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Date: 20080313

Dossier: T-100-06

Référence: 2008 CF 338

Ottawa (Ontario), le 13 mars 2008

En présence de Monsieur le juge Simon Noël 

 

ENTRE :

FATEH KAMEL

Demandeur

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

[1]               Citoyen canadien, d’origine algérienne, Monsieur Fateh Kamel (le demandeur ou M. Kamel), sollicite le contrôle judiciaire de la décision du Ministre des Affaires étrangères (le Ministre), communiquée le 14 décembre 2005, de lui refuser la délivrance d’un passeport en vertu de l’article 10.1 du Décret sur les passeports canadiens, T.R./81-86 tel que modifié par le décret modifiant le décret sur les passeports canadiens, T.R./2004-113 (le Décret), puisque cela est nécessaire pour la sécurité nationale du Canada ou d'un autre pays.

 

 

[2]               En l’espèce, M. Kamel demande l’annulation de la décision ministérielle et la délivrance d’un passeport.  Pour ce faire, M. Kamel prétend qu’il y a eu manquement aux principes d’équité procédurale. En outre, M. Kamel prétend que les articles 4 et 10.1 du Décret et la décision en cause portent atteinte de manière injustifiable aux droits reconnus par les articles 6, 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11 (la Charte).

 

[3]               La Cour conclut que, lors de l’enquête ayant abouti à la décision ministérielle, les principes d’équité procédurale ont été enfreints en l’espèce. La Cour conclut également que le passeport est essentiel pour assurer la liberté de circulation prévue à l’article 6 de la Charte et que l’article premier ne peut être d’aucune utilité étant donné que l’article 10.1 du Décret n’est pas une règle de droit.  Ainsi, il y a atteinte aux droits protégés par l’article 6 de la Charte.  En conséquence, l’article 10.1 du Décret est déclaré invalide et la décision du Ministre est annulée.  La Cour accorde à la gouverneur générale en conseil un délai de six (6) mois pour remanier l’article 10.1 du Décret.  En dernier lieu, la demande d’émettre un passeport, au lieu et à la place du Ministre, est refusée.

 

[4]               Afin de mieux faire l’analyse menant aux conclusions mentionnées ci-haut, j’ai adopté le plan suivant :

-   Législation pertinente, page 4;

-   Certains faits pertinents pour les fins de la présente, page 9;

 

 

-  Le passeport Canadien: un peu d’histoire, page 17;

-   Le terrorisme et l’utilisation du passeport, page 20;

-   Les questions en litige, page 24;

-  La Cour a-t-elle compétence pour connaître d’un décret pris en vertu de la prérogative royale dans le cadre d’un contrôle judiciaire d’une décision ministérielle? page 26;

-  Quelle est la norme de contrôle indiquée en ce qui concerne la décision prise en vertu de l’article 10.1 du Décret? page 31;

-  Lors de l’enquête administrative du Bureau des passeports Canada (« BPC »), suite à la demande de passeport de M. Kamel, y a-t-il eu manquement aux principes d’équité procédurale et, dans l’affirmative, tout en tenant compte de la norme de contrôle judiciaire applicable, est-ce que l’intervention de la Cour est justifiée? page 33;

-  Les articles 4 et 10.1 du Décret portent-ils atteinte aux droits associés à la liberté de circulation garantie par le paragraphe 6(1) de la Charte? page 43;

-  Cette atteinte au paragraphe 6(1) de la Charte est-elle justifiée aux termes de l’article premier de la Charte? page 53;

-  Les articles 4 et 10.1 du Décret portent-ils atteinte aux droits énoncés aux articles 7 et 15 de la Charte et si la réponse est affirmative, y a-t-il justification aux termes de l’article premier? page 61;

 

-  Y-a-t-il lieu d’envisager une ordonnance obligeant le Ministre à délivrer un passeport à M. Kamel? page 65;

-   Conclusions, page 67;

-   Les dépens, page 68;

-   Le jugement, page 70;

-   Le rapport du BPC au Ministre, page 72; et

-   Lettre de Mme Thomas à M. Kamel en date du 14 décembre 2005, page 82.

II.        Législation pertinente

[5]             Les articles 9 et 10 du Décret énoncent les conditions de délivrance et de révocation du passeport:

REFUS DE DÉLIVRANCE ET RÉVOCATION

9. Passeport Canada peut refuser de délivrer un passeport au requérant qui :

 

a) ne lui présente pas une demande de passeport dûment remplie ou ne lui fournit pas les renseignements et les documents exigés ou demandés

 

 

(i) dans la demande de passeport, ou

 

(ii) selon l'article 8;

 

b) est accusé au Canada d'un acte criminel;

 

 

 

 

c) est accusé dans un pays étranger d'avoir commis une infraction qui constituerait un acte criminel si elle était commise au Canada;

 

d) est assujetti à une peine d’emprisonnement au Canada ou est frappé d’une interdiction de quitter le Canada ou le ressort d’un tribunal canadien selon les conditions imposées :

 

(i) à l’égard d’une permission de sortir, d’un placement à l’extérieur, d’une libération conditionnelle ou d’office, ou à l’égard de tout régime similaire d’absences ou de permissions, d’un pénitencier, d’une prison ou de tout autre lieu de détention, accordés sous le régime de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, de la Loi sur les prisons et les maisons de correction ou de toute loi édictée au Canada prévoyant des mesures semblables de mise en liberté,

 

(ii) à l’égard de toutes mesures de rechange, d’une mise en liberté provisoire par voie judiciaire, d’une mise en liberté ou à l’égard d’une ordonnance de sursis ou de probation établie sous le régime du Code criminel ou de toute loi édictée au Canada prévoyant des mesures semblables de mise en liberté,

 

 

(iii) dans le cadre d’une permission de sortir sans escorte d’une prison ou d’un pénitencier accordée en vertu de toute loi édictée au Canada;

 

d.1) est assujetti à une peine d’emprisonnement à l’étranger ou est frappé d’une interdiction de quitter un pays étranger ou le ressort d’un tribunal étranger selon les conditions imposées dans le cadre de dispositions privatives de liberté comparables à celles énumérées aux sous-alinéas d)(i) à (iii);

 

e) a été déclaré coupable d’une infraction prévue à l’article 57 du Code criminel ou, à l’étranger, d’une infraction qui constituerait une telle infraction si elle avait été commise au Canada;

 

 

 

f) est redevable envers la Couronne par suite des dépenses engagées en vue de son rapatriement au Canada ou d'une autre assistance financière consulaire qu'il a demandée et que le gouvernement du Canada lui a fournie à l'étranger; ou

 

g) détient un passeport qui n'est pas expiré et n'a pas été révoqué.

 

 

 

 

 

REFUS DE DÉLIVRANCE ET RÉVOCATION

10. (1) Passeport Canada peut révoquer un passeport pour les mêmes motifs que le refus d’en délivrer un.

 

(2) Il peut en outre révoquer le passeport de la personne qui :

 

a) étant en dehors du Canada, est accusée dans un pays ou un État étranger d'avoir commis une infraction qui constituerait un acte criminel si elle était commise au Canada;

 

b) utilise le passeport pour commettre un acte criminel au Canada, ou pour commettre, dans un pays ou État étranger, une infraction qui constituerait un acte criminel si elle était commise au Canada;

 

c) permet à une autre personne de se servir du passeport;

 

d) a obtenu le passeport au moyen de renseignements faux ou trompeurs;

 

e) n'est plus citoyen canadien.

 

REFUSAL OF PASSPORTS AND REVOCATION

9. Passport Canada may refuse to issue a passport to an applicant who

 

(a) fails to provide the Passport Office with a duly completed application for a passport or with the information and material that is required or requested

 

(i) in the application for a passport, or

 

(ii) pursuant to section 8;

 

(b) stands charged in Canada with the commission of an indictable offence;

 

 

 

(c) stands charged outside Canada with the commission of any offence that would, if committed in Canada, constitute an indictable offence;

 

(d) is subject to a term of imprisonment in Canada or is forbidden to leave Canada or the territorial jurisdiction of a Canadian court by conditions imposed with respect to

 

(i) any temporary absence, work release, parole, statutory release or other similar regime of absence or release from a penitentiary or prison or any other place of confinement granted under the Corrections and Conditional Release Act, the Prisons and Reformatories Act or any law made in Canada that contains similar release provisions,

 

 

 

 

 

 

(ii) any alternative measures, judicial interim release, release from custody, conditional sentence order or probation order granted under the Criminal Code or any law made in Canada that contains similar release provisions, or

 

 

 

 

 

(iii) any absence without escort from a penitentiary or prison granted under any law made in Canada;

 

 

(d.1) is subject to a term of imprisonment outside Canada or is forbidden to leave a foreign state or the territorial jurisdiction of a foreign court by conditions imposed with respect to any custodial release provisions that are comparable to those set out in subparagraphs (d)(i) to (iii);

 

(e) has been convicted of an offence under section 57 of the Criminal Code or has been convicted in a foreign state of an offence that would, if committed in Canada, constitute an offence under section 57 of the Criminal Code;

 

(f) is indebted to the Crown for expenses related to repatriation to Canada or for other consular financial assistance provided abroad at his request by the Government of Canada; or

 

 

 

(g) has been issued a passport that has not expired and has not been revoked.

 

 

 

 

 

REFUSAL OF PASSPORTS AND REVOCATION

10. (1) Passport Canada may revoke a passport on the same grounds on which it may refuse to issue a passport.

 

(2) In addition, Passport Canada may revoke the passport of a person who

(a) being outside Canada, stands charged in a foreign country or state with the commission of any offence that would constitute an indictable offence if committed in Canada;

(b) uses the passport to assist him in committing an indictable offence in Canada or any offence in a foreign country or state that would constitute an indictable offence if committed in Canada;

 

(c) permits another person to use the passport;

 

(d) has obtained the passport by means of false or misleading information; or

 

(e) has ceased to be a Canadian citizen.

 

 

 

 

 

 

[6]             L’article 10.1 du Décret dispose:

Décret sur les passeports canadiens

REFUS DE DÉLIVRANCE ET RÉVOCATION

10.1 Sans que soit limitée la généralité des paragraphes 4(3) et (4), il est entendu que le ministre peut refuser de délivrer un passeport ou en révoquer un s'il est d'avis que cela est nécessaire pour la sécurité nationale du Canada ou d'un autre pays.

Canadian Passport Order

 

REFUSAL OF PASSPORTS AND REVOCATION

10.1 Without limiting the generality of subsections 4(3) and (4) and for greater certainty, the Minister may refuse or revoke a passport if the Minister is of the opinion that such action is necessary for the national security of Canada or another country.

 

[7]             Les paragraphes 4(3) et (4) portent sur la prérogative royale en matière de passeport. Ils disposent:

DÉLIVRANCE DES PASSEPORTS

4. [. . .]

(3) Le présent décret n'a pas pour effet de limiter, de quelque manière, la prérogative royale que possède Sa Majesté du chef du Canada en matière de passeport.

(4) La prérogative royale en matière de passeport peut être exercée par le gouverneur en conseil ou le ministre au nom de Sa Majesté du chef du Canada.

ISSUANCE OF PASSPORTS

 

4. [. . .]

(3) Nothing in this Order in any manner limits or affects Her Majesty in right of Canada's royal prerogative over passports.

 

(4) The royal prerogative over passports can be exercised by the Governor in Council or the Minister on behalf of Her Majesty in right of Canada.

 

 

 

 

 

 

III.       Certains faits pertinents pour les fins de la présente

[8]               M. Kamel est né en Algérie en 1960.  En 1988, il immigre au Canada et il obtient la citoyenneté canadienne le 27 janvier 1993.

 

[9]               Le 29 janvier 1993, il demande un passeport canadien qui lui fut accordé, ledit passeport étant valable jusqu’en janvier 1998.  M. Kamel signale aux autorités en octobre 1995 qu’il a été volé et un autre passeport lui fut délivré et celui-ci était valable jusqu’au 10 novembre 2000.  En juillet 1997, il fit une nouvelle demande de passeport étant donné qu’il avait retrouvé le passeport volé en 1995.  Pourvu qu’il remette le passeport «volé», ce qu’il fit, le BPC lui octroya un nouveau passeport, utilisable jusqu’en juillet 2002.  Celui-ci ne fut pas récupéré suite à l’arrestation de M. Kamel en mai 1999 et un passeport valable uniquement pour un voyage le 29 janvier 2005, délivré par le BPC, lui a permis de revenir au Canada, suite à plus de quatre (4) années d’incarcération en France.

 

[10]           D’autre part, M. Kamel n’est pas certain de toujours détenir la citoyenneté algérienne.  Il fait valoir qu’en 1996, il avait demandé et obtenu un passeport algérien par l’entremise du Consulat de l’Algérie à Montréal.  Dans la semaine suivant la remise du passeport, le Consulat le rappelle afin qu’il se présente à nouveau avec ses documents algériens, ce qu’il fit.  Lors de cette rencontre, on l’informe que le passeport avait été délivré par erreur et l’on récupéra le passeport de l’Algérie ainsi que sa carte d’identité nationale.

[11]           En mai 1999, le demandeur est arrêté en Jordanie puis extradé vers la France.  Il retient les services d’un avocat ayant trente (30) ans d’expérience en semblable matière, Me Mourat Oussedik, assisté de Maître Panier.  Après un procès de plusieurs jours, impliquant plus de vingt (20) accusés, M. Kamel fut jugé et déclaré coupable par le tribunal de grande instance de Paris, le 6 avril 2001. Dans un jugement de 133 pages, concernant chacun des 24 accusés, tous visés par les mêmes accusations de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terroriste et de complicité de faux dans un document administratif (passeport), le tribunal: 

« DÉCLARE Fateh Kamel coupable de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme, (faits commis depuis 1996 et jusqu’en 1998, à Roubaix (Nord) et sur le territoire national, ainsi qu’au Canada, en Turquie, Bosnie, en Belgique et en Italie, de complicité de faux dans un document administratif constatant un droit, une identité ou une qualité (faits commis courant 1996, à Roubaix (Nord) et sur le territoire national, ainsi qu’au Canada, en Turquie, Bosnie, en Belgique et de complicité d’usage de faux dans un document administratif constatant un droit, une identité ou une qualité, (faits commis courant 1996, à Roubaix (Nord) et sur le territoire national, ainsi qu’au Canada, en Turquie, Bosnie, en Belgique.

 

Avec cette circonstance que l’infraction ci-dessus spécifiée est en relation à titre principal ou connexe avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur.

 

Le condamne à la peine de huit ans d’emprisonnement.

 

ORDONNE son maintien en détention

 

Vu les articles 422-4 et 131-30 du code pénal, prononce à son encontre l’interdiction définitive du territoire Français. 

 

(Extrait du jugement du tribunal de Grande instance de Paris en date du 6 avril 2001 à la page 128). »

 

 

 

 

[12]           M. Kamel fut qualifié de « … principal animateur des réseaux internationaux déterminé à préparer des attentats et à procurer des armes et des passeports à des terroristes agissant partout dans le monde ».  Il se vit imposer la peine la plus lourde parmi tous les accusés, soit huit (8) ans d’emprisonnement et l’interdiction définitive du territoire français.

 

[13]           M. Kamel fut libéré après avoir purgé la moitié de sa peine, et il revint à Montréal, son lieu de résidence au Canada, le 29 janvier 2005, avec un passeport spécial délivré exceptionnellement par le BPC.

 

[14]           En date du 13 juin 2005, M. Kamel demande à nouveau un passeport au BPC à Montréal car il projetait aller en Thaïlande le 25 juin 2005 dans le but de faire du commerce d’importation avec l’aide d’un membre de sa famille.  Toutefois, lors d’une conversation téléphonique avec M. Michel Leduc (M. Leduc), Directeur général par intérim de la direction générale de la sécurité du BPC, le 22 juin 2005, le demandeur l’informe que ses plans de voyage avaient changé pour raisons personnelles.  Lors de cette conversation, M. Leduc informe le demandeur que son dossier était en cours d’instruction et que le passeport ne serait pas disponible dans l’immédiat.  On l’invita à transmettre ses observations ou questions.

