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Date : 20080521

Dossier : IMM‑4574‑07

Référence : 2008 CF 630

Ottawa (Ontario), le 21 mai 2008

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

ROSA ALEJANDRA HURTADO‑MARTINEZ

et VALERI AILIN OLVERA‑HURTADO

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire qui, parmi beaucoup d’autres, concerne le point de savoir si la Section de la protection des réfugiés (SPR) a commis une erreur en disant qu’une protection pouvait être obtenue de l’État au Mexique. La demanderesse a sollicité l’asile au Canada après une tentative d’agression sexuelle commise contre elle par un policier de grade supérieur.

 

II.         LES FAITS

[2]               La demanderesse était une mère mexicaine âgée de 24 ans. Elle a prétendu que son voisin, un commandant de l’Agence fédérale d’enquête (AFI) du Mexique, avait tenté de s’imposer à elle en décembre 2005. Son conjoint de fait, qui revenait à la maison juste à ce moment‑là, a repoussé l’agresseur. Le commandant aurait alors proféré des menaces contre eux en quittant les lieux.

 

[3]               Lorsque la demanderesse a voulu déposer une plainte au service de police de sa ville, elle s’est heurtée aux moqueries (ou aux rires) des policiers de service, qui lui ont dit simplement qu’ils ne pouvaient rien faire sans preuve, en particulier sans preuve de lésions corporelles.

 

[4]               La demanderesse a dit aussi que son compagnon fut agressé deux jours plus tard par le commandant et certains de ses hommes parce qu’ils avaient voulu dénoncer le commandant – c’est du moins les propos qu’aurait tenus le commandant. Le lendemain de l’agression, de dire la demanderesse, elle a reçu des menaces par téléphone du commandant.

 

[5]               La demanderesse, accompagnée de sa fille, a alors fui vers une autre ville, chez sa belle‑sœur, tandis que son compagnon s’est rendu ailleurs.

 

[6]               Alors que la demanderesse se trouvait dans une autre ville, le commandant aurait trouvé le moyen de lui téléphoner et de la menacer à nouveau. Elle s’est à nouveau réfugiée dans une autre ville et a changé son numéro de téléphone cellulaire, et malgré cela le commandant a réussi à communiquer avec elle et il a répété ses menaces.

 

[7]               Tous ces faits sont survenus au cours d’une brève période, en décembre 2005. En janvier 2006, la demanderesse s’est rendue au Desarrollo Integral de la Familia (DIF). Là, on lui conseilla de déposer sa plainte auprès d’un autre département du Ministère public.

 

[8]               Vu la manière dont sa plainte avait été traitée antérieurement par la police, et parce qu’elle craignait des représailles, la demanderesse a refusé de suivre le conseil du DIF et a plutôt décidé de quitter le Mexique. Deux jours avant son départ, le commandant lui aurait téléphoné pour l’informer qu’il ferait agir son influence et qu’elle ne pourrait pas partir. Malgré les menaces, elle a réussi à partir.

 

[9]               Le fond de la décision de la SPR est que la demanderesse et son mari n’avaient pas épuisé les moyens à leur disposition pour obtenir de l’État une protection. La SPR a relevé que le mari n’avait pas déposé de plainte contre ses agresseurs, et, selon elle, la demanderesse avait conclu trop vite qu’il lui serait impossible d’obtenir de l’État une protection.

 

[10]           La SPR a reconnu qu’il y a au Mexique une pratique très enracinée de l’impunité et de la corruption. Cependant, elle a conclu que la demanderesse n’avait pas apporté une preuve « claire et convaincante » du refus ou de l’incapacité de l’État de lui accorder une protection. La SPR s’en est plutôt tenue à la preuve documentaire objective, dont le rapport du Département d’État des États‑Unis et les rapports de la CISR sur la situation des témoins d’actes criminels et d’actes de corruption et celle des femmes victimes de violences, rapports où il est question d’un mécanisme de dépôt des plaintes et de voies de recours.

 

III.       ANALYSE

[11]           Même avant l’arrêt de la Cour suprême Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la norme de contrôle applicable aux conclusions portant sur l’existence d’une protection étatique était la raisonnabilité. L’arrêt Dunsmuir n’a pas modifié cette norme.

 

[12]           La SPR s’est fondée sur l’arrêt Kadenko c. Canada (Solliciteur général) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532 (C.A.F.), pour dire qu’une personne doit épuiser tous les recours à sa disposition avant de conclure qu’elle ne peut pas espérer de l’État une protection. L’arrêt Kadenko ne va pas aussi loin. Les mesures à prendre pour obtenir de l’État une protection dépendent de plusieurs facteurs, notamment la situation qui a cours dans le pays et la question de savoir si l’État ou l’institution qui le représente est un persécuteur. Ce que doit avoir fait un demandeur d’asile, c’est avoir pris les moyens raisonnables pour obtenir de l’État une protection compte tenu des circonstances. La question de savoir si l’État accorde une protection ne se prête pas à l’application de formules.

 

[13]           L’analyse et la conclusion de la SPR présentent plusieurs lacunes qui font que sa décision doit être annulée et lui être renvoyée.

 

[14]           D’abord, dans sa décision, la SPR ne dit pas clairement si elle a admis le récit de la demanderesse. La demanderesse dit qu’elle a été agressée et harcelée par un officier supérieur de l’AFI (un corps policier fédéral) dont l’influence dépassait les limites d’une ville ou d’une localité.

 

[15]           Deuxièmement, la SPR ne s’est pas attardée sur l’existence et le champ d’action de l’agent de persécution. Dans nombre des jugements de la Cour confirmant des conclusions selon lesquelles la protection offerte par l’État au Mexique était suffisante, un accent considérable a été mis sur la possibilité de s’adresser aux instances fédérales lorsque des policiers sont les agents de persécution.

 

[16]           Dans la décision Lopez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1341, la SPR avait conclu que le cabinet du procureur général et l’AFI jouaient un rôle considérable dans la protection accordée.

 

[17]           L’AFI est l’organisme même dont le commandant, agent de persécution prétendu, était membre. Cependant, la SPR n’analyse nullement ce fait au regard de ce qu’il serait raisonnable de faire pour obtenir protection de l’un des principaux organismes chargés d’accorder une protection.

 

[18]           Troisièmement, bien que la SPR puisse invoquer la preuve documentaire et même s’y en tenir, il doit s’agir d’une preuve intéressant la question qui lui est posée. La SPR parle d’une manière assez détaillée de rapports relatifs à la protection accordée aux femmes victimes de violences, en général dans le contexte de la violence conjugale. La question posée ici ne concerne pas la violence contre les femmes en tant que telles, mais plutôt la corruption et l’intérêt de la police – dont les victimes étaient à la fois une femme et un homme. Cette prise en compte de facteurs hors de propos fait douter davantage de la raisonnabilité de la décision de la SPR.

 

IV.       DISPOSITIF

[19]           La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie, la décision de la SPR sera annulée et l’affaire sera renvoyée à une autre formation de la SPR, pour nouvelle décision.

 

[20]           Puisque la décision rendue ici par la Cour est largement tributaire des faits, aucune question ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SPR est annulée, et l’affaire est renvoyée à une autre formation de la SPR pour nouvelle décision.

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑4574‑07

 

INTITULÉ :                                       ROSA ALEJANDRA HURTADO‑MARTINEZ et VALERI AILIN OLVERA‑HURTADO

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 6 MAI 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 21 MAI 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Douglas Lehrer

 

POUR LES DEMANDEURS

David Cranton

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Vandervennen Lehrer

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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