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Date : 20071005

Dossier : DES-5-01

Référence : 2007 CF 1025

Ottawa (Ontario), le 5 octobre 2007

EN PRÉSENCE DE Monsieur le juge Lemieux

 

ENTRE :

HASSAN ALMREI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

Introduction et contexte

 

[1]     Hassan Almrei est un ressortissant syrien âgé de 33 ans, qui, ayant fait l’objet d’un certificat de sécurité délivré par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le Solliciteur général du Canada, est détenu depuis le 19 octobre 2001 aux termes du paragraphe 82(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi). Il demande maintenant sa mise en liberté judiciaire à des conditions, à l’exception de la détention au domicile de la caution principale chargée de la supervision, semblables à celles qui régissent la remise en liberté récente de trois détenus ayant fait l’objet de certificats de sécurité, savoir MM. Harkat, Jaballah et Mahjoub. Depuis le 24 avril 2006, il est détenu au Centre de surveillance de l’immigration à Kingston (le CSIK). Il est maintenant le seul détenu de cet établissement. Les autres détenus, soit MM. Harkat, Mahjoub et Jaballah, ont été mis en liberté par suite d’ordonnances rendues par les juges de notre Cour.

 

[2]     Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (les ministres) s’opposent à sa mise en liberté. Ils prétendent qu’il constitue un risque sérieux pour la sécurité nationale et que, comme il pourrait se soustraire aux autorités, il ne devrait donc pas être remis en liberté. Il constitue un risque sérieux pour la sécurité nationale parce qu’il souscrit à la philosophie d’Oussama ben Laden qui fait la promotion d’actes violents de terrorisme contre des populations civiles dans les pays occidentaux, y compris le Canada. En outre, les ministres soutiennent que les mesures de supervision proposées par M. Almrei pour assurer le respect des conditions de sa mise en liberté ne sont pas comparables à celles qui ont été adoptées dans des cas semblables. En particulier, ils prétendent qu’aucune des quatre cautions proposées n’est acceptable et que la principale caractéristique de cette série de mesures de supervision, soit le fait de se trouver seul à son domicile pendant de longues périodes, n’a jamais été endossée par aucun juge désigné de notre Cour.

 

[3]     M. Almrei fait valoir au contraire qu’il s’oppose à la philosophie d’Oussama ben Laden qui, selon lui, est contraire aux enseignements de l’Islam. Il reconnaît qu’il a participé au djihad en Afghanistan et au Tadjikistan, mais il soutient que ce djihad était légitime parce qu’il visait à libérer les pays musulmans de l’occupant soviétique ou du gouvernement de façade que les Soviétiques avaient mis en place en 1992 après leur départ de l’Afghanistan en 1989. M. Almrei reconnaît d’emblée qu’al-Qaïda est une organisation terroriste qui attaque et tue des civils innocents. Il soutient qu’il n’a jamais fait partie d’al-Qaïda, ni de ses groupes affiliés ou de son réseau. Il prétend que les mesures de supervision qu’il est prêt à respecter sont efficaces principalement à cause des caractéristiques de GPS du bracelet qu’il serait tenu de porter et que ce sont les meilleures mesures qu’il peut proposer, étant donné qu’il n’a pas de parent au Canada.

 

Le contexte

[4]     Il s’agit de sa troisième demande de mise en liberté judiciaire. Les deux premières demandes ont été rejetées par des juges désignés de notre Cour. Elles étaient fondées sur le paragraphe 84(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi). Ce paragraphe n’est plus en vigueur, ayant été invalidé par la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Adil Charkaoui/Hassan Almrei et Mohammed Harkat cLe ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2007 CSC 9, rendu le 23 février 2007. M. Almrei présente maintenant sa troisième demande de mise en liberté en se fondant sur l’article 83 de la Loi qui a été réécrit par la Cour suprême du Canada de façon qu’il s’applique aux ressortissants étrangers aussi bien qu’aux résidents permanents.

 

[5]     M. Almrei a vécu en Arabie saoudite à partir de l’âge de sept ans après que sa famille eut fui la Syrie; son père était membre de la Fraternité musulmane en Syrie et craignait des représailles de la part du gouvernement syrien. M. Almrei est arrivé au Canada le 2 janvier 1999 et a été reconnu comme réfugié au sens de la Convention en juin 2000. Il ne peut être renvoyé du Canada vers la Syrie ou vers tout autre pays où il pourrait faire l’objet de persécutions ou de tortures à moins que, aux termes du paragraphe 115(2) de la Loi, le ministre ne soit d’avis qu’il ne devrait pas être autorisé à demeurer au Canada parce qu’il constitue un danger pour la sécurité nationale. Il n’est pas marié et n’a pas de parent au Canada. Les membres de sa famille se trouvent pour la plupart en Arabie saoudite.

 

[6]     Le certificat de sécurité délivré à l’égard de M. Almrei a été examiné par ma collègue, la juge Tremblay-Lamer, qui le 23 novembre 2001 a conclu qu’il était raisonnable (ses motifs sont répertoriés à 2001 CFPI 1288). M. Almrei avait choisi de ne pas témoigner devant elle. Elle a conclu au paragraphe 31 de ses motifs ce qui suit :

« Les renseignements confidentiels, que je ne puis divulguer, étayent fortement la thèse voulant que M. Almrei soit membre d’un réseau international d’extrémistes qui appuient les idéaux islamiques extrémistes épousés par Osama bin Laden et qu’il fasse partie d’un réseau de faussaires ayant des liens internationaux qui produit de faux documents. » [Non souligné dans l’original.]

 

[7]     Lorsqu’un certificat de sécurité est jugé raisonnable par un juge désigné de la Cour fédérale, cela entraîne deux conséquences. Premièrement, le certificat est une preuve concluante que la personne qui y est désignée n’est pas admissible au Canada et, deuxièmement, il constitue une mesure de renvoi qui ne peut être portée en appel et qui est exécutoire sans qu’il soit nécessaire d’effectuer un examen ou de tenir une audience relativement à l’admissibilité de l’intéressé.

 

[8]     Sa première demande de mise en liberté a été rejetée par mon collègue le juge Blanchard le 19 mars 2004, dont les motifs se trouvent à 2004 CF 420. Le juge Blanchard a conclu que M. Almrei ne l’avait convaincu sous aucun des deux volets du paragraphe 84(2) de la Loi parce qu’il serait renvoyé du Canada dans un délai raisonnable et que sa mise en liberté constituerait un danger pour la sécurité nationale, danger qui ne pourrait être contrecarré par les conditions de mise en liberté qui étaient alors proposées. Sa décision a été maintenue par la Cour d’appel fédérale (la CAF), 2005 CAF 54, mais la décision de la CAF a été infirmée par la Cour suprême du Canada pour des motifs constitutionnels par suite des appels d’Adil Charkaoui, de Hassan Almrei et de Mohamed Harkat, dont la référence est donnée ci-dessus.

 

[9]     La deuxième tentative de M. Almrei en vue d’obtenir sa mise en liberté a été entendue par ma collègue, la juge Layden‑Stevenson. Le 5 décembre 2005, avant que la Cour suprême du Canada ne prononce son jugement dans Charkaoui/Almrei/Harkat, précité, elle a refusé qu’il soit mis en liberté (2005 CF 1645). Elle s’est dite d’avis que M. Almrei avait respecté le premier volet du critère prévu au paragraphe 84(2), en concluant qu’il avait établi que son renvoi n’était « pas imminent, que ce n’[était] pas un [Traduction] “fait accompli” et que le renvoi ne serait pas effectué dans un délai raisonnable ». Toutefois, elle a conclu que M. Almrei ne l’avait pas convaincue au regard du second volet du critère, se disant persuadée qu’il constituait un danger pour la sécurité nationale qui ne pouvait pas être contrecarré par l’imposition de strictes conditions de mise en liberté. Je note qu’elle a pris sa décision en se fondant largement sur le dossier public, mais que ses conclusions sont étayées par son examen des documents confidentiels déposés au nom des ministres.

[10]     Comme on l’a dit, la présente demande de mise en liberté est fondée sur l’article 83 de la Loi, modifié, qui dispose maintenant comme suit :

(1) Dans les quarante-huit heures suivant le début de la détention du résident permanent ou du ressortissant étranger, le juge entreprend le contrôle des motifs justifiant le maintien en détention, l’article 78 s’appliquant, avec les adaptations nécessaires, au contrôle.

 

(2) Tant qu’il n’est pas statué sur le certificat, l’intéressé comparaît au moins une fois dans les six mois suivant chaque contrôle, ou sur autorisation du juge.

 

(3) L’intéressé est maintenu en détention sur preuve qu’il constitue toujours un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui ou qu’il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[11]     L’élargissement des droits de contrôle de la détention d’un ressortissant étranger n’a pas été la seule modification apportée par la Cour suprême du Canada dans la décision précitée. Le régime de certificats (le régime) établi par la Loi a subi deux autres atteintes importantes.

 

[12]     Tout d’abord, dans le domaine du contrôle de la détention et dans le contexte de son analyse pour déterminer si des périodes de détention prolongée en vertu du régime enfreignent les garanties prévues aux articles 7 et 12 de la Charte, la juge en chef du Canada, exprimant l’opinion unanime de la Cour, au paragraphe 110 de ses motifs, a répondu par la négative, pourvu qu’il y ait « un processus qui offre la possibilité de faire contrôler régulièrement la détention », en fonction des facteurs non exclusifs suivants :

                   • les motifs de la détention;

                   • le temps passé en détention;

                   • les raisons qui retardent l’expulsion;

                   • la durée anticipée du prolongement de la détention, et;

                   • l’existence de solutions de rechange à la détention.

 

Ces lignes directrices sont applicables à la demande de mise en liberté judiciaire de M. Almrei qui est examinée par notre Cour.

 

[13]     Quand la Cour suprême du Canada a rendu son jugement le 23 février 2007, seuls M. Almrei et M. Mahmoud Es-Sayyid Jaballah étaient toujours détenus aux termes d’un certificat de sécurité. Les autres intéressés avaient auparavant été libérés moyennant des conditions prévues à l’article 83 ou au paragraphe 84(2) de la Loi. Ces personnes sont M. Charkaoui, M. Harkat et M. Mahjoub. M. Mahjoub a été mis en liberté par le juge Mosley le 15 février 2007 (les motifs sont répertoriés à 2007 CF 171). Après que la Cour suprême du Canada eut rendu sa décision, la juge Layden‑Stevenson, appliquant les lignes directrices de la Cour suprême du Canada, a libéré, en s’appuyant sur l’article 83 modifié de la Loi, M. Jaballah en lui imposant des conditions très strictes et très astreignantes (voir Mahmoud Jaballah c. Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, et al., 2007 CF 379, 12 avril 2007).

