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Date : 20080227

Dossier : T-347-06

Référence : 2008 CF 258

ENTRE :

MIKE GORDON

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeur

et

LA COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE

intervenante

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

 

INTRODUCTION

[1]                                       Par une demande déposée le 24 février 2006, Mike Gordon (le demandeur) a demandé réparation contre le ministre de la Santé (le défendeur), en raison du refus de ce dernier de communiquer le champ « province » dans la base de données du Système canadien d’information sur les effets indésirables des médicaments (Canadian Adverse Drug Reaction Information System-CADRIS) maintenu par le défendeur. La réparation demandée par le demandeur est énoncée dans son mémoire des faits et du droit :

[TRADUCTION]

Le demandeur demande que la Cour :

 

a) ordonne au défendeur de publier le champ « province » et que ce champ soit ajouté aux autres champs déjà publiés;

b) ordonne au défendeur de maintenir l’accès du public aux autres champs déjà publiés afin d’empêcher le défendeur de soustraire arbitrairement l’un de ces champs à l’accès du public;

c) ordonne que soit rendue cette ordonnance ainsi que toute autre ordonnance que la Cour jugera indiquée;

                d) le tout avec dépens.

 

[2]                                       Par une ordonnance en date du 14 novembre 2006, la commissaire à la protection de la vie privée du Canada (l’intervenante) est autorisée à intervenir dans la présente demande avec tous les droits normalement associés à la qualité de partie.

 

[3]                                       Les présents motifs suivent l’audition de la demande qui a eu lieu le 4 février 2008.

 

CONTEXTE

[4]                                       Par une lettre adressée au « Coordonnateur de l’accès à l’information, Santé Canada », en date du 23 août 2001, sur papier à en‑tête de « CBC/Radio-Canada », le demandeur, qui se décrit comme producteur associé – Divulgation, CBC-TV, a écrit :

[TRADUCTION] En vertu de la Loi sur l’accès à l’information, je demande l’accès à la base de données sur les effets indésirables des médicaments ainsi qu’une copie de cette base de données. Celle‑ci contient de l’information provenant de la « Notification concernant un effet indésirable soupçonné dû à des produits de santé commercialisés au Canada »…ou tout autre rapport ou communication similaire recueilli dans le cadre du Programme canadien de surveillance des effets indésirables des médicaments du Bureau de la surveillance des médicaments.

 

 

Un certain David McKie, apparemment collègue du demandeur à CBC/Radio-Canada, a déposé par la suite une demande similaire, et lui et le demandeur ont ensemble pris diverses mesures pour donner suite à leurs demandes. M. McKie n’a pas été partie à la présente procédure et n’a pas participé à l’audience devant la Cour bien que son affidavit ait été déposé à l’appui de la demande.

 

[5]                                       CADRIS se compose d’une base de données qui contient des renseignements recueillis par le défendeur relativement aux effets indésirables soupçonnés causés par des produits de santé, notamment les produits pharmaceutiques, les produits biologiques, les produits de santé naturels et les produits radiopharmaceutiques commercialisés au Canada. Pour les besoins du système CADRIS, un « effet indésirable » désigne tout effet nocif provoqué par un produit particulier ainsi que les effets qui se produisent à la suite d’une réaction à une combinaison de médicaments. Les renseignements concernant de tels effets sont recueillis au moyen de déclarations produites, sur une base volontaire, par des professionnels de la santé et des consommateurs et, sur une base obligatoire, par les fabricants de médicaments. Environ trente‑huit pour cent (38 %) des cas d’effets indésirables signalés au défendeur proviennent de déclarations volontaires. Les autres, environ soixante-deux pour cent (62 %), sont fournis par les fabricants de médicaments. Le nombre total de déclarations de cas d’effets indésirables reçues par le défendeur en 2005 s’établissait à dix mille quatre cent dix (10 410). Vers le 5 juillet 2006, la base de données CADRIS contenait des données provenant de plus de cent quatre-vingts mille (180 000) déclarations d’effets indésirables soupçonnés reçues depuis 1965[1].

 

[6]                                       Un souscripteur d’affidavit atteste pour le compte du défendeur :

[TRADUCTION] Les données fournies dans les déclarations d’effets indésirables varient grandement en qualité, exactitude et intégralité. Les déclarations d’effets indésirables sont les observations et les soupçons de ceux qui produisent la déclaration. Il est très difficile de tirer des conclusions définitives fondées sur des relations de cause à effet à partir des renseignements fournis dans une déclaration donnée. Toute une gamme de considérations diverses peuvent avoir causé un effet indésirable, notamment la contribution possible de médicaments ou de thérapies concomitantes et les antécédents médicaux du patient. En outre, seule une infime partie des effets indésirables soupçonnés est signalée au programme. Au site Web de Santé Canada, on peut lire ce qui suit sous la rubrique « Résultats au moment de la déclaration » :

 

« Conséquence des effets signalés dans le rapport de cas, tels que décrits par le déclarant au moment de la déclaration et indépendamment de tout lien causal. Le résultat n’est pas fondé sur une évaluation scientifique de Santé Canada[2] ».

 

[7]                                       La base de données CADRIS contient environ cent vingt-cinq (125) champs de données dont à peu près vingt‑cinq pour cent (25 %) « ne sont pas utilisés ». Au moment de l’instruction de la présente procédure, environ quatre-vingt-deux (82) champs de données avaient été communiqués au demandeur. Des dix‑neuf (19) autres, trois (3) n’étaient pas divulgués parce qu’ils sont « toujours CDN », quatre (4) n’étaient pas divulgués parce qu’ils étaient « toujours WHOART », présumément une référence à l’Organisation mondiale de la santé, et les douze (12) autres n’avaient pas été fournis, en tout ou en partie, essentiellement pour des raisons de protection de renseignements personnels[3]. De ces douze (12) champs de données, un seul fait l’objet de la présente procédure : celui qui est intitulé « province ». Dans la terminologie de la base de données CADRIS, le terme « province » renvoie à la province d’où vient la déclaration en question; il n’indique donc pas nécessairement la province de résidence de la personne qui a présumément subi l’effet indésirable.