 

 

 

 

[15]           Le 5 août 2005, ce même M. Leduc écrivit à M. Kamel pour l’informer que son admissibilité à un passeport faisait l’objet d’une enquête administrative en raison du jugement du tribunal de Grande instance de Paris en date du 6 avril 2001.  L’enquête visait à décider si le demandeur pouvait faire l’objet d’une mesure de refus aux termes des articles 9, 10 et 10.1 du Décret.  À ce sujet, on invitait le demandeur à communiquer certains renseignements dans les trente (30) jours et seraient pris en considération sur réception.

 

[16]           Le 18 août 2005, M. Kamel répondait ceci:

« La présente et (sic) pour vous confirmé (sic) que j’ai reçue (sic) votre lettre datée du 5 août concernant mon dossier Référence A-9540.

 

J’aimerais savoir quel document dois (sic) ajouter à mon dossier afin de satisfaire les informations nécessaires pour l’obtention de mon Passeport.

 

Je suis conscient des précautions que vos services veulent prendre et souhaite les satisfaire pour clarifier mon dossier de passeport qui n’a jamais été utilisé dans quelque délit que ce soit.

 

Le jugement rendu contre moi en France le 6 avril 2001 prononcé par le Tribunal de grande instance de Paris a mon endroit n’a jamais pu déterminé mon rôle dans quelques fraudes que ce soit.  Je me mets donc à la disposition des enquêteurs de vos services afin de répondre à toutes vos questions supplémentaires au dossier (sic) ci-haut mentionné …..

 

J’espère le tout à votre satisfaction et demeurent (sic) à votre entière disposition pour de plus amples renseignements. »   (Je souligne)

 

 

 

 

 

 

 

[17]           Au cours de son enquête administrative, le BPC colligea divers articles de Presse, le jugement des autorités françaises impliquant M. Kamel, la jurisprudence ainsi qu’un sommaire « protégé » se rapportant à ce dernier de huit (8) pages de la Section anti-terrorisme du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) en date du 15 août 2005.

 

[18]           Brièvement, ce sommaire basé sur des éléments d’information publics, incrimine fortement M. Kamel.  Selon le SCRS, il a joué un rôle clé au sein des cellules terroristes européennes, également au service des commandants en Bosnie et en Afghanistan et il était lié au Groupe islamique armée Algérien (le GIA).  Au Canada, il rencontrait des Maghrébins et des Musulmans afin de les envoyer en Afghanistan et en Bosnie, se servant d’une entreprise d’import-export « comme couverture ».  Également, on s’y réfère au jugement français pour indiquer les accusations pour lesquelles il fut déclaré coupable.  On y ajoute qu’il a été formé dans un ou des camps en Afghanistan, en 1991; qu’il voyageait fréquemment pour le trafic de faux passeports, de même que pour maintenir « ses réseaux terroristes » et qu’il avait combattu personnellement, s’étant battu « coude à coude avec plusieurs compagnons ».  On expose ses activités de recrutement à Montréal  et l’on affirme que l’activité principale de M. Kamel et de son groupe consistait à multiplier les vols d’argent, de cartes de crédit et de passeports et de trafiquer les documents d’identité pour soutenir le Jihad. 

 

 

 

 

[19]           Ce sommaire n’a pas été communiqué à M. Kamel avant la prise de recommandation du BPC au Ministre et avant sa décision.  Dans le document du BPC accompagnant la recommandation au Ministre, aucune référence spécifique n’est faite au document du SCRS.  Toutefois, la simple lecture du rapport du BPC au Ministre permet de constater qu’il a été déterminant.

 

[20]           Le 28 octobre 2005, Mme Thomas, au nom du BPC, écrit à M. Kamel en l’informant que l’enquête se poursuit, qu’il avait été condamné en France pour une infraction en matière de terroriste et une fraude de passeport à des fins d’activités terroristes et que l’historique de son dossier montre qu’il avait fait remplacer son passeport plusieurs fois.  On précise que le BPC pouvait possiblement recommander au Ministre de lui refuser la délivrance du passeport en invoquant l’article 10.1 du Décret.  En dernier lieu, on l’invite à soumettre, dans les trente (30) jours, les renseignements supplémentaires qu’il jugerait pertinents.

 

[21]           Le 9 novembre 2005, M. Kamel envoie la lettre suivante:

« La présente concerne votre lettre du 28 octobre 2005, Je réalise que la direction générale des passeports continue d’étudier mon dossier pour émettre mon passeport.  En fait, j’ai été accusé par les autorités françaises de terrorisme et de fraude de passeport accusations sans fondements ni preuves, ni dépositions contre moi, malheureusement étant d’origine algérienne j’ai facilement été classé et condamné …

Aucun moment de ma vie je n’ai fraudé ni utilisé de passeport ne m’appartenant pas durant mes voyages, ni utilisé quelques documents que ce soit pour des activités dites terroristes ni que j ‘ai joué quelque rôle dans de supposées fraudes de documents comme le prétendait la Police française sans preuves aucune.

 

 

 

 

 

Pour ce qui est de mon historique de passeport Canadien, il est vrai qu’a deux (2) reprises mon passeport a été remplacé a ma demande, pour les raisons suivantes suite à un cambriolage a ma demeure 979 rockland outremont Qué, J’ai fais appel immédiatement a la police et rapporté tous les biens manquant dont mon passeport Canadien peu de temps après je l’ai retrouvé et me suis rendu au bureau des passeport pour les en informer et le leur remettre..

Vue qu’un passeport m’avait été émis en remplacement du premier déclaré volé, avec indication dessus que ce passeport remplace le précédent volé, l’agent du bureau des passeport m’a recommandé de retenir les deux pour m’en émettre un en règle et régulier sans indications aucune pour me permettre de voyager sans problèmes car l’indication de remplacement de passeport volé me créer des complications non nécessaires.

Je peux vous assurer Madame que je n’ai jamais représenté de menace à la sécurité nationale ou internationale, et je suis convaincu que les autorités Canadiennes ne m’auraient jamais admis au pays pour retrouver mon Épouse et mon enfant si cela avait été le cas.

J’ai besoin de mon passeport pour voyager et travailler et voir ma famille que je n’ai pas vue depuis plus de seize ans (16) …

Je vous prie donc de considérer ces présentes informations et les ajouter a mon dossier afin de permettre au Ministre de m’émettre mon passeport le plus rapidement possible SVP ». 

 

« (Je souligne – étant donné la teneur du texte du demandeur, je le reproduis sous sa forme originale) »

 

 

[22]           Le ou vers le 22 novembre 2005, le BPC transmit au Ministre un rapport dans lequel il est recommandé de refuser la délivrance du passeport à M. Kamel.  La note d’envoi classifie l’information de « secret ».  Étant donné l’importance du rapport pour les fins de la décision ministérielle, la copie est jointe à la présente à l’Annexe « 1 ». 

 

 

 

 

[23]           On y retrouve des renseignements sur les antécédents de M. Kamel, certains faits découlant du jugement des autorités françaises et du processus de remplacement de passeports valides, la compétence du Ministre ainsi que certaines références à des définitions que l’on trouve dans des textes législatifs et des conventions internationales et, en première page, la recommandation par le BPC, la Sous-ministre associée et le Sous-ministre, de ne pas délivrer de passeport à M. Kamel.  Le document comprend les deux (2) lettres du 18 août et 9 novembre 2005 de M. Kamel, mais on n’y retrouve pas le sommaire du SCRS sur M. Kamel en date du 15 août 2005, le tout sujet au commentaire inclus au paragraphe 19 de la présente.  Le 1er décembre 2005, le Ministre accepte la recommandation de ne pas délivrer de passeport à M. Kamel.

 

[24]           Le 14 décembre 2005, Mme Thomas informe M. Kamel que le BPC avait recommandé au Ministre de ne pas lui délivrer de passeport et que le Ministre avait accepté cette recommandation en vertu de l’article 10.1 du Décret.  On trouvera à l’Annexe « 2 » de la présente une copie de cette lettre.  À la fin de ladite lettre, on l’invite à communiquer les renseignements supplémentaires qui pourraient justifier une nouvelle recommandation au Ministre. C’est cette lettre qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

 

 

A.        Le passeport Canadien: un peu d’histoire

[25]           En ce qui concerne le passeport canadien, la source du droit est la prérogative royale; celle-ci découle du droit anglais.  La prérogative royale est exercée de nos jours par la Gouverneure générale en conseil et elle prend la forme d’un décret (ou « Order » en anglais).  Le passeport n’est donc pas encadré par un texte législatif mais plutôt par un décret, qui émane donc de l’exécutif.

 

[26]           Le 13 mai 1893, le Comité du Conseil privé de l’Angleterre autorisait par décret, le gouvernement Canadien à délivrer des passeports canadiens selon le modèle du passeport anglais.  Le 21 juin 1909, ce même Conseil privé, par décret, transférait l’administration des affaires canadiennes et la délivrance des passeports du Ministère du secrétaire d’État au Ministère des Affaires extérieures.

 

[27]           Sur avis du secrétariat d’État aux Affaires extérieures, en date du 9 janvier 1973, le Gouverneur-général en Conseil fixait dans le « Règlement des passeports canadiens » les nouvelles règles encadrant les demandes de passeport canadien.  Le 4 juin 1981, le Gouverneur-général en Conseil a modifié l’intitulé de cet instrument; désormais, le « décret sur les passeports canadiens », ledit document explicitait les modalités administratives en la matière.  On y constate que le BPC est la branche administrative du Ministère des Affaires étrangères qui est chargé de la délivrance, de la révocation, de la retenue, de la récupération et de l’utilisation des passeports sous la direction du Ministre. 

 

[28]           Ce décret fut modifié le 10 décembre 2001 :  la délivrance d’un passeport individuel à l’enfant de moins de seize ans est devenue obligatoire (jusque là, on pouvait le mentionner dans le passeport de l’un des parents); en outre, les certificats de naissance délivrés par les autorités religieuses, judiciaires ou municipales avant l’entrée en vigueur du Code civil du Québec,  L.Q., 1991, c. 64, le 1er janvier 1994, n’étaient plus acceptés comme preuve de citoyenneté.

 

[29]           Ce ne fut que le 1er septembre 2004, par décret, sur recommandation du Ministre des Affaires étrangères, que la Gouverneure générale en conseil modifiait le Décret sur les passeports canadiens pour y ajouter les paragraphes 4(3), 4(4) et l’article 10.1.  Dans la note explicative, on constate la confirmation du pouvoir du Ministre de refuser ou de révoquer un passeport dans l’intérêt de la sécurité nationale du Canada ou de pays étrangers, celle-ci étant une priorité du gouvernement dans sa lutte contre le crime transfrontalier et le terrorisme. 

 

[30]           Cette priorité est illustrée par l’appui continu du gouvernement aux différentes organisations internationales, telles que les Nations-Unies, le G-8 et l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), dans leur détermination à combattre les menaces à la sécurité nationale.  On y précise pour les paragraphes 4(3) et 4(4) que le Décret n’abolit ni la prérogative royale en matière de passeport ni limite le pouvoir discrétionnaire de sa Majesté chef du Canada, concernant son pouvoir de refuser de délivrer ou de révoquer un passeport pour des raisons autres que la sécurité nationale (voir les articles 9 et 10 du Décret).

 

 

 

[31]           Le Décret définit le mot passeport à l’article 2 comme étant:

DÉFINITIONS

2. Dans le  présent décret,

[. . .]

 

« passeport » désigne un document officiel canadien qui établit l'identité et la nationalité d'une personne afin de faciliter les déplacements de cette personne hors du Canada; (passport) [. . .]

INTERPRETATION

2. In this Order, “Act” means the Citizenship Act; (Loi)

[. . .]

“passport”means an official Canadian document that shows the identity and nationality of a person for the purpose of facilitating travel by that person outside Canada; (passeport)

[. . .]

 

 

L’objectif du passeport est à deux volets: il sert à identifier le citoyen canadien et à faciliter ses voyages.

 

[32]           Seul le Ministre peut révoquer ou refuser un passeport à un citoyen canadien pour des raisons de sécurité nationale ou de pays étranger.  Ce pouvoir ne peut être délégué.

 

[33]           Le Décret et le passeport disposent expressément qu’il demeure en tout temps la propriété de sa Majesté du chef du Canada (voir le paragraphe 3c) du Décret). 

 

DÉLIVRANCE DES PASSEPORTS

3. Chaque passeport

[. . .]

c) demeure en tout temps la propriété de Sa Majesté du chef du Canada;

ISSUANCE OF PASSPORTS

3. Every passport

[. . .]

(c) shall at all times remain the property of Her Majesty in right of Canada;

 

 

[34]           Dans le passeport, à la première page, le Canada par l’entremise du Ministre des Affaires étrangères « prie » les pays où le citoyen canadien se trouve de bien vouloir lui accorder libre passage de même que l’aide et la protection qu’il aurait besoin.  Il précise que le passeport est valable pour tous les pays, sauf indication contraire.  On y ajoute que le titulaire doit également se conformer aux formalités d’entrée des pays où il a l’intention de se rendre.  De plus, le passeport atteste de la citoyenneté canadienne du titulaire.

 

B.        Le terrorisme et l’utilisation du passeport

 

[35]           L’affidavit du professeur émérite Martin Rudner expose de façon objective et circonstanciée l’état du terrorisme;  il évoque notamment l’utilisation frauduleuse de passeports à des fins agressives.  Pour y arriver, il explique le contexte géopolitique dans lequel le Canada se trouve.  M. Rudner n’a pas été contre-interrogé.  Le Ministre ne disposait pas de cette expertise lorsqu’il a pris sa décision. Je résume en partie son témoignage dans les paragraphes qui suivent.

 

[36]           La réponse du Canada au terrorisme international se retrouve dans l’énoncé politique du gouvernement d’avril 2004 intitulé: « Protéger une société ouverte: la politique canadienne de sécurité nationale. » (« L’énoncé politique canadien de 2004 »).  Il s’agit d’un cadre stratégique et un plan d’action mettant le gouvernement en mesure de faire face aux menaces présentes et futures.  Elle est axée sur trois intérêts fondamentaux en matière de sécurité:

 

 

1.                  Protéger le Canada et les canadiens dans le pays et à l’étranger;

2.                  S’assurer que le Canada n’est pas une source de menace pour nos alliés; et

3.                  Contribuer à la sécurité internationale.  (Nous verrons plus loin les engagements internationaux pris par le Canada à ce sujet).

 

[37]           Dans le cadre de sa préoccupation pour la sécurité à la frontière, le gouvernement canadien déploie « … la technologie de la biométrie de reconnaissance faciale sur les passeports canadiens, le tout conformément aux normes internationales » (à nouveau, nous verrons que le Canada est signataire d’une entente internationale à ce sujet).  Ayant comme objectif de protéger le Canada et la sécurité des canadiens sur le territoire canadien et à l’étranger, l’énoncé politique précise que « … le gouvernement a par ailleurs l’obligation d’offrir de l’aide aux Canadiens travaillant ou voyageant à l’étranger ».

 

[38]           Pour assurer la sécurité à la frontière, l’énoncé de politique canadien de 2004 exige, pour  les passeports canadiens le recours à la technologie de la biométrie de reconnaissance faciale (photo numérique).  La communauté internationale utilise de plus en plus cette nouvelle technologie pour faciliter la circulation des voyageurs à faible risque et entraver celle des voyageurs à risque élevé.  Suite à une entente des pays participants avec l’OACI, en mai 2003, il fut annoncé que la norme applicable internationale, applicable aux documents de voyage à capacité biométrique serait la reconnaissance faciale.  Depuis 2005, le Canada utilise cette technologie sophistiquée pour les passeports canadiens.

 

[39]           L’énoncé de politique canadien d’avril 2004 explique que le Canada est touché par quatre formes de terrorisme:

-                     l’extrémisme religieux;

-                     les mouvements sécessionnistes violents;

-                     le terrorisme poussé par un état; et

-                     l’extrémisme à l’intérieur du pays.

 

De plus, il constate que le terrorisme est mondial et qu’il rend nécessaire la collaboration internationale pour le contrôler ou le neutraliser.

