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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20080709

Dossier : IMM-4736-07

Référence : 2008 CF 848

Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2008

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

ALISON COLETTE BODINE

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue le 31 octobre 2007 (la décision) par une commissaire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle Mme Bodine (la demanderesse) a été déclarée interdite de territoire pour fausses déclarations.

 


LE CONTEXTE

 

[2]               Vers 2 heures le 10 septembre 2007, la demanderesse, citoyenne des États‑Unis, a tenté d’entrer au Canada au poste frontalier de Peace Arch. Elle a affirmé qu’elle voulait entrer en tant que visiteur et vivre chez un ami au Canada pendant deux ou trois mois. Elle s’est vu refuser l’entrée par l’agente Emmott de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC). L’agente Emmott, aidée d’un autre agent, a fouillé l’automobile de la demanderesse, à la suite de quoi elle a conclu que la demanderesse ne quitterait pas le Canada à la fin de son séjour parce qu’elle était sans emploi et n’avait pas établi qu’elle avait les fonds nécessaires pour subvenir à ses besoins pendant son séjour au Canada. En outre, la demanderesse n’avait pas de documents établissant ses liens aves les États‑Unis ou de preuve de résidence dans ce pays, où elle pourrait retourner. De plus, la quantité et le type d’articles qui se trouvaient dans son automobile donnaient à penser qu’elle venait au Canada pour y vivre. Ces articles comprenaient notamment des documents personnels (talons de chèque de paie, journaux et anciennes lettres), des feuilles d’autocollants d’adresse de l’expéditeur sur lesquels figuraient une adresse de Vancouver, une caisse en bois, une bicyclette et un support à bicyclette ainsi que plusieurs sacs de biens personnels. La demanderesse a été informée par l’agente Emmott des motifs pour lesquels elle ne pouvait entrer au Canada, et elle a affirmé qu’elle les comprenait. L’agente Emmott a également informé la demanderesse que, si elle voulait entrer au Canada en tant que visiteur, elle devait établir qu’elle quitterait le pays à la fin de son séjour autorisé. Pour ce faire, la demanderesse pourrait notamment montrer qu’elle possède des fonds et qu’elle a une résidence aux États‑Unis et transporter des biens et des objets personnels correspondant à ceux apportés en voyage par un visiteur. La demanderesse n’a pas contesté la décision de l’agente Emmott, a accepté de retirer volontairement sa demande d’entrée au Canada et est retournée aux États‑Unis.

 

[3]               Plus tard, la même matinée, la demanderesse a rencontré son petit ami, M. Andrew Barry, citoyen canadien, dans le stationnement d’une station-service à Blaine, dans l’État de Washington. Elle a transféré un certain nombre d’articles de son automobile à celle de M. Barry. Elle s’est également procuré un reçu de guichet automatique comme preuve de possession de fonds et un relevé bancaire sur lequel figurait l’adresse de sa résidence au Colorado. Elle s’est ensuite présentée au poste frontalier de Peace Arc et a été admise au Canada vers 11 h 50 sans avoir à se soumettre à un deuxième examen. L’agent qui a admis la demanderesse au Canada ne savait pas que la demanderesse avait volontairement retiré sa demande d’entrée plus tôt la même matinée et il ne connaissait pas les motifs expliquant ce retrait.

 

[4]               Vers 12 h 15, M. Barry a tenté de rentrer au Canada et a fait l’objet d’un deuxième examen. Un certain nombre d’articles se trouvaient dans son automobile : une bicyclette et un support à bicyclette, une caisse en bois renfermant des publications sur le cannabis et contre la guerre, des chemises de classement remplies de renseignements personnels et d’illustrations, des albums photos, d’anciennes lettres et factures, des lettres non ouvertes, plusieurs carnets, de vieux livres, des vêtements et des chaussures de femme, un certificat attestant la réussite d’un cours ainsi que le passeport et le permis de conduire expirés de la demanderesse. Certains de ces articles se trouvaient dans deux sacs noirs, deux sacs rouges et un sac beige. Lorsque l’agent a découvert que la demanderesse était entrée au Canada, les articles ont été saisis, et un mandat d’arrestation a été lancé contre la demanderesse au motif qu’elle était interdite de territoire pour fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi. Le 13 septembre 2007, la demanderesse est retournée au poste frontalier de Peace Arch pour reprendre possession des articles qui avaient été saisis, et elle a alors été arrêtée. L’enquête au sujet de la présente affaire s’est tenue les 17 septembre et 31 octobre 2007. La Commission a rendu sa décision relative à l’interdiction de territoire le 31 octobre 2007. Il s’agit de la décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[5]               Les motifs énoncés par la Commission étaient clairs : sa décision ne concernait pas la décision de l’agente Emmott (soit le refus de laisser entrer la demanderesse au Canada), et ce, bien que la Commission ait affirmé qu’elle n’était pas d’accord avec cette décision. La Commission a affirmé qu’il n’aurait pas été inapproprié que la demanderesse pense à vivre de façon permanente au Canada même si elle était entrée en tant que visiteur, parce que le paragraphe 22(2) de la Loi permet à une personne d’avoir une double intention lorsqu’elle entre au Canada. En outre, la Commission a noté que la demanderesse avait un dossier sans tache en ce sens que, par le passé, elle s’était conformée à la Loi lorsqu’elle avait eu des visas de travail et d’études et qu’elle n’était jamais demeurée au Canada plus longtemps qu’elle n’y avait été autorisée.

 

[6]               La Commission a également noté que l’audience ne concernait pas les affiliations ou les opinions politiques de la demanderesse. Selon la demanderesse, l’agente Emmott lui avait refusé l’entrée en raison des publications antiguerre trouvées dans sa voiture. La Commission a souligné qu’il s’agissait de l’impression qu’avait eue la demanderesse lorsqu’elle avait eu affaire à l’agente Emmott, mais que l’agente n’en avait pas gardé le même souvenir. Selon la Commission, les témoignages de la demanderesse et de l’agente Emmott concernant la question de savoir si l’agente Emmott avait même vu les publications antiguerre étaient contradictoires.