 

[8]                                       Le 30 octobre 2002, un collègue du demandeur, David McKie, a écrit au commissaire à l’information pour déposer une plainte [TRADUCTION] « … concernant le refus de Santé Canada de communiquer sous forme électronique les données des effets indésirables des médicaments… ». Il s’en est suivi une longue intervention du Commissariat à l’information qui a finalement fait parvenir un rapport en date du 12 janvier 2006. Le rapport en question indique notamment :

[TRADUCTION] Le 31 août 2001, Santé Canada vous a remis une estimation des frais de production d’une copie papier des dossiers contenus dans sa base de données sur le Système canadien d’information sur les effets indésirables des médicaments (CADRIS). La même journée, vous vous être plaint de la réponse de Santé Canada. De plus, nous avons fait enquête sur l’argument de Santé Canada selon lequel il n’était pas possible de fournir une copie électronique des dossiers parce que les renseignements personnels contenus dans la base de données ne pouvaient pas, dans tous les cas, devenir anonymes et être protégés par voie électronique.

 

Vous le savez, j’ai rencontré votre collègue Dave McKie, les représentants de Santé Canada ainsi que vous-même le 30 mai 2003 afin d’accélérer le règlement de votre plainte. Par la suite, en octobre 2003, Santé Canada vous a remis une copie électronique reconfigurée des renseignements contenus dans la base de données CADRIS (1965-2002) sur un CD‑ROM. De plus, jusqu’au 9 septembre 2005, les représentants de Santé Canada ont continué de travailler avec vous pour améliorer la qualité et la nature conviviale des renseignements fournis. Ensuite, le 26 février 2004, Santé Canada vous a donné une réponse « définitive » en vous fournissant la majorité des renseignements figurant dans les champs de données.

 

Douze champs de données ont été retenus : « groupe ethnique », « déclarant clinique », « déclarant hôpital », « déclarant nom », « déclarant ville », « déclarant numéro de téléphone », « initiales du patient », « identification du patient », « province », « date de naissance », « date de conception » et « date de décès ». L’information a été retenue conformément au paragraphe 19(1) de la Loi. À la suite d’une rencontre que j’ai eue avec les représentants de Santé Canada le 12 juillet 2005, j’ai été informé que, le 9 septembre 2005, Santé Canada vous a communiqué les renseignements de la base de données touchant l’année de décès, l’année de naissance et l’année de conception.

 

Ayant examiné la preuve et l’argumentation présentées par les deux parties, je suis convaincu que les autres champs retenus contiennent de l’information qui, s’ils étaient divulgués, pourraient révéler l’identité des individus. Par conséquent, je juge que les renseignements retenus sont « personnels » aux fins du paragraphe 19(1) de la Loi. Je suis également convaincu que les individus concernés n’ont pas donné leur consentement à la divulgation de leurs renseignements personnels, que le public n’a pas droit à la communication des renseignements détenus et qu’aucune des dispositions de l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels n’autorise la communication des renseignements détenus.

 

En concluant que le paragraphe 19(2) n’autorise pas la communication des renseignements obtenus, j’ai pris spécialement en considération les dispositions du sous‑alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Vu la grande quantité de renseignements déjà divulgués de la base de données CADRIS et vu la nécessité de protéger l’anonymat afin d’encourager des déclarations volontaires, je ne peux conclure que des raisons d’intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée.

 

Compte tenu de la réponse définitive donnée par Santé Canada le 9 septembre 2005, je considère que la présente plainte est réglée. Je sais gré à M. McKie et à vous de la patience et de la coopération dont vous avez fait montre tout au long de cette enquête.

[Non souligné dans l’original. Les renvois à la « Loi » sont, bien entendu, des renvois à la « Loi sur l’accès à l’information »]

 

[9]                                        La procédure s’est poursuivie. Comme il a été indiqué plus tôt, le seul litige porté devant la Cour est la non-communication du champ « province » de la base de données CADRIS, non‑communication que justifie le défendeur par l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information. Comme il a été également indiqué antérieurement, le terme « province » dans le système CADRIS renvoie à la province d’où vient la déclaration d’un effet indésirable, ce qui dans la majorité des cas ne serait pas nécessairement la même province que la province de résidence de la personne qui subit présumément l’effet indésirable.

 

DISPOSITONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[10]                                   Les dispositions législatives pertinentes sont vastes. Elles sont énoncées au complet dans une annexe jointe aux présents motifs. Voici une brève description des dispositions énoncées dans l’annexe.

 

[11]                                   La présente procédure a été introduite en vertu de l’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information[4] (la Loi). Voici les dispositions de la Loi pertinentes quant à la procédure :

 

-           L’article 2 énonce l’objet de la Loi et sa complémentarité avec les autres procédures régissant l’accès aux renseignements détenus par le gouvernement.

 

-           L’article 3 de la Loi définit, entre autres, les termes et expression « Cour », « institution fédérale » et « document » aux fins de la Loi.

 

-           L’article 19 de la Loi interdit la communication des « renseignements personnels » visés à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et lève cette interdiction, entre autres, dans les circonstances où la communication est conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

-           L’article 41 de la Loi prévoit le pouvoir de l’institution et le règlement de procédures semblables à celle qui est portée devant la Cour.

 

-           L’article 48 de la Loi traite du « fardeau de la preuve » dans une procédure semblable à celle‑ci.

 

-           L’article 49 de la Loi traite du règlement d’une procédure semblable à celle de l’espèce lorsque la Cour conclut au bon droit de la personne qui a exercé le recours en révision d’une décision de refus de communication. L’article 19 de la Loi n’est pas mentionné à l’article 50 de la Loi.

 

-           La mention du ministère de la Santé dans l’annexe 1 de la Loi a pour effet d’inclure ce ministère dans la définition d’« institution fédérale » figurant à l’article 3.

 

[12]                                   Les dispositions suivantes de la Loi sur la protection des renseignements personnels[5] sont pertinentes :

 

-           L’article 2 définit l’objet de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

-           L’article 3 définit aux fins d’application de la Loi sur la protection des renseignements personnels entre autres l’expression « renseignements personnels », mais exclut, pour l’application de certains articles, notamment l’article 19 de la Loi, certains renseignements qui autrement seraient visés par cette définition.

 

-           L’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, et particulièrement le sous-alinéa 8(2)m)(i), compte tenu des faits de l’espèce, interagit avec l’alinéa 9(2)c) de la Loi.

