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Date : 20070803

Dossier : T-585-06

Référence : 2007 CF 817

[TRADUCTION FRANÇAISE]

OTTAWA (ONTARIO), LE 3 AOÛT 2007

En présence de monsieur le juge Harrington 

 

ENTRE :

ABBOTT LABORATORIES LIMITED

TAP PHARMACEUTICALS INC.

 

 

demanderesses

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ, APOTEX INC.

et TAKEDA PHARMACEUTICAL COMPANY LIMITED

défendeurs

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] La preuve dans les demandes, qui sont normalement des processus plus simples que des procès, est généralement présentée par le biais d'affidavits et de contre-interrogatoires. Le demandeur dépose ses affidavits, suivi des autres parties.

 

  • [2] Des affidavits supplémentaires ne sont pas permis à moins que la Cour l'autorise en vertu de la règle 312 des Règles des Cours fédérales. Les demanderesses (collectivement « Abbott ») ont présenté une requête afin de déposer les affidavits de cinq experts en réponse aux affidavits déposés par le défendeur Apotex. Le protonotaire Tabib a autorisé Abbott à déposer une partie d'un affidavit, mais a refusé les quatre autres. La Cour est saisie d'un appel de sa décision, qui limitait l'affidavit à un seul, celui du Docteur Peter Unge.

 

  • [3] Les demanderesses, Abbott en tant que mandataire et TAP en tant que détenteur canadien de la licence de Takeda, commercialisent un médicament sous le nom de Prevacid®. Il est utilisé afin de traiter des affections gastro-intestinales comme les ulcères causés par la bactérie H. pylori. L'ingrédient pharmaceutique actif est le lansoprazole. Takeda est le propriétaire du brevet canadien 2,009,741 (« 741 ») qui prévoit plusieurs usages antibactériens pour ce produit.

 

  • [4] Apotex a voulu obtenir la permission du ministre de la Santé de commercialiser sa version générique du lansoprazole. En réponse, Abbott s’est adressé à la Cour afin d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre d’accorder sa permission sous forme d’avis de conformité (AC) et ce, jusqu’à l’expiration du brevet 741. Le champ de bataille est le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).

 

  • [5] Ce Règlement a fait l’objet de plusieurs litiges et a notamment été analysé par la Cour suprême du Canada dans Bristol-Myers Squibb Co. c Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533, 39 C.P.R. (4e) 449 et Merck Frosst Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1998] 2 R.C.S. 193, 80 C.P.R. (3d) 368. Récemment, le juge Hughes a récapitulé l’historique de ce Règlement dans l’affaire Ferring Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 300, [2007] A.C.F. no 420 (QL).

 

  • [6] Évidemment, le Règlement a été invoqué lorsqu’Apotex a signifié un avis d’allégation (AA) dans lequel elle prétendait que sa version générique du lansoprazole ne constituait pas une contrefaçon du brevet qui, de toute façon, est inopérant. Par la suite, Abbott devait chercher à obtenir une ordonnance d’interdiction et de produire plusieurs affidavits à l’appui de sa prétention voulant que les allégations d’Apotex ne soient pas justifiées.

 

  • [7] Le Règlement exige que le propriétaire du brevet, en l’espèce Takeda, soit ajouté en tant que partie à l’instance. Takeda, qui affirme que ses brevets sont valides, a également déposé des affidavits, suivis des affidavits d’Apotex. Comme le veut la coutume, le ministre ne prend pas position.

 

  • [8] La preuve du Docteur Peter Unge, qui sera présentée par Abbott, porte sur l’allégation d’Apotex voulant que le brevet 741 soit invalide en raison de son caractère manifeste et d’un manque d’inventivité. Dans cette veine, Apotex a non seulement cité, mais a reproduit intégralement un extrait d’un article du Docteur Unge et d’autres intitulé “Does Omeprazole 40mg. o.m. Improve Antimicrobial Therapy Directed Towards Gastric Campylobacter pylori in Patients with Antral Gastritis?” qui a été publié au mois de novembre 1988. (Aux fins de cette requête, Abbott prétend qu’aucune distinction ne devrait être établie entre le lansoprazole et l’omeprazole et entre la bactérie h. pylori et la bactérie c. pylori).

