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Date : 20080110

Dossier : T-1415-04

Référence : 2008 CF 33

Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2008

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SUPPLÉANT BARRY STRAYER

 

 

ENTRE :

DORA SFETKOPOULOS, DAVID MCGREGOR,

PRISCILLA LAVELL, EUGENE HARACK, ROBIN TURNEY,

RONALD FOLZ, MICHAEL GIBBISON, TIMOTHY DEGANS,

MARK HUKULAK, LEONARD SISSON, PAUL MANNING,

RON REID, RON SPECK, JOHN LOBRAICO, EDDIE WALLACE,

MICHAEL DELARMEE, RONALD GEORGE WILSON,

et JEFFREY LONG

demandeurs

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire. Les demandeurs demandent à la Cour de déclarer invalide le paragraphe 41(b.1) du Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales, DORS/2001-227 (le RAMM). Les demandeurs ont retiré la requête, présentée dans la première demande, en obtention d’un bref de mandamus ordonnant au ministre de la Santé d’autoriser la désignation de Carasel Harvest Supply Corporation (Carasel) à titre de producteur de marihuana à des fins médicales pour tous les demandeurs. Les demandeurs demandent plutôt que l’affaire soit renvoyée au ministre pour nouvel examen. Ils demandent aussi que la Cour garde un pouvoir de contrôle sur Santé Canada pour la mise en œuvre d’un processus révisé permettant à un producteur désigné de marihuana à des fins médicales d’en produire pour plus d’un utilisateur à la fois.

 

LES FAITS

 

[2]               Le RAMM permet à certaines personnes de présenter une demande au ministre de la Santé pour obtenir une autorisation de possession (AP) de marihuana séchée. La demande doit démontrer que le demandeur souffre d’une maladie en phase terminale, au sens du Règlement, de symptômes associés à une telle maladie, ou de certaines autres maladies dont les symptômes, selon les professionnels de la santé, pourraient être atténués par l’utilisation de la marihuana. Le Règlement limite les sources licites d’approvisionnement en marihuana séchée aux titulaires d’AP qui produisent leur marihuana eux-mêmes, aux personnes que les titulaires d’AP désignent comme producteurs, ou aux producteurs titulaires de licences. Si le titulaire d’AP produit sa propre marihuana, il doit détenir une licence de production à des fins personnelles (LPP). S’il l’obtient d’une personne qu’il a désignée comme producteur, cette personne doit obtenir une licence de production à titre de personne désignée (LPPD). Ce titulaire de licence ne peut obtenir une licence de production que pour un seul utilisateur (RAMM, paragraphe 41(b.1)) et ne peut produire de la marihuana en commun avec plus de deux autres titulaires de licence de production (RAMM, article 54.1) Il y a un producteur titulaire de licence au Canada, Prairie Plant Systems (PPS), qui produit de la marihuana dans une mine à Flin Flon (Manitoba) en vertu d’un contrat avec le Gouvernement du Canada. Cette production est transformée à Saskatoon (Saskatchewan).

 

[3]               Tous les demandeurs en l’espèce ont présenté une demande au ministre de la Santé visant à désigner Carasel de Smith Falls (Ontario) comme leur producteur. La gestionnaire de Carasel et son époux étaient titulaires de licences de production de marihuana pour deux des demandeurs. Les demandes des autres demandeurs, qui visaient à faire désigner Carasel comme leur titulaire de LDDP, ont été refusées dans une lettre envoyée le 20 mai 2004 à Carasel par le directeur général du Programme de la stratégie antidrogue et des substances contrôlées de Santé Canada. Cette décision était fondée sur le paragraphe 41(b) du RAMM, qui prévoit :

Le ministre refuse de délivrer la licence de production à titre de personne désignée:

 

[…]

 

b) dans le cas où la personne désignée deviendrait titulaire de plus d’une licence de production si la licence était délivrée;

 

[…]

The Minister shall refuse to issue a designated-person production license [if]

 

[…]

 

(b) the designated person would be the holder of more than one licence to produce;

 

 

 

[…]

 

 

(En fait, le paragraphe 41(b) avait déjà été déclaré invalide, comme je l’expliquerai plus loin, et avait été remplacé par une disposition identique remise en vigueur comme paragraphe 41(b.1).)

 