 

[7]               La Commission a noté qu’il y avait également contradiction entre le témoignage de Mme Bodine au sujet des articles qui avaient été transférés dans l’automobile de M. Barry et les articles énumérés dans la déclaration solennelle rédigée par l’agent Dempsey de l’ASFC, qui avait inspecté l’automobile de M. Barry. La Commission a affirmé ce qui suit :

Puisqu’il s’agit d’articles que l’agent Dempsey a personnellement inspectés et saisis, je préfère sa déclaration solennelle au témoignage de vive voix de Mme Bodine. Celle-ci a tenté de minimiser l’importance du transfert de biens à la voiture de M. Barry. Elle a déclaré dans son témoignage que seuls les objets appartenant à M. Barry et la documentation politique ont été transférés. Toutefois, le coffre de la voiture de M. Barry contenait de nombreux objets appartenant à Mme Bodine, dont des vêtements et des objets personnels, lesquels ne se trouvaient pas uniquement par inadvertance dans la caisse, mais aussi dans l’un des sacs à dos.

 

 

[8]               À la suite de quoi, la Commission a tiré les conclusions suivantes :

J’en tire deux conclusions : premièrement, que Mme Bodine s’est déchargée de la plupart des articles se trouvant dans sa voiture pour créer l’impression, auprès des agents frontaliers, qu’elle n’apportait au Canada que ce dont elle aurait besoin pour y faire un court séjour, de nouveau, afin de répondre aux préoccupations de l’agente Emmott. [La Commission a également souligné que,] [p]our répondre à deux des préoccupations de l’agente Emmott, [la demanderesse avait] obtenu un reçu de guichet automatique bancaire montrant le solde de son compte ainsi qu’un relevé sur lequel figurait l’adresse de son domicile au Colorado. Deuxièmement, à la présente audience, Mme Bodine a voulu donner l’impression que ce transfert d’articles n’était pas un geste calculé, sauf en ce qui concerne la documentation politique qui, à son avis, avait empêché son admission au Canada.

 

[9]               La Commission s’est par la suite demandée si, en droit, il y avait eu fausse déclaration et elle a souligné « [qu]’il existe de nombreux arguments sur la question de savoir si, et dans quelle mesure, Mme Bodine avait une obligation de franchise, en d’autres termes, l’obligation de déclarer spontanément à l’agent frontalier que son entrée lui avait été refusée un peu plus tôt ce jour-là ». Elle a estimé qu’il n’était pas nécessaire de tirer une conclusion à ce sujet.

 

[10]           La Commission a conclu que la demanderesse avait fait, de façon indirecte, des réticences sur des faits pertinents ou, directement, une fausse déclaration, et elle a souligné que, lorsque la demanderesse était entrée au Canada, elle « n’a pas [été] interrogée [...] sur la quantité de biens personnels qu’elle apportait au Canada [...] parce qu’elle n’avait qu’un minimum d’effets personnels ». La demanderesse « n’a [donc] pas été questionnée parce que [...] elle avait transféré la plupart de ses effets personnels dans la voiture de M. Barry ». La Commission a conclu que « [c]e transfert visait incontestablement à tromper l’agent chargé de l’examen et [à] l’inciter à croire qu’elle apportait au Canada moins d’objets qu’elle ne le faisait en réalité ». Elle a conclu que cette fausse déclaration était importante parce « [qu’en] retirant la majeure partie de ces objets, [la demanderesse] a évité d’autres questions ou, en d’autres mots, elle a privé l’agent d’une avenue d’enquête ».

 

[11]           Enfin, la Commission a conclu que la fausse déclaration avait entraîné, ou aurait pu entraîner, une erreur dans l’application de la Loi; elle a affirmé que « [s]i une personne retient de l’information pertinente sur son admission au Canada ou fait une présentation erronée relativement à cette information, il en découle un risque d’erreur dans l’application de la Loi, c’est-à-dire la possibilité d’admettre une personne qui peut être interdite de territoire ». La Commission a donc estimé que tous les éléments nécessaires à l’établissement de la fausse déclaration avaient été établis, et elle a par conséquent prononcé une mesure d’exclusion contre la demanderesse. La demanderesse a tenté, par voie judiciaire, d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure d’exclusion dont elle faisait l’objet. La Cour a rejeté cette demande de sursis dans une décision rendue le 16 novembre 2007.

[11]

LES QUESTIONS EN LITIGE

Question préliminaire

 

[12]           Dans son dossier de demande, la demanderesse a déposé un affidavit personnel qui renferme des renseignements qui ne faisaient pas partie du dossier dont disposait la Commission. Il s’agit d’un principe bien établi en droit que, sauf quelques exceptions connues qui ne s’appliquent pas en l’espèce, une demande de contrôle judiciaire requiert l’examen du dossier dont disposait le décideur initial. Étant donné que les renseignements renfermés dans l’affidavit de la demanderesse n’avaient pas été présentés à la Commission, ils ne font pas dûment partie du dossier à l’examen dans le présent contrôle judiciaire et, par conséquent, la Cour n’en tiendra pas compte en l’espèce.

 

[13]           La demanderesse a proposé que la Cour examine les questions suivantes :

 

1.                  La décision de la Commission est-elle manifestement déraisonnable?

 

2.                  La demanderesse avait‑elle une obligation stricte de déclarer spontanément à l’agent au point d’entrée tout bien qu’elle apportait pour sa visite au Canada?

 

3.                  Si une telle obligation existe, la commissaire a‑t‑elle conclu que les biens qui se trouvaient dans l’automobile de M. Barry étaient apportés au Canada pour la visite de la demanderesse?