 

[14]     La deuxième atteinte importante au régime concerne les dispositions du certificat de sécurité qui oblige un juge désigné de notre Cour, soit au moment de déterminer si le certificat de sécurité est raisonnable ou lors du contrôle de la détention aux termes de la Loi, à examiner des preuves confidentielles soumises par les ministres à huis clos et ex parte, c’est-à-dire sans que la personne qui y est nommée ou son avocat puisse y avoir accès. La Cour suprême du Canada a jugé que ces dispositions enfreignaient l’article 7 de la Charte parce qu’elles ne prévoient pas de mesures suffisantes pour pallier la non‑divulgation de renseignements et pour résoudre les problèmes constitutionnels qui en découlent. Par conséquent, la Cour suprême du Canada a jugé que « la procédure d’approbation des certificats et de contrôle de la détention établie dans la LIPR enfreint l’art. 7 de la Charte et n’a pas été justifiée en application de l’article premier de la Charte ». La juge en chef du Canada a déclaré la procédure « incompatible avec la Charte et, de ce fait, inopérante ». Toutefois, pour donner au législateur le temps de modifier la Loi, elle a suspendu la prise d’effet de cette déclaration pour une période de un an à compter de la date du jugement.

 

[15]     Le paragraphe 140 de l’arrêt Charkaoui/Almrei/Harkat traite de la suspension de cette déclaration :

« En revanche, pour donner au législateur le temps de modifier la loi, je suis d’avis de suspendre la prise d’effet de cette déclaration pour une période de un an à compter de la date du présent jugement. Si le gouvernement décide de faire examiner le caractère raisonnable du certificat visant M. Charkaoui pendant cette période, la procédure existante prévue par la LIPR s’appliquera. Après cette période de un an, les certificats visant M. Harkat et M. Almrei (et tous les autres certificats jugés raisonnables) perdront le caractère « raisonnable » qui leur a été reconnu et les personnes désignées dans ces certificats pourront en demander l’annulation. Si le gouvernement veut utiliser un certificat après cette période de un an, il devra le soumettre au nouveau processus conçu par le législateur pour en faire confirmer le caractère raisonnable. De même, tout contrôle d’une détention postérieur à l’expiration de cette période sera effectué en conformité avec ce nouveau processus. »

 

[16]     Comme on l’a noté, la Cour suprême n’a pas suspendu sa déclaration d’invalidité du paragraphe 84(2) de la Loi. Pour ce qui concerne le présent contrôle de la détention, il en résulte que la procédure d’acceptation et d’appréciation de la preuve confidentielle par la Cour est celle qui était en place en vertu de la Loi avant que la Cour suprême ne prononce sa déclaration d’invalidité.

 

[17]     Avant d’entendre la présente demande de mise en liberté de M. Almrei, j’ai demandé aux deux avocats si, dans les circonstances, il serait approprié que la Cour nomme un ami de la Cour (amicus curiae) pour étudier en détail les documents confidentiels. L’avocat de M. Almrei a décliné l’invitation au motif que cela retarderait indûment l’audition de la demande de mise en liberté de M. Almrei. L’avocat des ministres n’a fait aucune observation concernant cette suggestion de la Cour.

 

Les principes juridiques applicables

 

[18]     L’avocat de M. Almrei et ceux des ministres s’entendaient sur la presque totalité des principes juridiques applicables découlant de l’arrêt Charkaoui/Almrei/Harkat de la Cour suprême du Canada. Je les énumère ci-dessous.

 

[19]     Tout d’abord en vertu du paragraphe 83(3), les ministres ont le fardeau initial de présentation de la preuve, soit celui d’établir que M. Almrei « constitue toujours un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui ou qu’il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi » (voir le paragraphe 100 de l’arrêt Charkaoui/Almrei/Harkat, précité).

 

[20]     Deuxièmement, le contrôle de la détention de M. Almrei est régi par les lignes directrices énoncées par la Cour suprême du Canada dans sa récente décision. Ces facteurs sont énumérés aux paragraphes 110 à 121 de l’arrêt Charkaoui/Almrei/Harkat, précité, et sont repris ci‑dessous :

110.  Je conclus que les longues périodes de détention permises par les dispositions de la LIPR régissant les certificats ne contreviennent pas aux art. 7 et 12 de la Charte, lorsqu’elles sont assorties d’un processus qui offre la possibilité de faire contrôler régulièrement la détention en fonction des considérations suivantes :

 

a) Les motifs de la détention

111.  Les ministres peuvent signer un certificat « pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée » (art. 77). La détention consécutive au dépôt d’un certificat est justifiée en raison d’un danger constant pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui. Bien que les critères de la mise en liberté prévus à l’art. 83 de la LIPR incluent aussi la probabilité que l’intéressé se soustraira à la procédure ou au renvoi, un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui constitue un facteur plus important de justification du maintien en détention. Plus le danger est grave, plus la détention sera justifiée.

 

b) Le temps passé en détention

112.  Le temps déjà passé en détention est un facteur important, tant du point de vue de l’individu que de celui de la sécurité nationale. Plus la détention se prolonge, moins l’individu sera susceptible de demeurer un danger pour la sécurité : « [d]e l’imminence d’un danger, il se peut que celui-ci décline avec le passage du temps »: Charkaoui (Re) (C.F.), 2005 CF 248, par. 74. Le juge Noël a conclu que M. Charkaoui pouvait être mis en liberté sans danger parce que sa longue période de détention avait interrompu les rapports qu’il avait pu entretenir avec des groupes extrémistes. De même, la juge Dawson a fondé sa décision de remettre M. Harkat en liberté en partie sur le fait que, vu sa longue période de détention, il avait « ainsi cessé de pouvoir communiquer avec des membres du réseau islamiste extrémiste »: Harkat, par. 86.

113.  Une longue période de détention suppose également que le gouvernement a eu le temps de rassembler les éléments de preuve établissant la nature du danger que pose le détenu. Si le fardeau de la preuve qui incombe au gouvernement peut être assez peu exigeant lors du contrôle initial de la détention (voir par. 93 ci-dessus), il doit être plus lourd lorsque le gouvernement a eu plus de temps pour faire enquête et documenter le danger.

 

c) Les raisons qui retardent l’expulsion

114.  Les juges appelés à contrôler la détention en attente de l’expulsion vérifient si le retard était attribuable au détenu ou au gouvernement : Sahin, p. 231. Lors de l’examen de la demande de mise en liberté de M. Almrei, la Cour d’appel fédérale a affirmé que le juge chargé de l’examen peut « ne pas tenir compte, en tout ou en partie, du délai résultant d’une procédure amorcée par le demandeur qui a pour effet précis d’empêcher la Couronne d’appliquer la loi dans un délai raisonnable » : Almrei, 2005 CAF 54, par. 58; voir également Harkat, par. 30. On ne devrait pas reprocher au gouvernement ou au détenu de se prévaloir, de façon raisonnable dans les circonstances, des dispositions applicables de la LIPR, ni reprocher au détenu une contestation raisonnable fondée sur la Charte. Par contre, il sera justifié de retenir un délai inexpliqué ou un manque de diligence contre la partie qui en est responsable.

 

d) La durée anticipée du prolongement de la détention

115.  Si l’expulsion sera précédée d’une longue détention ou s’il n’est pas possible de déterminer pendant combien de temps la détention se prolongera, ce facteur jouera en faveur de la mise en liberté.

 

e) L’existence de solutions de rechange à la détention

116.  Des conditions de mise en liberté rigoureuses, comme celles imposées à M. Charkaoui et à M. Harkat, restreignent fortement la liberté individuelle. Toutefois, elles sont moins sévères que l’incarcération. Les solutions de rechange à une longue détention consécutive à un certificat, telles de sévères conditions de mise en liberté, ne doivent pas être disproportionnées par rapport à la nature du danger.

 

117.  Autrement dit, il faut que la détention soit contrôlée régulièrement et que le juge qui la contrôle puisse tenir compte de tous les facteurs pertinents quant au bien-fondé du maintien de la détention, y compris la possibilité d’un mauvais usage ou d’une application abusive des dispositions de la LIPR autorisant la détention. Des principes analogues s’appliquent à la mise en liberté assortie de conditions sévères ou restrictives pendant une longue période : ces conditions doivent être révisées régulièrement, en fonction de tous les facteurs susmentionnés, y compris l’existence de solutions de rechange.

 

118.     […]

 

119.  Le paragraphe 84(2) régit la mise en liberté des étrangers. Il exige que le juge se demande si la « mise en liberté » du détenu constituerait ou non un danger pour la sécurité. Cela sous-entend que le juge peut prendre en considération les conditions qui neutraliseraient le danger. Le juge peut ordonner la mise en liberté s’il est convaincu que le danger s’est dissipé ou qu’il peut être neutralisé par l’imposition de conditions.

 

120.  Le paragraphe 83(3), qui s’applique aux résidents permanents, est libellé quelque peu différemment. En effet, il exige que le juge se demande, non pas si la mise en liberté constituerait ou non un danger, comme sous le régime du par. 84(2), mais plutôt si le résident permanent constitue un danger. Cette différence dans le libellé pourrait soulever la question de la capacité du juge de concevoir des conditions et, en conséquence, d’ordonner la libération conditionnelle. À mon avis, il n’y a pas de différence pratique entre le fait de dire que la mise en liberté d’une personne constituerait un danger et celui de dire que la personne constitue un danger. Par conséquent, selon mon interprétation, le par. 83(3), à l’instar du par. 84(2), autorise le juge à se demander si un danger relié à la mise en liberté peut être atténué par l’imposition de conditions.

 

121.  Par conséquent, je conclus que le régime de certificats établi par la LIPR prévoit, tant pour les étrangers que pour les résidents permanents, un mécanisme de contrôle de la détention qui permet au juge de concevoir des conditions efficaces pour neutraliser le risque associé à la mise en liberté et, par conséquent, de libérer le détenu. [Non souligné dans l’original.]

 

[21]     Troisièmement, les avocats des ministres et de M. Almrei s’entendent pour dire que M. Almrei peut présenter sa troisième demande de mise en liberté sans être contraint de respecter les exigences imposées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Almrei, précité, notamment : l’existence d’une nouvelle preuve ou d’un changement important par rapport à une demande antérieure de mise en liberté. Les deux avocats s’entendent pour dire que l’opinion exprimée par la Cour suprême du Canada au paragraphe 123 des motifs prime sur les conditions préalables imposées par la CAF pour entendre une autre demande de mise en liberté. J’accepte les observations des avocats sur ce point. Au paragraphe 123 de ses motifs, la juge en chef du Canada écrit ceci :

« En résumé, lorsqu’elle est interprétée conformément à la Charte, la LIPR permet un contrôle judiciaire vigoureux et continu du bien-fondé et de la nécessité du maintien de la détention en attente de l’expulsion. Pour cette raison, je conclus que les longues périodes de détention avant le renvoi prévues par des dispositions de la LIPR relatives aux certificats ne contreviennent pas aux art. 7 ou 12 de la Charte, pourvu que le juge qui procède au contrôle suive les lignes directrices énoncées précédemment. La procédure établie par la LIPR n’est donc pas en soi inconstitutionnelle pour ce motif. Cela n’écarte toutefois pas la possibilité que, dans un cas particulier, un juge arrive à la conclusion que la détention constitue un traitement cruel et inusité ou est incompatible avec les principes de justice fondamentale, de sorte qu’elle constitue une violation de la Charte ouvrant droit à réparation conformément au par. 24(1) de la Charte. » [Non souligné dans l’original.]

