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Date : 20080403

Dossier : T‑402‑07

Référence : 2008 CF 425

 

ENTRE :

SCOTCH WHISKY ASSOCIATION

 

demanderesse

 

et

 

 

 

GLENORA DISTILLERS INTERNATIONAL LTD.

 

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE JUGE HARRINGTON

 

[1]               Quand le whisky écossais n’est‑il pas du whisky écossais? Quand il n’est pas distillé et mûri en Écosse. Certains disent que le Glen Breton ressemble au scotch, sent le scotch et goûte le scotch; mais ce n’en est pas. Il est distillé par Glenora au Canada, au Cap‑Breton (Nouvelle‑Écosse).

 

[2]               Les amateurs de whisky tiennent en haute estime les whiskys écossais, particulièrement les single malts, et The Glenlivet, Glenfiddich et Glenmorangie sont des noms qui viennent à l’esprit. C’est là le nœud du problème. Le mot « Glen » en liaison avec « whisky de single malt » donne‑t‑il une description claire ou une description fausse et trompeuse du lieu d’origine (le Canada), ou ce même mot, en raison d’une pratique commerciale ordinaire et authentique, est‑il devenu reconnu au Canada comme désignant l’Écosse en tant que lieu d’origine des whiskys portant ce nom, de sorte que l’emploi de Glen Breton en tant que marque est susceptible d’induire en erreur? Dans l’affirmative, l’article 10 et les alinéas 12(1)b) et e) de la Loi sur les marques de commerce obligeaient le registraire des marques de commerce à refuser l’enregistrement. Le membre de la Commission des oppositions des marques de commerce assigné au dossier (le registraire) a pensé que non, car il a rejeté l’opposition de la Scotch Whisky Association à l’enregistrement. Il s’agit de l’appel de cette décision. Le paragraphe 56(5) de la Loi autorise à produire une preuve additionnelle, et j’ai été saisi d’une grande quantité d’éléments de preuve qui n’avaient pas été soumis au registraire.

 

UN MOT SUR LE WHISK(E)Y

[3]               Le mot « whisky », comme on l’écrit d’habitude en Écosse et au Canada, ou « whiskey », comme on l’écrit généralement en Irlande et aux États‑Unis, est dérivé, selon la définition qu’en donne l’Oxford English Dictionary, du gaélique : [traduction] « eau‑de‑vie distillée à l’origine en Irlande et en Écosse, ainsi que dans les îles britanniques, principalement à partir d’orge malté, de même qu’aux États‑Unis, principalement à partir de maïs ou de seigle ».

 

[4]               Le Règlement sur les aliments et drogues reconnaît certains whiskys par leur origine, c’est‑à‑dire, écossais, irlandais, canadien, bourbon et Tennessee, d’autres par leur méthode de distillation, comme le whisky de malt, et un autre par sa méthode de mélange, soit le whisky Highland :

·        Le whisky écossais est un whisky qui a été distillé en Écosse, selon les lois du Royaume‑Uni;

 

·        Le whisky canadien est distillé et vieilli au Canada et il doit « posséder l’arôme, le goût et les caractéristiques communément attribués au whisky canadien »;

 

·        Le whisky de malt s’obtient par distillation dans des alambics à chauffe directe; même si ce n’est pas mentionné dans le règlement, un « single malt » provient d’une distillerie unique;

 

·        Le whisky Highland est mélangé au Canada et il doit contenir au moins 25 % de whisky de malt distillé au Canada ou en Écosse. S’il contient au moins 51 % de whisky de malt distillé en Écosse, il peut être étiqueté et annoncé comme contenant du whisky de malt distillé en Écosse.

 

[5]               Il appert que le Glen Breton ne peut pas être appelé « whisky canadien » à cause de son arôme, de son goût et de ses caractéristiques. Il se qualifie de seul et unique whisky de single malt au Canada (« Canada’s only single malt whisky »). On peut présumer qu’il ne peut pas se qualifier de « whisky Highland » car il contient du whisky de malt à 100 %. Il est confectionné selon la tradition écossaise et a le droit de porter le nom de single malt.

