aspect original de l’uniforme (de travail ou de cérémonie)». »

 

                                                   (Je souligne)

 

 

[11]           Dans la décision arbitrale, au para. 41, l’arbitre dit :

« Je soulève le fait que le code vestimentaire ne contient aucune interdiction de porter une cravate ».

 

            Il m’est difficile de comprendre cette conclusion de la part de l’arbitre. Les articles 8 et 9 du code vestimentaire sont clairs à l’effet que « les employés doivent porter les uniformes du SCC […] et qu’« Aucun article additionnel visible […] n’est permis ».

 

            Lorsqu’une chose n’est pas permise elle est donc interdite. Le dictionnaire Le Petit Robert indique que l’antonyme du mot « permission » est « interdiction ».

 

[12]           Le 29 novembre 2005, une autre note de service (pièce 17) fut remise au défendeur. Cette note se lit :

 

« PORT DE LA CRAVATE

Monsieur,

Je vous ai rencontré le 29 novembre 2005 pour vous aviser que le port de la cravate avec l’uniforme de travail ne rencontrait pas le code vestimentaire du service. Je vous ai avisé que vous vous exposiez à des sanctions disciplinaires devant le refus de vous conformer. Je vous ai avisé que vous deviez porter l’uniforme selon le code vestimentaire et de manière soignée de façon à respecter l’image du service que vous représentiez. Vous m’avez dit que pour vous le port de la cravate était essentiel, car dans votre façon de voir les choses, cela imposait le respect face à la clientèle. Vous m’avez aussi dit que vous étiez prêt à subir les sanctions disciplinaires qui vous seraient imposées dans le but de faire valoir vos droits. Vous m’avez expliqué que vous ne compreniez pas le rationnel du service à ce sujet. Je vous ai expliqué ce que j’en savais et le pourquoi qu’on ne portait plus la cravate avec l’habit de travail. Je vous ai dit que je vous comprenais dans vos opinions, mais que je n’approuvais pas votre démarche. En terminant, je vous ai répété que la prochaine fois que je vous reverrais pour le port de la cravate ou votre tenue vestimentaire qui ne serait pas conforme, çà serait pour une sanction disciplinaire. Je vous ai demandé une dernière fois de vous conformer.

Par le fait même, je vous ai avisé que vous aviez été reporté par un surveillant pour avoir eu des propos agressifs à son égard. Je vous ai dit que je vous reverrais à ce sujet et que vous vous exposiez à une sanction disciplinaire.

Pour votre information.

Pierre Sansoucy S/C

c.c. : dossier; GU »

 

 

[13]           Il est aussi en preuve (pièce 18 en liasse) que le 27 novembre 2005 et le 4 décembre 2005 le défendeur fut avisé qu’il n’avait pas le droit de porter une cravate lors de son service.

 

[14]           La pièce 20 relate une rencontre entre les représentants de l’employeur et le défendeur tenue le 5 décembre 2005. Il y est écrit :

 

« RENCONTRE DU 5 DÉCEMBRE 2005

Lundi matin à 07 :00 A.M. nous avons rencontré M. François Demers à la salle de conférence de l’administration 3. Celui-ci était accompagné de Mario Martel et Francine Boudreault du syndicat. La gestion était représentée par Karine Dutil G.U. int et Pierre Sansoucy S.O.C. Le premier sujet a été le port de la cravate de M. Demers. J’ai répété devant tous les gens présents la procédure qui serait prise envers M. Demers si celui-ci continuait à persister dans son intention de porter sa cravate. Il nous a dit qu’il irait jusqu’au bout dans sa démarche. Il nous a dit qu’il voulait recevoir sa réprimande écrite avant de quitter l’établissement. Ce qui fût fait. Le deuxième sujet a été le rapport qu’il y aurait eu envers lui de la part de la surveillante Murielle Leblanc. Il a expliqué son point de vue face à cette situation. Mme Dutil lui a expliqué que le rapport ne tenait plus, que la gestion avait mal interprété le rapport de Mme Leblanc. M. Demers nous a expliqué qu’il avait rapporté Madame et qu’il voulait d’autres explications et qu’il était insatisfait. Il nous a dit en terminant que la guerre était déclarée.