 

Autrement dit, la troisième demande de M. Almrei en vue de sa mise en liberté est une nouvelle demande que le ou la juge chargé(e) du contrôle doit examiner de novo en se fondant sur la preuve dont il ou elle est saisi(e) en tenant compte, toutefois, du principe de courtoisie judiciaire à l’égard des conclusions antérieures d’autres collègues dans les instances auxquelles M. Almrei était partie. Ces conclusions devraient être adoptées en l’absence de motifs sérieux allant dans le sens contraire. J’analyserai le concept de courtoisie judiciaire plus loin dans les présents motifs.

 

[22]     Quatrièmement, le concept de ce qui constitue « un danger pour la sécurité nationale » est celui qui a été exprimé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Suresh c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et al., [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 90 :

« Ces considérations nous amènent à conclure qu’une personne constitue un « danger pour la sécurité du Canada » si elle représente, directement ou indirectement, une grave menace pour la sécurité du Canada, et il ne faut pas oublier que la sécurité d’un pays est souvent tributaire de la sécurité d’autres pays. La menace doit être « grave », en ce sens qu’elle doit reposer sur des soupçons objectivement raisonnables et étayés par la preuve, et en ce sens que le danger appréhendé doit être sérieux, et non pas négligeable. » [Non souligné dans l’original.]

 

[23]     Cinquièmement, pour savoir si les conditions de la mise en liberté réduiront le danger pour la sécurité du Canada posé par un détenu, il faut évaluer la prépondérance des probabilités.

 

[24]     Sixièmement, une conclusion établissant qu’un certificat de sécurité est raisonnable n’entraîne pas automatiquement la conclusion que la personne constitue un danger pour la sécurité du Canada (voir Suresh, précité, au paragraphe 83).

 

La thèse des ministres

 

[25]     Le 18 juin 2007, le Service canadien du renseignement de sécurité (le Service) a déposé, au nom des ministres, un résumé public approuvé par la Cour dans lequel était énoncée leur position concernant la possible mise en liberté de M. Almrei. Après avoir rencontré la Cour à huis clos, le Service a déposé, le 10 juillet 2007, un résumé public augmenté, en date du 6 juillet 2007, qui mettait d’autres renseignements à la disposition du public. Les positions exposées par les ministres dans le résumé public sont les suivantes :

1. Le Service canadien du renseignement de sécurité (le Service) croit que la mise en liberté de Hassan Almrei (Almrei) sera préjudiciable à la sécurité nationale et à la sécurité d’autrui;

 

2.  L’adoption par Almrei de l’idéologie extrémiste épousée par Oussama ben Laden, sa participation au djehad, ses liens avec d’autres personnes qui partagent l’idéologie extrémiste d’Oussama ben Laden, et son rôle dans un réseau international de falsification de documents démontrent que sa demande doit être refusée;

 

3.  Almrei a l’habileté et la capacité voulues pour faciliter, au Canada et à l’étranger, le déplacement de personnes qui partagent l’idéologie extrémiste prônée par Oussama ben Laden et qui commettraient des actes terroristes. Bien que la détention de Almrei puisse avoir diminué la gravité du danger qu’il représente, elle ne l’a pas neutralisé;

 

4.  La possibilité de se procurer des documents d’identité et de voyage continue d’être essentielle pour que des individus qui se livrent à des activités terroristes dans le monde entier puissent se déplacer en passant inaperçus. La mise en liberté de Almrei le placerait dans une position où il pourrait rétablir ses activités de falsification de documents;

 

5.  Le Service ne croit pas que des conditions de mise en liberté puissent neutraliser le danger à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui que la libération de Almrei posera. [Non souligné dans l’original.]

 

[26]     À l’appui de la position des ministres, le Service a identifié les indices suivants qui sont révélateurs de l’adhésion de M. Almrei aux idéaux islamiques extrémistes prônés par le réseau de ben Laden (le réseau) et par Oussama ben Laden lui-même, chef du mouvement al‑Qaïda, le centre du réseau, et de la promotion de ces idéaux par M. Almrei, et qui font que ce dernier est reconnu comme un danger pour la sécurité du Canada :

 

a)  L’aveu de sa participation au djihad, comme en fait foi sa déclaration du 10 novembre 2002, contenue à l’onglet 5 du volume 1 de l’index bibliographique du dossier public des ministres, et son témoignage devant les juges Blanchard et Layden‑Stevenson, dont les détails essentiels sont les suivants :

 

• En 1990, à l’âge de 16 ans, il s’est rendu pour la première fois au Pakistan avec l’intention de se rendre en Afghanistan pour combattre les vestiges laissés par l’occupant soviétique qui avait quitté le pays en 1989 et le gouvernement communiste fantoche qu’il a installé en 1990 et qui a été renversé en 1992 par les forces de la coalition moudjahidine. Il ne s’est pas rendu en Afghanistan parce qu’il a contracté la malaria. Pendant son séjour au Pakistan, les ministres prétendent qu’il a résidé dans une pension contrôlée par al‑Qaïda;

 

• En 1991, à l’âge de 17 ans, il s’est rendu en Afghanistan où il a séjourné pendant plusieurs mois au cours de ses vacances d’été. Il a fréquenté un camp militaire des forces moudjahidines afghanes sous le commandement de Abdul Sayyaf où il reconnaît avoir reçu un entraînement au maniement d’un AK‑47;

 

• En 1992, de nouveau pendant ses vacances d’été, il est retourné au même camp de Sayyaf en Afghanistan;

 

• En 1994, il a fait de nouveau un séjour de quatre à cinq mois en Afghanistan pour participer à un nouveau djihad au Tadjikistan avec ibn-Khattab et il a fréquenté son camp à Khunduz;

 

• En 1995, il est retourné à Khunduz où il a participé à des missions de reconnaissance des positions russes au Tadjikistan où il a finalement traversé la frontière et établi un camp avec le commandant ibn‑Khattab;

 

• En 1996 ou 1997, il a fait plusieurs autres séjours au Pakistan dans le cadre de son commerce de miel.

 

b)  Ses liens avec les Afghans arabes. Le Service croit que la mise en liberté de M. Almrei lui permettra de rétablir ses liens avec les Afghans arabes qui ont participé au djihad en Afghanistan et qui appuient les idéaux islamiques extrémistes d’Oussama ben Laden, y compris les partisans de ibn‑Khattab, Abdul Sayyaf, Nabil Al Marabh, Hoshem Al Taha et Ahmed Al Kaysee. Le résumé public décrit qui sont ces personnes. Ibn‑Khattab est un commandant moudjahidine aguerri qui a mené le djihad en Afghanistan et ensuite au Tadjikistan. Il a ensuite dirigé un autre djihad en Tchétchénie où, en 2002, il a été tué par les forces russes. Les autorités russes alléguaient que les rebelles tchétchènes relevant de son commandement ont été responsables à l’été de 1999 d’une série d’attentats à la bombe dans plusieurs villes qui ont entraîné la mort de centaines de civils. M. Sayyaf, comme il a été mentionné, était un chef de la coalition moudjahidine qui a combattu l’occupant soviétique et le gouvernement qu’il a installé en Afghanistan. M. Nabil Al Marabh est un individu que M. Almrei a rencontré à Khunduz, en Afghanistan, en 1994, au camp d’ibn‑Khattab et à qui M. Almrei a procuré un faux passeport pendant qu’il était au Canada. On dit qu’il est en prison en Syrie, ayant été expulsé des États-Unis. Hoshem Al Taha est le nom de l’individu à qui M. Almrei prétendait rendre visite au Canada quand il a demandé, depuis l’Arabie saoudite, un visa de visiteur pour le Canada. M. Ahmed Al Kaysee est un combattant du djihad en Afghanistan. Il a rencontré M. Almrei à l’aéroport quand M. Almrei est arrivé pour la première fois au Canada.

 

c)  Le rôle de faussaire de M. Almrei. Le Service croit que M. Almrei participe à un réseau de faussaires ayant des liens internationaux qui produit de faux documents. Pour étayer cette allégation, il note, dans le résumé public, son utilisation personnelle de faux documents de voyage, le fait qu’il a procuré de faux documents à M. Al Marabh, le fait qu’il a déclaré dans son témoignage connaître des personnes à Montréal qui pouvaient obtenir de faux documents, son aveu selon lequel il a dans le milieu la réputation d’être quelqu’un qui peut obtenir de faux documents, son voyage en Thaïlande en 1998 pour venir en aide à un individu qui était passeur de clandestins et le maintien de ses contacts avec cet individu pour discuter de faux passeports après son arrivée au Canada, et son association avec Ibrahim Ishak pour le compte de qui il a organisé un mariage de convenance à Toronto et que M. Almrei contactait pour se procurer de faux documents d’identité. M. Ishak a été arrêté à Détroit en possession de plusieurs séries de documents d’identité et autres qu’il comptait vendre, y compris des documents pour des personnes autres que lui-même.

 

d)  L’utilisation par M. Almrei de méthodes clandestines. Le Service allègue que M. Almrei a utilisé des méthodes clandestines et, se fondant sur cette utilisation, est d’avis que, si M. Almrei était remis en liberté, il serait difficile de s’assurer qu’il respecte les conditions qui lui seront imposées.

 

e)  Sa mise en liberté assortie de conditions. Le Service croit qu’aucune condition ne pourra neutraliser le danger à la sécurité nationale que sa mise en liberté pose. Il déclare que M. Almrei a admis à plusieurs reprises avoir menti aux autorités canadiennes, à son propre avocat, qu’il a refusé de témoigner devant Madame la juge Tremblay‑Lamer et que les juges Blanchard et Layden‑Stevenson ont jugé qu’il n’était pas crédible, ce qui démontre qu’il ne respectera aucune des conditions qui pourront lui être imposées. Le Service cite la disparition au Royaume-Uni de personnes qui étaient sous le coup d’ordonnances de contrôle, ce qui prouve que les conditions visant à restreindre les mouvements d’individus qui appuient l’extrémisme ou le terrorisme islamique ne sont pas efficaces.

 

f)  Le Service conclut en affirmant que M. Almrei est membre d’un réseau international d’extrémistes qui appuie les idéaux islamiques extrémistes épousés par Oussama ben Laden. Le Service déclare que ces individus se sont appuyés et continuent de s’appuyer sur l’obtention de faux documents pour faciliter la planification et l’exécution d’opérations terroristes, et que la mise en liberté de M. Almrei le mettra en position d’aider ces individus.

 

[27]     La thèse des ministres a été appuyée par une preuve orale et documentaire présentée au cours de séances publiques et de séances à huis clos. Les ministres ont cité un témoin au cours des séances publiques : J.P., un agent du Service du renseignement qui a déjà témoigné devant la juge Layden‑Stevenson dans la décision Almrei. J.P. a également témoigné devant elle dans la cause Jaballah et devant le juge Noël dans la cause Charkaoui. Les ministres ont également appelé un témoin au cours des séances tenues à huis clos.