[4]               La question soulevée dans la présente affaire n’est pas nouvelle. Avant l’adoption du RAMM, les gens souffrant d’une maladie grave qui voulaient obtenir de la marihuana séchée ne disposaient d’aucun recours officiel. La possession de la marihuana était interdite par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, article 4, et par la Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, ch. N-1, article 6. Bien qu’il y ait eu d’autres affaires portant sur la question, la première affaire à faire jurisprudence a été l’arrêt R. c. Parker (2000), 49 O.R. (3rd) 481 de la Cour d’appel de l’Ontario, rendue en juillet 2000. M. Parker souffrait d’épilepsie et avait remarqué qu’il évitait certains symptômes graves lorsqu’il fumait de la marihuana. Il a été accusé de possession et de culture de marihuana. Les témoignages de son médecin et d’experts soutenaient en général l’argument selon lequel la marihuana avait des effets bénéfiques, particulièrement pour les personnes souffrant d’épilepsie. Le juge de première instance avait conclu que la preuve démontrait les effets thérapeutiques de la marihuana dans le traitement de l’épilepsie et que l’interdiction à l’intimé d’en posséder violait l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). Par conséquent, il avait accordé à l’intimé une exemption des lois qui interdisaient la possession de la marihuana. En appel, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé que l’article 4 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (la Loi sur les stupéfiants ayant été abrogée entre-temps) était invalide puisqu’il privait M. Parker de ses droits en matière de liberté et de sécurité, en contravention avec l’article 7 de la Charte. Dans le jugement rendu le 31 juillet 2000, la Cour d’appel de l’Ontario a déclaré que l’article 4 était invalide, mais a suspendu la déclaration pour un an afin de permettre au gouvernement de prévoir une disposition de remplacement conforme à la décision. Un jour avant l’expiration de la suspension, le 30 juillet 2001, la gouverneure en conseil a édicté le RAMM. Ce règlement prévoyait un système pour que les utilisateurs de marihuana à des fins médicales titulaires d’AP puissent en faire la culture et puissent être légalement en possession de marihuana ou puissent en obtenir légalement auprès d’un titulaire de LDDP, mais il restreignait sévèrement l’utilisation des LDDP. Le RAMM interdisait qu’un producteur désigné soit payé et, de façon plus importante, il limitait la production permise pour chaque LDDP à un seul client. Le Règlement a été contesté dans l’affaire Hitzig c. Canada (2003), 171 CCC (3rd) 18, devant la Cour supérieure de l’Ontario. Le 9 janvier 2003, la Cour supérieure a conclu que le Règlement, qui limitait l’approvisionnement d’un titulaire d’AP à de la marihuana qu’il produisait lui-même ou qui était produite par un titulaire de LDDP (lequel titulaire ne pouvait pas être payé et ne pouvait produire que pour un seul utilisateur), était si restreignant qu’il forçait de nombreux utilisateurs à obtenir leur marihuana de façon illicite au marché noir. (À l’époque, PPS n’avait pas encore obtenu de licence pour fournir son produit aux utilisateurs : sa production était alors utilisée à des fins de recherche seulement.) La Cour supérieure a conclu que le règlement privait M. Hitzig de ses droits à la liberté et à la sécurité prévus à l’article 7 de la Charte. Le juge a conclu que les restrictions ne respectaient pas les principes de justice fondamentale parce qu’il n’y avait aucun lien raisonnable entre les restrictions et l’intérêt de l’État. En réponse, en juillet 2003, Santé Canada a élaboré la Politique provisoire pour la fourniture de semences de marihuana et de marihuana séchée à des fins médicales du Canada. Cette politique, jumelée à quelques modifications apportées au RAMM, permettait aux titulaires d’AP d’obtenir de la marihuana séchée ou des semences de marihuana directement chez PPS. Bien que cela fût annoncé avant l’audience de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Hitzig, la Cour n’a pas eu à tenir compte de la constitutionalité de la politique et n’a pas eu à déterminer si elle affectait la constitutionalité des lois que la Cour supérieure de l’Ontario avait déclarées invalides. La Cour d’appel de l’Ontario a rendu un jugement dans l’affaire Hitzig le 7 octobre 2003. Elle a conclu que certaines parties du RAMM étaient invalides. Les parties pertinentes quant à la présente demande sont celles qui portent sur l’accès à la marihuana. La Cour d’appel de l’Ontario a radié les exigences selon lesquelles un titulaire de LDDP ne pouvait pas être payé et qu’il ne pouvait fournir son produit qu’à un seul client. La Cour d’appel de l’Ontario était particulièrement inquiète du fait que même le gouvernement reconnaissait que de nombreux titulaires d’AP ne pouvaient pas obtenir de marihuana légalement et qu’ils devaient en trouver sur le marché noir. Le fait que des utilisateurs de marihuana à des fins médicales aient à obtenir leur produit de façon illicite portait atteinte à leurs intérêts en matière de liberté et de sécurité, lesquels intérêts comprenaient le droit d’avoir un accès raisonnable à une substance que le gouvernement leur permettait de posséder et de consommer. La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que les principes de justice fondamentale comprenaient la reconnaissance de la primauté du droit et que le comportement de l’État, qui entraînait – et même qui se prêtait à – une violation de la loi, était contraire à ces principes. De plus, elle a appliqué le critère visant à déterminer si les restrictions soutenaient un intérêt collectif important et impérieux et a conclu que ce n’était pas le cas. Elle a examiné l’argument du gouvernement qui invoquait l’article 1 de la Charte et a conclu que, pour des raisons semblables, les restrictions imposées par le Règlement au sujet de l’accès à la marihuana à des fins médicales n’étaient pas raisonnablement liées aux objectifs légitimes de l’État qui visaient à contrôler l’accès à la marihuana. Par conséquent, la Cour d’appel de l’Ontario a radié plusieurs dispositions du RAMM. En l’espèce, seules les dispositions portant sur l’accès à la marihuana pour les personnes autorisées sont pertinentes. La Cour d’appel de l’Ontario a radié le paragraphe 41(b), dont la disposition de remplacement est en litige en l’espèce. La Cour d’appel de l’Ontario a aussi radié les dispositions portant sur le paiement des titulaires de LDDP et les restrictions selon lesquelles un tel titulaire ne pouvait produire de marihuana que pour un seul utilisateur et qu’il ne pouvait pas produire de la marihuana en commun avec plus de deux autres titulaires de licence de production

 

[5]               Le 3 décembre 2003, la gouverneure en conseil a adopté plusieurs modifications au RAMM (voir DORS/2003-387). Bien que la version modifiée du RAMM abrogeât un certain nombre de dispositions que la Cour d’appel de l’Ontario avait invalidées dans Hitzig, y compris le paragraphe 41(b), elle remettait cette dernière disposition en vigueur par le paragraphe 41(b.1), dont les termes sont pratiquement identiques à la disposition abrogée, qui prévoyait que le ministre devait refuser de délivrer une licence de production à titre de personne désignée :

dans le cas où la personne deviendrait titulaire de plus d’une licence de production […]

 

 

Elle remettait aussi en vigueur, par l’article 54.1, l’article 54 qui interdisait à un titulaire de LDDP de produire de la marihuana en commun avec plus de deux autres titulaires de LDDP. En l’espèce, les demandeurs demandent que l’article 41(b.1) remis en vigueur soit déclaré invalide pour sensiblement les mêmes raisons pour lesquelles le paragraphe 41(b) a été invalidé dans l’arrêt Hitzig de la Cour d’appel de l’Ontario.

