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Date : 20080429

 

Dossier : T‑1942‑07

 

Référence : 2008 CF 555

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Ottawa (Ontario), le 29 avril 2008

 

 

En présence de madame la protonotaire Tabib

 

 

ENTRE :

 

NYCOMED CANADA INC. et

NYCOMED GmbH

 

demanderesses

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

SANDOZ CANADA INC.

 

défendeurs

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] La Cour est saisie d’une requête par laquelle la défenderesse Sandoz Canada Inc. tend à obtenir le rejet de la présente demande au motif qu’elle serait inutile, frivole ou vexatoire, ou constituerait autrement un abus de procédure, au titre de l’alinéa 6(5)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), D.O.R.S./93‑103 (le Règlement).

 

  • [2] La présente demande, introduite par Nycomed Canada Inc. et Nycomed GmbH (collectivement désignées ci‑après « Nycomed ») en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement, tend à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC à Sandoz relativement à ses comprimés proposés de pantoprazole avant l’expiration du brevet canadien 2092694 (le brevet 694). L’autre brevet pertinent, qui porte le numéro 2089748 (le brevet 748), fait l’objet d’une autre instance (dossier de la Cour T‑1941‑07) entre les parties sous le régime du Règlement. Une requête en rejet semblable à la présente a été instruite parallèlement dans cette dernière affaire et a déjà elle-même donné lieu à une ordonnance motivée, répertoriée sous l’intitulé Nycomed Canada Inc. c. Sandoz Inc. et la référence 2008 CF 541 (Sandoz 1). Une grande partie de l’analyse exposée dans Sandoz 1 se révèle pertinente quant à la présente requête et concourt à la trancher, de sorte que la présente ordonnance motivée devrait être lue conjointement avec Sandoz 1.

 

L’exception d’incompétence

 

  • [3] Comme dans Sandoz 1, Nycomed excipe ici de l’incompétence d’un protonotaire pour connaître d’une requête en rejet de demande sous le régime du Règlement, dans les cas où l’on peut prévoir qu’un appel de son ordonnance deviendrait sans objet par suite de la délivrance rapide d’un AC au génériqueur. Les motifs exposés dans Sandoz 1 au soutien du rejet de cette exception s’appliquent également à la présente requête, et il est inutile de les répéter.

 

Rappel des faits

 

  • [4] La drogue en cause, le pantoprazole sodique, n’est pas nouvelle; elle est en effet commercialisée et vendue au Canada depuis le milieu des années 1990. Classé comme inhibiteur de la pompe à protons (IPP) ou comme inhibiteur de l’H+, K+‑ATPase, le pantoprazole sodique est reconnu depuis longtemps pour inhiber la sécrétion du suc, ou acide, gastrique dans l’estomac. Son utilisation, comme telle, n’est plus protégée par brevet. Aux fins de la présente requête, on peut dire que les revendications pertinentes du brevet 694 paraissent porter sur une composition contenant du pantoprazole qui est en partie résistante et en partie non résistante au suc gastrique, et sur son utilisation pour le traitement des troubles attribuables à H. Pylori. Par conséquent, contrairement à la demande ayant fait l’objet de Sandoz 1, la présente demande met en litige à la fois des questions de contrefaçon directe (afférentes au point de savoir si la formulation des comprimés de Sandoz sera aussi bien résistante que non résistante au suc gastrique) et des questions de contrefaçon indirecte (d’incitation à l’utilisation contrefaisante).

 

  • [5] Selon l’avis d’allégation de Sandoz, si le ministre lui délivre un AC à l’égard de son produit proposé à base de pantoprazole, la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente de ce produit ne contrefera aucune des revendications du brevet 694, aux motifs que ledit produit n’entrera pas dans une formulation non résistante au suc gastrique, et qu’elle ne tend à obtenir l’approbation de son produit, et ne le vendra, commercialisera ou promouvra, que pour le traitement des affections nécessitant une réduction de la sécrétion d’acide gastrique, et non pour combattre H. Pylori. Sandoz fait en outre valoir dans son AA que le brevet 694 ne contient pas de revendications pour le médicament en soi ni pour son utilisation, et qu’il a été inscrit à tort relativement aux AC en cause de Nycomed. Cette dernière soutient de son côté dans la présente demande que toutes les allégations de Sandoz sont irrégulières, insuffisantes ou non fondées.