 

[28]     La preuve documentaire publique des ministres se composait des éléments suivants :

·      La position des ministres concernant la demande de mise en liberté de M. Almrei en date du 6 juillet 2007, appuyée par un index bibliographique de trois volumes publics;

 

·      Un résumé du témoignage anticipé de J.P. qui a été entendu comme témoin;

 

·      Une transcription non officielle de l’entrevue que le SCRS a eue avec M. Almrei les 10 et 11 juillet 2003;

 

·      L’article de Peter L. Bergen intitulé « The Osama Bin Laden I Know »;

 

·      L’article de John Esposito intitulé « Unholy War‑Terror in the Name of Islam »;

 

·      Un article tiré du site www.globalsecurity.org, sur Ustad Abdul Rashul Sayyaf;

 

·      Un article intitulé « Killing in the Name of Islam », signé par MM. Kiktorowicz et Kaltner;

 

·      D’autres documents produits par les ministres et datés du 13 juillet 2007, se composant d’un certain nombre d’articles;

 

·      Trois volumes d’extraits de transcriptions des contrôles de détention concernant M. Almrei; et une série d’extraits de transcriptions ayant trait au contrôle de détention effectué par le juge Blanchard en novembre 2003 et en janvier 2004. Les extraits étaient tirés du témoignage et du contre-interrogatoire de J.P., qui a déposé devant moi, de même que de ceux de Hassan Almrei et de deux cautions proposées, soit Diana Ralph et Hassan Ahmed, qui ont tous trois témoigné devant moi. L’autre série de transcriptions a trait à l’instance devant la juge Layden‑Stevenson. Les personnes mentionnées dans la phrase précédente ont également témoigné devant la juge Layden‑Stevenson;

 

·      Un article intitulé « The Far Enemy ».

 

 

[29]     Les avocats des ministres, au cours des séances à huis clos, ont déposé la preuve documentaire suivante : une version confidentielle du document préparé par le SCRS intitulé [Traduction] « Renseignements ayant trait à la demande de mise en liberté de Hassan Almrei », en date du 18 juin 2007 (ci-après le RRS [rapport de renseignement en matière de sécurité]). Ce document était accompagné de trois volumes de renseignements confidentiels, avec pour résultat que je suis ainsi essentiellement saisi des mêmes renseignements confidentiels que ceux qui ont été déposés devant les juges Tremblay‑Lamer, Blanchard et Layden‑Stevenson. En outre, le RRS du SCRS renfermait d’autres documents confidentiels qui n’étaient pas contenus dans les trois volumes de l’index bibliographique. Comme on le verra ci-dessous, j’ai rejeté la recevabilité de cette nouvelle preuve.

 

La thèse de M. Almrei

[30]     Essentiellement, M. Almrei nie catégoriquement qu’il a épousé la philosophie d’al‑Qaïda qui se caractérise par l’assassinat sans distinction de civils en Occident ou au Moyen-Orient pour réaliser des objectifs politiques ou religieux. Il prétend que les gestes d’al‑Qaïda sont contraires aux enseignements de l’Islam et de son prophète.

 

[31]     Il déclare que les actes posés par al‑Qaïda ne peuvent être véritablement considérés comme un djihad parce qu’ils ne visent pas à libérer les pays musulmans des oppresseurs étrangers, comme c’était le cas en Afghanistan. Il déclare que l’assassinat de civils innocents n’est pas compatible avec le djihad lorsque correctement interprété dans le Coran. Selon lui, les attentats suicides à la bombe sont étrangers à l’Islam.

 

[32]     Il nie que la pension où il a résidé à Peshawar en 1990 était sous le contrôle d’al‑Qaïda.

 

[33]     Il reconnaît qu’Oussama ben Laden a participé à la résistance moudjahidine et a appuyé ce mouvement, qui s’est organisé quand l’Union soviétique a envahi l’Afghanistan en 1979. Peu après, Oussama ben Laden s’est allié à Abdallah Azzam en 1984 pour former le MAK qui a recruté des combattants dans les pays musulmans pour aider à libérer l’Afghanistan. M. Azzam a été tué au Pakistan en novembre 1989.

 

[34]     Il prétend que le Oussama ben Laden des années 1980‑1992, en Afghanistan, était un homme différent et un individu moins radical que celui qui s’est manifesté en 1996 pour prononcer une fatwa contre les États-Unis, qui a donné son appui aux talibans et qui a prêché l’intolérance et la haine.

 

[35]     M. Almrei aborde également la question de certains des Afghans arabes avec qui il se serait associé, selon le Service, et qui appuieraient les idéaux extrémistes d’Oussama ben Laden et ceux d’al‑Qaïda.

 

[36]     En particulier, il prétend que le dossier démontre que MM. Kattab et Sayyaf ne peuvent être considérés comme des adhérents aux vues extrémistes d’Oussama ben Laden, mais il reconnaît, toutefois, que ces deux personnes avaient des opinions de l’Islam qui étaient conservatrices ou fondamentalistes, mais pas aussi extrêmes que celles que M. ben Laden professe.

 

[37]     Sa thèse était appuyée par une preuve orale et documentaire présentée au cours de séances publiques. M. Almrei a témoigné par vidéoconférence à partir du CSIK. Il a été contre-interrogé. Ses opinions sur le djihad ont été appuyées par la déposition du Dr Badawi qui a été cité comme témoin expert, mais que je n’ai pas reconnu comme tel au motif qu’il ne respectait pas le critère de nécessité expliqué par la Cour suprême du Canada dans son arrêt Sa Majesté la Reine c. Mohan [1994] 2 R.C.S. 9. Le Dr Badawi a donc témoigné comme un témoin ordinaire.

 

[38]     Dans sa demande de mise en liberté, M. Almrei mentionne les personnes suivantes :

 

• Erma Wolfe, en tant que caution principale chargée de la supervision, étant donné que c’est dans son appartement situé au sous-sol de sa maison à Toronto qu’il résiderait. Elle est également prête à fournir un cautionnement de 3 000 $. Elle a témoigné devant la Cour.

 

• Diana Ralph et sa conjointe Jean Hanson, qui vivent maintenant à Ottawa, ont accepté de prendre la relève d’Erma Wolfe quand elle s’absente de Toronto, en particulier pour rendre visite à ses petits-enfants en Alberta. Elles sont également prêtes à déposer un cautionnement de 50 000 $, et un cautionnement de 10 000 $ en espèces, afin de garantir que M. Almrei observera les conditions de sa mise en liberté. Elles avaient déjà été proposées comme cautions principales chargées de la supervision quand elles vivaient à Toronto. Mme Ralph a témoigné devant la Cour.

 

• Hassan Ahmed, qui vit à Toronto, est également proposé comme caution de supervision qui prendrait la place d’Erma Wolfe quand elle s’absente pour rendre visite à ses amis et à sa famille dans la région métropolitaine de Toronto. La somme de 15 000 $ serait déposée à la Cour en son nom à titre de cautionnement en espèces. Cet argent a été recueilli auprès de la communauté musulmane de Toronto grâce aux efforts initiés par l’imam Hindy. M. Ahmed avait aussi déjà été proposé comme accompagnateur. Il a témoigné devant moi.

 

• Alexandre Trudeau est disposé à déposer un cautionnement de 5 000 $ en espèces; et

       • Les députés fédéraux suivants ont offert leur appui :

 

            • Andrew Telegi a offert un cautionnement de 500 $;

 

• Alexa McDonough est disposée à verser un cautionnement conditionnel de 250 $; et

 

• Bill Siksay déposera un cautionnement de 10 000 $.

  

 

[39]     À l’appui de sa demande de mise en liberté, M. Almrei a déposé un affidavit dans lequel il déclare au paragraphe 27 : [Traduction] « Les conditions liées au cautionnement qui seront proposées en mon nom afin de permettre que je sois mis en liberté seront très semblables à celles qui ont été imposées à MM. Harkat, Mahjoub et Jaballah, et comprendront les aspects suivants :

                   • une surveillance électronique par GPS;

• la détention à domicile avec des sorties approuvées limitées avec une caution;

                   • des restrictions géographiques;

• l’interdiction d’établir des contacts, sauf avec des personnes approuvées par
l’ASFC;

• l’interdiction de recevoir des invités à la maison à moins qu’ils n’aient été
approuvés par l’ASFC;

                   • l’interdiction d’accès à un ordinateur;

                   • l’interdiction d’accès à un téléphone cellulaire;

• le droit pour l’ASFC de contrôler les appels téléphoniques et de pénétrer dans la
maison en tout temps;

                   • le droit pour l’ASFC de vérifier le courrier livré à la maison;

                   • l’interdiction de s’approcher d’un aéroport ou d’une gare routière ou ferroviaire;

                   • l’obligation de ne pas troubler l’ordre public et de bien se conduire;

                   • peut-être une clause de non-association avec certaines personnes désignées.

     

[40]     Au cours des audiences, on a également proposé d’installer des vidéo-caméras à l’extérieur de la maison d’Erma Wolfe. M. Almrei a également déclaré à la suite d’entretiens avec son avocat qu’il croyait que [Traduction] « M. Harkat, chaque fois qu’il s’absente de sa maison, est presque toujours suivi par l’ASFC ».

 

[41]     La preuve documentaire déposée à l’appui de la thèse de M. Almrei se composait de ce qui suit :

·      Sa demande de mise en liberté constituée d’un affidavit de M. Almrei et appuyée par les affidavits des cautions proposées, notamment Diana Ralph et sa conjointe, Alexandre (Sasha) Trudeau, Hassan Ahmed et Erma Wolfe, la caution principale chargée de la supervision;

 

·      Des documents additionnels sur lesquels le demandeur s’est appuyé et qui sont composés d’un extrait du Rapport de la Commission Arar, des lettres d’appui de trois députés et des photos de l’appartement situé au sous-sol de la maison d’Erma Wolfe;

 

·      Les transcriptions du témoignage donné par J.P. au cours des audiences concernant la mise en liberté de M. Jaballah le 6 octobre 2006 et le 10 octobre 2006;

 

·      La transcription de l’instance entendue par le juge Blanchard le 5 janvier 2004;

 

·      Des extraits d’un article intitulé « Blowing up Russia – the Secret Plot to Bring Back KGB Terror », par Alexander Litvinenko et Urie Felshteinsky;

 

·      Un extrait d’un livre intitulé « Death of a Dissident – The Poisoning of Alexander Litvinenko and the Return of the KGB » par M. Goldfarb et Mme Marina Litvinenko;

 

·      Un article tiré d’Internet intitulé « Background of the Tagik War, Cease-Fire in 1994 »;

 

·      Une transcription du témoignage de P.G. donné au cours de l’audience sur la mise en liberté de M. Harkat le 3 novembre 2005;

 

·      Un extrait du livre de M. Sageman intitulé « Understanding Terror Networks ».