 

[6]               Cependant, le ministre souligne que, le 3 décembre 2003, lorsque les modifications au RAMM sont entrées en vigueur, Santé Canada a annoncé, comme je l’ai mentionné, la mise en place de la Politique provisoire pour la fourniture de semences de marihuana et de marihuana séchée à des fins médicales du Canada. Cette politique avait pour objectif de fournir aux personnes autorisées un accès raisonnable à une source licite d’approvisionnement. Essentiellement, elle facilitait pour les titulaires d’AP l’obtention de marihuana séchée ou de semences de marihuana auprès du fournisseur du gouvernement, PPS. Il n’est pas contesté qu’en date de l’été 2007, moins de 20 p. 100 des titulaires d’AP obtenaient leur marihuana chez PPS (en juillet 2007, 392 des 1 983 titulaires d’AP obtenaient ainsi leur marihuana).

 

ANALYSE

 

            Introduction

 

[7]               La question en litige en l’espèce porte sur l’accès raisonnable à de la marihuana séchée ou à des semences de marihuana pour les personnes qui possèdent déjà une autorisation de possession de marihuana. J’ai quelques réserves au sujet du rôle de la Cour dans la prescription de substances thérapeutiques qui ne sont pas des médicaments approuvés conformément au processus complexe et scientifique prévu par la Loi sur les aliments et drogues, et pour lesquels il n’existe aucun consensus scientifique au sujet de leurs bienfaits. Cependant, il faut aujourd’hui aller bien au-delà cette question. Les tribunaux n’auraient pas à trancher sur des questions de prescription de traitement médical si ce n’était d’une décision rendue il y a plus de 20 ans dans laquelle il a été conclu que l’article 7 de la Charte (voir Renvoi sur la Motor Vehicle Act, [1985] 2 R.C.S 481), dans l’examen de ce qui est contraire aux principes de justice fondamentale, leur donne le pouvoir de rendre une décision non seulement sur la question de l’équité procédurale, mais aussi sur le bien-fondé de la loi. Il faut cependant appliquer la Constitution de la façon que la Cour suprême du Canada a déterminé. Il est évident qu’en adoptant le RAMM et la Politique provisoire (précitée), le gouvernement du Canada a accepté que les restrictions exagérées en matière d’obtention de marihuana pour les personnes à qui il a donné l’autorisation de posséder une telle substance contreviennent à l’article 7 de la Charte. Il s’agit là des conclusions principales de la Cour d’appel de l’Ontario dans les arrêts Parker et Hitzig (précités). Il semble que la Couronne n’a jamais tenté de porter l’arrêt Parker en appel et la Cour suprême du Canada a rejeté la requête en autorisation d’appel de l’arrêt Hitzig ([2004], C.S.C.R. no 5), puisque l’appel était apparemment fondé sur le bien‑fondé des recours choisis par la Cour d’appel de l’Ontario. Bien que le procureur général ait tenté en l'espèce de contester de nouveau l'applicabilité des principes de justice fondamentale, il me semble que les véritables questions en litige portent sur la question de savoir si les mesures correctives que le gouvernement a prises ont rendu la loi conforme aux exigences fondées sur la Charte qui ont été formulées dans les arrêts Parker et Hitzig. Le procureur général a mentionné, correctement à mon avis, que ces exigences n’obligeaient pas le gouvernement à fournir de la marihuana à des fins médicales aux utilisateurs. La Charte prévoit que le gouvernement ne doit pas empêcher, sans raison valable, les personnes qui ont un besoin médical prouvé d'obtenir cette substance.

 

La norme de contrôle

 

[8]               Bien que ni l'une ni l'autre partie n'ait soulevé la question, je suppose qu'il m'incombe de traiter l'affaire en l'espèce comme un contrôle judiciaire d'une décision du ministre ou de son représentant en ce qui concerne les demandes de désignation d'un fournisseur. Bien entendu, le contrôle judiciaire de telles décisions est prévu par la Loi sur les Cours fédérales, sans clause privative. La question relève essentiellement du droit constitutionnel. Par conséquent, elle se prête mieux à une décision contraignante rendue par les tribunaux que par le ministre. Bien que les parties aient présenté des faits en cause, il ne s'agissait pas de faits qui avaient été présentés au ministre : ce sont des faits « législatifs » présentés dans le but d'aider la Cour à effectuer son analyse constitutionnelle et sur lesquels la Cour doit se prononcer. Pour ces motifs, je suis convaincu que la décision correcte est la norme de contrôle applicable à la décision du ministre.

 

Les questions en litige

 

[9]               À mon avis, il y a essentiellement deux questions à trancher. Premièrement, le paragraphe 41(b.1) contrevient-il à la Charte? Deuxièmement, pour répondre à cette question, la Politique provisoire qui est entrée en vigueur le 3 décembre 2003, en vertu de laquelle un meilleur accès aux produits de PPS est offert, fournit-elle un contexte factuel grâce auquel il est possible de conclure que le paragraphe 41(b.1) peut être perçu comme une restriction autorisée au sujet d'une forme d'approvisionnement, à savoir l'approvisionnement auprès du producteur désigné?

