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Date : 20070709

Dossier : T-59-06

Référence : 2007 CF 729

Vancouver (Colombie-Britannique), le 9 juillet 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’REILLY

 

 

ENTRE :

JANSSEN-ORTHO INC.

demanderesse

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Janssen-Ortho Inc. me demande d’annuler la décision du ministre de la Santé qui a refusé d’inscrire au registre son brevet de médicament (brevet canadien no 2,265,668). Le ministre a conclu que le brevet 668 n’était pas admissible à l’inscription parce qu’il ne comportait pas « une revendication pour le médicament en soi ou une revendication pour l’utilisation du médicament » comme l’exige le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS 93-133, paragraphe 3(1) et alinéa 4(2)b) (les dispositions législatives pertinentes sont reproduites en annexe).

 

[2]               Janssen-Ortho soutient que la décision du ministre est incorrecte. Cependant, je ne trouve aucune erreur et je dois, par conséquent, rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

I.  Question en litige

 

[3]               Le ministre a-t-il commis une erreur en refusant d’inscrire le brevet 668?

 

II.  Analyse

 

a)  Portée du Règlement

 

[4]               Quiconque souhaite faire protéger par le Règlement un brevet sur un médicament doit démontrer que ce brevet comporte une revendication « pour le médicament en soi ou une revendication pour l’utilisation du médicament » (alinéa 4(2)b)). Tout brevet qui comporte une revendication pour une formulation combinant les ingrédients actifs et inactifs remplit cette exigence : Eli Lilly Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2003 CAF 24, [2003] A.C.F. no 75 (C.A.) (QL); Hoffman-La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être social), [1995] A.C.F. 985 (1re inst. ) (QL). Toutefois, cette exigence n’est pas remplie lorsque le brevet vise un instrument médical servant à administrer un ingrédient actif à un patient (tels les inhalateurs ou les timbres cutanés) : Glaxo Group Ltd. c. Novopharm Ltd., [1998] A.C.F. no 155 (1re inst.) (QL); Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2003 CAF 299, [2003] A.C.F. no 1065 (C.A.) (QL) ni lorsque le brevet comporte une combinaison d’éléments actifs et inactifs dont l’objet est de protéger un « dispositif d’administration » plutôt que la « charge médicamenteuse » : GlaxoSmithKline Inc. c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 197, [2005] A.C.F. no 915 (C.A.) (QL), aux paragraphes 43 et 44; Biovail c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1135, [2005] A.C.F. no 1402 (1re inst.) (QL), confirmé par 2006 CAF 105, [2006] A.C.F. no 475 (C.A.) (QL).

 

b)          La décision du ministre

 

[5]               Par lettre en date du 13 décembre 2005, le directeur du Bureau des médicaments brevetés et de la liaison, au nom du ministre, a informé Janssen-Ortho que le brevet 668 ne remplissait pas les conditions requises pour être inscrit au registre. Après avoir passé en revue les décisions de notre Cour et celles de la Cour d’appel fédérale, le directeur a conclu que le brevet 668 protège les [traduction] « comprimés et les formes posologiques pouvant être utilisés dans l’administration du chlorhydrate de méthylphénidate » mais ne comporte pas une revendication pour ce médicament en soi ou pour l’utilisation de ce médicament.

 

[6]               La question est donc de savoir si le brevet 668 protège un dispositif d’administration ou une charge médicamenteuse. Si la revendication porte sur le dispositif, la décision du ministre est une décision correcte. Si la revendication vise la charge médicamenteuse, le ministre a commis une erreur.

 

           

                        c)  les revendications du brevet 668

 

[7]               Les revendications 1 à 7 du brevet portent sur des comprimés contenant du méthylphénidate ou son sel équivalent acceptable du point de vue pharmaceutique. Les revendications 8 à 25 portent sur les formes posologiques pour les diverses couches composant le comprimé. Les revendications 26 et 27 portent sur l’utilisation des comprimés et les formes posologiques pour le traitement du trouble déficitaire de l’attention (TDA).

 

[8]               Janssen-Ortho soutient que le brevet comporte des revendications pour le médicament méthylphénidate en soi et pour l’utilisation de ce médicament dans le traitement du TDA. Selon moi, cependant, le brevet porte sur la configuration du comprimé contenant du méthylphénidate et sur l’utilisation de ce comprimé dans le traitement du TDA.

