Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20080417

Dossier : T-899-06

Référence : 2008 CF 500

Toronto (Ontario), le 17 avril 2008

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

PFIZER CANADA INC., PFIZER INC.

et PFIZER LIMITED

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

et PHARMASCIENCE INC.

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande, qu’ont introduite Pfizer Canada Inc. et al. en vertu des dispositions du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, et ses modifications, vise à interdire au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à la défenderesse Pharmascience Inc. relativement à sa version générique d’un médicament contenant une substance médicinale appelée « bésylate d’amlodipine » et présentée sous forme de comprimés de 5 mg et de 10 mg, et ce, jusqu’à l’expiration du brevet canadien 1 321 393 (le brevet 393). Pour les motifs qui suivent, cette demande est accueillie.

 

[2]               Le médicament en question, qui contient du bésylate d’amlodipine, agit en tant qu’inhibiteur des canaux calciques pour réduire la tension artérielle et l’angine et il est vendu par Pfizer au Canada sous le nom de NORVASC. Pfizer a déjà obtenu des brevets pour un groupe de composés qui comportent de l’amlodipine utilisée à ces fins. Ces brevets revendiquent les composés en question dans leur base libre, de même que des « additions acides pharmaceutiquement acceptables » des composés, et ils incluent le brevet découlant de la demande de brevet européen 0089167 et du brevet canadien 1 253 865. Les questions en litige dans la présente demande ont trait à une forme de sel particulière - le bésylate d’amlodipine – qui est revendiquée dans le brevet 393.

 

[3]               Ce n’est pas la première fois que le brevet 393 fait l’objet d’un litige dans le contexte des instances relatives à un avis de conformité (AC). Dans une décision datée du 17 février 2006 et publiée sous la référence 2006 CF 220, le juge von Finckenstein, de la Cour, a statué que l’allégation faite par Ratiopharm, le fabricant de génériques dans cette instance-là, au sujet de l’invalidité du brevet 393, était justifiée. Dans un arrêt publié sous la référence 2006 CAF 214, la Cour d’appel fédérale a infirmé cette décision (les décisions Ratiopharm). À l’heure actuelle, dans une affaire mettant en cause Cobalt Pharmaceuticals Inc., la juge Heneghan, de la Cour, examine la validité du brevet 393 dans le contexte d’allégations relatives à un AC que Cobalt a formulées.

 

[4]               Aux États-Unis, le 22 mars 2007, la Cour d’appel des États-Unis pour le circuit fédéral (CACF) a conclu qu’un brevet des États-unis équivalent, portant le numéro 4 879 303 et revendiquant le bésylate d’amlodipine, était invalide dans le contexte d’une instance relative à l’approbation d’un médicament (l’arrêt est publié sous la référence 480 F.3d 1348; 82 U.S.P.Q 2D (BNA) 1321), infirmant ainsi une décision antérieure rendue en première instance.


LES POINTS EN LITIGE DANS
LA PRÉSENTE INSTANCE

[5]               Les avocates de la défenderesse Pharmascience, qui, d’un commun accord, ont présenté en premier leur argumentation, ont limité le nombre des questions à examiner dans le cadre de la présente instance à trois, toutes liées aux allégations de Pharmascience concernant l’invalidité du brevet 393. Ces questions sont les suivantes :

 

1.      Caractère suffisant : Le mémoire descriptif du brevet 393 est-il suffisant compte tenu des dispositions du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, dans sa forme modifiée, de sorte qu’une personne versée dans l’art pourrait mettre en pratique l’invention alléguée?

 

2.      Utilité : Il s’agit d’une attaque en deux volets contre la validité. Premièrement, les données présentées dans le brevet 393 ne démontreraient pas l’utilité alléguée, à savoir que le sel en question – le bésylate d’amlodipine – présente un niveau étonnamment meilleur de caractéristiques souhaitables dans un produit pharmaceutique commercial. Deuxièmement, les données sous-jacentes révélées grâce à la preuve présentée pour le compte de Pfizer par Davison, l’un des inventeurs nommés du brevet 393, démontreraient que le bésylate ne parvient pas à atteindre le niveau d’utilité déclaré. À cet argument s’ajoutent la preuve de Pharmascience concernant la vente approuvée au Royaume-Uni d’une version « maléate » de l’amlodipine et les données de fabrication fournies par le fournisseur de Pharmascience sur son propre produit envisagé, le mésylate d’amlodipine.

 

3.      Évidence : Pharmascience soutient, d’une part, que des brevets antérieurs délivrés à Pfizer, le brevet précédemment mentionné qui découle de la demande de brevet européen 0089167 et le brevet canadien 1 253 865 révèlent l’amlodipine de pair avec des « sels d’addition pharmaceutiquement acceptables » et, d’autre part, que le bésylate est un de ces sels qu’aurait choisis sans difficulté une personne versée dans l’art, à l’époque en cause, à cette fin. Pharmascience fait état d’un document scientifique, rédigé par Berge et al., qui dresse la liste d’une cinquantaine de ces sels, dont le bésylate, et cette liste, soutient-elle, aurait été rapidement circonscrite à quelques candidats seulement, dont le bésylate. Pharmascience complète cet argument en faisant référence à trois autres brevets des États-Unis qui illustrent le caractère approprié du bésylate, non pas avec l’amlodipine mais dans des circonstances que l’on pourrait qualifier de semblables.

C’est là un argument qui a prévalu dans l’arrêt précédemment mentionné de la Cour d’appel des États-Unis pour le circuit fédéral (CACF).

 

[6]               Pfizer a convenu sans difficulté qu’on restreigne les questions en litige et elle soutient qu’aucune d’entre elles, à l’exception peut-être de quelques arguments concernant l’utilité, ne peut être débattue à cause de l’arrêt antérieur de la Cour d’appel fédérale dans Ratiopharm ou du défaut de Pharmascience de soulever convenablement la question dans son avis d’allégation, ou pour ces deux raisons ou d’autres.

 

LES ÉLÉMENTS DE PREUVE

[7]               Pfizer et Pharmascience ont toutes deux produit des preuves par affidavit, dont certaines ont fait l’objet d’un contre-interrogatoire. Le ministre n’a participé ni à la production des éléments de preuve ni à la présentation des arguments dans le cadre de la présente instance.

 

[8]               Pour ce qui est des éléments de preuve :

Pfizer

Pfizer a produit en preuve les affidavits de quatre témoins experts, qui ont tous été contre‑interrogés :

i.         Gerald S. Brenner : chimiste en produits pharmaceutiques à la retraite et ayant une expérience de la synthèse de médicaments, de la création de formules et de la chimie des états solides. Il a été au service de Merck Research Laboratories pendant 33 ans, où il a occupé divers postes, dont celui de directeur principal de la recherche et du développement pharmaceutiques.

ii.       Stephen Byrn : professeur de chimie médicinale à l’Université Purdue. Les sujets de recherche qui l’intéressent comprennent la chimie médicinale et la pharmaceutique, et particulièrement les fonctions et les propriétés des sels.

iii.      Peter Chen : professeur de chimie organique physique à l’Institut de chimie organique, à l’Institut fédéral suisse de technologie. Ses travaux de recherche comportent l’étude des relations structures-activités des composés chimiques de même que les mécanismes des réactions organiques.

iv.     James W. McGinity : professeur de pharmacie au College of Pharmacy de l’Université du Texas, à Austin. Les sujets de recherche qui l’intéressent comprennent les formulations pharmaceutiques, les préformulations, les systèmes à libération immédiate et à libération soutenue, les systèmes nouveaux de libération de médicaments, la science des matériaux et le traitement des produits pharmaceutiques.

Pfizer a également produit en preuve les affidavits de trois témoins de faits : Edward Davison, l’un des inventeurs nommés du brevet 393, Madeline Pesant (employée de Pfizer) et Dianne Zimmerman (technicienne juridique). Seuls Davison et Pesant ont été contre-interrogés.

v.       Edward Davison : un ancien employé de Pfizer Limited et l’un des inventeurs nommés du brevet 393. Son affidavit décrit les travaux de recherche de Pfizer sur le bésylate d’amlodipine.

vi.     Madeline Pesant : au service de Pfizer Canada Inc. à titre de conseillère principale, Politiques réglementaires et renseignements, Division médicale. Il est question dans son affidavit des présentations de drogues nouvelles que Pfizer a soumises à Santé Canada au sujet du bésylate d’amlodipine, ainsi que des listes de brevets selon la formule IV, qui incluaient le brevet 393.

vii.    Dianne Zimmerman : technicienne juridique au sein du cabinet d’avocats représentant Pfizer. Son affidavit présente des lettres qui ont été échangées entre Pfizer, Pharmascience et le ministre. Elle inclut aussi à titre de pièces les observations écrites de Pfizer et de Ratiopharm dans le dossier de la Cour no A-75-06, une lettre d’Apotex à Pfizer Canada, de même qu’une ordonnance de la juge Heneghan dans la décision Pfizer Canada Inc. c. Canada (ministre de la Santé) (T-1255-04) datée du 26 mars 2007.


Pharmascience

Pharmascience a produit la preuve de quatre témoins experts, qui ont tous été contre-interrogés :

i.         Robert Joseph Zamboni : un chimiste organicien qui a été au service de Merck Frosst de 1980 à 2005, période durant laquelle il a occupé divers postes, dont celui de vice-président, Service de chimie médicinale. Depuis 1993, il donne des cours de chimie médicinale au deuxième cycle universitaire, à l’Université McGill.

ii.       Christopher T. Rhodes : professeur émérite à l’Université du Rhode Island. Au cours de sa carrière de chercheur scientifique, il a étudié la formulation et la fabrication des comprimés, et il a mené notamment des études sur la stabilité et la biodisponibilité.

iii.      Robert Miller : président de MPD Consulting, une entreprise qui fournit des services de consultation à l’industrie pharmaceutique. Il détient un doctorat en pharmaceutique et a acquis plus de 20 ans d’expérience dans le domaine pharmaceutique. De 1994 à 2002, M. Miller a exercé les fonctions de professeur agrégé de pharmaceutique à l’Université de la Colombie-Britannique, où il a donné divers cours sur les formulations pharmaceutiques.

iv.     Paul J. Larocque : président d’Acerna Incorporated, une entreprise de consultation qui se spécialise dans les affaires liées à la réglementation pharmaceutique. Il détient un baccalauréat en chimie et a occupé des postes de haut niveau au sein des services des affaires réglementaires et du contrôle de la qualité de grandes sociétés pharmaceutiques canadiennes. Depuis 1994, M. Larocque travaille comme consultant.

Pharmascience a aussi produit l’affidavit de Rebecca Seath, technicienne juridique au service du cabinet d’avocats représentant Pharmascience. Son affidavit, qui compte neuf volumes de documents, a pour but de présenter l’avis d’allégation ainsi que les antériorités dont il est question dans cet avis. Mme Seath n’a pas été contre-interrogée.

 

De plus, Pharmascience a produit en preuve l’affidavit de Gaetano Gallo, chimiste diplômé travaillant au Service des affaires réglementaires de Pharmascience. Il a produit, en tant que pièces, un certain nombre de données techniques portant sur des produits à base de mésylate d’amlodipine qui sont fabriqués à l’étranger.

 

[9]               Pfizer s’est opposée à l’admissibilité des trois éléments de preuve suivants :

1.      un document désigné « pièce A » que les avocats de Pharmascience ont produit lors du contre-interrogatoire de l’inventeur Davison;

2.      toutes les pièces jointes à l’affidavit de Gallo;

3.      les pièces E et F jointes à l’affidavit de Larocque.

 

[10]           En ce qui concerne chacune de ces objections :

1.      La pièce A est prétendument une copie d’une note de service datée du 23 mars 1990, transmise par Platt, un collègue de l’inventeur Davison, à Davidson (pas Davison), leur supérieur. Ce document, que ni Pfizer ni Pharmascience n’avaient déposé en preuve auparavant, a été soumis à Davison en contre-interrogatoire, par les avocates de Pharmascience. Davison (en réponse à la question 141, page 54 de la transcription) a déclaré qu’il n’avait jamais vu le document auparavant et ne pouvait pas l’identifier. En réponse, aux pages 78 et 79 de la transcription, il a réitéré n’avoir jamais vu ce document auparavant,  mais il a fait un bref commentaire sur ce que ce document semble contenir.

Je viens à la conclusion que ce document n’est pas admissible. Le témoin n’a pas pu l’identifier, le bref commentaire qu’il a fait en réponse est simplement une remarque sur ce qu’une partie de ce document, à première vue, semble dire. Il ne s’agit pas là d’une concession quant à l’admissibilité du document ou d’une attestation de sa teneur.

Même si j’avais décidé que ce document était admissible, je lui aurais accordé peu de poids, car il n’est d’aucune utilité pour trancher les points en litige.

 

2.      Les pièces jointes à l’affidavit de Gallo consistent en un certain nombre de documents techniques établis par des fabricants tiers situés à l’étranger à propos du mésylate d'amlodipine. Ces documents sont, paraît-il, du genre de ceux que l’on soumet à des instances publiques telles que Santé Canada dans le but de démontrer l’innocuité et l’efficacité d’un produit au moment de solliciter leur approbation. Dans ce contexte, il se peut qu’ils constituent des documents de nature commerciale, mais il ne s’agit pas des documents de Pharmascience, pas plus qu’ils n’ont été établis par Gallo ou un employé quelconque de Pharmascience, ou avec leur concours. Gallo déclare qu’il s’agit de documents qui [traduction] « peuvent et seront » soumis à Santé Canada.

Aucune mention n’est faite de ces documents dans l’avis d’allégation de Pharmascience, pas plus qu’il n’est question dans cet avis-là des essais dont traitent ces documents. Au dire de Pharmascience, les documents n’ont été établis qu’après qu’elle ait présenté son avis d’allégation. Pfizer déclare qu’au moins une partie raisonnable des essais dont il est question dans ces documents ont eu lieu avant la présentation de l’avis d’allégation. Les deux parties renvoient à la décision du juge von Finckenstein dans Ratiopharm, précitée, aux paragraphes 26 à 29, où ce dernier déclare qu’il ferait abstraction d’éléments de preuve concernant certains « essais effectués par les laboratoires Dalton » parce que ces essais ont été effectués avant la présentation de l’avis d’allégation et ne sont pas mentionnés dans cet avis.

J’arrive à la conclusion que les pièces jointes à l’affidavit de Gallo sont inadmissibles pour deux raisons : premièrement, au moins certains des essais dont il est question dans ces documents ont eu lieu avant la présentation de l’avis d’allégation et, s’ils étaient pertinents, il aurait fallu les mentionner dans l’avis; deuxièmement, ces documents ne sont d’aucune utilité; bien qu’ils révèlent, dans le meilleur des cas, qu’il est apparemment possible de fabriquer de façon commercialement satisfaisante une formulation quelconque de maléate d'amlodipine, nous ignorons de quelle formulation il s’agit, ou la façon dont le produit est fabriqué.

Les documents de Gallo, même s’ils sont admissibles, ne seraient donc d’aucune utilité pour trancher les questions qui sont en litige en l’espèce.

 

3.      Les pièces E et F jointes à l’affidavit de Larocque sont prétendument des documents publics disponibles auprès des instances sanitaires du Royaume-Uni, relativement à des produits à base de maléate d'amlodipine approuvés pour la vente dans ce pays-là. Larocque est un consultant qui se spécialise en affaires réglementaires pharmaceutiques. Il est en mesure d’identifier ces pièces de manière suffisante et je les admets en preuve, car il s’agit de documents publics.