 

[10]           En me fondant sur les arrêts Parker et Hitzig, précités, de la Cour d'appel de l'Ontario, je suis convaincu que le paragraphe 41(b.1) restreint les droits à la liberté et à la sécurité des demandeurs, droits prévus à l'article7 de la Charte. Le ministre a évoqué ce paragraphe afin d'empêcher les demandeurs de choisir leur producteur désigné, Carasel. Pour déterminer s'il y a eu violation de l'article 7 de la Charte, je dois d'abord déterminer s'il y a eu violation d'un intérêt protégé par l'article 7 et ensuite, s'il y a restriction de cet intérêt, examiner si cette restriction respecte les principes de justice fondamentale. Pour les motifs énoncés par la Cour d'appel de l'Ontario dans l’arrêt Hitzig, aux paragraphes 97 à 104, je conclus que les intérêts en matière de liberté et de sécurité des demandeurs ont tous deux été touchés défavorablement par le paragraphe 41(b.1). En ce qui a trait aux intérêts en matière de liberté, le terme « liberté » comprend le droit de prendre des décisions qui sont fondamentalement importantes d'un point de vue personnel. Cela s'entend aussi du droit de choisir, en fonction d'un avis médical, d'utiliser la marihuana comme traitement pour un grave problème de santé; ce droit sous-entend le droit à l'accès à la marihuana. Il comprend aussi le droit d'une personne de ne pas voir sa liberté physique mise en danger par le risque d'être emprisonnée pour avoir obtenu de la marihuana illégalement. En ce qui a trait à la sécurité, cet intérêt est semblable au droit des personnes qui ont un besoin médical d'avoir accès à des médicaments sans que l'État ne s'interpose indûment.

 

[11]           Pour déterminer si ces restrictions aux intérêts prévus à l'article 7 respectent les principes de justice fondamentale, il faut examiner si les droits de l'article 7 peuvent néanmoins être subordonnés à des intérêts collectifs importants et impérieux (voir Hitzig, paragraphe 119, et la jurisprudence qui y est citée). Une telle restriction, si elle n'avance guère l'intérêt de l'État, peut être perçue comme arbitraire : voir Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519, à la page 594; R. c. Heywood (1994), 94 C.C.C. (3rd) 481 CSC, à la page 514; et Chaoulli c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 791, aux paragraphes 130, 131 et 231. Je suis d'avis que le paragraphe 41(b.1) ne satisfait pas à ce critère.

 

[12]           Premièrement, je tiens à faire remarquer que, d'après les statistiques du gouvernement, environ 80 p. 100 des titulaires d'AP qui ont obtenu l'autorisation de posséder et de consommer de la marihuana ne font pas affaire avec le fournisseur du gouvernement, à savoir PPS. La preuve montre que de nombreux utilisateurs sont incapables de cultiver leur propre marihuana, soit parce qu'ils sont trop malades, soit parce que leur situation d'habitation rend la chose impossible. Bien que je n'aie aucune statistique au sujet du pourcentage du marché fourni par les titulaires de LDDP, le Règlement reste pratiquement aussi restreignant que celui qui a été abrogé par la Cour d'appel de l'Ontario parce qu'il créait une limite indue au droit d'accès autorisé des titulaires d'AP. La Cour d'appel de l'Ontario a conclu, par déduction, qu'un pourcentage élevé de titulaires d'AP obtenaient leur marihuana auprès de fournisseurs illégaux. Les seules choses qui ont changé à ce sujet, depuis que la décision a été rendue, sont les modifications au RAMM permettant aux producteurs désignés d'être payés et l'accès à la marihuana et à des semences de marihuana chez PPS, le producteur du gouvernement. Je reviendrai sur ce dernier point plus loin.

 

[13]           La justification du gouvernement au sujet de la remise en vigueur du paragraphe 41(b), qui avait été abrogé, sous le nouveau paragraphe 41(b.1) a été énoncée dans le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation, publié le 3 décembre 2003 avec le Règlement modifiant le RAMM. Cette justification est la suivante (la référence à l'article 54 n'est pas directement pertinente, mais montre que la politique reste en vigueur) :

L’alinéa 41b) sera remis en vigueur pour réintégrer au plan national la limite du nombre de personnes pour lesquelles une personne désignée peut produire; en vertu du RAMM, une seule personne désignée peut produire pour un seul détenteur d’une autorisation de possession; et

 

L’article 54 sera remis en vigueur pour réintégrer au plan national la limite du nombre de personnes désignées qui peuvent produire de la marihuana en commun; en vertu du RAMM, un détenteur de licence de production à titre de personne désignée n’est pas autorisé à produire de la marihuana en commun avec plus de deux autres détenteurs.

 

Ces limites sur la production de marihuana sont nécessaires pour :

 

-         maintenir le contrôle sur la distribution d’une drogue non approuvée, dont la conformité aux exigences de la LAD et du RAD n’a pas encore été démontrée;

 

 

-         minimiser le risque de détournement de la marihuana à des fins non médicales;

 

-         être compatible avec les obligations du Canada comme signataire de la Convention unique sur les stupéfiants des nations Unies de 1961, telle que modifiée en 1972 (la convention de 1961), concernant la culture et la distribution de cannabis; et

 

maintenir une approche qui est compatible avec le mouvement vers un modèle d’approvisionnement selon lequel la marihuana à des fins médicales serait assujettie à des normes du produit, serait produite sous des conditions réglementées et serait distribuée par les pharmacies, sur avis des médecins, aux patients gravement malades lorsque les thérapies conventionnelles échouent. Un tel modèle comprend également un programme d’éducation et la surveillance du marché.

Paragraph 41(b) will be re-enacted to reinstate on a national basis, the limit on the number of persons for whom one designated person can produce marihuana; under the MMAR, one DPL holder can cultivate for only one ATP holder; and

 

 

Section 54 will be re-enacted to reinstate on a national basis, the limit on the number of DPL holders who can produce marihuana in common; under the MMAR, a DPL holder is not permitted to produce marihuana in common with more than two other DPL holders.