 

La requête de Sandoz

 

  • [6] Comme la requête tranchée par Sandoz 1, la présente requête de Sandoz se fonde exclusivement sur l’alinéa 6(5)b) du Règlement, qui autorise la Cour à rejeter, sur requête, tout ou partie d’une demande si elle conclut qu’elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire, ou constitue autrement un abus de procédure. La présente requête n’invoque pas l’alinéa 6(5)a) du Règlement, qui permet le rejet d’une demande au motif de l’inadmissibilité du brevet à l’inscription au registre. En fait, Sandoz a signifié et déposé, parallèlement à la présente requête, un avis de requête distinct expressément fondé sur l’alinéa 6(5)a), dont l’instruction est prévue pour le 28 mai 2008.

 

  • [7] La thèse de Sandoz selon laquelle la présente demande constitue un abus de procédure s’appuie sur les motifs suivants :

 

  • 1) La Cour a statué, dans Solvay Pharma Inc. c. Apotex Inc., [2008] A.C.F. no 378, 2008 CF 308 (la décision Apotex), que le brevet 694 ne contient pas de revendications pour le médicament litigieux en soi ni pour son utilisation, et qu’il n’existe donc pas de revendications pertinentes à l’égard desquelles on pourrait examiner une allégation.

 

  • 2) Le brevet 694 a été déclaré inadmissible à l’inscription au registre aussi bien par la décision Apotex que par la décision ultérieure Nycomed Canada Inc. et al. c. Genpharm et al., 2008 CF 313 (la décision Genpharm).

 

  • [8] Il est à noter que, s’il fait brièvement allusion au fait que la décision Apotex a déclaré fondées les allégations de non-contrefaçon d’Apotex, le dossier de requête de Sandoz n’avance absolument aucun argument portant que la conclusion de ladite décision sur ces allégations devrait également s’appliquer à la présente espèce, et que la Cour devrait en conséquence rejeter la demande de Nycomed en tant qu’abus de procédure. Nycomed attire l’attention sur cette omission dans son dossier de requête en réponse et fait expressément remarquer que Sandoz ne pourrait valablement soutenir plus tard que la conclusion de la décision Apotex sur les questions de non-contrefaçon justifie le rejet de la présente demande. Sans préjudice de cette position et pour plus de sûreté, Nycomed a cependant produit une preuve d’expert concernant les questions de contrefaçon directe et indirecte.

 

  • [9] Après le dépôt du dossier de Nycomed, le protonotaire Lafrenière a rendu une décision, intitulée Nycomed Canada Inc. c. Novopharm Ltd. et référencée 2008 CF 454 (Novopharm), par laquelle il a rejeté une demande semblable relative au brevet 694, au motif de la décision rendue dans Apotex. C’est seulement alors que Sandoz, dans des conclusions supplémentaires, a soulevé et invoqué l’argument que la décision Apotex avait déjà statué sur les allégations de non-contrefaçon.

 

  • [10] Bien que la prévoyance de Nycomed lui ait évité d’être lésée par la conduite de Sandoz, il ne convient pas de permettre à cette dernière société de soulever un motif supplémentaire de rejet à la onzième heure et sans avoir valablement modifié son avis de requête. Tous les arguments que Sandoz pouvait tirer de la décision Apotex étaient manifestement à sa disposition au moment du dépôt de la requête en sa forme initiale, et elle aurait dû soit les soulever à ce moment, soit les ajouter à sa requête par voie de modification en bonne et due forme. C’est une conduite inappropriée et un abus de la procédure de la Cour que de soulever ces arguments après que Nycomed a déposé son dossier, et apparemment pour la seule raison qu’ils semblent avoir été avancés avec succès dans une affaire récente; lesdits arguments ne devraient donc pas, et ne seront pas, pris en considération aux fins de statuer sur la présente requête.

 

  • [11] Pour ce qui concerne les motifs qu’elle a valablement soulevés dans son avis de requête – l’abus de procédure à l’égard de l’inadmissibilité à l’inscription et de la non-pertinence –, Sandoz ne propose absolument aucune preuve d’expert. Elle s’appuie seulement sur les décisions Apotex et Genpharm de notre Cour, ainsi que sur une comparaison entre les avis d’allégation et les avis de demande afférents à l’affaire Apotex et à la présente instance. Curieusement, Sandoz n’a pas produit l’avis d’allégation ni l’avis de demande relatifs à l’affaire Genpharm. Comme dans Sandoz 1, Nycomed n’a pas encore signifié sa preuve sur le fond de la demande, ce qu’elle a jusqu’au 15 mai pour faire. Elle a déposé en opposition à la présente requête la preuve de cinq experts, portant sur les questions de l’interprétation des revendications et de l’inadmissibilité à l’inscription (de même que sur la contrefaçon directe et indirecte), mais tout en précisant bien que cette preuve ne vaut qu’aux fins de réponse à la requête de Sandoz, et qu’elle n’est pas destinée à constituer la totalité de la preuve devant être produite sur le fond de la demande ou en opposition à la requête fondée sur l’alinéa 6(5)a) dont l’instruction est prévue. À ce dernier propos, Nycomed spécifie qu’elle a l’intention de déposer une preuve plus étoffée en opposition à ladite requête.