 

LE CADRE LÉGAL

 

[14]           Sont applicables à la présente affaire les articles suivants de la Loi :

16. (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

 

20. (1) L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

 

 

a) pour devenir un résident permanent, qu’il détient les visa ou autres documents réglementaires et vient s’y établir en permanence;

 

 

 

b) pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visa ou autres documents requis par règlement et aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

 

 

40. (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

 

 

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

 

b) être ou avoir été parrainé par un répondant dont il a été statué qu’il est interdit de territoire pour fausses déclarations;

 

c) l’annulation en dernier ressort de la décision ayant accueilli la demande d’asile;

 

 

d) la perte de la citoyenneté au titre de l’alinéa 10(1)a) de la Loi sur la citoyenneté dans le cas visé au paragraphe 10(2) de cette loi.

16. (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

 

 

 

20. (1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

 

(a) to become a permanent resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and have come to Canada in order to establish permanent residence; and

 

(b) to become a temporary resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

 

40. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

 

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

 

 

 

(b) for being or having been sponsored by a person who is determined to be inadmissible for misrepresentation;

 

(c) on a final determination to vacate a decision to allow the claim for refugee protection by the permanent resident or the foreign national; or

 

(d) on ceasing to be a citizen under paragraph 10(1)(a) of the Citizenship Act, in the circumstances set out in subsection 10(2) of that Act.

ANALYSE

 

 

La norme de contrôle

 

 

[15]           Récemment, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a reconnu que, même si la décision raisonnable simpliciter et la décision manifestement déraisonnable étaient des normes théoriquement différentes, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » (paragraphe 44). La Cour suprême du Canada a par conséquent fondu ces deux normes en une seule norme de contrôle, à savoir la raisonnabilité.

 

[16]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a également conclu que l’analyse relative à la norme de contrôle ne devait pas être effectuée dans chaque affaire. Au contraire, si la jurisprudence antérieure de la cour a bien établi la norme de contrôle applicable à la question en cause, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Si la recherche dans la jurisprudence se révèle infructueuse, alors seulement la cour de révision doit-elle procéder à l’examen des quatre facteurs constituant l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[17]           Dans l’affaire dont je suis saisi, la demanderesse conteste la décision de la Commission au motif que la preuve ne justifiait pas que la Commission conclue que la majorité des articles trouvés dans l’automobile de M. Barry appartenaient à la demanderesse ou que les articles transférés représentaient « la majeure partie » de ses objets personnels. Avant l’arrêt Dunsmuir, il était clairement établi que la norme applicable aux conclusions de fait tirées par la Commission était la décision manifestement déraisonnable. Par suite de l’arrêt Dunsmuir, mon analyse de la décision de la Commission tiendra donc « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, [ainsi qu’à] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, paragraphe 47).

 

[18]           La deuxième question soulevée par la demanderesse au sujet de l’obligation de franchise constitue, à mon avis, une pure question de droit. Par application de l’arrêt Dunsmuir, la norme applicable à cette question est la décision correcte. En outre, comme la demanderesse l’avance, c’est une question de portée générale, ce qui donne également à penser que la norme applicable est la décision correcte.

 

1.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la demanderesse avait, directement ou indirectement, fait une fausse déclaration et qu’elle était donc interdite de territoire en application de l’article 40 de la Loi?

 

 

[19]           La demanderesse allègue que la preuve ne justifiait pas que la Commission conclue que la majeure partie des articles transférés dans l’automobile de M. Barry lui appartenaient et que ces articles représentaient « la majeure partie » de ses objets personnels. La demanderesse soutient donc que les conclusions de la Commission à cet égard étaient déraisonnables.

 


[20]           Les passages pertinents de la décision de la Commission se trouvent aux pages 4 et 5 :

[...] Selon Mme Bodine, elle a donné à M. Barry les objets personnels appartenant à celui-ci et qu’elle avait dans sa voiture, y compris la bicyclette. Elle lui a aussi remis la caisse qui contenait principalement les documents antiguerre qui, de l’avis de Mme Bodine, étaient la cause du refus qu’elle a essuyé à la frontière. D’après son témoignage, elle n’a transféré dans la voiture de M. Barry que les articles appartenant à celui-ci et, lorsqu’elle est arrivée à la frontière la seconde fois, elle n’avait que ses objets personnels, dont un sac à dos et d’autres sacs. Elle a admis avoir laissé dans la caisse, par inadvertance, un dossier rempli de documents personnels.

 

Dans une lettre postérieure à l’audience, la ministre a présenté un reçu énumérant les biens saisis dans la voiture de M. Barry, soit une bicyclette, un support à bicyclette, un casque, une caisse en bois, deux sacs noirs, deux sacs rouges et un sac beige. L’agent Dempsey, qui a inspecté la voiture de M. Barry, a indiqué dans une déclaration solennelle que le coffre arrière de la voiture de M. Barry contenait plusieurs sacs à dos et une caisse.

 

[Traduction

 

Le coffre contenait plusieurs sacs à dos et une large caisse renfermant des biens, tels que plusieurs albums de photos, d’anciennes lettres, d’anciennes factures, des lettres non ouvertes, plusieurs carnets contenant des notes, de nombreux vieux livres, des vêtements de femme, des chaussures de femme, un certificat attestant la réussite d’un cours, des classeurs remplis de renseignements personnels et des œuvres d’art. Des documents sur la politique et le cannabis ont été trouvés. Dans l’un des sacs à dos se trouvait un passeport expiré appartenant à une femme, ainsi que d’autres pièces d’identité avec photographie.

 

Puisqu’il s’agit d’articles que l’agent Dempsey a personnellement inspectés et saisis, je préfère sa déclaration solennelle au témoignage de vive voix de Mme Bodine. Celle-ci a tenté de minimiser l’importance du transfert de biens à la voiture de M. Barry. Elle a déclaré dans son témoignage que seuls les objets appartenant à M. Barry et la documentation politique ont été transférés. Toutefois, le coffre de la voiture de M. Barry contenait de nombreux objets appartenant à Mme Bodine, dont des vêtements et des objets personnels, lesquels ne se trouvaient pas uniquement par inadvertance dans la caisse, mais aussi dans l’un des sacs à dos.