Cependant, comme dans le cas de Gallo, les pièces de Larocque ont peu de valeur probante; elles ne nous en disent pas assez sur la formulation ou la méthode de fabrication, ou ne comportent aucune autre information qui pourrait aider à déterminer si les « problèmes » que posent le maléate d'amlodipine ont été réglés par d’autres techniques. La preuve de M. Chen, aux paragraphes 64 à 67 de son affidavit, par exemple, montre qu’il y a eu ces dernières années un certain nombre d’innovations qui auraient réglé le « problème » du maléate. Par conséquent, même si ces documents sont admissibles, je leur accorde peu de poids.

 

LE FARDEAU DE LA PREUVE

[11]           Heureusement, dans leurs plaidoiries, les parties ont consacré peu de temps à la question de savoir quel degré de fardeau de preuve laquelle d’entre elles supporte à l’égard des points en litige. J’ai dit tout ce que je puis réellement dire à ce stade-ci sur cette question, sans bénéficier d’une aide additionnelle d’une cour d’instance supérieure, dans les décisions Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2008 CF 142, au paragraphe 58, et Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministère de la Santé), 2008 CF 11, aux paragraphes 28 à 33.

 

[12]           La seule question qui se pose en l’espèce est la validité. Pharmascience a soulevé trois arguments à cet égard. Pfizer et Pharmascience ont toutes deux présenté des éléments de preuve et fait des observations sur ces points. Au bout du compte, il me faut trancher l’affaire selon la prépondérance de la preuve, en me fondant sur les éléments de preuve dont je dispose et sur le droit actuellement en vigueur. Si, au vu des éléments de preuve, je conclus que l’affaire s’équilibre, il me faudra conclure que Pfizer n’a pas établi que l’allégation de Pharmascience est injustifiée.

 

L’INTERPRÉTATION DES REVENDICATIONS

[13]           Conformément aux directives que donne la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 43, et comme il a été maintes fois répété dans des instances telles que la présente, la Cour doit d’abord interpréter les revendications en litige avant de se pencher sur des questions telles que la validité ou la contrefaçon. La demande relative au brevet 393 a été déposée au Canada avant le mois d’octobre 1989, ce qui veut dire que ce sont les « anciennes » dispositions de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, qui s’appliquent. Le brevet doit être interprété à la date de sa délivrance, soit le 19 août 1993.

 

[14]           En l’espèce, les revendications nos 11, 12 et 13 représentent celles qui sont en litige :

11.              Le bésylate, un sel de l’amlodipine.

 

12.              Une composition pharmaceutique utilisée comme agent anti‑ischémique ou anti-hypertensif, comprenant une quantité thérapeutiquement efficace de bésylate d’amlodipine, de pair avec un diluant ou un vecteur pharmaceutiquement acceptable.

 

13.              Une formulation de comprimés utilisée comme agent anti‑ischémique ou anti-hypertensif, comprenant une quantité thérapeutiquement efficace de bésylte d’amlodipine, mélangée à des excipients.

 

 

 

[15]           Ces revendications sont simples et claires à première vue et elles n’ont pas besoin d’analyse supplémentaire, sauf pour un point qu’a soulevé Pharmascience, celui de l’hydratation.

 

[16]           Il est possible qu’un échantillon d’un composé tel que le bésylate d'amlodipine contienne de l’eau. Cela peut se produire parce que l’échantillon est déposé dans une solution contenant de l’eau, qu’un comprimé sec ou un mélange sec à utiliser, par exemple, dans une gélule, est exposé à de l’humidité, ou alors qu’un comprimé sec ou un mélange sec renferme d’autres ingrédients (excipients) qui contiennent de l’eau. Une partie de cette eau adhère (adsorbe) à la surface de l’échantillon. Certaines des molécules d’eau peuvent s’associer très étroitement aux molécules d'amlodipine et peuvent intégrer la structure en réseau cristallin du composé; si cela se produit, la molécule est considérée comme un hydrate. Dans ce dernier cas, le terme « monohydrate », « dihydrate » ou « trihydrate », etc. sert à identifier l’échantillon, suivant le nombre de molécules d’eau associées à chaque molécule de bésylate d'amlodipine. Un échantillon sec qui ne contient aucune molécule d’eau étroitement associée au bésylate d'amlodipine est qualifié d’anhydre.

 

[17]           Les revendications, illustrées par les nos 11, 12 et 13 et tous les autres, n’indiquent pas si le bésylate d'amlodipine existe sous la forme d’un anhydre, d’un monohydrate ou d’un autre hydrate. Le mémoire descriptif n’est d’aucune utilité. L’expert de Pfizer, M. McGinity, aux pages 69 et 70 de son contre-interrogatoire, a déclaré qu’à son avis toutes les formes de bésylate d'amlodipine seraient incluses. J’arrive moi aussi à cette conclusion : toutes les formes de bésylate d’amlodipine, anhydres et hydratées, sont incluses dans les revendications.

 

[18]           Je souligne que le mot « bésylate » est employé dans les revendications. Il s’agit là d’une forme abrégée qu’emploient les chimistes pour désigner le benzènesulfonate de sodium, ainsi qu’il est indiqué à la première page, quatrième paragraphe, du brevet 393. Certains des autres renvois pris en considération dans la présente instance utilisent le terme « benzène sulfonate » ou « benzènesulfonate ». Tous désignent la même chose.

 

LE CHAMP DE MINES DES AVIS DE CONFORMITÉ

[19]           Dans l’arrêt Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1998] 2 R.C.S. 193, au paragraphe 214, la Cour suprême du Canada fait remarquer - et de nombreux tribunaux l’ont réitéré depuis lors - que le Règlement sur les avis de conformité (le Règlement AC) est draconien. Les dispositions qu’il comporte sont une mise en œuvre imparfaite et partielle de dispositions semblables adoptées aux États-Unis en vertu de la « Hatch Waxman » Act, 21 U.S.C. §355 et, bien qu’il soit revu de temps à autre, le Règlement AC canadien n’a pas été révisé de façon à rectifier, voir traiter, les nombreuses complexités et absurdités procédurales attribuables à la jurisprudence connexe. Les parties, à la recherche d’un avantage, s’empressent d’exploiter les difficultés et les désavantages d’ordre procédural qu’elles peuvent faire subir à leurs adversaires.

 

[20]           Il est possible d’éviter le Règlement AC en engageant une action appropriée devant la Cour en vue de traiter de la validité ou de la contrefaçon d’un brevet, et la Cour s’efforce de rendre cette option plus viable en fixant des dates de procès rapprochées et en imposant une gestion d’instance.

 

[21]           Lorsqu’on a affaire à une instance relative à un AC, le premier « champ de mines » est l’avis d’allégation. Il s’agit d’un document établi par un fabricant de médicaments génériques et signifié à l’innovateur qui a inscrit un ou plusieurs brevets au sujet d’un médicament que le fabricant de médicaments génériques souhaite copier. Il est question de l’avis d’allégation au paragraphe 5(3) du Règlement AC. Il ne s’agit pas d’un document prévu dans la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, ou dans les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 mais, à toutes fins utiles, ce document sert de déclaration par laquelle le fabricant de médicaments génériques fait état des questions qu’il souhaite soulever à l’égard d’un brevet, comme la validité et la contrefaçon, ainsi que le fondement « juridique et factuel » de ses allégations. La jurisprudence établit ce qui suit :

1.      L’avis d’allégation ne peut pas être modifié; un fabricant de médicaments génériques peut retirer certains éléments de l’avis ou ne pas se fonder sur eux, mais il ne peut pas ajouter quelque chose à ce qui est dit ou le modifier. Un innovateur peut dire à un fabricant de médicaments génériques, de manière par trop désinvolte, de signifier simplement un nouvel avis. Cependant, chaque nouvel avis donne à l’innovateur la possibilité d’obtenir, en en faisant simplement la demande auprès de la Cour, une nouvelle injonction de 24 mois afin d’empêcher qu’une autorisation soit donnée au fabricant de médicaments génériques.

 

2.      L’obligation d’énoncer le « fondement juridique et factuel » des allégations concernant, par exemple, une invalidité ou une contrefaçon, est devenue fort stricte. Le critère sous-jacent est que l’innovateur ne doit pas être pris par surprise. La manifestation pratique de cette obligation est que l’avis doit être très détaillé quant à chaque argument à invoquer, et mentionner chacun des éléments de preuve importants sur lesquels il est fondé. Un bon exemple de l’application de ce principe est exposé dans les motifs que le juge Gauthier a rendus dans la décision Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 455, aux paragraphes 103 à 125.

 

[22]           Il y a de nombreux détails qui se rapportent aux points qui doivent être soulevés dans un avis d’allégation, et j’examinerai l’un d’entre eux plus loin dans les présents motifs.

 

[23]           Le système judiciaire est submergé d’instances relatives à un AC, nombre d’entre elles mettant en cause des génériques différents concernant, instance après instance, le même brevet, ou de la part du même innovateur revendiquant systématiquement le même brevet, et ce, même s’il a été déclaré, dans une instance relative à un AC, que le brevet en question est invalide. Aux États‑Unis, la législation permet de joindre plusieurs instances et parties intéressées. Dans l’arrêt Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2007 CAF 163 - demande d’autorisation d’en appeler à la Cour suprême rejetée, [2007] C.S.C.R. no 311 - la Cour d’appel fédérale déclare au paragraphe 50 que, dans le contexte d’un AC, il ne faut pas permettre de débattre à nouveau du même brevet, même si des génériques différents sont en cause, à moins qu’une partie ultérieure dispose « de meilleurs éléments de preuve ou d’un argument juridique plus valable ».

 

[24]           C’est donc dire que les parties en cause dans une instance relative à un AC s’engagent dans une procédure « éliminatoire » :

1.      L’affaire est-elle soulevée de manière suffisante dans l’avis d’allégation?

2.      L’affaire a-t-elle déjà été tranchée, même si le médicament générique est différent et, dans l’affirmative, le médicament générique en question est-il assorti « de meilleurs éléments de preuve ou d’un argument juridique plus valable »?

 

[25]           La question des « meilleurs éléments de preuve ou d’un argument juridique plus valable » est souvent source de confusion parce qu’il est difficile de discerner clairement quels étaient les éléments de preuve ou l’argument juridique en cause dans l’affaire antérieure. Le dossier relatif à l’affaire antérieure n’est pas le même que celui de la présente affaire. Les éléments de preuve produits et les arguments invoqués dans cette affaire sont parfois enveloppés dans un voile de secret par une ordonnance de confidentialité. Habituellement, tout ce dont on dispose, ce sont les motifs du ou des tribunaux antérieurs et, peut-être, les mémoires des arguments qui ont été déposés.

 

[26]           Il n’est guère surprenant que Pfizer soumette au processus « éliminatoire » les trois questions de validité que soulève Pharmascience, et qu’elle fasse valoir que tout ce qui reste est une certaine partie de l’argument de l’utilité. Pharmascience n’est pas d’accord. J’aborderai donc chacun des arguments invoqués en examinant le « mécanisme éliminatoire » et, quelle que soit ma décision, je ferai part de mon opinion sur les arguments de fond.

 

LA DÉCISION RATIOPHARM

[27]           C’est dans l’instance relative à un AC qu’a tranchée le juge von Finckenstein, décision précitée, 2006 CF 220, que le brevet 393 a été soumis pour la première fois à la Cour. Au paragraphe 6 de ses motifs, ce dernier a déclaré que Ratiopharm alléguait que le brevet était invalide :

a)                  pour cause d’antériorité;

b)                  pour cause d’évidence;

c)                  parce qu’il s’agit d’un brevet de sélection.

 

[28]           Le juge von Finckenstein a fait remarquer au paragraphe 13 de sa décision que les experts de Pfizer comprenaient Gerald Brenner et Stephen Byrn. Ces deux personnes sont également témoins de Pfizer dans le cadre de la présente demande. Un seul témoin appelé par Ratiopharm, Robert Miller, fait partie des témoins appelés par Pharmascience en l’espèce (voir les paragraphes 16 et 17 des motifs du juge von Finckenstein).

 

[29]           Au paragraphe 20 de ses motifs, le juge von Finckenstein a déclaré ce qui suit :

[20]     La présente affaire ne repose pas sur la preuve d’expert, car sur tous les principaux points, les experts sont d’accord. Leurs témoignages diffèrent seulement sur la question de savoir ce qu’une personne versée dans l’art aurait considéré comme prévisible ou évident. En fin de compte, ce sont des questions qu’il appartient à la Cour de trancher. Les témoignages des experts sont donc utiles, mais ils ne sont pas concluants.

 

 

[30]           Au paragraphe 22, il a ajouté que la seule revendication qu’il devait prendre en considération était la revendication 11, précitée. Cela vaut aussi pour ce qui est des questions en litige dans la présente demande.

 

[31]           En ce qui concerne la première question : l’antériorité, le juge von Finckenstein a indiqué aux paragraphes 35 à 42 que l’allégation d’antériorité ne pouvait être retenue. La Cour d’appel fédérale (2006 CAF 214), aux paragraphes 34 à 36, a souscrit à cette décision. En l’espèce, il n’y a aucune allégation d’antériorité de la part de Pharmascience, et il n’y a rien d’autre à dire sur le sujet.

 

[32]           Pour ce qui est de la deuxième question, l’évidence, le juge von Finckenstein a indiqué au paragraphe 58 de ses motifs qu’il n’avait pas besoin de l’examiner :

[58]     En raison de ce qui précède, il n’est pas nécessaire d’examiner l’allégation de Ratiopharm relative à l’évidence.

 

[33]           Dans ses motifs, la Cour d’appel fédérale n’a utilisé nulle part le mot « évidence ». J’y reviendrai.

 

[34]           Le juge von Finckenstein et la Cour d’appel fédérale ont accordé une attention considérable dans leurs motifs à la question d’un « brevet de sélection ». La question de savoir si, dans le domaine complexe du droit des brevets, il est nécessaire de créer une autre catégorie spécialisée de plus pour une chose que l’on appelle un « brevet de sélection » et créer autour de cette catégorie un ensemble de jurisprudence suscite la controverse. La Cour suprême du Canada examine actuellement la question dans le cadre de l’appel relatif à l’arrêt que la Cour d’appel fédérale a rendu dans l’affaire Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2006 CAF 421. J’ai invité les parties à reporter la présente audition jusqu’à ce que la Cour suprême du Canada statue sur cette affaire, mais elles ont refusé.

 

[35]           Le juge von Finckenstein a procédé à son analyse des brevets de sélection, au paragraphe 43 de ses motifs, en intégrant les notions d’évidence et de double brevet à celui des brevets de sélection :

[43]     Ratiopharm soutient que le brevet 393 est invalide, car il s’agit d’un double brevet relatif à une évidence et d’un brevet de sélection inapproprié. Elle soutient que :

 

a)         la sélection du bésylate d’amlodipine parmi une catégorie déjà divulguée de sels d’amlodipine acceptables du point de vue pharmaceutique ne satisfait pas aux critères d’un brevet de sélection valide;

 

l’exposé du brevet 393 n’est pas suffisant pour permettre d’appuyer la sélection du bésylate d’amlodipine parmi les autres sels d’addition acide, basée sur une combinaison de caractéristiques de solubilité, d’hygroscopicité, de traitabilité et de stabilité.