 

Les litiges antérieurs visant le brevet 694

 

  • [12] Avant d’examiner les moyens de Sandoz, il paraît utile de passer en revue les allégations avancées et les conclusions formulées dans chacune des décisions qu’elle invoque comme ayant déjà tranché les questions en litige dans la présente requête.

 

  • [13] La juge Gauthier a rendu la décision Apotex à l’issue d’un examen au fond de la demande par laquelle Nycomed tendait à obtenir une ordonnance d’interdiction [1] . Cette demande portait sur deux brevets : les brevets 694 et 748. Pour ce qui concerne le premier, Apotex avait avancé dans son AA des allégations d’invalidité et de non‑contrefaçon, ainsi que des allégations voulant que les revendications ne fussent pas pertinentes, au motif qu’elles ne portaient pas sur le médicament en soi ni sur son utilisation, et que le brevet fût inscrit à tort à l’égard des AC considérés. Apotex n’avait pas formé de requête tendant à obtenir, au titre de l’alinéa 6(5)a), le rejet de la demande au motif de l’inadmissibilité à l’inscription. Nycomed s’est opposée à ce que la Cour tranchât la question de l’admissibilité dans le cadre de l’examen au fond de la demande. La décision ne permet pas de dire avec certitude si Nycomed avait produit une preuve de fond sur la question de l’admissibilité, mais quoi qu’il en soit, la preuve présentée par elle dans la présente requête tend à établir qu’elle n’avait pas produit devant la juge Gauthier d’éléments particuliers touchant l’admissibilité au registre et qu’elle ne disposait de toute manière que d’une preuve restreinte sur ce sujet.

 

  • [14] La juge Gauthier a effectivement conclu dans sa décision que la revendication 3 du brevet 694 ne portait pas sur le pantoprazole ou le pantoprazole sodique ni sur son utilisation, et qu’elle n’était donc pas une revendication pertinente. Cependant, elle précise au paragraphe 69 que cette conclusion doit être considérée comme une remarque incidente, sa conclusion décisive étant que n’avait pas été établi le caractère non fondé des allégations de non‑contrefaçon.

 

  • [15] Concernant l’admissibilité à l’inscription, la Cour s’est déclarée sans ambiguïté incompétente pour connaître de la question de l’admissibilité à l’inscription des brevets dans le cadre de l’examen au fond d’une demande, puisque cette question ne pouvait être réglée que par voie de requête fondée sur l’alinéa 6(5)a) du Règlement. La conclusion tirée ensuite par la juge Gauthier selon laquelle le brevet 694 n’était pas admissible à l’inscription était manifestement conçue comme une remarque incidente, formulée pour le cas où sa conclusion d’incompétence serait infirmée en appel.

 

  • [16] Comme on l’a vu plus haut, la conclusion par laquelle la Cour a tranché la demande était que les revendications particulières dont Nycomed reprochait la contrefaçon directe ou indirecte à Apotex, soit les revendications 3, 6 et 13 du brevet 694, ne seraient pas contrefaites par celle‑ci.

 

  • [17] Dans l’affaire Genpharm, la protonotaire Milczynski était saisie d’une requête formelle tendant à obtenir le rejet de la demande entre autres au motif, fondé sur l’alinéa 6(5)a), de l’inadmissibilité du brevet 694 à l’inscription. Pour une raison ou pour une autre, la question portée devant la protonotaire Milczynski était celle de savoir si les brevets en cause (les brevets 694 et 748) étaient admissibles à l’inscription au registre à l’égard d’un seul AC, soit l’AC 055738 (l’AC 738), délivré à Nycomed le 14 avril 1998 relativement à ses comprimés à enrobage entéro-soluble PantolocMD de 40 mg. La protonotaire a statué que le brevet 694 n’était pas pertinent quant à la présentation 738 et n’était donc pas valablement inscrit relativement à cet AC, en conséquence de quoi elle a rejeté la demande pour ce qui concerne ce brevet.