 

 

[21]           Sur le fondement de la preuve dont disposait la Commission, je suis convaincu que les conclusions de la Commission n’étaient pas déraisonnables. L’agente Emmott a affirmé dans son témoignage que, lorsque la demanderesse avait tenté d’entrer au Canada la première fois, elle avait dans son automobile une caisse en bois et quatre ou cinq sacs ainsi qu’une bicyclette à l’intérieur ou à l’extérieur de l’automobile. La demanderesse a affirmé dans son témoignage que, lorsqu’elle était entrée au Canada lors de sa deuxième tentative, elle avait seulement un sac à dos, un autre sac et quelques illustrations dans son automobile. Cependant, lorsque M. Barry est rentré au Canada peu de temps après la demanderesse,  l’agent Dempsey, qui a fouillé l’automobile de M. Barry, y a trouvé une bicyclette et le support à bicyclette et, dans le coffre, plusieurs sacs à dos ainsi qu’une grande caisse qui renfermait, entre autres, des vêtements et des souliers de femme, des pièces d’identité au nom de la demanderesse et d’autres documents. La demanderesse n’a pas nié qu’elle avait transféré plusieurs articles de son automobile à celle de M. Barry.

 

[22]           À mon avis, la Commission a examiné en détail l’ensemble de la preuve avant de conclure que la demanderesse avait transféré la plupart de ses objets personnels de son automobile à celle de M. Barry. La Commission a retenu les témoignages des agents qui avaient inspecté les automobiles de la demanderesse et de M. Barry - et elle avait le droit de plutôt se fier à ces témoignages de même qu’à la déclaration solennelle de l’agent Dempsey – plutôt que celui de la demanderesse. À mon avis, la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse avait transféré la majeure partie des articles qui se trouvaient dans son automobile à celle de M. Barry était raisonnable, et la Cour ne devrait pas intervenir.

 

[23]           Quant à la question de savoir si les articles qui se trouvaient dans l’automobile de M. Barry lui appartenaient, la demanderesse n’a pas contesté que les documents lui appartenaient, mais elle a affirmé dans son témoignage que la bicyclette et le support à bicyclette appartenaient à M. Barry. Elle a également nié que M. Barry transportait des vêtements lui appartenant lorsqu’il est entré au Canada.

 

[24]           Cependant, la conclusion de la Commission à ce sujet est corroborée par la déclaration faite par M. Barry à l’agent Dempsey lorsqu’il a tenté de rentrer au Canada. La déclaration solennelle de l’agent Dempsey révèle que [traduction] « [M.] Barry a affirmé que ces biens appartenaient à sa partenaire et qu’il serait plus facile pour lui de les faire traverser la frontière, parce qu’elle avait une voiture familiale et que tous ces biens seraient visibles. Après avoir été interrogé plus à fond au sujet de la visibilité des biens, M. Barry a affirmé que ce serait plus rapide si c’était lui qui les transportait au Canada. »

 

[25]           En outre, lorsqu’elle a témoigné au sujet des difficultés qu’elle avait éprouvées lorsqu’elle avait tenté de reprendre possession des articles qui avaient été saisis dans l’automobile de M. Barry, la demanderesse a mentionné que ces articles lui appartenaient :

 

            Q.        M. Barry ne pouvait pas entrer au Canada avec vos objets personnels et on lui a dit que seulement vous pouviez aller les reprendre?

            R.         Oui, on lui a dit qu’il ne pouvait pas apporter ces objets au Canada, et il les a donc laissés à la frontière.

           

            Q.        Et ce n’est qu’à vous qu’ils seraient remis, ce qui explique que vous êtes retournée les reprendre, c’est bien ça?

 

            R.         Si je me fie au reçu qu’on lui avait donné, oui.

 

            Q.        Et vos articles vous ont été retournés lorsque vous êtes effectivement allée les reprendre?

 

            R.         Non, lorsque je suis allé reprendre mes objets, j’ai été arrêtée.

 

            Q.        D’accord. Oui, parce qu’il y avait un mandat d’arrestation qui avait été lancé contre vous après -- le ministère croyait que vous aviez fait une fausse déclaration et donc, après votre libération et les faits que vous avez déjà décrits, vos articles vous ont été retournés lorsque vous êtes allée les chercher, est-ce que je me trompe?

 

            R.         Ils m’ont été retournés, oui, une semaine et des poussières plus tard.

                        [...]

 

            Q.        D’accord. On ne vous a donc jamais empêchée de reprendre vos objets personnels. Tout ce qui pouvait vous être rendu l’a été, et la seule chose que le ministère a faite en ce qui concerne vos objets personnels a été d’empêcher M. Barry d’entrer au Canada avec eux, est-ce que je me trompe?

 

            R.         À mon avis, on m’a empêchée de les reprendre parce que personne à l’ASFC ou à l’Immigration ne m’avait dit comment faire pour reprendre possession de mes affaires. Les seuls renseignements que j’ai reçus sont un document qui m’a été donné et qui avait rapport à la saisie de mon passeport. On ne m’a pas dit que je pouvais aller reprendre mes affaires ou comment j’allais pouvoir en reprendre possession quand j’en ai fait la demande et tenté de communiquer avec l’Immigration à différents numéros de téléphone.

                       

                        [Non souligné dans l’original.]

(Transcription de l’audience, pages 62 à 64.).

[26]           En raison de la preuve dont elle disposait, je suis convaincu qu’il était loisible à la Commission de conclure que la majeure partie des articles qui se trouvaient dans l’automobile de M. Barry appartenaient à la demanderesse. À mon avis, cette conclusion n’était pas déraisonnable.