 

[36]           Au paragraphe 46, il a intégré la question de l’évidence à son analyse des brevets de sélection :

[46]     À moins que le brevet puisse être qualifié de brevet de sélection, le concept de double brevet relatif à une évidence énoncé par le juge Binnie dans l’arrêt Whirlpool, précité, interdit la délivrance d’un deuxième brevet dont les revendications ne visent pas un élément brevetable distinct de celui visé par un brevet antérieur.

 

[37]           Il a passé en revue les éléments de preuve et le droit et a conclu que tout ce que Pfizer avait fait avait été de vérifier les propriétés existantes du bésylate et qu’il ne s’agissait pas là d’une « invention ». Voici ce qu’il a déclaré aux paragraphes 54, 55 et 57:

[54]     Le but d’un brevet de sélection est de récompenser l’inventeur ayant découvert des caractéristiques jusqu’ici inconnues qui sont propres aux éléments de la sélection. Il ne s’agit pas d’autoriser la création de brevets de sélection valides en permettant à un « inventeur » de vérifier le degré de caractéristiques connues, de fixer, sans justification aucune, des seuils inexpliqués, puis de revendiquer comme unique tout produit satisfaisant à cette combinaison de caractéristiques.

 

[55]     Ce que Pfizer a fait dans le présent cas n’équivaut essentiellement qu’à vérifier que le bésylate possède les degrés de caractéristique suivants :

 

a)  solubilité : 4,6 mg.ml-1, pH : 6,6;


b) 
stabilité : sel le plus stable parmi le chlorhydrate, l’acétate, le maléate, le salicylate, le succinate, le tosylate, le mésylate et le bésylate;

 

c)  non-hygroscopicité : demeure non-hygroscopique lorsque exposé à une température de 90 °C pendant trois jours;

 

d) traitabilité : 1,17 μg d’amlodipine par cm2, c.-à-d. 58 % par rapport au maléate.

 

[…]

 

[57]     Par conséquent, le brevet 393 n’est pas un brevet de sélection valide et Pfizer n’est pas parvenue à réfuter l’allégation de Ratiopharm selon laquelle le brevet 393 est invalide, car il s’agit d’un double brevet relatif à une évidence.

 

[38]           C’est pour ces motifs que le juge a conclu, au paragraphe 58 déjà cité, qu’il n’avait pas besoin d’examiner l’allégation relative à l’évidence. Il l’avait déjà fait dans le contexte de l’analyse des brevets de sélection.

 

[39]           La Cour d’appel fédérale s’est elle aussi longuement attardée dans ses motifs à la question des brevets de sélection. Au paragraphe 14 de ces derniers, elle a reconnu que le juge von Finckenstein en avait fait de même.

 

[40]           Dans la section « Analyse » de ses motifs, la Cour d’appel fédérale a fait la distinction entre la « recherche empirique » et la « vérification ». Voici ce qu’elle a déclaré, aux paragraphes 21 à 24 :

[21]     Il importe de préciser dès le départ que la recherche empirique visant à opérer une sélection au sein d’une catégorie n’est pas de la vérification. Lord Wilberforce, dans Beecham (précité au paragraphe  4), a signalé que la sélection d’éléments d’un ensemble de composés possible et la réalisation de recherches empiriques visant à établir s’ils possèdent les qualités voulues diffèrent de la vérification et donnent des résultats différents (p. 568).

 

[22]     Les recherches empiriques débouchant sur une invention protégée par un brevet de sélection doivent comporter [traduction] « à tout le moins la découverte que les éléments retenus possèdent des qualités inconnues jusque-là, qui leur sont propres et qui ne peuvent leur être attribuées du fait de leur appartenance à une catégorie décrite par une invention antérieure » (voir Dreyfus and Other Applications (1945), 62 R.P.C. 125, p. 133, juge Evershed).

 

[23]     Dans Pope Alliance Corporation and Spanish River Pulp and Paper Mills, Limited, [1929] A.C. 269 (C.L.), le vicomte Dunedin signale, aux p. 250-251, que [traduction] « une invention est simplement la découverte de quelque chose qui n’a pas été découvert par d’autres ». Un inventeur a droit à un brevet dans lequel il peut démontrer que ses efforts ont abouti à la découverte de connaissances fondamentales pour son invention. On ne saurait opposer que d’autres auraient également pu faire la découverte par expérimentation (voir aussi T.A. Blanco White, Patents for Inventors and the Protection of Industrial Designs, 5th ed. : (London : Stevens & Sons, 1983) p. 99).

 

[24]     La vérification, elle, confirme des qualités prévues ou prévisibles de composés connus, c.-à-d. des composés déjà découverts et réalisés. Personne ne peut obtenir un brevet de sélection simplement parce qu’il a vérifié les propriétés d’une substance connue (voir SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc. (2002), 21 C.P.R. (4th) 129 (CAF), par. 21).

 

[41]           Au paragraphe 27, la Cour d’appel fédérale a déclaré que le juge von Finckenstein avait commis une erreur « en concluant que les recherches effectuées par Pfizer constituaient une simple vérification ».

 

[42]           La Cour d’appel fédérale a considéré qu’il y avait eu deux erreurs « de droit », dont une concernait les seuils, un point qui n’est pas en litige en l’espèce. La seconde erreur avait trait au paragraphe 34(1) de la Loi sur les brevets ainsi qu’aux « avantages spéciaux ». Voici ce que la Cour d’appel fédérale a affirmé aux paragraphes 30 à 33 de ses motifs :

[30]     Selon Pfizer, cette analyse est entachée de deux erreurs de droit. S’agissant des seuils, elle place trop haut la barre de ce qui constitue un avantage spécial et, en tout état de cause, l’avis d’allégation de Ratiopharm ne mettait pas ces seuils en cause.

 

[31]     Pour satisfaire à l’exigence d’utilité découlant du paragraphe 34(1) de la Loi sur les brevets, R.S.C. 1985, ch. P-4 (ancienne loi), les éléments sélectionnés doivent présenter un avantage par rapport à la catégorie en général (voir Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 S.C.R. 504 p. 525‑526). Ce dernier arrêt a donné une définition large de l’utilité nécessaire à la validité d’un brevet dont traite Halsbury’s Laws of England (3rd ed.), vol. 29, p. 59 :

 

[traduction] [...] il y a suffisamment d'utilité pour justifier un brevet si l'invention donne soit un objet nouveau ou meilleur ou moins dispendieux ou si elle accorde au public un choix utile.

 

Toutefois, il n’existe aucune exigence juridique particulière quant au type précis d’avantage nécessaire. Il est établi que le critère en matière d’avantage comprend l’évitement d’un désavantage, comme c’est le cas en l’espèce (voir I.G. Farbenindustrie, p. 322).

 

[32]     Le juge de première instance craignait également la manipulation des seuils, et il a signalé que Pfizer n’avait pas présenté d’élément de preuve expliquant ces seuils. Il n’a pas considéré, toutefois, que l’insuffisance de preuve relative aux seuils provenait du fait que Ratiopharm n’avait pas élevé d’objection à leur sujet dans son avis d’allégation. La question des seuils devait être soulevée dans l’avis d’allégation afin que Pfizer sache ce à quoi elle devait répondre (voir Pfizer c. Novapharm (précité au par. 13)). Les décisions rendues sur le fondement de thèses non invoquées par les parties peuvent prêter le flanc à l’argument du manquement à l’équité procédurale.

 

[33]     En résumé, le juge de première instance, parce qu’il a mal appliqué le principe de la vérification, a conclu que le bésylate ne présentait pas d’avantage spécial ou de qualité d’une nature particulière pouvant fonder un brevet de sélection. Suivant mon analyse, qui repose sur les faits non contestés et sur les conclusions du juge de première instance, le bésylate possède, en matière de stabilité, solubilité, non-hygroscopicité et traitabilité un avantage spécial de même qu’une qualité d’une nature particulière pouvant former l’assise d’une revendication valide de brevet de sélection.

 

 

[43]           Ratiopharm, à la suite de la publication des motifs de la Cour d’appel fédérale, a demandé la tenue d’une nouvelle audience sur la question de l’évidence. Le mémoire des arguments que Ratiopharm a présenté en appel est présenté en preuve : il s’agit de la pièce H jointe à l’affidavit de Zimmerman. Il est clair que la question de l’évidence est soulevée dans son mémoire et que la Cour en avait été saisie quand elle a rendu sa décision initiale. En l’espèce, la Cour a été saisie par Pfizer, sans objection de la part de Pharmascience, de l’avis de requête de Ratiopharm concernant la nouvelle audience, avis dans lequel le point en litige était manifestement celui de savoir si la question de l’évidence avait été prise en considération dans la décision initiale. En rejetant la requête concernant la tenue d’une nouvelle audience, le juge d'appel Linden a déclaré ce qui suit, dans des motifs succincts :

[traduction]

La requête en réexamen présentée en vertu de l’aliéna 397(1)b) des Règles est rejetée. Cet alinéa vise à conférer à la Cour le pouvoir de rectifier les omissions et les erreurs commises lors de la rédaction du jugement. L’objet de l’article 397 n’est pas de modifier en profondeur les motifs du jugement, mais simplement de s’assurer que le jugement concorde avec les motifs (voir : Halford c. Seed Hawk Inc. (2004), 31 C.P.R. (4th) 569, au paragraphe 11 (C.F.)). Le jugement rendu dans cette affaire reflétait convenablement l’intention unanime de la Cour de faire droit à l’appel, comme en font foi les motifs de la Cour et le jugement par lequel cette dernière a interdit au ministre de délivrer un avis de conformité à Ratiopharm avant qu’expire le brevet 393. Par ailleurs, l’article 397 n’exige pas que la Cour motive chacune des questions soulevées (voir : Balasingham c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 77 F.T.R. 79, au paragraphe 5 (C.F.1re inst.)).

 

[44]           Je suis donc convaincu que le juge von Finckenstein et la Cour d’appel fédérale ont tous deux pris en considération la question de l’évidence et qu’ils l’ont subsumée dans leur examen de la validité d’un « brevet de sélection ». En fait, le juge von Finckenstein a déclaré que le brevet 393 est évident. La Cour d’appel fédérale a infirmé cette conclusion, décrétant que le brevet ne l’est pas.

 

[45]           Pfizer a aussi fait valoir aussi que la Cour d’appel fédérale avait conclu que la divulgation du brevet 393 était suffisante. Elle se fonde à cet égard sur les motifs de la Cour, aux paragraphes 28 et 29, ainsi que sur la décision de la Cour d’infirmer la décision du juge du procès :

[28]    Selon Ratiopharm, le juge de première instance avait également raison de s’interroger sur l’absence de certains détails essentiels relatifs à la découverte de la [traduction] « combinaison unique » de propriétés du bésylate. Elle soutient que si Pfizer pouvait se contenter d’affirmer que la « combinaison unique » des propriétés de formulation du bésylate ne pouvait être prévue et, par conséquent, présentait un avantage imprévu, alors tout sel de l’amlodipine pouvait être choisi et soumis à des essais visant à vérifier toute propriété pouvant théoriquement fonder une revendication de « combinaison unique » non prévisible. Elle soutient qu’une telle situation serait absurde et qu’il est indispensable de fournir plus de précisions sur le choix des sels comparés et les propriétés de formulation et donner des explications complètes sur les résultats minimaux acceptables pour justifier l’avantage spécial présenté par le bésylate sur les autres éléments de la catégorie

 

[29]  Voici les raisons données par le juge de première instance pour rejeter la revendication de Pfizer selon laquelle il avait été inopinément constaté que le bésylate présentait une « combinaison unique » de propriétés de formulation avantageuses (aux par. 52 à 54 de ses motifs) :

 

[...] un seuil, pour lequel aucune explication n’a été donnée, a été attribué à chacun des quatre facteurs. Aucune preuve permettant d’établir que les quatre caractéristiques n’étaient pas connues au préalable n’a été présentée. De même, aucune preuve permettant de justifier les seuils en termes d’exigences réglementaires, de normes industrielles, de facilité de production ou de réduction au minimum des coûts n’a été présentée.

 

[...]

 

Toute combinaison des quatre caractéristiques des neuf sels peut être considérée comme unique et comme se prêtant particulièrement bien à la fabrication de préparations pharmaceutiques d’amlodipine, pourvu qu’aucune raison ne soit donnée pour expliquer la sélection de la valeur seuil. Toute modification de ces seuils pourrait se traduire par un autre sel présentant [traduction] « une combinaison unique de propriétés de formulation avantageuses grâce auxquelles ce sel se prête particulièrement bien à la fabrication de préparations pharmaceutiques d’amlodipine ». En fait, on peut manipuler ces seuils de façon à obtenir le résultat recherché.

[...]

 

Le but d’un brevet de sélection est de récompenser l’inventeur ayant découvert des caractéristiques jusqu’ici inconnues qui sont propres aux éléments de la sélection. Il ne s’agit pas d’autoriser la création de brevets de sélection valides en permettant à un « inventeur » de vérifier le degré de caractéristiques connues, de fixer, sans justification aucune, des seuils inexpliqués, puis de revendiquer comme unique tout produit satisfaisant à cette combinaison de caractéristiques.

 

[46]           Je rejette cet argument. La question du caractère suffisant a peut-être bien été soumise au juge du procès, mais cela n’est pas clair au vu de ce qui est indiqué au paragraphe 46 de ses motifs (2006 CF 220) :

À moins que le brevet puisse être qualifié de brevet de sélection, le concept de double brevet relatif à une évidence énoncé par le juge Binnie dans l’arrêt Whirlpool, précité, interdit la délivrance d’un deuxième brevet dont les revendications ne visent pas un élément brevetable distinct de celui visé par un brevet antérieur.

 

La Cour d’appel n’a pas semblé examiner la question. Les décisions des deux cours n’ont pas porté sur elle. La décision rendue concernait la question de la « vérification » par opposition à celle de l’« invention », et non le caractère suffisant de la divulgation.

 

[47]           Quant à l’utilité, il ne s’agit pas d’une attaque contre la validité du brevet 393 que Ratiopharm semble avoir invoquée. Cette question ne fait pas partie des questions litigieuses dont fait état le juge von Finckenstein, précité, au paragraphe 8 de ses motifs. Dans une certaine mesure, il a été question du mot « utilité » dans une citation du texte du professeur Blanco White, qui figure au paragraphe 49 des motifs du juge von Finckenstein :

[49]      On trouve un excellent résumé de l’état du droit en la matière dans le texte de l’auteur britannique T.A. Blanco White, Patents for Inventors and the Protection of Industrial Designs, 5éd. (Londres : Stevens & Sons, 1983), page 62, paragraphe14-110, où il est dit :

 

[traduction] À l’heure actuelle, on estime que la divulgation d’une catégorie, même très limitée, en termes généraux ou par l’énumération de ses éléments, ne constitue pas une divulgation des éléments individuels de cette catégorie qui ferait en sorte qu’ils ne seraient plus nouveaux. Plus particulièrement, la simple énonciation du nom systématique d’un composé chimique ne constitue pas la publication de ce nom; un composé n’est pas un composé déjà connu tant qu’il n’a pas effectivement été fabriqué. De plus, une invention nécessitant la connaissance des propriétés d’un composé n’a pas été effectuée, et ne peut donc pas être publiée, non seulement tant que le composé n’a pas été fabriqué, mais aussi tant qu’on n’a pas vérifié s’il possédait les propriétés en question. Ainsi, dans toute affaire ordinaire relative à un brevet de sélection, la question n’en est pas une de nouveauté, mais d’évidence, d’utilité et de description suffisante, et cela, de la manière ordinaire.

