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Date : 20080509

Dossier : T-833-06

Référence : 2008 CF 593

Ottawa (Ontario), le 9 mai 2008

En présence de Monsieur le juge Barnes

ENTRE :

GLAXOSMITHKLINE INC. et

THE WELLCOME FOUNDATION LIMITED

 

demanderesses

et

 

PHARMASCIENCE INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande a été introduite par Glaxosmithkline Inc. et par Wellcome Foundation Limited (ci-après GSK) contre le ministre de la Santé et Pharmascience Inc. (Pharmascience) en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, modifié (le Règlement). GSK sollicite une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à la défenderesse Pharmascience tant que le brevet canadien 1340083 (le brevet 083) ne sera pas expiré. GSK affirme que le brevet 083 est un brevet de sélection valide qui sera contrefait si l’on permet à Pharmascience de produire le promédicament antiviral valacyclovir (commercialisé sous le nom de Valtrex). Le brevet 083 a été déposé le 12 août 1998 et a été délivré le 13 octobre 1998. Sa date d’antériorité est le 15 août 1987 et il expirera le 13 octobre 2015. Le brevet de genre antérieur duquel a été tirée la sélection du valacyclovir était le brevet européen 0099493 de GSK (le brevet 493) dont l’équivalent canadien est le brevet canadien 1208637 (le brevet 637). Le brevet 637 est venu à expiration le 29 juillet 2003.

 

[2]               Malgré le caractère sommaire de la présente instance, il vaut la peine de signaler que les débats ont duré plus de quatre jours et demi, que le dossier de la demande contient 40 volumes comptant plus de 11 000 pages et que la transcription du contre-interrogatoire des cinq principaux témoins experts représente plus de 1 700 pages. Il y a toutefois lieu de féliciter les avocats, qui ont réussi à s’en tenir aux points litigieux qui méritaient d’être débattus, évitant ainsi un débat de fond sur bon nombre de questions qui n’auraient pas été déterminantes.

 

I.                   Contexte

[3]               La présente affaire porte sur la sélection. Il est acquis aux débats que le brevet 493 de GSK revendiquait un monopole sur une catégorie ou sur un genre de promédicaments dont le valacyclovir faisait partie. Pharmascience souhaite produire une version générique du médicament Valtrex de GSK mais elle reconnaît que, ce faisant, elle contrefera plusieurs des revendications du brevet 083 que GSK détient sur le valacyclovir. Pharmascience affirme dans son avis d’allégation (avis d’allégation) que le brevet 083 de GSK est invalide pour cause d’antériorité, d’évidence, d’inutilité, de double brevet, d’absence de valeur inventive, d’insuffisance de l’exposé, d’absence de prédiction valable et parce que le brevet ne renferme ou ne divulgue pas de sélection valide du brevet que GSK possède déjà en ce qui concerne le valacyclovir (la DBE 493). Bon nombre de ces allégations se chevauchent, de sorte qu’il n’est pas nécessaire, pour trancher le présent litige, de les examiner séparément.

 

Charge de la preuve

[4]               Les parties conviennent que la charge ultime de la preuve selon la prépondérance des probabilités repose sur GSK, sous réserve du fardeau de la preuve intermédiaire imposé à Pharmascience de présenter suffisamment d’éléments de preuve au sujet de l’invalidité pour « faire jouer » les allégations de son avis d’allégation.

 

La personne versée dans l’art et les témoins experts

[5]               Je ne décèle aucune différence marquée dans l’opinion donnée par les divers témoins experts au sujet des attributs que devait posséder au milieu de 1987 la personne versée dans l’art à qui le brevet 083 aurait été soumis. Cette personne aurait reçu une formation spécialisée et posséderait une expérience professionnelle dans le domaine de la découverte et de la mise à l’essai de médicaments et serait particulièrement rompue à la conception, la synthèse et l’évaluation des promédicaments. Elle serait notamment en mesure d’évaluer les propriétés thérapeutiques (par ex. la biodisponiblité) de candidats-médicaments et de candidats-promédicaments à l’aide d’épreuves in vitro et in vivo normales. Comme formation universitaire, cette personne serait titulaire d’un baccalauréat ou d’une maîtrise en sciences dans le domaine de la pharmacie, de la chimie ou d’une discipline équivalente ou d’un diplôme équivalent, et justifierait d’une vaste expérience de travail. Elle pourrait aussi être titulaire d’un doctorat dans un domaine de spécialisation pertinent comme la chimie pharmaceutique, la chimie bioanalytique, la chimie organique de synthèse ou la chimie médicinale.

 

[6]               Sous réserve des limites évidentes que comporte toute tentative visant à évaluer la crédibilité d’un témoin en se fondant sur des affidavits et sur la transcription de contre-interrogatoires, je ne décèle rien en l’espèce qui permettrait de discréditer l’un ou l’autre des témoins experts que les parties ont fait entendre ou qui permettrait de mettre en doute leur aptitude à témoigner dans les champs de compétence requis. De fait, tous les témoins qui sont venus à la barre semblaient très compétents et généralement objectifs dans le témoignage d’opinion qu’ils ont donné. Je vais tenter d’exposer dans les présents motifs les réserves que j’ai pu avoir sur certains aspects de leur témoignage.

 

Acyclovir et ses esters promédicaments

[7]               L’acyclovir est un agent antiviral dont on sait depuis un certain temps qu’il est efficace pour le traitement de diverses infections virales, par exemple l’herpès. Bien que l’acyclovir soit administré par voie orale, sa biodisponibilité est faible, de sorte que seulement de 15 % à 20 % d’une dose donnée est effectivement absorbée dans le sang. La biodisponibilité de l’acyclovir est également limitée lorsqu’il est utilisé dans des solutions aqueuses, comme des gouttes ophtalmiques et des solutions pour injection. La principale difficulté liée à l’utilisation d’acyclovir en solution aqueuse réside dans sa faible solubilité. Essentiellement, il n’est pas possible de dissoudre suffisamment d’acyclovir pour obtenir une concentration permettant d’administrer la dose nécessaire dans une formulation comme une goutte ophtalmique, qui, par définition, ne consiste qu’en un très faible volume de liquide. Ces limitations sur le plan de la biodisponibilité ont mené les chercheurs à tenter de trouver des médicaments plus efficaces.

 

[8]               L’une des méthodes connues permettant de contourner les limites de biodisponibilité d’un médicament comme l’acyclovir est de lier la molécule active à un autre composé, que l’on appelle groupement temporaire (souvent un acide aminé), pour créer un promédicament. Le valacyclovir est un promédicament formé par l’association moléculaire de l’acyclovir à l’acide aminé L‑valine.

 

[9]               L’idée qui sous‑tend la mise au point d’un promédicament est que le groupement temporaire permettra au médicament actif d’atteindre le site d’action de façon plus efficace. En 1987, la supériorité d’un promédicament vis‑à‑vis du médicament d’origine sur le plan de l’activité était généralement attribuée à une absorption optimale ou plus équilibrée. Dans un article paru en 1985, Hans Bundgaard[1] décrit de façon détaillée la faisabilité de la mise au point de promédicaments dans le but d’obtenir certaines propriétés d’absorption précises, y compris l’analyse suivante au sujet de la mise au point éventuelle de promédicaments à base d’acyclovir :

                        [traduction]

9.3               Promédicaments à base d’acyclovir spécifiques d’enzymes

 

L’acyclovir (150) est un agent antiherpétique efficace qui présente une activité antivirale hautement sélective après conversion en la forme phosphorylée active par le biais d’une thymidine kinase spécifique du virus [423 – 425]. La biodisponibilité de l’acyclovir est cependant faible, seuls 10 % à 20 % de la dose orale étant absorbée chez l’humain [426 – 429]. Ce phénomène est le plus vraisemblablement attribuable à la faible solubilité aqueuse et à la lipophilie du composé. On a étudié la possibilité d’utiliser le congénère 6‑désoxy‑6‑amino (151) de l’acyclovir comme promédicament en vue d’améliorer la biodisponibilité orale de l’acyclovir [430]. Ce promédicament est désaminé par l’adénosine désaminase [431] pour libérer l’acyclovir, mais l’administration de doses orales à des chiens et à des rats n’a entraîné qu’une modeste augmentation du taux plasmatique d’acyclovir par rapport aux taux obtenus à l’aide de l’acyclovir non modifié [430]. Le 6‑désoxyacyclovir (152), récemment mis au point par Krenitsky et coll. [432], pourrait s’avérer de loin supérieur. Ce promédicament est 18 fois plus soluble que l’acyclovir dans l’eau et est oxydé rapidement in vivo par la xanthine oxydase pour libérer le médicament mère. Des études préliminaires menées chez le rat et l’humain ont montré que le 6‑désoxyacyclovir est absorbé rapidement après une administration par voie orale (biodisponibilité de cinq à six fois supérieure à celle de l’acyclovir) [432, 432a]. Le promédicament est également susceptible d’être oxydé par l’aldéhyde oxydase pour former la molécule inactive 8‑hydroxy‑6‑désoxyacyclovir, mais cette oxydation non activatrice ne joue apparemment qu’un rôle mineur en comparaison de l’oxydation activatrice par la xanthine oxydase [432].

 

 

[10]           Les promédicaments sont conçus de façon que le groupement temporaire (en l’occurrence, l’ester d’acide aminé) soit hydrolysé ou clivé à un moment précis après son absorption dans l’organisme. Les preuves dont je dispose laissent fortement entendre que la stratégie utilisée à l’époque pour fabriquer des promédicaments consistait habituellement à utiliser l’un des 20 acides aminés protéinogènes naturels comme groupement temporaire, car on savait que le corps humain avait des enzymes qui pouvaient reconnaître et cliver ces acides aminés et parce que les acides aminés résultants, une fois clivés, ne seraient pas toxiques chez l’humain.

 

[11]           On savait donc que l’utilisation de promédicaments était une stratégie potentiellement utile pour résoudre les problèmes de solubilité, de stabilité et de perméabilité associés à un composé mère. C’est pour accroître la solubilité limitée de l’acyclovir que les dérivés « ester d’acide aminé » de l’acyclovir ont été mis au point par GSK et revendiqués en tant que promédicaments dans le brevet 493.

 

Brevet 493

[12]           Le brevet 493 revendiquait un monopole relativement à une classe de « nouveaux esters » de la 9‑(2-hydroxyéthoxyméthyl)guanine (c.‑à‑d. l’acyclovir), dont la formule générale est la suivante :

 

où X représente un atome d’oxygène ou de soufre, R1 représente un groupement hydroxyle ou amine, R2 représente un atome d’hydrogène ou un groupement ‑CH2OR3a, et R3 et R3a, lesquels peuvent être des radicaux différents ou un même radical, représentent un radical acyle d’acide aminé.

 

[13]           L’invention revendiquée visait l’utilisation de composés correspondant à la formule générale ci‑dessus, ainsi que des sels pharmaceutiquement acceptables, [traduction] « pour le traitement ou la prophylaxie d’une maladie virale chez l’animal, par exemple un mammifère comme l’humain ». Dans le mémoire descriptif du brevet, les composés sont décrits comme suit :

                        [traduction]

Les composés privilégiés selon l’invention sont notamment ceux où R1 représente un groupement hydroxyle, R2 représente un atome d’hydrogène et X représente un atome d’oxygène, c’est‑à‑dire des dérivés « ester d’acide aminé » de l’acyclovir et leurs sels pharmaceutiquement acceptables.

 

En ce qui concerne le ou les radicaux acyle d’acide aminé, représentés par R3 et/ou R3a, ceux‑ci seraient de préférence dérivés d’un acide aminé aliphatique, par exemple la glycine, l’α‑alanine ou la β‑alanine.

 

 

[14]           On a dit de ces nouveaux esters [traduction] « qu’ils ont étonnamment une solubilité aqueuse supérieure à celle de l’acyclovir, ce qui permet l’utilisation de ces dérivés à plus grande échelle que l’acyclovir dans les préparations aqueuses ». Cette caractéristique quant à la solubilité est considérée comme une amélioration par rapport à l’acyclovir, dont l’inventeur a dit [traduction] « qu’il présente le désavantage d’être peu soluble dans l’eau ». L’inventeur a déclaré de surcroît que cette amélioration avantageuse de la solubilité aqueuse par rapport à l’acyclovir ne réduit pas l’activité antivirale de la substance. L’invention revendiquée ne consistait donc pas en la découverte de nouveaux antiviraux, mais plutôt en la découverte de promédicaments à base d’acyclovir qui permettaient une administration plus efficace de l’acyclovir en solution aqueuse.