 

RÉPARATIONS DEMANDÉES

[13]                                   Les réparations demandées par le demandeur sont citées au paragraphe 1 des présents motifs. Le défendeur cherche à faire rejeter la demande avec dépens. L’intervenante ne sollicite aucune réparation précise.

 

LES QUESTIONS

[14]                                   Le demandeur fait valoir au paragraphe 56 de son mémoire des faits et du droit que les questions suivantes sont soulevées par la présente demande :

a)  Quelle est la norme de contrôle judiciaire appropriée pour la décision de Santé Canada de ne pas communiquer le champ « province » contenu dans la base de données CADRIS?

b)  La communication du champ « province » demandée constitue‑t‑elle une communication de renseignements personnels? Plus précisément, la communication du champ « province » permet-elle l’identification d’un individu, donnant ainsi d’autres renseignements, des renseignements personnels visés par l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels?

c)  En supposant que la communication du champ « province » ou de la « province » ne constitue pas un renseignement personnel en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, Santé Canada peut-il invoquer une autre exception du champ « province » en vertu de la Loi sur l’accès à l’information?

 

 

 

[15]                                   Le défendeur reformule les questions dans son mémoire des faits et du droit comme suit :

a)  Santé Canada a‑t‑il conclu à bon droit que le champ « province » dans la base de données CADRIS est assujetti à l’exception obligatoire de communication prévue au paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information?

 

b)  Santé Canada « abuse‑t‑il de son pouvoir discrétionnaire » en concluant que la communication ne doit pas se faire en vertu du paragraphe 19(2) de la Loi?

 

[16]                                   L’intervenante n’a présenté aucun énoncé de questions dans son mémoire des faits et du droit, mais a présenté des observations détaillées et très utiles, tant par écrit qu’oralement, à l’audition de la présente affaire, sous les rubriques [traduction] « Le critère approprié à appliquer pour déterminer si les renseignements personnels "concernent un individu identifiable" et « Pondération des intérêts inhérente au sous‑alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels ». Les sous-titres de la première rubrique comprennent « L’importance de la protection des renseignements personnels dans la société canadienne ».

 

[17]                                   La norme de contrôle judiciaire, mentionnée dans la liste des questions du demandeur, est bien entendu essentielle pour les décisions à l’égard de toutes les demandes semblables à la présente. Il y a beaucoup de chevauchement entre les autres questions proposées au nom du demandeur et celles proposées au nom du défendeur.

 

ANALYSE

1.  Norme de contrôle

[18]                                   Dans l’affaire Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada)[6], le juge Gonthier a écrit, au nom de la Cour, dans le contexte d’une brève analyse pragmatique et fonctionnelle et après avoir cité le paragraphe 2(1) de la Loi :

Selon moi, l’adoption d’une norme de contrôle qui commande une moins grande retenue sert cet objectif. Sous le régime fédéral, les personnes chargées de répondre aux demandes de renseignements sont des représentants de l’institution fédérale en cause. Cette situation diffère donc de celle créée par de nombreuses lois provinciales sur l’accès à l’information qui prévoient l’examen des demandes de renseignements par un tribunal administratif indépendant du pouvoir exécutif. … Une norme de contrôle qui comporte une moins grande retenue est donc conforme à l’objet déclaré de la loi, selon lequel les décisions quant à la communication de documents de l’administration fédérale doivent être susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif. Par ailleurs, les personnes chargées de répondre aux demandes de renseignements sous le régime de la Loi sur l’accès à l’information pourraient être portées à interpréter les exceptions à la communication d’une manière libérale qui favorise leur institution … À cet égard, l’exercice de pouvoirs de contrôle étendus concorderait avec l’objet déclaré de la loi, qui est de consacrer le principe du droit du public à la communication des documents de l’administration fédérale, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées.

 

[Renvois omis.]

 

Il a conclu que, sur le fondement des faits de l’affaire portée devant lui, pour bon nombre des éléments essentiels qui sont similaires au contexte factuel de l’espèce, la norme de contrôle de judiciaire appropriée était la « décision correcte ».

 

[19]                                   L’avocate du demandeur a fait valoir que, dans l’espèce, le défendeur était tenu d’interpréter l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Elle soutient par conséquent que, comme dans le précédent ci‑dessus, le fait que le responsable d’une institution fédérale est chargé d’interpréter la loi milite en faveur de l’octroi de vastes pouvoirs de contrôle judiciaire. Donc, l’avocate fait valoir que la norme de contrôle judiciaire appropriée compte tenu des faits de la présente affaire est « la décision correcte ».

 

[20]                                   L’avocat du défendeur soutient que ce qui précède devrait être restreint dans des circonstances, comme en l’espèce, où le Commissaire à l’information du Canada a exprimé une opinion selon laquelle il convient de ne pas divulguer des renseignements en raison de préoccupations en matière de vie privée. Dans la décision Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information)[7], mon collègue le juge Dawson a écrit au paragraphe 84 de ses motifs :

…La communication peut uniquement être ordonnée par la Cour fédérale dans le cas où, une fois terminée l’enquête du commissaire, le demandeur d’accès ou le Commissaire exerce, conformément à l’article 41 ou 42 de la Loi, un recours en révision pour refus subséquent de communication d’un document. En pareil cas, la Cour bénéficiera de l’enquête et du rapport du commissaire. La présente cour et la Cour d’appel fédérale ont statué que l’avis motivé du commissaire est un facteur dont il faut tenir compte dans le cadre d’un contrôle judiciaire exercé par la présente cour. …

[Renvois omis.]

 

 

 

Je suis convaincu que le passage susmentionné n’est pas incompatible avec les directives formulées par le juge Gonthier de la Cour suprême du Canada. En fait, je suis d’avis que cet extrait est tout à fait compatible avec ces directives, compte tenu de l’indépendance du Commissaire à l’information à l’égard du gouvernement.

 

[21]                                   En outre, l’avocat du défendeur fait valoir que, lorsque le défendeur décide de refuser la communication du champ « province » au motif que ce champ constitue des renseignements personnels visés par l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, il faut faire preuve d’une plus grande retenue à l’égard de cette décision parce que l’exception à la règle générale figurant au paragraphe 19(1) de la Loi est entièrement discrétionnaire. La décision de ne pas exercer ce pouvoir discrétionnaire se fonde, selon les faits de la présente affaire, sur la conclusion que la communication ne serait pas conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Donc, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de ne pas communiquer des renseignements comporte une interprétation de la loi.