 

Pierre Sansoucy S/C

CC : François Demers; Dossier; G.U. pav. 9 »

 

 

[15]           Les pièces 22 et 23 ont été déposées en preuve et se lisent respectivement comme suit :

 

« RENCONTRE DU 08 DÉCEMBRE 2005

Monsieur,

Le 08 décembre 2005 vers 19 :00hres, je vous ai rencontré en présence de Mario Martel du syndicat et de Alessendria Page G.U à l’administration 3 de l’établissement de Cowansville. Je vous ai donné ordre d’enlever votre cravate et de ne pas la porter durant votre quart de travail. Nous avez refuser et je vous ai remis une mesure disciplinaire (amende).

Pierre Sansoucy S/C

CC : dossier; G.U »

 

«Résumé des faits

 M. Demers a commencé à porter son nouvel uniforme seulement au début de novembre 2005 même s’il avait reçu la … vers le mois de juin 2005. Lorsqu’il a mis son nouvel uniforme, il a ajouté et porté une cravate. Il fut avisé 4 fois de l’enlever et il a reçu une réprimande écrite le 05/12/05 pour son refus de l’enlever. Malgré toutes ces démarches, il persiste à la porter.

 

Déclaration de l’employé

Celui-ci maintient qu’une cravate fait partie de l’uniforme. Qu’il continuerait à la porter et qu’il irait jusqu’au bout dans sa démarche. Que pour lui une cravate imposait la discipline à la clientèle.

 

Mesure

Devant le refus de M. Demers, je n’ai d’autre choix que de lui imposer une amende pécuniaire de 75 dollars pour le port de sa cravate.

Surveillant Correctionnel Pierre Sansoucy  05/12/08 »

 

 

[16]           Lorsque M. Demers a reçu des avertissements concernant le port de la cravate et qu’il a refusé de l’enlever, il a déclaré que pour lui c’était essentiel parce que la cravate imposait le respect face à la clientèle. Il a expliqué ses raisons au psychiatre qui l’a examiné le 13 février 2006 dans les termes suivants :

 

« que la cravate est un outil dont il se sert aussi bien que des menottes ou un autre outil. Cela le valorise mais aussi lui permet de créer une limite entre lui et les détenus. »

 

 

[17]           Après l’imposition de l’amende de 75$ le 8 décembre 2005, le défendeur a quitté l’établissement en larmes (voir pièce 5) et s’est rendu à l’hôpital. Le diagnostic fut « crise d’adaptation » (pièce 25) et le 17 janvier 2006 son médecin a ordonné un arrêt de travail pour trois mois.

 

[18]           Lorsque M. Demers avait reçu des avertissements avant le 8 décembre 2005 et même quand il a reçu la réprimande écrite le 5 décembre 2005, il n’avait démontré aucun signe pouvant indiquer la réaction et le diagnostic indiqués ci-haut.

 

[19]           Le 13 décembre 2005 M. Demers a présenté une demande de prestations auprès de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (ci-après «CSST») pour un accident de travail. Cette demande fut rejetée et, au moment de l’audition devant l’arbitre, était devant la Commission des lésions professionnelles du Québec.

 

[20]           D’autres événements ont suivi :

 

A)    Le 23 décembre 2005 M. Demers dépose le grief suivant :

Description du grief :

Abus de pouvoir de l’employeur menant à de la discrimination et au harcèlement, tout cela à cause d’une cravate.

On m’interdit de gagner ma vie, car je n’ai plus accès à l’établissement.

Mesures correctives demandées :

1.    Apporter au code vestimentaire le port de la cravate optionnelle.

2.    Que toute somme d’argent perdue me soit remboursée.

3.    Être présent à tous les paliers au frais de l’employeur.

 

B)     Le 26 décembre 2005 M. Demers se présente à l’établissement Cowansville disant qu’il veut reprendre son travail, prétendant qu’il n’est plus en accident de travail mais, vu qu’il était en arrêt de travail depuis le 8 décembre 2005 et n’avait pas en sa possession un certificat médical attestant qu’il était apte à retourner au travail, l’accès à l’établissement lui fut refusé.