 

[15]           Bien que l’on décrive, dans le brevet 493, les nouveaux esters de l’acyclovir comme étant [traduction] « particulièrement utiles pour la formulation de préparations pharmaceutiques aqueuses, comme les gouttes ophtalmiques et les préparations pour injection », le mémoire descriptif précisait que [traduction] « les composés actifs peuvent être administrés par toute voie convenant au traitement de l’affection en cause […] y compris les voies orale, rectale, nasale, topique, […] vaginale et parentérale […] ». En ce qui concerne l’administration par voie orale des nouveaux esters, le mémoire descriptif du brevet précisait ce qui suit :

[traduction]

Les formulations de la présente invention destinées à une administration par voie orale peuvent être offertes sous forme de capsules, de cachets ou de comprimés contenant chacun une quantité prédéterminée de l’ingrédient actif, sous forme de poudre ou de granules, sous forme de solution ou en suspension dans une solution aqueuse ou non aqueuse, ou sous forme d’une émulsion liquide d’huile dans l’eau ou d’eau dans l’huile. L’ingrédient actif peut également être offert sous forme de bol, d’électuaire ou de pâte.

 

Brevet 083

[16]           Dans son brevet 083, GSK revendiquait le composé valacyclovir (c.‑à‑d. l’ester de L‑valine de l’acyclovir) présenté comme un dérivé du genre « ester d’acide aminé aliphatique » de l’acyclovir revendiqué dans le brevet 493. La découverte exposée dans le brevet 083 était que le valacyclovir [traduction] « présentait étonnamment une meilleure biodisponibilité après une administration orale en comparaison des esters d’alanine et de glycine mentionnés [dans le brevet 493] ». Le mémoire descriptif précisait également que l’acyclovir, bien qu’il possède une forte activité antivirale, est peu soluble dans l’eau et peu absorbé dans le tractus gastro‑intestinal. Les inventeurs ont reconnu l’utilité du brevet 493 en ce qui concerne le problème de solubilité de l’acyclovir, mais maintiennent, du moins par inférence, que la biodisponibilité orale du produit demeure limitée. Le mémoire descriptif du brevet présentait également les observations suivantes en ce qui concerne l’invention :

[traduction]

Dans le cadre d’essais visant à mesurer, chez le rat, le pourcentage de récupération d’acyclovir dans les urines (par rapport à la dose orale administrée), les composés de l’invention sont beaucoup mieux absorbés dans l’intestin que les autres esters et que l’acyclovir. Il est ainsi possible d’obtenir des concentrations plasmatiques équivalentes en administrant des doses orales moins importantes. Le composé L‑valinate est particulièrement privilégié en raison de son absorption intestinale particulièrement bonne.

 

En plus de sa biodisponibilité relativement élevée, le produit possède, selon l’invention, pratiquement le même effet antiviral in vitro que l’acyclovir. L’augmentation avantageuse de la biodisponibilité du produit ne se fait donc pas aux dépens de son activité antivirale. En effet, dans diverses applications cliniques tel le traitement de la kératite stromale, l’effet thérapeutique de certains esters d’acides aminés est supérieur à celui de l’acyclovir (EP 99493).

 

Les sels pharmaceutiquement acceptables des composés de la formule (I) sont de préférence des sels d’addition avec un acide approprié, comme l’acide chlorhydrique, sulfurique, phosphorique, maléique, fumarique, citrique, tartrique, lactique, acétique ou p‑toluènesulfonique. Le chlorhydrate du composé de formule (I) est particulièrement privilégié.

 

Dans des essais menés sur des animaux, on a découvert que l’administration orale des composés de la formule (I) ci‑dessus mène à la libération de quantités mesurables d’acyclovir dans le plasma. Par conséquent, selon un autre aspect de l’invention, nous offrons un moyen de produire de l’acyclovir in vivo, chez les mammifères, par l’administration de composés de la formule (I) ci‑dessus ou de l’un de ses sels pharmaceutiquement acceptables.

 

 

Les données de recherche présentées dans le brevet 083 à l’appui de l’avantage du valacyclovir sur le plan de la biodisponibilité orale sont fournies dans l’exemple suivant tiré du mémoire descriptif :

[traduction]

Détermination de la biodisponibilité orale

 

On a administré le composé à l’étude par gavage à des rats Long Evans, à une dose équivalant à 25 mg d’acyclovir par kilogramme. Les urines ont été prélevées 24 heures et 48 heures après l’administration de la dose, puis ultrafiltrées et analysées par chromatographie liquide haute performance en phase inverse. La biodisponibilité orale du composé est exprimée en pourcentage de la dose éliminée dans les urines sous la forme d’acyclovir.

 

Composé

 

 

Exemple 1 [valacyclovir]

 

Acyclovir (ACV)

 

Ester glycylique de l’ACV
[ester de glycine]

 

Ester L‑alanylique de l’ACV [ester d’alanine]

Pourcentage de la dose récupérée dans les urines sous forme d’acyclovir

 

63

 

15

 

30

 

 

34

 

 

[17]           Il convient de souligner qu’on ne trouve aucune mention dans le brevet 083 selon laquelle le valacyclovir a ou pourrait avoir des avantages surprenants ou inattendus quant à la biodisponibilité par rapport aux composés revendiqués dans le brevet 493, outre les esters de glycine et d’alanine à l’étude.

 

II.        Question

[18]           Le brevet 083 visant le valacyclovir est‑il un brevet de sélection valide?

 

III.       Analyse

Quelle est l’envergure du genre visé par le brevet 493?

[19]           L’un des grands principes de la loi de la sélection est que l’on peut choisir tant parmi une classe comptant deux éléments que parmi une classe en comptant des milliers. Ainsi, il n’est pas nécessaire de définir de façon précise l’envergure de la classe de composés visée par le brevet 493, car il est entendu par les parties que, quelle qu’en soit l’envergure ou la constitution, la classe de composés visée par le brevet 493 englobe le valacyclovir. Le nombre de composés faisant partie d’une classe donnée dans un brevet d’origine constitue toutefois un facteur permettant de déterminer si la sélection était évidente : voir Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc. 2007 CF 455, 58 C.P.R. (4th) 353, par. 306. J’ajouterais que le nombre d’éléments formant un genre donné joue également dans l’évaluation du caractère surprenant ou inattendu de l’avantage associé à un composé du genre en question par rapport aux autres éléments du genre. En d’autres termes, lorsqu’un genre comporte un nombre relativement peu élevé d’éléments et/ou qu’une proportion considérable des éléments du genre ont été analysés, il peut être plus facile de prédire que l’on ne trouvera pas un tel avantage dans un nombre important des autres éléments du genre en question. De façon réciproque, il peut être plus difficile de faire une prédiction fiable lorsque le genre comporte un grand nombre d’éléments.

 

[20]           La société GSK soutient que la classe de composés visés par le brevet 493 est quasi infinie parce qu’elle englobe tous les acides aminés aliphatiques, y compris les acides aminés de synthèse. La société affirme qu’une personne versée dans l’art comprendrait que la classe peut être élargie en ajoutant systématiquement des groupements CH2 à l’acide aminé le plus simple : la glycine. Selon Pharmascience, le genre du brevet 493 est limité à cinq acides aminés naturels (c.‑à‑d. la glycine, l’alanine, la valine, l’isoleucine et la leucine), lesquels sont aliphatiques et sont utilisés par le corps humain pour fabriquer des protéines, de même qu’un autre acide aminé fabriqué in vivo chez l’humain, à savoir la β‑alanine.

 

[21]           Je suis persuadé que l’interprétation de l’envergure du brevet 493 par la société GSK est correcte. La revendication no 1 de ce brevet porte sur des composés correspondant à une formule générale selon laquelle une molécule d’acyclovir est jointe, à la position R3, à [traduction] « un radical acyle d’acide aminé ». Cette revendication n’est pas qualifiée davantage ni limitée. Au sens strict, le terme « acide aminé » engloberait tout composé organique, naturel ou synthétique, ayant au moins un groupement amine (‑NH2) et au moins un groupement carboxyle (‑COOH). Bien que l’on mentionne, dans le mémoire descriptif du brevet, une préférence pour les dérivés d’un [traduction] « acide aminé aliphatique, p. ex. la glycine, l’α‑alanine ou la β‑alanine », j’accepte les preuves fournies par GSK voulant que la référence à un « acide aminé aliphatique » ne désigne pas seulement un sous‑ensemble de cinq des 20 acides aminés utilisés pour fabriquer les protéines dans l’organisme, mais qu’elle englobe plutôt tout acide aminé dans lequel les atomes de carbone seraient liés entre eux dans une chaîne ouverte plutôt que dans un cycle.

 

[22]           Je reconnais qu’une personne versée dans l’art pourrait avoir tendance à privilégier les 20 acides aminés protéinogènes chez l’humain pour fabriquer un promédicament de l’acyclovir, mais il était toutefois connu dans l’état antérieur de la technique que les stratégies efficaces de fabrication de promédicaments ne sont pas limitées aux acides aminés naturels ou aux acides aminés protéinogènes chez l’humain, ni encore aux groupements temporaires entièrement non toxiques.

 

[23]           Il existe une autre anomalie en ce qui concerne l’interprétation suggérée par Pharmascience qui découle de l’exemple de la β‑alanine fourni dans le brevet 493. Si l’α‑alanine est l’un des 20 acides aminés utilisés par l’organisme pour fabriquer des protéines, ce n’est pas le cas de la β‑alanine. Bien que la β‑alanine soit utilisée dans l’organisme, il ne s’agit que d’un acide aminé non protéinogène parmi plusieurs centaines d’acides aminés semblables, et sa présence dans la liste des exemples du brevet laisse entendre que l’invention revendiquée ne se limitait pas aux acides aminés aliphatiques qui figurent parmi les 20 acides aminés protéinogènes chez l’humain. Je reconnais que les cinq acides aminés aliphatiques protéinogènes chez l’humain sont souvent énumérés ensemble en tant que groupe homologue à des fins de description, mais cela n’explique pas la présence de la β‑alanine ou l’absence d’un énoncé descriptif dans le mémoire descriptif du brevet. Si l’inventeur avait voulu limiter la classe de composés revendiquée par le brevet 493, il n’aurait pas été compliqué de rédiger le brevet de façon à obtenir ce résultat. Il pourrait être intéressant de souligner que lorsque les Drs Mitra et Dordick ont tenté de limiter la classe de composés revendiquée par le brevet 493, ils ont fréquemment utilisé des termes tels que « de base », « simples », « courants » ou « naturels ». Mon examen des références bibliographiques fournies en tant que preuve ne révèle pas non plus de nomenclature ou de système de classification précis en ce qui concerne les acides aminés aliphatiques qui serait suffisant pour remplacer l’énoncé non descriptif de la revendication no 1 du brevet 493. Sur cette question, j’accepte la réponse du Dr Borchardt telle qu’elle est présentée ci‑dessous :

[traduction]

44.        Aux paragraphes 159 à 162 de son affidavit, le Dr Mitra laisse entendre qu’en plus des α‑acides aminés « glycine, alanine, valine, isoleucine et leucine », on trouve également dans l’organisme humain un β‑acide aminé, la « β‑alanine ». Par conséquent, le Dr Mitra avance que, pour une personne versée dans l’art, le groupe des « acides aminés aliphatiques » (selon la définition qu’il en donne) engloberait ce β‑acide aminé, et uniquement celui‑ci, en plus des cinq α‑acides aminés précédents. Ainsi, le Dr Mitra conclut qu’une personne versée dans l’art interpréterait le terme « acide aminé aliphatique », tel qu’il est utilisé dans la DBE 493, comme étant limité à six acides aminés aliphatiques, c’est‑à‑dire la glycine, l’alanine (α et β), la valine, l’isoleucine et la leucine.

 

45.        De même, aux paragraphes 72 à 77 et 120 à 122 ainsi qu’à l’annexe A de son affidavit, le Dr Dordick donne la même raison pour expliquer l’inclusion de la β‑alanine dans la définition du terme « acide aminé aliphatique » mentionnée dans la DBE 493.

 

46.        Rien ne laisse entendre dans la DBE 493 que le Dr DeClercq voulait limiter la classe privilégiée des « acides aminés aliphatiques » à ceux faisant partie du groupe des 20 acides aminés naturels dont l’organisme se sert pour synthétiser des protéines, et encore moins aux cinq acides aminés que PMS a mentionnés dans l’avis d’allégation, soit la glycine, l’α‑alanine, la valine, la leucine et l’isoleucine, ou les six acides aminés énumérés par les Drs Mitra et Dordick.

 

47.        Tout d’abord, par définition, un acide aminé est un composé qui comporte à la fois un groupement amine (‑NH2) et un groupement carboxyle (‑COOH). Les acides aminés peuvent être préparés synthétiquement ou naturellement. En 1987 par exemple, on connaissait environ 350 acides aminés aliphatiques naturels.

