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Date : 20080627

Dossier : T-1822-97

Référence : 2008 CF 817

Ottawa (Ontario), le 27 juin 2008

En présence de madame la juge Layden-Stevenson

 

ENTRE :

JOHNSON & JOHNSON INC.,

EXPANDABLE GRAFTS PARTNERSHIP

et CORDIS CORPORATION

demanderesses

 

et

 

BOSTON SCIENTIFIC LTD./

BOSTON SCIENTIFIQUE LTÉE

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Les motifs du jugement et le jugement dans la présente affaire ont été communiqués aux parties le 30 avril 2008. Je suis demeurée saisie de l’affaire pour me prononcer sur le calcul des dépens. J’ai reçu et examiné les observations écrites et les réponses des parties à cet égard. Les présents motifs se rapportent à mon calcul des dépens.

 

[2]        L’adjudication des dépens relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour : Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, paragraphe 400(1). Les facteurs qui peuvent être pris en compte comprennent notamment ceux énoncés au paragraphe 400(3) des Règles :

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106

 

400. (3) Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe (1), la Cour peut tenir compte de l’un ou l’autre des facteurs suivants :

 

a) le résultat de l’instance;

 

b) les sommes réclamées et les sommes recouvrées;

 

c) l’importance et la complexité des questions en litige;

 

d) le partage de la responsabilité;

 

e) toute offre écrite de règlement;

 

f) toute offre de contribution faite en vertu de la règle 421;

 

g) la charge de travail;

 

h) le fait que l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance justifie une adjudication particulière des dépens;

 

i) la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance;

 

j) le défaut de la part d’une partie de signifier une demande visée à la règle 255 ou de reconnaître ce qui aurait dû être admis;

 

k) la question de savoir si une mesure prise au cours de l’instance, selon le cas :

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

(ii) a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

 

l) la question de savoir si plus d’un mémoire de dépens devrait être accordé lorsque deux ou plusieurs parties sont représentées par différents avocats ou lorsque, étant représentées par le même avocat, elles ont scindé inutilement leur défense;

 

m) la question de savoir si deux ou plusieurs parties représentées par le même avocat ont engagé inutilement des instances distinctes;

 

n) la question de savoir si la partie qui a eu gain de cause dans une action a exagéré le montant de sa réclamation, notamment celle indiquée dans la demande reconventionnelle ou la mise en cause, pour éviter l’application des règles 292 à 299;

 

o) toute autre question qu’elle juge pertinente.

 

 

Federal Courts Rules,

SOR/98-106

 

400. (3) In exercising its discretion under subsection (1), the Court may consider

 

 

 

 

(a) the result of the proceeding;

 

(b) the amounts claimed and the amounts recovered;

 

(c) the importance and complexity of the issues;

 

(d) the apportionment of liability;

 

(e) any written offer to settle;

 

(f) any offer to contribute made under rule 421;

 

 

(g) the amount of work;

 

(h) whether the public interest in having the proceeding litigated justifies a particular award of costs;

 

(i) any conduct of a party that tended to shorten or unnecessarily lengthen the duration of the proceeding;

 

 

(j) the failure by a party to admit anything that should have been admitted or to serve a request to admit;

 

 

(k) whether any step in the proceeding was

(i) improper, vexatious or unnecessary, or

(ii) taken through negligence, mistake or excessive caution;

 

 

 

(l) whether more than one set of costs should be allowed, where two or more parties were represented by different solicitors or were represented by the same solicitor but separated their defence unnecessarily;

 

 

(m) whether two or more parties, represented by the same solicitor, initiated separate proceedings unnecessarily;

 

(n) whether a party who was successful in an action exaggerated a claim, including a counterclaim or third party claim, to avoid the operation of rules 292 to 299; and

 

(o) any other matter that it considers relevant.