 

[48]           Le juge von Finckenstein a ensuite examiné si le brevet était un « brevet de sélection » valide, compte tenu de l’argument suivant de Ratiopharm : le brevet, même s’il établit quatre critères pour déterminer l’existence d’un sel de bonne qualité, soit la solubilité, la stabilité, la non‑hygroscopicité et la traitabilité, a simplement fixé des seuils arbitraires pour ces critères, de façon à arriver à un résultat « inopiné ». Au paragraphe 55 de ses motifs, le juge von Finckenstein arrive à la conclusion suivante :

[55]           Ce que Pfizer a fait dans le présent cas n’équivaut essentiellement qu’à vérifier que le bésylate possède les degrés de caractéristique suivants :

 

a)  solubilité : 4,6 mg.ml-1, pH : 6,6;

 

b) stabilité : sel le plus stable parmi le chlorhydrate, l’acétate, le maléate, le salicylate, le succinate, le tosylate, le mésylate et le bésylate;

 

c) non-hygroscopicité : demeure non-hygroscopique lorsque exposé à une température de 90 °C pendant trois jours;

 

d)  traitabilité : 1,17 μg d’amlodipine par cm2, c.-à-d. 58 % par rapport au maléate.

 

[49]           Il faut se souvenir que, dans la présente demande, la question des « seuils » n’a pas été débattue.

 

[50]           La Cour d’appel fédérale a infirmé la décision du juge von Finckenstein, signalant que Ratiopharm n’avait pas fait intervenir la question des « seuils » dans son avis d’allégation. La Cour d’appel a conclu que, d’après les faits, il existait des « avantages spéciaux » et une « qualité d’une nature particulière » qui étaient suffisants pour donner lieu à un brevet de sélection valide. Il semble que ni la Cour d’appel ni le juge von Finckenstein n’ont traité des arguments relatifs à l’utilité que Pharmascience cherche à invoquer en l’espèce. Les deux ne se sont souciés que d’une question de « seuils », une question qui, en tout état de cause, n’avait pas été soulevée à bon droit dans l’affaire dont ils étaient saisis.

 

L’ÉVIDENCE

[51]           Après avoir conclu que le juge de première instance et la Cour d’appel fédérale, dans la décision Ratiopharm, ont analysé la question de l’évidence, le point qu’il convient d’examiner consiste maintenant à savoir si Pharmascience, dans la présente demande, a fourni des éléments de preuve meilleurs ou un argument plus valable que Ratiopharm dans le cadre de l’instance antérieure. À cet égard, je réitère à quel point il est difficile de déterminer à l’heure actuelle quels éléments de preuve et quels arguments ont été soumis à ces tribunaux dans l’instance antérieure. Il semble que la Cour d’appel a indiqué en ces termes, au paragraphe 16 de son arrêt, quelle était la question en litige :

[16] J’estime que la question de savoir si le juge de première instance a appliqué le bon critère pour conclure que les recherches menées par Pfizer ne faisaient que vérifier des propriétés existantes (ou leur degré) et étaient dénuées d’inventivité doit être tranchée en fonction de la norme de la décision correcte.

 

[52]           Cela concorde avec ce que le juge von Finckenstein a déclaré, aux paragraphes 54 et 57 de ses motifs :

[54]    Le but d’un brevet de sélection est de récompenser l’inventeur ayant découvert des caractéristiques jusqu’ici inconnues qui sont propres aux éléments de la sélection. Il ne s’agit pas d’autoriser la création de brevets de sélection valides en permettant à un « inventeur » de vérifier le degré de caractéristiques connues, de fixer, sans justification aucune, des seuils inexpliqués, puis de revendiquer comme unique tout produit satisfaisant à cette combinaison de caractéristiques.

[…]

 

[57]    Par conséquent, le brevet 393 n’est pas un brevet de sélection valide et Pfizer n’est pas parvenue à réfuter l’allégation de Ratiopharm selon laquelle le brevet 393 est invalide car il s’agit d’un double brevet relatif à une évidence.

 

[53]           Dans la présente demande, l’argument de Pharmascience à propos de la question de l’évidence est résumé au paragraphe 48 de son mémoire :

[traduction]

48.              En 1986, une personne versée dans l’art aurait considéré le bésylate d’amlodipine comme étant évident au vu de : 1) le brevet constituant antériorité de Pfizer, le brevet 865 (et ses équivalents 909/EP ’167 des États-Unis), lequel fait explicitement état d’un certain nombre de sels d’amlodipine et mentionne que n’importe quel sel pharmaceutiquement acceptable est approprié; 2) l’article de Berge énumérant la liste de 53 sels pharmaceutiquement acceptables que la FDA approuvait à l’époque, et 3) un certain nombre d’autres références d’antériorité montrant que les sels de bésylate étaient pharmaceutiquement acceptables et, en fait, préférables pour les composés présentant des similitudes structurelles avec l’amlodipine.

 

 

[54]           Il n’est pas expressément question de cet argument dans les motifs du juge von Finckenstein ou de la Cour d’appel fédérale. Cependant, au vu de la conclusion de la Cour d’appel fédérale selon laquelle le bésylate avait bel et bien « un avantage spécial de même qu’une qualité d’une nature particulière » (paragraphe 33) et constituait donc un brevet de sélection valide, je conclus que l’argument et les éléments de preuve invoqués en l’espèce sont suffisamment semblables pour que la Cour ne réexamine pas la question de l’évidence.

 

[55]           Au cas où la conclusion à laquelle je suis arrivé, c’est-à-dire ne pas réexaminer la question de l’évidence, serait erronée, je ferai part de mon opinion sur la question qu’a exposée Pharmascience, au paragraphe 48 précité de son mémoire.

 

[56]           Il est raisonnable, quand on examine l’invention revendiquée - qui, peut-on dire simplement, consiste en un sel, du bésylate d’amlodipine, utilisé pour soigner des affections cardiaques - de commencer par l’antériorité reconnue dans le brevet lui-même. Il s’agit, après tout, d’une reconnaissance par le breveté de l’état préexistant de la technique (voir Eli Lilly Canada c. Novopharm Ltd., 2007 CF 596, au paragraphe 142, et Pfizer Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2005 CF 1299, au paragraphe 78). Le troisième paragraphe qui figure à la page 1 du brevet 393 fait une reconnaissance au sujet des antériorités en indiquant ce qui suit :

[traduction]

La demande de brevet européen portant le no 89167 révèle plusieurs formes différentes, pharmaceutiquement acceptables, de sels d’amlodipine. En particulier, les sels d’addition acide pharmaceutiquement acceptables sont réputés être ceux qui sont formés à partir d’acides, qui forment des sels d’addition acide non toxiques contenant des anions pharmaceutiquement acceptables comme le chlorhydrate, le bromhydrate, le sulfate, le phosphate ou le phosphate acide, l’acétate, le maléate, le fumarate, le lactate, le tartrate, le citrate et le gluconate. Parmi tous ces sels, c’est le maléate que l’on privilégie particulièrement.

 

[57]           Dans un article de Stephen M. Berge et al., intitulé « Pharmaceutical Salts » et paru dans l’édition de janvier 1977 du Journal of Pharmaceutical Sciences (vol. 66, no 1; affidavit de Byrn, pièce H) sont énumérés, surtout au tableau 1, plus d’une cinquantaine de sels qui, aux yeux d’une personne versée dans l’art, auraient été considérés à l’époque comme des sels pharmaceutiquement acceptables appropriés. Le bésylate (appelé, dans la liste, benzènesulfonate) est l’un des sels inscrits.

 

[58]           La preuve de Pfizer et de Pharmascience diverge au sujet de la facilité avec laquelle une personne versée dans l’art réduirait la liste d’une cinquantaine de sels à un nombre plus restreint de façon à arriver, à un certain point, au bésylate. Pharmascience souligne particulièrement le contre‑interrogatoire des experts de Pfizer, Brenner et McGinity, ainsi que le témoignage de son propre expert, Zamboni, pour dire que la liste aurait pu facilement être coupée de moitié et que l’on aurait pu soumettre les candidats restants à des essais de routine pour déterminer le sel qui convenait le mieux.

 

[59]           Se fondant sur le contre-interrogatoire des témoins de Pharmascience, Miller et Zamboni, sur l’interrogatoire principal de Byrn et sur le témoignage de l’inventeur nommé, Davison, Pfizer déclare qu’il aurait été impossible d’évaluer la totalité des sels et qu’une personne versée dans l’art n’aurait pas été orientée [traduction] « directement et sans difficulté » vers le bésylate; Pfizer dit que le bésylate n’était pas évident. La création du bésylate d’amlodipine a été, dit-elle, comme l’a indiqué Davison au paragraphe 3 de son affidavit, un [traduction] « processus laborieux ».

 

[60]           Dans l’arrêt Janssen-Ortho Inc. c. Novopharm Ltée (2007), 59 C.P.R. (4th) 116, la Cour d’appel fédérale a adopté l’approche holistique moderne à l’égard de la détermination de la question de l’évidence, faisant abstraction d’expressions telles que « directement et facilement » et « valant la peine d’être tenté » et elle a prescrit que le tribunal doit examiner quelle était la situation à l’époque où l’intention alléguée a été faite. Quelles étaient, notamment, les voies à suivre généralement acceptées, les préjugés, la sagesse ordinaire, la disponibilité ou le manque d’outils appropriés ou les connaissances.

 

[61]           Dans l’arrêt « Amlodipine besylate » cité plus tôt (480 F.3d 1348), la Cour d’appel des États-Unis pour le circuit fédéral (CACF) a procédé à un exercice fort semblable à celui qu’a recommandé la Cour d’appel fédérale canadienne dans l’arrêt Janssen-Ortho, précité. Sous la rubrique « Obvious to Try »,  aux pages 1365 à 1369 de ses motifs, la CACF examine les mêmes arguments que ceux que Pharmascience et Pfizer soulèvent en l’espèce. Le passage est trop long pour être cité dans son intégralité, mais en voici quelques extraits :


[traduction]

Certes, « pour avoir une expectative raisonnable de succès, il faut être motivé à faire plus que modifier simplement tous les paramètres ou à faire l’essai de chacun des nombreux choix possibles jusqu’à obtenir peut-être un résultat fructueux, lorsque les antériorités ne donnent soit aucune indication des paramètres qui étaient critiques, soit aucune directive permettant de déterminer lequel des nombreux choix possibles a des chances d’être fructueux ». Medichem, S.A. v. Rolabo, S.L. 437 F.3d 1157, 1165 (Cir. féd. 2006) (citations internes omises). Pfizer soutient que, éventuellement, l’amlodipine, sous forme de bésylate, serait, au plus, un choix « évident à essayer », c’est-à-dire modifier tous les paramètres ou faire l’essai de chacun des nombreux choix possibles afin de déterminer si l’on a obtenu un résultat fructueux. O’Farrell, 853 F.2d, à la page 903.

 

Les parties comparaissant devant la présente Cour se plaignent souvent que toute décision portant sur la question de l’évidence est fondée sur la norme inadmissible de ce qui est « évident à essayer », et la Cour s’est donc efforcée de trouver un juste équilibre entre les truismes en apparence contradictoires selon lesquels, aux termes de 35 U.S.C. § 103, « évident à essayer » n’est pas la norme qui convient pour évaluer l’évidence (In re Antonie, 559 F.2d 618, 620 (C.C.P.A. 1977)), mais que, selon O’Farrell et d’autres précédents, la prévisibilité absolue de succès n’est pas exigée (853 F.2d, à la page 903). La conciliation des deux est particulièrement importante dans le cas d’une situation où, comme en l’espèce, une formulation doit être mise à l’essai au moyen de procédures de routine afin d’en vérifier les propriétés attendues. La question qui se pose devient alors la suivante : lorsque la personne versée dans l’art doit procéder à un essai, dans quelle mesure ce besoin de procéder à un essai étaye-t-il une conclusion de non-évidence?

 

Comme nous l’avons dit auparavant, « chaque affaire, notamment celles qui soulèvent la question de l’évidence au titre de l’article 103, doit nécessairement être tranchée en fonction des faits qui lui sont propres. (In re Jones, 958 F.2d 347, 350 (Cir. féd. 1992). Les tribunaux ne peuvent donc pas se prononcer par procuration sur l’évidence ou la non-évidence d’une revendication de brevet. Le fait de se fier de manière indue à l’application mécanique de quelques maximes du droit, comme « évident à essayer », qui n’ont aucun rapport avec les faits invite certainement à commettre une erreur car les décisions sur la question de l’évidence doivent être strictement adaptées aux faits de chaque affaire particulière.

[]

 

Cependant, au vu des faits de l’espèce, nous sommes persuadés qu’il ressort d’une preuve claire et convaincante qu’il n’aurait pas été simplement évident de faire l’essai du benzènesulfonate, mais qu’il aurait été bel et bien évident de fabriquer du bésylate d’amlodipine.

 

Premièrement, il n’y a pas en l’espèce de « nombreux paramètres » dont il faut faire l’essai. Le seul paramètre à modifier est plutôt l’anion avec lequel fabriquer le sel d’addition acide d’amlodipine.

 

[…]

 

Deuxièmement, en l’espèce, les réalisations antérieures indiquent simplement de poursuivre « une approche générale qui semblait être un champ d’expérimentation prometteur » ou ne donnait qu’une indication générale quant à la forme particulière de l’invention revendiquée ou à la façon de la réaliser ».

 

[…]

 

Finalement, Pfizer proteste contre le fait qu’une conclusion selon laquelle le bésylate d’amlodipine aurait été évident fait abstraction de sa « découverte » car ce produit a été obtenu à la suite d’essais et d’erreurs. Même si l’industrie pharmaceutique peut subir un effet particulièrement négatif de l’application d’une analyse fondée sur le concept de ce qui est « évident à essayer » […] le fait que Pfizer ait dû vérifier à l’aide d’essais les caractéristiques attendues de chaque sel d’addition acide est sans conséquence aucune car cela ne mène pas à une conclusion de non-évidence en l’espèce.

 

[…]

 

Cependant, au vu des faits particularisés de l’espèce, il est indiqué d’examiner les « essais de routine » que Pfizer a effectués car les antériorités offraient non seulement le moyen de créer des sels d’addition acide mais prévoyaient également les résultats, qu’il suffisait simplement à Pfizer de vérifier en procédant à des essais de routine. (Merck, 874 F.2d, à la page 809). Selon la preuve, au moment de fabriquer un nouveau sel d’addition acide, il était courant dans le domaine de vérifier les caractéristiques physicochimiques attendues de chaque sel, y compris la solubilité, le pH, la stabilité, l’hygroscopicité et l’adhésivité, et les scientifiques de Pfizer ont eu recours, pour ce faire, à des techniques ordinaires. Ce type d’expérience auquel recourent les scientifiques de Pfizer pour vérifier les caractéristiques physicochimiques de chaque sel n’équivalent pas aux procédures d’essais et d’erreurs que l’on emploie souvent pour découvrir un nouveau composé lorsque les antériorités ne donnent aucune motivation ou suggestion pour fabriquer le nouveau composé, pas plus qu’une expectative raisonnable de succès. Cela ne veut pas dire que la durée, le coût et la difficulté des techniques employées sont déterminants car, aux yeux d’une personne ordinairement versée dans l’art, de nombreuses techniques qui requièrent un temps, de l’argent et des efforts considérables peuvent néanmoins être considérées comme étant « de routine ». La conclusion que nous tirons ici s’inspire plutôt du fait qu’une personne versée dans l’art aurait eu une expectative raisonnable de succès à l’époque où l’invention a été réalisée, et qu’il lui suffisait de vérifier cette expectative.

