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Date : 20070815

Dossier : T-262-06

Référence : 2007 CF 843

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 août 2007

En présence de madame la juge Hansen

 

ENTRE :

GENENCOR INTERNATIONAL INC.

appelante

 

 

et

 

LE COMMISSAIRE AUX BREVETS ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

intimés

 

et

 

 

NOVOZYMES A/S

intervenante proposée

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Novozymes A/S (Novozymes) interjette appel de la décision de la protonotaire Tabib de rejeter sa requête d’autorisation d’intervenir dans l’instance.

 

[2]               Genencor International inc. (Genencor) est propriétaire du brevet canadien no 2,093,422 (brevet 422). La demande de Novozymes visant le réexamen de toutes les revendications du brevet 422 en vertu de l’article 48.1 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4 (la Loi), a finalement amené le conseil de réexamen (le conseil) à conclure que toutes les revendications du brevet 422 avaient été antériorisées par la demande de brevet canadien no 2,082,279 (Rasmussen), dont Novozymes est propriétaire et qui constitue antériorité.

 

[3]               Devant la Cour, Genencor a interjeté appel de la décision du conseil de nommer le commissaire aux brevets à titre d’unique intimé. Novozymes a présenté une requête en vue d’être nommée comme partie intimée, sinon comme intervenante dans l’instance. Par ordonnance d’un protonotaire, Novozymes a été ajoutée à titre de partie intimée. Cette décision a été annulée en appel en octroyant à Novozymes l’autorisation de redemander le statut d’intervenante. La Cour d’appel fédérale a confirmé cette dernière décision.

 

[4]               Dans sa décision de rejeter l’appel, la Cour d’appel a expliqué que la procédure de réexamen énoncée aux articles 48.1 à 48.5 de la Loi prévoyait deux étapes qui ne concernent pas les mêmes parties. À la deuxième étape, seul le titulaire du brevet est informé de la détermination par le conseil de l’existence d’un nouveau point de fond vis-à-vis de la brevetabilité, a le droit de présenter des observations et bénéficie d’un droit d’appel de la décision rendue par le conseil. L’auteur de la demande de réexamen n’est pas partie à la deuxième étape de la procédure.

 

[5]               Conformément à l’autorisation octroyée par la Cour, Novozymes a demandé l’autorisation d’intervenir dans l’instance. La protonotaire Tabib a rejeté la requête. Novozymes interjette maintenant appel de cette décision.

 

[6]               La norme de contrôle des décisions discrétionnaires des protonotaires est bien connue. Le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf si le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits ou si l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal (Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, paragr. 19). Bien que Novozymes n’ait pas traité de la justesse de la norme de contrôle, elle ne s’est pas opposée à l’observation de Genencor selon laquelle l’octroi du statut d’intervenante n’a pas d’influence déterminante sur l’issue du principal.

 

[7]               Novozymes prétend que la décision de la protonotaire repose sur sa conclusion qu’étant donné que Novozymes n’avait pas la qualité pour agir dans l’appel de Genencor, elle ne devrait pas avoir la qualité d’agir à titre d’intervenante.

 

[8]               Novozymes soutient que la jurisprudence établit qu’il faut fondamentalement se demander si la participation de l’intervenante proposée aidera la Cour à résoudre le litige. Bien qu’elle ait reconnu que la participation de Novozymes aiderait la Cour à déterminer le bien-fondé de l’appel interjeté par Genencor, la protonotaire a néanmoins rejeté la requête pour le motif que la Cour saurait statuer sur l’appel sans la participation active d’une partie qui défend la décision rendue par le conseil.

 

[9]               De plus, en concluant que Novozymes ne devrait pas obtenir le statut d’intervenante, la protonotaire a interprété et appliqué de façon erronée les facteurs d’analyse mentionnés dans la jurisprudence.

 

[10]           Novozymes affirme que la protonotaire Tabib a fait erreur en ne reconnaissant pas que ses droits et intérêts juridiques seraient touchés par l’interprétation des revendications du brevet 422 et potentiellement de celles de la demande Rasmussen dans le contexte de l’appel interjeté par Genencor sur le fond. Étant donné que l’interprétation des revendications est une question de droit, toute interprétation de celles du brevet 422 ou de la demande Rasmussen adoptée par la Cour dans l’appel interjeté par Genencor serait perçue comme concluante dans toute future instance concernant Novozymes.

