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Federal Court

 

Cour fédérale


 

Date : 20080704

Dossier : IMM-5923-06

Référence : 2008 CF 838

Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

JOSHUA ADAM KEY, BRANDI RENEE KEY,

ANNA CHARLENE KEY, PHILIP JAMES KEY,

ZACKARY DANIEL KEY, ADAM KENT KEY

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire formulée par Joshua Adam Key, son épouse, Brandi Renee Key, et leurs quatre enfants, à l’égard d’une décision de la Section d’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue à Toronto le 20 octobre 2006. Les demandeurs sont tous des citoyens des États-Unis, et leurs demandes d’asile découlent de la désertion de M. Key de l’armée des États-Unis.

 

a.                  Contexte

[2]               M. Key s’est enrôlé dans l’armée des États-Unis en 2002 et en avril 2003, il est entré en Irak par le Koweït à titre de soldat de la 43e compagnie de génie de combat. Le soldat Key et sa compagnie ont été affectés à des fonctions de sécurité en Irak. À ce titre, ils avaient notamment pour mission d’effectuer des descentes de nuit dans des résidences privées irakiennes à la recherche d’armes. Le rôle du soldat Key dans ce contexte consistait à ouvrir les portes au moyen d’explosifs puis à aider à sécuriser les lieux et à détenir les occupants adultes de sexe masculin. M. Key a allégué qu’au cours de ces fouilles, il avait été témoin de nombreux cas d’abus injustifiés, de détentions injustifiées, d’humiliation et de pillage par des compagnons d’armes, et que ses officiers supérieurs avaient ignoré une bonne part de ces incidents. À d’autres occasions pendant qu’il était en Irak, il a été témoin ou a entendu parler de mauvais traitements physiques injustifiés, y compris de l’emploi d’une force létale contre des civils apparemment innocents.

 

[3]               En novembre 2003, M. Key est retourné aux États-Unis pour une permission de deux semaines. Il souffrait alors de cauchemars débilitants. Au lieu de se présenter à son unité, le soldat Key a demandé conseil à titre anonyme à un représentant du juge avocat général (JAG), qui lui aurait dit d’aller reprendre du service en Irak à défaut de quoi il risquait l’emprisonnement. Le soldat Key a choisi de déserter, et lui et sa famille ont déménagé à Philadelphie. Le 8 mars 2005, les membres de la famille sont venus au Canada, et ils ont déposé leurs demandes d’asile trois jours plus tard.

 

La décision de la Commission

[4]               La Commission n’avait aucune réserve quant à la crédibilité de M. Key. Elle a noté que son témoignage avait été « franc et direct », qu’il avait témoigné « avec honnêteté et sincérité » et qu’il était « ouvert » et « spontané ». En conséquence, la Commission a admis la véracité de ses allégations.

 

[5]               La Commission a conclu que M. Key n’était pas un objecteur de conscience au sens habituel, à savoir une personne qui s’oppose à la guerre en général, et que ses objections au conflit en Irak n’avaient pas de motivations d’ordre politique ni religieux. M. Key s’opposait plutôt aux violations systématiques des droits de la personne qui découlaient de la conduite de l’armée des États-Unis en Irak et à son obligation d’y participer. La Commission a résumé le témoignage de M. Key concernant ces événements et a comparé ses expériences aux observations formulées par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) dans son rapport de 2003[1]. La Commission semble bien avoir trouvé que les expériences de M. Key étaient compatibles avec les constatations du CICR, tel qu’il appert des passages suivants de la décision de la Commission :

M. Key a exécuté au moins soixante-dix descentes dans des domiciles de citoyens irakiens, officiellement à la recherche d’armes. Aucune d’entre elles n’a été agréable. En pleine nuit, les portes étaient défoncées; les maisons étaient saccagées; les effets personnels jetés partout; les résidents sortis violemment de leur lit et forcés de sortir à l’extérieur par des soldats en uniforme lourdement armés et criant dans une langue étrangère; les musulmanes étaient honteuses du fait que leur corps était exposé; des garçons, trop grands pour leur âge, et les hommes étaient menottés et emmenés pour subir des interrogatoires, peu importe les conditions climatiques, pour ne jamais revenir, du moins c’est ce que M. Key croyait. Au cas où il y aurait eu un belligérant qu’il fallait forcer de se montrer, M. Key avait sous la main des grenades de phosphore blanc, ce qui était courant pour ce genre de travail. Il a indiqué que les fouilles n’étaient pas fructueuses, car son unité trouvait rarement des armes ou des objets de contrebande, même si elles ont donné un certain résultat, à savoir que les insurgés ont vite appris à cacher leurs fusils et leur matériel destiné à la fabrication de bombes à l’extérieur de leur domicile.