 

[22]                                   Dans l’arrêt Dagg c. Canada (Ministère des Finances)[8] (Dagg), le juge LaForest a écrit, au paragraphe 110 :

Dans Kelly c. Canada (Solliciteur général)…le juge Strayer a analysé la méthode générale à adopter à l’égard des exemptions discrétionnaires prévues à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il affirme, à la p. 149 :

 

Comme on peut le voir, ces exemptions exigent que le responsable d’un établissement prenne deux décisions : 1) une décision de fait sur la question de savoir si les renseignements en question correspondent à la description de renseignements susceptibles de ne pas être divulgués; et 2) une décision discrétionnaire sur la question de savoir s’il convient néanmoins de divulguer lesdits renseignements.

 

Le premier type de décision est, je crois, révisable par la Cour et celle‑ci peut y substituer sa propre conclusion, sous réserve, à mon avis, de la nécessité de faire preuve d’une certaine déférence envers les décisions des personnes qui, de par les responsabilités institutionnelles qu’elles assument, sont mieux placées pour juger la question . . .

 

Le second type de décision est purement discrétionnaire. À mon sens, en révisant une telle décision la Cour ne devait pas tenter elle-même d’exercer de nouveau le pouvoir discrétionnaire, mais plutôt examiner le document en question et les circonstances qui l’entourent et se demander simplement si le pouvoir discrétionnaire semble avoir été exercé de bonne foi et pour un motif qui se rapporte de façon logique à la raison pour laquelle il a été accordé.

 

J’estime qu’il s’agit de la bonne façon d’aborder la révision de l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au sous‑al. 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

 

[23]                                   Je suis convaincu que l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 19(2) de la Loi correspond au « second type de décision », c’est‑à-dire une décision purement discrétionnaire dont il est fait état dans la citation susmentionnée.

 

[24]                                   En conséquence, j’estime que la norme de contrôle appropriée dans la présente demande est celle de la décision correcte, sous réserve des deux restrictions susmentionnées qu’a fait valoir le défendeur : le fait que le commissaire a participé à cette affaire et a appuyé la décision du défendeur de maintenir l’exception du champ « province » est un facteur dont la Cour doit tenir compte comme restriction de la norme de contrôle judiciaire de la décision correcte relativement à l’exception demandée en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi; la décision du défendeur de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 19(2) de communiquer malgré tout le contenu du champ « province » ne devrait faire l’objet d’un contrôle que pour décider si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi et pour un motif logiquement lié au but pour lequel le pouvoir discrétionnaire a été accordé.

 

2.  La décision selon laquelle le champ « province » est visé par le paragraphe 19(1) de la Loi

 

                        a) Renseignements personnels

[25]                                   La définition de l’expression « renseignements personnels » qui s’applique à la Loi sur la protection des renseignements personnels se trouve à l’article 3, et est libellée comme suit : « …les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable … ». Cette définition large est précisée à l’aide de neuf (9) catégories de renseignements énumérées et non exhaustives. Les exceptions faites à la vaste définition sont ensuite énumérées, entre autres aux fins de l’application de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information et, parmi ces exceptions, une seule pourrait s’appliquer en l’espèce : « un individu décédé depuis plus de vingt ans ». Une bonne part de l’issue de la présente affaire dépend de l’interprétation donnée au mot « concernant » dans la définition générale de « renseignements personnels ».

 

[26]                                   Le paragraphe 19(1) de la Loi prévoit que le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant les renseignements personnels visés à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le paragraphe 19(2) prévoit un pouvoir discrétionnaire grâce auquel le responsable d’une institution fédérale peut donner communication de documents contenant des renseignements personnels dans trois cas donnés, dont un seul s’applique à la présente affaire et c’est celui qui prévoit que « la communication est conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

[27]                                   Le paragraphe 8(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit que les renseignements personnels ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l’individu qu’ils concernent, que conformément au paragraphe (2) du même article. Le paragraphe 8(2) prévoit que les renseignements personnels peuvent être communiqués dans treize (13) cas énumérés, dont un seul s’applique à la présente affaire. Ce cas est formulé en ces termes :

m) communication à toute autre fin dans les cas où, de l’avis du responsable de l’institution,

(i) des raisons d’intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée,

 

[28]                                   Dans l’arrêt Dagg[9], le juge LaForest a décrit l’interprétation de l’article 19 de la Loi comme résultant « … d’un conflit entre deux principes opposés consacrés par la loi – l’accès à l’information et la protection des renseignements personnels ». Dans l’arrêt H.J. Heinz Co. of Canada Ltd. c. Canada (Procureur général)[10], la juge Deschamps a écrit au nom de la majorité de la Cour, au paragraphe 26 de ses motifs :

Cependant, le lien étroit qui existe entre le droit d’accès à l’information et le droit à la vie privée ne signifie pas qu’il y a lieu d’accorder en tout temps une valeur égale à tous les droits. Le régime législatif établi par la LAI et la LPRP indique clairement que, lorsqu’il est question des renseignements personnels d’un individu, le droit à la vie privée l’emporte sur le droit d’accès à l’information, sauf dans la mesure prévue par la loi. Les deux lois comportent des interdictions de divulguer des renseignements personnels, plus particulièrement à l’art. 8 de la LPRP et à l’art. 19 de la LAI. Ainsi, bien que le droit à la vie privée soit l’élément déterminant de la LPRP, il est également reconnu et appliqué par la LAI.

 

À propos de cette question, la juge Deschamps a conclu au paragraphe 29 :

Il ressort donc clairement du régime législatif établi par la LAI et la LPRP que, lorsqu’il est question des renseignements personnels d’un individu, le droit à la vie privée l’emporte sur le droit d’accès à l’information [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[29]                                   Au paragraphe 28 de l’arrêt Heinz, précité, la juge Deschamps a noté :

… Cette mesure législative a une telle importance que notre Cour l’a qualifiée de « quasi constitutionnelle » en raison du rôle que joue la protection de la vie privée dans le maintien d’une société libre et démocratique : ….

 [Renvois omis.]

 

[30]                                   C’est dans ce contexte que doit être examinée la décision du défendeur de ne pas divulguer le champ « province » dans la base de données CADRIS dont il assure la tenue.