 

48.        Ensuite, même parmi les 20 acides aminés naturels utilisés par l’organisme pour fabriquer des protéines, la glycine, l’α‑alanine, la valine, la leucine et l’isoleucine ne sont pas les seuls acides aminés dits « aliphatiques ». Cela ne fait aucun doute à la lumière de bon nombre des références jointes à l’affidavit du Dr Mitra. Par exemple, la nouvelle référence relative à l’état antérieur de la technique présentée à l’onglet B37 de l’affidavit du Dr Mitra indique que 15 des 20 acides aminés naturels utilisés par l’organisme pour fabriquer les protéines sont considérés comme des « acides aminés aliphatiques ». De plus, la sérine et la thréonine figurent dans la définition des acides aminés aliphatiques protéinogènes donnée dans la référence à l’onglet B38. Les pages 90 et 91 de la référence à l’onglet B38 de l’affidavit du Dr Mitra sont fournies dans la pièce « G » de son affidavit.

 

49.        Le Dr DeClercq indique clairement que le terme « acides aminés aliphatiques », tel qu’il est utilisé dans la DBE 493, comprend la β‑alanine. Comme l’admettent les Drs Mitra et Dordick, la β‑alanine ne fait pas partie des 20 acides aminés naturels utilisés par l’organisme pour fabriquer des protéines. Par conséquent, il est illogique d’affirmer, comme ils le font, que le terme « acide aminé aliphatique », tel qu’il est utilisé dans la DBE 493, doit être limité à la glycine, à l’α‑alanine, à la valine, à la leucine et à l’isoleucine (lesquelles font toutes partie des 20 acides aminés naturels utilisés par l’organisme pour fabriquer des protéines), plus un β‑acide aminé, la β‑alanine, qui ne fait pas partie de ce groupe. Au minimum, la position des Drs Mitra et Dordick est une admission du fait que, pour le Dr DeClercq, le terme « acide aminé aliphatique » ne se limitait pas aux 20 acides aminés naturels dont il est question aux pages 2 et 3 de l’avis d’allégation.

 

50.        Par conséquent, la personne versée dans l’art qui lirait la DBE 493 comprendrait clairement que le terme « acide aminé aliphatique » englobe à la fois des acides aminés naturels et non naturels, et comprendrait certainement que ce terme ne se limite pas aux six acides aminés que PMS a choisis de façon arbitraire pour soutenir sa position.

 

Évidence et antériorité

[24]           La preuve présentée m’a convaincu que l’avantage sur le plan de la biodisponibilité présenté comme étant la sélection inventive du brevet 083 n’était ni antérieur ni évident.

 

[25]           Pharmascience soutient que le brevet 083 était antériorisé par la divulgation du brevet 493, dans lequel on pouvait trouver toute l’information nécessaire pour produire le valacyclovir et pour en apprécier l’avantage sur le plan de la biodisponibilité. Pharmascience fait également valoir que la sélection inventive du valacyclovir était évidente et que les efforts de GSK visant à breveter un composé qu’elle avait déjà monopolisé constituent un double brevet, ce que l’on appelle également un « renouvellement à perpétuité ».

 

[26]           Les critères juridiques de l’antériorité et de l’évidence sont bien connus en droit des brevets. Qu’il suffise de dire qu’il n’est pas facile de satisfaire à l’un ou à l’autre.

 

[27]           On trouve une formulation souvent citée du critère de l’antériorité dans le passage suivant de l’arrêt Beloit Canada Ltd. et autre c. Valmet Oy, (1986) 8 C.P.R. (3d) 289, 64 N.R. 287 (C.A.F.) :

On se souviendra que celui qui allègue l'antériorité, ou absence de nouveauté, prétend que l'invention était connue du public avant la date pertinente. L'enquête porte sur l'invention litigieuse elle-même et non, comme dans le cas de l'évidence, sur l'état de la technique et des connaissances générales. De plus, ainsi qu'il ressort du passage précité de la Loi, l'antériorité doit se trouver dans un brevet particulier ou dans un autre document publié; il ne suffit pas de recueillir des renseignements à partir de diverses publications antérieures et de les ajouter les uns aux autres et d'en arriver à l'invention revendiquée. Il faut en effet pouvoir s'en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l'invention revendiquée sans l'exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d'une clarté telle qu'une personne au fait de l'art qui en prend connaissance et s'y conforme arrivera infailliblement à l'invention revendiquée. Lorsque, comme c'est le cas ici, l'invention consiste en une combinaison de plusieurs éléments connus, une publication qui ne révèle pas la combinaison de tous ces éléments ne peut avoir un caractère d'antériorité.

 

 

[28]           On trouve un résumé utile des règles de droit relatives à l’évidence dans le passage suivant de l’arrêt Janssen-Ortho Inc. c. Novopharm Ltd., 2007 CAF 217, 59 C.P.R. (4th) 116 :

23      Le critère juridique admis de l'évidence a été formulé comme suit par le juge Hugessen à la page 294 de l'arrêt‑clé Beloit Canada Ltd. et al. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.) :

 

La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit. Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur Tout-le-Monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C'est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

 

24            L'examen que commande le critère Beloit est de nature factuelle et fonctionnelle et doit être guidé par la preuve d'expert touchant les compétences pertinentes de la personne hypothétique normalement versée dans l'art et l'état de la technique à l'époque pertinente. Il convient d'évaluer attentivement la crédibilité et la fiabilité de cette preuve d'expert. Il ne faut en effet jamais oublier la mise en garde classique que fait le juge Hugessen contre la sagesse rétrospective à la page 295 de Beloit :

 

Une fois qu'elles ont été faites, toutes les inventions paraissent évidentes, et spécialement pour un expert du domaine. Lorsque cet expert a été engagé pour témoigner, l'infaillibilité de sa sagesse rétrospective est encore plus suspecte. Il est si facile de dire, une fois que la solution préconisée par le brevet est connue : « j'aurais pu faire cela »; avant d'accorder un poids quelconque à cette affirmation, il faut obtenir une réponse satisfaisante à la question : « Pourquoi ne l'avez-vous pas fait? »

 

25      Il n'existe aucune question factuelle ni aucun ensemble de telles questions qui puisse décider de l'issue de toutes les affaires ou même d'une seule. Le juge Hugues, au paragraphe 113 de son exposé des motifs, propose une liste de facteurs à prendre en considération lorsque la validité d'un brevet est contestée au motif de l'évidence. Cette liste paraît avoir été établie à la suite d'une revue de nombreuses décisions rendues au Canada, aux États-Unis et au Royaume‑Uni. Malgré le débat incessant sur le point de savoir si le critère juridique de l'évidence est le même dans ces trois pays, la liste de facteurs proposée par le juge Hugues me semble utile pour orienter la recherche nécessaire des faits et en tant que cadre de l'analyse à laquelle ces faits doivent être soumis. Voici une version remaniée de cette liste :

 

    Principaux facteurs

 

1. L’invention

 

La question porte sur la revendication telle que la Cour l’interprète.

 

2. La personne hypothétique versée dans l’art dont parle Beloit

 

Il faut définir le profil de la personne hypothétique normalement versée dans l’art (ou personne du métier).

 

3. Les connaissances que possède la personne hypothétique normalement versée dans l’art

 

La somme des connaissances courantes que possède la personne hypothétique normalement versée dans l’art comprend ce qu’on peut légitimement s’attendre à ce qu’elle sache et soit capable de trouver. On suppose que cette personne est raisonnablement diligente dans ses efforts pour se tenir au courant des progrès réalisés dans le domaine dont relève le brevet (Whirlpool, au paragraphe 74). Les connaissances présumées de la personne du métier hypothétique évoluent et s’accroissent constamment. Les connaissances ne sont pas toutes consignées dans des publications. Inversement, toutes les connaissances ainsi consignées ne font pas partie des connaissances que la personne du métier moyenne est censée posséder ou pouvoir trouver.

 

 

4. Le climat régnant dans le domaine en question à l’époque où l’invention supposée a été faite

 

L’état général de la technique comprend non seulement les connaissances et l’information, mais aussi les attitudes, les tendances, les préjugés et les attentes.

 

5. La motivation qui, à l’époque où l’invention supposée a été faite, incitait à résoudre un problème reconnu

 

La « motivation », dans ce contexte, peut signifier la raison pour laquelle l’inventeur supposé a fait l’invention supposée, ou encore la raison pour laquelle on pouvait légitimement s’attendre à ce que la personne hypothétique normalement versée dans l’art associât des éléments de l’état de la technique pour aboutir à l’invention supposée. S’il existe dans le domaine en question un problème déterminé que tous les spécialistes de ce domaine essaient de résoudre (une motivation générale), il peut se révéler plus probable que la solution, une fois trouvée, ait exigé de l’inventivité. Par ailleurs, s’il s’agit d’un problème que seul l’inventeur supposé essayait de résoudre (une motivation particulière ou personnelle) et que personne d’autre ne voyait de raison d’aborder, il peut s’avérer plus probable aussi que la solution ait demandé de l’inventivité. Cependant, si des concepts courants et des techniques éprouvées pouvaient mener à la solution, la possibilité peut se trouver réduite que la solution ait nécessité de l’inventivité.

 

6. Le temps et les efforts qu’a exigés l’invention supposée

 

Le temps et les dépenses consacrés à l’invention peuvent être des indicateurs d’inventivité, mais ce ne sont pas des facteurs déterminants, étant donné qu’une invention supposée peut être le fruit de la chance ou de la simple application non inventive de techniques courantes, si grande que soit la dépense de temps et d’argent que cette application ait nécessitée. Si l’on est arrivé à la solution en prenant des décisions peu nombreuses et de nature ordinaire, il se peut que cette solution n’ait pas exigé d’esprit inventif. En revanche, si les décisions à prendre étaient nombreuses, il peut y avoir eu inventivité dans le fait de prendre les bonnes.

 

Facteurs secondaires

 

Ces facteurs peuvent se révéler pertinents, mais on leur accorde en général moins de poids parce qu’ils se rapportent à des faits postérieurs à la date de l’invention supposée.

 

7. Le succès commercial

 

L’objet de l’invention a-t-il été accueilli rapidement et avec impatience par les consommateurs visés? Dans l’affirmative, on peut penser que beaucoup de gens étaient motivés pour répondre aux besoins du marché, ce qui peut laisser supposer la présence d’inventivité. Cependant, cet accueil peut aussi s’expliquer par d’autres facteurs tels qu’une bonne stratégie de marketing, la puissance commerciale et des caractéristiques étrangères à l’invention.

 

8. Les prix et autres récompenses

 

Les prix décernés au titre de l’invention supposée peuvent signifier que la collectivité des personnes versées dans l’art estime méritoire la réalisation en cause, ce qui peut être ou non signe qu’elle a nécessité de l’inventivité.

 

                                                                        […]

 

27      J'insiste sur le fait que cette liste est un instrument utile, mais rien de plus. Ce n'est pas une liste de règles juridiques à suivre à la lettre, pas plus qu'une liste exhaustive des facteurs pertinents. Il incombe au juge de première instance d'établir dans chaque affaire, en se fondant sur la preuve, son bon jugement et sa raison, le poids qu'il convient d'attribuer (le cas échéant) aux facteurs de cette liste et à tous autres facteurs qui peuvent être portés à son attention.

 

28      Je voudrais aussi répéter l'avertissement du juge Hugues selon lequel il faut se garder de considérer comme des règles de droit les lieux communs tirés de cette liste ou de la jurisprudence. Je souscris aux observations suivantes qu'il formule au paragraphe 113 de son exposé des motifs :

À cet égard, les tribunaux utilisent parfois des expressions comme « valant la peine d'être tenté », « directement et facilement » ou « examens de routine ». Il est inutile d'employer des expressions de ce genre car elles ont tendance à se glisser dans des énoncés de droit ou des déclarations de témoins experts. Le juge Sachs a désapprouvé l'utilisation de telles expressions dans General Tire & Rubber Company c. Firestone Tyre & Rubber Company Limited, [1972] R.P.C. 195 aux pages 211‑212.

 

 

[29]           J’ai examiné attentivement le brevet 493 et je reconnais qu’il n’antériorise pas la sélection du valacyclovir en tant que médicament présentant une meilleure biodisponibilité après administration par voie orale.

 

[30]           Le brevet 493 dévoilait l’utilisation de divers esters de l’acyclovir en tant que promédicaments[2] pour améliorer la solubilité en vue d’une utilisation principalement dans des formulations aqueuses de petit volume. Les travaux menés par l’inventeur et la solution dévoilée par le brevet 493 portaient clairement sur la résolution du problème de solubilité de l’acyclovir dans de telles formulations.