 

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a confirmé que ce type d’opération militaire semblait suivre un « schéma » assez uniforme. Dans le Rapport du comité international (CICR) sur le traitement, par les forces de la coalition, des prisonniers de guerre et des autres personnes protégées par les conventions de Genève pendant leur arrestation, leur internement et leur interrogatoire en Irak, couvrant la période de mars à novembre 2003, il est indiqué que :

[d]e manière générale, les autorités d’arrestation pénétraient dans les maisons la nuit, en défonçant les portes, réveillant les habitants sans ménagement, criant des ordres, forçant les membres de la famille à se regrouper dans une seule pièce sous garde militaire pendant que l'on fouillait la maison en cassant portes, meubles et autres biens. Des suspects furent arrêtés et embarqués, cagoulés et les mains menottées dans leur dos. Parfois, tous les hommes présents dans la maison furent arrêtés, y compris les vieux, les handicapés et les malades. Souvent, ce traitement incluait des bousculades, insultes, mise en joue avec armes, coups de poing et de pied ainsi que des coups de crosse. Les personnes furent souvent emmenées vêtues des vêtements qu'elles portaient au moment de l'arrestation - y compris pyjamas ou sous-vêtements - s'étant même vu refuser le droit de rassembler quelques effets personnels tels que vêtements, produits hygiéniques, médicaments ou lunettes. Les affaires de ceux qui se sont rendus avec une valise ont souvent été confisquées. À de nombreuses reprises, les affaires personnelles ont été saisies sans l'établissement d'un reçu.

 

Même si certaines des personnes qui ont été arrêtées ont peut-être contribué à la résistance armée contre les forces d’occupation dirigées par les États-Unis en Irak, il appert que la plupart d’entre elles ne l’ont pas fait. En effet, selon les rapports du CICR, entre 70 % et 90 % des personnes arrêtées l’ont été par erreur. De toute façon, ce sont les activités des troupes qui effectuaient des descentes, et non pas la culpabilité ou l’innocence d’une personne donnée qui est au centre de la présente analyse. En d’autres termes, il ne s’agit pas de déterminer si les descentes étaient justifiées en raison des résultats obtenus, mais plutôt si la méthode utilisée dépassait les bornes.

 

[Notes de bas de page omises.]

 

 

[6]               La Commission a apprécié la description que M. Key a faite de ces événements, et elle semble avoir estimé que certains des comportements contrevenaient au droit international visant à protéger les civils, bien qu’ils n’aillent pas jusqu’à constituer des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. La Commission expose son point de vue à cet égard dans les passages suivants de sa décision :

Je suis d’avis que la manière dont les militaires ont pénétré invariablement dans les domiciles des citoyens irakiens et la conduite des soldats peuvent avoir constitué des violations aux articles 27, 31, 32 et 33 de la Quatrième convention de Genève. En effectuant ainsi des raids dans les domiciles, les militaires ont montré peu de compréhension à l’égard du fait que les habitants étaient des personnes protégées aux termes de la Convention. La destruction malveillante de biens, l’intimidation des familles entières, y compris les enfants, l’absence d’égard envers les réalités culturelles et de respect pour la dignité humaine et l’intégrité physique, le pillage et la violence pourraient bien être des violations des Conventions de Genève.

 

Il est possible d’affirmer que les invasions de domicile ont été effectuées sans égard au principe de la proportion. De même, l’intervention d’un gros groupe de jeunes hommes qui brandissent des armes et qui sont armés de grenades de phosphore blanc, qui s’abattent dans le milieu de la nuit sur une famille endormie et qui font exploser la porte avant est sans doute disproportionnée à l’objectif militaire de recueillir des articles de contrebande et d’emmener des hommes aux fins d’interrogatoire. Les répercussions sur les civils l’emportent sur les avantages qu’en retirent les militaires en utilisant cette méthode excessive. Comme le droit international humanitaire, le droit appliqué pendant une occupation consiste dans l’application continue des principes de nécessité et de proportionnalité. Il faut maintenir un juste équilibre.

 

Toutefois, même si l’on tenait pour acquis que les descentes dont il est question constituaient un manquement aux Conventions de Genève, je demeure conscient que ce ne sont pas tous les manquements aux Conventions de Genève qui sont des crimes de guerre. Comme il a été mentionné précédemment, il faut qu’il y ait eu un grave manquement aux Conventions pour qu’un crime soit considéré comme un crime de guerre.

 

À mon avis, les invasions de domicile auxquelles M. Key a participé, en dépit d’une brutalité troublante, n’atteignent pas le niveau de crime de guerre. Selon moi, les invasions ne reflètent pas les comportements odieux visés par la définition de crimes de guerre qui, d’après le Statut de Rome, comprend des méfaits comme l’assassinat, la déportation pour des travaux forcés et la prise de civils en otage. J’abonde dans ce sens compte tenu des recommandations, ou de l’absence de recommandation, faites par le CICR dans le rapport susmentionné en ce qui concerne les invasions de domicile. Il n’a pas été avancé que les invasions devraient prendre fin, moins fréquentes ou plus ciblées ou encore que les transgresseurs devraient faire l’objet de poursuites : il a plutôt été recommandé que les intéressés reçoivent une formation adéquate qui leur permettra d’agir de façon appropriée sans recourir à la brutalité ou à une force excessive. Le CICR a également rappelé à l’armée son obligation d’informer les familles de tout membre fait prisonnier de guerre ou les personnes arrêtées par elle de leur lieu de détention. Je me serais attendu à des recommandations plus sévères de la part du CICR si les actions de l’armée avaient été considérées comme des crimes de guerre.