 

[40]           Les groupes terroristes doivent pouvoir se procurer des passeports pour leurs activités.  Ils consacrent temps et argent pour les obtenir.  Ils le font en volant des passeports authentiques, en les empruntant, louant ou encore en les achetant.  En outre, ils en font des faux.  Ces passeports ont pour eux une importance aussi grande que les armes.  Ils les utilisent pour voyager à l’étranger sous de faux noms ou autrement, afin de ne pas être détecté aux frontières.  La clandestinité est requise pour les membres de ces groupes.  Les passeports leur permettent de circuler sans dévoiler leurs identités réelles dans le but de s’organiser, s’entraîner, planifier ou identifier des objectifs et concrétiser leurs projets.  Selon M. Rudner, la Thaïlande est un pays où le trafic des passeports est intense.

 

 

 

 

[41]           Pour le Canada, il est essentiel que la gestion des passeports canadiens soit faite de façon à ne pas donner à la communauté internationale l’impression que le passeport canadien est facile à obtenir pour quiconque et qu’il n’est pas octroyé à des gens à la réputation douteuse.  Il y va de l’intérêt du Canada.  Sinon, la communauté internationale n’accordera pas la confiance voulue aux passeports canadiens, et les citoyens canadiens en subiront les conséquences lors de voyages à l’étranger.  Ils pourraient s’exposer à l’étranger à des interrogatoires, à la détention préventive et même à l’arrestation jusqu’à ce que les autorités du pays visité reconnaissent l’authenticité du document de voyage.  En matière de passeport, il faut suivre des normes strictes tentant à la perfection, répondant aux exigences internationales, et ainsi susciter la confiance sans réserve de la communauté internationale.

 

[42]           En avril 2005, le Premier Ministre, Paul Martin, signait « un énoncé de politique internationale » (« énoncé de politique internationale d’avril 2005 ») dans lequel on expliquait la vocation internationale du Canada dans le monde et on réitérait l’engagement ferme du gouvernement de combattre le terrorisme, d’assurer la sécurité nationale et internationale.

 

[43]           Le Canada est signataire de conventions des Nations-Unies qui prévoient des moyens de lutte contre le terrorisme et il a pris acte des nombreuses résolutions du Conseil de sécurité à ce sujet.  Certaines de ces résolutions (1624 (2005)) appellent les États à coopérer afin de renforcer les frontières internationales, à lutter contre la falsification des documents de voyage et améliorer la détection des terroristes.  Le Conseil de sécurité (résolution 1617 (2005)) a salué l’OACI dont les efforts ont empêché les terroristes de mettre la main sur des documents de voyage, il a signalé qu’elle a réussi à promouvoir la capacité biométrique à reconnaissance faciale.  Le Canada est aussi signataire de conventions et ententes impliquant les pays formant les Amériques qui ont pour but de renforcer la sécurité aux frontières, améliorer les communications entre les pays.  Bref, les énoncés politiques canadiens de 2004 et 2005 répondent aux engagements pris internationalement et ils reflètent les mesures prises pour les respecter.

 

[44]           Avant de cerner les questions en litige et d’y répondre comme il se doit, force est de constater que la présente affaire soulève un problème important qui met en jeu la prérogative royale de la Gouverneur-générale en Conseil, les engagements internationaux du Canada, les préoccupations associées à la sécurité nationale et internationale, les principes d’équité procédurale, et certains droits garantis par la Charte dont jouissent tous les citoyens canadiens, y compris le demandeur.

 

IV.       Les questions en litige

[45]           En l’espèce, un certain nombre de questions ont été posées à la Cour mais comme nous le verrons, il n’est pas nécessaire de répondre à chacune d’elles pour disposer du litige.

 

 

 

 

[46]           Le demandeur a fait signifier un avis de questions constitutionnelles aux procureurs généraux du Canada et des provinces, conformément à l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7, am. L.C. 2002, c. 8 art. 57 (« Loi sur les Cours fédérales »).  Celles-ci sont aussi incluses ci-après:

1.                  La Cour a-t-elle compétence pour connaître d’un décret pris en vertu de la prérogative royale dans le cadre d’un contrôle judiciaire d’une décision ministérielle?

2.                  Quelle est la norme de contrôle indiquée en ce qui concerne la décision  prise en vertu de l’article 10.1 du Décret?

3.                  Lors de l’enquête administrative du BPC, suite à la demande de passeport de M. Kamel, y a-t-il eu manquement aux principes d’équité procédurale et, dans l’affirmative, tout en tenant compte de la norme de contrôle judiciaire applicable, est-ce que l’intervention de la Cour est justifiée?

4.                  Les articles 4 et 10.1 du Décret portent-ils atteinte aux droits associés à la liberté de circulation garantie par le paragraphe 6(1) de la Charte?

5.                  Cette atteinte au paragraphe 6(1) de la Charte est-elle justifiée aux termes de l’article premier de la Charte?

6.                  Les articles 4 et 10.1 du Décret portent-ils atteinte aux droits énoncés aux articles 7 et 15 de la Charte et si la réponse est affirmative, y-a-t-il justification aux termes de l’article premier?

7.                  Y-a-t-il lieu d’envisager une ordonnance obligeant le Ministre à délivrer un passeport à M. Kamel?

 

1.                  La Cour a-t-elle compétence pour connaître d’un décret pris en vertu de la prérogative royale dans le cadre d’un contrôle judiciaire d’une décision ministérielle?

 

 

[47]           Bien que les parties n’aient pas soulevé ce point dans leurs observations écrites et lors des débats, il m’apparaît prudent de le faire.

 

[48]           La Loi sur les Cour fédérales, à l’article 2, définit l’« office fédéral » ainsi:

 

DÉFINITIONS

Définitions

 2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

« office fédéral » Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d'une prérogative royale, à l'exclusion de [. . .].

INTERPRETATION

Definitions

 2. (1) In this Act,

 “federal board, commission or other tribunal”

« office fédéral »

“federal board, commission or other tribunal” means any body, person or persons having, exercising or purporting to exercise jurisdiction or powers conferred by or under an Act of Parliament or by or under an order made pursuant to a prerogative of the Crown, other than [. . .].   (je souligne)

 

 

 

 

 

 

 

[49]           Est visée par la présente demande de contrôle judicaire la décision du Ministre de ne pas délivrer de passeport à M. Kamel, aux termes de l’article 10.1 du Décret sur les passeports canadiens, ledit décret ayant sa source dans la prérogative royale.  Pour les mêmes raisons que mon collègue le juge Michael Phelan dans l’arrêt Khadr c. Canada (Procureur général), [2006] A.C.F. no. 888 (Khadr), au paragraphe 42, je conclus que la décision ministérielle est une « ordonnance » de refus de passeport.  Elle est définitive et elle n’est pas susceptible d’appel.  Elle s’impose au demandeur de passeport, sous réserve de son recours en contrôle judiciaire.

 

[50]           Pour bien cerner ce qu’est la prérogative royale, je me permets de citer les observations du juge Andrew MacKay (anciennement de notre Cour) dans la décision Vancouver Island Peace Society c. Canada (1e inst.), [1994] 1 C.F. 102, au paragraphe 4, auxquelles je souscris sans réserves:

La prérogative royale comprend l’ensemble des divers pouvoirs, droits, privilèges, immunités et devoirs reconnus dans notre droit comme dévolus à sa Majesté et exercés, en vertu de notre constitution, par le gouverneur en Conseil agissant sur l’avis des Ministres.  Les décisions du gouverneur en Conseil relativement aux questions qui relèvent de son pouvoir discrétionnaire issu de la prérogative peuvent être prises par décret.  Traditionnellement, les tribunaux ont reconnu que dans les limites de ces pouvoirs, le gouverneur en Conseil pouvait agir dans le domaine des affaires internationales, notamment en concluant des traités et en prenant des mesures intéressant la défense et la sécurité nationale.  Bien entendu, la prérogative est assujettie au principe de la souveraineté du parlement et celui-ci peut, par une loi, retenir la prérogative ou en réglementer l’exercice. 

 

 

 

[51]           Comme nous l’avons vu auparavant, la réglementation des passeports a toujours été fixée par le gouverneur en Conseil ou de l’un de ses Ministres et en aucun temps, le législateur n’est intervenu dans ce domaine.  Dans le cadre du présent litige, le demandeur ne remet pas en question cette compétence mais fait plutôt valoir les atteintes à la Charte.  C’est la raison pour laquelle la présente analyse juridique portera sur l’article 10.1 du Décret et non sur l’article 4.

 

[52]           Il fut un temps où la prérogative royale et son exercice n’étaient susceptibles d’aucun recours judiciaire.  Selon la maxime : « The King can do no wrong » (ou en Français "le roi ne peut faire aucun mal"), la validité des actes ou des décisions ayant pour source la prérogative royale ne pouvait être remise en question.  Avec le passage du temps et l’évolution législative, cette prérogative royale et ses décisions peuvent faire l’objet du recours en contrôle judiciaire. 

 

[53]           À titre d’exemple, la division d’appel de la Cour suprême de l’Afrique du Sud dans l’arrêt Sachs c. Donges N.O., 1950 (2) SA 265 (A), sous la plume du juge en Chef pour la majorité, infirma une décision de la division locale du Witwatersrand qui concluait que la révocation d’un passeport était une décision de l’exécutif sur la base de la prérogative royale et qu’en conséquence une Cour de justice ne pouvait pas intervenir.  Dans ses motifs, le juge en Chef ayant fait une revue complète de la situation en Angleterre et en Afrique du Sud, concluait que l’autorité judiciaire pouvait se prononcer sur la légalité des décisions prises dans l’exercice de la prérogative :

 

 

 

 

“The question whether a purported exercise of the King’s prerogative power is lawful or not is always a matter for the Court to decide.  This is trite law …It seems clear, therefore, that there is no substance in the contention that the revocation of a passport is an Act of State which cannot be questioned in a Court of Law. (Voir les pages 285 et 287).”

 

[54]           De plus, dans l’arrêt Laker Airway Limited v. Department of Trade, [1976] EWCA Civ 10, [1977] QB 643 à 705 B-C,  Lord Denning a défini la prérogative royale en ces termes :

 

“The prerogative is a discretionary power exercisable by the executive government for the public good, in certain spheres of governmental activity for which the law has made no provision, such as the war prerogative (of requisitioning property for the defence of the realm), or the treaty prerogative (of making treaties with foreign powers). The law does not interfere with the proper exercise of the discretion by the executive in those situations: but it can set limits by defining the bounds of the activity: and it can intervene if the discretion is exercised improperly or mistakenly. That is a fundamental principle of our constitution.”

 

[55]           Au Canada, tout comme en Angleterre, les interventions de l’autorité judiciaire se sont multipliées; l’application des principes consacrés par la Charte est incontournable. Depuis l’arrêt Operation Dismantle Inc. c. Canada, [1985] 1 R.C.S. 441, nul ne conteste que l’exercice de la prérogative royale est encadré par la Charte et que l’autorité judiciaire est compétente.  À ce sujet, dans cette décision, le juge en Chef Brian Dickson exposait l’état du droit en matière de prérogative royale et de Charte au paragraphe 50:

 

 

 

 

« Les intimés soutiennent qu'en common law le pouvoir de conclure des accords internationaux (comme celui qui a été conclu avec les États-Unis pour autoriser les essais) relève de la prérogative de la Couronne et que tant en common law qu'en vertu de l'art. 15 de la Loi constitutionnelle de 1867, il en est de même des décisions relatives à la défense nationale. Ils font en outre valoir qu'étant donné que l'al. 32(1)a) de la Charte s'applique "au Parlement et au gouvernement du Canada pour tous les domaines relevant du Parlement", l'application de la Charte doit, lorsque le gouvernement est en cause, être restreinte à l'exercice de pouvoirs découlant directement de la loi. Elle ne peut donc s'appliquer à un exercice de la prérogative royale qui est une source de pouvoir existant indépendamment du Parlement; autrement, soutient-on, la réserve "relevant du Parlement" perdrait tout effet. La réponse à cet argument me semble être que cette réserve, comme son pendant "relevant de cette législature" [la législature de chaque province] à l'al. 32(1)b), n'est qu'un renvoi au partage des compétences prévu aux art. 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Ils décrivent les matières à l'égard desquelles le Parlement du Canada peut légiférer ou le gouvernement du Canada peut agir en tant qu'exécutif. Comme le juge Le Dain le note, la prérogative royale est un domaine "relevant du Parlement" en ce sens que le Parlement détient la compétence pour légiférer sur des matières relevant de son domaine. Comme il n'existe aucune raison de principe de distinguer entre les décisions du cabinet prises en vertu de la loi et celles prises dans l'exercice de la prérogative royale, et comme les premières relèvent manifestement de la Charte, je conclus que c'est le cas aussi pour les dernières. » (Je souligne)

 

[56]           Donc, grâce à ces précisions, nul doute que la Cour fédérale a compétence pour se pencher sur la demande de contrôle judiciaire d’une décision prise dans le cadre de l’exercice de la prérogative royale et que celle-ci est encadrée à la Charte J’aborde maintenant les autres questions en litige.

 

 

 

 

 

 

2.                  Quelle est la norme de contrôle indiquée en ce qui concerne la décision prise en vertu de l’article 10.1 du Décret?

 

 

[57]           Je n’ai aucune hésitation à conclure qu’en ce qui concerne la décision ministérielle de refuser le passeport, je dois suivre la norme de la décision manifestement déraisonnable.  Selon les quatre (4) facteurs développés par la jurisprudence relativement à l’analyse pragmatique et fonctionnelle (voir Dr. Q. c. College of Physiciens and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226 et Voice Construction Ltd. c. Construction and General Workers Union, Local 92, [2004] 1 R.C.S. 609).

 

[58]           Toutefois, la norme de la décision manifestement déraisonnable a été récemment abolie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 et a été remplacé par la norme de contrôle de la décision raisonnable. Ayant réexaminé les faits en l’espèce à la lumière de la nouvelle donne, il y a lieu de constater que la norme applicable est celle du déraisonnable.  Ceci ne change pas l’analyse et les conclusions ci-après.

 

[59]           En effet, la spécialisation du décideur en semblable matière, l’objet du Décret et ses préoccupations pour la sécurité nationale et internationale sont des facteurs qui militent nettement en faveur de la reconnaissance d’une large discrétion et déférence au profit du décideur.  En cette matière, l’autorité judiciaire doit avoir une attitude de retenue.  Pour trancher de telles questions, il est nécessaire d’avoir une connaissance spécialisée de la matière, ainsi que des engagements du Canada en semblables circonstances aussi bien sur le plan national qu’international, et de la situation quant à la sécurité nationale. 

 

 

[60]           De plus, à cet égard, je précise que l’exercice de la prérogative royale comporte des éléments discrétionnaires.  Je signale qu’aux États-Unis, les Cours de justice font preuve de déférence envers les décisions de l’exécutif qui concernent les demandes de passeport.  Bien que l’on reconnaisse que le droit de voyager est un attribut de la liberté qui ne peut justement être retiré que par « due process» ou l’application de la loi selon les procédures prévues, ceci ne veut pas dire qu’il ne peut pas y avoir restriction; il suffit que l’exécutif puisse démontrer la justesse à la base de la restriction.

 

« [. . .] the right to travel is a part of the liberty of which a citizen cannot be deprived without due process, but … « a liberty cannot be inhibited without due process of law does not mean it can under no circumstances be inhibited.”

 

“The Court will uphold these restrictions (to passports) whenever the executive department can reasonably argue that the restrictions are related to our foreign policy interest and there is no clear basis for finding that congress has restricted executive authority.”

(Voir John E. Nowak and Ronald D. Rotunda, Constitutional Law, 7e éd., Hornbook Series, St. Paul, MN, Thomson-West, 2004, at Chapter 14:37, “The right to travel abroad,” pages 1058 et 1061.)”

 

[61]           Toutefois, en l’espèce, cette norme de révision s’applique aux faits à l’appui de la décision et des conclusions que l’on retire de ceux-ci.

 

 

 

 

[62]           Ainsi, la simple lecture des questions en litige permet de constater que celles qui se rapportent à la Charte sont des questions sur lesquelles il faut statuer selon la norme de la décision correcte.  Il en ira de même pour la question traitant de l’enquête administrative et des principes de l’équité procédurale (voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux paragraphes 21 à 28 et Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, aux paragraphes 114 à 121).