 

[31]           Sur cette question, j’accepte l’interprétation suivante du brevet 493 fournie par le Dr Borchardt, laquelle me paraît conforme aux preuves scientifiques globales :

[traduction]

La stratégie utilisée dans la DBE 493 pour accroître la solubilité aqueuse de l’acyclovir est identique à la stratégie utilisée par d’autres chimistes médicinaux dans les années 1980 pour accroître la solubilité d’autres médicaments insolubles dans l’eau, y compris le métronidazole (Bundgaard et coll., 1984 [Avis d’allégation, annexe A, document 34]; Bundgaard et coll., 1984 (Avis d’allégation, annexe A, document 35]; Cho et Haynes, 1985), les corticostéroïdes (Kawamura et coll., 1971; Anderson et coll., 1985; Johnson et coll., 1985 [Avis d’allégation, annexe A, document 50]), et le paracétamol (Kovach et coll., 1981 [Avis d’allégation, annexe A, document 23]). Tous ces travaux étaient axés sur l’utilisation d’esters dans des formulations topiques ou injectables, c’est‑à‑dire des formulations devant être administrées par une voie autre qu’orale. L’amélioration de la solubilité aqueuse de l’acyclovir, comme celle de ces autres médicaments insolubles dans l’eau, afin d’élaborer des formulations aqueuses pouvant être instillées dans les yeux ou injectées est un objectif très différent de celui d’améliorer la biodisponibilité orale d’un médicament.

 

Cette interprétation était également corroborée par le passage suivant tiré du contre‑interrogatoire du Dr Borchardt :

[traduction]

Q.        Mais en ce qui concerne les modes d’absorption que vous avez décrits ici, lorsqu’on administre un médicament par voie topique, les mêmes principes que nous voyons au paragraphe 84 s’appliqueraient‑ils ici, à savoir qu’il y aurait diffusion transcellulaire et paracellulaire? Cela s’appliquerait‑il aux yeux et à la peau?

 

R.         Une fois de plus, il y a d’importantes différences entre ces barrières, par exemple en ce qui concerne le nombre de couches de cellules, le contenu en lipides de ces cellules, la capacité métabolique de ces cellules, ainsi que les jonctions et les jonctions serrées associées à ces cellules.

 

Q.        Vous pouvez peut‑être répondre à la question. J’en déduis que lorsqu’il est question d’administrer un médicament par voie topique nous ferions face à la même situation que nous voyons ici au paragraphe 84. Il y aura division paracellulaire, il y aura des couches de lipides et des canaux d’eau, est‑ce exact?

 

R.         Une fois de plus, je crois qu’il y a des différences très importantes et que l’on ne peut faire de généralisation en ce qui concerne les caractéristiques des barrières que sont la muqueuse intestinale et la peau.

 

[32]           J’admets que le brevet 493 reconnaît également l’utilisation d’esters de l’acyclovir en vue d’une administration par voie orale, mais il n’y a rien d’autre pour donner à penser à une personne versée dans l’art que ces composés auraient une meilleure biodisponibilité orale que l’acyclovir. Pour appliquer le critère juridique actuel, je ne suis pas d’avis que le brevet 493 renferme une indication claire telle qu’une personne versée dans l’art qui la lirait et la suivrait comprendrait dans chaque cas et sans possibilité d’erreur que le brevet 083 promet une meilleure biodisponibilité orale.

 

[33]           Bien qu’elle l’ait allégué dans son avis d’allégation, Pharmascience n’a pas passé beaucoup de temps à faire valoir le fait que le brevet canadien no 1 258 149 (le brevet 149) détruisait la nouveauté de l’invention ou qu’il décrivait l’état antérieur de la technique. Le brevet 149 revendiquait une classe comptant de très nombreux composés, mais ne visait pas les promédicaments, et encore moins les dérivés « ester d’acide aminé » de l’acyclovir. Malgré le fait qu’une personne versée dans l’art pourrait, par hasard, trouver le valacyclovir parmi les milliers de composés inclus dans le genre visé par le brevet 149, ce brevet n’indiquait aucunement que le valacyclovir pourrait avoir une biodisponibilité orale accrue. Puisqu’on en est arrivé à la conclusion que le brevet 493 n’antériorisait pas l’avantage revendiqué par le brevet 083, il va sans dire que le brevet 149 n’aide pas Pharmascience. Sur ce point, je souscris aux preuves fournies par le Dr Borchardt aux paragraphes 158 à 165 de son affidavit, selon lesquelles le brevet 149 ne dévoilait pas l’objet décrit dans le brevet 083.

 

[34]           En ce qui concerne la question de l’évidence, les parties ont adopté des positions diamétralement opposées en ce qui a trait à l’interprétation de l’état antérieur de la technique. Selon Pharmascience, l’état antérieur de la technique et les connaissances générales courantes mèneraient facilement une personne versée dans l’art à la solution exposée dans le brevet 083, à savoir que le valacyclovir aurait une meilleure disponibilité orale que les deux autres esters de l’acyclovir testés. Quant à GSK, la société croit que l’état antérieur de la technique et les connaissances générales courantes faisaient non seulement en sorte que les avantages du valacyclovir sur le plan de la biodisponibilité orale étaient impossibles à prévoir, mais également qu’elles ne mèneraient pas une personne versée dans l’art à faire une telle supposition. Comme dans bien des cas semblables, il me semble que la vérité doit se trouver entre ces deux positions.

 

[35]           Le fait que les connaissances scientifiques actuelles sur la question de la biodisponibilité orale du valacyclovir réfutent la majeure partie de ce que l’on croyait dans les années 1980 vient compliquer le présent cas. En 1987, on croyait que la perméabilité de telles molécules dépendait entièrement d’un phénomène de transport transcellulaire et paracellulaire passif (diffusion entre ou à travers les cellules). On sait toutefois aujourd’hui que le valacyclovir et un certain nombre d’autres médicaments sont transportés de façon active à travers la membrane cellulaire dans l’intestin et non de façon passive. Cette découverte a placé l’ensemble des experts dans la position relativement difficile de décrire l’opinion d’une personne versée dans l’art fictive dont on aurait ensuite prouvé qu’elle avait tort. Il va sans dire que cette découverte avait le potentiel de teinter le témoignage présenté par l’ensemble des témoins, et cela s’est avéré dans une certaine mesure.

 

[36]           Selon GSK, il n’aurait pas été évident pour une personne versée dans l’art de se tourner vers les dérivés « ester d’acide aminé » de l’acyclovir pour résoudre le problème de biodisponibilité de l’acyclovir. Pour faire cette déclaration, GSK se fonde sur le fait que l’on sait que ces composés ne sont pas de bons candidats pour un transport passif à travers la paroi intestinale. Selon GSK, personne ne serait porté à se tourner vers ces produits pour améliorer l’absorption de l’acyclovir.

 

[37]           Toutefois, selon les preuves dont je dispose, il semble y avoir eu de bonnes raisons pour que GSK se penche sur l’utilisation potentielle du valacyclovir et d’autres esters de l’acyclovir pour améliorer la biodisponibilité orale de l’acyclovir. Par exemple, le brevet 493 dévoilait que les dérivés « ester d’acide aminé » de l’acyclovir seraient plus solubles que l’acyclovir et que, à des doses plus élevées, cette propriété améliorerait leur capacité de traverser la membrane des cellules épithéliales intestinales. De plus, la mise au point de promédicaments était vue comme une stratégie visant à résoudre des problèmes de solubilité, de stabilité ou de perméabilité d’un médicament mère, et l’utilisation de composés associés à des acides aminés naturels aux fins de cette stratégie était un moyen acceptable d’éviter des problèmes de toxicité chez l’humain. Il avait également été démontré, au moins depuis 1982, que les esters de l’acyclovir présentaient de bonnes propriétés d’hydrolyse en application topique : voir Colla et coll., Synthesis and Antiviral Activity of Water-Soluble Esters of Acyclovir ([1983] 26 J. Med. Chem. 603). GSK pourrait également s’être attendue à ce que la valine améliore la perméabilité davantage que l’acyclovir et les deux autres acides aminés qu’elle a examinés en raison de son plus grand coefficient de partage[3]. Une personne versée dans l’art aurait également été encouragée dans une certaine mesure par la perméabilité apparente des promédicaments à base d’acyclovir vis‑à‑vis de la membrane des yeux, tel qu’exposé dans le brevet 493.

 

[38]           Malgré le fait qu’une personne versée dans l’art se serait également attendue à ce que le pKa[4] des esters de l’acyclovir (7,5) représente un obstacle potentiel à l’absorption dans la partie supérieure du tractus intestinal, l’importance de cet obstacle se serait atténuée à mesure que les composés se déplacent dans l’intestin, où le pH est plus favorable à l’absorption. Les preuves indiquent également qu’il n’y a pas de relation linéaire entre l’absorption et l’augmentation de la valeur du pH dans l’intestin, mais plutôt que l’absorption augmente de façon considérable à un pH supérieur à 6. Cela aurait donné à penser, à l’époque, que ces composés auraient été plus susceptibles d’être absorbés à mesure qu’ils se déplaçaient dans l’intestin.

 

[39]           Il est également important de souligner que, même si l’on savait que l’acyclovir était peu perméable, ce médicament était (et est toujours) utilisé en administration orale parce qu’il fonctionne. En conséquence, l’utilité d’un promédicament donné à base d’acyclovir ne réside pas dans son profil de biodisponibilité orale, mais plutôt dans la façon dont ce profil se compare à celui de l’acyclovir.

 

[40]           Nonobstant les indications précédentes au sujet de l’utilité potentielle du valacyclovir en tant que solution au problème de biodisponibilité orale de l’acyclovir, je ne suis pas d’avis que l’état antérieur de la technique sur cette question était suffisamment déterminant pour remplir le rigoureux critère d’évidence. Les meilleures preuves indiquent que la biodisponibilité orale des esters de l’acyclovir demeure imprévisible dans une large mesure. Il y a tout simplement trop de variables biologiques et chimiques en jeu pour que quiconque à cette époque puisse prédire directement et sans difficulté les propriétés du valacyclovir quant à sa biodisponibilité orale, que ce soit par rapport à l’acyclovir même ou par rapport aux autres esters de l’acyclovir.

 

[41]           Il me semble que les preuves présentées dans l’affidavit du Dr Borchardt caractérisent relativement bien le problème auquel une personne versée dans l’art en 1987 aurait à faire face relativement à la prévisibilité :

[traduction]

91.        De nombreux facteurs peuvent influer sur la biodisponibilité orale d’un médicament. Les facteurs qui auraient été bien compris par une personne versée dans l’art en 1987 sont notamment les suivants :

 

·                     la stabilité chimique et enzymatique du médicament dans l’estomac et l’intestin grêle;

 

·                     la solubilité aqueuse du médicament;

 

·                     l’interaction du médicament avec les aliments;

 

·                     l’absorption (perméabilité) du médicament, c’est‑à‑dire sa capacité de traverser la couche de cellules qui sépare l’intestin grêle (ou la « muqueuse intestinale ») du sang;

 

·                     la propension du médicament à être métabolisé dans la muqueuse intestinale et le foie (métabolisme de premier passage).

 

(Pang et Gillette, 1980; Benet et Sheiner, 1985a).

 

92.        Cependant, dans les années 1980, il aurait été impossible pour une personne versée dans l’art de savoir comment chacun de ces facteurs modifierait la biodisponibilité orale d’un candidat-médicament. Cela s’explique par le fait que les scientifiques de l’époque, lorsqu’ils élaboraient des médicaments, utilisaient une stratégie qui consistait à tester le produit avec des animaux vivants, ce qui ne pouvait que leur dire s’ils avaient réussi (biodisponibilité orale améliorée) ou échoué (biodisponibilité orale réduite ou faible), mais non pourquoi.

 

[…]

 

99.        Cependant, l’élaboration d’un ester promédicament pour accroître la biodisponibilité orale est un processus très complexe (Beaumont et coll., 2003). Comme il est illustré, l’ester promédicament doit être stable à la fois dans l’estomac et dans l’intestin grêle, deux milieux différents. Il doit être suffisamment soluble dans l’eau pour que la dose entière soit dissoute dans l’intestin. Il doit pouvoir résister aux enzymes [p. ex. peptides et protéases (qui clivent principalement des liens peptidiques) et estérases (qui clivent des liens esters)] dans l’estomac et l’intestin qui servent à digérer des protéines/peptides présentant des liens peptidiques et des lipides présentant des liens ester. Le promédicament doit être suffisamment perméable (liposoluble) pour pouvoir être absorbé dans le sang. Le promédicament doit ensuite pouvoir être rapidement converti en la forme mère. Les chimistes médicinaux et les chercheurs en pharmacologie étaient bien au courant de ces problèmes dans les années 1980, comme on peut le constater dans les articles de Sinkula et Yalkowsky (1975), de Stella et coll. (1985) et de Higuchi (1987).