 

Je ne considère également pas que les invasions de domicile sont des crimes contre l’humanité. À mon avis, ces invasions n’atteignent tout simplement pas le niveau de mauvais traitements énoncés dans le Statut du Tribunal militaire international ou le Statut de Rome. M. Waldman signale que la Cour fédérale a maintenu que les types de conduite suivants constituent des crimes contre l’humanité : la participation à des actes systématiques de torture, l’appartenance à des tribunaux qui condamnent systématiquement les gens à mort en violation des principes de justice, l’assassinat de civils innocents maintenus en détention, l’appartenance à une force policière secrète qui commet des assassinats extrajudiciaires et pratique la torture systématiquement et la participation à un programme qui oblige des femmes à se faire stériliser.   

 

[…]

 

J’estime que M. Key n’aurait pas été susceptible d’être exclu de la protection des réfugiés au sens de la Convention en raison de sa participation à la guerre en Irak ou au moment de son retour en Irak dans le cadre de son affectation le cas échéant. Par conséquent, il ne peut invoquer le paragraphe 171 du Guide du HCR.

 

[Notes de bas de page omises.]

 

 

[7]               Il ressort à l’évidence des passages qui précèdent que la Commission était d’avis qu’à moins que les événements décrits par M. Key soient suffisamment graves pour constituer des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité, ils ne pouvaient pas, aux fins d’obtenir l’asile, justifier la désertion de M. Key de l’armée des États-Unis.

 

[8]               La Commission a finalement conclu que, selon la prépondérance des probabilités, si M. Key devait retourner aux États-Unis, il serait arrêté, traduit devant une cour martiale et condamné à un emprisonnement d’au moins un an.

 

[9]               La Commission a également conclu que certains des événements décrits par M. Key qui constituaient peut-être des crimes de guerre (par exemple, l’emploi d’une force létale injustifiée contre des civils, l’infliction de mauvais traitements physiques à des détenus, etc.) étaient des événements isolés, ou sinon, relevaient de la spéculation.

 

[10]           La Commission a écarté la question de la protection de l’État dès le début de l’audience, au motif que [traduction] « l’agent de persécution en l’espèce est l’État lui-même ». En conséquence, très peu d’éléments de preuve ont été présentés concernant cette question, au-delà du témoignage de M. Key selon lequel celui-ci avait consulté un représentant du JAG et avait été avisé qu’il avait [traduction] « deux choix : soit remonter à bord de l’avion et retourner en Irak ou aller en prison ».

 

II.        Questions en litige

[11]           a)         La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en décidant que le statut de réfugié pour un déserteur militaire pouvait seulement être conféré lorsqu’il y avait une attente de participation à des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou des crimes contre la paix?

 

b)         La Commission a-t-elle commis une erreur dans l’application des principes relatifs à la protection de l’État, et si oui, le refus d’accorder le statut de réfugié aux demandeurs serait-il inévitable étant donné les motifs relatifs à la protection de l’État exposés par la Cour d’appel fédérale dans Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 282 D.L.R. (4th) 413 (ci‑après Hinzman (C.A.))?

 

III.      Analyse

[12]           La première question que soulève la présente demande est une question de droit. Est aussi une question de droit celle de savoir si la Commission a commis une erreur dans l’application des principes relatifs à la protection de l’État. Il s’agit de questions qui doivent être appréciées selon la norme de la décision correcte : Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 420, 266 D.L.R. (4th) 582 au par. 113 (ci-après Hinzman). La question de savoir si le résultat de la présente demande serait nécessairement le même eu égard aux principes relatifs à la protection de l’État n’appelle pas une analyse relative à la norme de contrôle. Il s’agit d’une question que la Cour doit trancher de manière indépendante en déterminant si la demande d’asile était sans espoir ou si le résultat était inévitable malgré toute erreur commise par la Commission.

 

[13]           Pour les fins de la discussion, je suis prêt à accepter la conclusion de la Commission selon laquelle la conduite de l’armée des États-Unis en Irak décrite par M. Key ne correspondrait pas à la définition de crime de guerre ou de crime contre l’humanité[2]. Néanmoins, les observations de la Commission selon lesquelles certains aspects de cette conduite étaient « d’une brutalité troublante » et bon nombre de ces indignités rapportées représenteraient des violations de l’interdiction de la Convention de Genève contre les traitements humiliants et dégradants ne sauraient être sérieusement contestées.

 

[14]           La Commission a conclu que l’asile pouvait être accordé à M. Key seulement si celui-ci avait été complice de crimes de guerre, de crimes contre la paix ou de crimes contre l’humanité ou si l’on pouvait s’attendre à ce qu’il soit complice de tels crimes. Autrement dit, la Commission a affirmé que le statut de réfugié peut seulement être conféré lorsque les expériences de combat passées d’un soldat ou les fonctions militaires qu’il serait appelé à exécuter à l’avenir constitueraient une conduite susceptible d’exclusion en vertu de la Convention relative au statut des réfugiés, 189 RTNU 150, Recueil des traités du Canada 1969 no 6 (entrée en vigueur le 22 avril 1954). À mon avis, la Commission a commis une erreur dans son interprétation de l’article 171 du Guide du HCR[3] en concluant que l’asile peut être accordé aux déserteurs militaires et aux insoumis uniquement lorsque la conduite visée par l’objection équivaut à un crime de guerre, un crime contre la paix ou un crime contre l’humanité.

