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Date : 20070516

Dossier : T-1044-05

Référence : 2007 CF 516

Ottawa (Ontario), le 16 mai 2007

En présence de madame la juge Gauthier

ENTRE :

JANIE BÉDARD

 

Demanderesse

et

KELLOGG CANADA INC.

 

Défenderesse

 

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Intervenant

 

 

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                 Madame Bédard demande à la Cour d’autoriser son action comme recours collectif.  Cette requête a été entendue en même temps que la requête de Kellogg Canada Inc. qui avait été déposée plusieurs mois auparavant et qui demandait la radiation de la déclaration de madame Bédard parce qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable (alinéa 221(1)a) des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106) et que l’action est frivole et vexatoire (alinéa 221(1)c) des Règles).

[2]                 Subsidiairement, la défenderesse demande la radiation de plus d’une trentaine de paragraphes de la déclaration amendée parce qu’ils i) sont contraires aux Règles; ii) ne sont pas pertinents; iii) risquent de nuire à l’instruction équitable de l’action et constituent un abus de procédure et iv) que les allégations qu’ils contiennent sont scandaleuses, frivoles et vexatoires (alinéa 221b), c) et f) des Règles). Toutefois à l’audience, la demanderesse a eu la permission d’amender à nouveau sa déclaration de sorte qu’il ne reste que quelques paragraphes et deux des conclusions recherchées à examiner.

 

[3]                 Finalement, Kellogg avait déposé une troisième requête[1] visant à faire radier l’action compte tenu d’une irrégularité dans l’affidavit déposé au soutien de la requête en autorisation. À l’audience, Kellogg a indiqué que la Cour n’avait pas à statuer sur cette requête après qu’il eut été convenu que la Cour considérerait les faits mis en preuve dans le cadre de cette requête dans son évaluation des critères applicables à la requête en autorisation, particulièrement quant à l’alinéa 299.18 (1)e) des Règles.

 

[4]                 Malgré la règle générale à l’effet qu’aucuns dépens ne sont normalement adjugés sur une requête en autorisation, les deux parties ont plaidé l’exception et demande de tels dépens. Kellogg a aussi demandé des dépens sur la requête en radiation.

 

1.         CONTEXTE

[5]                 La demanderesse Janie Bédard est une mère de famille.  Elle a quatre enfants âgés de 2 à 9 ans. Elle et sa famille consomment (mais pas exclusivement) depuis quelques années des céréales Frosted Flakes et Froot Loops de Kellogg. En 2005, elle a fait l’essai des Frosted Flakes et Froot Loops portant la mention « 1/3 de sucre de moins que dans les céréales originales ». Elle dit avoir acheté huit boîtes de chacune de ces céréales[2] avant d’apprendre d’une amie nutritionniste que ces céréales, en fait, ne présentaient pas de bénéfice nutritionnel.

 

[6]                 Le 16 juin 2005, elle intente une action fondée sur l’article 36 de la Loi sur la concurrence, L.R. (1985), ch. C-34 (la Loi). Sa déclaration porte la mention « recours collectif envisagé » et elle allègue que la mention «1/3 de sucre de moins » est fausse et trompeuse à divers égards.

 

[7]                 La déclaration de madame Bédard a été amendée à diverses reprises avant l’audience de même que pendant, en réponse à la requête en radiation de Kellogg.

 

[8]                 Mais, comme les parties s’étaient entendues dès le départ pour procéder en même temps à l’interrogatoire avant défense et à l’interrogatoire sur affidavit de madame Bédard, l’affidavit au soutien de la requête en autorisation n’a pas été amendé et il reprend les allégations de la déclaration originale plutôt que celles de la déclaration amendée. La Cour n’a pas tenu compte des paragraphes de l’affidavit  qui portent sur des allégations retirées sauf dans son évaluation  de la compétence de madame Bédard à agir comme représentante du groupe proposé.

 

[9]                 Les motifs de la requête en autorisation sont décrits comme suit dans l’avis de requête amendé (en plus des amendements avant l’audience, la demanderesse a amendé verbalement cet avis pour donner effet aux amendements faits à l’audience lors d’un appel conférence après l’audience) :

1.         L’acte de procédure de la demanderesse révèle une cause d’action valable en ce que :

 

 

a)      La demanderesse a intenté contre la défenderesse une action en dommages-intérêts fondée sur l’article 36. (1) de la Loi sur la concurrence dans laquelle elle réclame le remboursement du prix payé pour l’achat de 4 boîtes[3] de céréales de chacune des deux marques suivantes : Frosted Flakes 1/3 de sucre en moins et Froot Loops 1/3 de sucre en moins;

 

b)      La cause d’action est la promotion d’intérêts commerciaux de la défenderesse par la communication au public d’indications fausses ou trompeuses sur un point important, à savoir le contenu calorique des deux produits sus mentionnés, un tel comportement étant prohibé par l’article 52 de la Loi sur la concurrence;

 

c)      Les dommages découlent directement des agissements de la défenderesse. Par ses représentations fausses ou trompeuses, la défenderesse a amené le consommateur à acheter un produit qui, lorsque comparé au produit original, est censé présenter des avantages nutritifs quant à son contenu calorique.

 

d)      Le préjudice du consommateur est donc d’avoir acheté et consommé un produit qui représente l’antithèse de ce qu’il croyait acheter et consommer. Il est par conséquent en droit de réclamer le remboursement du prix payé pour l’achat de chaque boîte de céréales ainsi achetée puisque ce sont les représentations fausses ou trompeuses de la défenderesse qui l’ont amené à acheter lesdits produits;

 

e)      Les indications communiquées par la défenderesse sont trompeuses à l’égard des céréales Frosted Flakes contenant 1/3 de sucre en moins;

 

f)        En ce qui concerne la céréale Froot Loops, les indications communiquées par la défenderesse sont non seulement trompeuses mais elles sont également fausses quant à la quantité de sucre en moins. [4]

 

 

            2.         Il existe un groupe identifiable d’au moins 2 personnes :

 

a)      Le recours vise à dédommager les consommateurs canadiens qui ont été  amenés, par les représentations fausses ou trompeuses de la défenderesse, à acheter des produits qui sont à l’opposé de ce qu’ils croyaient acheter quant à la teneur calorique.[5]

 

 

               3.         Les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou des fait collectifs;

 

            a)    Tous les faits et les points de droit sont collectifs, à savoir :

 

i)        Quant aux faits : l’achat par les membres du groupe des céréales Frosted Flakes contenant 1/3 de sucre en moins ou les Froot Loops contenant 1/3 de sucre en moins;

 

ii)   Quant aux points de droit : Les indications fausses ou trompeuses données aux membres du groupe afin de promouvoir l’achat des Frosted Flakes et Froot Loops réduites en sucre.

 

     4.         Le recours collectif est le meilleur moyen de régler de façon équitable et efficace les points de droit ou de faits collectifs et ce compte tenu :

 

a)      du grand nombre de réclamations;

b)      du caractère minimal des dommages;

c)      de l’absence de questions individuelles.

 

 

5.         La demanderesse peut agir comme représentante du groupe et à ce titre :

 

            a)   Elle a initié le recours;

            b)   Elle est membre du groupe décrit à la présente requête et a elle-même subi des dommages;

            c)   Le recours individuel de la demanderesse est intimement lié à celui des autres membres du groupe;

            d)   Elle a connaissances de tous les faits pertinents au présent recours;

            e)   Elle s’intéresse activement à la présente affaire et elle est prête à s’investir et à mettre tout le temps nécessaire;

            f)    Elle est disposée à gérer le présent recours collectif dans l’intérêt des membres du groupe qu’elle entend représenter et elle est déterminée à mener le présent dossier, le tout au bénéfice de tous les membres du groupe;

            g)   Elle a la capacité et l’intérêt pour représenter adéquatement tous les membres du groupe;

            h)   Elle représentera de façon équitable et appropriée les intérêts du groupe;

            i)    Elle est de bonne foi et entreprend des procédures en recours collectif dans l’unique but de faire reconnaître les droits des membres du groupe afin qu’il soit remédié aux préjudices que chacun d’eux a subis;

            j)    Elle a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour la poursuite de l’action au nom du groupe et pour tenir les membres du groupe informés du déroulement de l’instance, à savoir :

 

i)        Le recours est publicisé sur le site Internet de son procureur;

                                          ii)   Elle est disposée à communiquer avec les membres en temps opportun par voie de communiqués transmis aux membres par la voie des médias.

 

                                    k)   Elle a communiqué un sommaire des ententes relatives aux honoraires et débours qui sont intervenus entre elle et son procureur.

 

[10]             Les conclusions amendées qui font l’objet du débat devant la Cour au niveau de la radiation se lisent comme suit :

1.  RENDRE toutes les ordonnances nécessaires relativement à l’évaluation des réparations pécuniaires;

 

2.  Condamner la défenderesse à payer à la demanderesse des dommages équivalant au remboursement du montant payé par la demanderesse pour l’achat de 8 boîtes de céréales de marque Frosted Flakes 1/3 de sucre en moins et la boîte de céréales Froot Loops 1/3 qu’elle a achetées depuis leur introduction sur le marché canadien;

 

3.  Condamner la défenderesse à payer aux membres du groupe des dommages équivalant au remboursement du montant payé par la demanderesse pour l’achat de 8 boîtes de céréales de marque Frosted Flakes 1/3 de sucre en moins et la boîte de céréales Froot Loops 1/3 qu’ils ont achetées depuis leur introduction sur le marché canadien;

 

4.  Ordonner que les sommes (…) versées par la défenderesse soient versés à divers organismes caritatifs agréés par la Cour et voués à la protection de la santé et au bien-être des enfants au prorata de chaque Province et Territoire du Canada;

 

5.  Ordonner à la défenderesse d’apporter les correctifs appropriés à ses emballages afin que les consommateurs soient informés de façon au moins égale du contenu plus élevé en « sucres » et en calories qu’ils le sont du contenu du « 1/3 de sucre en moins ».

 

[les amendements sont soulignés]

 

[11]             Toutefois pour bien comprendre la position de Kellogg, il est aussi opportun de noter les conclusions telles qu’elles existaient avant les dernières modifications :

1.  Ordonner à la défenderesse de produire tous les revenus et profits qu’elle a tirés de la vente des céréales Frosted Flakes « 1/3 de sucre en moins » que les originales et Froot Loops « 1/3 de sucre en moins » depuis leur introduction sur le marché canadien;

 

2.  Ordonner à la défenderesse de restituer à la demanderesse la valeur des huit boîtes de céréales Frosted Flakes « 1/3 de sucres en moins » et des huit boîtes de céréales Froot Loops « 1/3 de sucre en moins » de restituer tous les revenus et profits qu’elle a réalisés sur la vente desdites [sic] céréales sur tout le territoire canadien depuis leur introduction sur le marché canadien ainsi que les intérêts au taux légal;

 

 

[12]             Kellogg a déposé sa défense le 1er septembre 2006.  Tel que mentionné plus loin, cette défense réfère abondamment au témoignage de madame Bédard lors de son interrogatoire (voir paragraphes 59, 63, 65, 104, 107 à 109).