 

 

 

These limits on the production of marihuana are necessary to:

 

 

-         maintain control over distribution of an unapproved drug product, which has not yet been demonstrated to comply with the requirements of the FDA/FDR;

 

-         minimize the risk of diversion of marihuana for non-medical use;

 

 

-         be consistent with the obligations imposed on Canada as a signatory to the United Nations’ Single Convention on Narcotic Drugs, 1961 as amended in 1972 (the 1961 Convention), in respect of cultivation and distribution of cannabis; and

 

-         maintain an approach that is consistent with movement toward a supply model whereby marihuana for medical purposes would be: subject to product standards; produced under regulated conditions; and distributed through pharmacies, on the advice of physicians, to patients with serious illnesses, when conventional therapies are unsuccessful. Such a model would also include a program of education and market surveillance.

 

Dans ses arguments, le gouvernement a souscrit pour l'essentiel à cette justification de la remise en vigueur du paragraphe 41(b.1). Par conséquent, il faut examiner si une telle justification peut fonder l'argument selon lequel le paragraphe 41(b.1) est conforme aux principes de justice fondamentale. Dans le contexte particulier en l'espèce, je tiendrai compte du critère adopté par la Cour d'appel de l'Ontario dans l’arrêt Hitzig, précité, aux paragraphes 109 à 128, selon lequel la justice fondamentale exige le respect de la primauté du droit et, par conséquent, qu'elle ne peut pas tolérer un système qui force des utilisateurs reconnus de marihuana à des fins médicales à obtenir leur marihuana de façon illégale. J'examinerai aussi la question de savoir si la restriction prévue au paragraphe 41(b.1) est arbitraire et n'a pas de lien raisonnable à la protection de l'intérêt de l'État. J'invoque à l'appui de ces démarches les passages pertinents des affaires Rodriguez et Chaoulli, précitées.

 

[14]           La première justification que le défendeur a offerte pour le paragraphe 41(b.1), qui a été énoncée dans le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation de 2003, précité, est que la restriction de production pour un seul utilisateur imposée aux producteurs vise à garder le contrôle sur la distribution d'un médicament non approuvé. Aucune preuve n'a expliqué pourquoi la restriction à un seul client de la production d'un producteur désigné aurait cet effet. Le Règlement ne permet à un tel producteur de produire de la marihuana que pour les personnes qui ont déjà obtenu l'autorisation du ministre de posséder et de consommer de la marihuana : c'est-à-dire les titulaires d'AP. Les titulaires d'AP sont des personnes qui, selon le ministre, sont des utilisateurs légitimes de ce « médicament non approuvé ». Qu'un producteur cultive de la marihuana pour un ou pour trente titulaires d'AP, la distribution de la marihuana serait faite pour les personnes et pour les objectifs déjà acceptés par le Règlement. Le défendeur a mentionné que le contrôle de la qualité serait compromis si les producteurs désignés pouvaient cultiver de la marihuana pour plus d'un client. Je ne sais pas si Santé Canada impose présentement un contrôle de la qualité aux producteurs désignés, mais s'il le fait, ou même s'il ne le fait pas, il pourrait mettre en place le même type de contrôle de la qualité pour les producteurs désignés, qu'ils aient un ou plusieurs clients. En effet, il me semble logique que, si les producteurs avaient l'autorisation de produire pour plus d'un client, des économies importantes seraient réalisées et le producteur aurait ainsi un revenu suffisant pour assurer un meilleur contrôle de la qualité. De la même façon, il ne serait plus nécessaire d'avoir une quantité de producteurs désignés qui n'ont qu'un client et, par conséquent, tout système de contrôle et d'inspection que Santé Canada pourrait vouloir imposer aux producteurs désignés fonctionnerait de façon simple et économique, puisqu'il y aurait moins de producteurs.

 

[15]           Le gouvernement soutient, en guise de deuxième justification, que le paragraphe 41(b.1) servirait à « minimiser le risque de détournement de la marihuana à des fins non médicales ». Encore une fois, je n'ai pas été satisfait de l'explication de cet argument. Je répète que les producteurs désignés, peu importe le nombre de leurs clients, doivent restreindre leurs ventes aux titulaires d'AP. Un producteur désigné, puisqu'il a maintenant l'autorisation de cultiver de la marihuana, pourrait déjà produire plus de marihuana que ce dont son client a besoin et pourrait détourner le surplus pour la vente sur le marché noir. Cela reste vrai, que le producteur produise pour un ou pour vingt-cinq clients. Je suppose qu'il pourrait être plus facile, dans une culture de marihuana suffisante pour la vente à vingt-cinq clients légitimes, de cacher un surplus possiblement plus important qui serait réservé à la vente sur le marché noir. Il s'agit d'une hypothèse et on peut également supposer que, comme il y aurait moins de producteurs désignés, mais que ceux-ci auraient des cultures plus importantes, le système d'inspection serait plus simple à opérer que présentement alors qu'il y a une quantité importante de producteurs qui n'ont qu'un seul client. Le gouvernement soutient aussi que les cultures plus importantes gérées par un producteur désigné qui aurait de nombreux clients attireraient les voleurs, en raison de leur taille. Les demandeurs, quant à eux, prétendent qu'en raison de l'accroissement important de l'efficacité des cultures à grande échelle, les producteurs pourraient avoir un meilleur système de sécurité. Cela serait effectivement plus sécuritaire que pour les titulaires d'AP qui ont leur propre culture à la maison ou que pour les producteurs désignés qui n'ont qu'un seul client.

