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Date : 20080526

Dossier : T-237-02

Référence : 2008 CF 666

Montréal (Québec), le 26 mai 2008

En présence de Me Richard Morneau, protonotaire

 

ENTRE :

NIKE BAUER HOCKEY INC.

et

NIKE INTERNATIONAL LIMITED

demanderesses/

défenderesses reconventionnelles

et

 

EASTON SPORTS CANADA INC.

défenderesse/

demanderesse reconventionnelle

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               La Cour est saisie en l’espèce d’une requête des demanderesses et défenderesses reconventionnelles (les demanderesses) en vertu de la règle 75 des Règles des Cours fédérales (les règles) aux fins d’amender (pour la troisième fois) leur déclaration d’action (la déclaration d’action) pour y inclure essentiellement une nouvelle cause d’action fondée sur la contrefaçon du brevet no 2,214,748 (le brevet ‘748) émis le 7 août 2007 en faveur de la demanderesse Nike International Limited (Nike International). Nike Bauer Hockey Inc. (Nike Bauer) étant une licenciée sous ce brevet.

[2]               Les demanderesses recherchent également une ordonnance fixant un échéancier dans le dossier. Nous reviendrons sur cet aspect lorsque nous aurons disposé de la requête en amendement des demanderesses.

Contexte et analyse

[3]               Bien que je sois conscient du libéralisme exprimé en jurisprudence en matière d’amendements (voir, entre autres, les arrêts Canderel Ltée v. Canada, [1994] 1 C.F. 3 (C.A.) et VISX Inc. v. Nidek Co., [1998] F.C.J. no 1766), je ne crois pas, pour les motifs qui suivent, qu’il soit juste et dans l’intérêt de la justice en l’espèce que la requête en amendement soit autorisée dans le cadre du présent dossier.

[4]               Je pense en tant que gestionnaire de l’instance que l’ajout de l’attaque basée sur le brevet ‘748 à ce stade très avancé du dossier causerait à la défenderesse et demanderesse reconventionnelle (Easton) une injustice non réparable en termes de dépens et serait contraire à l’esprit de la règle 3.

[5]               Il faut savoir que l’intérêt des demanderesses pour inclure au débat le brevet ‘748 s’est matérialisé aux yeux de tous dans le présent dossier en juin-juillet 2007 au moment où le présent dossier engagé à l’égard du brevet no 2,302,953 (le brevet ‘953) franchissait les étapes de la conférence préparatoire et la tenue d’une médiation.

[6]               Le brevet ‘953 porte sur « un quart de partie de chaussure de patin et sur la chaussure de patin comprenant ce quart de partie ».

[7]               Dans l’action qu’elles ont intentée en 2002, voilà donc plus de six ans, les demanderesses soutiennent pour l’essentiel qu’Easton contrefait diverses revendications du brevet ‘953 par la fabrication et la mise en vente de différents modèles de chaussures de patin au Canada.

[8]               Easton nie pour sa part la contrefaçon de toute revendication de ce brevet et a déposé une demande reconventionnelle dans laquelle elle allègue l’invalidité dudit brevet, en faisant notamment valoir le caractère évident de l’objet du brevet, le défaut d’invention, le fait que l’objet était déjà connu du public, son manque d’utilité et les déclarations trompeuses figurant dans la partie consacrée au contexte de la soi-disant invention.

[9]               Il faut tenir que la tenue d’une conférence préparatoire en juin 2007 dans le présent dossier signifiait que celui-ci était prêt à procéder à procès sur le débat entourant le brevet ‘953.

[10]           Cette mise en état du dossier prit, tel que mentionné précédemment, plus de six ans au cours desquels l’on vit, entre autres, la Cour accorder aux demanderesses la possibilité d’amender à deux reprises leur déclaration d’action, la tenue de près de trois rondes d’interrogatoires au préalable et la présentation de requêtes pour l’adjudication d’objections découlant de ces interrogatoires.

[11]           Easton soutient également que dans le cours de l’évolution du présent dossier, elle modifia la confection de ses chaussures de patin vers l’an 2004 de manière à échapper à un élément essentiel de la revendication 1 du brevet ‘953. Par cette modification, Easton cherchait à s’assurer que ce que l’on peut voir comme un protège-tendon ne soit pas fixé au quart de partie de façon parallèle (en langue anglaise « in a side-by-side fashion ») mais bien de façon à ce que ces deux parties se chevauchent (overlap).