 

Analyse

[42]     Comme on le voit de la position des ministres, la préoccupation principale de ces derniers au sujet de M. Almrei repose sur son adhésion à l’idéologie islamique extrémiste et radicale épousée par Oussama ben Laden, dont la manifestation extérieure est le terrorisme international qui constitue un danger ou une menace pour la sécurité du Canada, du fait de l’usage de la violence contre des personnes ou des biens dans le but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique au Canada ou dans un État étranger. Il s’agit essentiellement de la définition de l’expression « menaces envers la sécurité du Canada » que l’on trouve à l’article 2 de la Loi sur le Service canadien du renseignement et de sécurité et qui reflète l’observation reproduite ci-dessus dans les présents motifs que la Cour suprême du Canada a faite dans l’arrêt Suresh, précité, sur la signification de l’expression « danger pour la sécurité du Canada », au paragraphe  90 :

« Ces considérations nous amènent à conclure qu’une personne constitue un « danger pour la sécurité du Canada » si elle représente, directement ou indirectement, une grave menace pour la sécurité du Canada, et il ne faut pas oublier que la sécurité d’un pays est souvent tributaire de la sécurité d’autres pays. La menace doit être « grave », en ce sens qu’elle doit reposer sur des soupçons objectivement raisonnables et étayés par la preuve, et en ce sens que le danger appréhendé doit être sérieux, et non pas négligeable. » [Non souligné dans l’original.]

 

et sur ce qui constitue le « terrorisme » défini au paragraphe 98 de ce même arrêt où la Cour suprême du Canada écrit ceci :

« À notre avis, on peut conclure sans risque d’erreur, suivant la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, que le terme « terrorisme » employé à l’art. 19 de la Loi inclut tout « acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ». Cette définition traduit bien ce que l’on entend essentiellement par « terrorisme » à l’échelle internationale. Des situations particulières, à la limite de l’activité terroriste, susciteront inévitablement des désaccords. Le législateur peut toujours adopter une définition différente ou plus détaillée du terrorisme. La question à trancher en l’espèce consiste à déterminer si le terme utilisé dans la Loi sur l’immigration a un sens suffisamment certain pour être pratique, raisonnable et constitutionnel. Nous estimons que c’est le cas. » [Non souligné dans l’original]

 

[43]     En particulier, les ministres se préoccupent du fait que, en tant que membre du réseau d’Oussama ben Laden (le réseau), M. Almrei, s’il est mis en liberté, sera en mesure de reprendre contact avec ses anciens associés, ce qui lui permettra donc de continuer à promouvoir le terrorisme et, plus précisément, à faciliter le déplacement d’extrémistes islamiques grâce à l’utilisation de faux documents.

 

(1) Les facteurs pertinents au contrôle de la détention

[44]     Le point de départ de l’analyse consiste à examiner et à pondérer les facteurs identifiés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Charkaoui/Almrei/Harkat, précité, et jugés nécessaires pour justifier une période de détention prolongée.

 

[45]     Comme on l’a indiqué ci-dessus, cinq facteurs pertinents ont été proposés. Le conflit entre les parties repose sur les facteurs justifiant le maintien en détention et l’existence de solutions de rechange à la détention. Voici quelle est mon évaluation des facteurs pertinents :

 

a)      Les motifs de la détention

[46]     Le Service justifie la détention de M. Almrei en s’appuyant en partie sur le fait qu’il continue de constituer une menace pour la sécurité nationale. Le deuxième aspect est la possibilité qu’il se soustraie aux autorités. Selon le Service, il choisira la clandestinité, se mettra en veilleuse et reprendra ses activités liées au terrorisme, mais sans commettre d’actes de violence au Canada. La Cour suprême du Canada a indiqué qu’une menace pour la sécurité nationale est un facteur important pour justifier le maintien en détention. Elle ajoute : « Plus le danger est grave, plus la détention sera justifiée ».

 

[47]     Les ministres prétendent que M. Almrei représente une menace importante pour la sécurité nationale. M. Almrei soutient au contraire qu’il ne constitue pas une telle menace parce qu’il n’épouse pas la philosophie de violence d’al‑Qaïda et d’Oussama ben Laden, laquelle est au cœur de la thèse des ministres contre lui. Pour les raisons énoncées ci-dessous sous la rubrique « M. Almrei constitue-t-il un danger constant pour la sécurité du Canada? », j’estime qu’il constitue un danger constant et considérable pour la sécurité nationale.

 

b)      Le temps passé en détention

[48]     La Cour suprême du Canada indique que le temps passé en détention est un facteur important, tant du point de vue de l’individu que de celui de la sécurité nationale. M. Almrei est détenu depuis six ans maintenant. Les ministres conviennent que ce facteur milite en faveur de la mise en liberté de M. Almrei. Ils reconnaissent également que sa détention peut avoir diminué la gravité de la menace qu’il représente, mais qu’elle ne l’a pas neutralisée.

 

c)      Les raisons qui retardent l’expulsion

[49]     Depuis que M. Almrei a été jugé non admissible au Canada et qu’une mesure d’expulsion a été prise contre lui, il est détenu par le Canada en attendant son renvoi. Dans ses motifs, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’« on ne devrait pas reprocher au gouvernement ou au détenu de se prévaloir, de façon raisonnable dans les circonstances, des dispositions applicables de la LIPR, ni reprocher au détenu une contestation raisonnable fondée sur la Charte. Par contre, il sera justifié de retenir un délai inexpliqué ou un manque de diligence contre la partie qui en est responsable ». La juge Layden‑Stevenson a conclu, en 2005, que le renvoi de M. Almrei du Canada n’était pas un « fait accompli ». Elle a tiré cette conclusion dans le contexte de la procédure intentée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le Ministre) pour obtenir un avis du délégué du ministre selon lequel M. Almrei pourrait être expulsé vers la Syrie, un pays où M. Almrei craignait avec raison d’être persécuté, comme l’a conclu la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en 2001.

 

[50]     Le gouvernement canadien a déjà obtenu deux avis de ce genre de deux délégués différents du ministre, mais ces avis ont été infirmés par des juges de notre Cour dans des contrôles judiciaires demandés par M. Almrei. Un de ces avis a été infirmé sur consentement des parties. Un troisième avis, favorable au gouvernement, a maintenant été obtenu, mais il fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire, qui a été autorisée.

 

[51]     Comme nous le savons également, M. Almrei était l’un des trois appelants contestant la constitutionalité du régime de certificats de sécurité devant la Cour suprême du Canada.

 

[52]     J’estime que les contestations de M. Almrei étaient raisonnables et qu’elles ont été faites avec diligence, de même que la défense présentée par les ministres au sujet du régime législatif. Je n’accorde pas foi à l’argument de l’avocat de M. Almrei selon lequel un retard indu pourrait être attribuable aux ministres à cause de leur opposition à la nomination d’un ami de la Cour. Je conclus que ce facteur est neutre.

 

d)      La durée anticipée du prolongement de la détention

[53]     La Cour suprême du Canada a statué que, s’il n’est pas possible de déterminer pendant combien de temps la détention se prolongera, ce facteur jouera en faveur de la mise en liberté. Les ministres reconnaissent que ce facteur joue en faveur de M. Almrei. Ils ont concédé que la date de son expulsion ne peut être déterminée avec certitude. Cela est dû au fait qu’il a demandé le contrôle judiciaire de l’avis du délégué du ministre selon lequel il ne devrait pas être autorisé à demeurer au Canada et qu’il pourrait être expulsé vers la Syrie. L’avis du délégué du ministre soulève des questions délicates au vu de la décision de la Cour suprême du Canada dans Suresh, précité. La deuxième raison pour laquelle la date de son expulsion ne peut être déterminée est attribuable aux conséquences de la décision de la Cour suprême du Canada dans Charkaoui/Almrei/Harkat, précité, plus particulièrement aux propos énoncés au paragraphe 140 des motifs de la Cour.

 

e)      L’existence de solutions de rechange à l’expulsion

[54]     Dans son jugement, la Cour suprême du Canada a déclaré que « des conditions de mise en liberté rigoureuses, comme celles imposées à M. Charkaoui et à M. Harkat, restreignent fortement la liberté individuelle. Toutefois, elles sont moins sévères que l’incarcération. Les solutions de rechange à une longue détention consécutive à un certificat, telles de sévères conditions de mise en liberté, ne doivent pas être disproportionnées par rapport à la nature du danger ». Les ministres font valoir que les conditions de mise en liberté proposées par M. Almrei sont insuffisantes et, en fait, qu’elles sont les moins rigoureuses qui aient jamais été présentées à la Cour pour approbation. Par ailleurs, M. Almrei soutient que les conditions de mise en liberté suffiront à neutraliser la faible menace qu’il constitue pour la sécurité nationale et qu’il lui est impossible de présenter une meilleure proposition. Pour les raisons expliquées ci-dessous, j’estime que les conditions de mise en liberté proposées par M. Almrei sont totalement inadéquates.

 

f)       Les autres facteurs

[55]     Ces cinq facteurs ne sont pas exclusifs. Au cours de son témoignage, M. Almrei a fait référence aux difficiles conditions de détention pendant son incarcération au Centre de détention de Toronto (Metro-Ouest) d’octobre 2001 à avril 2006. Il ne prétend rien de tel au sujet des conditions au CSIK, plus particulièrement après que le juge en chef de notre Cour eut proposé un règlement à la contestation soulevée par les détenus concernant leurs conditions de détention. Je suis disposé à reconnaître que les difficiles conditions de son incarcération antérieure au Centre Metro-Ouest constituent un facteur pertinent qui milite en faveur de sa mise en liberté.

 

g)      Conclusion

[56]     La pondération de tous ces facteurs permet de penser que M. Almrei devrait être mis en liberté. La durée de sa détention et la durée indéterminée du prolongement de sa détention jouent en faveur de sa mise en liberté, si ce n’est, comme je l’ai conclu, que les conditions proposées pour sa mise en liberté ne neutralisent pas ou ne diminuent pas, d’après la prépondérance des probabilités, le risque qu’il représente. Par conséquent, il ne peut être remis en liberté.

 

(2) La norme de preuve

[57]     La seule question de droit sur laquelle les avocats ne s’entendent pas est la norme de preuve exigée pour permettre aux ministres de s’acquitter du fardeau qu’il leur incombe d’établir que M. Almrei constitue toujours un danger pour la sécurité du Canada.