 

[16]           Il convient de noter, au sujet des deux justifications susmentionnées, qu'il serait peut-être juste de limiter la taille des cultures des producteurs désignés afin de faciliter la supervision et l'inspection de la qualité et de la sécurité. Cependant, pour tout nouveau règlement à ce sujet, il faudra justifier qu'il y a un but rationnellement lié à l'intérêt légitime de l'État. On ne m'a offert aucune justification de ce genre au sujet du paragraphe 41(b.1).

 

[17]           Comme troisième justification pour le paragraphe 41(b.1), le gouvernement invoque la Convention unique sur les stupéfiants des Nations Unies de 1961, qui, selon le gouvernement, lui impose des obligations « concernant la culture et la distribution de cannabis [...] ». J'ai examiné la convention et l'affidavit du témoin du ministre à ce sujet, et je reste perplexe. La convention semble imposer au gouvernement du Canada l'obligation de contrôler la marihuana comme stupéfiant et de limiter son utilisation à des fins médicales et scientifiques. Elle exige des ordonnances médicales pour l'approvisionnement ou la vente de marihuana pour chaque personne et la mise en place d'un système limitant la quantité de marihuana mise à leur disposition. Elle exige que le Canada instaure un système pour contrôler toutes les personnes et entreprises qui se livrent à la vente ou à la distribution de la marihuana; ces personnes et entreprises doivent être titulaires de licences. Il semble que le Canada ait respecté ces exigences, sauf en ce qui a trait à l’ordonnance pour la marihuana autorisée à des fins médicales personnelles, quoique le RAMM puisse servir de substitut adéquat. Le ministre souligne particulièrement l'article 23 de la Convention, qui exige qu'un État qui permet la culture de la marihuana doit mettre en place un organisme chargé d'exercer les fonctions énoncées dans cet article. L'alinéa 2d) de l'article 23 exige que tout cultivateur de marihuana livre à l'organisme la totalité de sa récolte. D'après le ministre, Santé Canada a été nommé organisme pour le Canada. Le ministre soutient que :

 

Le fait de permettre aux cultivateurs d'avoir plus d'un client autorisé à posséder et à utiliser de la marihuana à des fins médicales obligerait le gouvernement, conformément à la Convention de 1961, à recueillir la marihuana produite.

 

 

Ce raisonnement me semble dépourvu de logique. Si la Convention exige que tout « cultivateur » de marihuana livre à l'organisme « la totalité de sa récolte » (comme l'article 23 le précise), alors il est probable que les titulaires de LPP et de LPPD, même s'ils ne produisent que pour une seule personne, aient à livrer « la totalité de [leur] récolte » à Santé Canada. Ce n'est pas ce qui se passe : le RAMM prévoit que la production doit être consommée par un utilisateur, qu'il en soit lui-même le producteur ou qu'il l'obtienne chez son producteur désigné. Je ne vois pas comment le fait de permettre à un producteur désigné de produire de la marihuana pour plus d'un utilisateur crée un nouveau problème, jusqu'alors inexistant, par rapport à la Convention. L'avocat du défendeur a reconnu que la Convention ne faisait pas partie du droit du Canada comme tel, bien que certaines parties aient été mises en application dans le droit canadien. Dans la mesure où le RAMM, s'il permettait au titulaire d'une LPPD de produire pour plus d'un titulaire d'AP, pourrait être incompatible avec la Convention, la loi interne doit l'emporter sur un traité international qui n'a jamais été appliqué. De plus, si le fait de respecter les exigences de la Convention entrainait un conflit par rapport aux exigences constitutionnelles du Canada, telles que celles prévues à l'article 7 de la Charte, alors la Cour doit donner préséance à la constitution du Canada.

 

[18]           Quatrièmement, le gouvernement soutient que le paragraphe 41(b.1) est nécessaire afin de « maintenir une approche qui est compatible avec le mouvement vers un modèle d'approvisionnement » selon lequel la marihuana à des fins médicales serait produite et distribuée comme tout autre médicament thérapeutique, par ordonnance et dans les pharmacies. C'est un objectif louable et, s'il est atteint, il rendra inutile les litiges comme celui en l'espèce. Cependant, nous ne savons pas quand arrivera cette nouvelle ère et, entre-temps, les tribunaux, en toute sagesse, ont conclu que les personnes qui souffrent de graves problèmes de santé et pour qui la marihuana est thérapeutique devraient y avoir raisonnablement accès. Ce n'est pas une solution que de déclarer qu'un jour, il y aura un meilleur système en place. L'espoir pour le futur n'explique pas non plus pourquoi un producteur désigné ne peut avoir plus d'un client.

 