 

 

[21]           À la demande du SCC, le 13 février 2006 M. Demers a été examiné par le Dr. Lafontaine, psychiatre. Le rapport de ce dernier fut versé au dossier devant l’arbitre comme pièce 1. Je crois opportun de citer certains extraits de cette expertise incluant les conclusions :

 

 

« MANDAT DE L’EXPERTISE :

Le but de l’expertise est de répondre aux questions suivantes :

1.      Quel est votre diagnostic?

2.      Quelle est la date prévisible de consolidation des lésions?

3.      Des traitements sont-ils justifiés?

4.      Existe-t-il des limitations fonctionnelles?

5.      Prévoyez-vous une atteinte permanente?

6.      Quelle serait la date prévisible pour un retour au travail normal, c’est-à-dire sans occuper des postes sélectionnés?

[…]

ANTÉCÉDENTS PSYCHIATRIQUES PERSONNELS :

Ils sont négatifs.

ANTÉCÉDENTS PSYCHIATRIQUES FAMILIAUX :

Ils sont négatifs.

[…]

SUIVI ACTUEL :

Il n’a eu qu’une rencontre le 8 décembre, lorsqu’il a été à la clinique d’urgence. Il aurait été vu par un psychiatre à une seule reprise, qui aurait diagnostiqué un problème avec l’employeur. Il a vu son médecin de famille, le Docteur Laguë, qui a émis le 17 janvier 2006, un arrêt de travail de trois mois pour trouble d’adaptation situationnel.

[…]

RÉSUMÉ DES FAITS PERTINENTS :

Monsieur nous dit que sa condition a été causée par l’intransigeance de son employeur. Il ajoute que c’est l’arrogance également de l’employeur et la pression que ce dernier met sur monsieur qui a fait qu’au moment de son arrêt de travail, il a quitté le travail en pleurant.

[…]

Monsieur reconnaît qu’il a un tempérament prompt, mais il ne lâchera pas son point, nous dit-il. Il sent l’employeur comme étant hargneux. Il a l’impression qu’ils sont tous sur lui, qu’ils tentent de l’écraser. Monsieur reconnaît qu’il n’est pas de tempérament facile. Il nous dit avoir appris de sa mère que lorsqu’on est convaincu de quelque chose, on fonce, et c’est ce monsieur ferait actuellement. Il nous dit que s’il ne peut pas travailler avec sa cravate, il faudra qu’on le congédie.

[…]

EXAMEN MENTAL :

[…]

L’humeur et les affects sont quelquefois irritables, par moments, mais en général monsieur n’est pas dépressif. Il est quelque peu anxieux toutefois. Nous notons un léger tremblement des mains. La pensée est normale, tant au niveau de la forme que des contenus. Les contenus idéiques ne sont pas mélancoliques, hypocondriaques, suicidaires ou psychotiques. Les processus associatifs et les modalités perceptuelles sont normaux.

[…]

RÉPONSE AU MANDAT :

1.    DIAGNOSTIC

Axe I       Trouble de l’adaptation avec humeur anxiodépressive.

Axe II     Aucun diagnostic.

Axe III    Aucun diagnostic.

Axe IV    Facteur de stress : difficultés de relations de travail

Axe V     L’échelle de fonctionnement global est à 70-75.

2.    QUELLE EST LA DATE PRÉVISIBLE DE CONSOLIDATION?

Actuellement, je trouve que la condition est consolidée en date de l’expertise, le 13 février 2006.

3.    DES TRAITEMENTS SONT-ILS JUSTIFIÉS?

Aucun traitement spécifique n’est justifié.

4.    EXISTE-T-IL DES LIMITATIONS FONCTIONNELLES?

Il n’existe pas de limitation fonctionnelle sur le plan médical psychiatrique.

5.    PRÉVOYEZ-VOUS UNE ATTEINTE PERMANENTE?

Il n’existe pas d’atteinte permanente non plus.

6.    QUELLE SERAIT LA DATE PRÉVISIBLE POUR UN RETOUR AU TRAVAIL NORMAL, C’EST-À-DIRE SANS OCCUPER DES POSTES SÉLECTIONNÉS?