 

  • [9] Apotex a déposé un affidavit du Docteur David Graham dans lequel il énonce son opinion sur la signification de l’extrait du Docteur Unge. Abbott prétend que le Docteur Graham a dépassé la portée des allégations dans l’AA. Ainsi, elle a demandé la permission de déposer un affidavit du Docteur Unge.

 

LA DÉCISION FAISAN L’OBJET DE L’APPEL

  • [10] La requête soumise au protonotaire Tabib portait sur 15 différentes questions. Il est nécessaire de noter que l’appel se limite à son refus de permettre au Docteur Unge de déposer un affidavit. Abbott est d’avis que seuls deux paragraphes de son ordonnance sont essentiels à cet appel.

 

  • [11] Après avoir souligné qu’Abbott avait déposé des affidavits de 12 témoins experts et qu’elle voulait déposer cinq affidavits additionnels provenant d’experts, elle a dit ce qui suit:

[traduction]

 

Bien que les conclusions que j’ai tirées sur la question de savoir si les demandes de déposer des affidavits additionnels devraient être accueillies soient essentiellement fondées sur la nécessité du document, sur le fait que ces affidavits étaient d’une utilité à la Cour ou étaient disponibles plus tôt, le fait que les demanderesses aient pu déjà excéder les limites prévues à l’article 7 de la Loi sur la preuve au Canada le nombre d’experts auxquels elles peuvent faire appel sur une question sans obtenir la permission de la Cour au préalable, et les délais occasionnés par les demanderesses en présentant cette requête, ont été examinés afin de déterminer si la permission servirait les intérêts de la justice ou si elle causerait des dommages à l’autre partie.

(Voir :  Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Ltd. et al., 2007 FC 596 at par. 5 to 7; Pharmascience Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 140 at par. 41 and Altana Pharma et al. c. Novopharm Ltd. et al., 2007 CF 637.)

 

 

  • [12] En ce qui a trait à l’extrait du Docteur Unge, elle a indiqué ce qui suit :

[traduction]

 

L’importance de l’extrait Unge était bien saisie par l’AA et par plusieurs experts, incluant ceux d’Abbott et de Takeda, qui ont longuement discuté de la question de savoir si l’extrait Unge appuie l’usage du lansoprazole en tant qu’agent antibactérien ou ne fait que le suggérer. Le contenu du paragraphe 139 de l’affidavit du Docteur Graham aurait dû être anticipé. En ce qui a trait au passage “nul besoin de tests additionnels”, je ne peux conclure que l’allégation de l’AA sur le caractère manifeste n’est pas incluse dans cette partie du test. Dans la mesure où la preuve personnelle du Docteur Unge permet de mieux comprendre l’extrait Unge, sa nécessité ou son utilité était prévisible. La demande pour déposer une réponse est rejetée.

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

  • [13] La règle 51 des Règles des Cours fédérales précise qu’un appel à cette Cour peut être interjeté à l’égard des ordonnances des protonotaires. Quelle est la norme à appliquer dans le cadre d’un appel, dans la mesure où une ordonnance peut être fondée sur une conclusion factuelle, une conclusion de droit ou dans la mesure où elle peut être discrétionnaire?

 

  • [14] De la même façon, la règle 312 ne fournit aucune ligne directrice portant sur les circonstances permettant la production d’affidavits additionnels. Est-ce que la protonotaire a exercé sa discrétion sur la base de principes juridiques?