 

b)  Le contenu du champ « province » constitue‑t‑il des renseignements personnels?

 

[31]                                   Comme il a été noté précédemment, le champ « province » n’indique pas nécessairement la province de résidence de l’individu qui a souffert ou qui semblerait avoir souffert d’un effet indésirable d’un médicament. Ce champ révèle plutôt l’endroit, par province, – et le terme « province » inclut dans le présent contexte les trois territoires du Nord canadien– de la personne, au sens le plus large du terme, qui remplit la déclaration. La question devient alors, est-ce que le contenu du champ « province » constitue des renseignements concernant un individu identifiable?

 

[32]                                   Dans l’arrêt Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Bureau d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports)[11], la juge Desjardins a écrit au nom de la Cour, au paragraphe 43 :

Ces deux mots, « concernant » et « about », nous apprennent peu de chose sur la nature précise des renseignements qui se rapportent à l’individu, si ce n’est pour dire que les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, sont pertinents s’il s’agit de renseignements « concernant » un individu et s’ils permettent d’identifier l’individu ou rendent possible son identification. Il existe des précédents selon lesquels un individu « identifiable » est une personne dont il est raisonnable de croire qu’elle pourra être identifiée à l’aide des renseignements en cause s’ils sont combinés avec des renseignements d’autres sources.

 

[Renvois omis, non souligné dans l’original.]

 

 

[33]                                   Ainsi, les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, sont des renseignements « concernant » un individu s’ils « permettent » d’identifier l’individu ou « rendent possible » son identification, que ces renseignements soient utilisés seuls ou combinés avec des renseignements d’autres sources, y compris les sources auxquelles le public a accès.

 

[34]                                   Les avocats de l’intervenante, la commissaire à la protection de la vie privée, ont fait valoir l’adoption du critère suivant pour déterminer à quel moment les renseignements sont des renseignements concernant un individu identifiable :

Les renseignements seront des renseignements concernant un individu identifiable lorsqu’il y a de fortes possibilités que l’individu puisse être identifié par l’utilisation de ces renseignements, seuls ou en combinaison avec des renseignements d’autres sources.

 

À mon avis, cette affirmation est appropriée au regard du texte applicable.

 

[35]                                   Comme nous l’avons vu, il incombe au défendeur d’établir qu’il avait le droit de refuser de communiquer le champ « province » dans la base de données CADRIS. Comme je l’ai également indiqué, le défendeur a, pour s’acquitter de ce fardeau, déposé trois (3) affidavits : celui de Bill Wilson, chef, Unité de base de données et de terminologie – Direction des produits de santé commercialisés de Santé Canada; celui de Ross Hodgins, directeur, Accès à l’information et Protection des renseignements personnels de Santé Canada; et celui d’Ann Brown, consultante en statistique principale, Groupe de la consultation statistique – Divison des méthodes d’enquêtes sociales de Statistique Canada.

 

[36]                                   Aucun des souscripteurs d’affidavit du défendeur n’a été appelé à témoigner à titre d’expert. Ils ont tous les trois (3) été contre-interrogés sur leur affidavit. Ils ont fourni des réponses raisonnablement détaillées aux engagements donnés dans le contre-interrogatoire.

 

[37]                                   Sous la rubrique [traduction] « Risque d’identification de renseignements personnels en cas de communication du champ « province », M. Wilson a déclaré :

[TRADUCTION] 22.  Une première indication d’un tel risque réside dans la taille de la masse de renseignements que contient la base de données en ce qui concerne les petites provinces et territoires. Selon les évaluations postcensitaires préliminaires de Statistique Canada pour le 1er janvier 2006, la population de l’île‑du‑Prince‑Édouard, par exemple, est de 138 157 habitants (comparativement à 865 500 pour Ottawa). De plus, il n’y a que neuf hôpitaux dans la province. Les territoires, eux aussi, envoient des déclarations sur les effets indésirables et leur population est très petite : Yukon 31 150 habitants, Territoires du Nord‑Ouest 42 526 habitants et Nunavut 30 245 habitants. Le nombre de déclarations en provenance de ces petites provinces et territoires est relativement faible. (En 2005, treize déclarations provenaient de l’île‑du‑Prince‑Édouard, cinq du Yukon, trois des Territoires du Nord‑Ouest et aucune du Nunavut.) Si l’on tient compte parallèlement des autres renseignements divulgués, c’est-à-dire hauteur, poids, âge, description de l’effet et type du déclarant, on peut établir des liens avec des individus donnés[12].

 

 

 

[38]                                   Au paragraphe 27 de son affidavit, M. Wilson déclare :

[TRADUCTION] Comme autre test utilisé pour déterminer la capacité d’un tiers d’obtenir des renseignements personnels, j’ai examiné les renseignements de la base de données auxquels le public avait accès en parallèle avec les notices nécrologiques sur Internet. La combinaison de ces deux sources de renseignements m’a permis, avec une facilité relative, d’identifier les renseignements personnels si la province était connue. …

 

Il a conclu, au paragraphe 28 de son affidavit :

[TRADUCTION] …l’identification de renseignements personnels est beaucoup plus difficile sans la connaissance du champ « province » parce que le nombre de déclarations d’EI [effets indésirables] et les renseignements secondaires correspondants d’accès public peut être très élevé sans la connaissance du champ « province ». Toutefois, avec ce champ, des renseignements personnels jumelés à des renseignements publics disponibles, tels que les notices nécrologiques ou d’autres renseignements connus de quelqu’un, tel un voisin ou un membre du personnel hospitalier, facilite extrêmement l’identification de l’individu.

 

[39]                                   Enfin, aux paragraphes 29 et 30 de son affidavit, M. Wilson a fait la déclaration suivante quant à l’utilisation réelle des renseignements déjà divulgués dans la base de données CADRIS :

[TRADUCTION] La possibilité de l’identification de renseignements personnels, de la façon décrite ci‑dessus, n’est pas purement théorique. Même en l’absence d’information sur la province, en 2003, CBC a utilisé les renseignements de la base de données CADRIS en combinaison avec les notices nécrologiques pour identifier une étudiante de 26 ans appelée Kathrina Agelidis et aborder la famille afin d’établir un lien possible entre le médicament qu’elle avait pris et son décès. Les détails de ce rapport tiré du site web de CBC sont annexés aux présentes … Le tableau et les autres renseignements fournis ... figurent parmi les autres renseignements publics disponibles fournis sur le site de CBC relativement à ce rapport.