 

  • [18] Comme la protonotaire Milczynski n’a pas rejeté la demande dans sa totalité, ayant conclu que l’autre brevet, le brevet 748, était valablement inscrit au registre, Genpharm n’a pas pu recevoir son AC. Nycomed a interjeté appel contre cette décision de la protonotaire Milczynski devant un juge de notre Cour, appel qui, à la date de l’audience de la présente requête, était encore en instance.

 

La pertinence des revendications du brevet

 

  • [19] Pour savoir si le brevet 694 comporte des revendications pertinentes dont doit traiter l’avis d’allégation, il faut établir s’il contient une revendication pour le médicament en soi ou pour son utilisation. Cette question est de celles qui peuvent être valablement tranchées dans le cadre de l’examen au fond d’une demande, si elle a été soulevée valablement dans l’avis d’allégation du génériqueur (voir Apotex, au paragraphe 66). L’AA de Sandoz contient effectivement une allégation selon laquelle le brevet 694 n’est pas pertinent, au motif qu’il ne contient aucune revendication pour le médicament en soi ni pour son utilisation. Cependant, contrairement aux affirmations de Sandoz, la question de savoir si le brevet 694 contient des revendications pour l’utilisation du médicament n’a pas été tranchée dans Apotex. S’il est vrai que la juge Gauthier conclut effectivement que la revendication 3 du brevet 694 ne porte pas sur le médicament en soi, elle ajoute explicitement que l’AA d’Apotex, pour ce qui concerne les revendications supposées non pertinentes, ne traite que de cette revendication; par conséquent, c’est là la seule revendication qu’elle examine elle-même et sur la pertinence de laquelle elle se prononce. En fait, la Cour note que le silence d’Apotex sur la pertinence des revendications 6 et 13 s’explique vraisemblablement par le fait qu’elles ont été à l’évidence conçues pour s’appliquer à une utilisation particulière du pantoprazole.

 

  • [20] La pertinence d’aucune autre revendication du brevet 694 n’a été examinée dans aucune autre affaire. Par conséquent, l’argument de Sandoz selon lequel il a été statué que le brevet 694, considéré dans sa totalité, ne contient aucune revendication pertinente pour le médicament en soi ou pour son utilisation se révèle mal fondé et doit être rejeté.

 

L’admissibilité à l’inscription au registre

 

  • [21] L’argument de Sandoz selon lequel la présente demande constitue un abus de procédure au motif qu’il aurait déjà été statué, dans la décision Apotex, que le brevet 694 n’est pas admissible à l’inscription, est lui aussi mal fondé et doit de même être rejeté. Comme il est précisé plus haut, la Cour, dans Apotex, s’est déclarée expressément incompétente pour connaître de la question de l’admissibilité à l’inscription au registre des brevets. Cette décision ne peut donc être considérée comme ayant tranché, définitivement ou non, cette question, et les observations qu’y formule la Cour sur les arguments avancés par les parties à ce sujet sont manifestement des remarques incidentes et n’ont donc pas force de chose jugée.

 

  • [22] La seule conclusion antérieure véritablement décisive sur la question de l’admissibilité du brevet 694 à l’inscription a été formulée dans la décision Genpharm. Cependant, Sandoz donne une fausse idée de cette décision lorsqu’elle affirme qu’il y a été statué que le brevet 694 n’était pas admissible à l’inscription [traduction] « au registre ». La décision Genpharm dit seulement qu’il n’existe pas de lien entre le brevet 694 et l’un des AC à l’égard duquel il est inscrit, soit l’AC 738. Les liens entre le brevet 694 et les autres AC à l’égard desquels il est inscrit et dont l’AA de Sandoz fait expressément mention, soit les AC 066552 et 087266, n’étaient pas en cause devant la protonotaire Milczynski et n’ont pas fait l’objet de conclusions dans la décision Genpharm. Par conséquent, même si Genpharm pouvait être considérée comme une décision passée en force de chose jugée sur la question de l’admissibilité du brevet 694 à l’inscription, et tendant à étayer la thèse de l’abus de procédure, cet argument se limiterait à l’admissibilité dudit brevet à l’égard de l’AC 738 et ne saurait donc justifier le rejet de la présente demande pour ce qui concerne ce même brevet, la question de savoir si celui‑ci est valablement inscrit à l’égard d’autres AC pertinents n’ayant pas été tranchée.