 

[13]             En vertu des paragraphes 174 et 175 des Règles, tout acte de procédure contient un exposé des faits substantiels (et il peut inclure des points de droit), toutefois, il ne comprend pas les moyens de preuve à l’appui de ces faits.

 

2.         LÉGISLATION

[14]             Il est utile, à ce stade-ci, de reproduire le texte de l’article 36 et de l’article 52 de la Loi :

Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985,

ch. C-34

 

Recouvrement de dommages-intérêts

 

36. (1) Toute personne qui a subi une perte ou des dommages par suite :

 

a) soit d’un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI;

 

b) soit du défaut d’une personne d’obtempérer à une ordonnance rendue par le Tribunal ou un autre tribunal en vertu de la présente loi, peut, devant tout tribunal compétent, réclamer et recouvrer de la personne qui a eu un tel comportement ou n’a pas obtempéré à l’ordonnance une somme égale au montant de la perte ou des dommages qu’elle est reconnue avoir subis, ainsi que toute somme supplémentaire que le tribunal peut fixer et qui n’excède pas le coût total, pour elle, de toute enquête relativement à l’affaire et des procédures engagées en vertu du présent article.

[…]

 

 

Compétence de la Cour fédérale

 

(3) La Cour fédérale a compétence sur les actions prévues au paragraphe (1).

 

 

 

Indications fausses ou trompeuses

 

52. (1) Nul ne peut, de quelque manière que ce soit, aux fins de promouvoir directement ou indirectement soit la fourniture ou l’utilisation d’un produit, soit des intérêts commerciaux quelconques, donner au public, sciemment ou sans se soucier des conséquences, des indications fausses ou trompeuses sur un point important.

 

Preuve non nécessaire

(1.1) Il est entendu qu’il n’est pas nécessaire, afin d’établir qu’il y a eu infraction au paragraphe (1), de prouver que quelqu’un a été trompé ou induit en erreur.

Indications accompagnant un produit

(2) Pour l’application du présent article, sauf le paragraphe (2.1), sont réputées n’être données au public que par la personne de qui elles proviennent les indications qui, selon le cas :

a) apparaissent sur un article mis en vente ou exposé pour la vente, ou sur son emballage;

b) apparaissent soit sur quelque chose qui est fixé à un article mis en vente ou exposé pour la vente ou à son emballage ou qui y est inséré ou joint, soit sur quelque chose qui sert de support à l’article pour l’étalage ou la vente;

c) apparaissent à un étalage d’un magasin ou d’un autre point de vente;

d) sont données, au cours d’opérations de vente en magasin, par démarchage ou par téléphone, à un utilisateur éventuel;

e) se trouvent dans ou sur quelque chose qui est vendu, envoyé, livré ou transmis au public ou mis à sa disposition de quelque manière que ce soit.

 

 

[…]

 

Il faut tenir compte de l’impression générale

(4) Dans toute poursuite intentée en vertu du présent article, pour déterminer si les indications sont fausses ou trompeuses sur un point important il faut tenir compte de l’impression générale qu’elles donnent ainsi que de leur sens littéral.

Infraction et peine

(5) Quiconque contrevient au paragraphe (1) commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité :

a) par mise en accusation, une amende à la discrétion du tribunal et un emprisonnement maximal de cinq ans, ou l’une de ces peines;

b) par procédure sommaire, une amende maximale de 200 000 $ et un emprisonnement maximal d’un an, ou l’une de ces peines.

                                         [mon souligné]

Competition Act, R.S.C. 1985, c. C-34

 

 

Recovery of damages

 

36. (1) Any person who has suffered loss or damage as a result of

 

(a) conduct that is contrary to any provision of Part VI, or

 

(b) the failure of any person to comply with an order of the Tribunal or another court under this Act,

 

may, in any court of competent jurisdiction, sue for and recover from the person who engaged in the conduct or failed to comply with the order an amount equal to the loss or damage proved to have been suffered by him, together with any additional amount that the court may allow not exceeding the full cost to him of any investigation in connection with the matter and of proceedings under this section.

 

[…]

 

 

Jurisdiction of Federal Court

 

(3) For the purposes of any action under subsection (1), the Federal Court is a court of competent jurisdiction.

 

 

False or misleading representations

 

52. (1) No person shall, for the purpose of promoting, directly or indirectly, the supply or use of a product or for the purpose of promoting, directly or indirectly, any business interest, by any means whatever, knowingly or recklessly make a representation to the public that is false or misleading in a material respect.

 

 

Proof of deception not required

 

(1.1) For greater certainty, in establishing that subsection (1) was contravened, it is not necessary to prove that any person was deceived or misled.

 

Representations accompanying products

 

(2) For the purposes of this section, a representation that is

 

 

 

 

(a) expressed on an article offered or displayed for sale or its wrapper or container,

 

(b) expressed on anything attached to, inserted in or accompanying an article offered or displayed for sale, its wrapper or container, or anything on which the article is mounted for display or sale,

 

(c) expressed on an in-store or other point-of-purchase display,

 

(d) made in the course of in-store, door-to-door or telephone selling to a person as ultimate user, or

 

(e) contained in or on anything that is sold, sent, delivered, transmitted or made available in any other manner to a member of the public,

 

is deemed to be made to the public by and only by the person who causes the representation to be so expressed, made or contained, subject to subsection (2.1).

 

[…]

General impression to be considered

 

(4) In a prosecution for a contravention of this section, the general impression conveyed by a representation as well as its literal meaning shall be taken into account in determining whether or not the representation is false or misleading in a material respect.

 

Offence and punishment

 

(5) Any person who contravenes subsection (1) is guilty of an offence and liable

 

(a) on conviction on indictment, to a fine in the discretion of the court or to imprisonment for a term not exceeding five years or to both; or

 

(b) on summary conviction, to a fine not exceeding $200,000 or to imprisonment for a term not exceeding one year, or to both.

 

 

 

                                           [emphasis added]

 

3.         REQUÊTE EN RADIATION

            a)         Demande principale

[15]             Le test applicable à une requête fondée sur l’absence de cause valable d’action est bien établi. Comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada dans Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, [1990] A.C.S. no 93, il s’agit de déterminer si l’issue de l’affaire est évidente et manifeste ou « au-delà de tout doute raisonnable » (voir aussi Le Corre c. Canada, 2005 CAF 127, [2005] A.C.F. no 590 (QL) au paragraphe 9).

 

[16]             Comme l’a indiqué la Cour suprême dans Hunt, ci-dessus, « la longueur et la  complexité des questions, la nouveauté de la cause d'action ou la possibilité que les défendeurs présentent une défense solide ne devraient pas empêcher le demandeur d'intenter son action. Ce n'est que si l'action est vouée à l'échec parce qu'elle contient un vice fondamental » que la déclaration devrait être radiée en tout ou en partie.

 

[17]             Ce test s’applique même lorsqu’une partie soulève l’absence de juridiction de la Cour (Hodgson c. Bande indienne d’Erminesken no 942, [2000] A.C.F. no 2042 (C.A.F.) (QL), autorisation refusée par la Cour suprême du Canada, [2001] C.S.C.R. no 67).

 

[18]             De plus, pour les fins de son analyse, la Cour doit tenir pour avérées les allégations de fait dans la déclaration.  La demanderesse a donc le fardeau d’établir l’absence de cause d’action sans avoir recours à une preuve quelconque (alinéa 221(2)).

 

[19]             Cette règle générale comporte toutefois une exception lorsqu’une partie soulève l’absence de juridiction de la Cour. Dans un tel cas, la Cour peut considérer une preuve par affidavit pour établir certains faits juridictionnels (MIL Davie Inc. c. Société d’exploitation et de développement d’Hibernia Ltée, [1998] A.C.F. no 614 (C.A.F.) (QL),  para. 8).

 

[20]             Même si à la première vue il peut paraitre plus souple, le test applicable à une requête en radiation fondée sous l’alinéa 221(1)c) des Règles (acte de procédure scandaleux, frivole ou vexatoire) n’est pas vraiment moins strict que celui qui s’applique aux requêtes faites en vertu de l’alinéa 221(1)a).

 

[21]             Tout récemment dans Sanofi-Aventis Canda Inc., 2007 FCA 163, [2007] A.C.F. no 548 (QL), la Cour d’appel fédérale devait réviser le test applicable en vertu du paragraphe 6(5) du Règlement sur les produits pharmaceutiques, DORS 93-133. La Cour indique que le langage de cet article est identique à celui de l’ancienne règle 419 maintenant et le paragraphe 221 des Règles (depuis les amendements de 1998).  C’est pourquoi la Cour fédérale avait appliqué aux requêtes faites en vertu de l’alinéa 6(5), les principes développés sous l’ancienne règle 419.  À cet égard, le juge Edgar Sexton reprend le test développé par le juge François Lemieux comme suit :

33.  Paragraph 6(5)(b) was added to the NOC Regulations in 1998 bearing similar language to that employed in the former Rule 419 of the Federal Court Rules and that in Rule 221 of the current Federal Courts Rules, SOR/98-106. Accordingly, the Federal Court adopted the principles that had been developed under Rule 419 for striking out pleadings in an action, as explained by Lemieux J. in Pfizer Canada Inc. v. Apotex Inc. (1999), 1 C.P.R. (4th) 358 at paragraphs 29-30 (F.C.T.D.):

 

[28] Paragraph 6(5)(b) of the Regulations has its source in paragraphs (b), (c) and (f) of Rule 221 of the Federal Court Rules, 1998, SOR/98-106, which themselves were based on similar paragraphs of Rule 419 of the old Federal Court Rules, C.R.C. 1978, c. 663, which concerned actions rather than applications.

 

[29] Counsel for Apotex argued Pfizer's application was scandalous, frivolous and vexatious within the meaning of those words in paragraph 6(5)(b) of the Regulations. The test Apotex had to meet has been set out in a consistent line of cases interpreting former rule 419(1)(c).

 

[30] In R. v. Creaghan, [1972] F.C. 732 (T.D.), Pratte J. (as he then was), said this about that aspect of Rule 419 (page 736):

 

Finally, in my view, a statement of claim should not be ordered to be struck out on the ground that it is vexatious, frivolous or an abuse of the process of the Court, for the sole reason that in the opinion of the presiding judge, plaintiff's action should be dismissed. In my opinion, a presiding judge should not make such an order unless it be obvious that the plaintiff's action is so clearly futile that it has not the slightest chance of succeeding, whoever the judge may be before whom the case could be tried. It is only in such a situation that the plaintiff should be deprived of the opportunity of having "his day in Court".

