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Date : 20071126

Dossier : T-2179-05

Référence : 2007 CF 1236

Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

THE DOW CHEMICAL COMPANY

demanderesse

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire introduite par The Dow Chemical Company (Dow) à l’encontre d’une décision rendue par le commissaire aux brevets (le commissaire) en vertu de l’article 8 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4. Dans son avis de demande, Dow sollicite une ordonnance enjoignant au commissaire de corriger la demande de brevet canadien no 2,381, 559 (‘559) en ajoutant neuf pages de texte manquantes. Dow affirme que son avocat américain en matière de brevets a omis par inadvertance d’inclure ces pages dans la demande ‘559. Dow affirme en outre que la demande ‘559 pouvait être corrigée et que le commissaire aurait dû la corriger en vertu du pouvoir discrétionnaire que lui confère la loi. Dow prétend que la décision du commissaire de refuser sa demande de correction était fondée sur une erreur de droit quant à ce qui constitue une « erreur d’écriture » aux fins de l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 8 de la Loi. Dow affirme également que le commissaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur des conjectures et sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait quant à la question du préjudice causé à des tiers.

 

Contexte

[2]               Il n’est pas contesté que la demande de Dow a été déposée le 1er septembre 2000 et que le public a été autorisé à l’examiner le 15 mars 2001. Ce n’est que le 17 avril 2002 que Dow a demandé pour la première fois au commissaire d’insérer les pages manquantes dans la demande ’559. Cette demande ne fournissait pour toute explication de l’erreur que la simple affirmation suivante :

[traduction] En raison d’une erreur d’écriture commise par inadvertance, plusieurs pages ont été omises dans le texte de la demande PCT. On trouve un libellé similaire à celui qui a été omis par erreur dans les demandes de brevet provisoire citées à titre de documents de priorité aussi bien pour la demande PCT que pour la demande américaine correspondantes. La demande américaine correspondante, déposée le même jour que la demande PCT, comporte le texte entier.

 

[3]               Sans grande surprise, le commissaire a refusé la demande de correction de Dow fondée sur l’article 8 dans une lettre datée du 22 juillet 2003. Entre autres motifs invoqués pour refuser de prendre la mesure demandée, le commissaire a affirmé que Dow avait omis de fournir une explication pour l’erreur d’écriture alléguée.

 

[4]               Ce n’est que le 9 mai 2005 que Dow a demandé au commissaire de réexaminer sa décision. Cette fois, la demande de Dow était étayée par une lettre de cinq pages émanant de ses avocats canadiens et accompagnée d’un affidavit signé par l’avocat américain de Dow en matière de brevets, Dan R. Howard.

 

[5]               Le 9 novembre 2005, le commissaire a répondu à la demande de réexamen de Dow et, encore une fois, la mesure demandée a été refusée. La lettre du commissaire exposait les motifs suivants au soutien de cette décision :

[traduction] La présente fait suite à votre lettre datée du 9 mai 2005, dans laquelle vous demandiez le réexamen de la décision du Bureau des brevets de ne pas procéder à la correction demandée par la demanderesse en vertu de l’article 8 de la Loi sur les brevets dans une lettre datée du 17 avril 2002.

 

L’article 8 de la Loi sur les brevets énonce que les erreurs d’écriture dans tout document en dépôt au Bureau des brevets peuvent être corrigées sous l’autorité du commissaire. Or, on ne saurait considérer qu’il s’agit en l’espèce d’une erreur d’écriture dans un document en dépôt au Bureau des brevets. À cet égard, je renvoie à la décision Bayer c. Commissaire aux brevets (53 C.P.R. (2d) 70) :

 

J’estime également, quant à moi, qu’une erreur d’écriture est une erreur qui survient dans le processus mécanique de rédaction ou de transcription, et qui ne se caractérise pas par une évidence relative ou par la gravité ou l’insignifiance relative de ses conséquences.