[12]           Voilà toutefois qu’en août 2007, la demande de brevet originale qui avait été déposée au Canada le 5 septembre 1997 a entraîné l’octroi également du brevet ‘748. L’on sait que cette même demande de brevet du 5 septembre 1997 est également, via une demande internationale déposée un an plus tard, à l’origine de l’octroi le 20 novembre 2001 du brevet ‘953.

[13]           Le brevet ‘748 porte également sur un quart de partie de chaussure de patin. Toutefois, à la différence du brevet ‘953, le brevet ‘748 ne requiert pas par ses revendications que le protège-tendon soit relié à ce quart de partie de façon parallèle ou même qu’il y ait une pièce de matériel qui soit vue comme un protège-tendon. Ainsi, malgré les modifications apportées en 2004 par Easton à ses chaussures de patin, l’inclusion du brevet ‘748 aurait pour effet de modifier considérablement la donne et d’anéantir la position prise depuis 2004 par Easton en droit et sur le terrain, puisque maintenant l’ensemble des patins d’Easton pourrait être vu comme contrevenant aux revendications du brevet ‘748.

[14]           Easton dénonce carrément l’obtention et la validité de ce brevet ‘748 en soutenant, entre autres, que la validité de ce brevet ne peut tenir vu que ce brevet contreviendrait aux dispositions du paragraphe 36(1) de la Loi sur les brevets, L.R., 1985, ch. P-4, qui dispose, dans son essence, qu’une invention ne peut faire l’objet de plus d’un brevet. Selon Easton, l’invention contenue au brevet ‘748 est la même que celle visée par le brevet ‘953 et qu’il ne peut donc y avoir deux brevets pour une même invention.

[15]           Elle soutient de plus que la règle de l’engagement implicite a été enfreinte par les demanderesses puisque l’intérêt des demanderesses à raviver le processus pour l’obtention du brevet ‘748 serait né d’informations que les demanderesses auraient obtenues en août 2003 dans le cadre de l’interrogatoire au préalable du représentant d’Easton; informations à l’effet, tel que mentionné précédemment, qu’Easton avait modifié en 2004 ses chaussures de patin pour échapper au monopole du brevet ‘953.

[16]           Bien que ces arguments d’Easton contre l’obtention et la validité du brevet ‘748 présentent un certain attrait, ils ne m’apparaissent pas, pour décider de la présente requête, qu’ils soient clairs et évidents. En d’autres mots, ce n’est pas sur cette base que l’amendement peut clairement être rejeté ici.

[17]           Toutefois, si le passé est garant de l’avenir comme je pense qu’il en sera le cas, il m’apparaît clair, malgré ce que soutiennent les demanderesses en argumentation, que l’ajout du brevet ‘748 au présent débat aurait pour effet de retarder considérablement la tenue du procès dans le présent dossier et de causer autrement à Easton des préjudices non réparables en termes de dépens.

[18]           À cet égard et même si en principe on peut tenir, comme le soutiennent avec force les demanderesses, que le brevet ‘953 et le brevet ‘748 sont somme toute reliés et touchent un objet similaire, soit les chaussures de patin, et qu’une action séparée en cette Cour sous ce brevet ‘748 est en principe possible, on ne peut écarter néanmoins à mon avis que l’ajout du brevet ‘748 dans le présent dossier entraînerait la vaste majorité des incidents qu’Easton décrit comme suit au paragraphe 69 de ses représentations écrites à l’encontre de la requête à l’étude :

(a)                an amendment to the statement of defence and counterclaim to address infringement and invalidity of the ‘748 patent;

(b)               an amendment to the counterclaim to plead a breach of the implied undertaking rule and the tort of abuse of process;

(c)                the possibility of requiring further particulars by either party;

(d)               motions to strike on behalf of Easton and/or Nike;

(e)                motion to sever and stay counterclaim of abuse of process;

(f)                 additional documentary productions;

(g)                motion to remove Nike’s solicitors of record from the file as material witnesses and participants in obtaining the ‘748 patent;

(h)                multiple sessions of oral discovery, which, to date, have taken at least twelve (12) days over six (6) years;

(i)                  motions to compel answers (at least one round, most likely a few);

(j)                 follow up oral discoveries; and

(k)               additional expert reports.