 

[11]           Novozymes prétend que la protonotaire a fait erreur en concluant qu’il était à la fois raisonnable et efficace d’introduire une nouvelle instance afin d’aborder une question déjà soumise à la Cour, c’est-à-dire que Novozymes pourrait intenter une action visant à invalider le brevet 422.

 

[12]           Novozymes prétend que la protonotaire Tabib a commis une erreur de droit en concluant que le commissaire était la partie appropriée pour faire opposition sur le fond à l’appel interjeté par Genencor, pour défendre la décision du conseil et pour défendre adéquatement la position de l’intervenante proposée.

 

[13]           De même, en indiquant que l’appel interjeté par Genencor ne mettait en cause aucun aspect d’intérêt public et qu’il présentait seulement un intérêt économique privé, la protonotaire a commis l’erreur de conclure que la participation de Novozymes n’aiderait pas la Cour à statuer sur cet appel.

 

[14]           À mon avis, Novozymes a fait reposer certaines de ses observations sur une mauvaise interprétation ou sur une formulation inexacte des motifs de la protonotaire. Contrairement à ce que fait valoir Novozymes, la protonotaire n’a pas conclu que Novozymes ne devrait pas obtenir le statut d’intervenante parce qu’elle n’avait pas la qualité de partie.

 

[15]           Relativement à la requête présentée à la protonotaire, Novozymes a basé son argumentation sur sa prétention que les clauses de réexamen que contient la Loi prévoient une procédure sommaire permettant à une tierce partie de demander la révocation d’une partie ou de la totalité des revendications d’un brevet, à l’instar de la procédure sommaire de radiation que l’on retrouve à l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), chap. T-13. Se fondant sur les motifs présentés par la Cour d’appel quant à la qualité de partie de Novozymes, la protonotaire a rejeté la caractérisation des dispositions de réexamen présentée par Novozymes. Plus précisément, étant donné qu’aucune tierce partie n’avait un rôle à jouer après la première étape de la procédure de réexamen, elle a conclu que le législateur n’avait pas l’intention de fournir aux tierces parties une procédure sommaire permettant de contester directement un brevet. La protonotaire a ensuite tenu compte des facteurs mentionnés dans la jurisprudence afin de déterminer si Novozymes devait avoir l’autorisation d’intervenir dans l’instance.

 

[16]           De plus, contrairement à ce que Novozymes a fait valoir, la protonotaire n’a pas conclu que la présence de Novozymes aiderait la Cour à statuer sur le bien-fondé de l’appel. La protonotaire a plutôt mentionné que la présence d’une intimée active faciliterait le travail de la Cour, mais qu’elle n’était pas nécessaire pour permettre à la Cour de jouer son rôle dans l’affaire.

 

[17]           Tel qu’il a été indiqué précédemment, Novozymes affirme que la protonotaire a fait erreur en concluant que l’affaire n’avait pour Novozymes qu’un intérêt économique, et non juridique. Premièrement, à l’égard des conséquences pour Novozymes de l’interprétation des revendications du brevet 422 dans l’appel de la décision relative au réexamen, on ne sait toujours pas si, dans ces circonstances, le principe de la courtoisie judiciaire serait applicable aux instances subséquentes dans lesquelles l’interprétation des revendications du brevet 422 serait abordée. Cependant, même si ce principe était applicable, une telle interprétation aurait une application générale et ne serait pas limitée à Novozymes.

 

[18]           Deuxièmement, l’observation de Novozymes selon laquelle une interprétation des revendications de la demande Rasmussen dans le cadre de l’appel interjeté par Genencor touchera directement ses intérêts juridiques est également déficiente. En appel, la Cour devra déterminer si le conseil a commis une erreur en concluant que les revendications du brevet 422 ont été antériorisées par la demande Rasmussen. Vu la nature de la question, je ne suis pas persuadée que la Cour devra nécessairement interpréter les revendications de la demande Rasmussen. La Cour devra plutôt tenir compte de ce que la demande Rasmussen présente comme antériorité.

 

[19]           Quant à l’assertion de Novozymes selon laquelle la protonotaire a commis une erreur relativement à l’absence de tout autre moyen raisonnable ou efficace de soumettre la question à la Cour, Novozymes indique que la question consiste à déterminer s’il était correct que le conseil décide de révoquer le brevet 422. Novozymes affirme qu’il n’existe aucune autre voie pour déterminer si cette décision est « correcte ». Subsidiairement, Novozymes affirme que si la « question soumise à la Cour » consiste à déterminer si le brevet 422 a été antériorisé par la demande Rasmussen, alors la conclusion de la protonotaire selon laquelle il serait à la fois raisonnable et efficace d’introduire une nouvelle instance pour aborder une question identique déjà soumise à la Cour va à l’encontre du principe selon lequel une multiplicité de procédures doit être découragée.