 

[15]           La Cour suprême du Canada a apprécié la pertinence du Guide du HCR dans l’arrêt Chan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 R.C.S. 593, 128 D.L.R. (4th) 213 au par. 46, où elle a qualifié ce texte d’« ouvrage très pertinent » : voir aussi Hinzman précité au par. 116. En conséquence, je considère cette référence et les précédents qui l’ont mentionnée et l’ont appliquée comme étant déterminants en ce qui a trait à la première question que soulève la présente demande.

 

[16]           L’article 171 du Guide du HCR énonce :

N'importe quelle conviction, aussi sincère soit-elle, ne peut justifier une demande de reconnaissance du statut de réfugié après désertion ou après insoumission. Il ne suffit pas qu'une personne soit en désaccord avec son gouvernement quant à la justification politique d'une action militaire particulière. Toutefois, lorsque le type d'action militaire auquel l'individu en question ne veut pas s'associer est condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, la peine prévue pour la désertion ou l'insoumission peut, compte tenu de toutes les autres exigences de la définition, être considérée en soi comme une persécution.  

 

 

[17]           L’interprétation restrictive que la Commission a faite de l’article 171 du Guide du HCR me semble reposer sur une interprétation erronée à la fois de la décision de la juge Anne McTavish dans l’affaire Hinzman, précitée, et de l’arrêt antérieur de la Cour d’appel dans Zolfagharkhani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 3 C.F. 540, 155 N.R. 311.

 

[18]           La décision de la juge McTavish dans Hinzman comporte un examen exhaustif du droit en développement dans ce domaine, et il n’est donc pas nécessaire que je reprenne ici cette analyse. Cependant, les faits pertinents dans l’affaire Hinzman et les questions de droit qu’ils soulevaient diffèrent de ceux qui se présentent en l’espèce. Bien que M. Hinzman s’était opposé à la conduite des forces armées des États-Unis en Irak, la Commission avait statué que les événements qu’il décrivait étaient isolés et n’étaient pas la conséquence d’une politique de combat délibérée ou d’une indifférence officielle. La juge McTavish a confirmé cette conclusion, que la Cour d’appel a par la suite décrite en ces termes :

Selon la Commission, les appelants n’ont pas produit suffisamment de preuves pour démontrer que, s’ils étaient envoyés en Irak, ils devraient personnellement commettre des actes condamnés par la communauté internationale comme étant contraires aux règles de conduite les plus élémentaires.

 

 

M. Hinzman contestait également la légalité du conflit en Irak et soutenait que le droit d’asile pouvait être accordé lorsque le conflit lui-même était illégal. Cela était suffisant, disait-il, pour déclencher l’application de l’article 171 du Guide du HCR, qui reconnait le droit d’asile au-delà des cas d’inconduite « sur le terrain ».

 

[19]           Or, la Commission dans Hinzman ne disposait pas d’éléments de preuve du genre de ceux que M. Key a présentés, et par conséquent, ni la Commission ni la juge McTavish n’ont eu à déterminer dans cette affaire les limites précises de la protection prévue par l’article 171 du Guide du HCR. Je ne considère pas les observations de la juge McTavish comme déterminantes au regard de la question que soulève la présente espèce – à savoir, si le droit d’asile peut être accordé aux personnes dont, à l’instar de M. Key, on pourrait s’attendre à ce qu’ils participent à des violations largement répandues du droit humanitaire, peut-être sanctionnées officiellement, qui ne constituent cependant pas des crimes de guerre ni des crimes contre l’humanité.

 

[20]           Je reconnais qu’il y a une raison impérieuse d’ordre politique d’accorder le droit d’asile aux personnes qui sont mises devant l’alternative soit d’être punies du fait de leur refus de servir, soit de courir le risque de participer à la perpétration de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité (ou d’en être complices) : voir Tagaga c. INS 228 F.3d 1030 (9th Cir. 2000) au par. 14. Lorsque les exigences du service militaire exposeraient une personne au risque d’être exclue du droit d’asile, le droit doit prévoir une option préalable véritable. L’idée selon laquelle un demandeur d’asile en pareilles circonstances devrait être renvoyé dans son pays d’origine pour faire face à un tel dilemme est inconciliable avec la mise en œuvre du droit humanitaire. Il ne s’ensuit pas, cependant, que les violations largement répandues du droit international commises par des forces armées mais qui ne s’élèvent pas au rang de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité ne peuvent jamais fonder une demande d’asile formulée par un objecteur de conscience. La jurisprudence que j’ai examinée n’étaye pas l’idée selon laquelle le droit d’asile peut seulement être accordé lorsque l’objet de l’objection d’un individu au service militaire, s’il était réalisé, exclurait cette personne de la protection.