Quant au retour au travail, ceci m’apparaît dépendre plutôt de la situation administrative qui est présente chez monsieur. Sur le plan médical psychiatrique, monsieur ne présente aucune limitation et il n’est pas inapte à faire son travail. »

 

 

[22]           Suite à l’expertise du Dr. Lafontaine, le SCC a demandé à M. Demers par le biais d’une lettre datée le 6 mars 2006 (pièce 30) de retourner au travail le 15 mars 2006. Je cite de cette lettre les extraits suivants :

« A notre demande, vous avez subi l’expertise médicale en date du 13 février 2006 au bureau du Dr. Sylvain Louis Lafontaine. Le rapport d’expertise médicale du Dr. Lafontaine confirme que vous n’avez aucune limitation fonctionnelle ainsi qu’aucune atteinte permanente sur le plan médical et que vous êtes apte à effectuer vos fonctions d’agent de correction I et ce, depuis le 13 février dernier.

De plus, M. Adam Poch, conseiller en relation de travail à l’Administration régionale, nous a confirmé en date du 1er mars 2006 que la CSST avait refusé votre réclamation d’accident de travail.

 

Considérant que nous n’avons reçu aucun rapport médical de votre médecin traitant depuis le jour de votre absence et considérant du résultat qui est ressorti de l’expertise médicale subie le 13 février à l’effet que vous êtes apte à effectuer votre emploi, nous vous demandons de vous présenter au travail le 15 mars 2006 sur le quart de jour et de confirmer votre présence à M. Pierre Sansoucy, surveillant correctionnel et ce, sur réception de la présente.

[…] »

 

 

[23]           Suite à cette lettre, il y a eu une conversation téléphonique le 7 mars 2006 entre M. Demers et son superviseur, M. Sansoucy. Cette conversation est résumée dans une note de service (pièce 30) qui se lit :

 

« RÉSUMÉ DU RETOUR D’APPEL DU 2006-03-07

Monsieur,

Le 07 mars 2006 vers 13 :30 P.M. je vous ai retourné votre appel. Vous m’avez dit que vous aviez reçu une lettre du Service par Purolator vous demandant de rentrer au travail le 15 mars 2006. Vous m’avis dit que vous étiez en vacance à partir de cette date. Je vous ai expliqué que vous n’aviez pas assez de crédit pour couvrir les vacances que vous aviez signé étant donné que vous étiez sans solde depuis le 23 décembre 2005. Je vous ai expliqué que vous aviez assez de crédit pour 3 jours de 12 heures mais qu’ensuite vous deviez entrer ou m’apporter un papier médical pour justifier votre absence. Vous m’avez répondu de faire ce que je voulais que d’une manière ou l’autre, je ferais ce que je veux. Je vous ai demandé votre date d’entrée, vous m’avez répondu 2012. Par la suite je vous ai dit que votre accident de travail avait été refusé, et qu’il fallait se parler à votre retour pour savoir comment vous alliez rembourser le Service. Ensuite vous m’avez demandé si vous deviez vous présenter avec ou sans cravate! Je vous ai répondu sans cravate, et que si vous vous présentiez avec une cravate vous auriez une sanction disciplinaire. Je vous ai demandé une autre fois votre date d’entrée, et vous m’avez répondu que je le saurais en temps et lieu.

Pierre Sansoucy, S.O.C .

CC : dossier employé; C. Guérin S.D; K. Dutil, G.U »

 

 

[24]           Monsieur Demers n’est pas retourné au travail.

 

[25]           Le 1er août 2006, à la demande du SCC, le Dr. Lafontaine a effectué une deuxième expertise (pièce 2). Je constate que, bien que les conclusions de ce rapport sont citées dans la décision de l’arbitre, celle-ci n’a cependant pas reproduit dans sa décision les conclusions du même médecin dans son rapport du 13 février 2006. Il ne fait aucun doute qu’entre la date de l’expertise du 13 février 2006 où il était déclaré apte médicalement à retourner au travail et l’émission de l’expertise du 1er août 2006 la santé de M. Demers se soit détériorée au point qu’il ne pouvait plus travailler. Toutefois, si on en croit la teneur de l’entretien téléphonique du 7 mars 2006, si on lui avait permis de porter sa cravate il aurait accepté de retourner au travail à ce moment-là.