 

L’erreur qui s’est produite relativement à la demande en cause consiste dans la suppression par inadvertance d’une partie considérable de la description. Après un examen de l’affidavit de M. Howard, on ne sait toujours pas clairement comment une simple modification du texte pour y apporter des changements de libellé mineurs a pu mener à l’absence de 9 pages dans la demande. À partir de l’explication des circonstances exposée dans l’affidavit, il est impossible de conclure avec certitude que l’erreur est survenue dans le processus mécanique de rédaction ou de transcription et, par conséquent, l’erreur n’est pas une erreur d’écriture au sens de l’article 8 de la Loi sur les brevets.

 

Même s’il fallait conclure que l’erreur en l’espèce est une erreur d’écriture, le commissaire a le pouvoir discrétionnaire, en vertu de l’article 8 de la Loi sur les brevets, de décider de corriger ou non les erreurs d’écriture (Bristol-Myers Squibb Co. c. Commissaire aux brevets, (1998) 82 C.P.R. (3d) 192, à la page 197). En l’espèce, le commissaire ne considère pas qu’il serait indiqué d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’effectuer la correction demandée.

 

La demande de la demanderesse ne peut pas être acceptée pour le motif suivant :

 

La demande fondée sur l’article 8 de la Loi sur les brevets a été faite le 17 avril 2002, soit plus d’un an après la date à laquelle le public a été autorisé à l’examiner (15 mars 2001). L’exactitude et la fiabilité des renseignements contenus dans le document que le public est autorisé à examiner constituent un aspect essentiel de la procédure. Après que le public a été autorisé à examiner la demande de brevet, des tiers ont pu se fier à l’information contenue dans la demande mise à leur disposition et pourraient subir un préjudice du fait de l’ajout de nouveau contenu.

 

Pour les motifs qui précèdent, la correction demandée est refusée. La taxe exigible pour une demande de correction d’une erreur d’écriture a déjà été perçue pour l’examen de la question par le Bureau des brevets et elle est non remboursable en vertu de l’article 4 des Règles sur les brevets.

 

 

[6]               La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision ci-dessus.

 

La preuve dont disposait le commissaire

[7]               La preuve dont disposait le commissaire au soutien de la demande de réexamen de Dow se composait d’un affidavit signé par M. Howard. L’affidavit affirmait que M. Howard avait préparé un projet pour la demande ‘559 parallèlement à un projet pour la demande de brevet américain correspondante. Il a affirmé que les versions électroniques de ces deux projets de documents auraient normalement été essentiellement identiques et que toute différence se serait limitée à des différences de forme ou de format nécessaires pour satisfaire aux exigences respectives du United States Patent and Trademark Office et de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. À un certain stade du processus, lors de la rédaction initiale de ces demandes ou de leur révision, neuf pages du texte contenu dans le mémoire descriptif de la demande américaine ont été omises dans la demande ‘559.

 

[8]               L’affidavit de M. Howard poursuit en disant que le texte manquant était présent dans la demande américaine mais avait été omis [traduction] « de manière inexplicable » dans la demande ‘559. Bien qu’il ne pût identifier précisément la source de l’erreur, son affidavit évoquait les possibilités suivantes :

[traduction]

9.         Je ne sais pas si j’ai supprimé par inadvertance le texte omis au moment de réviser cette demande PCT pour supprimer un libellé qui faisait l’objet d’une opposition à l’extérieur des États-Unis, ou si Carolina Garcia a supprimé par inadvertance le texte omis lorsqu’elle a reformaté la demande PCT finale. Dans l’un ou l’autre cas, l’erreur est clairement survenue lorsque Carolina Garcia ou moi accomplissions le processus mécanique consistant à éditer électroniquement la demande PCT, parce que le texte omis n’est pas absent de la demande américaine correspondante.

 

10.       Compte tenu de ce qui précède, je crois que c’est par inadvertance et non de propos délibéré que le texte omis a été supprimé de cette demande PCT (et, par voie de conséquence, de la demande canadienne) à la suite d’une erreur qui est survenue au cours du processus mécanique de transcription de cette demande PCT, et qu’il s’agit donc d’une erreur d’écriture.

 

 

La décision en cause

[9]               La décision du commissaire de refuser de prendre la mesure que demandait Dow était fondée sur les deux motifs suivants :

            a)         Dow n’avait pas réussi à établir que son erreur était une « erreur d’écriture » au sens de l’article 8 de la Loi sur les brevets;

            b)         même si l’erreur de Dow était une erreur d’écriture, la demande de correction avait été faite tardivement et des tiers avaient pu se fier à leur détriment sur la demande telle qu’elle avait été déposée initialement.