 

 

 

 

[3]        Les dépens ne doivent être ni punitifs ni extravagants. Il existe un principe fondamental selon lequel l’adjudication des dépens représente un compromis entre l’indemnisation de la partie qui a gain de cause et la non-imposition d’une charge excessive à la partie qui succombe : Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1998), 159 F.T.R. 233 (C.F. 1re inst.), conf. par (2001), 199 F.T.R. 320 (C.A.F.). En règle générale, les dépens devraient suivre l’issue de la cause. En l’absence d’un abus de procédure, la partie qui a gain de cause ne devrait pas être pénalisée du simple fait que la cour n’a pas accepté tous les arguments qu’elle a présentés : Sunrise Co. Ltd. c. Le « Lake Winnipeg » (1988), 96 N.R. 310 (C.A.F.), au paragraphe 29. Pour ce qui est de l’importance et de la complexité des questions en litige, c’est de l’importance et de la complexité sur le plan juridique, y compris le nombre de questions, dont il faut tenir compte, et non de l’objet factuel : TRW Inc. c. Walbar of Canada Ltd. (1992), 146 N.R. 57 (C.A.F.); Unilever PLC c. Procter & Gamble Inc. (1995), 184 N.R. 378 (C.A.F.); Porto Seguro Companhia De Seguros Gerais c. Belcan S.A. (2001), 214 F.T.R. 291 (C.F. 1re inst.).

 

[4]        Boston Scientific (ci-après Boston) n’a pas eu gain de cause à tous les égards, mais la plupart de ses arguments ont été acceptés. Elle a réussi à se défendre contre l’allégation de contrefaçon des brevets de Palmaz, et elle a également réussi à faire déclarer invalide un des deux brevets en cause. Je partage l’avis de Boston selon lequel la jurisprudence indique que, pour avoir droit à ses dépens, le défendeur, dans une affaire de contrefaçon de brevet, n’a pas à avoir gain de cause à l’égard tant du moyen de défense fondé sur la non-contrefaçon que du moyen de défense fondé sur l’invalidité. Le défendeur qui a gain de cause dans l’action principale en contrefaçon de brevet a droit aux dépens : Emmanuel Simard & Fils (1983) Inc. c. Raydan Manufacturing Ltd. (2006), 53 C.P.R. (4th) 178, citant Gorse c. Upwardor Corp. (1992), 140 N.R. 295 (C.A.F.), et Illinois Tool Works Inc. c. Cobra Fixations Cie (2003), 312 N.R. 184 (C.A.F.). Boston a droit à ses dépens contre les demanderesses pour toute l’instance, compte tenu des réserves qui seront analysées ultérieurement.

 

[5]        Boston demande ses dépens sous la forme d’une somme globale. Elle soutient qu’une telle adjudication des dépens est appropriée, puisque l’instruction était [traduction] « bien organisée et s’est bien déroulée ». Elle allègue que le tarif B serait loin de permettre son indemnisation pour le montant des frais qui lui ont été facturés; les débours à eux seuls dépassent 1 000 000 $. Johnson & Johnson (ci-après J&J) conteste ces allégations. J&J allègue, pour plusieurs raisons, qu’il est impossible d’évaluer le caractère approprié et raisonnable, même en ce qui concerne les débours. Selon J&J, la présente affaire ne se prête pas à l’allocation d’une somme globale.

 

[6]        L’adjudication des dépens sous la forme d’une somme globale est sans aucun doute une solution de rechange à la taxation des dépens. Le juge Rothstein, maintenant juge à la Cour suprême du Canada, estime que l’économie que les parties réalisent en ce qui concerne les dépens, qui autrement seraient engagés dans le processus de la taxation, représente un avantage de l’adjudication des dépens sous la forme d’une somme globale. Il fait aussi une mise en garde selon laquelle une telle adjudication peut ne pas être appropriée dans tous les cas. De plus, un juge n’est pas obligé d’accorder une somme globale simplement parce qu’on en fait la demande : Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc. (C.A.), [2003] 2 C.F. 451. 