 

[42]           Je crois que quelques exemples de l’incertitude associée à la prévision suffiront :

 

[43]           Le Dr Mitra a reconnu qu’une personne versée dans l’art aurait compris que l’acyclovir ne serait pas un bon candidat pour le transport transcellulaire en raison de son faible coefficient de partage. Dans son affidavit, il indiquait qu’un coefficient de 1,5 à 2,0 était nécessaire pour qu’il y ait une « absorption appréciable » par ce mécanisme. Le Dr Mitra a confirmé ce point dans le passage suivant de son affidavit :

[traduction]

Il semblait que l’acyclovir était absorbé à la fois par voie transcellulaire et par voie paracellulaire, cette dernière voie ayant joué un rôle majeur dans le cas des formulations orales et topiques (de très faibles quantités du médicament ont été absorbées par voie transcellulaire).

 

Ceci s’appliquerait également au valacyclovir, car son coefficient de partage se situe bien en deçà de l’intervalle nécessaire pour que l’absorption transcellulaire passive soit notable.

 

[44]           Selon le Dr Mitra, le seul autre mécanisme de transport que l’on pourrait prévoir dans le cas de l’acyclovir et du valacyclovir serait la voie paracellulaire. Comme le Dr Mitra, le Dr Borchardt a précisé qu’il s’agissait de la méthode d’absorption prévue dans le cas de l’acyclovir en 1986 (voir la page 58 de la transcription du contre-interrogatoire du Dr Borchardt), mais, selon lui, il s’agissait également d’un mécanisme « hautement restrictif ». Selon le Dr Borchardt, l’ajout de la valine à l’acyclovir pour créer le valacyclovir aurait pour effet de limiter encore davantage le transport par voie paracellulaire parce que cela ne ferait qu’accroître le poids moléculaire (et la taille) de l’acyclovir, lequel est déjà élevé (voir le paragraphe 212 de l’affidavit du Dr Borchardt). Selon l’autre expert de Pharmascience, le Dr Dordick, une personne versée dans l’art aurait compris que l’acyclovir ne traverserait vraisemblablement pas la paroi intestinale par voie paracellulaire en raison de sa taille moléculaire. Il va donc de soi que le valacyclovir serait encore moins susceptible d’emprunter la voie paracellulaire pour la même raison.

 

[45]           Toutes ces preuves me donnent à penser qu’on en savait alors très peu sur le transport des composés à travers la membrane cellulaire. Le fait que les experts n’étaient pas d’accord sur le mécanisme le plus probable de transport de l’acyclovir et du valacyclovir ainsi que des propriétés moléculaires qui inhiberaient ou faciliteraient ce processus semble indiquer, à mon avis, que les prévisions relatives à la perméabilité d’un composé donné étaient, à l’époque, très suspectes.

 

[46]           J’ajouterais également que même l’inventeur du brevet 493 n’avait pas prévu que les esters de l’acyclovir auraient une meilleure biodisponibilité orale que l’acyclovir lorsqu’il a publié un article sur le sujet en 1985, dans lequel il écrivait ce qui suit :

[traduction]

L’une des limites associées à l’ACV est sa faible absorption par voie orale (environ 20 % seulement). Après administration par voie orale, les concentrations plasmatiques d’ACV peuvent être suffisantes pour bloquer la réplication du HSV, mais non celle du VZV. Par conséquent, l’administration d’ACV par voie orale ne s’est pas révélée efficace contre les infections à VZV. Il est possible de résoudre le problème de la faible absorption de l’ACV lorsqu’il est administré par voie orale en utilisant du désoxy‑ACV, un promédicament de l’ACV (3), qui ne possède en lui‑même aucune activité antivirale, mais qui est très bien absorbé par voie orale puis converti en ACV par la xanthine oxydase. Les concentrations plasmatiques d’ACV obtenues avec 50 mg de désoxy‑ACV sont comparables à celles obtenues après l’administration de 400 mg d’ACV (4,5). Il reste toutefois à savoir si le désoxy‑ACV sera sans danger et efficace pour traiter les infections à VZV par voie orale.

 

[47]           Compte tenu des incertitudes scientifiques entourant les preuves dans le cas présent, je suis convaincu qu’il n’aurait pas été évident pour une personne versée dans l’art de déterminer que le valacyclovir aurait un quelconque avantage sur le plan de la biodisponibilité orale par rapport aux autres esters de l’acyclovir.

 

La loi de la sélection et de l’utilité

[48]           Les grands principes canadiens en ce qui concerne la loi de la sélection sont tirés en grande partie de l’arrêt célèbre et souvent cité In the Matter of I.G. Farbenindustrie A.G.’s Patents, (1930) 47 R.P.C. 283. Cette décision était l’une des premières à résumer entièrement la loi sur les brevets de sélection. La décision définit plusieurs principes devant être respectés pour qu’un brevet de sélection soit valide, notamment les suivants :

a)                  l’invention reposant sur une sélection doit [traduction] « ajouter un caractère substantiel à des connaissances existantes »;

b)                  le résultat obtenu ne doit pas être évident pour les personnes versées dans l’art;

c)                  la nature d’un brevet de sélection n’est pas différente de celle d’un autre type de brevet; aussi un brevet de sélection peut‑il être contesté pour les motifs usuels, à savoir des exigences relatives à l’objet, l’exigence de nouveauté, l’exigence d’utilité, etc.;

d)                  un brevet de sélection valide doit être fondé sur un avantage important qui sera garanti (ou un inconvénient qui sera évité) par l’utilisation de certains éléments restreints;

e)                  tous les éléments restreints doivent posséder l’avantage en question, sans quoi le brevet échouera pour cause d’insuffisance et de non‑utilité;

f)                    la sélection doit être effectuée en respectant la qualité d’une caractéristique spéciale qui peut être considérée comme particulière au groupe ou au composé choisi. Cette caractéristique spéciale ne doit pas être une caractéristique que les personnes versées dans l’art s’attendraient à trouver dans un grand nombre des éléments du genre;

g)                  le titulaire de brevet doit définir de façon claire la nature de la caractéristique que les composés choisis sont dits posséder.

 

[49]           On trouve un résumé utile plus récent des principes applicables aux brevets de sélection dans le contexte d’une demande d’avis de conformité dans la décision rendue par la juge Johanne Gauthier dans l’affaire Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., précité, où la juge explique, aux paragraphes 88, 89 et 90 :

88      De la lecture de la jurisprudence appliquée par la Cour d'appel fédérale, il apparaît que la nature de la sélection, qui suppose l'existence d'une classe comprenant le ou les composés sélectionnés, commande l'application d'une démarche particulière pour établir si le brevet antérieur portant sur cette classe laissait la possibilité de revendiquer ce ou ces composés en tant que nouveau (voir Du Pont, précité, aux pages 310 et 311). Si cette possibilité était effectivement ouverte, le brevet d'origine ne constitue pas une antériorité (voir les paragraphes 264 à 267 ci‑dessous), mais le ou les composés sélectionnés peuvent néanmoins être antériorisés par d'autres publications, auquel cas les principes habituels sont applicables. Il est également clair que l'activité inventive de la sélection réside dans la découverte que le ou les composés sélectionnés dans une classe connue (par exemple, celle qui fait l'objet du brevet 687) possèdent un avantage particulier qui ne pouvait être prévu avant cette découverte. Tous les composés sélectionnés doivent comporter un avantage « substantiel » (qui peut être l'absence d'un inconvénient présenté par d'autres membres de la classe connue), et cet avantage ne doit pas être tel que la personne du métier s'attendrait à le trouver dans un grand nombre des membres de la classe ou du genre déjà divulgué.

89     Le brevet de sélection est soumis à une autre condition spéciale : le ou les avantages doivent être explicitement décrits dans la divulgation du brevet. Cette condition se révèle particulièrement pertinente lorsque la Cour doit établir si le brevet est invalide au motif de l'insuffisance de la divulgation.

90     Bien que les brevets de sélection possèdent certains traits distinctifs, l'analyse de leur validité relève en grande partie des mêmes principes que ceux qui s'appliquent à toute autre catégorie de brevets. On leur applique, comme aux autres brevets, la présomption que l'invention (la sélection en l'occurrence) présente les caractères de la nouveauté, de l'inventivité et de l'utilité. De même, il est présumé dans leur cas aussi que la divulgation est suffisante pour permettre à la personne versée dans l'art de tirer pleinement parti de l'avantage procuré par l'invention. Il n'y aucune raison valable de poser des principes différents à l'égard des brevets de sélection s'agissant d'établir ce que la seconde personne doit spécifier dans son AA aux fins d'une instance relative à un avis de conformité.

 

[Renvois omis]

 

 

[50]           Je n’ai aucune difficulté avec l’idée que les brevets de sélection sont assujettis en principe aux mêmes règles que celles qui s’appliquent à tout autre type de brevet. Néanmoins, octroyer un nouveau monopole pour un promédicament déjà monopolisé par la même personne en raison de l’existence d’un présumé avantage inattendu ou utile ou d’une présumée propriété inattendue et utile comporte toutefois un danger évident. Ce danger est bien exprimé dans le passage suivant de l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, [2002] 4 R.C.S. 153 :

80     En toute déférence, j’estime que l’argument de Glaxo/Wellcome n’est conforme ni à la Loi (où la preuve de l’utilité requise n’est pas différée aléatoirement au moment où cette preuve pourrait être exigée) ni à la politique en matière de brevets (qui ne consiste pas à encourager l’accumulation de divulgations inutiles ou trompeuses).  Si l’état du droit était différent, les grandes sociétés pharmaceutiques pourraient (sous réserve de considérations relatives aux coûts) adopter une approche tous azimuts en faisant breveter une multitude de composés chimiques à toutes sortes de fins souhaitables mais non réalisées, dans l’espoir que, comme à la loterie, un certain pourcentage des composés s’avéreront, par un heureux hasard, utiles aux fins revendiquées.  Un tel système de brevets récompenserait la capacité de payer ainsi que l’ingéniosité des agents de brevets plutôt que celle des véritables inventeurs.

 

 

Cette mise en garde doit évidemment être mise en balance avec le souci opposé d’éviter que la découverte de nouveaux avantages soit réduite à néant par suite d’une application trop restrictive du monopole antérieurement accordé à un brevet (E. I. DuPont De Nemours & Co. [1982] F.S.R. 303 (Ch. des lords)).

 

[51]           Pour établir qu’un promédicament comporte un avantage particulier par rapport au genre d’éléments dont il fait partie, il faut que l’avantage ne se retrouve pas dans un grand nombre des éléments du même genre et qu’on ne puisse prévoir le trouver dans ce même genre. Cette précision, qui a été faite dans la décision Farbenindustrie, précitée, a été confirmée dans le passage suivant tiré de l’arrêt Dreyfus and Others Application (1945), 62 R.P.C. 125 (Ch. des lords), à la page 133 :

[traduction]

[…] L’invention, si invention il y a, doit comporter à tout le moins la découverte que les éléments choisis possèdent des qualités qui n’avaient pas encore été découvertes, qui leur sont particulières et qu’on ne peut leur attribuer en raison de leur simple appartenance à la catégorie précisée par l’inventeur antérieur.

 

 

[52]           On trouve les mêmes explications dans le passage suivant de l’arrêt Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CAF 214, 2 R.C.F. 214, qui traitait de cette question dans le contexte de l’utilité :

31    Pour satisfaire à l’exigence d’utilité découlant du paragraphe 34(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4 (ancienne loi), les éléments sélectionnés doivent présenter un avantage par rapport à la catégorie en général (voir Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, p. 525‑526). Ce dernier arrêt a donné une définition large de l’utilité nécessaire à la validité d’un brevet dont traite Halsbury’s Laws of England (3rd ed.), vol. 29, p. 59 :

 

[traduction] [...] il y a suffisamment d'utilité pour justifier un brevet si l'invention donne soit un objet nouveau ou meilleur ou moins dispendieux ou si elle accorde au public un choix utile.

 

Toutefois, il n’existe aucune exigence juridique particulière quant au type précis d’avantage nécessaire. Il est établi que le critère en matière d’avantage comprend l’évitement d’un désavantage, comme c’est le cas en l’espèce (voir I.G. Farbenindustrie, p. 322).

                        [Non souligné dans l’original.]