 

Question à trancher

[10]           a)         La décision du commissaire comporte-t-elle une erreur révisable au regard soit de la question de l’erreur d’écriture soit de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de prendre la mesure demandée par Dow en vertu de l’article 8?

 

Analyse

[11]           Dans Procter & Gamble Co. c. Canada (Commissaire aux brevets), 2006 CF 976, 298 F.T.R. 139, j’ai appliqué la norme de contrôle de la décision correcte à la question de savoir si le commissaire avait l’obligation légale en vertu de l’article 43 de la Loi de corriger une erreur admise concernant la date de délivrance du brevet en cause. Comme le souligne ici l’avocat du commissaire, la décision Procter & Gamble, précitée, ne concernait pas strictement un examen du pouvoir discrétionnaire du commissaire en vertu de l’article 8 parce que, dans cette affaire, le commissaire avait refusé d’exercer ce pouvoir et ne pouvait évoquer aucun autre motif juridique pour procéder à une correction de ses dossiers. Le fait qu’une erreur de datation avait été commise dans les dossiers du Bureau des brevets n’était pas contesté. La question qui se posait dans cette affaire avait donc été décrite comme suit au paragraphe 16 de la décision :

La décision du commissaire repose sur un point d’interprétation du droit qui influe fondamentalement sur la définition du pouvoir que lui confère la Loi sur les brevets. Il n’a pas exercé la faculté que lui donne cette dernière ni n’en a appliqué les dispositions aux faits, mais il a plutôt conclu qu’il n’était pas revêtu du pouvoir de prendre la mesure qu’on lui demandait.

 

 

[12]           Il y a, bien sûr, des cas où la question qui se pose dans le cadre d’un contrôle judiciaire est qualifiée de question mixte de fait et de droit mais où la question juridique peut être isolée des faits qui l’entourent. Lorsqu’il est possible de dégager ainsi une question juridique des éléments de preuve et lorsque le décideur a commis une erreur dans l’identification du principe ou de la norme juridique à appliquer aux éléments de preuve pertinents, la norme de contrôle sera habituellement celle de la décision correcte : voir Canwell Enviro Industries Ltd. c. Baker Petrolite Corporation, 2002 CAF 158, 288 N.R. 201, paragraphe 51. Cependant, dans les cas où il y a véritablement mixité des faits et du droit, une retenue judiciaire se situant au moins au niveau de la norme de la décision raisonnable sera indiquée à l’égard du décideur. Le degré de retenue dépendra beaucoup, évidemment, de l’importance des éléments de preuve au regard de la question à trancher. Plus l’exercice est factuel ou ancré dans les éléments de preuve, plus on peut soutenir que le tribunal de révision doit faire preuve de retenue.

 

[13]           Dans Pason Systems Corp. c. Canada (Commissaire aux brevets), 2006 CF 753, 295 F.T.R. 1, la question dont le juge Roger Hughes était saisi quant à savoir si une « erreur d’écriture » était survenue a été considérée comme étant « essentiellement une question de fait » commandant un « degré raisonnable, mais non considérable, de retenue » (para. 21). Je ne vois pas d’incompatibilité entre cette opinion et la norme appliquée dans la décision Procter & Gamble, précitée, où la question en était une d’interprétation juridique et où la norme correspondante était celle de la décision correcte.

 

[14]           Dans la présente affaire, les deux motifs invoqués par le commissaire pour refuser de prendre la mesure demandée par Dow doivent être examinés séparément aux fins de déterminer la norme de contrôle indiquée. J’aborderai le premier des motifs invoqués par le commissaire pour refuser la demande de Dow plus loin dans mes motifs.