 

[21]           Le libellé de l’article 171 du Guide du HCR n’évoque pas la participation directe ni même la complicité; il évoque plutôt l’association involontaire à une action militaire à laquelle l’individu s’oppose. Bien que cette disposition intègre aussi la notion de condamnation internationale, la réponse de la communauté internationale à la légitimité d’un conflit donné ou aux moyens par lesquels il est mené a généralement été considérée comme un facteur pertinent mais non déterminant : Krotov v. Secretary of State for the Home Department, [2004] EWCA Civ 69. Néanmoins, dans certains cas, ce facteur sera suffisant : voir Al-Maisri c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 642, 55 A.C.W.S. (3d) 375 au par. 6. Il n’est pas surprenant qu’il en soit ainsi : il y a bien des raisons pour lesquelles les pays peuvent être réticents à critiquer les décisions ou la conduite d’un allié ou d’un partenaire commercial important même lorsque les actes reprochés susciteraient, dans un autre contexte politique, une condamnation internationale généralisée. L’article 171 du Guide du HCR mentionne la nécessité d’une condamnation internationale du « type d’action militaire » auquel l’individu s’oppose. Ainsi, même lorsque la communauté internationale reste muette au sujet de la conduite militaire à laquelle l’individu s’oppose, le droit d’asile peut tout de même être accordé s’il est démontré que cette conduite, objectivement et prise isolément de son contexte politique, est contraire aux règles ou normes de conduite les plus élémentaires.

 

[22]           L’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Zolfagharkhani, précitée, a été largement reconnu comme faisant autorité dans ce domaine du droit. L’arrêt a été appliqué avec approbation par la Chambre des Lords dans Sepet et al c. Secretary of State for the Home Department [2003] 3 All E.R. 304, et il est cité dans le texte de von Sternberg, The Grounds of Refugee Protection in the Context of International Human Rights and Humanitarian Law (Martinus Nijhoff, La Haye, 2002), à l’appui des propositions suivantes :

[traduction] La position initiale de la Cour d’appel a subi d’importantes modifications dans la jurisprudence. Le droit canadien moderne a adopté une position similaire à celle du Neuvième circuit dans le domaine de l’objection de conscience. Dans Zolfagharkhani c. M.E.I., la Cour d’appel a accordé au demandeur le droit d’asile en jugeant que son opposition de conscience à l’emploi d’armes chimiques dans la guerre interne de l’Iran contre les Kurdes était raisonnable. La portée de l’arrêt Zolfagharkhani est considérablement plus large que tous les jugements américains examinés plus haut, et il adopte la norme correcte pour statuer sur de telles demandes d’asile.

 

[…]

 

Le point de vue selon lequel l’objet de la loi constitue le facteur déterminant dans les affaires d’« objecteur de conscience » parait incomplet. Le demandeur d’asile dans Zolfagharkhani avait adopté comme position qu’il avait refusé de violer des normes humanitaires internationales fondamentales relatives à la protection des droits de la personne dans un conflit armé énoncées dans un traité essentiel. Son rapport à la loi doit donc être considéré comme un rapport de privilège comparatif. Son droit de ne pas violer de telles normes impératives n’est pas nuancé; en d’autres mots, le demandeur d’asile n’est pas tenu de démontrer que l’application de la loi entraînerait, à son égard, une peine exagérément sévère. Le privilège relié au droit fondamental du demandeur d’asile de ne pas violer la dignité d’autrui est absolu. Tout préjudice sérieux découlant de ce choix fait par le demandeur d’asile constitue de la persécution.

 

[Notes de bas de page omises.]

 

 

[23]           L’affaire Zolfagharkhani ne soulevait pas la question de savoir si le demandeur d’asile serait tenu de commettre des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité afin d’obtenir le droit d’asile. En effet, il ressort au moins implicitement de cet arrêt qu’aucune conclusion semblable n’était requise pour fonder une demande d’asile. Bien que la Cour d’appel ait noté qu’en étant tenu de travailler comme infirmier, M. Zolfagharkhani serait susceptible d’être impliqué dans la perpétration de crimes de guerre dans le contexte de combats où des armes chimiques seraient employées, elle n’a pas fait d’une telle conclusion une condition sine qua non de l’octroi du droit d’asile. La Cour se préoccupait plutôt essentiellement du poids moral à accorder à l’obligation d’offrir une quelconque forme d’assistance matérielle à un régime qui menait une campagne militaire repoussante. La Cour a statué que lorsqu’une personne raisonnable « ne pourrait pas se laver les mains de toute culpabilité », la demande d’asile serait accueillie.

 

[24]           L’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Al-Maisri, précitée, va dans le même sens. Dans cet arrêt, la Cour a cité avec approbation un passage du texte de James C. Hathaway, The Law of Refugee Status (Toronto, Butterworths, 1991), qui reconnaissait que le droit d’asile peut être accordé lorsque l’activité militaire reprochée viole des normes internationales élémentaires, notamment en cas de violation de droits fondamentaux de la personne et de normes des conventions de Genève relatives à la conduite de la guerre. La Cour a conclu en disant que l’action militaire officielle qui est contraire aux règles de conduite les plus élémentaires étayera une demande d’asile formulée par une personne qui ne souhaite pas y participer pour ce motif. Il est aussi intéressant de noter que la Cour a jugé qu’à peu près toute forme de sanction que les autorités yéménites auraient pu infliger pour désertion constituerait de la persécution et étayerait donc une demande d’asile.