 

                                                         [souligné dans le texte original]

 

[22]             La différence essentielle tient donc dans le fait que la Cour peut, dans le cas d’une requête faite en vertu de la Règle 221 (1)b), c) et f)  tenir compte de la preuve déposée par les parties en plus de la déclaration.[6]

 

[23]             Dans son dossier de requête du 24 mars 2006, la défenderesse avait déposé l’affidavit de Me Karine Joizil, (avocate au sein de la firme représentant Kellogg) qui visait essentiellement à mettre en preuve une copie des notes sténographiques de l’interrogatoire de Janie Bédard fait le 31 août 2006.  Toutefois dans son dossier de requête amendé du 25 septembre 2006, la défenderesse n’a pas inclus cet affidavit non plus que les notes sténographiques.  Elle y réfère toutefois dans ses représentations écrites citant divers extraits de cet interrogatoire.

 

[24]             Lorsque la Cour a souligné cette situation à l’audience, la demanderesse s’est objectée à ce que la Cour consulte la transcription.  À la demande de la défenderesse, la Cour a exercé sa discrétion en vertu des Règles et a relevé Kellogg de son défaut d’inclure à nouveau l’affidavit de Me Joizil et les notes sténographiques dans son dossier de requête amendé.  La Cour est satisfaite que la demanderesse n’a pas subi de préjudice à cet égard et que la défenderesse croyait de bonne foi qu’elle n’avait pas à reproduire dans son dossier amendé les documents qui étaient déjà au dossier de la Cour.

 

[25]             Selon Kellogg, la demanderesse ne fait état d’aucune perte ou dommage dans sa déclaration.  La seule allégation qui fasse référence à un préjudice est au paragraphe 64 qui se lit comme suit :

Qui plus est, en plus de son caractère trompeur, la publicité qui accompagne le produit de la défenderesse cause un préjudice certain en amenant les enfants et les adultes qui consomment ce produit à consommer une quantité supérieure de sucre [7] et de calories à leur insu;

 

[26]             La déclaration ne contient aucun détail sur le type de perte ou dommage subi; on ne dit pas s’il s’agit d’une perte financière, psychologique, physique ou autre.  Kellogg soumet que lors de son interrogatoire, la demanderesse a admis que ni elle ni sa famille n’ont subi de dommage physique ou psychologique. Madame Bédard affirme seulement qu’elle n’aurait pas acheté ces céréales si elle avait su qu’elles contenaient plus de calories que les céréales originales.

 

[27]             À l’audience, la défenderesse argue que même cette affirmation n’a pas de poids lorsque l’on considère que madame Bédard l’a faite sur la base d’information qu’elle a par la suite avoué avoir mal comprise.  Plus particulièrement, madame Bédard a admis qu’elle pensait qu’il y avait plus de calories par bol de céréales 1/3 de sucre de moins que dans un bol de céréales originales. C’est ce qu’il l’aurait motivé à intenter son action.[8]

 

[28]             La Cour comprend des représentations de la défenderesse que même si dans les faits la Cour tenait pour avérée l’allégation à l’effet que ces céréales ont plus de calories au poids, il n’y aurait aucun lien causal entre un tel fait et le préjudice allégué. Car ce qui intéressait la demanderesse et ce qu’elle dit avoir compris de la représentation sur la boîte des céréales 1/3 de sucre de moins, c’est qu’il y avait moins de calories (au volume) par bol.

 

[29]             La défenderesse dit aussi que la description de la consommation accrue de calories dans la déclaration ne permet pas à la Cour de conclure à un préjudice réel.

 

[30]             La déclaration amendée indique seulement au paragraphe 21 que les Frosted Flakes, 1/3 de sucre de moins, contiennent 69 millièmes de calorie par gramme de plus que les Frosted Flakes originales.  Alors que les Froot Loops, 1/3 de sucre de moins, contiendraient  63 millièmes de calorie par gramme de plus que les céréales originales (paragraphe 23 de la déclaration amendée).

 

[31]             La demanderesse soumet que même si cet apport additionnel en calories était considéré comme un dommage, il s’agirait d’un préjudice de minimis qui ne peut donner lieu à une action en justice (Bouchard c. Agropur Coopérative, 2006 QCCA 1342, [2006] J.Q. no 11396 (C.A.Q.)).[9]

 

[32]             Sur la question de la réparation, Kellogg soumet qu’en droit civil, la restitution ou le remboursement du prix payé est un concept différent et distinct de celui de dommages- intérêts (voir les articles 1699 à1707, 1607 à 1625 et 1728 C.c.Q.).  La Cour doit tenir compte de cette distinction puisque la cause d’action de Janie Bédard s’il en est, a pris naissance au Québec (article 8.1 de la Loi d’interprétation, L.R.C., 1985, ch.I-21).

 

[33]             La défenderesse note que la définition de réparation à l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7, distingue aussi les dommages-intérêts de la restitution.

 

[34]             Pour Kellogg, dans la deuxième conclusion amendée (voir paragraphe 10 ci-dessus), la demanderesse tente de créer un lien entre le préjudice allégué (consommation accrue de calories et de sucre) et le prix d’achat, alors qu’aucun lien n’existe en fait non plus qu’il n’est allégé. Ceci dénature le recours prévu à l’article 36 qui exige que les dommages-intérêts alloués soit égaux à la perte ou dommage réellement subi.

 

[35]             Il appert aussi que madame Bédard et sa famille consomment toujours aujourd’hui, des Frosted Flakes et Froot Loops originales. Et, il n’y a aucune allégation à l’effet qu’il y avait une différence de prix entre ces céréales et les céréales 1/3 de sucre de moins.

 

[36]             Finalement, la défenderesse souligne qu’en 2004, le projet de Loi C-19 prévoyait un amendement à la Loi afin d’ajouter à l’article 74.1, un recours additionnel permettant aux personnes ayant acheté des produits sur la base d’une représentation fausse ou trompeuse de recouvrer une somme ne pouvant excéder la somme totale payée par elles. Selon Kellogg, il s’agissait alors non pas d’ajouter un type de réparation à l’article 36, mais bien de créer à un nouveau recours suite à une action intentée par le Commissaire de la concurrence en vertu de l’article 74.1 de la Loi.  Le document de travail publié par le Bureau de la concurrence à l’origine de ce projet de loi référait à ce recours comme un recours en restitution[10], par opposition à un recours en dommages sous l’article 36 de la Loi.

 

[37]             La Cour note que ces amendements prévoyaient en autres,  le pouvoir de préciser comment les sommes devaient être payées et d’établir les critères d’admissibilités des réclamants. De plus, une somme non réclamée ou non distribuée pouvait être versée en tout ou en partie à des conditions précisées, à un organisme à but non lucratif au Canada.

 

[38]             Toutefois, ce projet de loi est mort au feuilleton.

 

[39]             La demanderesse ne nie pas qu’il soit difficile de définir les dommages en espèce ou de les quantifier. Elle dit toutefois que la Cour doit donner une interprétation large à l’article 36 de la Loi, particulièrement aux mots « perte et dommage » ou « loss or damage », afin de lui permettre d’atteindre son but et de créer un remède efficace à l’encontre du comportement prohibé en l’espèce, soit la publicité fausse et trompeuse (article 12 de la Loi d’interprétation).

 

[40]             Janie Bédard soutient que l’expression « damage »[11] a une définition élastique par exemple, dans Black’s Law Dictionary, il est défini comme « compensation for loss or injury ». Quant à « injury », cela comprend selon Black’s « the violation of a legal right ».  En l’espèce « the injury » serait la violation du droit de la demanderesse de ne pas être trompée lorsqu’elle achète un produit.

 

[41]             La demanderesse s’appuie aussi sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans Apotex Inc. c. Eli Lilly and Company, 2005 CAF 261, [2005] A.C.F. no 1818 (QL) qui selon elle confirme que la notion de dommage à l’article 36 doit être interprétée largement et que même les positions nouvelles qui peuvent paraître étonnantes ne devraient pas être rejetées à l’étape du jugement sommaire sur une simple interprétation de cette disposition. Selon la demanderesse, ceci est d’autant plus vrai dans le cadre d’une requête en vertu des sous-alinéas 221 (1)a) ou c).

 

[42]             Janie Bédard argue aussi que la réparation qu’elle recherche en vertu de l’article 36 est conforme au but recherché par la Loi qui est d’assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un véritable choix dans les produits. Selon elle, la Loi vise aussi à éviter que des commerçants comme la défenderesse ne tirent des revenus et profits en mettant sur le marché des produits vendus sous des représentations trompeuses. Elle soumet qu’en vertu de la Common Law et de sa juridiction en « equity », la Cour peut accorder une réparation appropriée au comportement reproché à la défenderesse. C’est dans un contexte semblable que l’action pour abus de confiance et pour enrichissement sans cause a été créée.  Elle cite à cet égard de nombreux extraits de diverses décisions : Her Majesty’s Attorney General v. Blake and Another, 2004 UKHL 43, Canson Enterprises Ltd. c. Boughton & Co., [1991] 3 R.C.S. 534, Cadbury Schweppes Inc. c. Aliments FBI, [1999] 1 R.C.S. 142 paras. 20, 50 à 53, Soulos c. Korkontzilas, [1997] 2 R.C.S. 217 para. 27, Garland c. Consumers Gas Co., 2004 CSC 25, [2004]1 R.C.S. 629 paras. 65-66.

 

[43]             La Cour a examiné attentivement les arguments présentés par les parties.

 

[44]             Il est vrai que la Cour est une Cour d’ « équity » (paragraphe 3 de la Loi sur les Cours fédérales).  Bien que ceci permette à la Cour d’appliquer des principes d’ « équity » dans les affaires où elle a par ailleurs juridiction (par exemple en matière d’amirauté), cela ne lui confère pas une juridiction générale en matière de recours civil.

 

[45]             La thèse principale mise de l’avant par la demanderesse a récemment été discutée dans le cadre d’un appel d’une décision ontarienne autorisant un recours collectif (appareil Sure Step System) dans Serhan Estate v. Johnson & Johnson, [2006] O.J. No. 2421[12], où la Cour a conclu que le droit au Canada n’était pas clair. Il ressort de cette affaire que les diverses théories auxquelles réfère la demanderesse sont soit des causes d’action distinctes, soit un mode de réparation (remedy) particulier.

 

[46]             Dans les deux cas, il est assez évident que la Cour n’a pas juridiction pour les considérer. En effet, s’il s’agit d’une cause d’action distincte de celle prévue à l’article 36; elle est de compétence provinciale.

 

[47]             S’il s’agit plutôt d’un mode de réparation, il va au-delà de ce qui est prévu à l’article 36 qui édicte clairement que le montant alloué est compensatoire, c'est-à-dire fixé en fonction de la perte ou du dommage subi. Alors qu’au contraire, la réparation dans les décisions citées par la demanderesse est fixée en fonction du bénéfice retiré par la défenderesse. C’est d’ailleurs sur une base semblable que dans Wong v. Sony of Canada Ltd., [2001] O.J. No.1707 paras.16-18, la Cour ontarienne a conclu qu’elle n’avait pas juridiction pour accorder des dommages punitifs dans le cadre d’un recours en vertu de l’article 36.