 

[26]           Le représentant de M. Demers dans sa lutte contre le code vestimentaire a écrit à l’employeur le 17 janvier 2006. Cette missive se lit en partie comme suit :

 

« Quant au port de la cravate comme tel, notre client a expliqué à maintes reprises à ses supérieurs que cet élément lui assurait une distance entre la clientèle et lui de même que, de la discipline et du respect. Ses 28 années de service peuvent en témoigner.

[…]

Nous vous saurions gré de nous indiquer si le SCC maintiendra cette position envers Monsieur Demers et lui interdira encore de porter sa cravate.

 

Pour sa part, ce dernier continuera ses démarches pour faire cesser cette interdiction absurde et à accomplir ses tâches avec rigueur et professionnalisme.

 

Il va sans dire que notre client tiendra le SCC responsable de tous les dommages qu’il pourrait subir eu égard à cette interdiction, y incluant les pertes salariales et les dommages y afférent, le cas échéant. »

 

 

[27]           L’employeur a répondu à cette lettre le 25 janvier 2006 indiquant ce qui suit :

 

« Monsieur,

L’uniforme a été choisi par un comité national composé par des membres de l’exécutif syndical national et des hauts fonctionnaires du Service correctionnel du Canada. Le code vestimentaire découle de ce comité. Dans le barème de distribution des pièces d’uniforme, il n’y a pas de cravate pour l’habit de travail. Par conséquent, monsieur Demers doit se conformer à ce dit code vestimentaire.

Pour ce qui est de sa perte de salaire, votre client, monsieur Demers, est en accident de travail depuis le 8 décembre 2005. Pour reprendre son travail, il doit fournir à l’employeur une attestation de travail de son médecin nous confirmant qu’il est apte à reprendre le travail.

Espérant le tout conforme à vos attentes.

Claude Guérin

Sous-directeur »

 

L’amende de 75$

[28]           L’arbitre a décidé que l’imposition de l’amende par l’employeur n’était pas justifiée et a ordonné au SCC de rembourser ce montant à M. Demers (voir conclusions de la décision arbitrale).

 

[29]           L’uniforme a été conçu en collaboration avec le syndicat (pièces 14 et 29, témoignage de M. Sancoucy). Tous les agents sauf M. Demers ont accepté de se conformer au code vestimentaire et ont cessé de porter la cravate avec leur uniforme de service. Bien que l’arbitre ait déterminé que le code n’interdit pas le port de la cravate, je suis d’avis qu’il y a interdiction.

 

[30]           L’employeur a demandé à M. Demers au moins à quatre reprises d’enlever sa cravate et finalement une réprimande écrite a été émise mais M. Demers a continué de défier l’employeur qui, à mon avis, n’avait pas d’autre choix que d’imposer la sanction pécuniaire de 75$, un montant quand même assez modeste.

 

[31]           La norme de contrôle qui s’applique à la décision de renverser la sanction pécuniaire est celle de raisonnabilité. Je suis d’avis que la sanction était justifiée et que la décision de l’arbitre de la renverser est déraisonnable.

 

L’ordonnance de dédommager M. Demers

[32]           Il y a lieu ici de citer de la décision arbitrale les paragraphes suivants :

 

« 121 Une jurisprudence constante, soutient que, lorsqu’un employé s’absente en raison d’un accident du travail ou pour une période prolongée, l’employeur peut exiger un certificat médical d’aptitude au travail avant d’autoriser l’employé à retourner au travail. À ce propos, le défendeur a cité les arrêts suivants : Stinson, Lorrain, Ricafort, ainsi que le paragraphe 7 :6142 de Canadian Labour Arbitration.