 

DE GLEN EN GLEN

[6]               L’origine - mais non le sens - du mot « Glen » a été l’objet d’un débat considérable, dont les protagonistes étaient Ian Glen Barclay, directeur des Affaires juridiques de l’Association, et Lauchie MacLean, président de Glenora. Tous deux conviennent que le mot est d’origine gaélique et désigne une vallée montagneuse, habituellement étroite et formant le lit d’un cours d’eau. En fait, c’est ce que dit l’Oxford Dictionary. Cependant, plutôt que le débat vide de sens entre les deux pour savoir s’il y a plus de glens par habitant en Nouvelle‑Écosse qu’en Écosse, et particulièrement au Cap‑Breton par opposition aux Highlands en Écosse, je préfère le dictionnaire Oxford, qui fait état de certains traits communs entre le gaélique écossais et le gallois, le cornouaillais et l’irlandais. Le dictionnaire ajoute : [traduction] « [mot] tout d’abord appliqué aux étroites vallées des districts montagneux de l’Écosse et de l’Irlande, mais s’emploie aujourd’hui pour désigner des lieux semblables dans d’autres pays ». « Glen » n’est pas un mot étranger pour un anglophone, et depuis longtemps. Cela fait partie du génie de la langue anglaise, qui emprunte et s’approprie ensuite un mot qui lui plaît, d’habitude en en changeant l’orthographe et la prononciation en cours de route! « Glen » n’est pas un mot très descriptif, car il peut aussi servir de prénom ou de patronyme.

 

[7]               Selon M. Barclay, la plupart des whiskys écossais, mais pas tous, dans lequel le mot « Glen » est employé comme préfixe ou comme mot seul, proviennent des glens. Selon M. MacLean, on pourrait fort bien dire du Glen Breton qu’il provient d’un glen.

 

[8]               Le « whisky écossais » a été enregistré en tant qu’indication géographique, au sens du paragraphe 11.12(2) de la Loi. L’article 11.15 de la Loi interdit à quiconque d’adopter comme marque de commerce ou autrement une indication géographique protégée pour un spiritueux dont le lieu d’origine ne se trouve pas à cet endroit. La Loi sur le commerce des spiritueux renforce le Règlement sur les aliments et drogues en rapport avec le spiritueux connu sous le nom de « whisky écossais ».

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[9]               La forme d’opposition soulevée par l’Association a été dictée par l’article 38 de la Loi. La procédure est expliquée par les auteurs de la quatrième édition de l’ouvrage intitulé Fox on Canadian Law of Trade‑Marks and Unfair Competition, à la section 6.7. L’article 38 met en cause d’autres dispositions de la Loi, en l’occurrence la définition du mot « distinctive » à l’article 2, l’article 10, les alinéas 12(1)b) et e), de même que l’article 30 et 37(1)a). Essentiellement, l’Association a fait valoir que la marque de commerce en cause donnait une description fausse et trompeuse du lieu d’origine du whisky ainsi que de son caractère ou de sa qualité, qu’il est aujourd’hui reconnu que le mot « Glen » désigne des marchandises d’une origine et d’un genre particuliers, c’est‑à‑dire du whisky de l’Écosse, et que la marque en cause n’est pas distinctive.

 

[10]           Le registraire a conclu que les consommateurs et les acheteurs canadiens de whisky n’avaient pas appris à associer le mot « Glen » uniquement au whisky écossais. D’après le dossier qu’il avait en main, les ventes de scotch mélangé surpassaient nettement en nombre les ventes de single malts et seul un nombre restreint de ceux‑ci avaient une marque de commerce comportant le mot « Glen » comme préfixe. Même si les listes de prix des régies des alcools indiquaient que certains produits de ce genre étaient vendus au Canada, en l’absence d’une preuve de ventes élevées au Canada, il n’était disposé à attribuer qu’une réputation limitée à l’égard de telles marques.

 

[11]           Le registraire pensait que le consommateur moyen pourrait avoir l’une des trois impressions suivantes. La première était que « Glen Breton » est le nom d’une personne, peut‑être celle qui distille le whisky. Au vu d’une objection fondée sur le nom de famille que l’examinateur avait soulevée en vertu de l’alinéa 12(1)a) de la Loi, la demanderesse avait renoncé à revendiquer le mot « Breton ». Une deuxième réaction était que le whisky était distillé dans un glen ou une vallée, ou à proximité d’un tel lieu, quelque part au Cap‑Breton, et une troisième était que la marque avait de vagues connotations écossaises ou gaéliques, évoquant d’une certaine façon l’Écosse chez les rares personnes habituées aux marques tierces de whisky écossais employant le mot « Glen » comme préfixe.

