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Date : 20080514

Dossier : T-460-08

Référence : 2008 CF 598

Ottawa (Ontario), le 14 mai 2008

En présence de Monsieur le juge Campbell

 

Entre :

IMPERIAL OIL RESOURCES VENTURES LIMITED

 

demanderesse

et

 

le ministre des pêches et des océans,

le procureur général du Canada,

PEMBINA INSTITUTE FOR APPROPRIATE DEVELOPMENT,

SIERRA CLUB CANADA, TOXICS WATCH SOCIETY

OF ALBERTA et PRAIRIE ACID RAIN COALITION

 

 

 

défendeurs

 

 

motifs de l’ordonnance et ordonnance

 

 

[1]               Le 27 février 2007, la Commission d’examen conjoint, agissant sous l’autorité de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37 (la LCEE), a, à l’égard du projet d’exploitation de sables bitumineux – Kearl d’Imperial Oil dans le Nord-Ouest de l’Alberta, recommandé dans un rapport au ministre des Pêches et des Océans du Canada que le projet aille de l’avant. Le 14 août 2007, le gouverneur en conseil, conformément à l’alinéa 37(1.1)a) de la LCEE, a approuvé le rapport. Compte tenu de l’approbation, le ministre des Pêches et des Océans a, le 12 février 2008, accordé une autorisation en application du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches, L.R.C., 1985, ch. F-14, qui permettait effectivement à Imperial Oil de commencer le projet.

 

[2]               Malheureusement toutefois, l’autorisation a été accordée et Imperial Oil s’y est appuyée, alors que la juge Tremblay-Lamer avait pris en délibéré la décision relative à la contestation du rapport, par voie de contrôle judiciaire devant la Cour, dans le dossier T‑535‑07. Le 5 mars 2008, la juge Tremblay-Lamer a décidé que la Commission d’examen conjoint n’avait pas justifié sa conclusion à l’égard des émissions de gaz à effet de serre comme elle était tenue de le faire et, en conséquence, la juge Tremblay-Lamer a ordonné que « [l]’affaire [soit] renvoyée à la même Commission avec instruction de justifier sa conclusion ».

 

[3]               Vu l’ordonnance de la juge Tremblay-Lamer, un délégué du ministre des Pêches et des Océans, dans une lettre datée du 20 mars 2008 et transmise par télécopieur à Imperial Oil, émettait l’opinion que l’autorisation déjà accordée était maintenant entachée de nullité et, compte tenu de cette opinion, il déclarait qu’Imperial Oil n’était pas autorisée à aller de l’avant pour exploiter le projet (voir l’annexe A des présents motifs). Dans la présente demande, instituée le 20 mars 2008, Imperial Oil conteste l’opinion du ministre des Pêches et des Océans afin de lui permettre d’aller de l’avant pour exploiter le projet conformément à l’autorisation déjà accordée. Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’Imperial Oil n’a pas réussi à cet égard.

[4]               Comme première étape de la contestation d’Imperial Oil dans la présente demande, elle a présenté une requête pour obtenir une injonction à l’encontre de la mise en œuvre de l’opinion du ministre des Pêches et des Océans. Au moment où cette première étape était entreprise, Pembina Institute for Appropriate Development et Sierra Club Canada avaient déjà institué l’instance dans le dossier T-418-08 à l’encontre du ministre des Pêches et des Océans et d’Imperial Oil, une demande distincte sollicitant l’annulation de l’autorisation. Au moment de l’audition de la requête en injonction, le juge de Montigny était saisi des deux affaires. Il a demandé et obtenu l’accord de toutes les parties pour trancher les questions principales dans les deux demandes au moyen de la présente demande de contrôle judiciaire les réunissant. Les parties ont convenu que les questions en litige suivantes devraient être examinées :

[traduction]

 

Quel est l’effet du jugement de la Cour fédérale dans le dossier T‑535-07 à l’égard de la validité de l’autorisation délivrée le 8 février 2008, en application du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches, par Pêches et Océans Canada (MPO) à Imperial Oil Resources Ventures Limited? Plus particulièrement, l’autorisation est-elle devenue nulle par l’effet de la loi?

 

Si l’autorisation n’est pas devenue nulle par le jugement dans le dossier T-535-07 et l’effet de la loi, la Cour devrait-elle décider d’accorder la réparation du point 2b) de la réparation demandée dans l’avis de demande dans le dossier T‑418‑08 et, par conséquent, annuler l’autorisation?

 

Si l’autorisation demeure légalement valide, le MPO, ou son ministre, ont-ils légalement le pouvoir de révoquer ou d’annuler l’autorisation?

 

[5]               Le fonctionnement de la LCEE n’est pas en litige et il est expliqué en détail dans les paragraphes suivants de la décision de la juge Tremblay-Lamer qui n’a pas été portée en appel :

14     La LCEE établit un processus décisionnel qui comporte deux étapes. La première est une évaluation environnementale qui analyse les effets environnementaux négatifs qu’un projet est susceptible d’entraîner (art. 5). La seconde étape comporte une prise de décision et un suivi alors que l’autorité fédérale décide, en prenant en compte l’évaluation, si un projet précis devrait être autorisé et quel programme de suivi est requis pour vérifier la justesse de l'évaluation environnementale et l'efficacité des mesures d'atténuation (art. 37 et 38).