 

Le rapport de CBC reflète de l’incertitude quant à savoir si la personne en question est la même que celle qui est inscrite dans la base de données CADRIS. Une telle incertitude serait réduite considérablement, voire complètement éliminée, si le champ « province » avait été fourni comme le demandait le demandeur.

 

 

[40]                                   M. Hodgins a témoigné en réponse à l’affidavit de David MacKie, déposé pour le compte du demandeur au sujet du processus ayant mené à la présente affaire et du fondement de l’exception du champ « province » et des considérations ayant amené le défendeur à ne pas exercer le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 19(2) de la Loi. Relativement au fondement de l’exception du champ « province », il a déclaré, au paragraphe 9 de son affidavit :

[TRADUCTION] Santé Canada a jugé que la communication du champ « province » dans la base de données CADRIS entraînerait la communication de renseignements concernant un individu identifiable, qu’il s’agisse du déclarant ou du patient lui‑même. Comme il a été indiqué de façon plus détaillée dans l’affidavit de Bill Wilson, cette conclusion était fondée sur le fait que le nombre d’inscriptions dans la base de données devient extrêmement restreint lorsque le champ « province » est fourni en parallèle avec d’autres renseignements publics disponibles, rendant ainsi très élevé le risque de communication de renseignements personnels … .[13]

 

[41]                                   Dans son affidavit, Ann Brown déclare, au paragraphe 4 :

[TRADUCTION] En avril 2006, Santé Canada m’a demandé d’établir une évaluation de l’impact de la communication du champ « province » sur la capacité de tiers d’identifier des déclarations individuelles, uniques ou presque uniques à partir des champs de la base de données CADRIS auxquels le public a accès. Bill Wilson de Santé Canada m’a fourni les données brutes de CADRIS en format électronique. J’ai commencé à me familiariser avec le contenu et le fonctionnement des données CADRIS. Cette démarche incluait notamment l’identification de champs qui pourraient être utilisés par quelqu’un qui essaie de relier des renseignements publics disponibles dans la base de données à un individu connu ou à des renseignements concernant un individu connu. Les champs choisis ont été les suivants:

a)  « année de réception à la DPSC » (Direction des produits de santé commercialisés) : cela correspond à l’année inscrite au champ « date de réception à la DPSC » dans la base de données CADRIS;

b)  « suite » : champ « suite »;

c)  « sexe » : champ « sexe »;

d)  « âge au moment de l’effet indésirable » : cela correspond au champ « âge » dans la base de données CADRIS[14].

 

[42]                                   Mme Brown a conclu, au paragraphe 9 de son affidavit :

[TRADUCTION] Les colonnes [pièce « A » de l’affidavit de Mme Brown], sous la rubrique « après ajout de la province », indiquent les variations du nombre de déclarations en question lorsque le champ « province » est ajouté. Dans le cas des déclarations uniques comprenant l’ensemble des cinq champs, par exemple, le nombre de déclarations uniques augmente de plus 16 000 lorsque le champ « province » est ajouté.

 

Les « déclarations uniques » dans la citation précédente représentent les situations où il n’y a qu’une seule déclaration pour une combinaison de champs donnés. Par exemple, les quatre (4) champs concernant une déclaration unique pourraient être : « Année d’envoi à la DPSC = 2002; Suite = Décédé à cause de l’effet indésirable; Sexe = Femme : Âge au moment de l’effet indésirable = 26 », soit la combinaison de champs pertinents pour feue Mme Agelidis mentionnée dans la citation au paragraphe 39 des présents motifs.

 

[43]                                   J’estime que les témoignages des trois souscripteurs d’affidavit du défendeur, dont des extraits sont reproduits plus haut, lorsqu’ils sont réunis, représentent une preuve substantielle que la communication du champ « province » augmenterait considérablement la possibilité que des renseignements concernant un individu identifiable, quels qu’en soient la forme et le support, puissent tomber entre les mains de personnes cherchant à utiliser la totalité des renseignements divulgués dans la base de données CADRIS, parallèlement avec d’autres renseignements publics disponibles, pour identifier des individus « particuliers ».

 

[44]                                   Dans les observations écrites contenues dans le mémoire des faits et du droit du demandeur et dans l’argumentation orale présentée pour le compte du demandeur à l’audition de la présente affaire, le demandeur a grandement critiqué ces témoignages. Comme nous l’ai mentionné dans les présents motifs, il a fait remarquer qu’aucun des souscripteurs d’affidavit n’a témoigné à titre de témoin expert. Par conséquent, l’avocate a affirmé que le défendeur n’avait pas présenté de témoignage d’expert concernant la probabilité que la communication du champ « province » permette l’identification d’individus particuliers. L’avocate a signalé que les questions suivantes n’ont pas été abordées dans la preuve du défendeur : premièrement, le fait que les effets indésirables ont été sous‑déclarés; deuxièmement, que la base de données CADRIS contient des effets indésirables soupçonnés, ce qui indique qu’il peut n’y avoir aucun effet indésirable des médicaments dans des cas précis; troisièmement, l’identification du médicament en cause; quatrièmement, le nombre de personnes dans la province qui pourraient prendre un médicament donné; cinquièmement, le fait qu’il pourrait y avoir un décalage de six mois entre la réception d’une déclaration et son inclusion dans la base de données CADRIS; enfin, le fait que le nom d’un individu qui subit présumément un effet indésirable ne figure pas dans la base de données CADRIS et n’est pas communiqué au public de quelque autre façon.

 

[45]                                   Enfin, il convient de noter que le demandeur n’a présenté aucune contre‑preuve et que les préoccupations soulevées dans son mémoire des faits et du droit du demandeur sembleraient être celles de personnes qui ne sont certainement pas plus expertes que chacun des témoins du défendeur et qui ont certainement moins d’expertise et moins de connaissances relativement à la base de données CADRIS que l’ensemble des souscripteurs d’affidavit du défendeur.

 

[46]                                   L’avocate du demandeur fait valoir en conclusion de l’évaluation de la preuve présentée à la Cour, au paragraphe 80 du mémoire des faits et du droit du demandeur, que :

[TRADUCTION] Les défendeurs ont complètement échoué dans leur tentative de prouver que l’ajout du champ « province » à d’autres données publiques servirait à augmenter ou à augmenter considérablement les possibilités d’identifier un individu qui souffre de l’effet indésirable d’un médicament.