 

[12]           Le mot « Glen » n’était pas distinctif, comme en font aisément foi les marques de commerce enregistrées d’un grand nombre des membres de l’Association.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[13]           La principale question en litige est la retenue dont la Cour doit faire preuve à l’endroit du registraire dans le cadre d’un appel interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi et dans lequel des éléments de preuve additionnels ont été produits. L’appelante a également soulevé la question du fardeau de la preuve. Cependant, le fardeau n’est pertinent que dans les cas où les éléments de preuve sont insuffisants. Je suis persuadé d’avoir en main assez d’éléments de preuve pour en arriver à une décision. Les éléments additionnels sont tels qu’il n’est pas nécessaire de méditer sur la date pertinente pour décider si la marque de commerce en cause donne une description claire ou une description fausse et trompeuse, ou au moment exact où une marque est devenue reconnue en raison d’une pratique commerciale ordinaire et authentique.

 

[14]           Dans une affaire comme en l’espèce, où des éléments de preuve additionnels ont été produits, la Cour doit décider si les éléments additionnels auraient eu une incidence sur la décision du registraire. Dans l’affirmative, la norme de contrôle est de ce fait la décision correcte; dans la négative, il s’agit de la décision raisonnable simpliciter. Comme l’a déclaré le juge Décary, dans l’arrêt Christian Dior, S.A. c. Dion Neckwear Ltd., 2002 CAF 29, 20 C.P.R. 4th 155 :

[8]        La norme de contrôle applicable dans le cas des décisions du registraire qui relèvent de son champ d’expertise, qu’elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu’elles résultent de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, est la norme de la décision raisonnable simpliciter, qui est synonyme de la norme de la « décision manifestement déraisonnable ». Toutefois, lorsque des éléments de preuve supplémentaires sont soumis à la Section de première instance et que ces éléments de preuve auraient pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions au sujet du bien‑fondé de la décision du registraire (voir les arrêts Brasseries Molson, société en nom collectif c. Labatt (John) Ltée. et autre, [2000] 3 C.F. 145, (2000), 252 .R. 91 (C.A.F.) le juge Rothstein, à la page 56 du recueil C.F., et United States Polo Assn. c. Polo Ralph Lauren Corp., (2000), 9 C.P.R. (4th) 51 (C.A.F.), le juge Malone, au par. 13 et le juge Isaac, au par. 10, et le jugement Garbo Creations Inc. c. Harriet Brown & Co., (1999), 3 C.P.R. (4th) 224 (C.F. 1re inst., le juge Evans, à la page 234 ).

 

 

ANALYSE

[15]           Je suis convaincu que les éléments de preuve additionnels, s’ils avaient été soumis au registraire, auraient eu une incidence sur sa décision. Les éléments additionnels se composent de registres des ventes plus complets, ventilés marque par marque, de listes de produits additionnelles, ventilées province par province, de même que diverses cartes de consommations de bars et d’autres indices susceptibles de créer une certaine confusion au sein du marché. Glenora a elle aussi déposé de nouveaux éléments de preuve en réplique.

 

[16]           En conséquence, la norme de contrôle applicable est la décision correcte. Je suis arrivé à la conclusion que si le registraire avait eu en main le dossier qui m’a été soumis, il aurait fait droit à l’opposition de l’Association. Il n’y a dans le dossier aucune preuve que, avant l’année 2000, celle où Glenora a présenté une demande concernant sa marque de commerce, on ait jamais vendu au Canada du whisky dont le mot « Glen » faisait partie du nom et qui n’était pas du whisky écossais. En fait, des « Glens » écossais sont vendus au Canada depuis au moins 1888, car la marque de commerce de Glenlivet de cette année‑là était fondée sur l’emploi antérieur. En 2000, quelque 22 whiskys « Glen » étaient vendus au Canada, du whisky écossais dans tous les cas, et tous sauf un, Glengarry, dont les ventes étaient minimes, étaient du type single malt. Je suis donc persuadé que Glen Breton n’est pas enregistrable en vertu de l’alinéa 12(1)e) de la Loi parce que l’article 10 en interdit l’adoption étant donné que nul ne peut adopter une marque comme marque de commerce si cette marque « en raison d’une pratique commerciale ordinaire et authentique, devient reconnue au Canada comme désignant le […] le lieu d’origine […] de marchandises […] de la même catégorie générale ».

 

[17]           En revanche, je ne suis pas persuadé que la marque de commerce en cause donnait une description fausse et trompeuse du lieu d’origine du whisky ainsi que de sa nature ou de sa qualité.

 

[18]           Selon le dossier, en l’an 2000, quelque 896 607 caisses de whisky écossais ont été importées au Canada. Cela donne environ dix millions six cent vingt‑cinq mille trois cent soixante‑seize (10 625 376) bouteilles de 75 cl. La partie « whisky de malt » de cette quantité équivalait à 132 000 caisses, soit 1 584 000 bouteilles, ce qui représente environ 15 % des ventes de whisky écossais.