 

  • [23] Restent également pertinentes les observations que j’ai formulées dans Sandoz 1 sur le point de savoir si en tout état de cause il serait approprié, hors du contexte d’une requête formelle en rejet fondée sur l’alinéa 6(5)a), de rejeter une demande au motif de l’abus de procédure sur la base d’une décision antérieure ayant conclu à l’inadmissibilité à l’inscription.

 

  • [24] Étant donné ma conclusion, je n’ai pas à décider si l’appel pendant interjeté contre la décision Genpharm empêcherait l’application des principes relatifs à l’abus de procédure dans le contexte particulier de la présente espèce (voir Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2008 CF 513).

 

La non-contrefaçon

 

  • [25] Comme je l’ai constaté plus haut, le moyen de Sandoz selon lequel la demande de Nycomed constituerait un abus de procédure au motif que la décision Apotex aurait déjà déclaré fondées des allégations semblables de non-contrefaçon n’a pas été soulevé valablement dans la présente requête, de sorte qu’il ne sera pas tranché.

 

  • [26] Cependant, s’il avait été opportun que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire d’examiner ces arguments de Sandoz, je les aurais rejetés.

 

  • [27] Comme je le faisais observer dans Sandoz 1, la décision Apotex tranche seulement la question de savoir si Apotex contreferait vraisemblablement le brevet 694 ou inciterait vraisemblablement à sa contrefaçon. Or le point en litige dans la présente demande est celui de savoir si Sandoz contreferait ce brevet ou inciterait à sa contrefaçon. Par conséquent, la décision Apotex ne peut être considérée comme ayant déjà jugé les questions de contrefaçon en litige dans la présente demande.

 

  • [28] Pour faire prospérer ce moyen, Sandoz aurait dû établir l’impossibilité pour Nycomed de produire une preuve suffisant à démontrer le caractère non fondé de ses allégations de non‑contrefaçon. Il ne suffit pas à cet égard de faire remarquer des similitudes, sous certains aspects, entre les monographies de produit respectives d’Apotex et de Sandoz. La présence de similitudes entre certains des facteurs dont on pourrait inférer une incitation à la contrefaçon n’exclut pas la possibilité qu’il existe d’autres facteurs pertinents, qui pourraient être produits en preuve aux fins d’établir chez Sandoz une intention d’inciter à la contrefaçon. Par exemple, Sandoz n’a pas démontré qu’il soit impossible à Nycomed de produire des éléments de preuve relatifs à ses pratiques de commercialisation ou de promotion qui tendraient à faire inférer une intention d’inciter à la contrefaçon. En fait, Nycomed a produit dans la présente requête certains éléments de preuve de cette nature, notamment les déclarations d’un pharmacien selon lesquelles les représentants de commerce de Sandoz affirmaient bel et bien, dans leur démarchage auprès de cette profession, la complète interchangeabilité et l’équivalence [traduction] « à tous égards » du produit de leur société et de celui de Nycomed.

 

  • [29] En outre, les questions de contrefaçon en litige dans la présente demande incluent celle de la contrefaçon directe, notamment le point de savoir si les comprimés de Sandoz se présentent sous une forme partiellement non résistante au suc gastrique. La preuve non contredite produite par Nycomed dans la présente requête tend à établir que celle‑ci attendait de Sandoz, mais n’avait pas encore reçu, des données sur la stabilité des comprimés révélant la puissance de dosage initiale du pantoprazole et le pourcentage de celui‑ci à diverses phases des tests de dissolution. Des données exactement homologues ont été produites dans l’affaire Apotex pour le produit d’Apotex, rappellerai‑je, et elles établissaient que la totalité du pantoprazole sodique utilisé dans la fabrication des comprimés de cette entreprise était présente au stade tampon du test de dissolution, ce qui étayait l’affirmation d’Apotex qu’aucune part du pantoprazole devant se trouver dans le noyau des comprimés ne pouvait être passée sur l’enrobage entéro-soluble, contrairement à l’hypothèse de Nycomed. Or Sandoz n’a pas prouvé que ses propres données, une fois produites, ne révéleraient pas au contraire l’absence au stade tampon d’une partie du pantoprazole utilisé dans la fabrication. Les données de Sandoz, dans le cas où elles donneraient à penser qu’une partie du pantoprazole utilisé dans la fabrication pourrait ne pas être contenue dans le noyau, militeraient pour la thèse de la contrefaçon directe.