 

[47]                                   Je ne suis pas d’accord avec elle. J’estime que le défendeur a présenté à la Cour une preuve suffisante pour s’acquitter du fardeau que lui impose l’article 48 de la Loi d’établir le bien‑fondé du refus de communication totale ou partielle d’un document demandé en vertu de la Loi. Autrement dit, je suis d’avis que, compte tenu de la preuve dont dispose la Cour, le défendeur était tenu de refuser de communiquer le contenu du champ « province » conformément au paragraphe 19(1) de la Loi. Le contenu de ce champ, dans toutes les circonstances de l’espèce, constitue « des renseignements personnels » au sens de l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

c)  Refus du défendeur de communiquer le champ « province » dans la base de données CADRIS conformément au paragraphe 19(2) de la Loi

[48]                                   En ce qui concerne le refus du défendeur d’exercer son pouvoir discrétionnaire de communication en vertu du paragraphe 19(2) de la Loi, la question que doit trancher la Cour consiste à savoir si les documents demandés, c’est‑à‑dire le contenu du champ « province », sont tels que leur communication aurait été conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels

 

[49]                                   Comme il a été indiqué plus tôt dans les présents motifs, le seul pouvoir de communication en vertu de l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, sur lequel on a soutenu que le défendeur devait se fonder, est celui‑ci : « …communication à toute autre fin dans le cas où, de l’avis du responsable de l’institution [en l’occurrence le défendeur], des raisons d’intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée… ». De plus, comme il a été également indiqué plus tôt, en décidant s’il devait exercer son pouvoir discrétionnaire de communication par la mise en balance l’intérêt public qui justifie la divulgation et l’éventuelle violation de la vie privée qui pourrait en résulter, le défendeur était tenu de garder à l’esprit que la Loi sur la protection des renseignements personnels a été qualifiée de « quasi constitutionnelle » en raison du rôle que joue la protection de la vie privée dans le maintien d’une société libre et démocratique[15].

 

[50]                                   L’avocate du demandeur fait valoir que l’accès au champ « province » ne relève pas d’une simple curiosité. Il s’agit plutôt de l’objectif légitime d’informer le public au sujet de la santé et de la sécurité des citoyens sans violer leurs droits à la vie privée. Elle fait valoir que la seule preuve présentée pour le compte défendeur est [traduction] « …arbitraire, non scientifique et purement anecdotique et…[qu’elle est] parsemée d’hypothèses et d’affirmations selon lesquelles le risque d’identification augmenterait considérablement, et ce, sans [preuve] crédible que c’est effectivement le cas ».

 

[51]                                   Cela dit, le demandeur n’a présenté aucune preuve contraire à celle du défendeur et, en particulier, aucune preuve de la façon dont la santé et la sécurité du public seraient améliorées en cas de communication du champ « province », sans empiéter en même temps sur les droits à la vie privée.

 

[52]                                   Dans l’arrêt Dagg[16], le juge Laforest a écrit, au paragraphe 113 :

Rien ne prouve, comme c’était le cas dans l’affaire Rubin, précitée, que le Ministre n’a pas bien examiné la preuve. Il appert qu’il a examiné la demande de l’appelant visant à renoncer à invoquer l’intérêt public, à la lumière des objets des lois en cause, et qu’il en est venu à décider que des raisons d’intérêt public « ne justifiaient pas nettement » une éventuelle violation de la vie privée. Il s’agit là d’une conclusion qu’il était en droit de tirer. Si notre Cour écartait cette décision, cela reviendrait à substituer sa perception de l’affaire à celle que le Ministre en avait. Pareil résultat porterait gravement atteinte à l’objet de la loi en cause et constituerait une usurpation injustifiée du rôle dont elle a investi le Ministre.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

J’estime qu’on pourrait dire précisément la même chose, particulièrement pour appuyer la décision du défendeur de ne pas exercer le pouvoir discrétionnaire en matière de communication qui lui a été accordé par le commissaire à l’information après une longue participation dans le différend entre le demandeur et le défendeur sur cette demande d’accès.

 

CONCLUSION

[53]                                   Pour ces motifs, la présente demande sera rejetée.

 

DÉPENS

[54]                                   Le défendeur sollicite ses dépens dans la présente demande. Normalement, les dépens suivent l’issue de la cause. Je ne vois aucune raison en l’espèce de m’écarter de cette façon de faire. Les dépens seront adjugés au défendeur, le demandeur étant condamné aux dépens.

 

[55]                                   Il n’y aura aucune adjudication de dépens en faveur ou à l’encontre de l’intervenante.

 

« Frederick E. Gibson »

juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 27 février 2008

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-347-06

 

INTITULÉ :                                       MIKE GORDON ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET LA COMMISSAIRE À LA VIE PRIVÉE DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 4 FÉVRIER 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE GIBSON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 27 FÉVRIER 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mme Julie Thibault

 

POUR LE DEMANDEUR

M. John Tyhurst et M. Kris Klein

 

POUR LE DÉFENDEUR

M. Steven Welchner et Mme Nathalie Daigle

POUR L’INTERVENANTE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Services juridiques de la Société Radio‑Canada

(Ottawa)

 

POUR LE DEMANDEUR

FOR THE APPLICANT

Heenan Blaikie, s.r.l.

Ottawa

 

POUR LE DÉFENDEUR

FOR THE RESPONDENT

Welchner Law Office

Professional Corporation

Ottawa

 

POUR L’INTERVENANTE

 

FOR THE INTERVENER


ANNEXE

 

           Loi sur l’accès à l’information                    Access to Information Act

 

 

2. (1) La présente loi a pour objet d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

 

2. (1) The purpose of this Act is to extend the present laws of Canada to provide a right of access to information in records under the control of a government institution in accordance with the principles that government information should be available to the public, that necessary exceptions to the right of access should be limited and specific and that decisions on the disclosure of government information should be reviewed independently of government.

 

(2) La présente loi vise à compléter les modalités d’accès aux documents de l’administration fédérale; elle ne vise pas à restreindre l’accès aux renseignements que les institutions fédérales mettent normalement à la disposition du grand public.