 

[25]           Dans l’arrêt Sepet, précité, la Chambre des Lords ne s’intéressait pas directement aux demandes d’asile dans le contexte où le service militaire obligatoire obligerait ou pourrait obliger les demandeurs d’asile à commettre des crimes de guerre ou à violer autrement le droit international. Le seul élément de preuve présenté au soutien de ces demandes d’asile rejetées était une opposition politique affirmée aux politiques militaires du gouvernement turc à l’égard de la minorité kurde. Les décisions contrôlées dans cet arrêt comportaient aussi des conclusions de fait expresses selon lesquelles les demandeurs d’asile ne seraient pas tenus de prendre part à des actions militaires contraires aux règles de conduite les plus élémentaires (voir la décision de Lord Hoffman au par. 26). La Cour n’a donc pas eu à déterminer la portée exacte des articles pertinents du Guide du HCR concernant les conduites militaires oppressives ou illégales. Lord Bingham a toutefois pris acte de l’énoncé commun de principe du Conseil de l’Union européenne qui reconnaissait que de telles demandes pouvaient être accueillies lorsque les conditions dans lesquelles les fonctions militaires sont accomplies constituent de la persécution ainsi que lorsque l’exécution des fonctions militaires relèverait des clauses d’exclusion de la Convention sur les réfugiés. Dans le même ordre d’idées, Lord Hoffman a affirmé dans une remarque incidente qu’une demande d’asile pourrait être fondée sur un risque de sanction pour désertion qui serait discriminatoire ou lorsque les conditions du service militaire constitueraient de la persécution ou exigeraient par ailleurs que le demandeur d’asile [traduction] « commette des crimes de guerre ou d’autres actes semblables » (voir le par. 52). Il parait assez évident que ces arrêts n’entendaient pas limiter les demandes d’asile en cas de désertion ou d’insoumission aux situations supposant la perpétration vraisemblable de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité.

 

[26]           Dans le même ordre d’idées, dans l’arrêt Krotov, précité, la Cour a traité de l’interprétation de l’article 171 du Guide du HCR dans le passage pertinent suivant aux par. 29 et 30 :

[traduction] En examinant les observations opposées des parties, je devrais dire tout de suite que, tandis que M. Wilken a fait grand cas devant nous des nuances différentes dans les expressions employées au paragraphe 171 du Guide et de la jurisprudence récente qui tendraient, selon lui, à indiquer une imprécision indésirable entourant la notion de demande d’asile fondée sur une crainte de persécution pour refus de participer à une guerre répugnante, je ne considère pas ces différences comme inconciliables au regard du critère à appliquer à la nature de la guerre ou du conflit auquel le demandeur d’asile s’oppose. Dans Sepet et Bulbul, le lord juge Laws a simplement adopté le libellé du paragraphe 171 (sans la mention de la condamnation de la communauté internationale), à savoir une action militaire impliquant des actes « contraire[s] aux règles de conduite les plus élémentaires ». Lord Bingham, en revanche, a évoqué des « atrocités ou des atteintes flagrantes aux droits de la personne ». Cependant, je suis certain que tous deux songeaient dans ce contexte à une conduite condamnée universellement par la communauté internationale, au sens de crimes reconnus par le droit international ou, à tout le moins, de violations flagrantes et largement répandues des droits de la personne. Le tribunal dans B c. SSHD a énoncé le critère suivant fondé sur le paragraphe 171 et les motifs du juge lord Laws :

 

Lorsque le service militaire auquel il est appelé implique des actes, auxquels il pourrait être associé, qui sont contraires aux règles de conduite les plus élémentaires au sens du droit international.

 

À cet égard, il y a un ensemble de normes humanitaires essentielles généralement admises entre les nations comme étant nécessaires et applicables pour protéger les individus dans les contextes de guerre ou de conflit armé et, en particulier, les civils, les blessés et les prisonniers de guerre. Ces normes interdisent les actes tels que le génocide, le fait de tuer et de cibler délibérément la population civile, le viol, la torture, l’exécution de prisonniers, le mauvais traitement de prisonniers et la prise d’otages civils.

 

[Soulignement ajouté.]

 

 

La Cour a ensuite cerné les sources de droit international qui pouvaient être invoquées au soutien d’une demande d’asile. Cette recension comprenait plusieurs articles des quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 qui exigent expressément un traitement humain des civils et qui interdisent « les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants » ainsi que « la détention illégale ». La Cour a terminé son analyse par la conclusion suivante au par 37 :

[traduction] À mon avis, les crimes énumérés ci-dessus, s’ils sont commis de manière systématique dans le cadre d’une politique délibérée, ou comme conséquence d’une indifférence officielle à l’égard d’actes largement répandus de forces armées brutales, constituent des actes contraires aux règles élémentaires de conduite à l’égard desquels une sanction pour refus d’y participer constitue de la persécution au sens de la Convention de 1951.

 

 

[27]           Même les décisions judiciaires des États-Unis ne semblent pas adopter une norme aussi restrictive. Dans Tagaga, précité, le statut de réfugié a été accordé au demandeur d’asile qui refusait simplement de participer à des arrestations et des détentions fondées sur la race. Cette décision était fondée sur une norme définie par la participation à des actes « contraires aux règles de conduite les plus élémentaires » et non par une norme limitée aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité.