 

[48]             Ceci étant dit, il reste toutefois un doute sur l’interprétation de « perte et dommage » et si ces mots peuvent inclure l’achat d’un produit qui ne répond pas aux attentes créées par une publicité fausse ou trompeuse. De plus, ce n’est pas parce qu’une perte est difficilement quantifiable qu’elle doit être ignorée.

 

[49]             Outre qu’Apotex précité, les parties n’ont référé la Cour à aucune jurisprudence où l’expression « perte et dommage » telle qu’utilisée à l’article 36 est interprétée.

 

[50]             À quelques reprises, cette question a été discutée dans le cadre de requêtes en autorisation de recours collectifs, mais dans aucune de ces affaires, les Cours n’ont traité la question au fond.  Elles se sont contentées de certifier certaines questions à cet égard.

[51]             Quant à la question du préjudice de minimis, la Cour ne peut en décider à ce stade sans connaître les quantités effectivement impliquées.

 

[52]             Si le test applicable à la requête de Kellogg était celui qui semble être appliqué au Québec (chance raisonnable de succès), la réponse pourrait être très différente. Mais cela n’est pas le cas et la Cour n’est pas convaincue que l’action n’a aucune chance de succès. 

 

b)         Demande subsidiaire

[53]             La Cour examinera maintenant la demande subsidiaire de Kellogg.

 

[54]             Le principe ou test applicable à la radiation d’allégations particulières parce qu’elles sont frivoles, abusives, non pertinentes ou autre est aussi élevé que celui applicable à la radiation de toute la déclaration (voir Copperhead Brewing Co. c. John Labbatt, [1995] A.C.F. no 668 (QL) para. 13, Apotex Inc. c. Glaxo Group, 2001 CFPI 1351, [2001] A.C.F. 1863 (QL) para. 6, Premakumaran c. Canada, 2003 CFPI 635, [2003] A.C.F. no 816 (QL)).

 

[55]             En fait, le critère est presque plus rigoureux car comme l’indique mon collègue le juge Michael A. Kelen dans Apotex c. Glaxo, ci-dessus, règle générale la Cour refuse de radier les « parties en trop » d’une déclaration qui ne sont pas préjudiciables, et qu’en cas de doute, il y a lieu d’autoriser l’acte de procédure afin que le juge du fond puisse prendre connaissance de toute preuve pertinente au soutien de l’acte de procédure.

 

[56]             La Cour note à nouveau qu’en vertu des paragraphes 174 et 175 des Règles, l’acte de procédure n’a pas à référer à la preuve mais seulement aux faits et aux points de droit en litige. Contrairement à ce que prétend Kellogg, la demanderesse n’avait donc pas à produire avec sa déclaration les études auxquelles elle réfère.

 

[57]             Ceci étant dit et après avoir examiné en détail les arguments de la défenderesse dans le contexte de la déclaration tel qu’elle se lit après les amendements faits à l’audience, la Cour conclut qu’il n’y a pas lieu de radier le paragraphe 7, le paragraphe 10 tel qu’amendé, le paragraphe 41, le paragraphe 60 tel qu’amendé et le paragraphe 77 tel qu’amendé.

 

[58]             Il reste donc à déterminer si comme le soutient Kellogg, il est évident que la Cour n’a pas juridiction ici pour accorder les conclusions suivantes qui sont incompatibles selon la défenderesse, avec le recours prévu à l’article 36 : i) l’injonction visant à apporter des correctifs aux emballages afin d’informer le consommateur sur le contenu en sucre et en calorie, ii) ordonner que toutes les sommes dues par la défenderesse soient versées à certains organismes de charité.

 

[59]             Déjà en 1986, le juge Frank U. Collier de la Cour fédérale concluait dans Aca Joe International c. 147255 Canada Inc., 10 C.P.R. (3d) 301, [1986] A.C.F. no 427, que dans le cadre d’un recours en vertu des alinéas 31.1 (1) et 36 (1)a) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, (l’ancienne version des paragraphes 36 et 52 de la Loi et dont le texte était essentiellement le même), que la Cour n’avait pas le pouvoir d’accorder une injonction permanente car le législateur avait choisi expressément de limiter la réparation applicable à une somme égale à la perte prouvée. Dans son analyse, le juge Collier considère spécifiquement l’impact de l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales tel qu’il existait et conclut qu’il ne permet pas en soi d’élargir la juridiction statutaire attribuée par la Loi.

 

[60]             Cette position fut par la suite adoptée dans 947101 Ontario Ltd. (c.o.b. Throop Drug Mart) v. Barrhaven Town Centre Inc., [1995] O.J. No. 15, dans U.L. Canada Inc. v. Proctor & Gamble Inc., [1996] O.J. No. 624 (paras. 32 et 33) et dans Price v. Panasonic Canada Inc., [2000] O.J. No. 3123 au para. 10.

 

[61]             Malgré cette jurisprudence, le législateur n’a pas cru utile de changer le texte de l’article 36. Comme le contenu des informations sur les emballages est un domaine complexe et hautement réglementé, le choix du législateur de limiter les pouvoirs de la Cour dans le contexte du recours civil prévu à l’article 36, s’explique bien.

 

[62]             Compte tenu de cette jurisprudence et de l’analyse de la disposition actuelle, la Cour conclut qu’il est clair et manifeste que ce remède ne pourrait être accordé à Janie Bédard. Cette conclusion sera donc radiée.

 

[63]             Pour ce qui est de la seconde conclusion recherchée, la question soulevée par Kellogg n’a jamais été décidée dans le contexte d’un recours en vertu de l’article 36. Toutefois dans Dubé c. Cogéco Radio-Télévision, [1998] A.Q. no 668 (QL) aux paras. 9 à 13, dans le cadre d’action en diffamation, le juge Denis de la Cour supérieure de la province de Québec, a radié une conclusion semblable en notant qu’elle n’avait aucun lien avec le litige et aucune pertinence avec l’affaire devant lui.

 

[64]             La demanderesse souligne que le contexte dans le présent dossier est bien différent et qu’en matière de recours collectifs, l’alinéa 299.3(2) des Règles donne une large discrétion à la Cour. Cette disposition se lit comme suit :

Règle 299.3(2)

 

2) Le juge peut rendre toute ordonnance relativement à la distribution d’une réparation pécuniaire, notamment en ce qui concerne toute portion non distribuée d’une réparation qui est due au groupe, au sous-groupe ou à leurs membres.

Rule 299.3(2)

 

2) A judge may make any order in respect of the distribution of monetary relief, including regarding an undistributed portion of an award due to a class or subclass or its members.

 

[65]             Il semble qu’il n’existe aucune décision dans laquelle une Cour a utilisé un semblable pouvoir pour remettre intégralement toutes les sommes allouées par le tribunal[13] à des organismes de charité sans avoir d’abord tenté de les distribuer aux victimes ou personnes à être compensées. Comme les Règles en matière de recours collectifs sont de nature procédurale et qu’elles ne créent pas de droit substantif, il semble à nouveau que l’argument de Kellogg dépendra entre autres de l’interprétation de l’article 36 de la Loi.

 

[66]             Comme la Cour l’a indiqué, les arguments de droit nouveau et les positions même étonnantes se prêtent rarement à une décision finale dans le cadre d’une requête en vertu du paragraphe 221.

 

 

 

4.         REQUÊTE EN AUTORISATION

            a)         Principes généraux

[67]           Même s’il y a peu de jurisprudence de cette Cour en matière de recours collectifs, les principes applicables au stade de l’autorisation sont clairs. Ils sont résumés par ma collègue la juge Anne L. McTavish dans Tihomirovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2006 CF 197, [2006] 4 R.C.F. 341, comme suit :

Principes généraux qui régissent les recours collectifs

 

32      Les recours collectifs visent à faciliter l'accès à la justice à ceux qui ne pourraient pas revendiquer leurs droits dans le cadre du processus judiciaire habituel. Les recours collectifs permettent en outre de réaliser des économies sur le plan judiciaire en donnant à la Cour la possibilité de rendre une décision dans une seule action, décision qui s'appliquera à de nombreuses autres réclamations portant sur des questions semblables. Enfin, les recours collectifs sont utiles parce qu'ils encouragent les malfaisants à modifier leur comportement : Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Bennett Jones Verchere, [2001] 2 R.C.S. 534, 2001 CSC 46; Hollick c. Toronto (Ville), [2001] 3 R.C.S. 158, 2001 CSC 68; Rumley c. Colombie-Britannique, [2001] 3 R.C.S. 184, 2001 CSC 69.

 

33      Dans la trilogie susmentionnée, la Cour suprême du Canada a également dit que les tribunaux devaient éviter d'appliquer une démarche trop restrictive en matière d'autorisation des recours collectifs pour adopter une interprétation qui donne pleinement effet aux avantages escomptés.

 

34      En outre, comme a dit la Cour suprême dans Hollick :

 

[...] L'étape de la certification intéresse la forme que revêt l'action. La question à cette étape n'est pas s'il est vraisemblable que la demande aboutisse, mais s'il convient de procéder par recours collectif. [au paragraphe 16]

 

[souligné dans l'original]

 

37      Une requête en autorisation de recours collectif est régie par l'article 299.18 des Règles qui est ainsi libellé :

 

299.18 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le juge autorise une action comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies :

 

a) les actes de procédure révèlent une cause d'action valable;

 

b) il existe un groupe identifiable formé d'au moins deux personnes;

 

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait collectifs, qu'ils prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu'un membre;

 

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler de façon équitable et efficace les points de droit ou de fait collectifs;

 

e) un des membres du groupe peut agir comme représentant demandeur et, à ce titre : (e) there is a representative plaintiff who

 

(i)  représenterait de façon équitable et appropriée les intérêts de la catégorie,

 

(ii)  a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l'action au nom du groupe et tenir les membres de la catégorie informés du déroulement de l'instance,

 

(iii)  n'a pas de conflit d'intérêts avec d'autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait collectifs,

 

(iv)  communique un sommaire des ententes relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et son avocat.

 

* * *

 

299.18 (1) Subject to subsection (3), a judge shall certify an action as a class action if:

 

(a) the pleadings disclose a reasonable cause of action;

 

(b) there is an identifiable class of two or more persons;

 

(c) the claims of the class members raise common questions of law or fact, whether or not those common questions predominate over questions affecting only individual members;

 

(d) a class action is the preferable procedure for the fair and efficient resolution of the common questions of law or fact; and

 

(i)  would fairly and adequately represent the interests of the class,

 

(ii)  has prepared a plan for the action that sets out a workable method of advancing the action on behalf of the class and of notifying class members how the proceeding is progressing,

 

(iii)  does not have, on the common questions of law or fact, an interest that is in conflict with the interests of other class members, and

 

(iv)  provides a summary of any agreements respecting fees and disbursements between the representative plaintiff and the representative plaintiff's solicitor.