(2) This Act is intended to complement and not replace existing procedures for access to government information and is not intended to limit in any way access to the type of government information that is normally available to the general public.

 

 

3.  Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

3.  In this Act,

 

« Cour » La Cour fédérale.

 

"Court" means the Federal Court;

 

« institution fédérale »

 

"government institution" means

a) Tout ministère ou département d’État relevant du gouvernement du Canada, ou tout organisme, figurant à l’annexe I;

 

(a) any department or ministry of state of the Government of Canada, or any body or office, listed in Schedule I, and

 

b) toute société d’État mère ou filiale à cent pour cent d’une telle société, au sens de l’article 83 de la Loi sur la gestion des finances publiques.

 

(b) any parent Crown corporation, and any wholly-owned subsidiary of such a corporation, within the meaning of section 83 of the Financial Administration Act;

 

« document » Éléments d’information, quel qu’en soit le support.

 

"record" means any documentary material, regardless of medium or form;

19. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant les renseignements personnels visés à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

19. (1) Subject to subsection (2), the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains personal information as defined in section 3 of the Privacy Act.

 

(2) Le responsable d’une institution fédérale peut donner communication de documents contenant des renseignements personnels dans les cas où :

2) The head of a government institution may disclose any record requested under this Act that contains personal information if

c) la communication est conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

(c) the disclosure is in accordance with section 8 of the Privacy Act.

41. La personne qui s’est vu refuser communication totale ou partielle d’un document demandé en vertu de la présente loi et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à l’information peut, dans un délai de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 37(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l’expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation.

 

41. Any person who has been refused access to a record requested under this Act or a part thereof may, if a complaint has been made to the Information Commissioner in respect of the refusal, apply to the Court for a review of the matter within forty-five days after the time the results of an investigation of the complaint by the Information Commissioner are reported to the complainant under subsection 37(2) or within such further time as the Court may, either before or after the expiration of those forty-five days, fix or allow.

 

48. Dans les procédures découlant des recours prévus aux articles 41 ou 42, la charge d’établir le bien-fondé du refus de communication totale ou partielle d’un document incombe à l’institution fédérale concernée.

 

48. In any proceedings before the Court arising from an application under section 41 or 42, the burden of establishing that the head of a government institution is authorized to refuse to disclose a record requested under this Act or a part thereof shall be on the government institution concerned.

 

49. La Cour, dans les cas où elle conclut au bon droit de la personne qui a exercé un recours en révision d’une décision de refus de communication totale ou partielle d’un document fondée sur des dispositions de la présente loi autres que celles mentionnées à l’article 50, ordonne, aux conditions qu’elle juge indiquées, au responsable de l’institution fédérale dont relève le document en litige d’en donner à cette personne communication totale ou partielle; la Cour rend une autre ordonnance si elle l’estime indiqué.

 

49. Where the head of a government institution refuses to disclose a record requested under this Act or a part thereof on the basis of a provision of this Act not referred to in section 50, the Court shall, if it determines that the head of the institution is not authorized to refuse to disclose the record or part thereof, order the head of the institution to disclose the record or part thereof, subject to such conditions as the Court deems appropriate, to the person who requested access to the record, or shall make such other order as the Court deems appropriate

ANNEXE I

(article 3)

INSTITUTIONS FÉDÉRALES

MINISTÈRES ET DÉPARTEMENTS D’ÉTAT

 

SCHEDULE I

(Section 3)

GOVERNMENT INSTITUTIONS

DEPARTMENTS AND MINISTRIES OF

STATE

 

Ministère de la Santé

 

Department of Health

 

 

Loi sur la protection des renseignements personnels

 

Hghggh…

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en matière de protection des renseignements personnels relevant des institutions fédérales et de droit d’accès des individus aux renseignements personnels qui les concernent.

 

2. The purpose of this Act is to extend the present laws of Canada that protect the privacy of individuals with respect to personal information about themselves held by a government institution and that provide individuals with a right of access to that information.

 

3. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

3. In this Act,

 

…………..

« renseignements personnels » Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment :

"personal information" means information about an identifiable individual that is recorded in any form including, without restricting the generality of the foregoing,

…………

toutefois, il demeure entendu que, pour l’application des articles 7, 8 et 26, et de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant :

 

but, for the purposes of sections 7, 8 and 26 and section 19 of the Access to Information Act, does not include

 

..........x…..

m) un individu décédé depuis plus de vingt ans.

 

(m) information about an individual who has been dead for more than twenty years;

 

xxxxxx…..

8(2) Sous réserve d’autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants :

Xxxxx88(2) Subject to any other Act of Parliament, personal information under the control of a government institution may be disclosed

xxxxxx…..

m) communication à toute autre fin dans les cas où, de l’avis du responsable de l’institution :

 

 (m) for any purpose where, in the opinion of the head of the institution,

 

(i) des raisons d’intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée,

 

 (i) the public interest in disclosure clearly outweighs any invasion of privacy that could result from the disclosure, or

 

xxxxxx…..

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] La brève description du système CADRIS contenue dans ce paragraphe est tirée des paragraphes 1 à 10 de l’affidavit de Bill Wilson déposé dans la présente affaire et signé sous serment le 5 juillet 2006.

[2] Paragraphe 7 de l’affidavit de Bill Wilson, note en bas de page 1.

[3] Dossier de la demande du défendeur, pages 15 à 18, pièce C à l’affidavit de Bill Wilson cité dans la note en bas de page 1.

[4] L.R., 1985, ch. A-1.

[5] L.R.C. 1985, ch. P-21.

[6] [2003] 1 R.C.S. 66.

[7] (2004), 32 C.P.R. (4th) 464 (C.F.).

[8][1997] 2 R.C.S. 403 (le juge LaForest est dissident, mais il souscrit à l’opinion majoritaire sur ce point).

[9] Supra, note en bas de page 8.

[10] [2006] 1 R.C.S. 441.

[11] [2007] 1 R.C.F. 203 (C.A.F.).

[12] Dossier de la demande du défendeur, volume 1, page 0008.

[13] Dossier de demande du défendeur, volume 1, pages 0067 et 0068.

[14] Dossier de demande du défendeur, volume 1, page 0062.

[15] Voir la brève citation au paragraphe 29 des présents motifs.

[16] Supra, note en bas de page 8.

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