 

[20]           Je souscris à l’observation selon laquelle il n’existe aucun autre moyen de passer en revue la décision du conseil que l’appel prévu par la loi. Cependant, afin de déterminer si le statut d’intervenante doit être accordé, la « question soumise à la Cour » consiste à savoir si les revendications du brevet 422 ont été antériorisées par la demande Rasmussen. Pour ce qui est de l’intérêt de Novozymes, soit la brevetabilité des revendications, la protonotaire a conclu que l’action en invalidation prévue à l’article 60 de la Loi constituait le mécanisme approprié pour soumettre la même question à la Cour. Je suis d’accord. À mon avis, pousser l’argument de Novozymes à sa conclusion logique créerait dans les faits une procédure sommaire d’invalidation par l’intermédiaire de la procédure de réexamen. Comme l’indique la protonotaire Tabib dans sa conclusion, telle n’était pas l’intention du législateur lorsque les dispositions de réexamen ont été adoptées.

 

[21]           Quant à l’argument de Novozymes concernant le rôle du commissaire aux brevets dans l’appel interjeté par Genencor, je comprends en lisant les motifs de la protonotaire qu’elle n’a pas conclu que le commissaire était le mieux placé pour défendre la décision sur le fond. En fait, la protonotaire a fait remarquer que le commissaire n’avait pas l’intention, à bon droit, de défendre les questions de fond. À l’égard d’un potentiel litige quant à l’exhaustivité du dossier présenté en appel, la protonotaire a mentionné que le commissaire était le mieux placé pour s’assurer qu’un dossier d’appel complet et exact soit présenté à la Cour en cas de différend.

 

[22]           Quant à l’argument selon lequel aucune autre partie n’est bien placée pour défendre la position de Novozymes, il découle de la discussion tenue précédemment sur la nature des intérêts de Novozymes que Novozymes ne présente pas d’intérêts juridiques nécessitant d’être représentés dans l’instance.

 

[23]           Quant au dernier argument présenté, Novozymes prétend que la protonotaire a fait erreur en concluant que l’intérêt de la justice serait mieux servi sans la présence d’un « contrepoids » à la position avancée par Genencor. En ce qui concerne le rôle du procureur général du Canada, Novozymes est d’avis que celui-ci pourrait être réticent à participer à une instance qui l’amènerait à défendre l’intérêt privé d’une partie contre celui d’une autre partie, surtout en l’absence d’une question d’intérêt public. Sur ce dernier point, rien n’a été présenté à la Cour qui soutient cette opinion pour le moment.

 

[24]           Quant à savoir si l’intérêt de la justice serait mieux servi par l’intervention de la tierce partie, le seul argument que Novozymes a présenté à la protonotaire se concentre sur les difficultés éprouvées par un juge lorsqu’aucune partie ne comparaît pour défendre le bien-fondé d’un appel. Comme la protonotaire l’a fait remarquer, bien que la participation d’une intimée active puisse rendre la tâche plus facile, cet unique facteur ne justifie pas l’octroi du statut d’intervenante.

 

[25]           Pour ces motifs, je conclus que la protonotaire Tabib n’a fondé sa décision ni sur une mauvaise appréciation des faits ni sur un mauvais principe. L’appel est donc rejeté avec dépens attribués à Genencor.

 

 

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que l’appel soit rejeté avec dépens payables par Novozymes à Genencor.

 

 

 

 

« Dolores M. Hansen »

Juge

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-262-06

 

 

INTITULÉ :                                       GENENCOR INTERNATIONAL INC. c.

                                                            LE COMMISSAIRE AUX BREVETS ET

                                    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                            et NOVOZYMES A/S

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 15 MAI 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LA JUGE HANSEN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 15 AOÛT 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hélène D’Iorio

 

 

POUR L’APPELANTE

Susan Beaubien

 

 

POUR L’INTERVENANTE PROPOSÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

 

POUR L’APPELANTE

Macera & Jarzyna LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’INTERVENANTE PROPOSÉE

 

John H. Simms, c.r.

Sous-procureur général

 

POUR LES INTIMÉS

 

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