 

[27]           La demanderesse allègue également que la Commission a mis l’accent sur le fait qu’elle avait transféré quelques articles de son automobile à celle de M. Barry, mais que la Commission n’a nullement mentionné que la raison pour laquelle la demanderesse voulait entrer au Canada la deuxième fois était différente de celle qu’elle avait donnée la première fois, où elle s’était vu refuser l’entrée. La demanderesse soutient que, lorsqu’elle a tenté d’entrer au Canada la deuxième fois, elle ne voulait plus rester au Canada pour deux ou trois mois comme lors de sa première tentative, mais que son intention était alors d’entrer au Canada assez longtemps pour participer à une entrevue d’emploi à l’Université Simon Fraser, à la suite de quoi elle allait retourner aux États‑Unis.

 

[28]           Bien qu’elle allègue que la Commission n’a aucunement mentionné les raisons pour lesquelles elle voulait entrer au Canada, la demanderesse elle‑même note que la Commission a affirmé ce qui suit dans ses motifs :

Le matin, elle a reçu un appel de l’Université Simon Fraser au sujet d’un emploi d’aide-enseignant qu’elle avait postulé. Elle a alors décidé de tenter de venir au Canada pendant environ deux jours afin de vérifier ce qu’il en était de cet emploi. Pour répondre à deux des préoccupations de l’agente Emmott, elle a obtenu un reçu de guichet automatique bancaire montrant le solde de son compte ainsi qu’un relevé sur lequel figurait l’adresse de son domicile au Colorado.

 

[29]           Mme Bodine souligne également que la Commission a affirmé que « Mme Bodine a déclaré dans son témoignage qu’elle a dit à l’agent des visas qu’elle cherchait à entrer au Canada pour deux ou trois jours », et note que la Commission a tiré les conclusions suivantes :

J’en tire deux conclusions : premièrement, que Mme Bodine s’est déchargée de la plupart des articles se trouvant dans sa voiture pour créer l’impression, auprès des agents frontaliers, qu’elle n’apportait au Canada que ce dont elle aurait besoin pour y faire un court séjour, de nouveau, afin de répondre aux préoccupations de l’agente Emmott.

 

[30]           À la lecture de la décision de la Commission, il est évident que, au contraire de l’argument présenté par la demanderesse, la Commission a bien mentionné que la raison pour laquelle la demanderesse voulait entrer au Canada la deuxième fois était différente de la première fois. Ce que dit réellement la demanderesse, c’est que la Commission n’a pas conclu que la demanderesse n’avait pas l’intention de rester au Canada seulement deux ou trois jours. Selon la demanderesse, l’omission de tirer une telle conclusion vicie le raisonnement de la Commission étant donné que la demanderesse n’avait apporté avec elle que le nécessaire pour un court séjour au Canada, et que tous les autres articles, soit ne lui appartenaient pas, soit lui seraient utiles lorsqu’elle retournerait au Canada ultérieurement.

 

[31]           À mon avis, la Commission semble avoir accepté que la raison pour laquelle la demanderesse voulait entrer au Canada était différente la deuxième fois. Je crois que ce que dit la demanderesse, à savoir que la Commission n’avait pas conclu que la demanderesse n’avait pas l’intention de rester au Canada seulement deux ou trois jours, est exact. Cependant, à mon avis, l’absence d’une telle conclusion ne vicie pas le raisonnement de la Commission.

[32]           Il en est ainsi parce que la Commission a fondé sa conclusion, et donc sa décision, sur la fausse déclaration faite par la demanderesse au sujet de la quantité de biens qu’elle apportait au Canada et sur le fait que cette fausse déclaration concernait un fait important, laquelle avait entraîné, ou aurait pu entraîner, une erreur dans l’application de la Loi. Les conclusions de la Commission à ce sujet se trouvent dans les passages qui suivent, tirés de la page 7 de sa décision :

Dans le présent cas, il est manifeste que l’agent n’a pas interrogé Mme Bodine sur la quantité de biens personnels qu’elle apportait au Canada. Elle n’a pas été questionnée à cet égard, parce qu’elle n’avait qu’un minimum d’effets personnels. Elle n’a pas été questionnée parce que, comme les faits l’ont établi, elle avait transféré la plupart de ses effets personnels dans la voiture de M. Barry. Ce transfert visait incontestablement à tromper l’agent chargé de l’examen et de l’inciter à croire qu’elle apportait au Canada moins d’objets qu’elle ne le faisait en réalité. J’estime qu’il s’agit d’une réticence indirecte sur ce fait ou d’une présentation erronée directe. [...].

[...]

Dans le présent cas, comme la voiture de Mme Bodine ne contenait que quelques objets, la curiosité de l’agent frontalier n’a pas été piquée. Elle savait qu’une voiture remplie d’objets attirerait une attention non souhaitée, comme ce fut le cas lorsqu’elle a tenté d’entrer au Canada plus tôt le même jour. Elle savait que son admission au Canada lui avait été refusée parce que, entre autres préoccupations, raisonnables ou non, elle transportait un trop grand nombre d’objets. En retirant la majeure partie de ces objets, elle a évité d’autres questions ou, en d’autres mots, elle a privé l’agent d’une avenue d’enquête.

 

[33]           Que la demanderesse affirme qu’elle avait l’intention de rester seulement un jour ou deux ne change rien au fait qu’en transférant la majeure partie de ses objets personnels dans l’automobile de M. Barry, elle a fait une présentation erronée à l’agent des services frontaliers qu’elle apportait moins de biens qu’elle le faisait en réalité. Par conséquent, peu importe que la raison pour laquelle la demanderesse voulait entrer au Canada et que la durée prétendue de son séjour aient changé, les éléments étayant la conclusion de la Commission, selon laquelle la demanderesse avait fait une fausse déclaration, demeurent les mêmes. La demanderesse a été déclarée interdite de territoire pour fausses déclarations ou pour avoir fait une réticence sur un fait important quant à un objet pertinent. Elle n’avait pas déclaré les biens personnels qu’elle apportait au Canada ou avait fait une fausse déclaration à leur sujet, et cette non‑déclaration ou cette fausse déclaration aurait clairement pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi, parce que, cela étant, l’agent n’avait pas connaissance de faits importants dont il avait besoin pour déterminer si elle quitterait effectivement le Canada au moment qu’elle avait affirmé qu’elle partirait.