 

[…]

 

Nous sommes d’avis que la présente affaire ressemble à l’optimisation d’une fourchette ou d’une autre variable des revendications qui découle du « souhait normal des scientifiques ou des personnes versées dans l’art d’améliorer ce qui, déjà, est généralement connu ». (In re Peterson, 315 F.3d 1325, 1330 (Cir. féd. 2003) (déterminer où, dans une série divulguée de fourchettes de pourcentage, réside la combinaison optimale de pourcentages, est évident à première vue. Dans In re Aller, 220 F.2d 454, 456, 42 C.C.P.A. 824, 1955 Dec. Comm’r Pat. 136 (C.C.P.A. 1955), le tribunal qui nous a précédés à énoncé la règle selon laquelle la découverte de la valeur optimale d’une variable au sein d’un procédé connu est habituellement évidente. Voir aussi In re Boesch, 617 F.2d 272, 276 (C.C.P.A. 1980).  (« la découverte de la valeur optimale d’une variable effective résultante au sein d’un procédé connu dans les limites de l’art »).

 

[…]

 

Par conséquent, si la brevetabilité d’une invention n’est pas annulée par la façon dont elle a été faite, l’inverse est également vrai : il n’y a pas de brevetabilité quand les antériorités auraient donné à penser à une personne ordinaire versée dans l’art que ce procédé devrait être exécuté et aurait une chance raisonnable de succès ».

 

 

[62]           Pfizer soutient que la CACF a appliqué un critère de « chance raisonnable de succès » et, soutient-elle, il ne s’agit pas du critère appliqué au Canada. Je ne suis pas d’accord; la CACF s’est servie de ces mots dans ses motifs mais, si l’on considère ces derniers dans leur ensemble, il est évident que ce tribunal, tout comme le ferait un tribunal canadien, a examiné l’affaire en se fondant sur les faits qui lui étaient propres et a conclu que, vu le nombre restreint de sels et le fait que les méthodes d’essai étaient « de routine », le fait d’arriver au bésylate comme solution optimale n’était aucunement une invention.

 

[63]           Si l’évidence était une question que la Cour pourrait prendre en considération - et j’ai déclaré que ce n’est pas le cas - je dirais qu’au vu de la preuve, Pfizer n’a pas déplacé le fardeau de prouver que l’allégation d’invalidité de Novopharm pour cause d’évidence est injustifiée. La preuve me convainc qu’une personne versée dans l’art, à l’époque en cause, saurait à partir de tableaux semblables à ceux qui figurent dans l’article de Berge qu’il existait un nombre restreint de sels que l’on considérait comme pharmaceutiquement acceptables. Certains sels seraient facilement exclus de cette liste et d’autres auraient pu être choisis en premier pour qu’un technicien les examine. Le choix était déjà là; un technicien exécuterait simplement des essais qui démontreraient quel serait le choix le plus approprié. Cela aurait peut-être pris du temps, mais il s’agissait d’un travail de routine, et non d’une invention. À cet égard, j’ai principalement à l’esprit les contre-interrogatoires de Brenner et de McGinity, ainsi que le témoignage de Zamboni.

 

 

LE CARACTÈRE SUFFISANT

[64]           Dans un arrêt unanime publié le 20 mars 2008, Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CAF 108, la Cour d’appel fédérale a traité de nombreuses questions concernant le droit relatif au caractère suffisant.

 

[65]           La Cour a pris en considération les conditions de divulgation qu’impose le paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets, concluant, au paragraphe 37 de son arrêt, que cette disposition n’oblige pas un breveté à décrire pourquoi une invention est nouvelle ou utile ou à vanter l’effet ou l’avantage de sa découverte :

[37]      Le paragraphe 27(3) de la Loi n’exige pas qu’un breveté explique à quel point son invention fonctionne bien par rapport à d’autres inventions. On n’exige pas de lui qu’il décrive en quoi son invention est nouvelle ou utile, et il n’est pas non plus obligé « de vanter l'effet ou l'avantage de sa découverte s'il décrit son invention de manière à la produire » : voir Consolboard, précité, à la page 526.

 

[66]           Au paragraphe 42, la Cour fait remarquer que « l’exigence de divulgation peut être un peu plus rigoureuse pour les brevets de sélection ». Elle qualifie ensuite le brevet qui était en litige dans cette affaire de brevet de sélection, et, pour les besoins de la présente demande, ce brevet n’est pas très dissemblable du brevet 393 qui est en litige en l’espèce. Les arguments invoqués par le fabricant de médicaments génériques – Ranbaxy - ont été exposés et examinés par la Cour d’appel, aux paragraphes 50 et 51 de ses motifs :

[50]      Ranbaxy conteste la promesse faite par Pfizer dans le brevet 546 selon laquelle l’atorvastatine présente une activité accrue surprenante et inattendue par rapport au racémate. Elle remet en question la fiabilité des données utilisées pour justifier cette promesse. Plus précisément, Ranbaxy soutient que la seule preuve fournie à l’appui de l’allégation que l’invention décrite ait des propriétés surprenantes et inattendues est un seul ensemble de données d’essai CSI qui n’est pas représentatif de l’éventail de données recueillies par Pfizer dans le cadre des expériences CSI. Les données d’essai CSI dans leur ensemble présentaient une très grande variabilité et étaient plus fiables. Les données obtenues par Pfizer lors des expériences AICS, qui ne sont pas incluses dans le brevet 546, étaient plus fiables et révélaient une différence par un facteur de deux seulement entre l’atorvastatine et son racémate.

 

[51]      Ces allégations, bien qu’elles figurent sous la rubrique intitulée « suffisance » dans l’AA, n’ont, selon moi, rien à voir avec l’exigence de divulgation énoncée au paragraphe 27(3) de la Loi. Elles s’appliquent plutôt à une analyse de l’utilité, de la nouveauté et/ou de l’évidence d’un brevet. Cela ressort clairement du premier paragraphe de l’AA ci-dessus, selon lequel [traduction] « [l’]exposé de l’invention ne démontre pas qu’il y a un aspect nouveau ou inventif, comme on le revendique ». Ce que conteste réellement Ranbaxy dans son AA à la rubrique « suffisance » est le fait que Pfizer a obtenu un brevet de sélection sans avoir fourni des données fiables démontrant que la classe étroite de composés sélectionnés était meilleure que les composés visés par le brevet de genre.

 

[67]           La Cour d’appel a ensuite examiné plus en détail l’argument du caractère suffisant et le paragraphe 27(3) et elle a conclu qu’un brevet doit divulguer l’invention et la façon dont celle-ci est fabriquée avec assez de détails pour qu’il soit possible de la mettre en pratique. Une contestation de l’exactitude ou de l’intégralité des données présentées n’est pas un argument relatif au caractère suffisant, encore qu’il puisse s’agir d’un argument relatif à l’utilité. La Cour a déclaré ce qui suit, aux paragraphes 56 et 57 de son arrêt :

[56]      Le juge des demandes a eu tort d’interpréter l’exigence de divulgation du paragraphe 27(3) de la Loi comme exigeant qu’un breveté appuie son invention sur des données. Ce faisant, il a confondu l’exigence qu’une invention soit nouvelle, utile et non évidente avec l’exigence, suivant le paragraphe 27(3), que le mémoire descriptif divulgue « l’usage » auquel l’invention se prêtait selon l’inventeur : Consolboard, précité, à la page 527. La question de savoir si un breveté a obtenu suffisamment de données pour étayer son invention n’est pas pertinente, à mon sens, au regard de l’application du paragraphe 27(3). L’analyse à cet égard met en cause le caractère suffisant de la divulgation et non le caractère suffisant des données sous-jacentes à l’invention. Permettre à Ranbaxy d’attaquer l’utilité, la nouveauté et/ou l’évidence du brevet 546 par le biais de l’exigence de divulgation élargit indûment la portée de l’obligation de l’inventeur suivant le paragraphe 27(3), et ignore l’objet de cette disposition.

 

57      Bien qu’il soit vrai que le paragraphe 27(3) exige que l’inventeur « décrive d’une façon exacte et complète » son invention, cette disposition veut qu’on s’assure que le breveté fournit l’information nécessaire à la personne versée dans l’art pour qu’elle utilise l’invention avec le même succès que le breveté. La Cour suprême du Canada, dans Consolboard, précité, à la page 526, a cité en l’approuvant le passage suivant de R. c. American Optical Company et al. (1950), 11 Fox Pat. C. 62, à la page 85 :

 

[traduction] […] Il suffit que le mémoire descriptif décrive de façon complète et correcte l’invention et son emploi aux fonctionnements prévus par l’inventeur de telle sorte que le public, c’est‑à‑dire les personnes versées dans l’art, puissent, en n’ayant que le mémoire descriptif, utilisé l’invention avec le même succès que l’inventeur.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

et elle a fait état de ses conclusions, aux paragraphes 63 et 64 :

[63]      Le juge des demandes s’est trompé en interprétant la promesse du brevet et en déterminant mal la portée de l’exigence de divulgation suivant le paragraphe 27(3) de la Loi lorsqu’il s’est demandé s’il y avait suffisamment de données pour étayer la promesse du brevet. Un tel examen excède la portée de la disposition. Attaquer un brevet de sélection au motif qu’il n’existe pas de données pour étayer l’avantage revendiqué est certainement pertinent aux fins de la validité (très probablement en ce qui regarde la question de l’utilité), mais ne l’est pas aux fins de la divulgation suivant le paragraphe 27(3) de la Loi.

 

[64]      Le brevet doit divulguer l’invention et comment elle est fabriquée. Le brevet 546 fait cela. Il divulgue également les avantages sous-tendant la sélection. C’est là, à mon avis, la portée de l’exigence énoncée au paragraphe 27(3) de la Loi, dont l’objet est de permettre à une personne versée dans l’art d’utiliser pleinement l’invention sans avoir à faire montre d’un esprit inventif.

 

[68]           Par conséquent, pour ce qui est du caractère suffisant, un tribunal doit examiner ce qui est présenté dans le brevet lui-même. Une preuve concernant les données sous-jacentes ne doit pas être prise en considération à cette fin. En examinant le brevet lui-même, le tribunal doit examiner si l’on a fourni suffisamment de renseignements pour pouvoir conclure que l’invention et son utilisation sont indiquées et si une personne versée dans l’art pourrait la mettre en pratique.

 

[69]           Si l’on examine donc le brevet 393, la promesse de l’invention est mentionnée aux quatrième et cinquième paragraphes de la page 1 :

[traduction]

Il a maintenant été constaté inopinément que le benzènesulfonate (ci-après appelé bésylate) présente un certain nombre d’avantages par rapport aux sels connus de l’amlodipine et qu’il possède aussi, on l’a constaté inopinément, une combinaison unique de propriétés de formulation avantageuses grâce auxquelles ce sel se prête particulièrement bien à la fabrication de préparations pharmaceutiques d’amlodipine.

 

            C’est ainsi, selon la présente invention, que l’on obtient le bésylate d’amlodipine.

 

 

[70]           À la page 2 et, ensuite, à la page 3 du brevet 393, quatre critères – la solubilité, la stabilité, la non-hygroscopicité et la traitabilité – sont établis en vue de créer un sel efficace :

[traduction]

Même si l’amlodipine est efficace en tant que base libre dans la pratique, c’est sous la forme d’un sel d’un acide pharmaceutiquement acceptable qu’il s’administre le mieux. Pour convenir à cette fin, le sel pharmaceutiquement acceptable doit répondre aux quatre critères physicochimiques suivants : 1) bonne solubilité; 2) bonne stabilité; 3) non-hygroscopicité; (4) traitabilité en vue de la formulation de comprimés, etc.

 

Il a été découvert que, même si un grand nombre des sels mentionnés ci-dessus répondent à certains de ces critères, aucun ne satisfait à tous, et même celui que l’on privilégie - le maléate – bien qu’il fasse preuve d’une excellente solubilité, a tendance à se dégrader après quelques semaines en solution. De ce fait, un éventail de sels d’amlodipine pharmaceutiquement acceptables a été établi et évalué au moyen de ces critères.

 

 

[71]           Chacun des quatre critères est ensuite examiné. Un tableau de données comparatives concernant huit sels différents est présenté, et il montre que le bésylate est bon, mais pas le meilleur sur le plan de la solubilité.

 

[72]           Ensuite, la stabilité est examinée à l’aide de huit sels présentés par ordre de rang, du plus stable au moins stable. Le plus stable est le bésylate.

 

[73]           C’est ensuite la non-hygroscopicité qui est examinée. Nous ignorons combien de sels ont été mis à l’essai, mais on nous dit à la page 4 que seuls le maléate, le tosylate et le bésylate ne retiennent aucune humidité quand ils sont exposés à une humidité relative de 75 %, à une température de 37o C, durant 24 heures. Même dans des conditions plus extrêmes, nous dit-on, le bésylate et le maléate demeurent tous deux anhydres, tandis que le tosylate s’est dihydraté. Le bésylate, nous dit-on aussi, peut donc être considéré non-hygroscopique.

 

[74]           Il est question du dernier point, la traitabilité, aux pages 5 et 6. On nous dit qu’un certain nombre de comprimés ont été préparés en utilisant chacun des huit sels et que des données ont ensuite été recueillies et mises en courbe de façon à obtenir une [traduction] « pente de la ligne ». On ne nous présente pas les données brutes ou un graphique illustrant cette pente mais, dans un tableau, des valeurs numériques illustrant que le bésylate, par une mince marge, vient au deuxième rang, après le mésylate et avant le maléate.

 

[75]           Une conclusion est tirée à l’avant-dernier paragraphe, à la page 6 :

[traduction]

Par conséquent, le bésylate d’amlodipine fait montre d’une combinaison unique de bonne solubilité, bonne stabilité, non-hygroscopicité et bonne traitabilité, ce qui le rend exceptionnellement approprié pour la préparation de formulations pharmaceutiques d’amlodipine.

 

 

[76]           Cinq exemples précis sont donnés, et sont suivis des revendications.

 

[77]           Si l’on examine tout d’abord la preuve, il n’y a aucune preuve évidente de la part de Pharmascience qu’une personne versée dans l’art, qui lirait le brevet seul, ignorerait que l’invention revendiquée est celle qui consiste à déterminer que le bésylate d’amlodipine est celui qui, parmi tous les sels d’amlodipine, offre la meilleure combinaison de propriétés pour produire un médicament commercial sous forme de comprimés. Rien ne donne à penser qu’une personne versée dans l’art ne pourrait pas mettre en pratique cette invention alléguée. Ce que fait Pharmascience, c’est examiner chacun des quatre critères et contester les renseignements relatifs à chacun qui sont présentés dans le brevet.

 

[78]           Premièrement, pour ce qui est de la solubilité, Pharmascience soutient que le brevet reconnaît que le bésylate n’est pas le meilleur. Elle soutient aussi qu’il n’y a pas assez de renseignements sur les essais qui ont été réalisés; par exemple, aucune température n’est mentionnée, et rien n’est dit sur le tamponnage et sur la façon dont les matières mises à l’essai ont été ajoutées à l’eau.