 

3.                  Lors de l’enquête administrative du BPC, suite à la demande de passeport de M. Kamel, y a-t-il eu manquement aux principes d’équité procédurale et dans l’affirmative, tout en tenant compte de la norme de contrôle judiciaire applicable, est-ce que l’intervention de la Cour est justifiée?

 

[63]           Le demandeur allègue que le processus suivi et la recommandation du BPC révèlent une violation manifeste des principes d’équité procédurale. En outre, la manière de présenter les faits et le droit au Ministre révèle une partialité institutionnelle.  Par contre, le défendeur fait valoir que le degré d’équité procédurale requis est moindre que le degré requis dans le cadre du droit des réfugiées en matière d’immigration et que la procédure suivie par le BPC respecte les garanties procédurales en matière de passeport.

 

[64]           Bien que le refus d’un passeport soit toujours possible, la jurisprudence canadienne nous enseigne que cela ne veut pas dire que le Ministre n’est pas tenu de respecter certaines garanties procédurales rattachées aux principes d’équité procédurale reconnus. Comme l’admet la partie défenderesse, cette obligation demeure, même s’il faut tenir compte des faits sur lesquels repose la demande de passeport.

 

 

 

[65]           En l’espèce, quelles sont donc les garanties procédurales requises?

 

[66]            Pour les cerner, l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3 de la Cour suprême est d’une certaine utilité, plus particulièrement les observations dans le paragraphe 115:

115     L'obligation d'équité -- et par conséquent les principes de justice fondamentale -- exigent en fait que la question soulevée soit tranchée dans le contexte de la loi en cause et des droits touchés : Baker, précité, par. 21; Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, p. 682; Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, le juge Sopinka. Plus précisément, pour décider des garanties procédurales qui doivent être accordées, nous devons tenir compte, entre autres facteurs, (1) de la nature de la décision recherchée et du processus suivi pour y parvenir, savoir "la mesure dans laquelle le processus administratif se rapproche du processus judiciaire", (2) du rôle que joue la décision particulière au sein du régime législatif, (3) de l'importance de la décision pour la personne visée, (4) des attentes légitimes de la personne qui conteste la décision lorsque des engagements ont été pris concernant la procédure à suivre et (5) des choix de procédure que l'organisme fait lui-même : Baker, précité, par. 23-27. Cela ne signifie pas qu'il est exclu que d'autres facteurs et considérations entrent en jeu. Cette liste de facteurs n'est pas exhaustive même pour circonscrire l'obligation d'équité en common law : Baker, précité, par. 28. Elle ne l'est donc forcément pas pour décider de la procédure dictée par les principes de justice fondamentale.

 

 

 

 

 

[67]           Vu les facteurs 1 et 2, la Cour constate d’abord que la décision de refuser ou de révoquer un passeport constitue une décision discrétionnaire.  Toutefois, la nature du processus aboutissant à cette décision relève du domaine d’une procédure d’enquête. En ce qui concerne la présente affaire, le BPC a mené une enquête, a invité M. Kamel à faire des observations et par la suite, a fait une recommandation au Ministre. Puisque les conséquences d’un refus de passeport sont importantes, la Cour conclut que l’évaluation et la pondération de la sécurité nationale au Canada et des autres pays, eu regard des droits et des observations du demandeur milite en faveur de l’application de garanties procédurales particulièrement strictes qui doivent comporter la participation réelle du demandeur au processus d’enquête.     

 

[68]           En l’espèce, le Ministre était appelé à décider s’il devait, ou non, délivrer un passeport à un citoyen canadien et l’on a eu recours à une enquête administrative.  Comme nous le verrons, le refus d’une telle demande empêche le citoyen canadien de voyager à travers le monde.  Donc, cette décision est importante pour la personne qui se voit refuser un passeport.  En conséquence, l’enquête menant à la recommandation à présenter au Ministre doit donc comporter la pleine participation de l’intéressé.  Il s’ensuit que des garanties procédurales s’imposent: le demandeur de passeport doit pouvoir connaître exactement les reproches qu’on lui fait et l’information recueillie au cours de l’enquête et pouvoir y répondre de façon complète, de sorte que le rapport remis au Ministre fasse état de ses observations.

 

 

[69]           Le troisième facteur (3) exige l’appréciation de l'importance du droit visé. Comme nous l'avons indiqué précédemment, l'intérêt qu'a M. Kamel à obtenir son passeport canadien est  important, non seulement parce qu'il en a besoin pour voyager mais aussi parce que le passeport est un titre d’identité qui confère au détenteur la protection du pays visé à la demande du Canada.  La liberté de circuler est facilitée par ce document de voyage.  Comme nous le souligne la Cour suprême dans l’arrêt Suresh, précité, au paragraphe 118: « Plus l'incidence de la décision sur la vie de l'intéressé est grande, plus les garanties procédurales doivent être importantes afin que soient respectées l'obligation d'équité en common law et les exigences de la justice fondamentale consacrées par l'art. 7 de la Charte. » Le refus du passeport canadien a des conséquences importantes sur les plans personnel et financier.  Il n’est pas nécessaire d’élaborer plus amplement à ce sujet.  Par conséquent, ce facteur milite en faveur du respect de garanties procédurales accrues pour l'application de l'article 10.1 du Décret.

 

[70]           Le quatrième facteur (4) consiste à apprécier les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision lorsque des engagements ont été pris concernant la procédure à suivre. Or en l’espèce, il est raisonnable que M. Kamel s’attende à ce que le BPC l’informe de leurs préoccupations et lui donne la réelle possibilité d’y répondre. Étant donnée l’historique des renouvellements des passeports et le fait que le BPC lui avait livré un passeport spécial pour son retour au Canada le 29 janvier 2005 d’une part et son offre de rencontrer les agents du BPC d’autre part, il était raisonnable que le demandeur ait eu certaines attentes légitimes à l’égard du processus d’enquête.

 

[71]           Vu le cinquième facteur (5), la Cour est appelée à scruter les choix de procédure que l'organisme fait. Le Ministre doit décider en fonction des renseignements remis par l’enquêteur. En l’occurrence, ils figuraient entièrement dans le rapport du BPC, qui a l’obligation de garantir que son instruction soit apte à donner au Ministre toute l’information nécessaire pour prendre une décision éclairée.  La procédure suivie n’a pas comporté de participation réelle du demandeur, ce qui a une incidence sur la teneur du rapport.

 

[72]           Au regard des cinq facteurs, la Cour conclut que le BPC avait l’obligation de suivre une procédure conforme aux principes d’équité procédurale à l’égard du demandeur.  Ceci ne veut pas dire que le droit à une audience soit de mise automatiquement dans le cadre de l’enquête (à titre d’exemple, lorsque la crédibilité du demandeur de passeport est en jeu).  Il suffit que l’enquête comporte la communication à l’intéressé des faits qui lui sont reprochés et de l’information colligée dans le cours de l’enquête, lui donne la possibilité d’y répondre pleinement et lui fasse savoir les objectifs visés par l’enquêteur; enfin, il faut que le décideur puisse disposer de tous les éléments pour prendre une décision éclairée.  Le BPC a-t-il respecté ces principes au cours de l’enquête?

 

[73]           M. Kamel fit sa demande de passeport au comptoir du BPC à Montréal le 13 juin 2005.  Étant donné son voyage projeté pour le 25 juin, il fit une demande expéditive de passeport et paya les frais ($97.00) en conséquence.  L’agent du BPC, après vérification des dossiers, l’informa qu’il ne pouvait garantir la délivrance du passeport à brève échéance et qu’il recevrait une communication sous peu quant aux délais à prévoir.  Selon l’agent, cette procédure était suivie à l’occasion.

 

[74]           Suite à la décision ministérielle du 1er décembre 2005 de suivre la recommandation du BPC de ne pas octroyer de passeport à M. Kamel, c’est le 14 décembre 2005 que Mme Thomas informe ce dernier par lettre que la demande de passeport lui est refusée.  Donc, de la présentation de la  demande initiale de passeport à la communication de la décision de ne pas délivrer de passeport, il s’est écoulé six (6) mois.

 

[75]           Pendant cette période, le BPC fit parvenir à M. Kamel trois (3) lettres, y compris celle du 14 décembre 2005, annonçant le refus de la demande de passeport.  Il y eut aussi une conversation téléphonique le 22 juin 2005 entre M. Michel Leduc, directeur général par intérim de la Direction générale de sécurité du BPC (il fut remplacé par Mme Thomas par la suite) et M. Kamel.  À part ces trois (3) lettres, M. Kamel n’a reçu aucun document ou d’autres informations ayant pu résulter de l’enquête administrative en cours.

 

[76]           Pour sa part, M. Kamel fit parvenir deux (2) lettres en réponse à celles du BPC en date du 5 août 2005 (qui faisait suite à la conversation téléphonique du 22 juin) et du 28 octobre 2005.  Dans ces lettres, le BPC l’informe que la demande fait l’objet d’une enquête administrative en raison du jugement français en date du 6 avril 2001 et que les antécédents de M. Kamel en matière de passeport montrent qu’il a fait remplacer son passeport canadien plusieurs fois.  On y explique le Décret et le rôle du BPC en matière de sécurité et l’on mentionne dans la lettre du 28 octobre 2005 qu’il est possible de recommander au Ministre de refuser la demande de passeport.  On invite dans ces deux (2) lettres M. Kamel à communiquer tous les renseignements qu’il juge pertinents.

 

[77]           En réponse, dans ses lettres du 18 août et 9 novembre 2005 (voir les paragraphes 16 et 21 de la présente), M. Kamel offre de se mettre à la disposition des enquêteurs du BPC et de répondre à toutes les questions qui seraient jugées pertinentes.  Il explique son interprétation du jugement français et explique de façon circonstanciée l’historique de ses demandes de passeport canadien.

 

[78]           Dans la missive en date du 14 décembre 2005, annonçant la décision de refus de passeport, Mme Thomas indique que les renseignements qui ont retenu l’attention du Ministre étaient les suivants:

-            le jugement français condamnant M. Kamel pour des infractions reliées au terrorisme et à des fraudes en matière de passeports ayant servi à appuyer des activités terroristes; et

-            les dossiers de passeports antérieurs révélant de nombreux remplacements de passeports valides.

 

Après avoir expliqué les motifs juridiques de la décision, Mme Thomas explique que cette dernière est définitive, sous réserve du recours au contrôle judiciaire.  En dernier lieu, on invite M. Kamel à produire des renseignements supplémentaires « manquants » pouvant justifier la recommandation favorable du Ministre.

 

 

[79]           Le dossier d’enquête du BPC contient un rapport du SCRS en date du 15 août 2005 (suite à la demande du BPC en date du 27 juin 2005) intitulé : « sommaire se rapportant à Fatah (Fateh) Kamel pour l’usage du bureau des passeports, à jour au 28 juillet 2005 » document « protégé » (voir pour son contenu, les paragraphes 17,18 et 19 de la présente).  Je le rappelle, ce document ne fut pas communiqué à M. Kamel pour obtenir ses observations.  Aucun raison de sécurité ne justifiait la non remise de ce document.

 

[80]           Ce document a eu une influence certaine sur le contenu du rapport du BPC au Ministre en date du 22 novembre 2005 (pour ce qui est du contenu de ce rapport, voir l’annexe «1 » de la présente).  Les lettres de M. Kamel sont annexées au rapport du BPC.

 

[81]           Ce rapport semble insinuer que M. Kamel a commis des actes répréhensibles vu l’historique de ses demandes de passeport:

“25. Kamel’s passport history shows that, prior to his arraignment and conviction, he has repeatedly applied for and has been issued replacement passports.  He was convicted in France of a terrorist offence and passport fraud in support of terrorist activity.  The policy and international obligations of the Government of Canada demand that Canada does it utmost to prevent threats to international security.”

 

On se rappellera que la lettre de Mme Thomas en date du 14 décembre 2005, mentionnait que les antécédents de M. Kamel en matière de demandes de passeports constituaient un fondement de la recommandation au Ministre.  La lettre de réponse de M. Kamel en date du 9 novembre 2005 contenait des explications à ce sujet.  Cela n’est pas reflété dans le texte du rapport.

 

 

[82]           Mais il y a plus.  Mme Thomas, lors de son contre-interrogatoire, a déclaré que le BPC n’avait pas relevé d’irrégularités dans les demandes de passeport de M. Kamel et que le bureau n’avait pas cru bon de le préciser dans le rapport destiné au Ministre.

 

[83]           Sur le plan d’équité procédurale, le dossier d’enquête ne démontre pas que le point de vue de M. Kamel est objectivement reflété dans le rapport remis au Ministre.  Au contraire, celui-ci expose simplement, de façon quasi unilatérale, le point de vue du BPC.  Ce rapport n’exposait pas au décideur les positions respectives des parties mais plutôt celle du BPC.  Un rapport de ce genre se doit de présenter de manière factuelle et équilibrée les prises de position des parties.  Le rapport ne le fait pas.

 

[84]           Un seul exemple: les antécédents de M. Kamel en matière de demandes de passeport sont relatés de façon négative dans le rapport et contrairement à la réalité, bien qu’il n’y a pas eu d’irrégularité selon le témoignage de Mme Thomas.  De plus, la lettre du 14 décembre 2005, mentionnant que l’historique des demandes de passeports révélait de nombreux remplacements de passeports valides sans plus, reflète à nouveau cette perception défavorable.

 

[85]            J’ajoute que la non communication du rapport du SCRS en date du 15 août 2005 et la non- présentation d’un aperçu significatif du rapport du BPC au Ministre, ainsi que de la recommandation faite, ne répondent pas aux exigences de l’équité procédurale en semblable matière.  La communication de cette information aurait permis à M. Kamel de connaître réellement  le problème auquel il faisait face et de riposter en conséquence s’il le voulait bien.  En conséquence, ceci aurait permis au Ministre d’avoir un portrait objectif de la situation avant sa prise de décision.

 

[86]           Dans ses deux lettres de réponse, M. Kamel n’a pu faire pleinement valoir son point de vue étant donné qu’il n’était pas au courant de tous les faits pertinents à l’enquête et qui lui étaient reprochés.  Son explication quant à ses antécédents concernant ses demandes de passeport n’ont pas amené le BPC à inclure son point de vue dans le rapport au Ministre, alors qu’il s’agissait de renseignements qui lui étaient favorables.

 

[87]           Sommairement, je conclus que les principes d’équité procédurale n’ont pas été respectés.  M. Kamel n’a pas adéquatement été informé des allégations le visant et en conséquence, il n’a pas été en position de faire valoir son point de vue, le Ministre ne disposait donc des résultats de l’enquête reflétant que l’opinion de la BPC.  Dans les circonstances, le Ministre n’avait pas tous les renseignements le mettant en mesure de prendre une décision éclairée.

 

[88]           À titre de rappel, M. Kamel avait le droit de connaître les allégations le visant, d’être au courant du déroulement de l’enquête et de connaître toute l’information colligée au cours de celle-ci.  Sur réception de l’information, il avait le droit de répondre et sa position devait être reflétée au cours de l’enquête ainsi que dans le rapport au Ministre de façon objective.  Je note que M. Kamel avait proposé au BPC une rencontre.  Cette offre ne fut pas suivie et aucune raison ne fut donnée.

 

[89]           Vu la norme de révision applicable lors de l’analyse du principe d’équité procédurale dans le cadre du présent contrôle judiciaire, soit la norme correcte, la décision du Ministre doit être annulée au regard des manquements relevés ci-dessus.

 

4.         Les articles 4 et 10.1 du Décret portent-ils atteinte aux droits associés à la liberté de circulation garantie par le paragraphe 6(1) de la Charte?

 

[90]           Le paragraphe 6(1) de la Charte reconnaît au citoyen canadien, les droits d’entrer et de sortir du pays mais aussi d’y demeurer:

6(1)

Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir.

[. . .]

6(1)

Every citizen of Canada has the right to enter, remain in and leave Canada.

[. . .]

 

Comme nous le verrons, le passeport a toute sa pertinence lors de déplacements à l’extérieur du Canada.