 

[58]     L’avocat de M. Almrei fait valoir que chaque facteur ou élément sous-jacent étayant l’avis des ministres selon lequel il continue de présenter un danger pour la sécurité nationale doit être établi selon la prépondérance des probabilités. Il s’appuie sur l’avis exprimé par la juge Layden‑Stevenson au paragraphe 38 des motifs qu’elle a donnés dans la décision Jaballah, précitée :

« La question du danger pour la sécurité nationale est fondamentale au regard du facteur « motifs de la détention ». Si les ministres n’avaient pas cru que M. Jaballah constitue un danger pour la sécurité nationale, il n’y aurait ni certificat de sécurité ni détention. Le fait que M. Jaballah a reconnu qu’il constitue un danger pour la sécurité nationale a certainement accéléré le déroulement de l’instance en contrôle des motifs de la détention. Il est important de dire cependant que j’aurais conclu que M. Jaballah constitue un danger pour la sécurité nationale même s’il ne l’avait pas lui‑même reconnu. Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les renseignements solides et dignes de foi dont je dispose me permettent de dire objectivement qu’il y a des motifs raisonnables de croire que M. Jaballah constitue un tel danger. »

 

 

[59]     Les avocats des ministres prétendent que le critère applicable aux faits sous-jacents n’est pas la prépondérance des probabilités, mais bien ce que la juge Layden‑Stevenson a exposé dans ses motifs au paragraphe 382 de l’affaire Almrei, précitée :

« Eu égard aux circonstances telles que je les ai décrites et compte tenu des conclusions que j’ai tirées, je conclus que la participation de M. Almrei au djehad (qui lui est propre) permet de soupçonner d’une façon objectivement raisonnable que M. Almrei a de fait adopté l’idéologie islamique extrémiste épousée par Oussama ben Laden. Cette norme n’exige pas de preuve de l’existence des faits. Elle exige des motifs raisonnables d’y croire. Il doit exister une possibilité sérieuse que les faits existent, compte tenu d’une preuve crédible et fiable. Toutefois, [j’arrive au même résultat] selon la norme de la prépondérance des probabilités. Ma conclusion est renforcée par la preuve contenue dans les renseignements confidentiels dont une copie est jointe à l’annexe A d’une ordonnance qui a été signée en même temps que les présents motifs et la présente ordonnance (l’ordonnance confidentielle). » [Non souligné dans l’original.]

 

[60]     Avec respect, l’avocat de M. Almrei commet une erreur en s’appuyant sur la décision Jaballah, précitée. Dans cette affaire, M. Jaballah avait reconnu qu’il constituait un danger pour la sécurité nationale. Ce que ma collègue a déclaré dans la décision Jaballah, précitée, comme elle l’a fait dans Almrei, au paragraphe 382, c’est qu’elle était convaincue d’être saisie de renseignements suffisamment solides et dignes de foi pour constituer un fondement objectif fournissant des motifs raisonnables de croire qu’il constituait un tel danger. Dans ses observations, la juge Layden‑Stevenson ne dit nulle part que les faits sous-jacents doivent être établis d’après la prépondérance des probabilités. Elle dit le contraire. Qui plus est, en plus d’appliquer la règle des motifs raisonnables, en examinant l’ensemble de la preuve, elle a ajouté que la preuve révélait que M. Almrei était un danger pour la sécurité nationale d’après le critère plus rigoureux de la prépondérance des probabilités. Autrement dit, elle a jugé qu’il constituait un danger pour la sécurité nationale d’après les deux normes. (Voir également la discussion sur ce point faite par le juge Noël dans Charkaoui, 2005 CF 249, aux paragraphes 30 à 40).

 

(3) Le principe de courtoisie judiciaire

[61]     Le principe de courtoisie judiciaire est bien reconnu par la magistrature canadienne. Appliqué dans des décisions rendues par les juges de la Cour fédérale, ce principe signifie qu’une décision essentiellement semblable qui est rendue par un juge de notre Cour devrait être adoptée dans l’intérêt de favoriser la certitude du droit. Je cite les causes suivantes :

                   • Haghighi c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile),                         2006 CF 272;

 

                   Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461;

 

                   • Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 446;

 

                   • Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1283;

 

Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999]
A.C.F. no 1008;

 

Ahani c. Canada(Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999]
A.C.F. no 1005;

 

                   Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd. (1996), 67 C.P.R. (3d) 377;

 

                   Bell c. Cessna Aircraft Co., [1983] 149 DLR (3d) 509 (C.A. C.-B.)

 

Glaxco Group Ltd. et al. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et al., 64 C.P.R. (3d) 65;

 

Steamship Lines Ltd. c. M.R.N., [1966] R. C. de l’É. 972.

 

[62]     Il y a plusieurs exceptions au principe de courtoisie judiciaire qui est exposé ci-dessus; ce sont les suivants :

1.  Les cas où l’ensemble de faits ou les éléments de preuve ne sont pas les mêmes pour les deux causes;

 

       2.  Les cas où la question à trancher est différente;

3.  Les cas où la décision antérieure n’a pas examiné la loi ou la jurisprudence qui auraient donné lieu à un résultat différent, c’est-à-dire lorsque la décision était manifestement erronée;

      

       4.  Les cas où la décision suivie créerait une injustice.

 

 

[63]     Pour les motifs exprimés ci-dessous, aucune des exceptions à la règle de la courtoisie judiciaire n’est applicable en l’espèce.

 

(4) M. Almrei constitue-t-il un danger constant pour la sécurité du Canada?

[64]     Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis, comme l’ont été mes collègues le juge Blanchard et la juge Layden‑Stevenson, que M. Almrei constitue toujours un risque grave pour la sécurité nationale, malgré le temps écoulé temps depuis le début de son incarcération en octobre 2001.

 

[65]     Il s’agit de déterminer si la preuve étaye des soupçons objectivement raisonnables selon lesquels M. Almrei représente une menace importante pour la sécurité nationale. Si tel est le cas, elle permettra d’établir qu’il y a danger pour la sécurité nationale (voir, Harkat, 2006 CF 628, au paragraphe 57).

 

[66]     Je suis d’accord avec ce que la juge Dawson a déclaré dans cette affaire, à savoir que la conclusion de la Cour concernant le danger qu’une personne représente devait, dans la mesure du possible, être fondée sur le dossier public, mais qu’il pouvait être nécessaire de s’appuyer sur des renseignements confidentiels soumis à la Cour par les ministres. En l’espèce, il est nécessaire d’examiner des documents confidentiels parce que J.P., dans son contre-interrogatoire, s’est appuyé sur de tels documents confidentiels à plusieurs reprises pour des points importants, particulièrement du fait que M. Almrei n’a pas reconnu qu’il représentait un danger pour la sécurité nationale; en fait, il a soutenu le contraire. Il faut se rappeler qu’en vertu du paragraphe 83(3) de la Loi le fardeau de présentation de la preuve sur cette question incombe aux ministres.

 

[67]     Les documents confidentiels qui m’ont été soumis sont, à une exception près, les mêmes documents confidentiels qui ont été examinés en détail par la juge Tremblay‑Lamer quand elle a analysé le caractère raisonnable du certificat de sécurité délivré à l’égard de M. Almrei; de même que par le juge Blanchard au cours du premier contrôle de la détention de M. Almrei; par la juge Layden‑Stevenson au cours du deuxième contrôle de la détention et par la présente Cour au cours du troisième contrôle de la détention de M. Almrei.

 

[68]     Quand le Service a déposé un autre RRS, en date du 18 juillet 2007, en rapport avec le troisième contrôle de la détention de M. Almrei, il a produit une nouvelle preuve qui ne figurait pas auparavant au dossier. Ces nouveaux documents confidentiels portaient sur trois sujets : les activités récentes d’une personne, les activités récentes d’une autre personne qui n’est pas pertinente à la présente instance, et l’utilisation récente de faux documents pour faciliter les plans de voyage de nouveaux terroristes.

 

[69]     Je n’ai pas tenu compte de cette nouvelle preuve, parce que je suis d’avis qu’elle était très marginale et qu’elle n’améliorait pas les éléments de preuve dont dispose déjà la Cour. Aux termes de l’alinéa 78f) de la Loi, j’ai donné ordre au Greffe de retourner cette preuve aux ministres et je n’en ai pas tenu compte dans la présente instance. Cela signifie donc que la Cour ne disposait d’aucun nouveau renseignement confidentiel qui n’avait pas déjà été examiné de près par un autre juge désigné de notre Cour. Néanmoins, la Cour a entrepris d’examiner à nouveau l’ancien dossier de preuve confidentiel comme si c’était la première fois qu’il était soumis à la Cour par les ministres.

 

[70]     La manière dont des documents confidentiels doivent être examinés par des juges désignés de notre Cour a été décrite à plusieurs reprises par mes collègues.

 

[71]     Il faut examiner de façon rigoureuse et critique une telle preuve pour en assurer la pertinence, la fiabilité et l’importance. Il faut analyser soigneusement les sources de renseignements pour en assurer la fiabilité et la crédibilité et pour déterminer dans quelles conditions ces renseignements ont été obtenus. La corroboration est essentielle dans de nombreux cas. Il faut rechercher l’existence de renseignements disculpatoires que le Service pourrait détenir.

 

[72]     J’ai examiné les renseignements confidentiels versés au dossier conformément aux principes établis par mes collègues. J’ai conclu que la preuve confidentielle est pertinente et digne de foi pour ce qui est de son origine et que cette preuve confidentielle a été corroborée de nombreuses façons dans les cas où son importance était essentielle au soutien de la thèse des ministres. J’ai été informé par le témoin qui a déposé à huis clos au nom des ministres que le Service n’avait pas en sa possession d’éléments de preuve disculpatoires qui favoriseraient la position de M. Almrei. En outre, j’ai été assuré par le témoin que le Service n’était au courant d’aucune circonstance qui pourrait attaquer la fiabilité des renseignements qui figurent actuellement au dossier, c’est‑à‑dire des renseignements qui auraient été obtenus sous la torture.

 

[73]     J’estime que le témoin des ministres qui a déposé à huis clos est très digne de foi, équilibré et franc et j’accepte sans réserve son témoignage. J’en arrive à la même conclusion au sujet du témoignage de J.P.

 

[74]     Pour déterminer si M. Almrei constitue un danger constant pour la sécurité nationale, j’ai tenu compte de l’ensemble de la preuve dans le dossier tant public que confidentiel.

 

[75]     Comme je l’ai indiqué, la thèse des ministres repose essentiellement sur le fait que M. Almrei constitue toujours un danger pour la sécurité nationale parce qu’il partage les idéaux terroristes d’Oussama ben Laden et d’al‑Qaïda, une proposition que nie fermement M. Almrei. Comme il a été déclaré, son avocat a reconnu qu’Oussama ben Laden et al‑Qaïda représentaient une menace pour la sécurité du Canada.

 

[76]     La présente Cour doit déterminer si la preuve étaye des soupçons objectivement raisonnables selon lesquels M. Almrei épouse les objectifs terroristes d’al‑Qaïda. Si cette preuve étaye ces soupçons, alors M. Almrei constitue un danger pour la sécurité nationale.

 

[77]     L’avocat de M. Almrei n’a pas contesté la totalité des conclusions qui ont antérieurement été tirées par mes collègues au cours des premier et deuxième contrôles de la détention. Essentiellement, les ministres m’ont soumis la même thèse qu’ils avaient présentée au juge Blanchard et à la juge Layden‑Stevenson : la participation de M. Almrei au djihad, ses liens avec les Afghans arabes, sa préoccupation au sujet de la sécurité, son utilisation de méthodes clandestines et son rôle dans un réseau de faussaires.