 

2.         La demanderesse avait‑elle une obligation stricte de déclarer spontanément à l’agent au point d’entrée tout bien qu’elle apportait pour sa visite au Canada?

 

[34]           La demanderesse affirme que la conclusion de la Commission selon laquelle elle avait l’intention de tromper l’agent n’était pas pertinente parce qu’elle n’avait pas d’obligation stricte qui de déclarer spontanément à l’agent au point d’entrée tout bien qu’elle apportait pour sa visite au Canada. La demanderesse soutient qu’une telle obligation n’existe pas et que, même si elle existait, la commissaire ne s’est pas demandé si, au moment où la demanderesse avait présenté sa demande d’entrer au Canada, M. Barry était en possession d’articles qui étaient liés à l’objet de sa visite. Selon la demanderesse, une décision à ce sujet ne pourrait être tranchée que dans le cadre d’une nouvelle audience.

[35]           La demanderesse affirme qu’une telle obligation stricte n’est pas explicitement mentionnée dans la Loi, ni dans les directives fournies aux personnes qui veulent entrer au Canada par une frontière terrestre. Selon la demanderesse, conclure qu’il existe une telle obligation nécessiterait une interprétation large de l’article 40 de la Loi qui, en raison des conséquences, serait inappropriée.

 

[36]           Le défendeur affirme que la raison pour laquelle la demanderesse voulait apporter ses objets personnels au Canada et, plus généralement, l’intention de la demanderesse à son entrée au Canada étaient exactement ce que l’agent des services frontaliers devait déterminer. En faisant une présentation erronée au sujet de la quantité de biens qu’elle apportait au Canada, la demanderesse a, selon le défendeur, empêché les agents de lui poser des questions pertinentes concernant ses intentions lors de son entrée au Canada. Le défendeur soutient que la demanderesse ne peut raisonnablement alléguer qu’elle avait le droit d’empêcher les agents des services frontaliers de lui poser des questions sur un certain sujet, parce qu’elle avait l’intention de rester au Canada pour seulement quelques jours. C’est l’agent des services frontaliers, et non la demanderesse elle-même, qui devaient déterminer combien de temps la demanderesse avait l’intention de rester au Canada, allègue le défendeur. Pour qu’ils puissent faire correctement cette détermination, les agents des services frontaliers devaient connaître le type et la quantité de tous les biens personnels que la demanderesse apportait au Canada, que ce soit dans sa propre automobile ou dans celle de M. Barry.

 

[37]           En ce qui concerne l’allégation de la demanderesse selon laquelle la Commission a omis de tenir compte du fait que les articles qui se trouvaient dans l’automobile de M. Barry pourraient être utilisés si elle retournait au Canada ultérieurement, je n’estime pas que cela modifie d’une façon ou d’une autre le fait que la demanderesse a fait une présentation erronée quant à la quantité d’articles qu’elle apportait au Canada, et ce, que ce soit pour un court séjour ou pour une utilisation ultérieure. Peu importe quand la demanderesse avait l’intention d’utiliser les articles, il demeure néanmoins que, en transférant la majeure partie de ses objets personnels dans l’automobile de M. Barry, elle a laissé croire à l’agent des Services frontaliers du Canada qu’elle apportait moins de biens qu’elle le faisait en réalité. L’agent des Services frontaliers a l’obligation de déterminer si une personne est admissible au Canada en tant que visiteur. Cette détermination se fonde sur des facteurs tels que le montant d’argent dont la personne dispose, les liens qu’elle a avec son pays d’origine, notamment une preuve de résidence, et la quantité et le type de biens qu’elle transporte. La quantité et le type de biens que la demanderesse avait l’intention d’apporter au Canada, directement dans sa propre automobile et indirectement dans celle de M. Barry, constituaient des faits importants que les agents des Services frontaliers devaient connaître pour pouvoir correctement déterminer si la demanderesse quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée.

 

[38]           La demanderesse allègue également que, lors de sa deuxième tentative, elle n’a fait aucune présentation erronée au sujet des raisons pour lesquelles elle voulait entrer au Canada, ni au sujet des articles qu’elle apportait au Canada pour sa visite. Elle affirme que [traduction] « même si on acceptait la conclusion de la commissaire selon laquelle M. Barry apportait des articles appartenant à la demanderesse, la conclusion selon laquelle il existait une obligation de déclarer les articles apportés au Canada par une autre personne, et ce, même si ces articles n’étaient pas liés à l’objet de la visite, serait simplement injustifiable ».

[39]           À mon avis, la demanderesse demande à la Cour de ne pas tenir compte de la situation réelle en l’espèce. Les faits sont les suivants : l’agente Emmott avait plus tôt refusé l’entrée à la demanderesse (et lui avait permis de retirer sa demande) parce qu’elle n’était pas convaincue que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée. Certains des facteurs qui avaient mené l’agente Emmott à refuser l’entrée au Canada à la demanderesse concernaient la quantité et le type de biens que la demanderesse tentait d’apporter au Canada. Après que l’agente Emmott lui eut refusé l’entrée, la demanderesse a, de façon délibérée ou non, transféré ses articles dans l’automobile de M. Barry de sorte qu’elle semblait apporter moins d’articles au Canada. Elle a ainsi tenté de dissiper les doutes qu’aurait pu avoir l’agent chargé de l’examen, ce qui ressort clairement de la déclaration faite par M. Barry à l’agent Marcotte, qui l’a consignée dans son rapport (le rapport produit en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi). Selon ce rapport, M. Barry a affirmé que [traduction] « le transfert des biens dans son automobile a été effectué pour que [la demanderesse] traverse plus facilement la frontière du Canada ».