 

[28]           Dans le même sens, les Cours d’appel des États-Unis ont appliqué la norme suivante dans l’arrêt M.A. A26851062 c. U.S. Immigration & Naturalization Service, 858 F.2d 210 (4th Cir. 1988) :

[traduction] 44     Dans le même ordre d’idées, nous ne pensons pas que M.A. doive attendre que des organismes internationaux comme les Nations Unies condamnent officiellement les atrocités commises par l’armée d’un pays afin d’être admissible à l’asile politique. Le paragraphe 171 du Guide protège les individus qui ne veulent pas être associés à une action militaire « condamné[e] par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires […] ». Ces règles élémentaires sont bien documentées et facilement accessibles pour aider la Commission à discerner quels types d’actions sont considérés comme inacceptables par la communauté mondiale. Les Conventions de Genève du 12 août 1949 représentent le consensus international concernant les normes minimales de conduite en temps de guerre. Elles comprennent les normes suivantes, au regard de chacune desquelles M.A. a présenté des éléments de preuve démontrant leur contravention par l’armée salvadorienne : l’obligation de traiter humainement les personnes qui ne prennent aucune part active aux hostilités et l’interdiction de certains actes, notamment l’atteinte à la vie et la violence contre la personne, en particulier les meurtres de toutes sortes, les mutilations, les traitements cruels et la torture; et le prononcé de sentences et l’exécution de peines capitales sans un jugement préalable rendu par une tribunal régulièrement constitué. Voir l’art. 3, Conventions de Genève du 12 août 1949, réimprimé dans United States Treaties and Other International Agreements vol. 6, partie 3 (1955).

 

45     Nous statuons que M.A. a démontré à première vue qu’il mérite le statut de réfugié et donc, que sa demande d’asile politique mérite d’être examinée sur le fondement de son refus sincère de participer à des actions des forces armées du Salvador et qu’il est susceptible d’être puni s’il refuse de servir. Nous pensons que M.A. a présenté des éléments de preuve qui démontrent « une situation objective » de laquelle on peut déduire que « la persécution est une possibilité raisonnable. » Stevic, 467 U.S. aux pp. 424-425, 104 S.Ct. à la p. 2498.

 

[Notes de bas de page omises.] [Soulignement ajouté.]

 

 

[29]           Il ressort clairement des passages qui précèdent qu’une inconduite militaire officiellement tolérée qui est loin de constituer un crime de guerre peut fonder une demande d’asile. En effet, les sources indiquent qu’une action militaire qui dégrade, maltraite ou humilie systématiquement soit des combattants ou des non-combattants peut fonder une demande d’asile lorsqu’il est démontré qu’il s’agit là du motif du refus de servir. J’ai donc conclu que la Commission avait commis une erreur en imposant une norme juridique trop restrictive à M. Key.

 

[30]           J’ajouterais que l’affirmation de la Commission selon laquelle la participation passée au combat de M. Key ne serait pas suffisante pour fonder sa demande d’asile à moins qu’elle constitue une conduite visée par les clauses d’exclusion ne peut pas être correcte. En effet, cela donnerait lieu à une situation sans issue où les faits à démontrer pour obtenir le droit d’asile excluraient nécessairement le demandeur d’asile de cette protection.

 

[31]           Cela ne clôt cependant pas le débat, parce que la Cour a indiqué très clairement dans Hinzman (C.A.), précité, que les soldats qui risquent d’être punis aux États-Unis pour désertion doivent, en règle générale, exercer les recours dont ils disposent pour obtenir la protection de l’État dans leur pays d’origine avant de demander l’asile au Canada. À la lumière de cet arrêt récent, il ne fait aucun doute que la Commission a commis une erreur en adoptant le principe de « l’État comme agent de persécution » pour conclure que M. Key n’avait pas accès à la protection de l’État.

 

[32]           Dans l’affaire Hinzman, une preuve considérable a été produite concernant la sanction que les autorités infligeraient vraisemblablement. La Cour d’appel a critiqué l’appréciation que la Commission avait faite de ces éléments de preuve et a jugé qu’elle en avait ignoré une bonne part. La Cour était également d’avis que M. Hinzman n’avait pas produit suffisamment d’éléments de preuve pour excuser son défaut de tenter d’obtenir une protection dans son pays d’origine. En l’absence d’efforts raisonnables pour tenter de trouver des solutions de rechange aux fonctions de combat ou à la persécution, la Cour a jugé que, d’après les éléments de preuve dont elle disposait, il était impossible d’évaluer ce que de tels efforts auraient donné. Cependant, les faits de la présente espèce sont très différents de ceux qui ont été examinés dans Hinzman et Hinzman (C.A.), précités, surtout parce que, contrairement à M. Hinzman, M. Key n’a pas été obligé de traiter de la question de la protection de l’État. Je ne crois donc pas que les conclusions de la Cour concernant la protection de l’État dans Hinzman (C.A.), précité, soient déterminantes en l’espèce.