 

[15]           Le deuxième des motifs sur lesquels le commissaire s’est appuyé pour refuser de corriger la demande ‘559 me paraît constituer une question mixte de fait et de droit. Le commissaire se préoccupait des deux questions connexes de la longueur du délai et du potentiel de préjudice causé à des tiers, et il a donc refusé de prendre la mesure demandée en vertu de l’article 8 de la Loi. Il s’agit là du genre de question qui commande une retenue judiciaire, et j’adopterais l’analyse suivante relative à la norme de contrôle exposée dans la décision Bristol-Myers Squib Co. c. Commissaire aux brevets (1997), 138 F.T.R. 144, confirmée en appel à (1998), 82 C.P.R. (3d) 192 (C.A.F.) :

10        Notre Cour a interprété l’article 8 de la Loi dans l’arrêt Bayer Aktiengesellschaft c. Commissaire aux brevets, (1980), 53 C.P.R. (2d) 70. À la page 74 de cet arrêt, le juge Mahoney déclare :

 

L’article 8 prévoit que "les erreurs d’écriture [...] peuvent être corrigées au moyen d’un certificat sous l’autorité du commissaire". Le terme "peuvent" signifie que cela est facultatif, et non pas impératif ou obligatoire. Rien dans l’article 8 ne permet de conclure que l’intimé est tenu de délivrer un certificat de correction lorsqu’il constate que la correction demandée concerne une erreur d’écriture. Il est libre de le faire ou de ne pas le faire et la Cour ne saurait se substituer à lui sur ce point. Le bref de mandamus ne saurait être utilisé pour exiger de l’intimé qu’il délivre un certificat en vertu de l’article 8 de la Loi sur les brevets.

 

11        Ainsi, même lorsqu’une erreur est reconnue comme étant une simple erreur d’écriture, le commissaire aux brevets a toute latitude pour décider s’il y a lieu ou non de la corriger. À mon avis, cette interprétation vaut toujours, malgré l’adoption subséquente de l’article 35, qui a remplacé l’article 141 des Règles. Cette modification aux Règles, dans le contexte de l’article 8 de la Loi, a simplement pour effet de permettre officiellement au "requérant" de demander la correction d’erreurs d’écriture évidentes dans les documents qu’il indique. Cette demande que le requérant fait en vertu de l’article 35 des Règles demeure toutefois assujettie à l’approbation du commissaire, comme le prévoit l’article 8 de la Loi.

 

12        La décision du commissaire était donc discrétionnaire. Dans l’arrêt Maple Lodge Farms Limited c. Gouvernement du Canada et autres, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8, le juge McIntyre, de la Cour suprême du Canada, a écrit :

 

[...] C’est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s’ingérer dans l’exercice qu’un organisme désigné par la loi fait d’un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s’est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

 

13        Plus tard, dans l’arrêt Association canadienne des importateurs réglementés c. Canada, [1994] 2 C.F. 247, à la page 260, la Cour d’appel fédérale a exprimé l’avis suivant :

 

Le fait d’avoir tenu compte de certains facteurs non pertinents ne met pas en péril une décision en matière de politique; c’est seulement lorsqu’une telle décision est fondée entièrement ou principalement sur des facteurs non pertinents qu’elle est contestable. Il n’incombe pas au tribunal de juger si une décision est [traduction] "sage ou ne l’est pas". (Voir Cantwell c. Canada (Ministre de l’Environnement) (1991), 6 C.E.L.R. (N.S.) 16 (C.F. 1re inst.), à la page 46, le juge MacKay). Étant donné que ces questions portent sur des "jugements de valeur", notre Cour ne doit pas "[siéger] à titre d’organisme d’appel en vue de déterminer si le ministère responsable a pris la bonne décision". (Voir le juge Strayer dans Vancouver Island Peace Society c. Canada, [1992] 3 C.F. 42 (C.F. 1re inst.), à la page 49.)

 

[...]

 

En d’autres termes, pour qu’un tribunal intervienne, on doit s’être fondé principalement sur des questions non pertinentes ainsi que sur une absence de preuve à l’appui de la décision du ministre.

 

 

14        Qui plus est, je suis d’avis qu’en conférant au commissaire à l’article 8 de la Loi le pouvoir discrétionnaire général d’autoriser la correction d’erreurs d’écriture, le législateur fédéral a clairement fait savoir qu’il s’en remettait à la compétence spécialisée du commissaire. En conséquence, la Cour doit faire preuve de retenue en ce qui concerne la détermination, par le commissaire, des facteurs dont elle devait tenir compte pour exercer son pouvoir discrétionnaire et la Cour ne devrait infirmer cette décision que si elle est déraisonnable (voir l’arrêt Pezim c. C.-B. (Superintendant of Brokers), (1994), 114 D.L.R. (4th) 385, aux pages 404 à 406).