 

[78]     Plus précisément, M. Almrei a contesté deux conclusions tirées par la juge Layden‑Stevenson au cours de son examen de la deuxième demande de contrôle de sa détention. La première conclusion est exposée au paragraphe 382 de ses motifs où elle déclare ceci : « [e]u égard aux circonstances telles que je les ai décrites et compte tenu des conclusions que j’ai tirées, je conclus que la participation de M. Almrei au djihad (qui lui est propre) permet de soupçonner d’une façon objectivement raisonnable que M. Almrei a de fait adopté l’idéologie islamique extrémiste épousée par Oussama ben Laden ». En parvenant à cette conclusion, la juge Layden‑Stevenson a fait référence à la preuve versée au dossier confidentiel, dont une copie était jointe sous l’Annexe A à son ordonnance en date du 5 décembre 2005 (l’ordonnance confidentielle).

 

[79]     La deuxième conclusion contestée par l’avocat de M. Almrei est énoncée au paragraphe 396 des motifs publics de l’ordonnance de la juge Layden‑Stevenson. Dans ce paragraphe, elle déclare qu’elle n’hésite pas à conclure que la totalité de la preuve donne des motifs raisonnables de croire que M. Almrei était membre d’un réseau s’occupant de la falsification de documents et qu’elle donne lieu à des soupçons objectivement raisonnables à ce sujet. Sa conclusion a été renforcée par la preuve figurant dans les renseignements confidentiels dont une copie était jointe à l’Annexe B de son ordonnance confidentielle.

 

[80]     L’avocat de M. Almrei prétend que la preuve dont je suis saisi démontre que la juge Layden‑Stevenson ne pouvait raisonnablement en venir à la conclusion qu’elle a tirée parce que la preuve établit que le djihad auquel M. Almrei a participé en Afghanistan en 1991 et 1992 était un djihad légitime qui n’avait rien à voir avec le type de djihad dans lequel le mouvement al‑Qaïda s’est engagé par la suite après la chute du gouvernement soviétique de façade établi en Afghanistan en 1992. Il soutient que, dans son contre-interrogatoire, J.P. a précisément reconnu la légitimité du djihad afghan lancé par la coalition moudjahidine. Avec respect, je n’accepte pas la prétention de M. Copeland.

[81]     La question dont je suis saisi n’est pas de savoir si M. Almrei a participé à un djihad légitime en Afghanistan en 1991 et 1992, mais bien de savoir si, en tenant compte de l’ensemble des circonstances et de la preuve qui sous-tend les allégations faites par les ministres, cette preuve étaye des soupçons objectivement raisonnables selon lesquels il a épousé l’idéologie d’Oussama ben Laden et d’al‑Qaïda.

 

[82]     J’ai évalué l’ensemble de cette preuve, tant publique que confidentielle, comme un continuum depuis la création de la coalition moudjahidine au début des années 1980, à savoir : le rôle qu’Abdallah Azzam et Oussama ben Laden ont joué très tôt dans la création et le fonctionnement du MAK et leur désaccord subséquent sur les tactiques, qui s’est manifesté à la fin des années 1980 et qui peut avoir contribué à la mort de M. Azzam en novembre 1989; la mise sur pied d’al‑Qaïda par Abdallah Azzam et Oussama ben Laden en 1988 qui a donné à Oussama ben Laden, après la mort de M. Azzam, le pouvoir de contrôler et de faire évoluer al‑Qaïda comme il l’a fait; la présence de M. Almrei en Afghanistan en 1991 et en 1992, à un très jeune âge, son association avec Abdul Sayyaf, son séjour dans la pension de M. Sayyaf à Peshawar et l’entraînement qu’il a suivi dans son camp, reconnaissant de ce fait l’importance de la participation d’Abdul Sayyaf à la coalition moudjahidine en tant que l’un des dirigeants aux commandes d’une armée privée importante; le retour de M. Almrei pour participer à un autre djihad au Tadjikistan en 1994 et 1995, djihad mené par ibn‑Khattab qui s’est ensuite rendu en Tchétchénie y poursuivre son djihad et qui est une personne avec qui M. Almrei avait des relations étroites et qu’il a appuyé après son arrivée au Canada; les liens de M. Almrei avec un faussaire de passeports et un passeur de clandestins en Thaïlande et le maintien de ces activités de falsification et de vente de faux documents après son arrivée au Canada.

 

(5) L’existence de solutions de rechange à la détention

[83]     Ma collègue la juge Dawson, dans Harkat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2006) CF 628, a décidé de mettre M. Harkat en liberté, mais pas aux conditions qu’il proposait, puisqu’elle s’est dite d’avis qu’on ne pouvait assortir sa mise en liberté de conditions en prenant pour acquis sa bonne foi ou son honnêteté. En particulier, elle déclare ceci au paragraphe 76 de ses motifs : « À mon avis, cela milite à l’encontre de conditions telles que celles proposées qui lui permettraient d’être seul dans son domicile et d’y recevoir des visiteurs sans restriction […] ». Je partage son opinion et je l’applique à la situation de M. Almrei.

 

[84]     Au paragraphe 83 de ses motifs, la juge Dawson a déclaré qu’en examinant les conditions pouvant neutraliser ou contrecarrer le danger [posé par M. Harkat], elle avait gardé à l’esprit la nécessité que les conditions soient adaptées particulièrement à sa situation. Ces conditions « doivent être conçues de manière à empêcher la participation de M. Harkat à toute activité consistant à commettre, à encourager ou à faciliter des actes de terrorisme, à être l’instigateur de tels actes, ou sa participation à toute activité semblable ». Elle a conclu en déclarant que ces conditions devaient être proportionnelles au risque que posait M. Harkat.

 

[85]     Dans la décision Harkat, ci-dessus, la juge Dawson s’est dite persuadée que Mme Harkat et sa mère étaient en mesure d’assurer une surveillance efficace pour veiller à ce que les conditions de mise en liberté soient respectées. Au paragraphe 81 de ses motifs, elle a exprimé l’avis que les cautions devaient avoir tissé suffisamment de liens avec M. Harkat afin d’assurer le respect des conditions, notamment exercer « une influence suffisamment forte sur M. Harkat une fois celui-ci mis en liberté ».

 

[86]     Dans la décision Harkat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CF 416, mon collègue le juge Simon Noël, examinant les modifications proposées aux conditions de mise en liberté de M. Harkat, a accepté au paragraphe 19 de ses motifs le critère de l’influence suffisamment forte formulé par la juge Dawson dont la décision a été maintenue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Harkat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CAF 259.

 

[87]     Après avoir examiné le témoignage et le contre-interrogatoire des principales cautions proposées (Erma Wolfe, Diana Ralph et sa conjointe, et Hassan Ahmed), je suis d’avis que le plan qu’elles ont présenté pour la mise en liberté de M. Almrei est insuffisant pour contrecarrer le risque qu’il constitue pour la sécurité nationale ou le risque qu’il se soustraie aux autorités. Si on l’évalue de façon réaliste, la preuve dénote l’absence d’un plan de sécurité efficace; dans son témoignage, Erma Wolfe a elle-même reconnu qu’il s’agissait d’un plan en cours d’élaboration. Ce n’est pas acceptable.

 

[88]     À mon avis, la situation d’Erma Wolfe est telle que cette dernière ne possède pas les qualités nécessaires pour agir en tant que caution principale chargée de la supervision. Mon collègue le juge Noël dans Charkaoui (Re), 2006 CF 555, a décrit le rôle de superviseur-accompagnateur comme étant une lourde tâche qui exige, en partie, un lien avec l’intéressé. Les raisons qui motivent ma conclusion sont les suivantes :

 

• Mme Erma Wolfe travaille à plein temps par postes en tant qu’infirmière. À l’heure actuelle, elle travaille de 7 h 30 à 19 h 30, à raison de 75 heures sur une période de deux semaines avec des jours non consécutifs, soit à raison de deux, trois ou quatre jours par semaine sur un horaire tournant de six semaines. Cela signifie que M. Almrei sera seul à la maison pendant de longues périodes;

 

• Elle n’a pas de véritable lien profond avec M. Almrei puisqu’elle a pris contact avec lui pour la première fois au moyen d’une lettre il y a plus de trois ans. Elle n’a jamais rencontré M. Almrei personnellement, bien qu’elle ait essayé une fois de lui rendre visite quand il était détenu au Centre Metro-Ouest, mais elle n’y est pas parvenue. Elle lui a adressé quelques lettres et a communiqué principalement avec lui par téléphone. À mon avis, elle n’est pas en mesure d’exercer une influence forte sur lui. En outre, l’écart d’âge entre ces deux personnes est considérable;

 

• Elle se rend en Alberta une ou deux fois par année pour rendre visite à ses petits‑enfants. Elle a aussi des petits‑enfants dans la région métropolitaine de Toronto qu’elle voit fréquemment. Cela crée de nouveau une situation où elle s’absente de la maison, bien que, il est vrai, Mme Ralph ait dit qu’elle-même et Jean Hansen pourraient prendre la relève quand Mme Wolfe prend des vacances et qu’elles se rendraient à Toronto aussi souvent qu’elles le pourraient soit, à son avis, toutes les six à huit semaines. Pour sa part, M. Ahmed a déclaré qu’il rendrait visite à M. Almrei trois fois par semaine pendant quelques heures dans l’après-midi.

 

• Avec respect, je ne crois pas qu’Erma Wolfe comprenne vraiment la lourde tâche que suppose le fait d’être une caution principale. Elle doit superviser de façon efficace M. Almrei, ce qui signifie qu’elle doit y consacrer une bonne partie de son temps quand elle est à la maison. Je ne l’ai pas entendue prendre un tel engagement lors de son témoignage. Tout ce que j’ai entendu, c’est que la porte d’accès qui relie le sous-sol au reste de la maison où elle vit resterait sous clé, à l’exception des jours où elle utilise la salle de lavage située au sous-sol pour y faire sa lessive. Donc, même quand elle est à la maison, M. Almrei sera seul dans son appartement situé au sous‑sol avec une entrée privée. Le risque que M. Almrei puisse avoir subrepticement des communications avec d’autres personnes est trop grand.

 

[89]     Comme je l’ai déjà noté, Mme Ralph a déclaré que sa conjointe et elle se rendraient à Toronto aussi souvent que possible, soit peut-être de six à huit fois par année et qu’elles seraient disposées à agir comme accompagnatrices pour des sorties autorisées par l’ASFC. Elle a également déclaré qu’elle serait disposée à ce que M. Almrei vienne vivre avec elles dans leur maison à Ottawa.

 

[90]     Comme je l’ai mentionné, Mme Ralph a témoigné devant la juge Layden‑Stevenson qui a déclaré ceci : « Je ne suis pas convaincue que Mme Ralph soit une caution acceptable ou appropriée eu égard aux circonstances de la présente affaire. Je suis certaine que Mme Ralph a de bonnes intentions et qu’elle a à cœur les intérêts de M. Almrei. Toutefois, elle manque complètement d’objectivité. » (Voir le paragraphe 421.)