[19]           De plus, depuis l’émission le 7 août 2007 du brevet ‘748, il n’appert pas que les demanderesses aient véritablement cherché à faire progresser le présent dossier, hormis la formulation en février 2008 de la requête que nous considérons présentement. Or, le 22 janvier 2008, Easton s’est pourvue devant la Cour supérieure de l’Ontario en déposant une action (l’action en Ontario) dans laquelle elle dénonce ou formule ses attaques contre l’invalidité du brevet ‘748. Dans cette action en Ontario, Easton réclame notamment :

(a)                a declaration that the ‘748 patent was improperly obtained by reason, inter alia, of double patenting, and improperly asserted against Easton in restraint of trade and in unlawful interference with the rights of Easton;

(b)               an injunction prohibiting Nike from asserting the ‘748 patent against Easton;

(c)                damages, including PST and GST, for unlawful interference with Easton’s economic relations and interests in the amount of $1,000,000;

(d)               punitive, exemplary or aggravated damages in the sum of $10,000,000;

(e)                pre-judgment and post-judgment interest; and

(f)                 Easton’s costs of the action on a substantial indemnity basis.

[Je souligne.]

[20]           Ainsi, l’ajout au présent dossier du brevet ‘748 ferait dans une très large mesure double emploi avec l’action en Ontario, où, de plus, les demanderesses pourraient faire valoir dans ce dossier, qui en est à ses tout premiers débuts, leurs prétentions en contrefaçon de ce brevet ‘748.

[21]           Somme toute, je pense que les demanderesses cherchent ici à en faire trop de façon tardive. Il m’appert que la situation actuelle se rapproche grandement de celle présente dans l’affaire Dynaflair Corporation Canada Inc. c. Mobiflex Inc. et al, 2003 CFPI 395. Vu d’un autre angle, l’on pourrait soutenir également que l’ajout du débat impliquant le brevet ‘748 s’approche d’un abus de procédure ou d’un abus de tactique de la part des demanderesses.

[22]           La requête en amendement des demanderesses sera donc rejetée, le tout avec dépens, tel que précisé dans la section Ordonnance.

[23]           Par ailleurs, quant à l’échéancier à suivre dans le présent dossier, il devra être le suivant:

a)                  La conférence préparatoire tenue dans le présent dossier le 13 juin 2007 et qui fut ajournée à ce moment de manière sine die se poursuivra de la façon suivante. Un tableau d’instruction (trial chart) similaire à celui que les demanderesses ont inclus comme « Appendix 1 » à leur dossier de requête devra être complété et soumis de façon conjointe par les parties le ou avant le 7 juillet 2008. La Cour serait extrêmement déçue si les procureurs des parties n’arrivaient pas à compléter cet exercice par eux-mêmes.

b)                  Ce tableau d’instruction devra, entre autres, prévoir des dates butoir précises (et raisonnablement rapprochées de la date de production du tableau d’instruction) quant à la production des rapports d’experts en chef et en réplique des parties. Le tout de manière à ce que ce tableau d’instructions puisse être transmis tel quel à l’administratrice judiciaire, sous couvert d’une courte lettre commune, pour la fixation de la durée et des dates de procès.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que:

1 -        La requête en amendement des demanderesses est rejetée, le tout avec dépens au maximum de la colonne III du Tarif. Toute autre conclusion quant aux dépens est ici refusée;

2 -        L’échéancier à suivre dans le présent dossier devra être le suivant:

a)                  La conférence préparatoire tenue dans le présent dossier le 13 juin 2007 et qui fut ajournée à ce moment de manière sine die se poursuivra de la façon suivante. Un tableau d’instruction (trial chart) similaire à celui que les demanderesses ont inclus comme « Appendix 1 » à leur dossier de requête devra être complété et soumis de façon conjointe par les parties le ou avant le 7 juillet 2008. La Cour serait extrêmement déçue si les procureurs des parties n’arrivaient pas à compléter cet exercice par eux-mêmes.

b)                  Ce tableau d’instruction devra, entre autres, prévoir des dates butoir précises (et raisonnablement rapprochées de la date de production du tableau d’instruction) quant à la production des rapports d’experts en chef et en réplique des parties. Le tout de manière à ce que ce tableau d’instructions puisse être transmis tel quel à l’administratrice judiciaire, sous couvert d’une courte lettre commune, pour la fixation de la durée et des dates de procès.

 

 

« Richard Morneau »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-237-02

 

INTITULÉ :                                       NIKE BAUER HOCKEY INC.

                                                            et

                                                            NIKE INTERNATIONAL LIMITED

                                                                 demanderesses/défenderesses reconventionnelles

 

                                                            et

 

                                                            EASTON SPORTS CANADA INC.

                                                                 défenderesse/demanderesse reconventionnelle

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               12 mai 2008

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LE PROTONOTAIRE MORNEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      26 mai 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

François Guay

 

POUR LES DEMANDERESSES

Gordon J. Zimmerman

Daniel Urbas

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smart & Biggar

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Borden Ladner Gervais LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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