 

[9]               La revendication no 1 du brevet 688 porte sur un comprimé contenant du méthylphénidate qui présente les caractéristiques suivantes :

•           le comprimé est plus long que large;

•           la composition médicamenteuse contient du méthylphénidate à l’intérieur de la première couche du comprimé;

•           la deuxième couche contient un polymère;

•           une couche semi-perméable entoure les première et deuxième couches;

•           la couche semi-perméable laisse un passage à l’une des extrémités du comprimé permettant l’écoulement du méthylphénidate contenu dans la première couche;

•           le méthylphénidate se libère durant deux à huit heures;

•           le comprimé est enrobé d’une composition de méthylphénidate.

 

[10]           Si je comprends bien, les autres revendications (2 à 25) portent sur des variations dans les quantités des divers éléments constitutifs des comprimés et dans les sortes d’ingrédients non médicinaux. Comme je l’ai mentionné, les revendications 26 et 27 concernent l’utilisation de ces diverses formes de comprimés dans le traitement du TDA.

 

[11]           Selon moi, ces revendications ne portent pas sur le méthylphénidate ni sur son utilisation. Elles portent sur une forme précise de comprimé qui permet de choisir la courbe de libération du méthylphénidate, l’ingrédient actif du comprimé. Cette conclusion est non seulement étayée par la rédaction des revendications mais également par les passages descriptifs du brevet 668 et par le rapport d’expert présenté par Janssen-Ortho elle-même.

 

[12]           Le brevet 668 résume ainsi l’invention qu’il contient :

 

[traduction] Cette invention porte sur une forme posologique visant l’administration d’une croissante de médicament. Elle porte également sur une forme posologique visant l’administration d’une dose croissante de médicament par unité de temps sur une longue période pour une thérapie efficace continue.

 

 

[13]           Selon le brevet, l’invention divulguée vise à régler les problèmes de tolérance au médicament. On y souligne le [traduction] « besoin criant » pour de nouvelles formes posologiques visant l’administration de médicaments à un [traduction] « degré croissant prolongé ». Par conséquent, l’invention a pour objet de fournir [traduction] « une forme posologique unique et nouvelle afin de suppléer aux lacunes existantes de la technique et ainsi faire avancer la technique d’administration des médicaments ». Le brevet divulgue essentiellement les avantages et la mécanique d’un comprimé qui possède les caractéristiques énoncées dans les revendications, et décrites précédemment. Peu de choses sont dites sur le méthylphénidate. Le dessin est manifestement un générique qui permettrait l’administration de plusieurs médicaments différents. Par exemple, selon le brevet, l’enrobage du comprimé pourrait contenir [traduction] « de l’opioïde, des barbituriques, des hypnotiques, des psychostimulants, des psycholeptiques, des médicaments agissant sur le système nerveux central, des analgésiques et des catécholamines ».

 

[14]           Le brevet mentionne que l’une de ses caractéristiques est un comprimé contenant du méthylphénidate. Il inclut également des descriptions détaillées de comprimés contenant du méthylphénidate parmi les nombreux exemples qui y figurent. Cependant, tous les exemples mettent l’accent sur la structure et sur la mécanique du comprimé. L’ingrédient actif particulier qui se trouve dans chacun d’eux semble marginal par rapport à l’action du comprimé.

 

[15]           Monsieur James W. McGinity, professeur de pharmacie à l’Université du Texas, a témoigné à titre d’expert pour Janssen-Ortho. Il déclare qu’avant l’invention visée par le brevet 668, il fallait trouver une façon d’administrer du méthylphénidate à un taux croissant prolongé afin de pouvoir traiter les problèmes d’intolérance et de fréquence dans la posologie. La solution au problème résidait dans la création de nouvelles formes posologiques pour le méthylphénidate. Il dit ceci : [traduction] « Il ne fait aucun doute que la divulgation du brevet 668 est liée à une préparation pharmaceutique dans laquelle un ingrédient actif tel le méthylphénidate peut être libéré selon une courbe croissante et qu’on parvient à ce résultat en combinant certaines caractéristiques de la forme posologique avec certains ingrédients non médicinaux ».