 

[…]

 

20     En particulier, les attributions générales du mandat que la Commission est chargée de remplir se divisent en quatre volets (art. 34). Premièrement, celle-ci veille à l'obtention des renseignements nécessaires à l'évaluation environnementale d'un projet et veille à ce que le public y ait accès (al. 34a)). Deuxièmement, la Commission tient des audiences de façon à donner au public la possibilité de participer à l'évaluation environnementale (al. 34b)). Troisièmement, la Commission remplit un rôle en matière de rapports en ce sens qu’elle établit un rapport assorti « de sa justification, de ses conclusions et recommandations relativement à l'évaluation environnementale du projet, notamment aux mesures d'atténuation et au programme de suivi » ainsi qu’un résumé des observations reçues du public (al. 34c)). Enfin, elle présente son rapport au ministre et à l'autorité responsable (al. 34d))

 

[…]

 

78     La preuve établit que les objectifs d’intensité imposent des limites aux émissions de gaz à effet de serre par baril de bitume produit. La quantité absolue de gaz à effet de serre attribuable à l’exploitation des sables bitumineux continuera d’augmenter avec la mise en œuvre d’objectifs d’intensité en raison de la hausse projetée de la production totale de bitume. La Commission a conclu que les émissions de gaz à effet de serre seraient négligeables sans justifier pourquoi les mesures d’atténuation fondées sur l’intensité des émissions seraient efficaces pour réduire à des niveaux négligeables les émissions de gaz à effet de serre correspondant à celles de 800 000 voitures. Faute de ce lien essentiel, soit l’énoncé clair et convaincant des raisons sur lesquelles la Commission fonde sa conclusion, il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue à l’égard de son expertise.

 

79     Je conviens que la Commission n’est pas tenue de commenter chacun des détails du projet, mais, compte tenu de la quantité de gaz à effet de serre qui sera émise dans l’atmosphère et compte tenu de la preuve présentée selon laquelle les objectifs fondés sur l’intensité ne s’intéresseront pas au problème des gaz à effet de serre, il incombait à la Commission de justifier sa recommandation sur cette question en particulier. En n’en faisant aucune mention, la Commission court-circuite le processus décisionnel en deux étapes envisagé par la LCEE en vue de la prise d’une décision éclairée par l’autorité responsable. Pour que la décision soit éclairée, elle doit reposer sur une solide connaissance des effets du projet. Par conséquent, vu l’absence d’explication ou de justification, je suis d’avis que la Commission a commis une erreur de droit en omettant de motiver sa conclusion comme l’exige l’al. 34(c)i) de la LCEE.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[6]               Compte tenu du fonctionnement de la LCEE, et en ce qui a trait à la première question fixée par le juge de Montigny, je conclus que l’effet primaire de l’ordonnance de la juge Tremblay-Lamer est de compléter le rapport, puisqu’il est incomplet, et une fois complété, de le présenter, encore une fois, au gouverneur en conseil aux fins d’approbation. Si l’approbation est accordée, le ministre des Pêches et des Océans doit délivrer une nouvelle autorisation pour permettre à Imperial Oil d’aller de l’avant avec le projet. Pour cette raison, l’effet secondaire de la décision est que l’autorisation datée du 12 février 2008, ayant été délivrée par le ministre des Pêches et des Océans sur la foi d’un rapport fondamentalement vicié qui, de ce fait, ne pouvait pas légalement recevoir l’approbation du gouverneur en conseil, a été délivrée sans compétence (Alberta Wilderness Assn. c. Canada (ministre des Pêches et des Océans), [1999] 1 C.F. 483, [1998] A.C.F. no 1746 (QL) (C.A.F.), aux paragraphes 17 à 21). Par conséquent, je conclus que l’autorisation est entachée de nullité.

 

[7]               Dans la présente demande, Imperial Oil soutient que, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, je peux toutefois exercer le pouvoir discrétionnaire de ne pas agir à l’égard de la conclusion selon laquelle l’autorisation est entachée d’une erreur de droit, ce qui aurait pour effet de permettre aux travaux d’aller de l’avant sans obtenir une autre autorisation. Compte tenu de ma conclusion selon laquelle l’autorisation a été délivrée sans compétence et qu’elle est, par conséquent, entachée de nullité, je ne pourrais pas, à mon avis, exercer mon pouvoir discrétionnaire à l’égard de quoi que ce soit. En conséquence, je rejette l’argument d’Imperial Oil.

 

[8]               Compte tenu de ma réponse à l’égard de la première question en litige, la deuxième question n’est plus pertinente. En ce qui a trait à la troisième question qui demande si le ministre des Pêches et des Océans peut révoquer une autorisation déjà délivrée, je conclus que l’opinion du 20 mars 2008 ne constitue pas une révocation. Elle est l’expression d’une opinion fondée sur l’effet de la loi. Je conclus donc que la troisième question est également non pertinente.