 

 

38      Soulignons que les termes du paragraphe 299.18(1) des Règles sont de nature impérative et prévoient que la Cour autorise le recours si les cinq conditions sont réunies.

 

39      En outre, il faut mentionner que les conditions énumérées au paragraphe 299.18(1) des Règles sont conjonctives. Par conséquent, si le demandeur ne satisfait pas à l'une des cinq conditions, l'autorisation doit être refusée : Auton c. BC (Minister of Health), [1999] B.C.J. no 718, au paragraphe 40.

 

40      L'article 299.2 des Règles est également pertinent. Il prévoit :

 

299.2 Le juge ne peut refuser d'autoriser une action comme recours collectif en se fondant uniquement sur l'un ou plusieurs des motifs suivants :

 

a) les réparations demandées comprennent une réclamation de dommages-intérêts qui exigerait, une fois les points de droit ou de fait collectifs tranchés, une évaluation individuelle;

 

b) les réparations demandées portent sur des contrats distincts concernant différents membres de la catégorie;

 

c) les réparations demandées ne sont pas les mêmes pour tous les membres de la catégorie;

 

d) le nombre de membres de la catégorie ou l'identité de chacun des membres est inconnu;

 

e) il existe au sein de la catégorie un sous-groupe dont les réclamations soulèvent des points de droit ou de fait collectifs que ne partagent pas tous les membres de la catégorie. DORS/2002-417, art. 17. [Non souligné dans l'original.]

 

* * *

 

299.2 A judge shall not refuse to certify an action as a class action solely on one or more of the following grounds:

 

(a) the relief claimed includes a claim for damages that would require an individual assessment after a determination of the common questions of law or fact;

 

(b) the relief claimed relates to separate contracts involving different class members;

 

(c) different remedies are sought for different class members;

 

(d) the number of class members or the

identity of each class member is not known; or

 

(e) the class includes a subclass whose members have claims that raise common questions of law or fact not shared by all class members. SOR/2002-417, s. 17. [emphasis added]

 

 

41      Selon mon interprétation de la disposition, le terme "uniquement" ou "solely" veut dire que même si les facteurs énumérés sont réellement pertinents lors d'une requête en autorisation, aucun des facteurs soit seul soit combiné à d'autres facteurs énumérés ne constitue, en soi, un motif suffisant pour refuser l'autorisation.

 

42      Cette conclusion est confirmée par le libellé de l'article 299.18 des Règles qui exige que le juge qui entend la requête en autorisation prenne en compte tous les facteurs pertinents, notamment, mais vraisemblablement sans y être limité, les cinq facteurs énumérés dans les Règles.

 

 

45  Les Règles des Cours fédérales concernant l'autorisation des recours collectifs sont toutefois essentiellement les mêmes que les règles correspondantes de la Colombie-Britannique : Sylvain c. Canada (Agriculture et Agroalimentaire), 2004 CF 1610, au paragraphe 26; Rasolzadeh, au paragraphe 23. Les Règles sont également très semblables à celles qui existent en Ontario : Le Corre c. Canada (Procureur général), 2004 CF 155, au paragraphe 17. Par conséquent, la jurisprudence de ces provinces peut considérablement aider la Cour à décider s'il y a lieu, en l'espèce, d'accorder l'autorisation demandée.

 

[68]             Pour déterminer si le recours collectif proposé est le meilleur moyen de déterminer les questions communes, la Règle 299.18(2) prévoit :

299.18 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le juge autorise une action comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies :

 

a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

 

b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

 

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait collectifs, qu’ils prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

 

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler de façon équitable et efficace les points de droit ou de fait collectifs;

 

e) un des membres du groupe peut agir comme représentant demandeur et, à ce titre :

 

(i) représenterait de façon équitable et appropriée les intérêts du groupe,

 

(ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’action au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés du déroulement de l’instance,

 

(iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait collectifs,

 

(iv) communique un sommaire des ententes relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et son avocat.

 

299.18 (1) Subject to subsection (3), a judge shall certify an action as a class action if

 

 

(a) the pleadings disclose a reasonable cause of action;

 

(b) there is an identifiable class of two or more persons;

 

(c) the claims of the class members raise common questions of law or fact, whether or not those common questions predominate over questions affecting only individual members;

 

(d) a class action is the preferable procedure for the fair and efficient resolution of the common questions of law or fact; and

 

(e) there is a representative plaintiff who

 

 

 

(i) would fairly and adequately represent the interests of the class,

 

(ii) has prepared a plan for the action that sets out a workable method of advancing the action on behalf of the class and of notifying class members how the proceeding is progressing,

 

(iii) does not have, on the common questions of law or fact, an interest that is in conflict with the interests of other class members, and

 

(iv) provides a summary of any agreements respecting fees and disbursements between the representative plaintiff and the representative plaintiff's solicitor.

 

 

[69]             Quant à la preuve qui doit être présentée par la personne qui demande l’autorisation, la Règle 299.17 (4) dit :

Contenu de l’affidavit

299.17 (4) La personne qui dépose un affidavit aux termes des paragraphes (1) ou (3) est tenue d’y inclure les éléments suivants :

a) les faits substantiels sur lesquels elle entend se fonder à l’audition de la requête;

                                                                          b) une affirmation selon laquelle il n’existe pas à sa connaissance de faits substantiels autres que ceux qui sont mentionnés dans son affidavit;

c) le nombre de membres du groupe, pour autant qu’elle sache.

Content of affidavit

 

299.17 (4) A person filing an affidavit under subsection (1) or (3) shall

 

(a) set out in the affidavit the material facts on which the person intends to rely at the hearing of the motion;

(b) swear that the person knows of no fact material to the motion that has not been disclosed in the person's affidavit; and

(c) provide, to the best of the person's knowledge, the number of members in the proposed class.

 

[70]             Cette disposition doit être lue en gardant à l’esprit les commentaires de la Cour suprême du Canada dans Hollick, ci-dessus aux paras. 23 à 25, à l’effet que la ou le représentant qui désire être autorisé à présenter un recours collectif, doit produire une preuve suffisante à l’appui de sa demande. Cette preuve n’est pas nécessaire pour déterminer l’existence d’une cause d’action valable mais un minimum d’éléments probants est essentiel pour permettre l’évaluation des autres critères pertinents à l’autorisation. En effet, la Cour doit être convaincue de l’existence de certains faits de base. Il est donc important que la Cour dispose d’un dossier adéquat dont le contenu varie en fonction des circonstances de chaque espèce (voir aussi une décision plus récente du juge Winkler (cité par la Juge en Chef, Beverley McLaughlin dans Hollick) dans Caputo v. Imperial Tobacco Ltd., 236 D.L.R. (4th) 566, [1997] O.J. No. 2576 au para. 44, et Ernewein v. General Motors of Canada Ltd., 2005 BCCA 540, [2005] B.C.J. No. 2370 aux paras. 25 à 33).

 

              b)      Application des principes

[71]             La demanderesse a déposé un affidavit de madame Bédard daté du 15 juin 2005 qui reprend essentiellement  les allégations contenues dans sa déclaration originale. En plus, l’affiante ajoute quelques détails sur sa famille. Ses achats de céréales Frosted Flakes et Froot Loops, le contexte de sa conversation avec ses amis quant au contenu des céréales 1/3 de sucre de moins, la recherche sur le web qui la mena au document produit comme pièce P-1 à son affidavit, et le fait qu’elle n’aurait pas acheté ces céréales si elle avait su qu’elles contenaient plus de sucre et de calories.

 

[72]             Dans son affidavit, elle indique aussi qu’elle a reçu l’aide de ses procureurs afin de réunir l’information ayant conduit à la rédaction de cet affidavit et « d’en dégager les principales inférences ». Toutefois, elle ne traite pas du tout du plan qu’elle propose pour poursuivre efficacement l’action au nom du groupe, elle ne décrit pas le groupe qu’elle désire représenter et pourquoi, non plus qu’elle ne traite des autres critères décrits au paragraphe 299.18.

 

[73]             Tel qu’il a été mentionné à plusieurs reprises, madame Bédard a été interrogée le 31 août 2005. Cet interrogatoire servait aussi d’interrogatoire sur son affidavit aux fins de la présente requête. Même si encore une fois, il n’a pas été reproduit dans le dossier de requête en autorisation amendé ni dans le dossier de réponse de la défenderesse, il est évident que cet interrogatoire doit faire partie du dossier devant la Cour. En effet, l’interrogatoire de madame Bédard sur son affidavit tient lieu d’interrogatoire devant la Cour. Sans cet interrogatoire et les documents produits suite aux engagements (comme le mandat des procureurs de madame Bédard), la Cour n’aurait absolument aucun contexte factuel pour déterminer certaines des questions essentielles devant elle.

 

[74]             La défenderesse a aussi déposé un affidavit de Marco Di Buono, docteur en sciences de la nutrition et responsable chez Kellogg du respect de la réglementation en matière d’étiquetage et du développement de nouveaux produits. Cette preuve sert essentiellement à confirmer les allégations dans la défense de Kellogg. L’affiant indique entre autres i) que les informations sur les boîtes de céréales font l’objet d’une réglementation complexe et très stricte, ii) que la mention « 1/3 de sucre de moins » respecte les normes édictées et iii) que selon des calculs très précis en laboratoire, les Frosted Flakes 1/3 de sucre de moins contiennent 39% moins de sucre alors que les Froot Loops 1/3 de sucre de moins en contiennent 36% de moins que les céréales originales. Ces calculs sont faits sur la base de la quantité de référence prévue dans la réglementation soit 30 grammes de céréales.

 

[75]             Quant aux calories, monsieur Di Buono atteste que Kellogg doit nécessairement respecter les normes fixées par règlement qui exigent que les calories et les autres informations décrites dans le tableau nutritif qui se trouve sur le côté des boîtes de céréales, soient calculées sur la base d’une portion déterminée (serving size) soit une mesure volumétrique couramment utilisée par les consommateurs tel que tasse, demi-tasse, cuillerée, etc. Selon les règlements, le manufacturier doit ensuite inclure entre parenthèse à côté de la mesure volumétrique choisie, le poids de la portion déterminée.

 

[76]             L’affiant dit aussi que la réglementation oblige Kellogg à utiliser des données arrondies, par exemple, sur le tableau nutritif, le nombre de calories est arrondi au multiple de dix le plus près (104.5 calories sera donc décrit comme 100 calories). Selon monsieur Di Buono, les Frosted Flakes 1/3 de sucre de moins contiennent 19% de calories en moins que les céréales originales par portion déterminée (volume) alors que les Froot Loops 1/3 de sucre de moins en contiennent 14% de moins.