 

DISCUSSION

  • [15] L’ordonnance de la protonotaire était discrétionnaire. Il est clairement établi que de telles ordonnances ne devraient pas être infirmées à moins que les questions soulevées dans la requête soient vitales à la question ultime dans le dossier ou à moins que l’ordonnance fût erronée en raison de l’exercice inapproprié de la discrétion fondée sur un principe erroné ou une méconnaissance des faits. (Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., 2003 CSC 27, [2003] 1 R.C.S. 450; Merck & Co. C. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2004] 2 R.C.F. 459 et R. c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, [1993] J.C.F. no 103). Son ordonnance n’était pas, ni ne pouvait l’être, vitale à la question ultime (Fieldturf Inc. c. Winnipeg Enterprises Corp., 2007 CAF 95, [2007] R.C.F. no 334 (QL)). Ainsi, son ordonnance ne doit pas être infirmée à moins qu’elle ne soit manifestement erronée.

 

  • [16] En analysant la règle 312, cette Cour a conclu qu’un critère conjonctif doit être utilisé pour l’utilisation du pouvoir discrétionnaire d’accepter la production d’éléments de preuve additionnels : a) les éléments de preuve additionnels servent-ils l’intérêt de la justice?; b) les éléments de preuve seront-ils d’une quelconque utilité à la Cour?; c) d’accéder à la requête causera-t-il des dommages importants ou sérieux à l’autre partie? et d) les éléments de preuve n’étaient pas disponibles ou il était impossible de déterminer leur pertinence plus tôt (Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CF 984, [2006] R.C.F. no 1243, le juge Teitelbaum et Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 506, [2007] R.C.F. no 681, le juge Mosley).

 

  • [17] Abbott prétend que la décision de la protonotaire découle, en partie du moins, d’un principe erroné. Aucune des parties n’avait soulevé l’article 7 de la Loi sur la preuve au Canada dans leurs soumissions écrites déposées avant l’audience. Cet article se lit comme suit :

Lorsque, dans un procès ou autre procédure pénale ou civile, le poursuivant ou la défense, ou toute autre partie, se propose d’interroger comme témoins des experts professionnels ou autres autorisés par la loi ou la pratique à rendre des témoignages d’opinion, il ne peut être appelé plus de cinq de ces témoins de chaque côté sans la permission du tribunal, du juge ou de la personne qui préside.

 

Where, in any trial or other proceeding, criminal or civil, it is intended by the prosecution or the defence, or by any party, to examine as witnesses professional or other experts entitled according to the law or practice to give opinion evidence, not more than five of such witnesses may be called on either side without the leave of the court or judge or person presiding.

 

 

 

 

  • [18] Un argument aurait pu être soulevé si la protonotaire Tabib n’avait pas fait référence à la Loi sur la preuve au Canada avant d’émettre son ordonnance. Toutefois, Abbott admet qu’elle a soulevé ce point lors de l’audience. Elle avait pleinement le droit de le faire (Wire Rope Industries of Canada (1966) Ltd. c. B.C. Marine Shipbuilders Ltd. And Straits Towing Ltd., [1981] 1 R.C.S. 363). Bien qu’Abbott prétende maintenant qu’elle n’était pas prête à discuter de ce point à ce moment, il n’en demeure pas moins qu’elle n’a pas demandé un ajournement. Elle ne peut donc pas prétendre avoir été prise par surprise et que les règles de justice naturelle n’ont pas été observées.

 

  • [19] De plus, en lisant son ordonnance, il est évident que l’article 7 de la Loi sur la preuve au Canada n’était pas un facteur dans sa décision de ne pas admettre l’affidavit du Docteur Unge, bien qu’il ait pu l’être pour un autre. Le Docteur Graham a également traité de la question portant sur la force et l’efficacité du lansoprazole, in vivo. La protonotaire Tabib a permis le dépôt d’une partie d’un affidavit proposé par le Docteur Armstong. Toutefois, elle a ajouté : [traduction] « la permission de déposer l’affidavit du Docteur Fass n’est pas accordée, car sa portée va au-delà d’une simple réponse et ajoute des éléments de preuve qui auraient pu être ajoutés lors de l’interrogatoire principal ».