 

Bien que le caractère inventif de la sélection ait été confirmé par la Cour d’appel dans l’arrêt précité, cette conclusion reposait sur une série de faits et de conclusions non contestés qui avaient été établis par le tribunal de première instance et elle était formulée dans le contexte d’un argument qui n’avait pas été avancé dans l’avis d’allégation de la seconde personne. Il n’était donc pas nécessaire pour la Cour d’appel de formuler des observations au sujet des conditions à remplir pour pouvoir prouver que le promédicament choisi comportait des avantages par rapport aux éléments faisant partie du même genre. Je n’interprète donc pas la conclusion de la Cour d’appel comme si celle-ci avait dit que la preuve d’un avantage particulier par rapport au genre revendiqué dans un brevet antérieur ne constitue pas une condition à respecter pour valider une sélection ultérieure. D’ailleurs, dans l’arrêt récent rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CAF 108 (Pfizer c. Ranbaxy), le juge Marc Nadon a expliqué que, du moins pour prouver l’utilité, il est nécessaire de présenter des éléments de preuve tendant à établir que la sélection comporte un avantage imprévu par rapport aux composés visés par le brevet de genre (paragraphes 51 et 63).

 

[53]           L’utilité du valacyclovir et des autres esters de l’acyclovir en tant que promédicaments antiviraux a déjà été revendiquée dans le brevet 493. L’utilité spécifique du valacyclovir réside donc, non pas dans ses propriétés antivirales ou dans sa solubilité améliorée, mais dans le fait que son profil de biodisponibilité orale serait meilleur que celui des autres éléments de la catégorie dont il fait partie. Cette utilité devait être démontrée au moyen d’analyses ou par une prédiction solide ou par les deux. Si l’utilité du valacyclovir à améliorer la biodisponibilité orale par rapport aux éléments du même genre n’est pas démontrée scientifiquement ou si elle ne peut faire l’objet d’une prédiction solide à la date du dépôt du brevet canadien, le brevet 083 doit être rejeté pour défaut d’utilité (Aventis Pharma Inc. c. Apotex 2006 CAF 64, 349 N.R. 183). Le fait que des éléments de preuve ultérieurs permettent d’établir l’utilité ne transforme pas la spéculation précédente en quelque chose d’inventif. C’est ce qu’explique la Cour dans le passage suivant de l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., précité :

[…] Dans le contexte général de la Loi sur les brevets, il existe également une bonne raison de rejeter la proposition selon laquelle la simple spéculation est suffisante, même lorsque cette spéculation s’avère exacte par la suite. Le demandeur ne mérite pas un brevet pour une quasi‑invention, dans le cas où la population obtient seulement une promesse selon laquelle une hypothèse pourrait s’avérer ultérieurement utile; cela aurait pour effet d’autoriser et d’inciter les demandeurs de brevet à réserver des idées intéressantes et à attendre que la science soit suffisamment avancée pour qu’elles puissent être réalisées.  Le titulaire du brevet aurait alors un droit de propriété l’autorisant à empêcher autrui de fabriquer, vendre, exploiter ou améliorer cette idée, sans que la population bénéficie de quelque contrepartie utile.

 

 

[54]           L’exigence voulant que les analyses effectuées sur un genre de composé donné soient suffisantes pour appuyer, au minimum, une prédiction solide concernant un avantage substantiellement unique ou particulier relativement à la sélection est apparente à la lecture complète de la décision Farbenindustrie précitée. Il ressort de cette décision que la Cour avait devant elle une quantité considérable de données scientifiques comparant les propriétés des substances sélectionnées à celles du groupe non sélectionné. À la lumière de ces données, la Cour a conclu qu’aucun avantage particulier n’avait été démontré, comme on peut le constater dans les passages suivants :

[traduction]

[…] L’opinion de MM. Oberlander et Goldsmith relativement à ces nombreux échantillons de teinture et procédés de débouillissage ont été obtenus d’eux, en termes généraux, et ils ont fait valoir qu’en ce qui concerne les colorants sélectionnés (le terme « sélectionnés » renvoyant aux colorants fabriqués aux termes des brevets en litige), les tests étaient globalement satisfaisants, en ce sens qu’ils indiquaient qu’ils résistaient au débouillissage. Un grand nombre de pièces ont été présentées, pièces que j’ai examinées attentivement avec l’aide de mon Évaluateur.

 

Je crois que les expériences ou les tests effectués par les intimés ont révélé que les colorants sélectionnés possédaient de façon générale une certaine capacité à résister au débouillissage dans de l’hydroxyde de sodium. Par conséquent, un grand nombre d’entre eux ne subiraient aucune altération s’ils étaient bouillis ainsi pendant trois heures, ce qui correspond à la moitié du temps habituel, ou pendant six heures à la moitié de la concentration habituelle, c’est‑à‑dire non moins de 4 grammes d’hydroxyde de sodium par litre. Quant à savoir si cela serait également vrai en ce qui concerne le débouillissage dans un autoclave ordinaire, dans des conditions commerciales, alors que les produits sont exposés à une forte pression, je n’en suis pas certain, mais on n’a pas essayé de le faire. Il faut toutefois rappeler que le fait exposé ne prouve rien de particulièrement utile, à moins que l’on ne montre que les colorants non sélectionnés, en tant que classe, ne possèdent pas la même qualité, soit une résistance limitée à l’hydroxyde de sodium. On a certainement présenté des preuves qui, à mon avis, ont démontré que l’ajout de ce que l’on a appelé le groupe breveté améliore jusqu’à un certain point et dans de nombreux cas la résistance au débouillissage avec de l’hydroxyde de sodium. Dans certains cas, cependant, la différence n’était que minime. Dans un grand nombre de cas, l’ajout du groupe breveté n’a pas conféré une résistance « excellente ». La résistance était parfois non existante, par exemple par rapport aux composés nitrés. L’avantage allégué est dans certains cas, selon moi, purement théorique, car tant les colorants sélectionnés que les colorants non sélectionnés ne résistent pas dans ces cas à un débouillissage même léger. Il n’a pas été démontré devant la Cour qu’il y avait un avantage pratique dans chaque cas. Les intimés ont également tenté de démontrer que, dans une épreuve menée en laboratoire, les colorants sélectionnés résisteraient la plupart du temps à ce que l’on a appelé le test no 6, c’est‑à‑dire un débouillissage pendant six heures avec 4 grammes d’hydroxyde de sodium par litre, ou à tout le moins que ces colorants résisteraient presque à l’épreuve. Si l’on avait pu le prouver, il ne fait aucun doute que les intimés auraient tenté dans une certaine mesure d’établir que la promesse est substantiellement vraie, car on savait que les colorants non sélectionnés, en tant que classe, ne résistaient pas au débouillissage commercial standard avec de l’hydroxyde de sodium.

 

[…]

 

[…] Je devrais ajouter qu’il est apparent, à la lumière de P.4, que les requérants ont entrepris de faire une comparaison générale entre les colorants sélectionnés et les colorants non sélectionnés sur le plan de la résistance au débouillissage avec de l’hydroxyde de sodium, et il est clair, à la lumière de R.22, que les intimés ont porté beaucoup moins d’attention au groupe non sélectionné. Je ne peux faire autrement qu’en arriver à la conclusion que MM. Oberlander et Goldsmith ont déduit, de manière hâtive, que les colorants non sélectionnés n’étaient aucunement résistants à l’hydroxyde de sodium. Les 26 colorants non sélectionnés figurant en R.22 avaient été par une certaine malchance apparemment jugés plus sévèrement que les colorants sélectionnés figurant dans le même tableau. Non seulement les jugements diffèrent‑ils considérablement de ceux du Prof. Rowe, mais il est étonnant que lorsque ces colorants ont été présentés (« cachés » dans le sens mentionné précédemment) à M. Trotman, ses jugements étaient bien plus favorables que les leurs.

 

Il convient de rappeler que P.4 portait sur une comparaison entre les colorants sélectionnés et les colorants non sélectionnés, à l’exception de ceux qui possèdent un groupement nitré dans le composant azoïque. J’en suis arrivé à la conclusion que P.3 ne représente pas de façon injuste l’opération de teinture et les tests visant les colorants sélectionnés et non sélectionnés, y compris ceux qui possèdent un groupement nitré dans le composant diazoïque. Il est clair que dans les cas où l’on englobe les colorants qui possèdent un groupement nitré, les colorants sélectionnés ne présentent aucun avantage réel par rapport aux colorants non sélectionnés. Le fait qu’il n’y ait aucun avantage substantiel n’était aucunement contesté. En conséquence, en associant les résultats de P.3 et de P.4, et en effectuant certains ajustements en faveur des intimés en ce qui concerne P.4, car il fallait apporter certains ajustements (y compris ceux qui résultaient de ce que j’ai mentionné précédemment relativement aux précisions concernant les objections soulevées) qui sont en faveur des intimés, je dois considérer comme un fait établi que les colorants sélectionnés ne présentent aucun avantage par rapport aux colorants non sélectionnés en ce qui concerne le débouillissage avec de l’hydroxyde de sodium, comme le justifieraient les promesses faites dans les mémoires descriptifs des brevets en litige ou l’un ou l’autre d’entre eux selon l’interprétation des intimés. Si l’on regarde la question sous l’angle d’un débouillissage commercial standard avec de l’hydroxyde de sodium, les résultats sont stupéfiants. Les intimés n’ont présenté aucune preuve sous cette rubrique. Les requérants ont prouvé dans les pièces P.17a) et b) les expériences qu’ils ont effectuées sur ces lignes, et ont présenté les résultats dans les tableaux P.7 et P.8. Un simple coup d’œil sur les tableaux suffit pour voir qu’aucun colorant sélectionné ou non sélectionné ne résisterait de façon suffisante à un tel débouillissage pour satisfaire aux exigences commerciales ordinaires.

 

[…]

 

Mes conclusions en ce qui concerne les trois brevets doivent être les suivantes : premièrement, sur le plan juridique, il peut très bien y avoir un brevet de sélection, mais il doit s’agir d’une sélection visant une caractéristique ou une propriété utile et spéciale énoncée en termes clairs par le titulaire de brevet; deuxièmement, selon mon interprétation des promesses relatives à la résistance au débouillissage (c.‑à‑d. résistance à un débouillissage en présence de carbonate de sodium), les promesses échouent complètement; troisièmement, en ce qui concerne l’interprétation des promesses par les intimés, c’est‑à‑dire que la résistance au débouillissage en présence d’hydroxyde de sodium est supérieure à celle d’autres colorants semblables jusqu’à un certain point, les caractéristiques, telles qu’elles sont établies, sont trop vagues, trop aléatoires et (en englobant les composés nitrés) sujettes à trop d’exceptions pour que les brevets puissent être soutenus.

[Non souligné dans l’original.]

 

[55]           En appliquant les principes qui ont été exposés aux faits de la présente espèce, j’en conclus que GSK n’a pas réussi à démontrer que la sélection était valide, du moins sur le plan de l’utilité. J’en suis arrivé à cette conclusion parce que ni le brevet 083 ni le témoignage des experts de GSK ne sont suffisants pour démontrer qu’il existe un avantage dans le brevet 083 qui remplisse le critère de sélection valide parmi les composés revendiqués par le brevet 493 de GSK.

 

[56]           L’une des allégations formulées dans l’avis d’allégation de Pharmascience voulait que la découverte par GSK du fait que le valacyclovir avait une meilleure biodisponibilité orale que la glycine et l’alanine n’était pas nouvelle ou surprenante. Il s’agit aussi d’une question que l’on peut considérer comme étant liée à l’utilité, c’est‑à‑dire si le composé sélectionné présentait réellement un avantage surprenant ou jusqu’alors non reconnu par rapport aux autres membres du genre parmi lesquels il a été choisi. Dans le mémoire des faits et du droit de Pharmascience, cette question a été formulée en fonction de la divulgation et de l’utilité, comme on peut le constater dans les passages suivants :

[traduction]

75.        Le brevet 083 fournit des données trompeuses et dépourvues de signification, comparant les esters de valine avec les esters de glycine et les esters d’alanine auxquels il est fait référence dans le brevet de DeClercq. Malgré le fait que le brevet 083 ne présente des données que par rapport à trois autres composés, GSK affirme maintenant que les brevets de DeClercq visent en fait des milliers de composés. Ces milliers d’autres composés ne sont pas mentionnés dans le brevet 083. Aucune donnée n’indique si l’ester de valine de l’acyclovir est meilleur que l’un ou l’autre de ces composés. De surcroît, le brevet 083 ne renfermait pas de données de comparaison visant les autres acides aminés aliphatiques mentionnés par DeClercq.

 

76.        Il n’y a également aucune preuve indiquant qu’il était possible de prédire de manière raisonnable que l’ester de valine de l’acyclovir présenterait l’amélioration étonnante promise sur le plan de la biodisponibilité par rapport aux milliers d’autres composés. Aucune analyse n’est effectuée sur ces composés, et le brevet 083 ne renferme aucun raisonnement solide ou clair appuyant le caractère inventif du valacyclovir par rapport à ces composés. Par conséquent, il n’y a aucune divulgation de la supériorité promise de l’ester de valine, c’est‑à‑dire aucune compensation pour permettre à GSK de breveter un autre composé parmi la liste des dérivés « ester d’acide aminé aliphatique » de l’acyclovir divulguée antérieurement.