 

[77]             L’affiant indique de plus que Kellogg ne peut inclure aucune autre information concernant le contenu calorique de ses céréales sur la boîte. À cet égard, il note qu’après l’institution de l’action, Kellogg a demandé à l’Agence canadienne d’inspection des aliments, la permission d’indiquer sur les boîtes de céréales 1/3 de sucre de moins, une mention comme « not a reduced calorie food » or « while that does not result in less calorie or carbohydrate, … ». L’Agence a confirmé par écrit qu’il n’était pas permis en vertu des règlements de faire de telles représentations quant au contenu en calories. Ceci serait contraire à la section B.01.502 et B.01.511 du Règlement applicable. La lettre de l’Agence est incluse comme exhibit à cet affidavit.

 

[78]             La demanderesse n’a pas interrogé monsieur Di Buono sur son affidavit. Elle n’a pas produit d’affidavit en réponse à cette preuve.

 

                        i)          La cause d’action valable (alinéa 299.18 (1)(a))

[79]             Tel que l’indique la Cour d’appel fédérale dans Le Corre, ci-dessus, la Cour doit appliquer le même test que celui qu’elle a appliqué à la requête de Kellogg en vertu de l’alinéa 221(1)(a), sauf qu’ici le fardeau repose sur la demanderesse.

 

[80]             Dans Le Corre, la Cour d’appel fédérale a clairement indiqué que cette évaluation devait se faire à la lumière des actes de procédure seulement. La Cour ne peut donc pas tenir compte de l’interrogatoire de madame Bédard ou des affidavits déposés par les parties.

 

[81]             Toutefois, tel que mentionné au paragraphe 12, ci-dessus, Kellogg a incorporé dans sa défense plusieurs extraits du témoignage de madame Bédard. Même si la demanderesse ne s’est pas objectée à cette façon de faire, la Cour ne peut permettre à Kellogg de contourner la règle en ne respectant pas le paragraphe 174 des Règles qui indique clairement que l’acte de procédure, y inclus la défense ne doit pas référer à la preuve des faits allégués.

 

[82]             La Cour n’a donc pas tenu compte des allégations de la défense qui faisait référence à cette preuve, y inclus les « aveux » de madame Bédard.

 

[83]             La défenderesse argue que l’action ne révèle aucune cause d’action parce que :

i)        l’article 36 est constitutionnellement inapplicable en l’espèce (avis de question constitutionnelle);

ii)       les actes de procédure ne font pas état d’une perte ou dommage de la demanderesse;

iii)      puisqu’elle fait partie d’une industrie hautement réglementée en ce qui concerne l’information qu’elle affiche sur ses boîtes de céréales, Kellogg ne peut faire l’objet d’une poursuite en vertu de la Loi.

 

[84]             Quant à la deuxième question ci-dessus, tel que mentionné lors de l’examen de la requête en radiation de Kellogg, la Cour est satisfaite qu’il n’est pas clair et évident que l’action fondée sur l’article 36 est vouée à l’échec. En effet, il demeure un doute quant à l’interprétation de cette disposition, particulièrement les expressions perte et dommage et si un préjudice tel que l’achat d’un produit qui ne répond pas aux attentes du consommateur à cause d’un manquement à l’article 52 de la Loi, peut être indemnisé par l’octroi de dommages-intérêts équivalent au prix d’achat de ce produit. Il est évident que si tel était le cas, ce droit serait sujet au droit de Kellogg d’arguer qu’en l’espèce, la somme réclamée est trop élevée compte tenu que les produits ont été consommés et que par exemple, le prix payé n’est pas supérieur à celui des autres céréales que le consommateur tout comme madame Bédard, utilise normalement.

 

[85]             Quant à l’argument constitutionnel décrit dans le dossier de Kellogg et dans l’avis de question constitutionnelle déposé le 13 mars 2006, il s’agit là d’une question de droit complexe qui n’a jamais été considérée sous l’angle proposé par la défenderesse.

 

[86]             Dans General Motors of Canada c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641, et Rocois Construction Inc. c. Quebec Ready Mix Inc., [1990] 2 R.C.S. 440, la Cour suprême du Canada a confirmé la constitutionalité de l’article 31.1 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions (ancienne version de l’article 36 de la Loi) dans le contexte d’une conduite monopolistique d’une entreprise soumise à la Loi.  Il ne s’agissait pas comme ici, de savoir si le législateur canadien avait compétence pour créer un recours civil visant à dédommager un consommateur d’une perte ou dommage découlant d’un publicité trompeuse dans un contexte où aucune allégation ne lie le tout à un comportement monopolistique.

 

[87]             La défenderesse soumet que le recours personnel du consommateur abusé par de telles manœuvres est un champ d’activité purement provincial et que toutes les provinces l’ont effectivement occupé en adoptant diverses lois visant à protéger les consommateurs.

 

[88]             Il est manifeste qu’une telle question ne peut être décidée sans prendre en compte la trame factuelle. La Cour aura besoin d’une certaine preuve. De plus, la réponse à cette question n’est pas claire et évidente et la demanderesse a rempli son fardeau en s’appuyant sur les décisions de la Cour suprême du Canada mentionnées ci-dessus.

 

[89]             Pour ce qui est de la défense d’industrie réglementée, il s’agit encore là d’une question extrêmement pertinente et sérieuse sur laquelle la Cour devra se pencher si l’action continue individuellement ou comme recours collectif. Dans le contexte de recours collectif, il est aussi évident qu’il s’agirait là d’une question commune.

 

[90]             Jusqu’ici, cette défense a été utilisée dans le contexte de poursuites criminelles.  Comme l’indique la doctrine citée par Kellogg, en théorie, elle devrait aussi s’appliquer dans le cadre d’un recours civil. Toutefois, le fait demeure qu’elle n’a jamais été analysée dans le cadre d’un recours en vertu de l’article 36 fondé sur un manquement à l’article 52.  De plus, il est clair qu’en ce qui concerne l’allégation à l’égard de Froot Loops (30% de sucre de moins seulement), cette défense ne serait pas valable puisque rien dans les règlements n’autorise une telle représentation.

 

[91]             La Cour est satisfaite qu’il n’est pas évident que l’action est vouée à l’échec.

 

ii)         Groupe identifiable formé d’au moins deux personnes (alinéa 299.18(1)b) 

[92]             La demanderesse reconnait dans son avis de requête que son action vise à indemniser les acheteurs qui ont été amenés par les représentations fausses et trompeuses de Kellogg, à acheter des céréales qui ne répondent pas à leurs attentes quant à la teneur en calories.

 

[93]             Malgré cela, le groupe qu’elle propose comprend tous les acheteurs des deux céréales en question depuis leurs introductions sur le marché sans aucune autre distinction.

 

[94]             Selon Kellogg, le groupe proposé est trop large car il n’y a aucune preuve devant la Cour à l’effet que d’autres acheteurs ou que tous les acheteurs ont perçu la mention « 1/3 de sucre de moins » de la même façon que madame Bédard, qu’ils ont fait leurs achats sur la base d’un contenu en calorie réduit, et qu’ils en ont subi un préjudice identifique.

 

[95]             Tel que mentionné, madame Bédard ne traite pas du tout de cette question dans son affidavit. Elle ne dit même pas si à ce stade, il est impossible pour elle d’évaluer le nombre de membres dans le groupe, ou si, comme l’ont indiqué ses procureurs, le groupe inclut un très grand nombre de personnes allant jusqu'à des millions.

 

[96]             Selon madame Bédard, une telle preuve n’est pas nécessaire puisqu’elle est une consommatrice typique et que son expérience personnelle permet à la Cour d’extrapoler et conclure sur la base du gros bon sens, que i) tous les acheteurs de ces céréales ont cru qu’en plus d’une réduction de sucre, la consommation de ces céréales réduiraient l’apport en calories et ii) que c’est sur cette base qu’ils ont acheté ces produits.

 

[97]             En fait, le seul élément de preuve au dossier qui va au-delà de la perception personnelle de madame Bédard, est la pièce P-1 à laquelle elle réfère dans son affidavit[14]. Il s’agit d’un extrait d’un site web qui discute d’entrevues avec divers nutritionnistes aux États-Unis (non identifiés), qui auraient examinés les cinq grandes marques de céréales vendues sur le marché américain et qui s’affichent comme contenant moins de sucre. À la page 2 de cet article, on lit :

Researchers cited several concerns however, including that consumers will mistakenly assume less sugar means fewer calories and that the new cereals can help them watch their weight.

 

[98]             Dans sa défense, Kellogg s’objecte à cette preuve qu’elle dit inadmissible compte tenu entre autres qu’il s’agit d’ouï-dire.

 

[99]             Dans Ernewein, au paragraphe 31, la Cour d’appel de Colombie-Britannique indique clairement que malgré l’approche libérale adoptée par les cours canadiennes en matière de recours collectif, il n’y a aucune autorité qui appuie un argument à l’effet que pour les fins d’autorisation ou de la certification, les règles usuelles en matière d’admissibilité de la preuve ne s’appliquent pas.

 

[100]         Il est évident qu’il eut été facile pour la demanderesse de produire une preuve par affidavit d’autres acheteurs ou d’un expert en consommation. On peut même penser à un sondage à cet égard. Quoiqu’il en soit, même en l’absence de telle preuve, la Cour est prête à assumer qu’il y a plus qu’un acheteur des céréales qui font l’objet du litige depuis 2004. Il est aussi probable qu’il y a eu plus d’un acheteur qui, tel qu’allégué, a déduit de la mention « 1/3 de sucre de moins » que le contenu en calories des céréales serait moindre ou « au pire égal » à celui des céréales originales. La Cour est donc satisfaite que sur le plan de l’existence d’un groupe de plus de deux personnes, la demanderesse a rempli son fardeau.

 

[101]         Toutefois la Cour note que la description du groupe devra être modifiée si le recours est autorisé car le groupe proposé est définitivement trop large[15].

                        iii)        Questions communes (alinéa 299.18(1)c))

[102]         Dans son argumentation écrite la demanderesse étaye quelque peu la position décrite dans son avis de requête.  Elle soumet que les points communs de droit et de fait sont les suivants :

1)  Est-ce que la défenderesse donne aux membres du groupe des informations fausses ou trompeuses sur les céréales Frosted Flakes

1/3 de moins de sucre et les Froot Loops 1/3 de moins de sucre?

 

2)  Est-ce que l’achat des dites céréales par les membres du groupe leur cause des dommages équivalant au remboursement du prix?

 

3)  Quelle est la qualification de ces dommages?

 

4)  Quelle est la quantification de ces dommages?

 

            5)  Les sommes allouées peuvent-elles être remises à des organismes caritatifs?