 

[91]           Le défendeur soutient que le paragraphe 6(1) se borne à reconnaître aux citoyens les droits d’entrer et de sortir et qu’il vise,  par exemple à interdire les mesures de bannissement ou d’exil ou encore, les mesures visant à empêcher le citoyen à sortir du Canada.  Pour le procureur général, ce texte n’impose pas à l’État canadien l’obligation de faciliter les déplacements vers l’étranger des Canadiens.  Cela donnerait une portée trop large au paragraphe 6(1) de la Charte.  Il précise que lors de la sortie ou l’entrée au pays, il n’est pas obligatoire de présenter un passeport car la simple présentation d’une preuve de citoyenneté suffirait.

 

[92]           Le procureur général ajoute que la Charte n’a pas d’application extraterritoriale et qu’elle ne s’applique pas aux juridictions étrangères qui choisissent d’exiger un passeport ou encore d’autres documents de voyages.  Il résume en disant que le droit d’entrée et de séjour sont des attributs de la citoyenneté et ne sont pas tributaires du fait de détenir un passeport.

 

[93]           On ajoute que M. Kamel, après avoir vu son passeport algérien et sa carte d’identité nationale confisqués, n’a pas demandé un passeport de ce pays depuis et que même s’il avait un passeport valide, étant donné son dossier judiciaire français, il se verrait probablement refuser l’entrée dans plusieurs pays.

 

[94]           Subsidiairement, le procureur général soutient que si le tribunal concluait que l’article 10.1 du Décret porte atteinte au droit de circulation, cette atteinte est justifiée aux termes de l’article premier de la Charte.

 

[95]           Selon M. Kamel, le paragraphe 6(1) de la Charte reconnaît au citoyen canadien le droit de voyager à l’extérieur du Canada et celui de se faire délivrer un passeport.  En cas de refus, on l’empêche de voyager étant donné que la majorité des pays requiert la présentation d’un passeport à la frontière.

 

 

 

 

 

[96]           Quant à la thèse selon laquelle l’article premier de la Charte justifie l’atteinte aux droits protégés par le paragraphe 6(1), on fait valoir que le Décret ne prévoit aucune restriction et l’intéressé n’a pas la possibilité d’être entendu.  On note que le Décret ne contient pas de définition de la sécurité nationale.

 

[97]            Avant de donner un sens aux droits protégés par le paragraphe 6(1), il est important de se rappeler certains principes mis de l’avant par la Cour suprême lorsque l’autorité judiciaire est appelée à interpréter la Charte:

- on doit avoir à l’esprit une perspective d’ensemble de la Charte; et

- on doit lui donner une interprétation libérale de façon à réaliser l’objectif du droit en Cour:

Dans l’arrêt Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, la Cour a exprimé l’avis que la façon d’aborder la définition des droits et des libertés garantis par la Charte consiste à examiner l’objet visé.  Le sens d’un droit ou d’une liberté garantis par la Charte doit être vérifié au moyen d’une analyse de l’objet d’une telle garantie;  en d’autres termes, ils doivent s’interpréter en fonction des intérêts qu’ils visent à protéger.

 

À mon avis, il faut faire cette analyse et l’objet du droit ou de la liberté en question doit être déterminé en fonction de la nature et des objectifs plus larges de la Charte elle-même, des termes choisis pour énoncer ce droit ou cette liberté, des origines historiques des concepts enchâssés et, s’il y a lieu, en fonction du sens et de l’objet des autres libertés et droits particuliers qui s’y rattachent selon le texte de la Charte.  Comme on le souligne dans l’arrêt Southam,

l’interprétation doit être libérale plutôt que formaliste et viser à réaliser l’objet de la garantie et à assurer que les citoyens bénéficient pleinement de la protection accordée par la Charte.  En même temps, il importe de ne pas aller au-delà de l’objet véritable du droit ou de la liberté en question et de se rappeler que la Charte n’a pas été adoptée en l’absence de tout contexte et que, par conséquent, comme l’illustre l’arrêt de [cette] Cour Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357, elle doit être située dans ses contextes linguistique, philosophique et historique appropriés. 

R .c. Big M. Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295.

À la lumière de ces principes d’interprétation, voyons ce que le paragraphe 6(1) veut bien dire.

 

[98]           Le paragraphe 6(1) de la Charte dans son ensemble vise, pour le citoyen canadien, la liberté de circulation au pays en y demeurant et de sortir et d’y entrer pour aller à l’extérieur du pays ou pour y retourner.  Il est formulé de façon générale.  Il consacre le droit de circuler à l’intérieur du pays ainsi qu’à l’extérieur avec le droit d’entrée et de sortie.  Il dit clairement que le citoyen a le droit de circuler au pays mais aussi qu’il peut se rendre à l’étranger et que son droit de retour est garanti.  L’objet visé est d’assurer et garantir pour chaque citoyen canadien la libre circulation à l’intérieur du pays et pour y entrer et sortir, s’il y a lieu.

 

[99]           Dans l’arrêt États-Unis d’Amérique c. Cotroni;  États-Unis d’Amérique c. El Zein, [1989] 1 R.C.S. 1469 (« Cotroni »), où la majorité décida que l’extradition d’un citoyen canadien vers un état étranger constituait une violation du paragraphe 6(1) (le droit de demeurer au Canada) de la Charte mais qu’elle constituait une limite raisonnable imposée à ce droit, au sens de l’article premier, la juge Wilson bien que dissidente sur un élément distinct de ce texte, s’exprimait quant au vocable dudit paragraphe en y reconnaissant des termes clairs et nets.  Au regard des principes mis de l’avant par la Cour suprême lorsque l’autorité judiciaire est appelée à interpréter la Charte, elle a fait les observations suivantes aux pages 1504-05 au sujet du paragraphe 6(1) de la Charte:

 

« Appliquant ces lignes directrices, je suis d’avis que le par. 6(1) de la Charte a été conçu pour protéger la liberté d’un citoyen canadien d’entrer au pays et d’en sortir à son gré.  Il peut aller et venir comme bon lui semble.  Il peut choisir de demeurer au pays.  Bien que seuls les citoyens canadiens puissent profiter du par. 6(1), le droit protéger est plutôt axé sur la liberté d’un citoyen canadien de choisir de son propre gré s’il veut entrer ou demeurer au Canada ou encore le quitter.  Cette interprétation s’appuie sur le texte des autres paragraphes de l’art. 6 et sur la rubrique du même article, « Liberté de circulation et d’établissement. » 

 

[100]       L’exercice de cette liberté d’aller et venir au pays et à l’extérieur, a-t-il pour corollaire le droit au passeport?  On se rappellera que le procureur général le nie: il ne dépend pas de la présentation d’un passeport.

 

[101]       Bien que ce raisonnement semble se tenir en théorie, la réalité veut que le passeport soit nécessaire pour sortir du pays et entrer dans la plupart des pays. Il est vrai qu’à l’entrée du Canada et qu’à la sortie pour le citoyen canadien, la présentation du passeport n’est pas légalement obligatoire.  Une autre pièce d’identité est suffisante.  Toutefois, concrètement, on exige que le passeport canadien soit présenté à la sortie aux compagnies aériennes en destination d’un vol pour l’étranger.  Cette exigence est de notoriété publique mais elle reflète aussi les directives de l’OACI, organisme qui gère les vols internationaux. En effet, l’article 13 de la Convention relative à l’aviation civile internationale, 9e éd, (intitulé « Règlements d’entrée et de congé) dispose:

 

 

 

 

Article 13

Règlements d'entrée et de congé

Les lois et règlements d'un État contractant concernant

l'entrée ou la sortie de son territoire des passagers, équipages ou marchandises des aéronefs, tels que les règlements relatifs à l’entrée, au congé, à l'immigration, aux passeports, à la douane et à la santé, doivent être observés à l’entrée, à la sortie ou à

l’intérieur du territoire de cet État, par lesdits passagers ou

équipages, ou en leur nom, et pour les marchandises.

Article 13

Entry and clearance regulations

The laws and regulations of a contracting State as to the

admission to or departure from its territory of passengers, crew

or cargo of aircraft, such as regulations relating to entry,

clearance, immigration, passports, customs, and quarantine shall be complied with by or on behalf of such passengers, crew or cargo upon entrance into or departure from, or while within the territory of that State.

 

[102]       En ce qui concerne le retour, le passeport est requis lors de l’envolée internationale ayant comme destination finale le Canada par les compagnies aériennes.  Cet aspect du voyage est incontournable.  Le citoyen canadien doit présenter son passeport.  D’ailleurs, la présente affaire l’illustre on ne peut mieux.  En effet, M. Kamel, lors de son retour au Canada le 29 janvier 2005, se vit octroyer un passeport spécial valide pour un seul voyage, soit pour le vol 344 d’Air France, Paris-Montréal, sinon son retour était illusoire.

 

[103]       Pour donner pleine valeur à cette liberté de circulation à l’extérieur du Canada, il me semble qu’il faut plus qu’entrer ou sortir car pour entrer, ceci veut dire que l’on revient de quelque part et que pour sortir, on sort pour se rendre vers une destination étrangère.  Dans les deux cas, le retour et la sortie impliquent une destination étrangère où le passeport est requis.  On ne peut pas exercer cette liberté de circulation sans passeport.

 

[104]       Mais il y a plus.  En effet, le gouvernement canadien, par ses propres agissements, reconnaît et encourage l’utilisation du passeport pour les voyages à l’étranger.

 

[105]       À titre d’exemple, le Décret lui-même démontre cette reconnaissance.  Le terme passeport est décrit comme étant «  … un document officiel canadien qui établit l’identité et la nationalité d’une personne afin de faciliter les déplacements de cette personne hors du Canada ». L’objectif du passeport est de permettre l’identification et la nationalité dans le but de « faciliter » les voyages du citoyen canadien à l’étranger.  Le droit d’entrée et de sortie garanti par le paragraphe 6(1) de la Charte, c’est le droit du citoyen canadien de voyager vers l’étranger.  Le Décret reconnaît expressément que l’un des objectifs du passeport est de « faciliter » ces voyages.  Ceci m’apparaît comme étant une démonstration pratique de la reconnaissance du passeport pour « faciliter » les voyages par la Gouverneure générale en conseil lors de la conception et la rédaction du Décret.

 

[106]       De plus, le passeport contient des mentions sans ambiguïté.  On demande au pays d’arrivée d’accorder le libre passage au titulaire du passeport de même que l’aide et la protection dont il aurait besoin.  On indique que le passeport est valable pour tous les pays, sauf indication contraire, mais on y ajoute que le titulaire doit se conformer aux formalités d’entrée des pays où il se rend.  Pour le titulaire du passeport, on l’informe des services canadiens et que s’il y en a pas, qu’il pourrait s’adresser au Consulat britannique.  On fait une mise en garde au titulaire, détenteur d’une double nationalité, en l’informant qu’il peut être assujetti aux lois et obligations du pays y incluant le service militaire.

 

[107]       Lors du contre-interrogatoire de Madame Thomas, Directrice de la sécurité de Passeport Canada, elle a reconnu que la plupart des pays exigeait la présentation du passeport au point d’entrée et de sortie.  Dans le jugement Khadr, précité, au paragraphe 63, le juge Phelan nous informe que plus de 201 pays exigeaient le passeport à l’arrivée.  Il souligne ceci :

« 63     Le droit de sortir du Canada est sans signification s'il ne peut valablement être exercé en raison d'actions du gouvernement canadien qui visent un individu ou un groupe d'individus. Au moment de l'audience, 201 pays exigeraient des Canadiens qu'ils aient avec eux leur passeport pour pouvoir traverser leurs frontières. On compte parmi ces pays certains de ceux avec lesquels les Canadiens ont les relations d'affaires et personnelles les plus étroites, comme la France, l'Angleterre, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. »

 

Madame Thomas a reconnu aussi que Passeport Canada recommandait au citoyen canadien de voyager à l’étranger avec un passeport canadien.

 

[108]       J’ajoute que l’énoncé Politique Canadien de 2004, l’énoncé Politique Internationale d’avril 2005, les Conventions des Nations-Unis, et les Conventions de l’OACI (dans les deux cas, le Canada est signataire), prévoient l’amélioration du système de passeport sur le plan international (la capacité biométrique à reconnaissance faciale) invitant les États à s’en servir.  Le Canada veut que la gestion des passeports reflète des normes exemplaires, tendant à la perfection, répondant ainsi aux exigences internationales.  Dans son énoncé politique 2004, le gouvernement canadien reconnaît avoir l’obligation d’offrir son aide aux Canadiens travaillant ou voyageant à l’étranger.  Ceci traduit l’importance qu’accorde le gouvernement canadien au passeport, il reconnaît qu’il est incontournable lors de voyages internationaux.  Les engagements du gouvernement sur les plans  national et international vont dans le même sens.

 

[109]       En notre ère de globalisation, les citoyens canadiens voyagent de plus en plus, tant pour raisons personnelles que pour affaires et le passeport est un document de voyage essentiel, voire nécessaire.  Il s’agit d’un fait incontournable.  Sans ce document, le voyageur canadien est privé d’accès à au moins deux cents (200) pays dans le monde.

 

[110]       La jurisprudence canadienne reconnait le rôle indispensable que joue le passeport dans un monde moderne. Dans l’arrêt Black c. Canada (Premier Ministre), [2001] O.J. No. 1853, où était en jeu l’octroi de distinctions par la couronne, la Cour d’appel de l’Ontario, en obiter, sous la plume du juge John Laskin, au paragraphe 54, fit les observations suivantes sur la raison d’être du passeport:

« De nos jours, la délivrance d’un passeport n’est pas une faveur faite par l’État à un citoyen.  Il ne s’agit pas d’un privilège ou d’un luxe, mais plutôt d’une nécessité.  Posséder un passeport rend un citoyen libre de voyager et de pouvoir gagner sa vie au sein d’une économie planétaire.  Au Canada, le refus de délivrance fait entrer en jeu des éléments de la Charte, soit plus particulièrement la liberté de circulation garantie par l’article 6 et, peut-être, le droit à la liberté prévu à l’article 7.  Selon moi, le refus irrégulier de délivrer un passeport devrait être, comme l’ont statué les tribunaux anglais, susceptible de contrôle judiciaire.  (Tel que traduit au paragraphe 34 de l’arrêt Khadr, précité). »

 

[111]       Le juge Phelan dans l’arrêt Khadr, précité, (bien qu’il n’avait pas à se prononcer sur le paragraphe 6(1) de la Charte), a également abondé dans le même sens et approuvé ces observations en indiquant au paragraphe 62, que la Cour d’appel de l’Ontario avait bien compris « la façon moderne de concevoir les passeports ».

 

 

 

[112]       Je suis du même avis.  Je constate que le passeport est nécessaire pour assurer la libre circulation des canadiens dès le début du voyage, pendant le voyage à l’étranger et lors du dernier voyage de retour en territoire Canadien.  Il est donc un outil essentiel que le citoyen canadien doit avoir à sa disposition pour exercer la liberté de circulation à l’extérieur du pays garantie par la Charte. 

 

[113]       Le refus de délivrer un passeport à un citoyen canadien, comme M. Kamel, entrave donc l’exercice du droit à la libre circulation qui est garanti par le paragraphe 6(1) de la Charte.  En conséquence, je réponds à la quatrième question en litige par l’affirmative: l’article 10.1 du Décret porte atteinte au paragraphe 6(1) de la Charte.  Certes, il peut théoriquement sortir du Canada et entrer au Canada, mais non pas en pratique.  Sans ce document contrôlé par la Gouverneure générale en conseil, le droit de se rendre à l’étranger reste lettre morte.  Ma conclusion est fidèle à  l’enseignement de la Cour suprême en matière d’interprétation des droits protégés par la Charte.

 

[114]       Ayant conclu à une atteinte aux droits associés à la liberté de circulation protégés par la Charte au paragraphe 6(1), s’agit-il d’une limite raisonnable imposée à ce droit, au sens de l’article premier?

 

 

 

 

5.         Cette atteinte au paragraphe 6(1) de la Charte est-elle justifiée aux termes de l’article premier de la Charte?

 

[115]       Je réponds par la négative.  Voici mes raisons.