[19]           Par conséquent, je conclus que les limites d'accès prévues au paragraphe 41(b.1) ne sont pas conformes aux principes de justice fondamentale. Premièrement, le paragraphe 41(b.1) ne répond pas adéquatement aux inquiétudes que la Cour d'appel de l'Ontario a soulevées dans l’arrêt Hitzig, c'est-à-dire le fait que les titulaires d'AP qui ne peuvent pas cultiver leur propre marihuana et qui ne peuvent pas avoir recours aux services d'un producteur désigné en raison des restrictions imposées par le RAMM sont obligés d'acheter de la marihuana au marché noir. La Cour d'appel de l'Ontario a conclu qu'il était contraire à la primauté du droit de forcer un citoyen à enfreindre la loi afin d'avoir accès à une substance dont il a besoin à des fins médicales. Le seul critère qui a changé depuis l’arrêt Hitzig porte sur le fait que PPS est un distributeur autorisé. Le ministre soutient que tout titulaire d'AP qui ne peut pas cultiver sa propre marihuana, ou qui ne peut pas trouver de producteur désigné prêt à fournir de la marihuana seulement pour lui, peut obtenir de la marihuana séchée ou des semences chez le fournisseur du gouvernement, soit PPS. Cela offre certainement une solution de rechange au sujet de l'accès. Cependant, la preuve montre que, quatre ans après l'entrée en vigueur de la nouvelle politique du gouvernement quant à l'approvisionnement en marihuana, moins de 20 p. 100 des titulaires d'AP y ont recours. Les demandeurs sont d'avis que le produit de PPS est inférieur et ne plaît pas aux utilisateurs. Ils soutiennent que PPS ne fournit qu'une seule souche de marihuana à des fins médicales, alors qu'il existe plusieurs souches qui ont différents effets thérapeutiques selon l'état de santé de l'utilisateur. La preuve quant à la qualité du produit de PPS est presque seulement une preuve par ouï-dire et empirique. La preuve scientifique des experts au sujet des différents effets thérapeutiques des diverses souches montre principalement que les résultats sont plutôt incertains et qu'une recherche plus approfondie est nécessaire. Je ne suis donc pas prêt à m'immiscer dans un autre domaine de la médecine et à rendre un jugement au sujet de la qualité du produit de PPS. À mon avis, vu le droit établi par d'autres tribunaux selon lequel les utilisateurs à des fins médicales devraient avoir un accès raisonnable à la marihuana, il est indéfendable que le gouvernement force ces utilisateurs à s'approvisionner chez son fournisseur, à cultiver leur propre marihuana ou à être limités par le système inutilement restrictif des producteurs désignés. Présentement, la seule autre solution des utilisateurs est de se procurer de la marihuana de façon illicite et, comme l'explique l’arrêt Hitzig, cette solution n'est pas conforme à la primauté du droit et, par conséquent, aux principes de justice fondamentale.

 

[20]           Je conclus aussi que le paragraphe 41(b.1) ne respecte pas les principes de justice fondamentale parce qu'il est arbitraire, puisqu'il cause aux utilisateurs d'importantes difficultés en matière d'accès et qu'il n'avance pas l'intérêt de l'État.

 

[21]           Pour ces motifs, je conclus que le paragraphe 41(b.1) viole les droits à la liberté et à la sécurité des demandeurs, prévus à l'article 7 de la Charte, et, par conséquent, qu'il est invalide.

 

[22]           Dans ses observations écrites, le défendeur a invoqué, à titre subsidiaire, l'article 1 de la Charte. Son point de vue est encore plus compliqué s’il se fonde sur l'article 1, puisqu'il a alors le fardeau de démontrer la justification des restrictions. L'argument du défendeur à ce sujet n'ajoute pas grand‑chose à la justification qu'il a offerte dans l'analyse portant sur l'article 7. À supposer que l'adoption du RAMM vise l'atteinte d'objectifs légitimes, pour les mêmes raisons mentionnées lorsque j'ai conclu que le paragraphe 41(b.1) était arbitraire et qu'il était par conséquent contraire aux principes de justice fondamentale, je conclus que ce paragraphe n'est pas raisonnablement lié aux objectifs qui ont été mentionnés et que les restrictions qu'il impose ne sont pas proportionnelles à tout intérêt de l'État qu'il pourrait promouvoir.

 

[23]           Les demandeurs ont présenté d'autres arguments, mais je ne les examinerai pas en détail. Ils ont soutenu que le règlement actuel a été adopté sans la tenue d'une consultation appropriée avec les « intervenants » et que, par conséquent, il était invalide. La preuve n'étayait pas entièrement l'argument au sujet du manque de consultation et, de toute façon, on ne m'a rien présenté qui soutienne la proposition de l'existence d'une exigence constitutionnelle dans le processus législatif selon laquelle il doit y avoir consultation des parties qui pourraient être touchées. Bien que la consultation puisse être souhaitable, elle n'est pas encore considérée comme impératif constitutionnel dans le processus législatif. Les demandeurs ont aussi cité la décision rendue récemment dans l'affaire R. c. Long, [2007] O.J. no 2774 (Cour de l'Ontario). Dans cette affaire, un juge de la Cour de l'Ontario a conclu que le paragraphe 4(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, précitée, qui interdit la possession de marihuana, était invalide parce qu'à son avis, le gouvernement du Canada n'avait pas encore éliminé adéquatement les obstacles quant à l'accès à la marihuana. Le RAMM restreint toujours cet accès. Bien que la politique adoptée en 2003 ait permis aux utilisateurs de marihuana d'en obtenir auprès de PPS, le fournisseur du gouvernement, le juge a conclu que ce n'était pas suffisant puisque la politique ne fait pas partie de la loi. Par conséquent, même si les personnes qui ont un droit constitutionnel à l'accès à la marihuana puisse s’en procurer chez PPS, on ne peut pas conclure qu'elles ont un droit légal à un tel accès. Elles ne bénéficient que d'une politique administrative qui le permet. Je n'ai pas l'intention de poursuivre sur le sujet. La décision a été portée en appel. De plus, j'ai conclu que les restrictions inutiles à l'accès, prévues au paragraphe 41(b.1), ne peuvent pas être résolues en imposant le monopole du produit de PPS aux personnes qui ne peuvent pas cultiver leur propre marihuana et qui ne trouvent pas de producteur désigné qui soit libre. Par conséquent, je suis d'avis que la question de savoir si la politique devrait être édictée dans une loi n'est pas pertinente.

 

[24]           En conclusion, il est possible d'affirmer que le ministre, lorsqu'il a supposé que le paragraphe 41(b.1) était valide, n’a pas interprété le droit correctement.

 

RECOURS

 

[25]           Les demandeurs m'ont demandé de déclarer le paragraphe 41(b.1) du RAMM inopérant parce qu'il contrevient à l'article 7 de la Charte des droits et libertés et c'est ce que je ferai. Ils ont aussi demandé qu'au lieu d’entendre leur requête en obtention d'un bref de mandamus, je renvoie au ministre, pour nouvel examen en conformité avec mes motifs, leur demande de désignation de Carasel à titre de producteur pour tous les demandeurs. Je le ferai.