 

  • [20] Une demanderesse telle qu’Abbott est prise dans un dilemme. Si l’affidavit du Docteur Graham va au-delà de l’AA, elle pourrait déposer une requête pour faire radier les parties pertinentes. Toutefois, puisque ces demandes sont, par nature, assez brèves, il s’agit d’un élément à soulever lorsque la demande est débattue sur le fonds. (David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588, [1994] R.C.F. No. 1629 (C.A.)). Si l’affidavit du Docteur Graham n’allait pas au-delà de l’AA, alors ces points auraient dû être anticipés et l’affidavit du Docteur Unge aurait dû déposer.

 

  • [21] À mon avis, la solution à court terme proposée par le juge Mosley dans l’affaire Pfizer, précitée, est très utile.Il a souligné que la suffisance d’un AA dépendrait si la déclaration détaillée permettait au breveté de connaître les motifs invoqués à l’appui de la prétention que le brevet n’est pas valide. Selon le juge Mosley, l’interprétation de l’AA et de l’affidavit est une question de droit. Il a conclu que le protonotaire avait commis une erreur en décidant qu’une question traitée dans l’affidavit avait été soulevée et était contenue dans l’AA. Il a examiné l’affaire de novo et a permis le dépôt de l’affidavit. Son opinion concernant l’AA ne lie pas le juge qui doit décider l’affaire sur le fonds. En fait, selon lui, l’affidavit déposé en réponse peut aider la Cour.

 

  • [22] L’extrait Unge est très court. Il a décrit le traitement administré à trois groupes de patients. Le premier groupe a été traité avec de l’omeprazole et de l’amoxicillin, le second avec de l’omeprazole et le troisième avec de l’amoxicillin. Les résultats étaient différents. Il a conclu ainsi: “Des études additionnelles et approfondies semblent être indiquées ».

 

  • [23] La preuve du Docteur Graham est à l’effet que l’omeprazole peut avoir un effet direct ou indirect sur le h. pylori et qu’une thérapie combinant à la fois le omeprazole et le lansoprazole serait plus efficace que l’utilisation d’un seul de ces produits.

 

  • [24] Je partage l’avis de la protonotaire que l’extrait Unge était bien compris et que plusieurs experts, incluant celui de Takeda, ont discuté de ces enseignements. Les questions soulevées auraient dû être anticipées, car elles n’allaient pas au-delà de la portée de l’AA. Elle ne s’est pas trompée.

 

  • [25] Pour ces raisons, je rejetterais l’appel. Dans l’alternative, si l’ordonnance était manifestement erronée, car se fondant sur un principe de droit erroné ou une méconnaissance des faits, j’exercerais ma discrétion de novo comme elle l’a fait. De façon générale, l’affidavit du Docteur Unge reflète son objectif en complétant l’étude et sur ce qu’elle semble indiquer. Toutefois, l’extrait est explicite. Ce n’est pas l’intention du Docteur Unge qui contribue à l’avancement de la science, mais bien ce qu’il a dit. Objectivement, ce que dit l’extrait est clair. À l’audience sur le bien-fondé de l’affaire, Abbott a le droit de faire des représentations sur ce que l’extrait signifie. Elle n’a pas besoin de l’aide d’un affidavit du Docteur Unge.

ORDONNANCE

 

La requête en appel de l’ordonnance de la protonotaire Tabib est rejetée avec dépens.

 

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-585-06

 

INTITULÉ :  ABBOTT LABORATORIES LIMITED

TAP PHARMACEUTICALS INC.

  et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ, APOTEX INC.

et TAKEDA PHARMACEUTICAL COMPANY   LIMITED

 

LIEU DE L'AUDIENCE :  OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :  LE 26 JUILLET 2007

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :  LE 3 AOÛT 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me David Tait

 

POUR LES DEMANDERESSES

Me Daniel Cohen

 

POUR LA DÉFENDERESSE

Apotex

 

AVOCATS AU DOSSIER:

 

McCarthy Tétrault LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

Apotex

 

 

 

 

 

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