 

[103]         À l’audience, la demanderesse a acquiescé à la suggestion de la Cour qu’il y aurait peut être lieu de reformuler ces questions afin de préciser que les représentations de Kellogg sont trompeuses, particulièrement quant au contenu en calories. Et d’établir un lien entre ces représentations et le préjudice allégué, soit l’achat d’un produit non conforme aux attentes créées par la mention « 1/3 de sucre de moins ».

 

[104]         Sous ce titre, la Cour a seulement à déterminer s’il existe au moins une question commune.  En effet, l’importance des questions communes par rapport aux questions individuelles est plutôt pertinente à l’analyse du prochain critère (le meilleur moyen prévu au sous alinéa d)).

 

[105]         Il est donc facile de conclure ici qu’il y a au moins une question de fait commune, soit d’établir si dans les faits, la défenderesse a fourni de l’information fausse quant à Froot Loops 1/3 de sucre de moins (30% moins de sucre seulement), et si le contenu en calories des deux céréales en cause par tasse ou 3/4 de tasse est effectivement moindre que celui des céréales originales tel que Kellogg le prétend et l’indique sur le tableau nutritif.[16]

 

iv)        Le recours collectif est-il le meilleur moyen de régler les questions communes (alinéa 299.18(1)d)

[106]         Dans son analyse, la Cour a considéré les divers facteurs énumérés à l’alinéa 299.18 (2) des Règles de même que les trois axes majeurs du recours collectif énoncés par la Cour suprême du Canada soit : l’accès à la justice, l’économie judiciaire et la modification de comportement.

 

[107]         Dans sa plaidoirie et dans son mémoire, Janie Bédard soumet qu’il n’existe aucun point de droit ou de fait individuel.  Elle souligne que le recours proposé est efficace parce qu’il est pan- canadien et parce que le nombre de membres du groupe qui ont véritablement intérêt à poursuivre des actions séparées est nul. 

 

[108]         Selon la demanderesse, si le recours n’est pas autorisé Kellogg pourra continuer à s’enrichir sur la base de représentations fausses et trompeuses.  En effet, madame Bédard dit qu’elle ne pourra continuer son action personnelle devant la Cour fédérale puisque cela impliquerait des coûts faramineux[17]  pour réclamer des dommages de 250 $.  Elle devrait alors poursuivre devant la Cour des petites créances.[18]

 

[109]         Quant aux questions individuelles, la demanderesse n’a soumis aucune explication ni aucune preuve sur la façon d’établir le lien de causalité qui semble être requis par le langage spécifique de l’article 36 dans le cadre de son recours collectif.  Après avoir examiné la jurisprudence à cet égard, la Cour n’est pas satisfaite que la demanderesse a établi qu’il ne s’agit pas là d’une question individuelle importante qui impliquerait une multitude de démarches, si comme l’indique la demanderesse, il y a effectivement des millions d’acheteurs compris dans le groupe proposé.

 

[110]         Madame Bédard n’explique pas non plus pourquoi une évaluation individuelle des dommages subis par les autres acheteurs ne sera pas nécessaire. Il semble qu’elle croit pouvoir éviter cette dernière question en demandant que les sommes allouées soit versées directement à des organismes caritatifs.  Même si cette façon de faire pourrait effectivement régler le problème de distribution, elle n’établit pas comment la Cour pourra déterminer le nombre de boîtes vendues par les nombreux détaillants au Canada et à quels prix ces boîtes ont été vendues (spéciaux, etc.).  Il n’y a aucune preuve que Kellogg[19] est en possession de telles informations. De plus, qu’en est-il des acheteurs de céréales qui suivaient une diète stricte; leurs dommages seraient-ils différents de ceux de Janie Bédard.

 

[111]         Quant aux membres du groupe qui pourraient avoir un intérêt à poursuivre des actions séparées, est-ce-que la Cour doit présumer que les grandes institutions comme les hôpitaux, écoles, camps de vacance, hôtels etc. n’achètent pas ces céréales. Si effectivement leur volume d’achat est important (compte tenu de la période de temps couverte) pourquoi ces acheteurs n’auraient-ils pas intérêt à poursuivre individuellement? La Cour n’est pas en position de conclure sur ce point en l’absence totale de preuve appuyant les prétentions de madame Bédard. 

 

[112]         Comme l’admet la demanderesse, l’aspect le plus important de ce recours n’est pas de donner accès à la justice aux acheteurs de les indemniser puisqu’il n’y a aucune intention ici de les rembourser.  Le but du recours est essentiellement de sanctionner le comportement prétendument répréhensible de la défenderesse et d’y mettre fin. À cet égard, le législateur a déjà prévu des mécanismes précis. Il suffirait à madame Bédard de déposer une plainte à l’Agence canadienne d’inspection des aliments ou devant le Commissaire de la concurrence.  Ceux-ci ont certes l’expertise requise et le pouvoir de mettre fin au comportement reproché.  De plus, la Loi prévoit des amendes sévères.

 

[113]         Il est important de souligner que la demanderesse a confirmé que ni elle ni ses procureurs n’avaient contacté l’Agence ou le Commissaire.  Et ce, même si la question commune la plus essentielle ici est de savoir si oui ou non, Kellogg représente faussement le pourcentage de sucre compris dans les Froot Loops 1/3 de sucre de moins et le nombre de calories dans les deux céréales concernées par rapport aux céréales originales. Il n’y a aucune preuve ou argument devant la Cour qui permette de conclure que cette question ne pourrait pas être facilement déterminée dans le cadre d’une enquête par ces organismes, et ce, sans aucun frais pour les consommateurs. 

 

[114]         Il ne semble pas non plus que la demanderesse a fait quelque démarche que ce soit pour faire réviser ou changer la règlementation qui selon Kellogg force les fabricants à décrire le contenu en calories par portion déterminée (au volume) ce qui serait trompeur en l’espèce selon madame Bédard.

 

[115]         Dans le contexte spécifique de cette action et eu égard à la preuve (ou plutôt l’absence de preuve) au dossier, la demanderesse n’a tout simplement pas rempli son fardeau d’établir que le recours collectif proposé est le meilleur moyen au sens du sous-alinéa 299.18 (1)d) des Règles. La Cour n’est pas satisfaite que tel est le cas en l’espèce.

 

                        v)         La représentante répond-elle au critère du sous alinéa 229.18 (1)e)

[116]         Tel que l’indique la demanderesse, en plus des critères spécifiques décrits aux sous-alinéas 299.18e), i) à iv), la Cour doit garder à l’esprit les commentaires suivants de la Cour suprême du Canada dans Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, [2001] 2 R.C.S. 534 comme suit :

 

41. Quatrièmement, le représentant du groupe doit adéquatement représenter le groupe. Quand le tribunal évalue si le représentant proposé est adéquat, il peut tenir compte de sa motivation, de la compétence de son avocat et de sa capacité d'assumer les frais qu'il peut avoir à engager personnellement (par opposition à son avocat ou aux membres du groupe en général). Il n'est pas nécessaire que le représentant proposé soit un modèle type du groupe, ni qu'il soit le meilleur représentant possible. Le tribunal devrait toutefois être convaincu que le représentant proposé défendra avec vigueur et compétence les intérêts du groupe : voir Branch, op. cit., par. 4.210-4.490; Friedenthal, Kane et Miller, op. cit., p. 729-732.

 

[117]         À cet égard, rappelons que la demanderesse soumet qu’elle est une mère de famille qui achète des céréales, qui s’intéresse à la nutrition de ses enfants, qu’elle a montré son intérêt en initiant le recours, qu’elle est membre du groupe, qu’elle a connaissance de tous les faits pertinents en litige, qu’elle s’intéresse activement à l’affaire et est prête à mettre tout le temps nécessaire, pour bien gérer le recours dans l’intérêt des membres.

 

[118]         Elle dit aussi au paragraphe 154 de ses représentations écrites qu’elle a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour la poursuite de l’action au nom du groupes, à savoir : i) le recours est publicisé sur le site internet de ses procureurs, ii) elle est disposée à communiquer avec les membres en temps opportun par voie de communiqué de presse, iii) elle a déjà une entente sur les honoraires et débours avec ses procureurs.

 

[119]         La Cour dispose de peu de preuve appuyant ces représentations. En effet, dans son affidavit madame Bédard n’indique pas qu’elle est prête à s’investir et à mettre tout le temps qu’il faut pour gérer ce recours. Et, la Cour constate que, selon la preuve au dossier, de fait, madame Bédard s’est très peu investie jusqu’ici[20].

 

[120]         Dans son évaluation, la Cour a adopté une approche libérale.  La demanderesse n’avait pas à faire une enquête minutieuse et approfondie mais elle devait tout de même faire une enquête raisonnable avant de déposer sa requête pour être autorisée à représenter le groupe qu’elle propose.

 

[121]         Même si madame Bédard peut légitimement se fier en grande partie à ses procureurs, rien n’indique que ceux-ci ont fait beaucoup plus de démarches qu’elle.

 

[122]         Il est assez évident que ni madame Bédard ni ses procureurs[21] n’avaient vérifié l’exactitude de faits extrêmement pertinents avant le dépôt de la déclaration et la signature de l’affidavit du 15 juin 2005.  Comme l’a souligné la défenderesse, personne n’avait pas pris la peine de vérifier que les portions et les poids utilisés pour comparer le contenu en calories des céréales étaient les mêmes sur les boîtes.  Madame Bédard et ses procureurs n’ont constaté qu’à l’interrogatoire du mois d’août 2005 qu’ils avaient mal lu ou compris cette information.

 

[123]         Madame Bédard a aussi reconnu que la prétendue boîte de Froot Loops, version originale, produite comme pièce (devant et coté de la boîte) à son affidavit n’en était pas une. Il s’agissait plutôt de Froot Loops « Extra Terrestre » un produit promotionnel dont le tableau nutritif n’était pas le même que les Froot Loops originales.

 

[124]         Rien n’indique non plus que la demanderesse ou ses procureurs ont communiqué avec d’autres consommateurs. Outre sa conversation avec une amie nutritionniste, il ne semble pas non plus que la demanderesse a consulté un expert quelconque.  En réponse à une question de la Cour qui s’interrogeait notamment sur le financement du recours, ses procureurs ont souligné que cette affaire était relativement simple et qu’ils ne croyaient pas à ce stade-ci que des expertises seraient requises[22]. Bien que la plupart des calculs utilisés dans l’argumentation écrite soient faits sur la base d’information contenue dans les tableaux nutritifs des diverses céréales concernées, la Cour note à nouveau que rien au dossier n’indique sur quelle base la demanderesse affirme dans ses représentations écrites qu’il est évident que les céréales originales et les céréales 1/3 de sucre de moins ont la même densité.

 

[125]         Quoiqu’il en soit, les nombreux amendements, l’absence totale de preuve quant à plusieurs des critères applicables à l’examen de la requête en autorisation et l’épisode de l’affidavit décrit dans la troisième requête de Kellogg laisse la Cour perplexe.