 

[79]           Pfizer rétorque en disant que le brevet, à la page 3, mentionne que tout ce qui a une valeur supérieure à 1 mg ml-1 est bon et qu’il est montré que le bésylate satisfait aisément au critère. Aucun autre renseignement n’est nécessaire.

 

[80]           Deuxièmement, pour ce qui est de la stabilité, Pharmascience soutient que les données sont insuffisantes; un simple classement ne suffit pas. Elle ajoute que l’essai mentionné dans le brevet est la CCM (chromatographie sur couche mince), qui est simplement une première approximation et qu’il aurait fallu recourir à une technique nettement plus complexe qui était disponible à l’époque : la CLHP (chromatographie liquide à haute performance). Pfizer soutient qu’il ressort de la preuve qu’à cette fin, un classement sans valeurs est suffisant et que la CCM est une technique acceptable.

 

[81]           Troisièmement, pour ce qui est de la non-hygroscopicité, Pharmascience soutient que l’expression a été employée à tort dans le brevet. L’hygroscopicité, dit-elle, désigne l’adsorption d’eau à la surface, tandis que le brevet traite d’hydratation, c’est-à-dire l’intégration d’eau dans la structure en réseau cristallin d’un échantillon de molécules. Selon Pfizer, l’hygroscopicité du type qui intéresserait une personne versée dans l’art est celle où l’eau adsorbée mène à la formation d’un hydrate. Elle déclare que les essais décrits dans le brevet sont de courte durée et représentent un moyen accéléré de montrer que, dans des conditions ordinaires, un hydrate ne se formerait pas et que c’est ce que comprendrait une personne versée dans l’art.

 

[82]           Le quatrième et dernier des critères est la traitabilité. Pharmascience soutient que les données présentées dans le brevet sont source de confusion. Un témoin, dit-elle, pensait que les données faisaient référence au fait qu’il s’accumulait à la longue des matières dans la presse mécanique. Cette accumulation de matières, dit-elle, n’est pas clairement montrée. Pfizer soutient que ce sont les valeurs comparatives qui sont pertinentes.

 

[83]           Si l’on prend en considération la preuve dans son ensemble, et si l’on ne s’occupe que de ce qui est énoncé à la face même du brevet, je ne conclus pas que ce qui est exposé dans le brevet est insuffisant. Je suis persuadé que, en considérant à première vue le brevet, une personne versée dans l’art obtiendrait suffisamment de renseignements sur ce qu’était l’invention et sur la façon de la mettre en pratique. Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, à la page 525 :

On n’a pas prétendu que l’invention ne produirait pas les résultats promis.

 

et, à la page 526, au sujet du paragraphe 36(1) (aujourd’hui le paragraphe 27(3)) de la Loi sur les brevets :

Même si (i) le par. 36(1) exige que l’inventeur indique et revendique distinctement la partie, le perfectionnement ou la combinaison qu’il réclame comme son invention et si (ii) pour être brevetable une invention doit consister en quelque chose de nouveau et d’utile (art. 2) qui n’était pas connue ou utilisée par une autre personne avant que l’inventeur l’ait faite (al. 28(1)a)), je ne donne pas aux derniers mots du par. 36(1) une interprétation qui oblige l’inventeur à décrire, dans sa divulgation ou ses revendications, en quoi l’invention est nouvelle et de quelle manière elle est utile. Il doit dire ce qu’il revendique avoir inventé. Il n’est pas obligé de vanter l’effet ou l’avantage de sa découverte s’il décrit son invention de manière à le produire.

 

Comme le dit le président Thorson dans R. v. American Optical Company et al. [(1950), 11 Fox Pat. C. 62], à la p. 85 :

 

 

[traduction] On ne peut pas opposer non plus au caractère suffisant de la divulgation que les avantages de l’invention énoncés par le professeur Price n’ont pas été mentionnés dans le mémoire descriptif [...]. Si un inventeur a adéquatement décrit son invention, il a droit d’en jouir même s’il n’apprécie ni ne réalise pleinement les avantages qui en découlent ou s’il ne peut fournir l’explication scientifique de ces derniers. Il suffit que le mémoire descriptif décrive de façon complète et correcte l’invention et son emploi ou fonctionnement prévus par l’inventeur de telle sorte que le public, c.-à-d. les personnes versées dans l’art, puisse, en n’ayant que le mémoire descriptif, utiliser l’invention avec le même succès que l’inventeur.

 

ANHYDRATE/HYDRATE

[84]           Comme je l’ai dit plus tôt, j’ai décidé que les revendications relatives au bésylate d’amlodipine couvrent ce produit, qu’il soit sous forme anhydre ou sous forme hydratée. Le brevet ne traite aucunement d’hydratation, sauf au haut de la page 5, où il est indiqué que le bésylate (de pair avec le maléate) est demeuré anhydre même après avoir été exposé à une humidité relative de 95 %, à une température de 30o C, durant trois jours.

 

[85]           La position de Pharmascience à cet égard est énoncée aux paragraphes 6, 7 et 8 de son mémoire :

[traduction]

6.                  Le bésylate d’amlodipine que vante le brevet 393 parce qu’il a une meilleure stabilité et une meilleure traitabilité est la forme anhydre. Avant que le brevet soit déposé au Canada, Pfizer savait que le bésylate d’amlodipine forme également un monohydrate. Le témoin de Pfizer, M. McGinity, a déclaré que l’expression « bésylate d’amlodipine » englobe la forme anhydre et la forme monohydratée. Cependant, cette dernière forme n’est pas mentionnée dans le brevet 393, et aucun essai n’a été fait pour déterminer si la forme monohydratée du médicament avait une hygroscopicité, une stabilité ou une traitabilité meilleures que celles de n’importe quel autre sel.

 

7.                  Selon le témoin de Pfizer, et son mémoire en l’espèce, il est impossible de prévoir les propriétés d’un sel et il est nécessaire de procéder à des essais. C’est donc dire que le brevet 393 porte sur une forme de sel (bésylate d’amlodipine monohydraté) dont les propriétés sont tout à fait inconnues et dont on ne peut pas dire qu’elles sont supérieures à celles de n’importe quelle autre forme de sel. En outre, pour ce qui est de la stabilité, un composé anhydre (tel que l’amlodipine) pourrait présenter des problèmes de stabilité, comme le fait de se transformer en mononhydrate dans un procédé de granulation par voie humide si l’on s’en servait pour fabriquer des comprimés.

 

 

8.                  Le manque de données dans le brevet 393 signifie qu’une personne versée dans l’art ne peut pas reproduire les expériences et déterminer si le bésylate est en fait meilleur que les autres sels. Pfizer a laissé entendre qu’un brevet doit satisfaire à une norme inférieure à celle d’un article examiné par des pairs, mais les objets des deux sont semblables, c’est-à-dire qu’ils doivent fournir suffisamment de renseignements pour que les examinateurs puissent déterminer s’ils sont fiables et permettre aux lecteurs de répéter les expériences. Le manque de données dans le brevet 393, qui confère une réputation commerciale considérable (comme en fait foi la présente instance), est inexcusable.

 

 

[86]           Pharmascience fait état d’un rapport établi par Pfizer sur une expérience menée par ses laboratoires et dans laquelle une forme hydratée du bésylate a été fabriquée en recristallisant du bésylate d’amlodipine à partir d’eau (page 1575 du dossier). Au dire de Pharmascience, ce rapport établit que Pfizer savait que l’amlodipine pouvait exister sous forme monohydratée, mais qu’elle n’a fourni des données d’essais qu’au sujet de la forme anhydre, sauf pour ce qui est de la solubilité, où l’on s’attend qu’il se formerait un hydrate une fois que le composé est dissout dans l’eau.

 

[87]           L’avis d’allégation ne comporte aucune mention d’un problème concernant les versions anhydre ou hydratée du bésylate d’amlodipine, et il n’énonce certainement pas de thèses semblables à celles qui sont exposées dans le mémoire de Pharmascience, aux paragraphes 6, 7 et 8 précités. Ces paragraphes s’inspirent nettement d’arguments qui semblent être fondés sur des fragments du mémoire de Pfizer et les réponses données à des questions posées en contre-interrogatoire. Nulle part, par exemple, ne relève-t-on une allégation selon laquelle seule la forme anhydre du bésylate d’amlodipine fonctionnera, ou qu’une forme hydratée ne fonctionnera pas. Ce qui est véritablement allégué aux paragraphes 6, 7 et 8 du mémoire de Pharmascience, c’est qu’aucune preuve de Pfizer ne permettrait à une personne versée dans l’art de savoir s’il faut utiliser la forme anhydre ou une forme hydratée de l’amlodipine, ou bien si l’une des deux seulement ou les deux fonctionneront.

 

[88]           Cet argument est une interprétation, établie après que les éléments de preuve aient été intégrés et vérifiés par voie de contre-interrogatoire et après que Pfizer ait déposé son mémoire des arguments écrits. Il ne s’agit pas d’un argument qui a été évoqué dans l’avis d’allégation. Il n’existe aucune preuve évidente de la part des témoins de Pharmascience sur ces questions; l’affaire est plaidée à partir de fragments tirés du contre-interrogatoire des témoins de Pfizer. Cette affaire est fort proche de la situation que la Cour d’appel fédérale a analysée dans l’affaire Celecoxib : G.D. Searle & Co. c. Novopharm Ltd., 2007 CAF 173. À l’audition de cette affaire en première instance, j’avais tranché une question de fond relative à la validité en me fondant sur des preuves produites lors du contre-interrogatoire, par l’avocat du fabricant de médicaments génériques, de l’un des inventeurs nommés que l’innovateur avait fait témoigner. La question n’avait pas été soulevée dans l’avis d’allégation. Il s’agissait là d’une erreur, a dit la Cour d’appel, aux paragraphes 33 et 34 de ses motifs :

[33]    L’avis d’allégation énonce les questions à trancher dans l’instance engagée en vertu du Règlement. En outre, le fait pour un juge de décider une affaire sur le fondement d’une question qui n’est pas soulevée par les parties soulève une question d’équité procédurale (voir AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 7 C.P.R. (4th) 272 (C.A.F.), par. 16 à 21; Règlement, au par. 5(1) et à l’al. 5(3)a); Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2006), 46 C.P.R. (4th) 281 (C.A.F.), au par. 32). L’avocat de Searle a fait valoir à juste titre que, si la question avait été soulevée devant le juge de première instance, il aurait été possible de produire une preuve et de présenter des observations en conséquence.

 

[34] À mon sens, si on applique la norme de la décision correcte, le juge de première instance en procédant ainsi qu’il l’a fait, a privé Searle de la garantie d’équité procédurale, commettant ainsi une erreur de droit (voir McConnell c. Canada (Commission des droits de la personne), 2005 CAF 389, au par. 7). En outre, on ne peut dire que le dossier appuie la décision selon laquelle Searle n’est pas le demandeur au sens de l’article 2 de la Loi. Certes, les ententes de cession n’ont été signées qu’entre le mois de mai et le mois de juillet 1996, mais cela n’établit pas que Searle n’était pas propriétaire de l’invention au moment de la découverte. Manifestement, la personne qui est titulaire des droits sur l’invention peut être un demandeur. À mon avis, le juge de première instance a commis une erreur lorsqu’il a limité le sens de la définition de demandeur dans ce dossier à celui de « représentant légal des inventeurs nommés, Talley et coll. » (voir le passage des motifs du jugement reproduit au paragraphe 27 des présents motifs).

 

[89]           Je conclus qu’il serait tout aussi erroné d’examiner ici la question de l’anhydrate/hydrate si la question n’a pas été soulevée dans l’avis d’allégation et si Pfizer n’a pas eu réellement l’occasion de déposer des éléments de preuve et des arguments connexes. Même si je me trompe en tirant cette conclusion, je ne puis formuler aucune opinion sur la preuve fournie. Cette preuve n’est pas concluante et ne vise manifestement pas la question soulevée. La question, s’il y en a une, aurait dû être structurée sous la forme d’une « revendication de portée plus large » que l’invention réalisée ou la question divulguée, mais aucune allégation de cette nature n’a été faite. Je ne puis tout simplement pas donner une opinion appropriée sur la conclusion que j’aurais tirée si Pharmascience avait formulé une allégation à cet égard, structurée sous la forme d’une « revendication de nature générale » ou autrement. J’aurais conclu, au vu de la preuve dont je dispose, que Pharmascience ne satisfait pas à l’exigence de la prépondérance de la preuve.

 

L’UTILITÉ

[90]           Comme nous l’avons vu plus tôt, l’utilité est une contestation de la validité, qui n’a pas été examinée dans la décision Ratiopharm  antérieure et qui est clairement soulevée dans l’avis d’allégation. Je joins en tant qu’annexe A l’allégation relative à l’utilité qui a été formulée dans l’avis d’allégation au point (6), lequel intègre par renvoi les allégations formulées à l’égard de la sélection au point (2). Les deux points sont reproduits à l’annexe A mais, en raison de leur longueur, pas dans le corps des présents motifs.

 

[91]           L’utilité est aussi une contestation de la validité, qui, comme nous l’avons vu plus tôt, a indiqué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CAF 108, précité, pouvait être laissée ouverte même si le brevet, à première vue, était suffisant compte tenu du paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets, précitée.

 

[92]           Essentiellement, Pharmascience allègue que l’invention prétendue, à savoir que le bésylate offre la meilleure combinaison qui soit de quatre propriétés : la solubilité, la stabilité, la non‑hygroscopicité et la traitabilité, n’a en fait pas été démontrée, soit d’après les données présentées dans le brevet, soit d’après les données inscrites au dossier dans le cadre de la preuve. Elle soutient qu’il n’est pas démontré que le bésylate offre la meilleure combinaison possible de ces propriétés, et ce, qu’elles soient considérées individuellement ou en combinaison.

 

[93]           En définissant le mot « invention » à l’article 2, la Loi sur les brevets, précitée, exige que l’invention présente « le caractère de la nouveauté et de l’utilité ». Au Canada, les tribunaux d’instance supérieure n’ont pas analysé en détail le concept de l’« utilité ». Ce dernier semble parfois confondu avec celui du « caractère suffisant », c’est-à-dire : le brevet comporte-t-il une description suffisante qui permette à une personne versée dans l’art de réaliser une chose qui puisse fonctionner. L’utilité semble parfois aussi confondue avec le concept des « revendications de portée plus large que l’invention », c’est-à-dire que, même si le brevet décrit quelque chose d’utile, il revendique quelque chose de plus que cela et ce « quelque chose de plus » n’est pas utile.

 

[94]           Un bon résumé du droit canadien relatif à l’utilité, et qui reflète l’état du droit même aujourd’hui, a été fait par le juge Strayer dans ses motifs de la décision Corning Glass Works c. Canada Wire & Cable Ltd. (1984), 81 C.P.R. (2d) 39 (C.F. 1re inst.), à la page 71 :

[traduction]

La position juridique adoptée par la défenderesse est peut-être représentée le mieux par un passage cité par l’avocat et tiré de Minerals Separation North American Corp. c. Noranda Mines Ltd. (1950), 12 C.P.R. 99, aux pages 111-112, [1947] R.C.E. 306, à la page 317, 6 Fox Pat. C. 130, où, en parlant de la description de l’invention qui doit être exposée dans les divulgations, le président Thorson a déclaré ce qui suit :

 

La description doit aussi fournir tous les renseignements nécessaires pour le bon fonctionnement ou la bonne utilisation de l'invention, sans que ce résultat soit laissé au hasard d'une expérience réussie, et si des avertissements sont nécessaires pour éviter l'échec, ces avertissements doivent être présents. De plus, l'inventeur doit agir en toute bonne foi et donner tous les renseignements qu'il connaît pour mettre en oeuvre l'invention de façon à obtenir le mieux possible le résultat qu'il a conçu.