 

  • [30] Ce ne sont pas là les seuls aspects sous lesquels la preuve de Nycomed pourrait légitimement et substantiellement différer de celle produite dans l’affaire Apotex. Les éléments de preuve particuliers examinés plus haut ne constituent qu’un exemple des raisons pour lesquelles Sandoz n’aurait pu réussir, dans la présente requête, à établir que la demande de Nycomed soit vouée à l’échec.

 

Les dépens

 

  • [31] Nycomed ayant eu gain de cause dans son opposition à la présente requête, ses dépens lui seront adjugés. En outre, les deux seuls motifs soulevés valablement par Sandoz dans la présente requête, à savoir l’admissibilité du brevet à l’inscription et sa non-pertinence, se fondaient sur une interprétation des décisions Apotex et Genpharm qui ne pouvait raisonnablement se déduire des motifs clairement exposés par la Cour dans les deux cas. Par conséquent, la présente requête se révèle irréfléchie et mal fondée, et elle n’aurait pas dû être formée. Elle a fait perdre son temps à la Cour et inutilement mobilisé les efforts de Nycomed, à un moment où cette dernière aurait dû concentrer ses ressources pour préparer ses moyens de preuve sur le fond de la demande. J’ai déjà constaté le caractère inacceptable des arguments avancés par Sandoz à la onzième heure concernant la question de la non-contrefaçon. Or, même si ces arguments n’avaient pas été soulevés dans l’avis de requête, Nycomed a décidé, pour plus de sûreté, de présenter des éléments de preuve sur ce point. S’il est vrai que la Cour n’est généralement pas disposée à indemniser un plaideur de frais engagés sans nécessité et par prudence excessive, la circonspection de Nycomed s’est en fin de compte révélée justifiée; bien que je n’aie ici examiné que dans le cadre de remarques incidentes la preuve qu’elle a ainsi produite, Sandoz devra lui payer les frais d’experts qu’elle a dû engager à cette fin, pour autant qu’elle n’en soit pas déjà indemnisée – je soupçonne d’ailleurs qu’elle l’est en grande mesure– par l’ordonnance de dépens rendue dans Sandoz 1.

 

  • [32] Comme je l’ai fait observer dans Sandoz 1, le fait que Sandoz ait demandé de manière répétée et injustifiée que sa requête soit instruite d’urgence ainsi que ses exigences changeantes concernant la programmation disposent aussi la Cour à taxer les dépens de Nycomed selon l’échelon supérieur de la colonne V du tarif B. Comme les frais afférents aux conférences téléphoniques tenues pour programmer et reprogrammer l’audience de la requête, et les frais de déplacement des avocats pour cette audience, sont déjà compris dans l’ordonnance de dépens de Sandoz 1, ils n’entreront pas dans le calcul des dépens de la présente requête. Cependant, les frais d’experts engagés par Nycomed sur la question de l’admissibilité et le point de savoir si le brevet comporte des revendications pour le médicament en soi ou pour son utilisation ont quant à eux leur place dans ce calcul.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

  1. La requête de la défenderesse Sandoz Canada Inc. est rejetée avec dépens, à calculer conformément aux motifs de la présente ordonnance et à payer sans délai, quelle que soit l’issue de la cause.

 

 

 

 

 

 

 

« Mireille Tabib »

Protonotaire

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T‑1942‑07

 

INTITULÉ :  NYCOMED CANADA INC. ET AL. c. LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  OTTAWA

 

DATE DE L’AUDIENCE :  LE 21 AVRIL 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LA PROTONOTAIRE TABIB

 

DATE DES MOTIFS :  LE 29 APRIL 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

NEIL BELMORE

KEVIN SATORIO

 

POUR LES DEMANDERESSES

EDWARD HORE

KEVIN ZIVE

 

POUR LA DÉFENDERESSE

SANDOZ CANADA INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GOWLING LAFLEUR HENDERSON, S.E.N.C.R.L., S.R.L.

TORONTO

 

POUR LES DEMANDERESSES

HAZZARD & HORE

TORONTO

 

POUR LA DÉFENDERESSE

SANDOZ CANADA INC.

JOHN H. SIMS, C.R.

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

POUR LE DÉFENDEUR

MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 



[1] Bien que cette décision soit répertoriée sous les dénominations Solvay Pharma et Altana Pharma, les demanderesses à cette instance sont en fait les mêmes que dans la présente affaire; elles ont en effet adopté la dénomination Nycomed au cours de ladite instance.

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