 

[Notes de bas de page supprimées.]

 

 

[57]           Vraisemblablement en réponse aux allégations de Pharmascience, GSK a demandé à ses experts d’aborder la question de la sélection et de l’utilité dans leur témoignage.

 

[58]           La faiblesse fondamentale des preuves offertes par les experts de GSK en ce qui concerne une biodisponibilité surprenante ou inattendue me semble être le résultat inévitable de l’analyse comparative hautement sélective menée par GSK. Cette dernière n’a choisi que trois composés parmi un genre comptant des milliers de dérivés « ester d’acide aminé » de l’acyclovir potentiels revendiqués par le brevet 493 et a soumis ces mêmes composés à une analyse empirique dont la nature n’a en grande partie pas été dévoilée. En se fondant sur les données obtenues, GSK a fait valoir que le valacyclovir [traduction] « présentait une biodisponibilité étonnamment élevée après une administration par voie orale en comparaison des esters d’alanine et de glycine mentionnés [dans le brevet 493] »[5].

 

[59]           Une interprétation littérale de cette phrase nous permet de constater que l’inventeur mentionne simplement que le valacyclovir avait une biodisponibilité « étonnamment » plus élevée que les esters d’alanine ou de glycine de l’acyclovir. Il n’est fait aucune mention claire que le fait étonnant était l’avantage quantitatif sur le plan de la biodisponibilité du valacyclovir par rapport aux deux autres esters chez le rat. Cette affirmation est dans une large mesure corroborée par le Dr Borchardt, qui a reconnu volontiers que la corrélation entre les données de biodisponibilité chez l’humain et celles issues des études menées sur des rats par GSK et décrites dans le brevet 083 ne se limiterait qu’à un classement ordinal des composés à l’étude. Selon lui, cela était suffisant pour permettre le choix d’un composé à « élaborer ». Dans son contre-interrogatoire, il a également indiqué qu’une augmentation d’un facteur 2 de la biodisponibilité chez le rat entre l’ester de glycine et l’acyclovir n’était qu’une « légère amélioration » :

[traduction]

Q.        Retournons à la première question. Selon le brevet, l’ester de glycine est deux fois meilleur que l’acyclovir, est‑ce exact?

 

R.         Euh… je …

 

Q.        Est‑ce exact?

 

R.         Je n’emploierais pas la terminologie que vous avez choisie. Je dirais, à la lumière de ces données, qu’il semblerait que l’ester de glycine soit légèrement meilleur que l’acyclovir sur le plan de la récupération urinaire d’acyclovir.

 

Q.        Légèrement meilleur de…

 

R.         Oui.

 

Q.        … de 15 %, est‑ce exact?

 

R.         Je vous ai donné ma réponse.

 

Q.        D’accord. Et est‑ce que cela prédit de façon précise le comportement de l’ester de glycine de l’acyclovir chez l’humain?

 

R.         Nous avons discuté de certaines de ces données hier, lesquelles figuraient dans la lettre de Burroughs Wellcome, et j’ai indiqué à ce moment‑là qu’il y avait une corrélation entre les données observées chez le rat et les données observées chez les primates, et que le classement ordinal de ces composés était semblable.

 

            Mais je vous ai également dit hier qu’il n’y avait aucune description des méthodes expérimentales utilisées dans les études menées sur les primates. Il m’est donc difficile d’interpréter davantage.

 

On peut supposer que les preuves précédentes s’appliquent également à l’augmentation d’un facteur 2 de la biodisponibilité du valacyclovir par rapport aux deux esters étudiés chez le rat, comme on le mentionne dans le brevet 083.

 

[60]           Dans leur affidavit respectif, les Drs Sinko et Borchardt décrivent tous deux l’avantage sur le plan de la biodisponibilité promis par le brevet 083 comme s’appliquant uniquement aux deux autres esters de l’acyclovir à l’étude. Citons à cet effet les passages suivants de leur affidavit respectif :

[traduction]

Dr Sinko

 

D’après ce qui précède, la personne versée dans l’art comprendrait, à la lecture du brevet 083, que l’invention est l’ester de L‑valine de l’acyclovir, dont la biodisponibilité après administration par voie orale est étonnamment plus élevée que celle des esters de glycine, d’α‑alanine et de β-alanine de l’acyclovir divulgués dans la DBE 493 et l’article de Colla, et que l’acyclovir même. La biodisponibilité étonnamment élevée du valacyclovir est un avantage considérable par rapport aux autres composés qui est divulgué de façon expresse dans la DBE 493 et l’article de Colla, et cet avantage ne pouvait être prévu avant que la découverte n’ait été faite.

 

[…]

 

De plus, une personne versée dans l’art en 1998 comprendrait donc que l’invention divulguée dans le brevet 083 est l’ester de L‑valine de l’acyclovir (et ses sels pharmaceutiquement acceptables), qui possède un avantage considérable, soit d’accroître la biodisponibilité de l’acyclovir après administration par voie orale (de l’ester de L‑valine de l’acyclovir) en comparaison des esters de glycine, d’α‑alanine et de β‑alanine de l’acyclovir et de l’acyclovir lui‑même.

 

Dr Borchardt

 

Tel que décrit de façon détaillée dans la section VI, le brevet 083 divulgue un seul composé, le valacyclovir, un ester de L‑valine de l’acyclovir, ainsi que ses sels pharmaceutiquement acceptables. Le valacyclovir possède une biodisponibilité orale considérablement supérieure (d’après la récupération urinaire de l’acyclovir) par rapport aux autres dérivés « ester d’acide aminé » de l’acyclovir (c.‑à‑d. les esters de glycine et de L‑alanine).

 

En comparaison du groupe de dérivés « ester d’acide aminé » de l’acyclovir donnés en exemple dans la DBE 493, il a été démontré que le valacyclovir possède une biodisponibilité considérablement supérieure à celle de l’acyclovir lorsqu’il est administré par voie orale.

[Non souligné dans l’original.]

 

Il me semble que les passages précédents caractérisent relativement bien la promesse limitée formulée dans le brevet 083, c’est‑à‑dire que le valacyclovir possède une meilleure disponibilité orale que les deux autres esters étudiés (glycine et alanine).

 

[61]           Les Drs Sinko et Borchardt ont fait valoir, en formulant leurs propos de manière presque identique, que le valacyclovir possédait et possède un avantage unique sur le plan de la biodisponibilité par rapport à tous les esters revendiqués par le brevet 493, car il s’agit apparemment du seul de ces composés dont on a démontré qu’il était transporté de façon active par un transporteur de peptides. Les preuves fournies par le Dr Sinko sur ce sujet étaient les suivantes :

[traduction]

De plus, à ma connaissance, l’avantage considérable sur le plan de la biodisponibilité est propre à l’ester de L‑valine de l’acyclovir (valacyclovir), et à ses sels, car ce sont les seuls membres des classes de composés visées par le genre divulgué dans la DBE 493 et le brevet 149, respectivement, dont on sait qu’ils sont transportés de façon active par un transporteur de peptides.

 

[…]

 

En revanche, les revendications du brevet 083 visent directement l’ester de L‑valine de l’acyclovir, c’est‑à‑dire le valacyclovir (ainsi que ses sels pharmaceutiquement acceptables et le procédé menant à sa fabrication), qui possède un avantage considérable sur le plan de la biodisponibilité par rapport aux autres dérivés « ester d’acide aminé » de l’acyclovir et par rapport à l’acyclovir.

 

À ma connaissance, l’avantage considérable sur le plan de la biodisponibilité est propre au valacyclovir et non aux autres dérivés « ester d’acide aminé » visés par les revendications du brevet CA 637 [l’équivalent canadien du brevet 493]. En outre, pour les raisons précisées ci‑dessus, à mon avis, la découverte de l’avantage considérable sur le plan de la biodisponibilité du valacyclovir, lorsqu’il est administré par voie orale, par rapport à la classe de composés visée par les revendications du brevet CA 637 et à l’acyclovir même, n’aurait pas pu être prévue avant que la découverte n’ait été faite.

[Non souligné dans l’original.]

 

[62]           Dans le même ordre d’idées, citons le passage suivant de l’affidavit du Dr Borchardt :

Le brevet 083 porte sur l’amélioration de la biodisponibilité de l’acyclovir après une administration par voie orale de façon que la substance puisse être formulée dans des préparations pharmaceutiques destinées à une administration par voie orale tels des comprimés. Le seul composé décrit et revendiqué dans le brevet 083 est le valacyclovir, ainsi que ses sels pharmaceutiquement acceptables.

 

Le valacyclovir présente une biodisponibilité orale considérablement supérieure (d’après la récupération urinaire d’acyclovir) à celle des autres dérivés « ester d’acide aminé » de l’acyclovir (les esters de glycine et de L‑alanine).

 

En comparaison des dérivés « ester d’acide aminé » de l’acyclovir donnés en exemple dans le brevet 637, il a été démontré que le valacyclovir présente une biodisponibilité considérablement supérieure à celle de l’acyclovir après administration par voie orale.

 

Cette amélioration considérable de la biodisponibilité orale est propre au valacyclovir, car, de ce que je comprends, le valacyclovir est le seul membre de la classe des dérivés « ester d’acide aminé » de l’acyclovir visée par le brevet 637 dont il a été démontré qu’il était transporté de façon active par un transporteur de peptides.

 

Pour toutes ces raisons, selon ce que je comprends des critères s’appliquant aux brevets de sélection qu’Ogilvy Renault m’a expliqués et que j’ai présentés à la section IV b) de mon affidavit, le brevet 083 remplit les critères d’un brevet de sélection valide.

[Non souligné dans l’original.]

 

Il me semble que les preuves présentées ci‑dessus sont fallacieuses pour au moins trois raisons. Premièrement, GSK n’a présenté aucune preuve permettant d’établir qu’on savait que l’avantage du valacyclovir sur le plan de la biodisponibilité exposé dans le brevet 083 était unique parmi les milliers de composés revendiqués par le brevet 493 ou qu’on pouvait le prévoir. De ce que je comprends à la lumière des preuves, il avait été démontré que le valacyclovir présentait, au mieux, un avantage qualitatif sur le plan de la biodisponibilité par rapport aux deux autres esters étudiés, mais cela n’indique en aucune façon si ce même avantage serait présent chez quelques‑uns, chez plusieurs, chez de nombreux, chez la plupart ou chez tous les autres composés revendiqués par le brevet 493. Il ne s’agit guère d’un fondement suffisant pour établir l’exigence juridique voulant qu’une sélection soit de caractère spécial ou particulier par rapport au genre de composés : voir Farbenindustrie, précité, à la page 232. En d’autres termes, la sélection d’un composé présentant un avantage non quantifié par rapport à deux autres n’ajoute aucun caractère substantiel aux connaissances existantes sur les nombreux autres esters de l’acyclovir revendiqués par le brevet 493 : voir Farbenindustrie, précité, à la page 322. Cette observation est particulièrement évidente lorsqu’on tient compte des preuves présentées par le Dr Borchardt, à savoir que les données sur les travaux de recherche menés par GSK ne permettent que d’établir un classement qualitatif des composés chez l’humain. Sur cette question, je ne considère pas qu’il s’agit d’une sélection valide lorsque l’inventeur choisit un composé parmi des milliers revendiqués par le genre visé par un brevet, ne compare les caractéristiques de ce composé qu’avec celles de deux autres composés et déclare que seul le composé sélectionné présente des caractéristiques spéciales non quantifiées ou des avantages non prévus par rapport aux deux autres.

 

[63]           Dans le cas présent, les composés de comparaison étaient l’ester de glycine et l’ester d’alanine. On n’explique aucunement dans le brevet 083 la raison pour laquelle ces composés ont été choisis ni pourquoi il faudrait s’attendre à ce que leurs propriétés de biodisponibilité soient du même ordre que celles des milliers d’autres esters revendiqués par le brevet 493. Cette approche comporte un danger, en ce sens qu’un inventeur peut choisir des composés non représentatifs à des fins de comparaison qui feraient ressortir l’avantage « non prévu » du composé sélectionné. Un autre problème qui découle d’une telle approche est qu’il n’existe aucun étalon permettant de déterminer si un résultat est effectivement surprenant ou inattendu par rapport aux autres membres d’un genre de composés. Ici, nous avons une comparaison portant sur trois composés qui n’offre aucune donnée quantitative sur les composés même lorsqu’on compare ces composés entre eux, et encore moins lorsqu’on les compare au genre de composés.