 

[40]           Je suis d’accord avec la conclusion de la Commission en ce qui concerne cet ensemble particulier de faits; les actions de Mme Bodine constituaient en droit une présentation erronée sur un fait important. À ce sujet, la Commission a tiré la conclusion suivante :

Dans le présent cas, il est manifeste que l’agent n’a pas interrogé Mme Bodine sur la quantité de biens personnels qu’elle apportait au Canada. Elle n’a pas été questionnée à cet égard, parce qu’elle n’avait qu’un minimum d’effets personnels. Elle n’a pas été questionnée parce que, comme les faits l’ont établi, elle avait transféré la plupart de ses effets personnels dans la voiture de M. Barry. Ce transfert visait incontestablement à tromper l’agent chargé de l’examen et de l’inciter à croire qu’elle apportait au Canada moins d’objets qu’elle ne le faisait en réalité. J’estime qu’il s’agit d’une réticence indirecte sur ce fait ou d’une présentation erronée directe.

 

[...]

Une présentation erronée doit porter sur un fait important. Dans ce contexte, le mot « important »  signifie un fait pertinent à l’admission de cette personne au Canada et se rapporte très précisément au présent cas. Le terme « important »  se rapporte aussi à ce qu’une personne sait objectivement être pertinent pour les agents frontaliers.  Dans le présent cas, comme la voiture de Mme Bodine ne contenait que quelques objets, la curiosité de l’agent frontalier n’a pas été piquée. Elle savait qu’une voiture remplie d’objets attirerait une attention non souhaitée, comme ce fut le cas lorsqu’elle a tenté d’entrer au Canada plus tôt le même jour. Elle savait que son admission au Canada lui avait été refusée parce que, entre autres préoccupations, raisonnables ou non, elle transportait un trop grand nombre d’objets. En retirant la majeure partie de ces objets, elle a évité d’autres questions ou, en d’autres mots, elle a privé l’agent d’une avenue d’enquête.

 

 

[41]           Même si la Loi, ou l’article 40 en particulier, n’oblige pas de déclarer spontanément tous les renseignements ou éléments de preuve, il peut y avoir une obligation de déclarer des renseignements ou des éléments de preuve pertinents dans certaines circonstances. Le paragraphe 16(1) de la Loi dispose que « [l’]auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis ». Dans la décision Baro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1299, au paragraphe 15, la Cour a affirmé qu’un étranger qui sollicite l’entrée au Canada a une « obligation de franchise » qui l’oblige a révéler les faits importants. La Cour a ensuite formulé les remarques qui suivent, au paragraphe 17 :

[...] Même une omission innocente de fournir des renseignements importants peut mener à une conclusion d’interdiction de territoire; par exemple, la demanderesse qui omet d’inclure la totalité de ses enfants dans sa demande peut être interdite de territoire : Bickin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1495 (C.F. 1re inst.) (QL). Il y a toutefois une exception si les demandeurs peuvent montrer qu’ils croyaient honnêtement et raisonnablement ne pas dissimuler des renseignements importants : Medel c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 C.F. 345, [1990] A.C.F. no 318 (C.A.F.) (QL). 345, [1990].

 

[…]

 

17        Bien sûr, on ne peut pas s’attendre à ce que les demandeurs anticipent les genres de renseignements que les agents d’immigration souhaitent peut-être obtenir. Comme l’a noté la SAI en l’espèce, « il n’incombe pas à une personne de divulguer la totalité des renseignements qui pourraient être éventuellement pertinents ». Il faut examiner le contexte afin de décider si le demandeur ne s’est pas conformé à l’alinéa 40(1)a).

 

[42]           Il est clair qu’il existe une obligation de franchise, et que les circonstances sont importantes lorsque la Cour doit déterminer la portée de cette obligation dans l’affaire particulière dont elle est saisie. La présente affaire soulève la question de savoir dans quelle mesure un demandeur doit fournir des renseignements alors que l’agent chargé de l’examen ne les lui a pas expressément demandés. Je n’estime pas que l’article 40 de la Loi impose qu’une personne doive déclarer spontanément tout fait qui puisse peut‑être se révéler pertinent. Pour déterminer si la non‑déclaration de renseignements constitue une fausse déclaration visée par la Loi, la Cour doit plutôt tenir compte des circonstances de chaque affaire.

 

[43]           En l’espèce, la demanderesse savait ou aurait dû savoir que la quantité et le type de biens qu’elle apportait au Canada constituaient des éléments pertinents que l’agent des Services frontaliers chargé de l’examen aurait besoin de connaître pour pouvoir déterminer si la demanderesse était admissible en application de la Loi. La demanderesse le savait parce que, en raison des biens qu’elle avait tenté d’apporter au Canada ainsi que de l’absence de preuve de fonds et d’adresse aux États-Unis, l’agente Emmott n’avait pas été convaincue que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée. La demanderesse savait donc que la quantité et le type de biens qu’elle transportait étaient importants pour que l’agent à la frontière puisse déterminer si elle était admissible ou non au Canada. L’agente Emmott avait fait part de ses doutes à la demanderesse lors de la première tentative d’entrer au Canada et, pour s’assurer que cela ne ferait pas naître de doutes lors de la deuxième tentative, la demanderesse a transféré ses articles dans l’automobile de M. Barry, et elle a ainsi dissimulé des éléments au deuxième agent, éléments qu’elle savait être importants dans la décision que devait prendre le deuxième agent. Peu importe que la demanderesse affirme que l’objet de sa visite avait changé, l’agent avait le droit et l’obligation d’évaluer la légitimité de l’objet de sa visite à la lumière des éléments importants que la demanderesse savait dissimuler à l’agent.