 

                        [Renvoi omis.]

[16]           La demande de correction de la demande ‘559 que Dow a adressée au commissaire a été faite en vertu de l’article 8 de la Loi, qui est rédigé ainsi :

8. Un document en dépôt au Bureau des brevets n’est pas invalide en raison d’erreurs d’écriture; elles peuvent être corrigées sous l’autorité du commissaire.

8. Clerical errors in any instrument of record in the Patent Office do not invalidate the instrument, but they may be corrected under the authority of the Commissioner.

 

[17]           Dow prétend que le commissaire a commis une erreur lorsqu’il a exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 8 en s’appuyant sur une seule considération dénuée de fondement et hypothétique pour refuser la demande de Dow ayant pour objet la correction de sa demande ‘559. Elle soutient que le commissaire a spéculé à tort au sujet du risque de préjudice causé à des tiers. Dow affirme en outre non seulement qu’il n’y avait aucune preuve de préjudice réel subi par des tiers, mais aussi qu’aucune personne raisonnable ne manquerait de constater l’omission importante de texte après avoir examiné la demande ‘559. Après avoir constaté l’omission, toute partie prudente et bien informée aurait la présence d’esprit de consulter les documents de priorité pour voir ce qui avait été omis et ne subirait donc aucun préjudice. Dow avance également un argument connexe – bien qu’elle ne l’ait pas soulevé auprès du commissaire –, à savoir qu’en vertu de la règle 17.2 du Règlement d’exécution du Traité de coopération en matière de brevets, la demande prioritaire américaine était réputée en droit faire partie de l’historique du dossier canadien et le commissaire était réputé l’avoir reçue en date du 15 mars 2001.

 

[18]            L’argumentation de Dow comporte plusieurs failles. Premièrement, le commissaire ne s’est pas appuyé uniquement sur une présomption de préjudices causés à des tiers mais se préoccupait aussi du temps considérable que Dow avait mis avant de solliciter la correction de sa demande. La lettre du commissaire datée du 9 novembre 2005 mentionne le fait que la demande de Dow lui est parvenue plus d’un an après que le public eut été autorisé à examiner la demande ‘559. Cette observation était d’ailleurs plutôt généreuse à l’endroit de Dow parce que la demande initiale que cette dernière avait adressée au commissaire n’était accompagnée d’aucune explication. Ce n’est que plus de quatre ans après que la demande eut été rendue publique que Dow a fourni des éléments de preuve au soutien de sa prétention de selon laquelle une erreur d’écriture avait été commise.

 

[19]           L’argument de Dow selon lequel l’omission importante de texte dans la demande ‘559 aurait été évidente pour un tiers est affaibli par le fait que Dow et ses représentants ont mis des mois avant de se rendre compte de l’erreur. En outre, je conviens avec le commissaire que les tiers, agissant de bonne foi, ont le droit de présumer qu’une demande de brevet est exacte et complète. Quant au commissaire, il n’est pas tenu de se livrer à l’exercice plutôt spéculatif consistant à tenter d’évaluer le caractère évident d’une erreur aux yeux d’un tiers ou la disponibilité relative d’autres sources de renseignements propres à combler la lacune. Le fait que les documents de priorité américains soient réputés faire partie de l’historique du dossier canadien n’ajoute rien à l’importance du problème d’un préjudice de facto causé à un tiers. Sur ce point, j’admets la validité de la position que le commissaire a exposée dans les observations écrites complémentaires qu’il a déposées à la Cour :

[traduction] Les arguments additionnels de la demanderesse ne touchent pas directement cet aspect du refus du commissaire d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’effectuer la correction demandée dans le cas qui nous concerne. Le fait que les documents relatifs à la demande prioritaire aient été disponibles, et que la consultation de ces documents aurait pu révéler que certaines pages n’étaient pas incluses dans la demande canadienne, n’élimine nullement la possibilité que des tiers aient pu ne jamais se rendre compte qu’il manquait quelque chose dans la demande canadienne, pas plus qu’il n’élimine les préoccupations liées au long délai écoulé avant que les demandes de correction soient faites.