 

[116]       Succinctement, le Décret, à l’article 10.1 vise un objet étatique valable; cependant, il n’est pas assez explicite quant à la nécessité de refuser la délivrance ou de révoquer un passeport pour assurer la sécurité nationale du Canada ou d’un autre pays et il n’offre pas au citoyen canadien, demandant un passeport, la possibilité concrète de comprendre ce qui est voulu et d’y répondre en pleine connaissance de cause, s’il y a lieu.  Le Décret est aussi muet quant aux alternatives qui pourraient s’offrir en de telles circonstances. 

 

[117]       Dans son ouvrage  National Security Law Canadian Practice in International Perspective Essential of Canadian Law, 2008, aux pages 517 et 518 (« National Security Law »), le professeur Forcese cernait le problème.  Il constatait qu’il y avait fort probablement une atteinte aux droits protégés par l’article 6 et que la seule façon de la justifier était l’article premier en autant que le gouvernement puisse démontrer que le refus de délivrer un passeport est suffisamment fondé sur une préoccupation valable rattachée à la sécurité nationale.  Quant à la jurisprudence Khadr, précitée, l’auteur a fait les observations suivantes à la page 518 :

 

 

 

 

 

 

 

“In light of this holding, the court did not reach the issue of whether the government had a constitutional obligation to issue a passport. It did observe, however, that the mobility rights found in section 6 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms would be hollow if a citizen’s international mobility could be de facto restricted by a refusal to issue a passport. This reasoning suggests strongly that passport denials and revocations may be sustained only on section 1 grounds. As this book has noted in several places, a significant enough national security concern seems a likely candidate for a section 1 justification, although the government would obviously need to show that rejection of a passport application is sufficiently connected to this preoccupation.”

 

[118]       Le Décret ne le fait pas.

 

[119]       Aux fins de la présente partie, je cite l’article premier de la Charte:

 

Droits et libertés au Canada 

 

1.  La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

Rights and freedoms in Canada

1.    The Canadian Charter of Rights and Freedoms guarantees the rights and freedoms set out in it subject only to such reasonable limits prescribed by law as can be demonstrably justified in a free and democratic society.

 

 

 

 

 

 

Et je répète à nouveau, pour en faciliter la consultation, l’article 10.1 du Décret :

Décret sur les passeports canadiens

REFUS DE DÉLIVRANCE ET RÉVOCATION

10.1 Sans que soit limitée la généralité des paragraphes 4(3) et (4), il est entendu que le ministre peut refuser de délivrer un passeport ou en révoquer un s'il est d'avis que cela est nécessaire pour la sécurité nationale du Canada ou d'un autre pays.

Canadian Passport Order

 

REFUSAL OF PASSPORTS AND REVOCATION

10.1 Without limiting the generality of subsections 4(3) and (4) and for greater certainty, the Minister may refuse or revoke a passport if the Minister is of the opinion that such action is necessary for the national security of Canada or another country.

 

 

[120]       Le demandeur prétend que le Décret ne constitue pas une règle de droit.  J’abonde dans son sens.  Il a pour source la prérogative royale, il est public, mais sa teneur est  imprécise et il a éventuellement une portée excessive.

 

[121]       La véritable règle de droit, au sens de l’article premier de la Charte, doit répondre à certains critères.  Ceux-ci sont bien explicités par Peter Hogg dans Constitutional Law of Canada, loose-leaf éd. Toronto, Carswell, 2005), aux paragraphes 35.11 à 35.15:

“The words « prescribed  by law make clear that an act that is not legally authorized can never be justified under s.1, no matter how reasonable or demonstrably justified it may appear to be.

 

[…]

Both these values are satisfied by a law that fulfils two requirements:  (1) the law must be adequately accessible to the public, and (2) the law must be formulated with sufficient precision to enable people to regulate their conduct by it, and to provide guidance to those who apply the law.

 

 

 

[…]

As to precision, the Supreme Court of Canada has held that a limit on a right need not be express, but can result “by necessity from the terms of a statute or regulation or from its operating requirements.  For example, a statutory requirement that a roadside breath test be administered “forthwith”, which in practice precluded contact by the suspected motorist with counsel, although the statute was silent on the right to counsel.”

 

[122]       Quand on parle de la règle de droit, il faut qu’elle soit connue, donc accessible au grand public.  Le Décret est un texte à vocation réglementaire qui est soumis à un examen et il est publié dans la partie II de la Gazette du Canada, conformément à la Loi sur les textes réglementaires, L.R.C. 1985, c. S-22 aux articles 2(1) (« Texte Réglementaire ») ii), 3 et 6. 

 

[123]       Le Décret, dont la source est la prérogative royale, qui permet à l’exécutif de gérer les affaires du pays (dans notre cas, les affaires étrangères), répond donc au critère d’accessibilité: il a été publié et il est facilement accessible au grand public.

 

[124]       De plus, la règle doit être suffisamment précise pour être comprise tant par l’intéressé que le décideur, et il ne faut pas qu’elle ait une portée excessive.  Dans un arrêt unanime de la Cour suprême du Canada, R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, le juge Gonthier, en se référant à une décision de la Cour d’appel de l’Ontario, faisait les observations suivantes sur l’imprécision et la portée excessive au paragraphe 36:

 

 

 

« 36 Le rapport entre l’imprécision et la « portée excessive » a été bien exposée » par la Cour d’appel de l’Ontario dans ce passage souvent repris de l’arrêt R. c. Zundel (1987), 58 O.R. (2nd) 129, aux pp. 157 et 158 :

 

[TRADUCTION] L’imprécision et la portée excessive d’une loi sont deux notions.  Elles peuvent être appliquées séparément ou elles peuvent être intimement liées.  L’effet recherché d’une loi peut être parfaitement clair et donc ne pas être vague, et pourtant son application peut être trop large.  Par ailleurs, pour illustrer le fait que les deux notions peuvent être intimement liées, le libellé d’une loi peut être tellement imprécis qu’on juge son effet trop large.

 

Je suis d’accord.  Une loi imprécise peut aussi constituer une atteinte excessive à des droits garantis par la Charte selon le critère énoncé dans l’arrêt Oakes.  Notre Cour l’a reconnu quand elle a mentionné les deux aspects de l’imprécision au regard de l’article premier de la Charte dans les arrêts Osborne et Butler. » 

 

[125]       Le Décret en cause est imprécis à plusieurs égards.  Il est général dans ses termes et il fait appel à un critère de « nécessité » qui n’est ni défini, ni explicité de quelque manière que ce soit.

 

[126]       Bien que les termes « sécurité nationale du Canada et sécurité d’un autre pays » n’aient pas nécessairement à être définis expressément, ils doivent tout de même être placés dans un certain contexte de façon à permettre la compréhension de ce que l’on envisage.  Le professeur Forcese dans sa plus récente publication, National Security Law, précitée, tout en constatant la multitude de situations faisant appel à ce concept et les définitions que l’on applique à la sécurité nationale, proposait, aux fins de son ouvrage, de circonscrire ce concept en ayant recours à l’approche suivi par la Cour suprême dans Suresh, précité, et à l’énoncé politique du Canada de 2004 (voir les pages 4, 5 et 6 à ce sujet). 

 

[127]       À ce stade, la généralité de la formulation de l’article 10.1 du Décret donne à penser que le vocabulaire utilisé peut vouloir dire bien des choses à bien des gens.  Pourtant, la connaissance découlant du présent dossier démontre un lien entre le passeport et le terrorisme (voir l’énoncé politique de 2004, l’énoncé de politique internationale d’avril 2005 ainsi que l’affidavit du Professeur Rudner à ce sujet).  Cette constatation n’est pas reflétée dans le Décret.

 

[128]       Chose révélatrice, le rapport du BPC remis au Ministre pour fin de décision invite d’ailleurs le Ministre à définir lui-même ce que la sécurité nationale veut bien dire:

 

“13. « Passport » is defined under Section 2 of the CPO … but National Security as it relates to Canada or another Country is not defined.  You must, therefore, in exercising your authority to refuse a passport under Section 10.1 CPO decide “what” National Security means.” (Je souligne)

 

Ceci est inacceptable.  Comment peut-on connaître les règles du jeu lorsque le concept de base sur lequel repose la décision n’existe que dans l’esprit du décideur.  Il me semble que l’on est dans l’arbitraire.  Il faudrait au moins que la sécurité nationale soit située dans un contexte, ce qui permettrait une compréhension du problème visé et du remède recherché lorsqu’on rattache la délivrance et la révocation du passeport au terrorisme, à la sécurité du Canada et à celle de d’autres pays.

 

 

 

 

 

[129]       Aussi, l’article 10.1 n’explique pas le contexte dans lequel la sécurité d’un autre pays peut être invoquée pour refuser ou révoquer le passeport.  Pourtant, les énoncés politiques du Canada et les Conventions internationales contiennent des principes de science politique qui pourraient inspirer le Décret portant sur la délivrance ou le refus de délivrance du passeport canadien.  Une définition précise de « la sécurité d’un autre pays » n’est pas nécessaire.  Toutefois, il doit y avoir un certain encadrement de façon à ce que l’intéressé puisse comprendre l’élément de restriction en cause.

 

[130]       Il y a aussi la référence au critère de « nécessité » dans l’article 10.1 du Décret.  Le Ministre doit être d’avis que le refus ou la révocation du passeport « … est nécessaire pour la sécurité nationale du Canada ou d’un autre pays. »  Le critère de nécessité est vague, voire nébuleux et le Décret ne donne aucun point de repère de nature à faciliter la compréhension du lecteur.  En fait, le concept de nécessité pour la sécurité nationale du Canada ou d’un autre pays dans son ensemble, mérite une sérieuse réflexion si l’on veut que la formulation du texte soit applicable.  L’affidavit du professeur Rudner pourrait être d’une utilité à ce sujet.  Vu l’ensemble de ces imprécisions, le Décret a une portée excessive.  Le décideur peut avoir le champ totalement libre en de telles circonstances.

 

 

 

[131]       Dans un autre ordre d’idée, le Décret a aussi pour lacune de ne pas prévoir de procédure d’instruction du dossier; il est notamment muet quant à la participation du demandeur du passeport tant au niveau de sa connaissance des allégations le visant que des documents utilisés pour justifier la recommandation (en autant qu’il n’y a pas d’informations à protéger); et rien ne lui permet concrètement de donner une réponse et de communiquer ses observations au Ministre avant que la décision soit prise.  On a vu plus haut que la procédure d’instruction suivie n’a comporté qu’une participation non significative de M. Kamel, de sorte que le Ministre n’a disposé que des renseignements émanent du BPC (sauf pour les deux lettres de M. Kamel annexées au rapport).

 

[132]       À la lumière de toutes ces constatations, il est difficile pour moi de voir dans le Décret, une règle de droit sur le fondement de laquelle on pourrait éventuellement conclure que l’atteinte aux droits associés à la liberté de circulation protégés par la Charte au paragraphe 6(1) est justifiée aux termes de l’article premier de la Charte.  Il ne sera donc pas nécessaire d’appliquer les critères d’analyse de l’article premier de la Charte, élaborés par la Cour suprême, surtout dans l’arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103.  Il n’y a tout simplement pas de règle de droit auquel nous pourrions nous référer pour faire jouer l’article premier.  Dans de telles circonstances, l’article premier n’est d’aucune utilité.  Il y a atteinte à la liberté de circulation protégée par le paragraphe 6(1) de la Charte et l’article premier ne peut pas être utilisé pour la justifier.  L’article 10.1 du Décret est donc déclaré invalide et la décision du Ministre annulée en conséquence.

 

 

6.         Les articles 4 et 10.1 du Décret portent-ils atteinte aux droits énoncés aux articles 7 et 15 de la Charte et si la réponse est affirmative, y a-t-il justification aux termes de l’article premier?

 

[133]       Vu mes conclusions, il n’y a pas lieu de statuer sur les questions concernant les articles 7 et 15 de la Charte.  À titre de simple observation, la Cour remarque que pour constater une atteinte aux droits protégés par la Charte aux articles 7 et 15, il aurait fallu que la preuve démontre de façon précise en quoi ceux-ci ont été touchés.  Lors de l’audition, j’ai indiqué aux avocats des parties que certains éléments de preuve relativement à de telles atteintes semblaient imprécis.

 

[134]       Il se peut qu’une loi, par sa seule formulation, soulève suffisamment de faits législatifs permettant ainsi de traiter de questions impliquant la Charte.  Toutefois, dans notre cas, il faut invoquer des faits précis si l’on veut faire valoir une atteinte à certains droits protégés par la Charte.  Autrement dit, il faut évoquer une situation concrète; on ne peut contester un texte légal dans l’abstrait.  Il me semble que le présent dossier a été préparé ayant clairement à l’esprit les droits protégés au paragraphe 6 de la Charte.   La Cour suprême, à plusieurs reprises, a indiqué qu’il faut faire états de fait précis pour inviter l’autorité judiciaire à se pencher sur des questions mettant en jeu la Charte:

« 38     Notre Cour a souvent souligné l’importance de l’existence d’un fondement factuel dans les affaires relatives à la Charte.  Voir, par exemple, MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, à la p. 361; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, aux pp. 762, 767 et 768, le juge en chef Disckson;  Rio Hotel Ltd. c. Nouveau-Brunswick (Commission des licences et permis d’alcool), [1987] 2 R.C.S. 59, à la p. 83;  Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086, à la p. 1099;  Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416, à la p. 452;  DeSousa, précité, à la p. 954;  Société Radio-Canada c. Nouveau –Brunswick (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 480, au par. 15.   Ces faits ont été divisés en deux catégories;  les faits législatifs et les faits en litige.  Dans l’arrêt Danson, précité, à la p. 1099, le juge Sopinka, s’exprimant au nom de notre Cour, a exposé ces catégories de la façon suivante :

 

Ces expressions proviennent de l’ouvrage de Davis, administrative Law Treatise (1958), vol. 2, para. 15.03, à la p. 353.  (Voir également Morgan, « Proof of Facts in Charter Litigation », dans Sharpe, ed., Charter Litigation (1987).)  Les faits en litige sont ceux qui concernent les parties au litige: pour reprendre les termes de Davis [TRADUCTION] « qui a fait quoi, où, quand, comment et dans quelle intention … » Ces faits sont précis et doivent être établis par des éléments de preuve recevables.  Les faits législatifs sont ceux qui établissent l’objet et l’historique de la loi, y compris son contexte social, économique et culturel.  Ces faits sont de nature plus générale et les conditions de leur recevabilité sont moins sévères :  par exemple, voir Renvoi :  Loi anti-inflation, [1976] 2 R.C.S. 373, le juge en chef Laskin, à la p. 391;  Renvoi : Loi de 1979 sur la location résidentielle, [1981] 1 R.C.S. 714, le juge Dickson (plus tard Juge en chef), à la p. 723; et Renvoi relatif à la Upper Churchill Water Rights Reversion Act, [1984] 1 R.C.S. 297, le juge McIntyre, à la p. 318. »

 

R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668, au paragraphe 38 »

 

[135]       De même, le juge Peter Cory a souligné dans l’arrêt MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357) que l’absence d’un fondement factuel n’est pas une simple formalité. Au paragraphe 20, le juge Cory s’explique:

20          Un contexte factuel est d'une importance fondamentale dans le présent pourvoi. On ne prétend pas que c'est l'objet visé par la loi qui viole la Charte, mais ses conséquences. Si les conséquences préjudiciables ne sont pas établies, il ne peut y avoir de violation de la Charte ni même de cause. Le fondement factuel n'est donc pas une simple formalité qui peut être ignorée et, bien au contraire, son absence est fatale à la thèse présentée par les appelants.

 

 

 

 

 

[136]       Aux fins de l’article 7 de la Charte et des arguments soulevés par les parties en l’espèce, les faits législatifs ne suffisent pas.  L’affidavit à l’appui de la requête mentionne que l’intention de M. Kamel (l’affiant) était d’aller en Thaïlande dans le but de faire du commerce d’importation avec l’aide d’un membre de sa famille établi dans ce pays.  La preuve révèle que par la suite le voyage fut annulé pour des raisons personnelles.  On ne connaît pas l’emploi du demandeur, ses besoins de voyage pour les fins de son travail ou autre.  De plus, le mémoire du demandeur, aux paragraphes 43 à 53, ne s’appuie sur aucun fait visant M. Kamel.  Pour invoquer utilement l’article 7 de la Charte, il faut s’appuyer sur des faits.  Il me semble que le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne se démontre au quotidien.  Le dossier du demandeur est laconique à ce sujet.  La Cour aurait dû disposer de plus de renseignements pour faire une analyse éclairée d’une allégation d’atteinte aux droits protégés par l’article 7 de la Charte.