 

122 Néanmoins, je suis d’avis que les principes énoncés dans les décisions sur lesquelles le défendeur se fonde ne s’appliquent pas à la présente affaire, compte tenu des circonstances particulières, pour les raisons suivantes. J’ai conclu que l’amende administrée à M. Demers était une sanction disciplinaire injustifiée. Selon la preuve du défendeur, la détresse psychologique concernant l’interdiction du port de la cravate s’est manifestée avant la rencontre du 8 décembre 2005, tel qu’en fait foi le courriel du 2 décembre 2005 de M. Desrosiers à M. Sansoucy. Cette détresse s’est manifestée de façon aigüe au cours de la rencontre du 8 décembre 2005 et ce fait est consigné dans un rapport d’observation. Le défendeur ne peut donc nier que le SCC était au courant de la situation personnelle de M. Demers et qu’il était en mesure d’agir de façon préventive. Le SCC ne s’est préoccupé du bien-être de M. Demers qu’au mois de février 2006, lorsqu’il lui a demandé de subir une évaluation psychiatrique en vue de le faire revenir au travail. Comme il a déjà été exposé, le psychiatre a confirmé l’opinion du médecin traitant quant au motif de l’absence de M. Demers depuis le 8 décembre 2005.

 

123 Je souligne les conclusions du psychiatre selon lesquelles le fait que le SCC soit demeuré campé sur sa position d’interdire la cravate a fait évoluer le stress de M. Demers, rendant ce dernier inapte à retourner au travail à l’heure actuelle, et ce, pour une période indéfinie. Notons que la deuxième évaluation psychiatrique a confirmé que l’état de M. Demers s’est aggravé. Les conclusions des deux évaluations psychiatriques sont à l’effet que l’état de M. Demers perdurera tant que le SCC insistera pour qu’il ne porte pas de cravate.

 

124 Ces faits m’emmènent à conclure que M. Demers a pris un congé de maladie contre son gré, attribuable directement au stress causé par l’intransigeance continue du SCC quant à l’interdiction de porter la cravate. Ayant conclu que le SCC n’a pas tenté de trouver une solution raisonnable à l’égard de M. Demers, contrairement à ce que permet le code vestimentaire, avant de lui imposer une sanction, je suis d’avis que M. Demers n’a pas à subir la perte de revenus découlant d’un congé de maladie involontaire de sa part. Par conséquent, j’ordonne au défendeur de dédommager M. Demers pour la perte d’avantages et de revenus résultant d’un tel congé de maladie. »

 

 

[33]           Selon l’arbitre l’employeur était intransigeant parce qu’il demandait à M. Demers de se conformer au code vestimentaire. Comme je l’ai déjà dit, à mon avis l’employeur n’avait pas le choix. Le code vestimentaire a été établi et tous les agents s’y sont conformés sauf M. Demers. On ne peut qualifier d’«intransigeantes » les demandes faites pour faire respecter les règles. Dans le cas de M. Demers, on constate que c’est plutôt lui qui s’obstinait. C’est lui qui a déclaré la guerre et qui a expliqué au Dr. Lafontaine que s’il ne peut pas travailler avec sa cravate il faudra qu’on le congédie.

 

[34]           Dans sa décision l’arbitre fait référence à la détresse psychologique de M. Demers. Il faut se rappeler que le champ d’expertise de l’arbitre se situe au niveau des relations de travail et, à moins qu’elle ne se réfère à l’opinion soit d’un médecin ou d’un psychologue lorsqu’elle conclut qu’un certain événement a causé la détresse psychologique chez M. Demers, elle excède clairement sa compétence.

 

[35]           Au paragraphe 122 de sa décision, l’arbitre conclut que la détresse psychologique s’est manifestée avant la rencontre du 8 décembre 2005 tel qu’en fait foi le courriel du 2 décembre 2005 de M. Desrosiers à M. Sansoucy. L’arbitre fait référence à la pièce 19. Je ne peux conclure que ce document établit que M. Demers était en état de détresse psychologique. D’ailleurs ce courriel a été suivi 20 minutes plus tard d’un second courriel attestant que bien que M. Demers ait quitté l’établissement à 19h00 il est revenu à son poste vers 19h20 pour effectuer son quart de travail.