 

[44]           La demanderesse avait obtenu des preuves de fonds et d’adresse aux États‑Unis. Sachant que les articles qu’elle apportait au Canada constituaient une des raisons pour lesquelles l’entrée au Canada lui avait été refusée, elle a transféré la majeure partie de ces articles dans l’automobile de M. Barry. La demanderesse a ainsi laissé croire à l’agent chargé de l’examen qu’elle apportait au Canada moins d’articles qu’elle le faisait en réalité. Les cours ont affirmé qu’il est important pour une bonne et juste application du régime de l’immigration que les demandeurs procèdent à une déclaration complète. L’objectif de l’alinéa 40(1)a) de la Loi est de veiller à ce que les demandeurs fournissent des renseignements complets, fidèles et véridiques en tout point lorsqu’ils présentent une demande d’entrée au Canada (voir De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 512, et Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, confirmée pour d’autres motifs dans l’arrêt 2006 CAF 345). Dans certains cas, même le silence peut constituer une fausse déclaration (voir Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 3 C.F. 299) et les faits en l’espèce constituaient bien plus qu’un simple silence.

 

[45]           La demanderesse allègue que les biens qui devaient être apportés au Canada et qui avaient été transférés dans l’automobile de M. Barry n’étaient pas liés à l’objet de sa visite et que, par conséquent, il n’existait pas d’obligation de sa part de déclarer spontanément que M. Barry les apportait au Canada. La demanderesse soutient que si elle avait l’obligation de déclarer spontanément ces renseignements à l’agent, chaque personne qui tente d’entrer au Canada devrait donc avoir l’obligation de déclarer spontanément tout article ou bien personnel qu’elle apporte au Canada ou qui y a déjà été apporté par le passé, et ce, même si ces articles ne sont pas liés à l’objet de sa visite du moment au Canada.

 

[46]           Au contraire de l’argument présenté par la demanderesse, je ne pense pas qu’une comparaison puisse être établie entre les circonstances de l’espèce et la situation où la personne a expédié des articles personnels ou des bagages séparément. À mon avis, il est révélateur que, malgré le changement de raison pour laquelle la demanderesse affirmait vouloir entrer au Canada, elle n’a pas laissé derrière elle les articles qu’elle affirmait vouloir utiliser lors d’une visite ultérieure au Canada. La demanderesse s’est plutôt arrangée pour que ses articles arrivent au Canada en même temps qu’elle, bien qu’indirectement : M. Barry les a transportés pour elle. Il est clair que la quantité et le type d’articles que la demanderesse apportait au Canada, que ce soit directement ou indirectement, constituaient des éléments pertinents que l’agent chargé de l’examen devait connaître pour établir si la demanderesse était admissible au Canada. En s’arrangeant pour que M. Barry apporte ces articles au Canada pour elle seulement quelques minutes après qu’elle fut entrée au Canada, la demanderesse a fait une fausse déclaration sur des éléments importants; compte tenu de toutes les circonstances en l’espèce, l’omission de la demanderesse de déclarer de façon exacte les articles qu’elle apportait au Canada, a entraîné ou aurait pu entraîner, une erreur dans l’application de la Loi.

 

[47]           Dans les circonstances de la présente affaire, je conclus que la demanderesse avait l’obligation de déclarer la totalité des articles qu’elle apportait au Canada, étant donné que, seulement quelques heures avant, la demanderesse s’était vu refuser l’entrée pour des raisons qu’elle connaissait, entre autres, la quantité et la nature des articles qu’elle avait en sa possession. Seule cette déclaration aurait permis à l’agent chargé de l’examen d’établir si les biens que la demanderesse transportait étaient liés à l’objet de sa visite et si elle aurait quitté le Canada à la fin de son séjour. Étant donné que sa déclaration n’était pas complète, véridique et exacte, la demanderesse a empêché l’agent de rendre une décision éclairée sur sa demande d’entrée au Canada. Par conséquent, en raison de l’ensemble des actions de la demanderesse, je conclus que, en l’espèce, la demanderesse avait l’obligation de déclarer tous les articles qu’elle apportait au Canada, qu’ils aient été liés ou non à l’objet de sa visite ici, et que l’agent a correctement qualifié les actions de la demanderesse comme étant une [traduction] « réticence indirecte sur ce fait ou […] une présentation erronée directe […] sur un fait important » aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi.

 

[48]           Ce qui est malheureux dans la présente affaire, c’est qu’elle n’aurait jamais dû survenir. Comme la commissaire l’a souligné dans sa décision, la demanderesse aurait pu résoudre autrement son problème d’admission au Canada. Malheureusement, la façon dont elle s’y est prise a déclenché une série de faits qui ont mené à la décision de la commissaire et à la présente instance. C’est effectivement vraiment malheureux, car cela pourrait avoir de graves conséquences dans l’avenir pour la demanderesse. Mais le choix appartenait à la demanderesse. Étant donné qu’elle avait déjà essayé d’entrer au Canada, la demanderesse devait savoir qu’elle ne jouait pas franc jeu lorsqu’elle a utilisé M. Barry pour apporter au Canada les mêmes articles qui lui avaient causé un problème lors de sa première tentative. Ce manque de franchise de la part de la demanderesse constitue l’essentiel de la décision de la commissaire, qui a, de toute évidence, été grandement touchée par la situation dans laquelle se trouvait la demanderesse, mais la commissaire connaissait le droit et, à mon avis, a fait ce qu’elle devait faire. Je n’interviendrai pas dans sa décision.


[49]           Les avocats sont priés de signifier et de déposer des observations au sujet de la certification d’une question de portée générale dans les sept jours suivant la réception des présents motifs. Chaque partie disposera ensuite d’un délai de trois jours pour signifier et déposer une réponse aux observations de la partie adverse. Jugement sera ensuite rendu.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4736-07

 

 

INTITULÉ :                                                   ALISON COLETTE BODINE c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 12 JUIN 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE RUSSELL

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 9 JUILLET 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Edelmann

 

Keith Reimer

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Peter Edelmann

Avocat

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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