 

[91]     Au paragraphe 424, la juge Layden‑Stevenson a ajouté ce qui suit : « Je ne suis pas du tout convaincue que Mme Ralph possède l’objectivité requise ou l’impartialité nécessaire pour agir comme principale caution chargée de la supervision. Mme Ralph n’a eu affaire à M. Almrei que dans un environnement fortement contrôlé et réglementé. […] [J]e conclus que le jugement de Mme Ralph est embrouillé par ses convictions politiques. Je ne suis pas convaincue que Mme Ralph se rende compte de la tâche onéreuse qu’elle a offert d’assumer ». En outre, la juge Layden‑Stevenson a conclu qu’elle n’était pas convaincue que Mme Ralph avait du respect pour la Cour, en tant qu’institution, étant donné les commentaires qu’elle a faits lors de l’audition de la demande dont elle était saisie (28 juin 2005, transcription, page 273).

 

[92]     Ces conclusions n’ont pas été contestées sur le fond par l’avocat de M. Almrei. Il n’a pas réussi à me convaincre que je devrais avoir une opinion différente de Mme Ralph que celle qui a été exprimée par ma collègue; je tiens compte toutefois du fait que Mme Ralph n’est pas proposée en l’espèce comme la principale caution chargée de la supervision.

 

[93]     Je conclus également que M. Ahmed n’est pas une caution ou un accompagnateur convenable aux fins de la supervision. Il n’a pas discuté du plan de supervision avec Erma Wolfe. Ce qui est plus important, il manque d’objectivité, étant donné que c’est un très bon ami personnel de M. Almrei qu’il a rencontré deux jours seulement après l’arrivée de M. Almrei au Canada en janvier 1999. Il était l’associé de M. Almrei dans l’exploitation d’un restaurant dont M. Almrei était propriétaire. Je suis convaincu qu’il était au courant des nombreuses activités de M. Almrei dans la falsification de documents. Je ne crois pas du tout que M. Ahmed dissuaderait ou pourrait dissuader M. Almrei de contrevenir aux conditions de sa mise en liberté et, particulièrement, de se soustraire aux autorités.

 

[94]     En contre-interrogatoire, M. Copeland a laissé entendre à J.P. que cela n’avait pas d’importance si Erma Wolfe n’était pas à la maison parce que M. Almrei serait forcé de porter un bracelet muni d’un GPS qu’il devrait enlever s’il voulait s’enfuir, ce qui déclencherait immédiatement une alarme, parce que, autrement, le moniteur du GPS le retracerait. J.P. a réfuté cette suggestion. Je suis d’accord avec J .P. pour dire que, avant que les autorités puissent l’arrêter, M. Almrei serait déjà loin.

 

[95]     M. Copeland a laissé entendre que l’ASFC pourrait peut-être combler les lacunes dans le plan de supervision en exerçant un contrôle étroit sur M. Almrei à l’extérieur de la maison d’Erma Wolfe ou lors des sorties accompagnées. Il a critiqué, au même titre que la Cour, le fait que J.P. ne se soit pas renseigné avant de venir témoigner au sujet du rôle que les contrôleurs de l’ASFC avaient jouaient dans la supervision d’autres détenus qui sont maintenant en liberté.

 

[96]     J.P. a laissé entendre que la Cour pouvait communiquer avec l’ASFC sur ce point. Dans les circonstances de l’espèce, je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’appeler les dirigeants de l’ASFC parce que j’estime que le plan de supervision souffre de lacunes fondamentales. Les lacunes qu’il comporte sont trop importantes pour être comblées. J’ai également à l’esprit deux conclusions tirées par mes collègues. La première est celle de la juge Dawson au sujet de la modification des conditions de mise en liberté. Dans Harkat, ci-dessus, le juge Noël a indiqué que la juge Dawson, dans son ordonnance du 26 septembre 2006, avait expressément rejeté l’argument selon lequel, puisque l’ASFC surveillait M. Harkat, il n’était pas nécessaire qu’il soit accompagné de ses cautions dans ses sorties autorisées. (Voir la décision du juge Noël citée à 2007 CF 416.) Deuxièmement, j’ai aussi à l’esprit l’observation de la juge Layden‑Stevenson au paragraphe 425 de ses motifs selon lesquels elle ne pouvait être convaincue qu’en l’absence d’une caution appropriée le personnel responsable de l’application de la loi pourrait assurer le respect de l’ordonnance de la Cour.

 

[97]     Finalement, je n’accepte pas l’argument qui a été avancé par son avocat selon lequel le plan de supervision présenté par M. Almrei est le meilleur qui puisse être conçu, étant donné sa situation particulière. Au cours de l’audience, j’ai fait une suggestion qui n’a pas trouvé un écho, peut-être pour des motifs juridiques ou pratiques. Cette option mérite peut-être qu’on l’explore davantage.

 

[98]     Je suis loin d’être convaincu qu’un plan de supervision ne peut être mis en place qui minimiserait ou contrecarrait le risque que M. Almrei constitue pour la sécurité nationale ou le risque qu’il se soustraie aux autorités, autre que celui qui a été présenté à la Cour et qui, comme je l’ai dit, ne satisfait aucun de ces deux objectifs.

 

[99]     Compte tenu du continuum de la preuve exposé ci-dessus et après avoir examiné la preuve dans son ensemble, j’estime que la totalité de cette preuve étaye des soupçons objectivement raisonnables selon lesquels M. Almrei a adopté l’idéologie épousée par Oussama ben Laden et al‑Qaïda, laquelle constitue une menace sérieuse pour la sécurité nationale, et qu’il n’a pas renoncé à cette idéologie.

 

[100]     L’affaire dont je suis saisi n’est pas très différente de celle qui a été présentée au juge Blanchard et plus récemment à la juge Layden‑Stevenson. En fait, quand M. Almrei a témoigné devant elle le 20 juillet 2005, il a nié partager l’idéologie d’Oussama ben Laden et il a indiqué qu’il croyait à la lutte en Afghanistan contre l’occupant soviétique et le gouvernement de façade afghan et que le djihad violent d’al‑Qaïda contre les civils était contraire à l’Islam.

 

[101]     Il n’est pas nécessaire que j’examine les conclusions du juge Blanchard et de la juge Layden‑Stevenson. En particulier, aux paragraphes 347 à 402, la juge Layden‑Stevenson a analysé et clairement exprimé ses conclusions à l’égard de la participation de M. Almrei au djihad, de son association avec les Afghans arabes et de son rôle dans la falsification de documents qui est, selon ce que démontre la preuve, l’outil principal utilisé pour faciliter les déplacements des personnes impliquées dans le terrorisme international.

 

[102]     J’estime qu’essentiellement la même preuve et les mêmes arguments ont été présentés devant moi. La courtoisie judiciaire me dicte d’appuyer les conclusions du juge Blanchard et de la juge Layden‑Stevenson. Qui plus est, mon examen de tout le dossier de la preuve établit que leurs conclusions sont fiables et inattaquables quand elles sont lues dans leur ensemble.

 

[103]     Je conclus en disant que, après avoir examiné minutieusement les renseignements confidentiels de la manière que j’ai décrite, j’ai ensuite examiné l’ordonnance confidentielle de la juge Layden‑Stevenson en date du 5 décembre 2005, pour laquelle elle a compilé une liste volumineuse de renseignements confidentiels fiables recueillis de diverses sources qui ont été corroborées et sur lesquelles elle s’est appuyée pour parvenir à ses conclusions. J’accepte complètement les renseignements confidentiels qui ont été compilés par elle dans son ordonnance confidentielle sous l’Annexe A et l’Annexe B de cette ordonnance et je reprends à mon compte ces annexes.

 

[104]     Je conclus l’analyse de ce point en déclarant que je ne crois pas que le témoignage de M. Almrei soit crédible pour les raisons suivantes.

 

[105]     Premièrement, il n’a cessé de mentir ou il a omis de dévoiler des renseignements importants aux autorités canadiennes ou aux agences gouvernementales au sujet de ses activités passées.

 

[106]     Deuxièmement, la manière dont il a témoigné devant moi n’était pas rassurante. Ses réponses sèches et acerbes m’ont donné l’impression qu’il n’était pas vraiment disposé à répondre et qu’il ne disait pas tout. La juge Layden‑Stevenson est parvenue à la même conclusion. Mon interprétation du témoignage de M. Almrei devant elle appuie ma conclusion et la sienne. M. Almrei n’a révélé ses véritables activités que quand il s’est senti acculé au mur. Il s’est montré avare de vérité.

 

[107]     Troisièmement, une comparaison des renseignements confidentiels avec son témoignage démontre qu’il continue de cacher la vérité.

 

[108]     Quatrièmement, même dans le dossier public, des contradictions apparaissent entre son témoignage et les témoignages antérieurs qu’il a donnés au cours des contrôles antérieurs de sa détention. Il y a contradiction, en particulier, sur le moment et l’endroit où il a rencontré pour la première fois ibn‑Khattab et sur la façon dont il a obtenu la photo de M. ben Laden découverte au moment de la saisie de son ordinateur. Il a nié que la pension était contrôlée par al‑Qaïda; pourtant, il déclare qu’Oussama ben Laden peut l’avoir financée. De même, on peut s’interroger sur la réputation qu’il avait dans le milieu d’être une personne qui savait comment obtenir de faux documents.

 

[109]     Son témoignage n’est pas plausible sur de nombreux aspects. Par exemple, je cite son témoignage devant la juge Layden‑Stevenson dans lequel il déclare qu’il n’a pas combattu en Afghanistan, ainsi que le rôle qu’il était censé jouer pendant les missions de reconnaissance. Il en est de même de l’explication qu’il a donnée sur la présence, dans son ordinateur, des photos de certains personnages. Il a minimisé l’importance d’être en mesure de communiquer par satellite avec ibn‑Khattab. Il a également minimisé le fait que l’entraînement qu’il avait suivi avec Sayyaf puisse avoir été un facteur qui a impressionné M. Khattab quand il a demandé à ce dernier de l’accepter dans le djihad au Tadjikistan.

 

[110]     Son témoignage quant à savoir où et quand il a entendu parler d’Oussama ben Laden est confus quand on le compare à son témoignage antérieur, tout comme son témoignage sur le nombre de fois où il est demeuré et où il s’est rendu à Bait‑al Ansar, la pension où il a séjourné la première fois quand il s’est rendu à Peshawar en 1990.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de M. Hassan Almrei pour sa mise en liberté est refusée.

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                   DES-5-01

 

INTITULÉ :                                                  HASSAN ALMREI

                                                                       c.

                                                                       LE MINISTER DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                                       DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE

                                                                       DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET

                                                                       DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DES AUDIENCES :                           TORONTO (ONTARIO)

 

DATES DES AUDIENCES :                       Audience publique : les 10, 11, 16, 17, 26, 27 juillet

                                                            Audience ex parte/à huis clos : les 6 et 25 juillet 2007, le 2 août 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                         LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                                 LE 5 OCTOBRE 2007

 

COMPARUTIONS :

Paul D. Copeland

Ronald Poulton                                                POUR LE DEMANDEUR

 

Donald MacIntosh

David Tyndale

Alexis Singer

Marcel Larouche

Nanci Couture                                                 POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Copeland, Duncan

Toronto (Ontario)                                            POUR LE DEMANDEUR

 

Mamann & Associates

Toronto (Ontario)                                            POUR LE DEMANDEUR

 

John S. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                  POUR LES DÉFENDEURS

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