 

[16]           Selon moi, l’opinion de M. McGinity confirme que l’objet principal du brevet 668 est un comprimé rendant possible l’administration d’un ingrédient actif selon une courbe de libération précise et l’utilisation de ce comprimé dans le traitement du TDA. Il ne revendique pas le médicament en soi ou l’utilisation du médicament.

 

[17]           À l’audience, Janssen-Ortho a soulevé un autre argument. Elle a indiqué que l’existence d’une couche externe de méthylphénidate était en réalité l’aspect le plus important de l’invention décrite dans le brevet 668 et donc que, parce que la couche externe était composée de méthylphénidate en soi, le brevet comportait une revendication pour ce médicament et pour l’utilisation de ce médicament pour le traitement du TDA. Elle a fait valoir que la couche externe était un élément fondamental pour ce qui est du traitement des jeunes présentant des symptômes du TDA dans la cour d’école. Du fait de l’ingrédient actif contenu dans la couche externe, le médicament s’attaquera immédiatement aux symptômes, alors que le reste de l’ingrédient actif sera libéré progressivement dans les heures qui suivent. De plus, la couche externe augmente l’efficacité de la quantité non utilisée de l’ingrédient actif parce que celui-ci sera toujours présent dans la circulation sanguine alors que le reste commence à faire effet.

 

[18]           J’estime que cette prétention n’est pas fondée. Le brevet mentionne la couche externe mais rien n’indique que cette couche externe est aussi importante que le laisse entendre Janssen-Ortho. En réalité, c’est plutôt l’inverse. L’examen porte beaucoup plus sur le fonctionnement interne du comprimé et sur la nécessité d’obtenir une libération progressive du médicament sur une plus longue période. Cela vaut aussi pour l’avis de M. McGinity. De plus, la courbe de libération du comprimé démontre que le méthylphénidate contenu dans la couche externe se dissipe dans la première heure après l’ingestion. Rien n’indique, comme l’a fait valoir Janssen-Ortho, que cela contribue à élever la quantité d’ingrédient actif disponible dans les heures qui suivent.

 

[19]           Compte tenu de ce qui précède, j’ai conclu que le ministre n’a pas commis d’erreur en décidant que le brevet 668 n’était pas admissible à l’inscription au registre. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire, avec dépens.

 

 

 


 

JUGEMENT

 

            LE JUGEMENT DE LA COUR EST LE SUIVANT :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

 

« James W. O'Reilly »

Juge

 

 

 



Traduction certifiée conforme

Dany Brouillette, LL.B.

 

 

 


Annexe

 

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133

 

Registre

  3. (1) Le ministre tient un registre des renseignements fournis aux termes de l'article 4. À cette fin, il peut refuser d'y ajouter ou en supprimer tout renseignement qui n'est pas conforme aux exigences de cet article.

 

 

Liste de brevet

 

 

  4. (2) La liste de brevets au sujet de la drogue doit contenir les renseignements suivants :

 

 

[…]

     

b) tout brevet canadien dont la personne est propriétaire ou à l'égard duquel elle détient une licence exclusive ou a obtenu le consentement du propriétaire pour l'inclure dans la liste, qui comporte une revendication pour le médicament en soi ou une revendication pour l'utilisation du médicament, et qu'elle souhaite voir inscrit au registre;

 

 

 

 

 

Patented Medicines (Notice of Compliance) Regulations, SOR/93-133

 

Register

  3. (1) The Minister shall maintain a register of any information submitted under section 4. To maintain it, the Minister may refuse to add or may delete any information that does not meet the requirements of that section.

Patent List

  4.(2) A patent list submitted in respect of a drug must

(b) set out any Canadian patent that is owned by the person, or in respect of which the person has an exclusive licence or has obtained the consent of the owner of the patent for the inclusion of the patent on the patent list, that contains a claim for the medicine itself or a claim for the use of the medicine and that the person wishes to have included on the register;

 

 

 

 


                                                           COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-59-06

 

INTITULÉ :                                       JANSSEN-ORTHO INC. c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 10 avril 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 9 juillet 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Neil R. Belmore

Roger Tam

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Eric Peterson

Natalie Henein

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GOWLING LAFLEUR HENDERSON LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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