 

[64]           Le deuxième problème avec les preuves présentées par les Drs Borchardt et Sinko est qu’il n’y a absolument aucune autre preuve pour appuyer leur opinion selon laquelle le valacyclovir est, à leur connaissance, le seul dérivé « ester d’acide aminé » de l’acyclovir dont il a été démontré qu’il était transporté de façon active par un transporteur de peptides. L’affidavit du Dr Sinko est particulièrement troublant sur cette question à la lumière des preuves suivantes qu’il a données en contre-interrogatoire :

[traduction]

Q.        Et, je suppose, en ce qui concerne ces autres promédicaments, quels autres promédicaments étudie‑t‑on qui passeraient par ces transporteurs?

 

R.         Eh bien, comme je le disais, je n’ai pas…

 

Q.        Excusez-moi. Vous avez raison.

 

R.         Une fois cette étape franchie, c’était terminé, et je n’ai pas suivi cela de façon très attentive. Je veux dire, je le vois de façon globale. Et, vous savez, nous cherchons toujours à trouver quelque chose de nouveau.

 

Q.        D’accord. C’est là qu’il y a des affaires à faire. Y a‑t‑il d’autres esters de l’acyclovir qui passent par ce transporteur?

 

R.         Je n’ai pas étudié ni vu de rapports sur ce mécanisme.

 

[…]

 

Q.        Et maintenant, si… si nous revenions… si nous comparons le valacyclovir aux centaines de composés du brevet de DeClercq, j’en déduis que le brevet de DeClercq ne nous dit rien à propos du valacyclovir ou de la biodisponibilité par rapport aux centaines de composés mentionnés par DeClercq, est‑ce exact?

 

R.         Il ne parle de la biodisponibilité orale d’aucun composé.

 

Q.        Et qu’en est‑il du brevet 083? Le brevet indique‑t‑il que le valacyclovir est supérieur aux centaines d’autres composés visés par DeClercq?

 

            MME BREMNER :        Avez‑vous le brevet?

 

            M. KIERANS : Oui.

 

            MME BREMNER :        Bien sûr.

 

PAR MME BREMNER :

 

Q.        Ma question était la suivante : Est‑ce que le brevet 083 nous dit quoi que ce soit à propos de la biodisponibilité orale supérieure du valacyclovir par rapport aux centaines de composés visés par le brevet 493 de DeClercq?

 

R.         Il est écrit, dans le haut de la page 20, Exemple 1, c’est‑à‑dire valacyclovir, acyclovir, ester glycylique de l’acyclovir et ester L‑alanylique de l’acyclovir. Il n’est pas question de centaines de composés, mais de deux des composés mentionnés de façon expresse par DeClercq.

 

Q.        Alors, par exemple, la proline figurait parmi l’un des… l’un des exemples que vous m’avez donnés. Sait‑on si le valacyclovir est meilleur que la proline sur le plan de la biodisponibilité orale?

 

R.         Je n’ai pas vu de données à ce sujet. Parlez‑vous du brevet 083?

 

Q.        Le brevet 083 ou tout autre élément de preuve présenté ici aujourd’hui.

 

R.         Pas que je sache.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

Les passages précédents laissent entendre que, lorsque le Dr Sinko a présenté son affidavit, il n’avait aucune preuve ni aucune connaissance lui permettant de corroborer son opinion selon laquelle le valacyclovir était le seul ester de l’acyclovir qui faisait l’objet d’un transport actif. De plus, si, comme les preuves semblent l’indiquer, personne n’a pris la peine d’étudier même un échantillon représentatif des autres esters de l’acyclovir, aucune opinion quant au caractère unique ne peut être retenue.

 

[65]           En définitive, le problème en ce qui concerne ces opinions est que les Drs Sinko et Borchardt se fient sur des données qui n’étaient pas à la disposition des personnes versées dans l’art avant 1993. Comme nous l’avons mentionné précédemment, il n’est pas approprié de renforcer une revendication visant une sélection inventive en se fondant sur des données obtenues ultérieurement.

 

[66]           Dans un brevet de sélection pharmaceutique, l’invention consiste en la découverte d’un avantage surprenant ou inattendu d’un composé par rapport au genre duquel il fait partie. L’utilité d’une telle sélection ne réside pas dans le fait que le composé peut traiter une certaine affection chez l’humain, mais plutôt dans le fait que son efficacité est étonnamment meilleure que celle des composés monopolisés par le genre visé par le brevet. Voilà la promesse inventive qui est faite et la promesse inventive qui doit être établie.

 

[67]           Dans le cas présent, le brevet 493 de GSK revendiquait un monopole sur plusieurs milliers d’esters de l’acyclovir pour le traitement d’infections virales précises. En d’autres termes, GSK a tenté de viser des milliers d’esters de l’acyclovir, y compris le valacyclovir, en tant que promédicaments efficaces et utiles. Pour revendiquer un monopole supplémentaire par rapport au valacyclovir, GSK devait établir que le valacyclovir présentait une utilité surprenante et inattendue par rapport aux composés du genre visé par le brevet 493. Il ne suffit pas que GSK établisse que le valacyclovir est utile en tant que promédicament parce qu’il est plus efficace que l’acyclovir. Cette revendication avait déjà été exposée dans le brevet 493.

 

[68]           Dans ce cas‑ci, GSK a simplement choisi un composé potentiellement prometteur parmi les nombreux composés revendiqués par le brevet 493 et en a comparé la biodisponibilité orale chez le rat à celle de deux autres esters de l’acyclovir déjà donnés en exemple dans le brevet 493. À partir de cette analyse, GSK a obtenu des données qui, au mieux, permettaient de classer de façon qualitative les composés à l’étude en vue d’une utilisation chez l’humain et qui indiquaient que le valacyclovir était supérieur aux deux autres composés. Aucune preuve ne permet d’établir ou de corroborer une prédiction voulant que le valacyclovir présente une meilleure biodisponibilité orale que les autres composés du genre visé par le brevet 493. Selon GSK, cela était suffisant pour étayer une sélection inventive. Comme je l’ai mentionné précédemment, je ne suis pas d’accord.

 

[69]           J’en conclus donc que le brevet 083 est invalide, car GSK n’a pas su établir qu’il y avait sélection inventive en ne réussissant pas à prouver que le valacyclovir présente un avantage ou une utilité spéciale par rapport au genre de composé duquel il fait partie. Par conséquent, le brevet 083 échoue en raison d’un manque d’utilité.

 

[70]           Je ne veux pas que l’on croie, à la lumière de cette analyse, que le titulaire d’un brevet de sélection doit tester chaque composé d’un genre de composés, mais je crois que l’on doit effectuer des tests suffisamment représentatifs pour qu’une personne versée dans l’art puisse prédire de façon raisonnable que l’on ne s’attend pas à ce que la caractéristique surprenante soit présente dans un grand nombre de composés du genre. Dans certains cas, il peut être possible de faire une telle prédiction en se fondant sur l’état antérieur de la technique, mais alors le titulaire de brevet doit au moins démontrer qu’il a suivi un raisonnement rigoureux pour affirmer que l’avantage est spécial ou propre à la sélection.

 

Divulgation

[71]           Compte tenu de ma conclusion en ce qui concerne l’utilité, il n’est pas nécessaire de répondre à la question de savoir si le brevet 083 satisfait au critère de la divulgation prévu au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4. Je tiens toutefois à formuler une brève observation sur ce point. Les règles de droit qui s’appliquent dans le domaine de la divulgation ont été récemment clarifiées jusqu’à un certain point par l’arrêt Pfizer c. Ranbaxy, précité, dans lequel la Cour d’appel fédérale a jugé que, dans le cas d’un brevet de sélection, le breveté n’est tenu de divulguer que le caractère étonnant et inattendu de l’avantage que comporte la sélection. Il n’a pas à rendre publics dans son brevet d’autres éléments de preuve pour justifier son assertion. Qu’il suffise toutefois de dire que lorsque le breveté cherche à établir l’utilité d’une sélection en se fondant sur des éléments de preuve tendant à démontrer la solidité de la prédiction, il se peut qu’il soit tenu de divulguer dans le brevet les faits sur lesquels il se fonde, ainsi que le raisonnement qui appuie la prédiction (Apotex c. Wellcome, précité, au paragraphe 70).  En l’espèce, l’exposé du brevet 083 omet complètement d’aborder la question de savoir si le présumé avantage du valacyclovir sur le plan de la biodisponibilité était unique parmi les milliers de composés revendiqués par le brevet 493 ou qu’on pouvait le prévoir et les raisons pour lesquelles il en est ainsi. Il me semble que, si le breveté se fonde sur une prédiction solide pour établir que sa sélection comporte certains avantages imprévus par rapport au genre, il est à plus forte raison tenu d’exposer dans son brevet le raisonnement qui lui permet de faire cette affirmation parce que cet élément fait partie de la contrepartie du monopole revendiqué sur la sélection.

 

Dépens

[72]           Ainsi que je l’ai expliqué à la clôture de l’audience, j’accorde aux parties dix jours pour formuler par écrit des observations au sujet des dépens. Ces observations ne devraient pas dépasser cinq pages.

 


 

JUGEMENT

 

            LA COUR REJETTE la présente demande.

 

            LA COUR DÉCLARE EN OUTRE que la question des dépens sera traitée dans une ordonnance distincte à la suite de la réception des observations complémentaires des parties.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-833-06

 

INTITULÉ :                                       GLAXOSMITHKLINE INC. ET AL.

                                                            c.

                                                            PHARMASCIENCE INC. ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               DU 3 AU 7 MARS 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 9 MAI 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Patrick Kierans

Nadine D'Aguiar

Kenneth Sharpe

416-216-4000

 

POUR LES DEMANDERESSES

Carol Hitchman

Paula Bremner

Brendan Lounsbery

416-777-2270

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ogilvy Renault srl

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Hitchman & Sprigings

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 



[1] Design of Prodrugs, Amsterdam, Elsivier, 1985.

[2]  Je n’accepte pas la tentative, par le Dr Sinko, de décrire ces esters comme ayant une activité antivirale puissante en eux‑mêmes et non en tant que promédicaments. Ce point ne cadre pas avec bon nombre des autres preuves, y compris celles présentées par le Dr Sinko lui‑même selon lesquelles les promédicaments sont utilisés pour résoudre des problèmes de solubilité liés à un médicament mère. Le passage suivant tiré du contre-interrogatoire du Dr Sinko met en lumière cette incohérence :

        [traduction]

Q.      Pour nous donner un peu de contexte, la deuxième phrase se lit comme suit :

« Les promédicaments classiques sont généralement conçus pour résoudre des problèmes de solubilité, de stabilité ou d’absorption limitée. »

        J’en déduis que vous êtes d’accord avec cet énoncé?

R.    Oui.

[Non souligné dans l’original.]

La position du Dr Sinko sur cette question est également contredite par le passage suivant de l’affidavit du Dr Borchardt :

[…] Une personne versée dans l’art en 1986 pourrait alors avoir compris que la DBE 493 visait les esters de l’acyclovir qui étaient en eux‑mêmes des agents antiviraux actifs. Cependant, une personne versée dans l’art qui connaissait à cette époque les travaux de Bundgaard et coll., 1984a,b, aurait vraisemblablement compris que les esters décrits dans la DBE 493 étaient en fait des promédicaments à base d’acyclovir.

Il n’est peut‑être pas surprenant que le Dr Borchardt ait tenté de se distancier du Dr Sinko, car l’inventeur du brevet 493, Eriq DeClercq, avait corédigé un article en 1983 dans lequel il décrivait clairement que ses travaux étaient axés sur l’élaboration de promédicaments à base d’acyclovir qui étaient [traduction] « rapidement hydrolysés pour libérer [de l’acyclovir] ».

[3] Le coefficient de partage exprime le ratio entre la solubilité d’un composé donné dans un milieu hydrophobe et sa solubilité dans l’eau; il est utilisé pour indiquer la probabilité qu’un composé traverse une membrane cellulaire.

 

[4] Le pKa exprime le degré de dissociation protonique d’une molécule en comparaison du pH : le pKa d’un composé donné est le pH auquel 50 % d’un échantillon serait chargé et 50 % ne le serait pas. Comme l’ionisation affecte la diffusion transcellulaire passive, le pKa peut aider à prédire la mesure dans laquelle un composé est susceptible de traverser la membrane d’une cellule à un pH donné.

[5] Dans son mémoire des faits et du droit, GSK a légèrement reformulé la nature de l’invention comme étant : [traduction] « la biodisponibilité orale étonnamment élevée de l’ester de L‑valine de l’acyclovir par rapport aux esters d’alanine et de glycine de l’acyclovir antérieurement dévoilés dans le genre de composés visés par la DBE 493 ».

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