 

[137]       Quant à l’article 15 de la Charte, le demandeur n’expose pas non plus suffisamment de faits.  Son mémoire relate que le Décret crée une différence de traitement pour les citoyens naturalisés et/ou d’origine arabe et de religion musulmane.  Pour appuyer une telle thèse, on mentionne que la preuve révèle que les deux seuls refus de passeport sur la base de la sécurité nationale concernent des gens d’origine arabe et de religion musulmane et on y retrouve des références à certains extraits de la Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar et de la doctrine.

 

 

 

[138]       Il me semble que pour établir une atteinte à l’égalité devant la loi, il faut cerner le fondement de l’inégalité en fonction d’un groupe de comparaison.  C’est en ce sens que la Cour suprême s’est prononcée dans l’arrêt Law c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1999] 1 RCS 497, aux paragraphes 4 à 6:

« L'objet

 

(4) En termes généraux, l'objet du par. 15(1) est d'empêcher qu'il y ait atteinte à la dignité et à la liberté humaines essentielles au moyen de l'imposition de désavantages, de stéréotypes ou de préjugés politiques ou sociaux, et de promouvoir une société dans laquelle tous sont également reconnus dans la loi en tant qu'êtres humains ou que membres de la société canadienne, tous aussi capables, et méritant le même intérêt, le même respect et la même considération.

 

(5) Il doit absolument y avoir un conflit entre l'objet ou les effets de la loi contestée et l'objet du par. 15(1) pour fonder une allégation de discrimination. L'existence d'un tel conflit doit être établie au moyen de l'analyse de l'ensemble du contexte entourant l'allégation et le demandeur.

 

La méthode comparative

 

(6) La garantie d'égalité est un concept relatif qui, en dernière analyse, oblige le tribunal à cerner un ou plusieurs éléments de comparaison pertinents. C'est généralement le demandeur qui choisit la personne, le groupe ou les groupes avec lesquels il désire être comparé aux fins de l'analyse relative à la discrimination. Cependant, lorsque la qualification de la comparaison par le demandeur n'est pas suffisante, le tribunal peut, dans le cadre du ou des motifs invoqués, approfondir la comparaison soumise par le demandeur lorsqu'il estime justifier de le faire. Pour déterminer quel est le groupe de comparaison pertinent, il faut examiner l'objet et les effets des dispositions législatives et tenir compte du contexte dans son ensemble. »  (je souligne)

 

 

 

 

 

 

On ne retrouve pas dans la preuve rapportée la personne, le groupe ou les groupes avec qui la comparaison doit être faite.

 

 

[139]       Au sujet des atteintes aux droits garantis par les articles 7 et 15 de la Charte, la preuve figurant au dossier demeure très générale et ne me permet pas de faire une analyse satisfaisante.  Sans vouloir critiquer qui que ce soit, la Cour rappelle simplement que l’instance où est en jeu la Charte est complexe et exige un examen fouillé et minutieux.    

 

[140]       Il me reste maintenant à me pencher sur la demande faite à la Cour d’ordonner au Ministre de délivrer un passeport à M. Kamel. 

 

7.         Y a-t-il lieu d’envisager une ordonnance obligeant le Ministre à délivrer un passeport à M. Kamel?

 

[141]       Dans son avis de demande et mémoire, seulement en conclusion, le demandeur sollicite la mesure réparatrice suivante: « Ordonner la délivrance du passeport au demandeur dans un délai de 10 jours suivant la présente ordonnance. »  Il s’agit d’une « demande », bien que ce terme n’ait pas été utilisé, aux termes du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7 :

(3) POUVOIRS DE LA COUR FÉDÉRALE – Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

 

a)         ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

 

b)        déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’offre fédéral.

(3) POWER OF FEDERAL COURT – On an application for judicial review, the Federal Court may

 

 

(a)  order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

 

(b)  declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

 

[142]       Dans ses écritures, le demandeur n’aborde pas cette mesure.  Vu le caractère très particulier de la présente affaire, je suis d’avis que la Cour serait éclairée par des preuves et des observations pertinentes.  Il n’y a tout simplement pas eu de débat, que ce soit par les observations écrites des parties ou à l’audience, sur cette question.  À ce stade, la Cour ne dispose tout simplement pas des éléments nécessaires pour rendre une décision éclairée.  En conséquence, cette demande ne sera pas accordée.

 

 

 

[143]       J’ajoute que la conclusion déclarant invalide l’article10.1 du Décret crée un vide juridique qui devra être comblé très rapidement (voir le paragraphe 147).  En l’état actuel du dossier, la Cour constate qu’elle n’a tout simplement pas toute l’information pour prendre une décision éclairée.

 

[144]       À titre incident, je me permets deux (2) observations. Premièrement, le dossier ne révèle aucune urgence quant à l’obtention d’un passeport pour le travail de M. Kamel;  toutefois, il déclare qu’il aimerait visiter des membres de sa famille qu’il n’a pas vue depuis seize (16) ans.  Deuxièmement, je note que la politique du BPC prévoit l’octroi d’un passeport pour un voyage précis.  Aussi, je note dans la lettre du 14 décembre 2005, l’offre du BPC de réétudier le dossier si des renseignements supplémentaires « marquants » sont soumis.  Donc, dans les circonstances, cela pourrait offrir une solution à M. Kamel, si besoin il y a.

 

Conclusions

[145]       Ayant étudié attentivement le processus d’enquête, les documents recueillis au cours de celle-ci, le rapport et la recommandation au Ministre et la décision de celui-ci, tout en tenant compte des principes d’équité procédurale, je conclus que les droits du demandeur n’ont pas été respectés, qu’il n’a pas été adéquatement informé quant aux renseignements utilisés contre lui, qu’il n’a pas eu la possibilité réelle de se faire entendre et qu’en conséquence, le Ministre ne disposait pas des renseignements nécessaires pour prendre une décision éclairée.  Donc, pour ce motif, la décision du Ministre est annulée.

 

 

 

 

[146]       Pour les motifs explicités ci-haut, je conclus qu’il y a eu atteinte à la liberté de circulation garantie par le paragraphe 6(1) de la Charte car le passeport est un outil essentiel à l’exercice de cette liberté; l’article 10.1 du Décret est donc invalide car il est vague voir nébuleux dans sa terminologie, il ne prévoit pas de procédure permettant au demandeur de passeport de se faire entendre adéquatement et sa portée était donc excessive, l’article premier de la Charte ne pouvant être d’aucune utilité à cet égard.  En conséquence, la décision du Ministre de refuser la demande de M. Kamel est annulée. 

 

[147]       Afin de permettre au Procureur général de rédiger de nouveaux textes en remplacement de l’article 10.1 du Décret, une période de six (6) mois lui est accordée, en vertu du pouvoir discrétionnaire de la Cour prévu au paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, précitée.

 

Les dépens

 

[148]       M. Kamel demande dans les conclusions de son mémoire seulement « … les dépens sur une base avocat-client. »  Cette demande n’est appuyée par aucune explication.  Le Procureur-général rétorque qu’il n’y a pas de justification ou encore de motifs à l’appui d’une telle demande.

 

 

 

 

[149]       Les règles 400 et suivants de la Cour et plus particulièrement l’alinéa 400(6)c)  prévoit une telle possibilité.  Pour ce faire, une telle demande doit être justifiée.  La jurisprudence de la Cour enseigne que de telles demandes sont accordées exceptionnellement en autant que l’on démontre que la partie opposée a eu un comportement reprochable. À cet effet, le juge Gonthier dans l’arrêt Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances); Rice c. Nouveau-Brunswick, [2002] 1 R.C.S. 405, a souligné au paragraphe 86 :

« 86     En première instance, les intimés ont obtenu des dépens entre parties. En Cour d'appel, cette décision a été infirmée et il a été décidé que le comportement du gouvernement justifiait l'octroi de dépens entre avocat et client. Il est établi que la question des dépens est laissée à la discrétion du juge de première instance. La règle générale en la matière veut que des dépens entre avocat et client ne soient accordés qu'en de rares occasions, par exemple lorsqu'une partie a fait preuve d'une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante (Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3, p. 134). Des raisons d'intérêt public peuvent également fonder une telle ordonnance (Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, p. 80). »

 

 

[150]       En conséquence et en tenant compte des questions en litige, les dépens sont accordés au demandeur selon la Colonne IV du Tarif B des Règles des Cours fédérales, précitées.


JUGEMENT

 

LA COUR:

 

-                      Accueille en partie la demande de contrôle judiciaire;

-                      Déclare que les principes d’équité procédurale n’ont pas été respectés au cours de l’enquête administrative du BPC;

-                      Déclare que l’article 10.1 du Décret porte atteinte à la liberté de circulation protégée par le paragraphe 6(1) de la Charte et que cette atteinte n’est pas justifiée aux termes de l’article premier de la Charte;

-                      Déclare invalide l’article 10.1 du Décret;

-                      Accorde à la Gouverneure générale en conseil, une période de six (6) mois pour rédiger l’article 10.1 du Décret et prendre un nouveau Décret;

-                      Annule la décision du Ministre en date du 1er décembre 2005 refusant la demande de passeport de M. Kamel;

-                      Réserve au demandeur ses autres recours;

-                      Accorde les dépens selon la Colonne IV du Tarif B des Règles des Cours fédérales, précitées.

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

ANNEXES

 

 

 

1)         Le rapport du BPC au Ministre en date du 22 novembre 2005; et

 

2)         Lettre de Mme Thomas du BPC à M. Kamel en date du 14 décembre 2005.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Zone de Texte: EXT 401Page : 72


 

ANNEXE 1

25-02-2000      15:17               COURS FEDERALES

514 283 6004     P.02/10

 

 

1579

 

Eales/PPsDi934-3143

TRANSMITTAL SLIP - NOTE D'ENVOI

 

 

 

TO / A                   USS  (via DCE

SECURITY/

SECRET

 

 

 

SECURITE

 

 

 

FROM / DE          PPTC

FILE /

DCB-02576‑

 

 

 

DOSSIER

2005

 

 

 

PPTC-31-05

 

SUBJECT I         Application of Fateh Kama, for a Canadian

OBJET                passport

DATE

November 22,

2005

 

ATTACHMENT   Action Memorandum for the Minister of Foreign Affairs

 

 

 

PIECE JOINTE

 

 

DISTRIBUTION

CONSULTATION

CONTRARY VIEWS / OPINIONS CONTRA1RES

 

MINA

JUSP

 

 

 

MINE

ISD

 

 

 

DMA

PCO/SID

 

 

 

DCB

 

 

 

 

JUS

.BCF

 

 

 

JLD

 

 

 

 

FILE

 

 

 

 

PPCD

 

 

 

 

JUSP

 

 

 

 

!SD

 

 

 

 

PCO/SID

 

 

 

 

 


COMMENTS / COMMENTAIRES

The attached document is for your approval and signature.

DCB  Nov.29 pm 1:56

Date required - Demande pour le: December 6,  2005

Doreen Steidle

Chief Executive Officer Passport Canada •

 

TO BE RETAINED WITH FILE COPY - A CONSERVER AVEC L'EXEMPLAIRE DESTINE AU DOSSIER


Page : 73


 

 
 Foreign Affairs    Affaires Étrangères           Canada    Canada


Doreen Steidle

Chief Executive Officer Passport Canada

997-6002

NOV 3 0 2005

DCB-02576-2005 PPTC-31-05

 

                                        1ier décembre 2005

                                          Recommendation approuvé

                                          Par le ministre        


Action Memorandum for:

The Minister of Foreign Affairs                                                                             

ISSUE:             Application of Patch Kamel for a Canadian passport

 

 

 

 

 


RECOMMENDATION:

1.                   That you refuse to issue a passport to Fateh Kamel under section 10.1 of the Canadian Passport Order in light of the information contained in the unclassified background material available to you in this memorandum.

I

Marie-Lucie Morin                                                                 V. Peter Harder

Associate Deputy Minister                                                    Deputy Minister of Foreign Affairs

 


Canada


Page : 74

-2-

BACKGROUND:

2.                                     Fateh Kamel is a Canadian citizen who was found guilty of terrorist crimes in France in 2001 involving the manufacture and use of false passports. He applied for a Canadian passport on June 13, 2005.1

3.                                  Kamel was born in Algeria on March 14, 1960 and arrived in Canada in 1987. The following year he married a Canadian. He became a Canadian citizen on January 27, 1993. He signed his Canadian passport application that day, and submitted his application in Montreal on January 29, 1993. He was issued a passport valid until January 29, 1998, which he declared stolen two years later, in 1995, and was issued a second passport valid until 2000. That passport was replaced at Kamel's request' less than two years later, in 1997, with another passport valid until July 29, 2002)

4.                                  In May 1999, Kamel was arrested in Jordan and extradited to France where he was convicted in 2001 of terrorist offences and sentenced to eight years imprisonment as the leader of an international network whose purpose was to plot terrorist attacks and procure arms and passports for terrorists throughout the world.'

5.                                The Tribunal de Grande Instance de Paris' convicted Kamel with 21 other co-accused for his activities in 1996, 1997 and 1998 in a conspiracy to prepare terrorist acts, specifically, a plot to commit bomb attacks in Paris metro stations and a series of attacks in Roubaix in northern France.6 In its decision the French Court indicated that Kamel travelled extensively in 1994 and 1995 in Bosnia, to Zagreb, in Slovenia, to Montreal, in Austria and in

See Tab 1- Kamel's passport, history.

2                  The passport issued to Kamel in 1997 was coded 18 which means that the passport was issued to replace a valid passport submitted with an application for cancellation or destruction. In his letter to the Acting Director of Security, Passport Canada, dated November 9, 2005, Kamel explains that he found the passport in 1997 that be had reported stolen to Passport Canada in 1995 and which was replaced with a new passport. When he reported that he had found the stolen passport, the Passport Canada agent told him to keep both the found and replacement passports, and because the original replacement passport indicated on it that it replaced a stolen passport, a new passport with no indication that the previous had been stolen was issued. See Tab 4.

Where a passport is still valid, it must be submitted with an application for a new passport, however, when cancelled, it may be returned at the applicant's request.

4                     See Tab 2 at p. 86 of the Jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris.

5                     The Tribunal de Grande Instance de Paris is hereinafter referred to as "the French Court".

See Tab 3 - "Terrorist returns: Tory urges Ottawa to consider revoking citizenship," Stewart Bell, National Post, February 26, 2005.


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the Netherlands to solidify his position in the terrorist network. His part in falsifying and supplying passports to terrorists occurred in 1996.7

6.                                  The evidence before the French Court did not reveal that Kamel used Canadian passports in the commission of the passport-related offences of forgery to assist terrorism. However, the French Court found that Kamel was involved in a conspiracy to forge and use forged passports while he was in Canada as well as in Turkey, Bosnia, Belgium and France. In reviewing the evidence before the Court, including the testimony of Kamel's co-accused, the French court mentions that Canada and, particularly an apartment in Montreal where contact between several of the co-accused and Kamel occurred, appeared to be one of the fundamental places involved in the conveying of passports to Islamic extremists in Turkey.' Kamel denies that the French Court's decision ever determined his role in any fraudulent activity.' He also denies having forged or used a passport not belonging to him in his travels, or used any documents for terrorist activities, or played any role in the document fraud alleged by the French police.'

7.                                As part of Kamel's sentence, the French court ordered his indefinite ban from French territory, the most severe sentence affecting civil rights that may be imposed on non-French citizens according to the Penal Code."

8.                                In December 2001, after Kamel had been convicted, the Canadian Embassy in Paris attempted without success to locate Kamel's Canadian passport valid until July 29, 2002. The officials at the French prison where Kamel was incarcerated confirmed that they were in possession of Kamel's certificate of citizenship and his driver's licence but not his passport.'

9.                                While in custody, Kamel applied for transfer to Canada under the European Convention on the Transfer of Sentenced Persons but his request was refused by French authorities in December 2003."