 

[9]               Au cours de l’audience de la présente demande, les avocats d’Imperial Oil ont présenté une requête demandant d’ajouter des éléments de preuve au dossier pour démontrer les actions prises par la Commission d’examen conjoint depuis la date de l’ordonnance de la juge Tremblay-Lamer. Je rejette cette requête puisque je conclus que les éléments de preuve ne sont pas pertinents pour les questions qui ont été tranchées.

 

[10]           Au cours de l’audience de la présente demande, les avocats des demandeurs dans le dossier T-418-08 ont convenu que, si la présente demande était rejetée, le dossier T-418-08 devrait être rejeté. Puisque le rejet est l’issue dans la présente demande, il y aura rejet du dossier T-418-08 aux termes d’une ordonnance dans cette demande.

 

[11]           Selon l’ordonnance du juge de Montigny du 27 mars 2008, chaque partie paiera ses frais.

 


 

ordonnance

 

La cour ordonne :

Pour les motifs exposés, la présente demande est rejetée.

 

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, juriste‑traducteur


Annexe A

Lettre datée du 20 mars 2008, transmise par télécopieur à Imperial Oil :

Dossier de demande de la demanderesse, p. 356

[traduction]

 

Pêches et Océans                   Fisheries and Oceans                       

Canada                                   Canada

 

Imperial Oil Limited

237 Fourth Avenue S.W.

Calgary (Alberta)

Canada  T2P 0H6

À l’attention de M. Stuart Nadeau

 

Monsieur,

 

La présente fait suite à la décision de Madame la juge Tremblay-Lamer, datée du 5 mars 2008, dans l’affaire Pembina Institute for Appropriate Development, Prairie Acid Rain Coalition, Sierra Club Canada et Toxics Watch Society of Alberta c. Le procureur général du Canada, le ministre des Pêches et des Océans, le ministre de l’Environnement et Imperial Oil Resources Ventures Limited, dossier de la Cour fédérale no T-535-07, ainsi qu’à la correspondance d’Imperial Oil avec le ministre Hearn, datée du 11 mars 2008.

 

Nous vous informons que le ministère des Pêches et des Océans est d’avis qu’à la suite de la décision de Madame la juge Tremblay-Lamer, l’Autorisation pour des ouvrages ou entreprises modifiant l'habitat du poisson et Autorisation de causer la mort de poissons par d’autres moyens que la pêche (ED-03-2806) que le ministre des Pêches et des Océans a délivrée en application du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches à Imperial Oil Resources Ventures Limited le 12 février 2008, est entachée de nullité.

 

En conséquence, Imperial Oil n’est pas autorisée à entreprendre des ouvrages ou entreprises qui causeront la détérioration, la destruction ou la perturbation de l’habitat du poisson ou qui causent la mort de poissons par d’autres moyens que la pêche. Un représentant du MPO communiquera avec vous pour discuter des prochaines étapes à suivre.

 

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées.

 

Le directeur général régional,

 

 

Bob Lambe

 

 

c.c.       M. T.J. Hearn, président du conseil et chef de la direction

            M. David McBain, directeur général - Gestion de l’habitat

            Mme Ginny Flood, directrice nationale - Rapports sur l’environnement et Projets principaux

            M. Brian Makowecki, directeur régional - Projets d’exploitation de sables bitumineux


Cour fédérale

 

Avocats inscrits au dossier

 

Dossier :                                                                T-460-08

 

Intitulé :                                                               IMPERIAL OIL RESOURCES VENTURES LIMITED

                                                                                    c.

                                                                                    le ministre des pêches

                                                                                    et des océans et al.

 

Lieu de l’audience :                                         CALGARY (ALBERTA)

 

Date de l’audience :                                       les 7 et 8 mai 2008

 

Motifs de l’ordonnance

Et ordonnance :                                               le juge CAMPBELL

 

Date des motifs

ET DE L’ORDONNANCE :                                     le 14 mai 2008

 

Comparutions :

 

Munaf Mohamed                                                          Pour la demanderesse

Martin Ignasiak

 

Kirk Lambrecht                                                            Pour le défendeur,

                                                                                    Le procureur général

                                                                                    du Canada

 

Sean Nixon                                                                  Pour les défendeurs

Devon Page                                                                  PEMBINA INSTITUTE, SIERRA CLUB,

TOXICS WATCH et PRAIRIE ACID RAIN

 

 

Avocats inscrits au dossier :

 

Fraser Milner Casgrain, s.e.n.c.r.l.                                 Pour la demanderesse

Calgary (Alberta)

 

John H. Sims, c.r.                                                         Pour le défendeur,

Sous-procureur général du Canada                               Le procureur général

Edmonton (Alberta)                                                      du Canada

 

Ecojustice Canada                                                        Pour les défendeurs

Vancouver (Colombie-Britannique)                               PEMBINA INSTITUTE, SIERRA CLUB,

                                                                                    TOXICS WATCH et PRAIRIE ACID

                                                                                    RAIN

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