 

[33]           Il fait peu de doutes que M. Key serait maintenant passible d’une certaine forme de sanction pour désertion s’il retournait aux États-Unis et d’ailleurs, la Commission a conclu que, selon toute vraisemblance, il serait traduit devant une cour martiale et serait condamné à un emprisonnement d’un an.

 

[34]           À la différence de bien des affaires où la protection de l’État est invoquée comme motif pour refuser une demande d’asile, en l’espèce, il se peut que « les dés aient été jetés » par la décision de M. Key d’entrer au Canada avant d’avoir épuisé ses recours en protection dans son pays d’origine. En effet, après avoir effectué une période de service en Irak, et compte tenu de sa condition médicale, il se pourrait bien que M. Key ait eu d’autres options que l’alternative douteuse qui lui a été présentée par le représentant du JAG. Cela dit, la question de savoir si M. Key fait maintenant face à la perspective d’une procédure administrative menant à une exclusion pour cause d’indignité s’il retourne aux États-Unis est sans doute théorique compte tenu du présent dossier. Un tel dénouement pourrait bien être injuste pour M. Key, mais cela ne constituerait pas de la persécution. Cependant, je ne suis pas d’accord avec la procureure de l’intimé lorsqu’elle affirme que la demande d’asile de M. Key est vouée à l’échec eu égard à la question de la protection de l’État. La Commission a écarté sommairement cette question et, en conséquence, très peu d’éléments de preuve ont été produits sur ce point. Je ne pense pas qu’il soit équitable ou approprié que la demande de M. Key doive être rejetée à ce stade-ci à cause de l’évolution ultérieure du droit concernant la protection de l’État dans Hinzman (C.A.), précité, et dans un contexte où, à cause de la décision de la Commission, M. Key n’a pas eu l’occasion de faire valoir son point de vue sur cette question. Si des éléments de preuve clairs et convaincants sont présentés qui démontrent que M. Key était exposé à un risque sérieux d’être poursuivi et d’incarcération malgré la possibilité qu’il soit éventuellement assujetti à un traitement moins sévère et qui ne constituerait pas de la persécution, M. Key a le droit de faire cette démonstration et de soumettre ce risque à un examen complet. Après tout, l’importance du défaut d’épuiser les recours en vue d’une protection dans le pays d’origine ne s’apprécie pas dans le vide. Il faut que de telles protections soient effectivement disponibles et ne soient pas illusoires. Au surplus, le fait d’invoquer l’existence de garanties quant à l’application régulière de la loi ne vide pas complètement la question que soulèvent les cas comme celui-ci (bien que cela constitue un des aspects de l’analyse).

 

[35]           Bien que l’arrêt Hinzman (C.A.) ait certainement fixé la barre très haut pour les déserteurs de l’armée des États-Unis qui demandent l’asile au Canada, la Cour d’appel a reconnu dans cette affaire l’affirmation formulée dans Ward c. Canada (P.G.), [1993] 2 R.C.S. 689, 103 D.L.R. (4th) 1, selon laquelle le défaut d’un individu d’épuiser tous les recours en vue d’obtenir la protection de son État n’emportera pas toujours forcément le rejet de sa demande d’asile. Des éléments de preuve clairs et convaincants au sujet d’individus se trouvant dans une situation similaire et qui ont tenté sans succès d’être relevés de fonctions de combat ou qui ont été poursuivis et emprisonnés au titre d’un refus de servir pourraient être suffisants pour réfuter la présomption de protection de l’État aux États-Unis. J’ajouterais qu’étant donné que le soldat Key aurait été redéployé en Irak deux semaines après son arrivée aux États-Unis, la possibilité de tenter d’obtenir une libération ou une mutation n’aurait peut-être pas été réaliste. Puisque le dénouement de la présente affaire ne peut pas être considéré comme une conclusion déjà certaine, M. Key devrait avoir la possibilité de faire pleinement valoir son point de vue sur la question de la protection de l’État dans le cadre d’une nouvelle audience devant la Commission.

 

[36]           En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour un nouvel examen sur le fond.

 

[37]           Comme je l’ai indiqué au moment de l’audition, j’accorderai 10 jours à l’intimé pour proposer une question à certifier. Si une question est posée, j’accorderai 7 jours aux demandeurs pour répondre.


 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour un nouvel examen sur le fond.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5923-06

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            KEY, et al.

                                                            c.

                                                            MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 2 avril 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Monsieur le juge Barnes

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 juillet 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffry House

416-926-9402

 

POUR LES DEMANDEURS

Margherita Braccio

416-952-0910

 

Marianna Zoric

416-954-8046

 

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jeffry A. House

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Procureur général adjoint

 

POUR L’INTIMÉ

 



[1]     La période visée par l’enquête du CICR documentée dans le Rapport du Comité international (CICR) sur le traitement, par les forces de la coalition, des prisonniers de guerre et des autres personnes protégées par les Conventions de Genève pendant leur arrestation, leur internement et leur interrogatoire en Irak coïncide à peu près avec la période de service du sdt. Key en Irak.

[2]    Le pillage est généralement considéré comme un crime de guerre, et une politique de perpétration généralisée et systématique d’actes cruels contre une population civile peut constituer un crime contre l’humanité.

[3]   Procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, UNHCR, 1992, HCR/1P/4/FRE/REV.1.

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