 

[19]           Les single malts de type « Glen » équivalaient à 933 000 bouteilles, soit près de 59 % des single malts. L’année 2000 a été une année plus ou moins semblable aux autres. Si le registraire avait eu ces données en main, il n’aurait pas pu attribuer une réputation limitée pour les marques de type « Glen » employées en liaison avec le whisky écossais au Canada, ou il ne serait pas arrivé à la conclusion que seules quelques personnes connaissaient les marques à préfixe « Glen » employées pour les single malts écossais. En fait, on ne peut pas présumer que des ventes peu élevées sont synonymes d’une faible reconnaissance publique; il suffit de penser à la marque Rolls‑Royce.

 

[20]           Glenora a fait valoir que le mot « Glen », employé soit comme préfixe soit comme mot seul, n’était pas exclusivement associé à la vente de whisky écossais au Canada. Il y a eu, semble‑t‑il, du whisky de malt produit dans les années 1980 en Colombie‑Britannique, sous le nom « Glenogopogo ». Il n’y a toutefois aucune preuve que ce whisky ait jamais été vendu au Canada ou qu’il ait été l’objet d’une demande de marque de commerce. Il a été, tout au plus, vendu durant quelques années au Japon. Il y a eu aussi un gin « Glenmore » vendu au Canada. Cependant, l’Association ne s’intéresse pas au mot « Glen » associé à des spiritueux autres que le whisky.

 

[21]           Il y a eu par ailleurs aux États‑Unis une distillerie Glenmore dont l’existence a pris fin à la suite d’une fusion. Cette société vendait aux États‑Unis un whisky bourbon pur du Kentucky appelé « Glenmore » et, au Canada, un bourbon appelé « Kentucky Tavern ». Les dernières ventes canadiennes enregistrées ont eu lieu en 1985. Selon Glenora, les Canadiens associeraient le nom « Glen » au whisky bourbon, à cause non seulement du nom de la distillerie, mais aussi d’une série de publicités assez accrocheuses, publiées dans la revue Life. Des annonces, parues entre 1939 et 1950, ont été déposées en tant que pièces.

 

[22]           Je n’accorde aucun poids à l’argument concernant le whisky Glenmore. Il est question de la confusion créée au sein du marché, et le critère à appliquer est celui de la première impression venant à l’esprit du consommateur occasionnel plutôt pressé : Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 R.C.S. 772, 49 C.P.R. (4th) 321, et Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 R.C.S. 824, 49 C.P.R. (4th) 401. Le consommateur occasionnel n’est pas impressionné par des publicités parues dans de vieux numéros d’une revue américaine, publiée avant la date de naissance de la plupart des Canadiens contemporains.

 

[23]           En revanche, il existe des preuves considérables de confusion effective entre Glen Breton et les Glens écossais mentionnés dans des listes de prix et des articles publiés sous les auspices des régies des alcools de l’Ontario, du Nouveau‑Brunswick et de la Nouvelle‑Écosse.

 

[24]           Un certain nombre de cartes des consommations de bars et de restaurants ont été produites. Dans bien des cas, le Glen Breton figure dans la catégorie des scotchs de type single malt. En bout de ligne, le consommateur qui pensait commander un nouveau single malt écossais n’a jamais su qu’on lui servait quelque chose d’autre. Je ne souscris pas à la piètre excuse selon laquelle la présentation de certaines des cartes des consommations ne permettait pas de créer pour les single malts une rubrique autre que celle des single malts écossais.

 

[25]           En l’espèce, le consommateur occasionnel achète peut‑être une bouteille dans un magasin de spiritueux ou dans un autre lieu muni d’un permis d’alcool, ou achète une consommation dans un bar. Certes, le consommateur canadien moyen n’achète pas une bouteille de scotch directement auprès d’une distillerie située en Écosse. Comme l’a fait remarquer le juge Gonthier, quoique dans le contexte d’une action en commercialisation trompeuse (passing‑off), dans l’affaire Ciba‑Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120, au paragraphe 58 :