 

[7]        Compte tenu des circonstances de la présente affaire, je partage l’avis de J&J. Les commentaires du juge Hughes dans la décision Janssen-Ortho Inc. c. Novopharm Ltd. (2006), 57 C.P.R. (4th) 58 (C.F.) (ci-après Janssen-Ortho), sont pertinents. Au paragraphe 10 de la décision Janssen-Ortho, le juge Hughes a conclu qu’il n’était pas approprié d’adjuger une somme globale dans cette affaire. Il a affirmé :

L’affaire a été longue et complexe, et il ne serait pas approprié de fixer simplement un montant arbitraire sans autre preuve ou explication. Il serait préférable de demander à un officier taxateur d’examiner les questions pertinentes en détail et d’en arriver à une décision motivée qui tienne compte des principes énoncés dans les présents motifs.

 

 

Il en est de même en l’espèce.

 

[8]        J&J soutient que les dépens adjugés à Boston devraient être réduits pour tenir compte du temps qu’elle a perdu et des efforts qu’elle a déployés en vain dans la préparation de la preuve pour l’instruction à l’égard de points qui n’ont pas été admis par Boston en réponse à sa demande d’admission des faits. Boston soutient qu’elle a, à bon droit, refusé d’admettre les faits, puisque le contenu de la demande de J&J portait en grande partie sur des questions d’interprétation. Il me semble que, malgré leurs positions, les parties étaient au courant des questions qui devaient être tranchées. Lors de sa déclaration préliminaire, J&J a présenté un recueil dans lequel elle expliquait sa position relativement aux différentes questions. Les questions [traduction] « contestées » avaient été surlignées en jaune pour faciliter la tâche de la Cour. Cette façon de faire, qui était on ne peut plus utile, nuit à l’argument de J&J à cet égard.

 

[9]        J&J allègue aussi que la défense fondée sur l’article 53, présentée par Boston, justifie que les dépens de Boston soient réduits de 25 %, puisque cette défense [traduction] « fait intervenir la notion de fraude ». Si tel était le cas, je serais portée à accueillir la demande de J&J. Cependant, la défense fondée sur l’article 53 était limitée. Elle a été présentée pour appuyer l’argument selon lequel les dommages-intérêts, s’il devait y en avoir, devaient se limiter à la période suivant l’édiction de lois correctives. En réponse à la position de Boston, J&J a soutenu que l’arrêt Dutch Industries Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets) (C.A.), [2003] 4 C.F. 67 (C.A.F.), [traduction] « répondait entièrement » aux prétentions de Boston. Une réduction des dépens n’est pas justifiée dans les circonstances.

 

[10]      Je tire une conclusion différente en ce qui concerne la défense de préclusion présentée par Boston. Boston a raison lorsqu’elle affirme que je n’ai pas conclu que la préclusion pour question déjà tranchée ne pouvait s’appliquer à une affaire de brevet. Elle a aussi raison lorsqu’elle affirme que je n’ai pas expressément conclu que les conditions pour l’application de la préclusion pour question déjà tranchée n’avaient pas été satisfaites en l’espèce. Toutefois, je n’ai pas jugé que les conditions avaient été satisfaites. Une bonne partie de la durée de l’instruction a été consacrée au traitement par les témoins de l’argument relatif à la préclusion. Les témoins venaient de partout dans le monde. La préparation a été longue et les demanderesses pouvaient difficilement ne pas répondre aux affirmations des témoins experts de la défenderesse. J’ai conclu, pour les motifs énoncés aux paragraphes 257 à 270 de ma décision dans l’action principale, que l’instance ne se prêtait pas à l’application de ce principe. À mon avis, le caractère non approprié de la défense de préclusion, dans les circonstances que j’ai analysées dans mes motifs, aurait dû être évident aux yeux de Boston. Par conséquent, je conclus que les dépens adjugés à Boston devraient être réduits de 35 % en raison de sa présentation de la défense fondée sur la préclusion. Cette réduction est suffisante pour répondre aux diverses préoccupations de J&J. Même s’il s’agit d’une évidence, Mme Chantal Morel ne doit pas être considérée comme un témoin expert.