 

 

[20]           Dans le cas d’un long délai comme celui-ci, le commissaire peut présumer qu’une correction effectuée en vertu de l’article 8 pourrait avoir des incidences négatives sur les intérêts de tiers. En fait, dans la plupart sinon la totalité des cas, il n’y aura aucune preuve de préjudice effectivement subi par des tiers. Si l’on suit l’argument de Dow jusqu’à sa conclusion logique, le commissaire devrait donc procéder aux corrections demandées dans pratiquement tous les cas où le titulaire d’un brevet a commis une erreur d’écriture.

 

[21]           Les tribunaux ont également reconnu le droit du commissaire de prendre en considération le préjudice que pourraient subir des tiers lorsqu’il exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 8.

 

[22]           Dans la décision Bristol-Myers Squib Co., précitée, le tribunal de première instance a examiné le refus du commissaire d’apporter, en vertu de l’article 8, une correction demandée à une demande de brevet dans un cas où l’agent du titulaire du brevet avait supprimé du texte par erreur. Le refus du commissaire reposait notamment sur les motifs suivants (au paragraphe 9) :

-         suivant les dispositions en vigueur au moment de la présentation [la nouvelle règle 142], la revendication de priorité devait être présentée dans les six mois du dépôt;

 

-         le public pouvait examiner la demande en fonction de la date de la revendication de priorité et l’exactitude et la fiabilité des renseignements du document que le public peut examiner constituent un aspect essentiel de cette procédure;

 

-         après que le public est autorisé à examiner la demande de brevet, des tiers peuvent s’être fiés aux renseignements contenus dans la demande et pourraient être lésés si une partie était ajoutée à la revendication de priorité.

 

[23]           Le juge Yvon Pinard, qui a confirmé la décision du commissaire, a abordé l’argument invoqué en l’espèce par Dow selon lequel le commissaire avait commis une erreur en spéculant au sujet des intérêts de tiers. Il a rejeté cet argument pour les motifs suivants (au paragraphe 15) :

En l’espèce, la bonne foi du commissaire n’est pas en cause et je suis d’avis qu’elle a attentivement tenu compte des éléments de preuve qui justifiaient sa décision. Après examen des facteurs dont elle a expressément tenu compte dans sa décision, je suis convaincu qu’il était raisonnable pour le commissaire d’exercer son pouvoir discrétionnaire comme elle l’a fait et ce, même si le présumé préjudice subi par des tiers peut être spéculatif.

 

 

[24]           En appel, Bristol-Myers a plaidé à nouveau que le commissaire avait mal exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 8 en tenant compte de considérations dénuées de pertinence et en omettant de tenir compte de considérations pertinentes (voir arrêt Bristol-Myers Squibb Co., précité, au paragraphe 11). La Cour d’appel a noté la préoccupation du commissaire quant à l’effet rétroactif de la correction demandée et a rejeté l’argument évoqué plus haut pour les motifs suivants (au paragraphe 25) :

Aux termes de l’article 4 de la Loi, le commissaire assure "la direction et la garde" des archives appartenant au Bureau des brevets. Dans cette optique, les termes "sous l’autorité du" à l’article 8 de la Loi suggèrent que le commissaire est responsable de l’intégrité du système confié à ses soins. L’effet de la demande de correction n’était pas, comme dans l’affaire Bibeault, de constater la transmission de droits et obligations s’opérant par l’effet de la loi. Il était demandé au commissaire aux brevets de donner priorité à une revendication qui, selon la loi, ne peut être faite que dans un délai de six mois à compter du dépôt de la demande de brevet, fait le 25 juin 1993. La demande avait été accessible pour consultation sur la base de la date de priorité. Le commissaire pouvait raisonnablement juger que la fiabilité du document accessible pour consultation constituait un aspect essentiel de la procédure de consultation des documents et que des tiers pouvaient s’être fiés aux renseignements contenus dans la demande et pourraient être lésés si une partie était ajoutée à la revendication de priorité. Ces considérations, contrairement à ce que prétend l’appelante, n’étaient pas non pertinentes19. Loin de là. Le commissaire pouvait se préoccuper de l’effet que la demande aurait eu sur des tiers si la correction avait été accordée.