 

Dans la même veine, voir aussi Hatmaker c. Joseph Nathan & Co. Ltd. (1919), 36 R.P.C. 231, à la page 237 (H.L.). L’avocat a également cité Hoechst Pharmaceuticals of Canada Ltd. et al. c. Gilbert & Co. et al. (1965), 50 C.P.R. 26, à la page 58 [1966] R.C.S. 189, à la page 194, 32 Fox Pat. C. 56. Dans cet arrêt, le juge Hall, s’exprimant au nom de la Cour suprême, a invalidé certaines revendications parce que celles-ci visaient tous les membres possibles d’une catégorie de composés, et ce, qu’un membre donné puisse être réalisé ou non. Il a été conclu que le breveté avait fait des revendications de portée trop large.

 

 

[95]           L’ouvrage du professeur Blanco White intitulé Patents for Inventions and the Protection of Industrial Designs, 5e éd., (Londres : Stevens & Sons, 1983), même s’il date lui aussi d’un certain temps, explique de manière claire le concept de l’utilité en ce qui concerne les brevets et la façon dont il peut recouper les concepts du caractère suffisant et de la « fausse représentation » (à l’instar des arguments canadiens concernant l’article 53 de la Loi sur les brevets). Voici ce qu’indique le professeur White aux paragraphes 4-402 à 4-405 (pages 120 et 121) :

[traduction]

Sens de l’« utilité »

 

4-402      L’utilité signifie  principalement que l’invention fonctionnera – en langage familier, que « les roues tourneront rond ». Forcément, toutefois, il est impossible de considérer si une invention est utile sans se demander d’abord : utile à quoi? En gardant cela à l’esprit, il est possible de formuler le principe de base en ces termes : « si une invention fait ce que le breveté veut qu’elle fasse, et si la fin atteinte est en soi utile, l’invention est une invention utile ». En ce sens, l’utilité est essentielle à la validité d’un brevet.

 

Réalisation des objets

 

4-403      Ce que l’invention est censée faire dépend bien évidemment du mémoire descriptif lui-même. C’est donc dire que, si le breveté promet (expressément ou implicitement) un certain résultat, et si on ne l’obtient pas, ou si ce qui est indiqué comme l’objet principal de l’invention n’est pas réalisé, le brevet sera invalide; car « la protection est assurée par la promesse de résultats; elle ne survit pas et ne devrait pas survivre à l’incapacité prouvée de la promesse de produire les résultats ». Il faut se souvenir que les promesses de l’inventeur sont « adressées à des hommes d’affaires, qui sont invités à agir sur la foi » de ces dernières, et il convient donc de les interpréter comme le ferait un homme d’affaires, plutôt que dans un sens hautement technique : c’est-à-dire (est-il soutenu) comme le comprendrait le destinataire prévu du mémoire descriptif. En revanche, le fait que le destinataire comprendrait immédiatement - ou découvrirait très rapidement - que l’objet de l’inventeur ne se réaliserait pas n’a pas pour résultat que le brevet est moins invalide, pas plus qu’il n’est utile que la promesse soit allée plus loin que ce qui était nécessaire, de sorte que l’invention, même si elle ne mène pas au résultat effectivement promis, s’en est approchée suffisamment pour revêtir une valeur commerciale considérable.

 


Rapport avec l’insuffisance

 

4-404      En principe, la distinction qu’il y a entre l’inutilité et l’insuffisance est claire : il y a insuffisance quand on n’est pas en mesure de réaliser la chose, inutilité lorsqu’il est possible de la réaliser mais qu’une fois réalisée elle ne fonctionne pas. La distinction est souvent moins claire dans la pratique : le mémoire descriptif peut-être structuré de telle façon qu’on ne peut pas dire qu’une tentative pour réaliser la chose brevetée soit fructueuse avant que la chose en question fonctionne effectivement.

 

 

 

Rapport avec la « fausse représentation »

 

4-405      Il n’est pas facile de faire une distinction entre, d’une part, le type d’incapacité à réaliser une promesse de résultats faite dans le mémoire descriptif qui équivaudra à un manque d’utilité et, d’autre part, le type qui équivaut simplement à une fausse représentation et qui ne s’invalidera que si le brevet a été « obtenu » sur la foi de cette représentation.

 

[renvois omis]

 

[96]           En l’espèce, la question de la « fausse représentation » ou l’article 53 de la Loi sur les brevets n’ont pas été invoqués. La Cour d’appel fédérale, dans un arrêt récent : Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CAF 108, précité, fait une distinction entre le caractère suffisant et l’utilité. Je répète ici le paragraphe 63 de cette décision :

[63]      Le juge des demandes s’est trompé en interprétant la promesse du brevet et en déterminant mal la portée de l’exigence de divulgation suivant le paragraphe 27(3) de la Loi lorsqu’il s’est demandé s’il y avait suffisamment de données pour étayer la promesse du brevet. Un tel examen excède la portée de la disposition. Attaquer un brevet de sélection au motif qu’il n’existe pas de données pour étayer l’avantage revendiqué est certainement pertinent aux fins de la validité (très probablement en ce qui concerne la question de l’utilité), mais ne l’est pas aux fins de la divulgation suivant le paragraphe 27(3) de la Loi.

 

[97]           La question qui se pose en l’espèce est donc de savoir s’il y a suffisamment de données pour étayer l’utilité de l’invention revendiquée. Ces données, pour revenir à la décision Corning Glass, précitée, dans laquelle Minerals Separation est citée, doivent figurer dans la description du brevet, et je répète : « La description doit aussi fournir tous les renseignements nécessaires pour le bon fonctionnement ou la bonne utilisation de l’invention […] »

 

[98]           Il faut donc examiner la description du brevet 393 pour déterminer si elle comporte tous les renseignements nécessaires au bon fonctionnement ou à la bonne utilisation de l’invention. Au moment d’examiner l’« invention », il convient de vérifier la promesse faite à la page 1 et la réalisation mentionnée à la page 6 :

 

Page 1 :

 

[traduction]

Il a maintenant été constaté inopinément que le benzènesulfonate (ci-après appelé bésylate) présente un certain nombre d’avantages par rapport aux sels connus de l’amlodipine et qu’il possède aussi, on l’a constaté inopinément, une combinaison unique de propriétés de formulation avantageuse grâce auxquelles ce sel se prête particulièrement bien à la fabrication de préparations pharmaceutiques d’amlodipine.

 

C’est ainsi, selon la présente invention, que l’on obtient le bésylate d’amlodipine.

 

 

Page 6 :

 

[traduction]

Par conséquent, le bésylate d’amlodipine fait montre d’une combinaison unique de bonne solubilité, bonne stabilité, non‑hygroscopicité et bonne traitabilité, ce qui le rend exceptionnellement approprié pour la préparation de formulations pharmaceutiques d’amlodipine.

 

[99]           Dans ses observations concernant l’utilité, Pharmascience avait exposé son argument en le fondant sur deux éléments :  le premier concerne uniquement la divulgation du brevet; le second a trait aux éléments de preuve additionnels tirés en grande partie du contre-interrogatoire de l’inventeur nommé, Davison, ainsi que des experts dont Pfizer a produit le témoignage en preuve.

 

[100]       J’ai déjà conclu qu’il ne faut pas se fonder sur des éléments de preuve obtenus de témoins en contre-interrogatoire à moins de pouvoir montrer que l’avis d’allégation indique suffisamment que l’on peut se fonder sur de tels éléments. Au cas où je me tromperais en tirant cette conclusion, je ferai également part de mon opinion sur ce que démontrent les éléments de preuve pertinents.

 

[101]       Le premier point qu’examine Pharmascience est celui de la solubilité. Elle prétend, et Pfizer le reconnaît, que les données présentées dans le brevet au tableau 1 montrent clairement que le bésylate n’est pas le plus soluble. Pfizer concède que cela est exact mais ajoute que la description précédant le tableau indique à une personne versée dans l’art que toute valeur supérieure à 1 mg ml-1 est satisfaisante (la valeur du bésylate est de 4,6). Pharmascience soutient aussi que l’on ne fournit pas suffisamment de renseignements sur la solubilité, comme la température ou le pH auxquels les expériences ont été menées. Cependant, aucune preuve convaincante ne permet de conclure qu’une personne versée dans l’art serait embrouillée ou confondue par les données figurant dans le brevet. Ce dernier montre que le bésylate, ainsi que d’autres sels, présentent une solubilité appropriée.

 

[102]       Quant aux éléments de preuve relatifs à la solubilité qui sont étrangers au brevet, Pharmascience soutient qu’une partie des données de Davison fait état d’une solubilité de 3,6, et non pas de 4,6 comme l’indique le tableau 1 du brevet. Davison dit que les données de ce tableau sont probablement plus exactes et que, compte tenu du temps qui s’est écoulé, il lui est maintenant impossible d’expliquer la différence. De toute façon, celle-ci importe peu. Pharmascience soutient également que c’est une forme hydratée du bésylate d’amlodipine qui est utilisée pour obtenir les données de solubilité. Pfizer allègue qu’une fois l’échantillon dissout dans l’eau, il n’y a aucune différence entre les formes anhydre et hydratée, car l’eau associée aux formes hydratées sera libérée dans le solvant. Selon Pharmascience, l’acidité du solvant influera, par exemple, sur la solubilité ou sur ce que l’on trouve dans l’estomac. Pfizer soutient que les données relatives à la solubilité qui figurent au tableau 1 sont de nature comparative et qu’elles fournissent des renseignements qui permettent à une personne versée dans l’art de se prononcer sur la solubilité relative.

 

[103]       Je conclus que les données que comporte le brevet sont suffisantes pour qu’une personne versée dans l’art décide de manière raisonnable quelle est la solubilité relative du bésylate et d’autres sels. Pharmascience n’a pas présenté de preuves convaincantes, que ce soit en analysant la divulgation faite dans le brevet ou en présentant des preuves étrangères au brevet, qui me persuadent dire qu’une personne versée dans l’art serait embrouillée ou ne disposerait pas d’assez de renseignements pour prendre une décision raisonnable de ce genre.

 

[104]       Le deuxième critère est celui de la stabilité. Pharmascience soutient que le brevet ne présente qu’un classement, allant du sel le plus stable (le bésylate) au sel le plus instable (le chlorhydrate), mais qu’aucune valeur n’est fournie ou aucun renseignement n’est présenté quant à la proximité véritable d’un sel par rapport à un autre sur le plan de la stabilité. Elle ajoute que les essais de CCM (chromatographie sur couche mince) dont il a été question plus tôt produisent, dans le meilleur des cas, un résultat qualitatif de « premier passage » plutôt que des données quantitatives. Pfizer rétorque que la CCM est une technique appropriée et bien admise que l’on peut utiliser à cette fin et qu’un classement suffit pour procurer à une personne versée dans l’art tous les renseignements nécessaires pour déterminer la stabilité d’un produit.

 

[105]       À l’instar de la question de la solubilité, il n’existe aucune preuve convaincante corroborant un argument quelconque selon lequel, compte tenu des données figurant dans le brevet, une personne versée dans l’art serait embrouillée ou incapable d’évaluer de manière raisonnable la stabilité. Je ne vois aucun fondement à un argument d’inutilité à cet égard.

 

[106]       En ce qui concerne les données étrangères au brevet, Pharmascience insiste dans son argumentation sur le fait qu’il n’a pas été montré que le maléate d’amlodipine, qui pose prétendument « problème », était instable. Pharmascience se fonde sur la pièce A jointe au contre-interrogatoire de Davison ainsi que sur les pièces relatives au maléate qui proviennent du Royaume-Uni, qui, ai-je conclu, étaient inadmissibles. Pour ce qui est du produit vendu  au Royaume-Uni, nous ignorons comment il a été réalisé ou si certaines techniques découvertes plus tard ont servi à en rehausser la stabilité. Par ailleurs, Pharmascience soutient que, d’après les données, le bésylate et le maléate sont de qualité égale, ou même que le maléate a une meilleure stabilité.

 

[107]       Pfizer allègue que l’on en sait si peu sur le maléate vendu au Royaume-Uni qu’il est impossible d’en arriver à une conclusion significative. En outre, toujours selon Pfizer, ses essais de stabilité ont été réalisés dans des conditions difficiles, ce qui n’est peut-être pas le cas de ceux qui ont été faits au Royaume-Uni et que, dans les conditions dans lesquelles ses essais ont été exécutés, le bésylate a bel et bien démontré que sa stabilité était supérieure.

 

[108]       Là encore, je conclus que Pharmascience n’a pas établi, en examinant des éléments de preuve étrangers au brevet - même si cela est admissible - qu’une personne versée dans l’art était ou aurait été embrouillée ou était ou aurait été incapable de se faire une idée raisonnable de la stabilité.

 

[109]       Le troisième critère est celui de la non-hygroscopicité. Selon le brevet, trois sels différents d’amlodipine – le bésylate, le maléate et le tosylate – ont été soumis à des niveaux extrêmes d’humidité et de chaleur. Le tosylate a échoué, tandis que le bésylate et le maléate ont tous deux réussi. À cet égard, Pharmascience invoque ce que je considère comme un argument d’ordre sémantique. Elle dit que les données confondent l’adsorption d’eau - qu’elle appelle « hygroscopicité » - et l’intégration d’eau dans la structure cristalline de la molécule – qu’elle appelle « hydratation ». Là encore, même si j’acceptais cet argument, la preuve ne me convainc pas que les données présentées dans le brevet embrouilleraient une personne versée dans l’art ou ne permettraient pas à cette dernière de tirer des conclusions raisonnables quant à l’utilité.

 

[110]       Pharmascience soutient que, si l’on va au-delà de ce qui est énoncé dans le brevet, il semble que seuls trois sels ont été soumis à des essais et que, dans des conditions ordinaires, il n’y a pas eu de différence notable. Là encore, il n’existe aucune preuve convaincante qu’une personne versée dans l’art, même si elle détenait cette preuve, aurait été embrouillée ou incapable de tirer des conclusions raisonnables quant à l’utilité.

 

[111]       Le quatrième et dernier critère est celui de la traitabilité. Le brevet, aux pages 5 et 6, fait mention d’un problème d’adhésivité qui peut survenir quand on fabrique des comprimés dans une presse mécanique. Dans le cas de certains sels, des matières adhéreront à la presse, et, à cause de cela, il sera difficile de produire ce que l’on appelle des [traduction] « comprimés élégants ». Le brevet explique que plusieurs sels ont été mis à l’essai au cours de plusieurs passes de fabrication et que, après chacune, les matières qui adhéraient à la presse ont été retirées à l’aide d’un solvant et mesurées. Ces valeurs ont été reportées en vue de tracer une ligne, et la pente de cette dernière a été calculée. Les valeurs ainsi obtenues pour chaque sel ont été mises en tableau et comparées au maléate, auquel une valeur de un (1) a été attribuée. Le mésylate, suivi de près du bésylate, a fait montre d’un degré d’adhésivité tout juste inférieur à 60 % par rapport au maléate. Pour le salicylate, le degré d’adhésivité équivalait à près d’une fois et demie de plus. Dans le brevet, il est expliqué dans la conclusion qui suit le tableau que même si le mésylate est le meilleur par une mince marge, il présente d’autres problèmes, ce qui laisse le bésylate comme meilleur candidat.