 

[11]      Les parties conviennent que, si les dépens doivent être taxés, ils devraient l’être selon l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B. Elles s’entendent aussi sur les directives qui devraient être données à l’officier taxateur. De façon générale, j’estime que les directives proposées sont raisonnables. L’affaire a été longue et complexe. L’instruction à elle seule s’est étendue sur une période de six semaines. La facilité avec laquelle s’est déroulée l’audience a témoigné de la préparation intensive des deux parties. Cela dit, j’ai quelques réserves à l’égard d’articles précis.

 

[12]      La demande visant l’obtention d’un jour de préparation pour chaque deux jours d’instruction est excessive, compte tenu de l’organisation et du calendrier de l’instruction. Je suis prête à accorder un jour de préparation pour chaque quatre jours d’instruction. À mon avis, un jour de préparation pour chaque trois jours d’interrogatoire préalable (plutôt que pour chaque jour) est raisonnable. Il n’y aura aucune directive concernant les honoraires des experts pour le temps passé en cour lorsqu’ils n’étaient pas en train de témoigner.

 

[13]      Les dépens à l’égard de la requête en jugement sommaire et de l’appel qui s’y rapporte doivent être exclus, puisque la Cour d’appel fédérale en a déjà traité.

 

[14]      L’officier taxateur doit adjuger les dépens conformément aux directives suivantes :

 

  • la comparution d’un avocat principal et d’un avocat adjoint (le cas échéant) lors des requêtes;
  • la présence d’un avocat principal et d’un avocat adjoint (le cas échéant) lors des interrogatoires préalables;
  • la présence d’un avocat principal et de deux avocats adjoints à l’instruction;
  • un jour de préparation pour un avocat principal et un avocat adjoint (s’ils étaient présents à l’interrogatoire préalable), pour chaque trois jours d’interrogatoire préalable;
  • un jour de préparation pour un avocat principal et un avocat adjoint, pour chaque quatre jours d’instruction;
  • les honoraires d’avocats raisonnables pour la rencontre des témoins experts qui ont témoigné à l’instruction et pour la préparation de leurs rapports;
  • les frais raisonnables de déplacement, y compris les déplacements (de l’avocat ou du témoin) pour assister à l’interrogatoire préalable, les déplacements pour rencontrer les témoins experts et les déplacements pour que les témoins puissent assister à l’instruction;
  • les dépenses raisonnables pour les photocopies, y compris jusqu’à huit copies (si elles ont été faites) des documents utilisés lors de l’instruction ou de l’interrogatoire préalable.

 

[15]      L’adjudication des dépens n’est pas une science exacte. Il faut tenir compte des facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles. À mon avis, l’adjudication des dépens et les directives figurant dans les présents motifs tiennent compte de ces facteurs.

 

 


 

JUGEMENT

 

      La défenderesse aura droit à ses dépens contre les demanderesses pour toute l’instance, dépens qui seront taxés selon l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B et conformément aux directives figurant dans les présents motifs. Le montant total des dépens devra ensuite être réduit de 35 %.

 

 

« Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Isabelle D’Souza, LL.B., M.A.Trad. jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1822-97

 

INTITULÉ :                                       JOHNSON & JOHNSON INC. ET AUTRES c.

                                                            BOSTON SCIENTIFIC LTD./

                                                            BOSTON SCIENTIFIQUE LTÉE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 27 JUIN 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Donald M. Cameron

R. Scott MacKendrick

Allyson J. Whyte-Nowak

Yuri Chumak

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Ronald Dimock

David Reive

Michael Crinson

Dennis Sloan                                                  

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cameron MacKendrick, LLP

Toronto (Ontario)

 

Ogilvy Renault, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Dimock Stratton, LLP 

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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