 

[26]           De plus, les demandeurs m'ont demandé, conformément au paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés :

[traduction] de garder un pouvoir de contrôle sur Santé Canada en ce qui a trait à la création et à la mise en application d'un nouveau processus permettant à plus d'un patient de choisir un seul cultivateur à titre de producteur désigné en exigeant que Santé Canada présente des comptes rendus périodiques au sujet de l'état et du progrès du nouveau processus [...]

 

Les demandeurs se fondent principalement sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada Glenda Doucet-Boudreau et al. c. Nouvelle-Écosse (Procureur général), [2003] 3 R.C.S. 3, dans lequel la Cour suprême, dans une majorité de 5 à 4, a infirmé la décision de la Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse et a maintenu la décision du juge de première instance, qui avait décidé de garder un tel pouvoir de contrôle. Il avait déclaré que les francophones dans cinq arrondissements scolaires en Nouvelle-Écosse avaient droit à « des programmes et des écoles homogènes de langue française au niveau secondaire ». Bien que le gouvernement de la Nouvelle-Écosse n'ait pas nié le droit des demandeurs à l'accès à de tels services, droit prévu à l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1982, de nombreuses années s'étaient écoulées sans que ces services ne soient offerts. Dans le jugement qui déclarait ce droit, le juge de première instance a ordonné aux défendeurs de déployer tous les efforts pour se conformer aux ordonnances qui exigeaient que ces services soient fournis, et la Cour a conservé la compétence pour entendre les rapports des défendeurs au sujet de leur adhésion à cette ordonnance. La Cour d’appel de la Nouvelle‑Écosse a annulé cette ordonnance, au motif que le juge de première instance était dessaisi après avoir rendu l’ordonnance et qu’il ne pouvait pas garder de « pouvoir de contrôle ». La majorité de la Cour suprême du Canada a infirmé cette décision. La Cour suprême a énuméré plusieurs points dont un juge doit tenir compte pour déterminer s’il peut garder un pouvoir de contrôle. Elle a aussi déclaré que, dans cette affaire, le juge de première instance n’était pas dessaisi parce que, même s’il gardait un pouvoir de contrôle, il n’avait pas l’intention de réserver sa compétence pour changer sa déclaration quant aux droits des demandeurs.

 

[27]           Je ne suis pas convaincu que je devrais garder un pouvoir de contrôle en l'espèce. Premièrement, il convient de noter que l'affaire Doucet-Boudreau ne portait pas sur une décision rendue en application du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, qui prévoit l'invalidité d'une loi, comme c'est le cas en l'espèce. Dans la décision Doucet-Boudreau, l'obligation prévue à l'article 23 de la Loi n'était pas contestée; seule l'application de cette obligation était en litige et l'ordonnance réparatoire, rendue conformément au paragraphe 24(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, visait la construction d'installations et l'organisation de cours qui respectaient les exigences de l'article 23. En l'espèce, je déclare invalide une disposition du Règlement, en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Cette déclaration sera automatiquement exécutoire et le paragraphe 41(b.1) du RAMM sera considéré invalide. Comme je l'ai expliqué dans mes motifs, je ne peux pas interdire à la gouverneure en conseil de modifier une fois de plus le Règlement, si une telle modification permet d'atteindre un but légitime tout en préservant l'accès raisonnable à la marihuana pour les titulaires d'AP. C'est toujours une possibilité après une déclaration d'invalidité. Cependant, dans l'arrêt Doucet-Boudreau, tant la majorité que la minorité de la Cour suprême du Canada ont reconnu qu'avant de choisir de garder un pouvoir de contrôle, il faut tenir compte de la séparation des pouvoirs. Si je gardais un pouvoir de contrôle, je devrais surveiller les lois à venir et, si une des lois pouvait servir aux demandeurs, je devrais exercer un droit de véto sur toute proposition de règlement qui me semblerait être incompatible avec le droit à l'accès. Compte tenu des circonstances, je ne crois pas que c'est approprié et je ne rendrai pas l'ordonnance sollicitée.

 

[28]           Bien entendu, les demandeurs auront droit à leurs dépens.

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que :

 

1.                  Le paragraphe 41(b.1) du Règlement sur l'accès à la marihuana à des fins médicales, DORS/2001-227, modifié, soit déclaré invalide parce qu'il contrevient à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés;

 

2.                  La décision rejetant les demandes des demandeurs en obtention de licences de production à titre de personne désignée visant à nommer Carasel Harvest Supply Corporation comme leur producteur désigné soit annulée et que la demande soit renvoyée au ministre pour nouvel examen conforme aux présents motifs;

 

3.                  Les dépens soient accordés aux demandeurs.

 

 

« Barry L. Strayer »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                        T-1415-04

 

INTITULÉ :                                       DORA SFETKOPOULOS, DAVID MCGREGOR,

PRISCILLA LAVELL, EUGENE HARACK, ROBIN TURNEY, RONALD FOLZ, MICHAEL GIBBISON, TIMOTHY DEGANS, MARK HUKULAK, LEONARD SISSON, PAUL MANNING, RON REID, RON SPECK, JOHN LOBRAICO, EDDIE WALLACE, MICHAEL DELARMEE, RONALD GEORGE WILSON et JEFFREY LONG c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA       

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 3 DÉCEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            Le juge Strayer

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 10 JANVIER 2008

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ron Marzel

Alan Young

POUR LES DEMANDEURS

 

Christopher Leafloor

James Gorham

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Matthew Wilton & Associate

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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