 

[112]       Même s’il a pu y avoir, à un certain moment, un peu de confusion dans l’esprit de l’expert de Pfizer, M. Byrn, quant au fait de savoir si le tableau fait référence à la pente d’une ligne ou à la quantité de matières adhérant à la presse, aucune preuve ne montre qu’une personne versée dans l’art qui se fierait aux données figurant dans le brevet aurait été incapable d’arriver à une conclusion significative au sujet de la traitabilité.

 

[113]       Les autres éléments de preuve, s’il était permis de les examiner, établissent clairement, par l’intermédiaire de Davison, que le principal souci chez Pfizer était que la version « maléate » de l’amlodipine présentait des problèmes d’adhésivité. Cette preuve montre que diverses mesures ont été prises pour tenter de régler le problème d’adhésivité et que, en fin de compte, le sel a été changé pour du bésylate. Ce changement a été fait avec réticence et, semble-t-il, à grands frais parce qu’il a fallu refaire une bonne partie du travail d’approbation réglementaire. Le changement en faveur du bésylate n’a pas réglé le problème adhésivité. C’est donc dire que la preuve, si elle est admissible, contribue à étayer l’utilité de l’invention revendiquée.

 

[114]       Pharmascience conteste les données graphiques à partir desquelles a été créée la « pente » qui illustre l’adhésivité, de même que son établissement. Elle soutient aussi qu’il y a peut-être eu des différences dans la façon dont les divers sels ont été formulés avant de les mettre à l’essai. Les tableaux produits en preuve aux pages 1532 à 1541 des notes sténographiques montrent la supériorité globale relative du mésylate et du bésylate par rapport aux autres sels. Le reste des arguments de Pharmascience a pour but d’indiquer, dans le meilleur des cas, qu’il n’y a pas eu assez d’essais ou que l’on n’a pas soumis de données suffisantes. Ces arguments ne sont pas étayés par une preuve convaincante selon laquelle une personne versée dans l’art aurait eu besoin de ces données pour tirer des conclusions significatives quant à l’utilité.

 

[115]       Enfin, Pharmascience soutient que, quels que soient les mérites des quatre critères, on ne peut pas dire que la combinaison des résultats relatifs à ces critères étaye l’utilité du bésylate comme étant inopinément le meilleur sel. Pfizer déclare qu’il ressort de la preuve que le travail consistant à évaluer des groupes pertinents de sels, à rejeter ceux qui, pour une raison ou une autre, sont manifestement inappropriés et, ensuite, à soupeser et à évaluer les mérites des sels restants n’est pas une mince affaire. Pharmascience se fonde sur les arguments relatifs aux formes anhydre et hydratée, que j’ai considérées comme inadmissibles, ainsi que sur le maléate fabriqué au Royaume-Uni, dont il est question dans la pièce jointe à l’affidavit de Larocque, qui, comme je l’ai conclu, n’a qu’une valeur probante minime.

 

[116]       Je conclus que, selon la prépondérance de la preuve, Pharmascience n’a pas établi, en s’appuyant sur les données présentées dans le brevet, voire les données étrangères au brevet, que l’invention révélée dans ce dernier est dénuée d’utilité. En d’autres termes, la preuve ne me convainc pas qu’une personne versée dans l’art aurait été embrouillée par les données présentées dans le brevet ou n’aurait pas été capable de tirer des conclusions raisonnables quant à l’utilité du bésylate. La preuve étrangère au brevet n’est d’aucune utilité additionnelle en ce qui concerne cette thèse.

 

CONCLUSION

[117]       En conclusion, j’ai décidé que la décision Ratiopharm antérieure empêche Pharmascience de contester le brevet 393 pour des questions d’évidence. Compte tenu de la décision que la Cour d’appel fédérale a récemment rendue dans Pfizer c. Canada (ministre de la Santé), 2008 CAF 108, la contestation de la validité pour cause de caractère suffisant est rejetée. Selon la prépondérance de la preuve, la contestation de la validité, fondée sur l’absence d’utilité, est rejetée. De ce fait, l’allégation de Pharmascience selon laquelle le brevet 393 est invalide n’est pas justifiée. Pfizer a droit à une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Pharmascience à l’égard de sa demande concernant les comprimés de 5 et de 10 mg contenant du bésylate d’amlodipine qui sont en litige en l’espèce.

 

DÉPENS

[118]       Il a été question à l’audience des dépens. Pfizer a demandé que je réserve ma décision sur cette question en attendant que des observations soient présentées mais, suite à la discussion, j’estime que cela n’est pas nécessaire.

 

[119]       Pfizer a eu gain de cause. Elle a droit aux dépens à un niveau qui devient habituel dans ces affaires : le milieu de la colonne IV.

 

[120]       Pfizer a le droit de taxer les dépens relatifs à la présence d’un avocat principal et d’un avocat moins expérimenté à l’audience, à la présence d’un avocat principal et d’un avocat moins expérimenté, s’il y en avait un, aux contre-interrogatoires, ainsi qu’à la présence d’un avocat principal lors de la défense d’un contre-interrogatoire.

 

[121]       Pfizer a produit les témoignages d’un nombre non supplémentaire au nombre approprié d’experts, et elle peut donc taxer les dépens relatifs à ces derniers à la condition de ne pas être excessifs. Ces dépens n’excéderont pas le montant que facture habituellement un avocat principal pour la même quantité de temps.

 

[122]       Les photocopies seront acceptées au moindre du tarif de 0,25 $ la page ou du coût réel. Les documents produits à l’instruction se limiteront à six copies.

 

[123]       Aucuns dépens ne sont admis pour d’autres avocats, « internes » ou « externes », ou les techniciens juridiques présents aux interrogatoires ou à l’audience.


 

JUGEMENT

POUR LES MOTIFS exposés plus tôt,

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande est accueillie;

2.                  Il est interdit au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Pharmascience Inc. à l’égard de sa demande relative à des comprimés de 5 mg et de 10 mg contenant le bésylate d’amlodipine sur lequel porte la présente instance, et ce, jusqu’à l’expiration du brevet canadien 1 321 393 ou à une déclaration insusceptible d’appel de la Cour ou d’une cour d’instance supérieure portant que le brevet est invalide, selon celui de ces deux délais qui est antérieur à l’autre.

3.                  Les demandeurs ont le droit de taxer leurs dépens d’une manière conforme aux présents motifs.

 

« Roger T. Hughes »

Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


ANNEXE A

 

Extraits tirés de l’avis d’allégation de Pharmascience en rapport avec la question de l’utilité :

 

[traduction]

 

(6) L’absence d’utilité

 

L’utilisation du bésylate à la place du sel connu, le maléate (qui a été expressément révélé et revendiqué dans la demande 167 et le brevet 865), n’a pas donné d’avantages nouveaux ou imprévus. Selon le brevet 393, le bésylate a la même solubilité que le maléate. La meilleure solubilité qui est revendiquée dans le brevet n’est pas étayée par les données figurant dans ce dernier. Dans les observations qu’elle a soumises à la FDA (révision, par Pfizer, de la NDA originale pour la NDA 19-787), Pfizer a reconnu que le maléate et le bésylate « sont, a-t-il été démontré, bioéquivalents chez l’humain ».

 

Selon le brevet 393, les sels sulfoniques d’amlodipine manifestaient une meilleure stabilité et une meilleure traitabilité par rapport au maléate. Cependant, aucune donnée quantitative n’a été fournie à l’appui de la conclusion selon laquelle le benzènesulfonate présente une meilleure stabilité. Les données comparatives sur l’hygroscopicité du maléate et du bésylate d’amlodipine ne font état d’aucune différence notable. Dans le même ordre d’idées, les différences de traitabilité entre le maléate et le bésylate, dont le brevet fait état, sont peu importantes. Pharmascience se fonde sur les allégations présentées à la section (2) qui précède.

 

Étant donné que le maléate et le bésylate sont des sels pharmaceutiquement acceptables, on s’attendrait à ce qu’ils présentent une solubilité, une stabilité, une traitabilité et une hygroscopicité acceptables. Cela cadre avec le brevet 393, qui n’a pas relevé d’avantages ou d’utilité considérables dans le bésylate par rapport à d’autres sels connus.

 

Il est à noter qu’une liste complète des antériorités mentionnées dans le présent avis d’allégation (y compris les dates de publication ou de délivrance) figure à l’annexe « A » de l’avis d’allégation.

[]

 

 

 

(2) Le bésylate d’amlodipine n’est pas une sélection inventive

 

La sélection du sel d’amlodipine et de l’acide benzènesulfonique à partir de la catégorie connue de sels d’amlodipine pharmaceutiquement acceptables ne satisfait pas aux critères qui s’appliquent à un brevet de sélection valide. La divulgation du brevet 393 n’étaye pas la sélection du bésylate, qui possède censément un avantage important par rapport à tous les autres sels d’addition acide, car les caractéristiques de solubilité, d’hygroscopicité, de traitabilité et de stabilité révélées dans le brevet 393 ne sont pas nettement supérieures dans le cas du bésylate d’amlodipine que dans le cas des autres sels d’addition de base, notamment le maléate d’amlodipine, et des autres sels d’amlodipine expressément mentionnés dans la demande 167.

 

Le brevet 393 n’explique pas non plus pourquoi les divers sels n’ont été mis à l’essai que pour vérifier ces caractéristiques, pas plus que pourquoi les seuils minimaux particuliers pour chaque essai ont été choisis arbitrairement. Pfizer a choisi les seuils de façon à ce que les caractéristiques connues du bésylate y correspondraient. Comme l’a déclaré le juge von Finckenstein (dans le dossier T-1350-04) : « […] aucune preuve permettant de justifier les seuils en termes d’exigences réglementaires, de normes industrielles, de facilités de production ou de réduction au minimum des coûts n’a été présentée [par Pfizer]… Toute combinaison des quatre caractéristiques des neufs sels peut être considérée comme unique et comme se prêtant particulièrement bien à la fabrication de préparations pharmaceutiques d’amlodipine, pourvu qu’aucune raison ne soit donnée pour expliquer la sélection de la valeur seuil […] En fait, on peut manipuler ces seuils de façon à obtenir le résultat recherché ». Il n’existe aucune combinaison unique de bonnes propriétés de formulation, comme l’allègue le brevet 393.

 

En ce qui concerne les résultats d’essais spécifiques dont fait état le brevet 393 :

 

Selon le brevet 393, le bésylate a la même solubilité que le maléate (tableau 1, page 3). L’acétate, le chlorhydrate et le mésylate sont ceux qui ont la meilleure solubilité. Par conséquent, la revendication d’une solubilité meilleure que l’on trouve dans le brevet n’est pas étayée par les données figurant dans ce dernier. La question de la biodisponibilité est également peu pertinente pour ce qui est de savoir si des sels qui fournissent des solutions ont un pH proche du sang (contrairement aux affirmations faites dans le brevet 393, à la page 3). L’effet d’une forme saline sur le pH des liquides gastriques ou intestinaux est négligeable. Dans les observations qu’elle a soumises à la FDA (révision, par Pfizer, de la NDA originale pour la NDA 19-787), Pfizer a reconnu que le maléate et le bésylate « sont, a-t-il été démontré, bioéquivalents chez l’humain », et ce, malgré les différences de pH qui apparaissent au tableau 1. En outre, les avantages des sels qui fournissent des solutions dont le pH est proche de 7,4 s’appliqueraient surtout aux médicaments parentéraux, et non aux formulations orales, comme les comprimés. Selon le brevet 393, les solutions salines comportant un pH proche de celui du sang (7,4) peuvent être facilement rajustées par une solution-tampon (brevet 393, page 3, lignes 8-12).

 

Selon le brevet 393, le bésylate d’amlodipine présente une stabilité et une traitabilité meilleures par rapport au maléate (page 4). La stabilité a été mise à l’essai à l’aide d’une comparaison entre : (1) un essai de stabilité (mise à l’essai de « produits de dégradation » non précisés dans des comprimés ou des gélules) et (2) un essai hygroscopique (pages 3-5). Cependant, aucune donnée quantitative n’a été fournie dans l’essai de stabilité à l’appui de la conclusion selon laquelle le benzènesulfonate offre une meilleure stabilité, et il n’est même pas fait mention de l’essai standard concernant les niveaux d’impureté (CLHP). Les données comparatives sur l’hygroscopicité du maléate et du bésylate d’amlodipine montrent que les deux restent anhydres (page 5). Là encore, aucune donnée n’est fournie au sujet des études hygroscopiques concernant le brevet 393 et, de ce fait, les niveaux d’hygroscopicité sont vagues. Le sel non formulé n’a pas non plus été mis à l’essai en vue d’en déterminer l’hygroscopicité. Les différences d’hygroscopicité alléguées sont négligeables et ne donnent lieu à aucun avantage important inopiné pour ce qui est de la fabrication d’un comprimé à base de bésylate au lieu de n’importe quel autre sel, dont le maléate, qui a été particulièrement privilégié.

 

Dans le même ordre d’idées, les différences de traitabilité du maléate et du bésylate, telles que révélées dans le brevet, sont négligeables dans l’art de la fabrication d’un comprimé. La quantité de médicaments adhérant à la presse à comprimer est si faible qu’elle est insignifiante dans le contexte des spécifications de fabrication. Le bésylate manifeste aussi une traitabilité pire que celle du mésylate (tableau 2, page 6). Du phosphate de bicalcium a également été utilisé comme excipient. Ce phosphate contient environ 2 % d’eau et peut être la cause de l’adhésivité des matières à la presse à comprimer. Ces différences de traitabilité ne donnent donc lieu à aucun avantage important inopiné pour ce qui est de la fabrication d’un comprimé à base de bésylate plutôt que de n’importe quel autre sel. Par exemple, le propre produit à base de bésylate d’amlodipine de Pfizer (Norvasc) comporte de grandes quantités d’un anti-adhérant quelconque (Mg de stéarate) (Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques, 2005). Une personne versée dans l’art se serait attendue à de légères variations dans les propriétés de sels différents; ces variations attendues et légères ne remplissent pas les conditions requises pour un brevet de sélection.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-899-06

 

INTITULÉ :                                       PFIZER CANADA INC., PFIZER INC.

                                                            et PFIZER LIMITED c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SANTÉ

et PHARMASCIENCE INC.

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATES DE L’AUDIENCE :             LES 31 MARS, 1ER, 2 ET 3 AVRIL 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 17 AVRIL 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew M. Shaughnessy                                                          POUR LES DEMANDERESSES

Kamleh J. Nichola

Andrew Bernstein

Asma Faizi

                                                                                               

Carol Hitchman                                                                        POUR LA DÉFENDERESSE

Olga Kalinina                                                                            PHARMASCIENCE INC.

                                                                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Torys LLP                                                                                POUR LES DEMANDERESSES

Toronto (Ontario)

 

Hitchman & Sprigings                                                               POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)                                                                     PHARMASCIENCE INC.

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.