 

                        [Non souligné dans l’original. Renvois omis.]

 

 

[25]           Je ne vois rien dans la décision du commissaire en l’espèce qui la différencie de la décision qui a été confirmée dans l’arrêt Bristol-Myers Squibb Co., précité. Le commissaire pouvait exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère la loi pour les motifs exposés et une ingérence dans cette décision constituerait une immixtion judiciaire contre-indiquée dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire.

 

[26]           Vu ma conclusion selon laquelle le commissaire n’a pas commis d’erreur dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 8, il n’est pas nécessaire pour moi de décider si l’erreur commise par l’avocat américain de Dow en matière de brevets constituait une erreur d’écriture. Néanmoins, il convient de noter que les éléments de preuve qui lui ont été présentés n’ont pas convaincu le commissaire qu’une erreur d’écriture était survenue et qu’il a exprimé un doute quant à savoir si une erreur de cette envergure serait le résultat vraisemblable du genre d’erreurs d’écriture qui donnerait normalement droit à la prise d’une mesure en vertu de l’article 8. Le poids à accorder aux éléments de preuve présentés relève, bien sûr, purement du pouvoir du commissaire, et une retenue considérable est donc de mise à cet égard. En l’absence d’éléments de preuve convaincants selon lesquels une erreur entraînant la suppression de neuf pages de texte pourrait facilement résulter d’une simple faute de frappe ou erreur de transcription, il est difficile de contester la conclusion du commissaire.

 

[27]           J’ajouterais que le fait qu’il soit démontré qu’une erreur a été commise par inadvertance (comme c’est le cas en l’espèce) n’est pas suffisant pour établir qu’il s’agit d’une erreur d’écriture au sens où les tribunaux ont défini cette expression. Bien que Dow ait tenté d’expliquer à la Cour comment une telle erreur aurait pu se produire, ces renseignements ne figuraient pas dans les éléments de preuve présentés au commissaire et, par conséquent, ils ne peuvent pas être pris en compte dans le contexte du contrôle de la décision du commissaire. Il en va de même de l’affidavit de M. Schwartz qui comportait des éléments de preuve concernant le caractère évident de l’erreur et la disponibilité du texte complet de la demande ‘559 à partir d’autres sources. Ce sont là des éléments de preuve qui étaient disponibles et qui auraient pu être présentés au commissaire. Après avoir omis de présenter ces éléments de preuve au commissaire, la demanderesse est mal venue de demander à la Cour de s’y fier pour apprécier le caractère raisonnable de la décision du commissaire.

 

[28]           Le Parlement aurait évidemment pu accorder un pouvoir discrétionnaire de correction plus vaste au commissaire en laissant de côté les mots « d’écriture » à l’article 8 de la Loi. L’inclusion de ces mots visait clairement à circonscrire le pouvoir discrétionnaire du commissaire dans une certaine mesure. Bien que je convienne qu’à une époque où les documents sont produits et édités par ordinateur, de simples fautes de frappe ou autres erreurs de transcription peuvent avoir des effets qui paraissent disproportionnés, il peut encore s’avérer nécessaire de présenter certains éléments de preuve pour établir la nature ou la source de l’erreur. Ce sera peut-être évident dans certains cas, mais dans ce cas-ci, ce ne l’était pas, et l’explication sommaire de M. Howard selon laquelle le texte avait été supprimé par inadvertance pour une raison quelconque au cours du processus d’édition n’a pas convaincu le commissaire. Ces éléments de preuve auraient pu mener à une conclusion différente, mais je ne saurais dire que l’appréciation que le commissaire en a faite était déraisonnable.

 

[29]           En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Compte tenu de l’article 25 de la Loi, aucuns dépens ne seront adjugés.


 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-2179-05

 

INTITULÉ :                                       THE DOW CHEMICAL COMPANY

                                                            c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LE COMMISSAIRE AUX BREVETS

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 14 juin 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  le juge Barnes

 

DATE DE L’ORDONNANCE :       le 26 novembre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Anthony Creber

M. Scott Robertson

POUR LA DEMANDERESSE

 

M. David Cowie

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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