 

[36]           La preuve a démontré que le 8 décembre 2005, après avoir reçu la sanction pécuniaire, M. Demers était émotif et en larmes. Cependant l’arbitre ne possède pas l’expertise exigée pour conclure que cette détresse s’est manifestée de façon aigüe au cours de la rencontre du 8 décembre 2005. En fait, la rencontre en question n’est pas celle où M. Demers a reçu la sanction pécuniaire.

 

[37]           L’évaluation du Dr. Lafontaine en date du 13 février 2006 démontre que M. Demers ne souffre d’aucune maladie mentale et qu’il n’existe pas d’atteinte permanente. De plus, il a été déterminé qu’aucun traitement spécifique n’était requis.

 

[38]           Le second rapport du Dr. Lafontaine, environ six mois plus tard, révèle un diagnostic de « dépression majeure d’intensité sévère ».

 

[39]           Rappelons que M. Demers a refusé de retourner au travail en mars 2006 lorsque le Dr. Lafontaine a déclaré qu’il était apte à le faire. La dernière fois qu’on lui a demandé d’enlever sa cravate datait du 8 décembre 2005. Deux mois plus tard, soit en février 2006, il fut déclaré apte au point de vue médical à reprendre le travail mais a refusé d’y retourner.

 

[40]           Je suis d’avis que M. Demers est l’auteur de sa situation actuelle. Je suis également convaincu que l’employeur en décembre 2005 n’aurait pu savoir que M. Demers se trouvait dans les circonstances décrites dans le rapport médical du 1er août 2006 (pièce 2). À mon avis l’employeur n’a commis aucune faute et la décision de l’arbitre ordonnant à celui-ci de dédommager M. Demers est déraisonnable.

 

[41]           Devant l’arbitre, le demandeur a soulevé l’argument que celui-ci n’avait pas la compétence pour décider du grief en litige en raison des dispositions de l’alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (para. 49 de la décision). Considérant mes conclusions relativement aux deux ordonnances de l’arbitre, il n’est pas nécessaire que je traite de cet argument.


 

JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS PRÉCITÉS, LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que

 

1)                  La demande du demandeur est accueillie;

2)                  La décision de l’arbitre est annulée;

3)                  Le grief est renvoyé devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique avec la directive que le grief soit rejeté en conformité avec les motifs de la présente décision;

4)                  Le tout sans frais.

 

 

« Louis S. Tannenbaum »

Juge suppléant

 


Liste de la doctrine et autorités consultées

 

1.                       Loi sur les Relations de travail dans la fonction publique, ch P-33.3

2.                       Brown and Beatty, Canadian Labour Arbitration (4th edition) online, paragraph 7:3610

 

3.                       Bédirian c. Canada (Procureur Général), [2007] A.C.F. no 812

4.                       Byfield et Agence du Revenu du Canada, 2006 CRTFP 119

5.                       Dayco (Canada) Ltd c. Syndicat national des travailleurs et des travailleuses de l’automobile, de l’aérospatiale et de l’outillage agricole du Canada (TCA-Canada), [1993] 2 R.C.S. 230

 

6.                       Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226

 

7.                       Lorrain et le Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada), 1985 CRTFP no 5

 

8.                       Noel et le Conseil du Trésor, 2002 CRTFP 26

9.                       Re Hunter Rose Co. Ltd. And Graphic Arts International union, Local 28-B, 27 L.A.C. (2d) 338, 1980

 

10.                   Ricafort et le Conseil du Trésor (Ministère de la Défense nationale), 1988 CRTFP no 321

 

11.                   Ryan c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 110

12.                   Stinson et le Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 1989 CRTFP no 74

 

13.                   Vorvis c. Insurance Corp. Of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 1085

14.                   Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701

15.                   Gauthier c. Banque nationale du Canada, 2008 CF 79

16.                   Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), 2005 CF 958

17.                   Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, [2004] 1 R.C.S. 727

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1607-07

 

INTITULÉ :                                       Procureur général du Canada c. François Demers

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 mai 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               TANNENBAUM J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 16 juillet 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Adrian Bieniasiewicz

 

POUR LE DEMANDEUR

Me David Rhéaume

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

Grégoire, Poitras, Payette, Rhéaume, Messier

Avocats

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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