Zone de Texte: 7
9
Canada.
10
Canada.
12
'3
See Tab 2 at page 79.

See Tab 2 at page 80.

See Tab 4 - Kamers letter of August 18, 2005 to the Acting Director of Security. Passport

See Tab 4 - Kamel's letter of November 9, 2005 to the Acting Director of Security, Passport

See Tab 5 - Case Note from Canadian Embassy in Paris dated 11-May-2001. See Tab 5 - Case Note from Canadian Embassy in Paris dated 14-Dec-2001. See Tab 5 - Case Note from Canadian Embassy in Paris dated 12- Jan-2003.


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10.                                    Kamel was released from prison on January 29, 2005, in accordance with the statutory remission and parole provisions of French criminal Iaw, after serving four years of his sentence but having been in custody since his arrest in May 199914. 'Camel applied for a Canadian passport from prison in December 2004 including a declaration that his previous passport was lost, stolen or destroyed. Because Kamel is a Canadian citizen, the Canadian Embassy in Paris issued him an Emergency Passport expiring on January 30, 2005 allowing him to return to Montreal on January 28, 2005. On June 13, 2005, Kamel applied for a passport in Montreal.

CONSIDERATIONS:

Minister's Authority under the Canadian Passport Order (CPO)

11.                                  Under section 10.1 of the CPO, you, as the Minister of Foreign Affairs, have the discretion to refuse or revoke a passport where you are of the opinion that such action is necessary for the national security of Canada or another country.

12.                               Since your decision can be appealed to the Federal Court of Canada, administrative law and fairness demand that you provide reasons for your decision. In order to successfully challenge your decision under the CPO, an applicant would have to establish that you acted arbitrarily, in bad faith, that you were motivated by an improper purpose or that you based your decision on irrelevant considerations." A minister's statutory decision may also take into account current public policy."

13.                               "Passport" is 'defined under section 2 of the CPO as a Canadian travel document that shows identity and nationality and facilitates travel outside Canada, but "national security" as it relates to Canada or another country is not defined. You must, therefore, in exercising your authority to refuse a passport under section 10.1 CPO, decide what "national security" means.

14.                               Kamel was convicted in France in 2001 for being part of a criminal organization whose purpose was to prepare for acts of terrorism contrary to articles 421-2-1 and 450-1 of the Penal Code of France.'7 Two equivalent indictable offences in Canada are section 83.03 of the Criminal Code (CC) under which no one may provide, make available, etc., property or services

14               Kamel was in jail for almost six years from May 1999 to January 29, 2005. See also Tab 6 - s.721-I French Code of Criminal Procedure.

15                                                               Comeau's Sea Foods Ltd v. The Oueen in right of Canada (1997) 192 D.L.R.(4th) 193 at p.20I
(SCC), Suresh v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [2002] 1 SCR 3.

16 "When a Public Authority is prevented from exercising its statutory powers it can be said that the public interest of which the authority is the guardian suffers irreparable harm," per Pratte, LA_ of the FCA in Canada v. Fishing Vessel Owner's Association ofB.a , [1985] 1 F.C.791.

17                  See Tab 9 - Sections of the French Penal Code.


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-‑

for terrorist purposes, and section 83.04 CC under which no one may use or possess property for terrorist purposes.

15.                                    Kamel was also convicted in France at the same time and in relation to the terrorist offence, of abetting the forgery of a public document establishing a right, an identity or a capacity and abetting the use of a forged public document establishing a right, an identity or a capacity contrary to sections 441-1 and 441-2 of the Penal Code of France.' These last two offences as they relate to passports are equivalent to the indictable offences described in section 57 CC, namely the forgery of a passport or the use of a forged passport.

16.                                  In federal legislation, "terrorism" is recognized as a serious threat to national security. For example, a terrorist activity committed in or outside Canada is one of the purposes listed as prejudicial to the safety or interests of the State in section 3 of the Security of Information Act, 1985, c.   s. 1; 2001, c. 41, s. 25. The Anti-terrorism Act was enacted on December 24, 2001, to protect Canadians from terrorist activity. It amended the Criminal Code to include terrorist offences and establish a list of terrorist groups under section 83.05. The French Court that convicted Kamel of terrorism found that he was assisting the CIA (Armed Islamic Group), a terrorist group listed under the CC on July 23, 2002 by the Governor in Council on the recommendation of the Minister of Public Safety and Emergency Preparedness and that Kamel had early sympathy with the Jemaah Islamiyah, a terrorist group listed on April 23, 2003.19 The GIA and Jemaah Islamiyah are also listed as being involved in terrorist activity in the United Nations Suppression of Terrorism Regulations (SOR/2001-360) for which you as the Minister of Foreign Affairs is responsible.'

17.                               Under section 10.1 of the CPO, the Minister of Foreign Affairs must consider not only the national security of Canada but also international security. The Canadian passport is an identity document whose purpose is to facilitate international travel. You, as the Minister of Foreign Affairs, have a responsibility in issuing a Canadian passport to protect its reputation and safeguard global security as well as the security of Canadians.

18.                             The Supreme Court of Canada in Suresh Canada' on the issue of lack of any direct evidence of danger to the security of Canada, said at paragraph 88:

"Whatever the historic validity of insisting on direct proof of specific danger to the deporting count-y, as matters have evolved,

18

See Tab 9 -Sections of the French Penal Code.

19                  See Tab 2 at page 81 and Tab 7 - Listed Terrorist Entities under the CC.

See Tab 8 - UN Suppression of Terrorism Regulations.

21                  See Endnote 15.


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we believe courts now conclude that the support of terrorism abroad raises a possibility of adverse repercussions on Canada's security... International conventions must be interpreted in the light of current conditions. It may once have made sense to suggest that terrorism in one country did not necessarily implicate other countries. But after the year 2001, that approach is no longer valid. First, the global transport and money networks that feed terrorism abroad have the potential to touch all countries, including Canada, and to thus implicate them in the terrorist activity. Second, terrorism itself is a world-wide phenomenon. The terrorist cause may focus on a distant locale, but the violent acts that support it may be close at hand, Third, preventative or precautionary state action may be justified; not only an immediate threat but also possible future risks must be considered. Fourth, Canada's national security may be promoted by reciprocal cooperation between Canada and other states in combating international terrorism. These considerations lead us to conclude that to insist on direct proof of a specific threat to Canada as the test for "danger to the security of Canada" is to set the bar too high. There must be a real and serious possibility of adverse effect to Canada. But the threat need not be direct; rather it may be grounded in distant events that indirectly a have real possibility of harming Canadian security."

19.                                 The current National Security Policy of the Government of Canada (NSP) focuses on addressing three core national security interests: protecting Canada and Canadians at home and abroad, ensuring that Canada is not a base for threats to our allies, and contributing to international security. The NSP specifically mentions that Canada has played a key role in negotiating the implementation of 12 UN terrorism conventions.22

20.                               In the UN convention for the Suppression of Terrorist Bombings ratified by Canada in May 2002, Canada agreed to cooperate with other states in the prevention of terrorist bombings by taking all practicable measures, including, if necessary, adapting their domestic legislation, to prevent and counter preparations in their respective territories for the commission of terrorist bombing offences within or outside their territories.' Section 10.1 of the CPO, authorizing the Minister. of Foreign Affairs to refuse or revoke a passport on the grounds of national security of Canada or another country, was enacted in December 2004.

22          See Tab 10 - UN Terrorism Conventions.

23                   See Tab 1 I - international Convention for the Suppression of Terrorist Bombings.


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21.                                  In the Karnel case, France has banned Kamel from its territory for life as a result of his part in plotting terrorist bombings. The issuance of a Canadian passport to Kamel would facilitate his travel to other countries of the European Economic Community from which entry to France does not require a passport thus thwarting France's own efforts to prevent terrorist bombings and safeguard its national security. When Kamel applied for a passport in Montreal on June 13, 2005, he indicated that he needed the passport by June 25 so that he could travel to Thailand. Bangkok is recognized worldwide as the central, market for counterfeit passports.' The group, Jemaah Islamiyah, with which Kamel was found by the French court to have sympathy, is described under section 83.05 CC as an Islamist terrorist organization that has emerged as the most extensive transnational radical Islamist group in Southeast Asia, including Thailand.'

22.                                  There is a statutory mechanism to remove non-Canadians on security grounds under the Immigration and Refugee Protection Act (IRPA) but, other than your discretion to refuse a passport to a Canadian citizen, there is no statutory means in Canada, short of criminal prosecution, of preventing a Canadian citizen who poses a threat to the security of Canada or another country from travelling freely.

23.                               This legislative lacuna was, in light of the London bombings in July 2005, the subject of the prophetic comments of the House of Lords in a 2004 judgment dealing with the detention of non-Britons suspected of terrorism.

"In the aftermath of the attacks on targets in the United States of America on 11 September 2001 Her Majesty's Government had to consider what steps they should take to guard against the risk of similar attacks in this country. In particular, they had to consider what should be done about suspected international terrorists living here who might be involved in plotting such attacks ("suspects"). In principle, the nationality of the suspects would be irrelevant to the threat that they posed. If a man is holding a gun at your head, it makes no difference whether he has a British or a foreign passport in his pocket. [our emphasis] Similarly, if a network of terrorists is planning an attack on the life of the nation, the danger is the same, irrespective of the nationality of the individuals involved."

A and others v Secretary of State for the Home Department; X and another v Secretary of State for the Home Department  [2004] UKHL 56, per Lord Rodger of Earlsferry, at paragraph 160.

Zone de Texte: 24Zone de Texte: 25See Tab 12 -1‘.1,mspap- articles on Bangkok. See Tab 7 - Listed Entities CC.


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24.                                  In summary, the issuance of a passport is an administrative decision. It is not a determination of the guilt or innocence of a person of a criminal offence, nor is it determinative of a person's right to stay in Canada. It is a decision about whether or not to facilitate the foreign travel of an individual by issuing an identity document authorized by the Government of Canada.

25.                                  Kamel's passport history shows that, prior to his arraignment and conviction, he has repeatedly applied for andheen issued replacement passports. He was convicted in France of a terrorist offence and passport'fraud in support of terrorist activity. The policy and international obligations of the Government of Canada demand that Canada does its utmost to prevent threats to international security.

RESOURCE IMPLICATIONS:

26.                                  NIL.

COMMUNICATIONS IMPLICATIONS:

27.                                  The decision to formally refuse Kamel's passport application will likely draw media attention, if the applicant wants to make the refusal public. The refusal will also likely be linked to the formal refusal of a passport to Abdurahman Khadr, which remains before the courts.

28.                                  A majority of Canadians will likely be in favour of the passport refusal based on national security grounds. A smaller number of Canadians may feel that the passport refusal goes against the Charter of Rights and Freedoms and could oppose that decision.

COMMUNICATIONS ACTION:

29.                                  FAC will take a responsive approach to communications. A communications approach and media lines will be developed with input from Department of Justice Canada, Foreign Affairs Canada and Public Security and Emergency and Preparedness Canada. Media lines will also be shared with the Privy Council Office.

PARLIAMENTARY IMPLICATIONS/ACTION:

30.                               NIL.


Page : 81


INDEX TO SUPPORTING DOCUMENTS

Tab 1 - Passport history of Fatah Kamel

Tab 2 - Tribunal de Grande Instance de Paris, No d'affaire 9625339012, Jugement du 06 avril 2001

Tab 3 - Stewart Bell, "Terrorist returns: Tory urges Ottawa to consider revoking citizenship", National Post, February 26, 2005

Tab 4 - Letters from Fatah Kamel to Acting Director of Security, Passport Canada, dated August 18, 2005 and November 9, 2005

Tab 5 - Case Notes from Canadian Embassy in Paris

Tab 6 - French Code of Criminal Procedure section 721-1

Tab 7 - List and Description of Terrorist entities under the Criminal Code

Tab 8 - UN Suppression of Terrorism Regulations Tab 9 - Sections of the French Penal Code Tab 10 - List of UN Terrorism Conventions

Tab 11 - International Convention for the Suppression of Terrorist Bombings

Tab 12 - Sebasti en Berger, "Bangkok world hub of fake passports", Vancouver Sun, August 29, 2005, taken from the Daily Telegraph

Alisa Tang, "Thailand emerges as fake passport capital for criminal underworld, terrorists", Associated Press, September 8, 2005


Zone de Texte: CanadaZone de Texte: Un IntarCISITIE	An Agency of
d'Affaires elrangeres Canada	Foreign Affairs Canada
Page : 82

ANNEXE 2

Passeport Passport Canac a Canada

Gatineau, Canada MA 003

 

Le 14 decembre 2005

Notre rdfarance                                                                   Our as

A-9540

llotrerel drence                                                                 Your Me

 

PAR MESSAGERIE PRIORITAIRE

Objet : Avis de décision concernant votre demande de passeport datée du 13 juin 2005

Monsieur Kamel,

La présente fait suite a la demande de passeport que vous avez présentée le 13 juin dernier au bureau de Passeport Canada a Montréal et tient compte de vos lettres datées des 18 août et 9 novembre 2005 en 'réponse a nos lettres du 5 août et 28 octobre 2005.

Tel qu'il vous a été précisé dans nos communications antérieures, votre admissibilité au passeport canadien a fait l'objet d'un examen par la Direction générale de la sécurite de Passeport Canada. Parmi les renseignements qui ont retenu notre attention figurent vos condamnations en France pour des infractions reliées au terrorisme et à des fraudes en matière de passeports ayant servi a appuyer des activités terroristes. De plus, vos dossiers de passeports antérieurs révèlent de nombreux remplacements de passeports valides.

Dans sa politique en matière de lutte contre le terrorisme, le Canada s'est engagé a faire tout en son pouvoir pour contrer les menaces à la sécurite nationale. Dans ce contexte, l’article 10.1 du Decret sur les passeports canadiens (TR/81-86) , ci-dessous appele le Decret, stipule que le Ministre des Affaires étrangères peut refuser de délivrer un passeport ou peut revoquer un passeport sril est d'avis que cela est nécessaire à la sécurité nationale du Canada ou à celle d'un autre pays.


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Zone de Texte: Jody ThomasZone de Texte: Directeur général par intérim
Direction générale de la sécurité
Zone de Texte:  -2-

Après avoir considéré tous les renseignements pertinents a votre dossier, incluant vos représentations écrites, la Direction générale de la sécurite a recommandé au Ministre des Affaires étrangères de refuser de vous délivrer un passeport en vertu de Particle 10.1 du Décret.

La présente a pour objet de vous aviser que le premier décembre dernier, après avoir considéré ces renseignements et répresentations et soupeseévotre intérêt dans la délivrance d'un passeport et l’intérêt national du Canada et des autres pays, le Ministre a formellement approuvé la recommandation et décider de vous refuser la délivrance d'un passeport en vertu de Particle 10.1 du Décret.

La decision du Ministre est considérée finale et en vigueur a compter de sa date de réception par le requérant. Dans l’éventualité où vous voudriez contester cette décision, vous pouvez déposer une demande de contrôle judiciaixe aupres de la Cour fédérale du Canada dans un délai de trente jours suivant la réception du présent avis.

Nonobstant cette décision, vous pouvez en tout temps envoyer à la Direction générale de la sécurité des renseignements supplémentaires marquants qui concernent votre admissibilité à un passeport. Ces renseignements seront alors examinés par la Direction générale qui déterminera s'ils justifient une nouvelle recommandation au Ministre des Affaires étrangères

Je vous prie d'agréer, Monsieur  Kamel, mes sincères salutations.


 

 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-100-06

 

INTITULÉ :                                       FATEH KAMEL

 

                                                                                                Partie demanderesse

                                                            c.

 

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

                                                                                                Partie défenderesse

 

                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal

 

DATE DE L’AUDIENCE :               26 au 28 novembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

& JUGEMENT :                               L’Honorable Juge Simon Noël

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 13 mars 2008

                                                          

 

COMPARUTIONS :

 

Me Johanne Doyon

 

PARTIE DEMANDERESSE

Me Nathalie Benoît

 

PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Doyon et associés

Montréal, Québec

PARTIE DEMANDERESSE

John H. Simms, QC

Ministère fédéral de la justice

Montréal, Québec

PARTIE DÉFENDERESSE

 

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