La première personne qui achète le produit n’est en général pas celle à qui il est destiné en bout de ligne. En supposant que la chaîne ait trois maillons, dont les deux extrémités sont le producteur et le consommateur, le « revendeur » (épicier, libraire, garagiste, etc.) est un intermédiaire entre le producteur et le consommateur. Je le qualifierais volontiers de « client commercial », c’est‑à‑dire une personne qui se procure un produit non pour son usage propre mais dans le but de le retransmettre à une tierce personne dans l’exercice de son activité commerciale. Il est peu nécessaire de s’attarder sur le cas de ces commerçants-intermédiaires qui constituent effectivement une partie de la clientèle du fabricant ou du producteur. À l’occasion, on peut se demander si l’action en passing‑off les concerne réellement souvent en tant que clients. Plus ils sont proches, c’est‑à‑dire plus ils ont des rapports directs avec le fabricant ou le producteur, moins le risque de tromperie est grand.  C’est d’ailleurs ce que constate le vicomte Maugham dans Saville Perfumery Ld. c. June Perfect Ld. (1941), 58 R.P.C. 147 (H.L.), aux pp. 175 et 176 :  [traduction] « Par exemple, il est assez fréquent [...] de constater que les détaillants ne sont pas induits en erreur, alors que les clients ordinaires le sont ».

 

[26]           Il y a confusion dans le commerce et je conclus, selon la prépondérance de la preuve, que cette confusion est imputable au mot « Glen » et non au fait que Glen Breton est un single malt. Bushmills vend un malt irlandais au Canada, mais n’emploie pas le mot « Glen ». S’il y a confusion dans le commerce, il doit y en avoir aussi en bout de ligne chez le consommateur.

 

L’ÉCOSSE ANCIENNE ET NOUVELLE

[27]           Les deux parties sont allées beaucoup trop loin en faisant valoir la question de l’ethnicité. L’Association est d’avis que Glenora ne peut employer aucun mot susceptible d’évoquer l’Écosse. Glenora réplique que l’on ne peut échapper à l’héritage culturel de la Nouvelle‑Écosse, et plus particulièrement celui du Cap‑Breton. En fait, au début du XXe siècle, la langue maternelle de plus de 40 % des résidents du Cap‑Breton était le gaélique, et cette langue y est encore parlée de nos jours.

 

[28]           À cet égard, les deux parties étaient impatientes de soulever le voile de la personnalité juridique, ignorant que les sociétés sont des créations plutôt stériles de la loi. Je me suis prononcé en faveur de l’Association, non pas à cause de l’argument selon lequel le mot « Glen » est d’origine écossaise, mais parce qu’il est depuis longtemps employé au Canada par les distillateurs de whisky écossais seulement. Si les Irlandais, qui peuvent eux aussi revendiquer le mot, commercialisaient des « Glens » au Canada, la situation aurait peut‑être bien été différente. L’Association a fait référence à une cause irlandaise dans laquelle une injonction interlocutoire avait été rendue contre un distillateur irlandais pour l’empêcher d’employer le mot « Glen » en liaison avec son whisky. Cependant, je n’accorde aucun poids à cette affaire ou à des affaires relevant d’autres ressorts, car il n’y avait aucune preuve que la loi applicable était la même que la nôtre.

 

[29]           Pour situer les choses dans leur juste perspective, le principal produit que l’Écosse a exporté au Canada est ses habitants, et non son whisky. Les habitants du Cap‑Breton - les « Capers » comme disent les anglophones - sont fiers à juste titre de leur héritage culturel et ils ont le droit de l’évoquer. Cependant, il est trop tard pour employer le mot « Glen ».

 

[30]           Pour présenter les choses d’une autre façon encore, si, pour une raison quelconque, l’Écosse, en reconnaissance envers ses voisins scandinaves, avait baptisé son whisky Livetfjord, Fiddichfjord ou Morangiefjord, et si Glenora avait proposé d’enregistrer la marque Bretonfjord, ma conclusion aurait été la même, même si « fjord » n’est pas un mot écossais. C’est la liaison dans l’esprit des consommateurs, et non l’origine du mot, qui est l’élément pertinent.

 

[31]           Pour ces motifs, une ordonnance sera rendue, qui fera droit à l’appel et ordonnera au registraire de refuser la demande de Glenora quant à l’enregistrement de Glen Breton. Chaque partie supportera ses propres dépens car je suis d’avis que les nouveaux éléments de preuve que l’on m’a présentés auraient pu - et auraient dû - être soumis au registraire. Si cela avait été fait, il aurait été inutile de porter l’affaire en appel devant la Cour.

 

« Sean Harrington »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 3 avril 2008

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑402‑07

 

INTITULÉ :                                       SCOTCH WHISKY ASSOCIATION c.

                                                            GLENORA DISTILLERS INTERNATIONAL LTD.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATES DE L’AUDIENCE :             LES 5 ET 6 MARS 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 3 AVRIL 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rose‑Mary Perry, c.r.

Todd J. Burke

 

POUR LA DEMANDERESSE

David A. Copp

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

David A. Copp

Avocat

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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