 

[126]         Pour ce qui est de l’entente relative aux honoraires et débours, il est étonnant de constater que lors de son interrogatoire en août 2005, madame Bédard déclare qu’elle sait qu’elle ne recevra pas de facture et n’aura rien à payer elle-même mais dit à deux reprises qu’elle ne sait pas exactement comment ses procureurs sont rémunérés. Elle ajoute « ça doit être en pourcentage ». Pourtant selon le document fourni après l’interrogatoire, madame Bédard aurait signé cette entente le 15 juin 2005.  Dans les circonstances, la Cour s’interroge à savoir si madame Bédard a pris la peine de vérifier avant de signer, s’il était dans l’intérêt des membres du groupe de payer 30% de toutes sommes perçues (celles à être versées aux œuvres caritatives) à ses procureurs et ce, en sus de tous honoraires judiciaires qui pourraient être accordé par la Cour[23].

 

[127]         Quant au plan requis en vertu du sous-alinéa 299.18 (1)e) ii), madame Bédard a indiqué lors de son interrogatoire qu’elle n’était pas au courant et n’a pas participé à l’élaboration d’un plan.  Elle souligne « j’attendais de voir si c’était accepté comme requête avant ». C’est à ce stade que son procureur à dû préciser qu’un site internet avait été mis en place. Toutefois, la Cour n’a aucun détail à cet égard. On ne sait pas si ce site est bilingue ou quelles informations il contient ou s’il a été visité depuis sa création.

 

[128]         Quant à la question des communiqués de presse, la Cour note que la demanderesse demande aussi à la Cour de lui permettre de donner l’avis aux membres du groupe requis par les Règles par le biais d’un tel communiqué plutôt qu’un avis publié dans les journaux.  Dans son mémoire, la demanderesse indique que le coût de publication par voie de journaux s’élève à au moins cent mille dollars (100 000 $) et que la demanderesse n’a aucune source de financement (autre que ses procureurs).  Elle dit que la publication par voie de journaux passe souvent inaperçue. Le communiqué de presse serait beaucoup plus efficace et ne coûte qu’environ cinq cents dollars (500 $).  Encore une fois, il n’y a absolument aucune preuve sur ce point devant la Cour. Ceci est particulièrement troublant lorsque l’on considère que le groupe proposé est extrêmement large et que la demanderesse suggère en fait à toute les présumées victimes de renoncer à toutes indemnités perçues en leurs noms en faveur d’un don à des organismes caritatifs. On comprend l’importance de s’assurer que les membres du groupe ont une réelle opportunité de se dissocier de ce recours (paragraphe 299.23 (1)).

 

[129]         Même s’il est évident qu’un plan évolue dans le temps, la création d’un site et la signature d’une entente sur les honoraires ne constituent pas en soi un plan, certainement pas un plan adéquat. La Cour n’est pas satisfaite que la demanderesse a établi qu’elle rencontre ce critère. En fait, c’est probablement l’absence de réflexion à cet égard qui explique les nombreuses lacunes dans ce dossier. La Cour n’accepte pas les propositions de la demanderesse à l’effet que le recours collectif proposé est relativement simple.

 

[130]         La Cour n’est pas satisfaite que la demanderesse a établi qu’elle était en mesure de représenter de façon appropriée les membres du groupe proposé et qu’elle peut agir comme représentante.

 

5.         CONCLUSION

[131]         Compte tenu de l’ensemble de la preuve devant moi et de l’analyse des critères applicables, la Cour conclut que ce recours collectif ne doit pas être autorisé.

 

[132]         Quant aux dépens, la Cour a considéré les arguments présentés par Kellogg pour justifier l’application de l’exception prévue à l’alinéa 299.41 (2), mais elle n’est pas satisfaite que les circonstances justifient l’exercice de cette discrétion.

 

[133]         Pour ce qui est de la requête en radiation de l’action individuelle, la Cour a évidemment considéré le fait que la demanderesse a attendu à l’audience pour retirer la majorité des paragraphes contestés. Toutefois, compte tenu du succès partagé de la requête et du fait que l’argument principal de Kellogg (pas de cause d’action valable) a été rejeté, la Cour conclut que chaque partie devra assumer ses frais.

 

[134]         Dans le cadre de son action individuelle, madame Bédard devra déposer une déclaration conforme aux présents motifs avant le 18 juin 2007, incluant les amendements faits à l’audience.


JUGEMENT

 

LA COUR ADJUGE que

1.                  La requête en radiation est accueillie en partie seulement. La conclusion suivante est radiée :

Ordonner à la défenderesse d’apporter les correctifs appropriés à ses emballages afin que les consommateurs soient informés de façon au moins égale du contenu plus élevé en « sucres » et en calories qu’ils le sont du contenu du « 1/3 de sucre en moins ».

 

2.                  Une déclaration donnant effet au présent jugement et incluant les amendements faits à l’audience devra être déposé le ou avant le 18 juin 2007.

3.                  La requête en autorisation est rejetée.

 

« Johanne Gauthier »

Juge

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1044-05

 

INTITULÉ :                                       JANIE BÉDARD et

                                                            KELLOGG CANADA INC. et

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               les 14, 15 et 16 novembre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Gauthier

 

DATE DES MOTIFS :                      le 16 mai 2007

 

 

COMPARUTIONS :                       

 

Chantal Desjardins                                                        POUR LA DEMANDERESSE

Stéphane Nadeau

 

Claude Marseille                                                           POUR LA DÉFENDERESSE

Karine Joizil

 

Yolaine Williams                                                           POUR L’INTERVENANT

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

FERLAND, MAROIS, LANCTÔT                             POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

Fasken Martineau DuMoulin                                         POUR LA DÉFENDERESSE 

Montréal (Québec)

 

John Sims, c.r.                                                              POUR L’INTERVENANT                 

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)                                                      

 



[1] Suite à une ordonnance du juge Michel Beaudry, datée du 16 juin 2006, l’audition d’une autre requête de Kellogg contestant la constitutionnalité de l’article 36 a été remise après l’adjudication de la requête en autorisation.

[2] Ces boîtes ont été consommées et aucune preuve d’achat n’a été produite.

[3] En fait, il appert de la déclaration et de l’affidavit de madame Bédard, qu’il s’agit plutôt de 8 boîtes de chacune des marques.

[4] 30% de moins en sucre plutôt que 33%

[5] Toutefois le groupe proposé est décrit comme suit : Toute les personnes qui ont acheté les céréales Frosted Flakes 1/3 de sucre en moins et les céréales Froot Loops 1/3 de sucre en moins depuis leur introduction sur le marché canadien.

 

 

[6] Dans Dene Tsaa First Nation v. Canada, [2001] A.C.F. no 1177 (QL) para. 3 et 4 (première instance) varié mais pas sur ce point à 2002 CAF 117, [2002] A.C.F. no 427 (FCA) (QL), la Cour avait noté que normalement un acte de procédure ne devrait pas être radié lorsque la partie adverse a plaidé sur ce point.  Dans le présent cas, la défenderesse avait déposé sa requête en radiation bien avant de déposer sa défense.  C’est à la demande de la Cour que la requête en radiation a été entendue en même temps que la requête pour autorisation.  La Cour ne tiendra donc pas compte de cet élément.

 

[7] Compte tenu des derniers amendements, cette allégation ne s’applique qu’aux Froot Loops qui, selon la demanderesse, contiennent 30% de moins de sucre plutôt que le 33% annoncé.

[8] L’argument décrit aux paragraphes 27 et 28 ci-dessus, n’est pas mentionné dans les représentations écrites de Kellogg et ne sera pas considéré dans le cadre de la requête en radiation.

[9] La déclaration ne contient aucun autre détail quant aux quantités effectivement consommées par la demanderesse.  Bien qu’elle indique qu’elle a acheté seize boîtes de céréales en tout, il n’y a aucune indication du poids (nombre de grammes) par boîte.

[10] Il semble que d’autres lois édictées pour la protection des consommateurs en Ontario et en Colombie-Britannique font aussi une distinction entre le droit d’être remis en état (restitution) et le droit à des dommages-intérêts.

[11] Cette définition semble s’appliquer à cette expression lorsqu’elle est utilisée dans le sens de dommages-intérêts. Toutefois « damage » est aussi défini comme « loss or injury to person or property ».

[12] Voir aussi la décision de première instance [2004] O.J. no 2904 aux paras 22 à 49.

 

[13] par opposition à un jugement entérinant un règlement convenus entre les parties.

 

[14] Il convient de noter que la demanderesse n’a pas référé à cette preuve pour étayer sa position sur ce point particulier.

 

[15] Il n’est pas clair que la suggestion de Kellogg de limiter le groupe aux acheteurs qui ont subi un dommage soit acceptable (voir Chaudha v. Bayer Inc. (2003) 63 O.R. (3d) 22 au para. 69 et Rumley c. Colombie-Britannique, [2001] 3 R.C.S. 184 au para. 11, Bouchanskaia v. Bayer Inc., [2003] B.C.J. No. 1969, paras. 125-139 et Serhan, précité au para. 54 de la décision de première instance confirmée en appel.

 

[16] Au paragraphe 21 bis de la déclaration amendée, la demanderesse dit seulement que les données au volume sont trompeuses car elle laisse croire qu’il y a effectivement moins de calories. Au paragraphe 88 à 92 de ses représentations écrites, elle précise que selon les informations sur les tableaux nutritifs des Frosted Flakes, une tasse de céréales originales pèse 41 grammes alors que les mêmes céréales 1/3 de sucre de moins en pèsent 33 grammes seulement. Elle dit au paragraphe 91, « il est bien entendu que dans les faits, les dites céréales ne présentent pas de différences de poids notables ». La défenderesse argue véhément que les deux céréales n’ont pas la même densité. En bout de ligne, il semble que toute la cause repose sur cette affirmation de la demanderesse qui à ce stade n’est supportée par aucune preuve et qui est directement contredite par l’affidavit de monsieur Di Buono.

 

[17] Pourtant ses procureurs ont aussi argué que l’affaire était simple et ne nécessitaient probablement pas de preuve d’expert.

[18] La demanderesse ne semble pas avoir considéré l’action simplifiée prévue dans les Règles de la Cour.

 

[19] Il ne s’agit pas de savoir combien de boîtes ont été vendues aux détaillants eux-mêmes, mais plutôt combien de boîtes achetées par ceux-ci ont effectivement été vendues au public.

[20] Elle n’a assisté à l’audience qu’après que Kellogg ait souligné son absence et n’a pu se libérer que pour quelques heures.

 

[21] La Cour est consciente que depuis le dépôt de la déclaration originale, madame Bédard a changé de procureur.

[22] Les procureurs de la demanderesse n’ont pu donner aucune précision à savoir si les céréales vendues aux États-Unis auxquelles réfèrent l’exhibit P-1 étaient les mêmes que celles vendues au Canada.

 

[23] L’entente ne semble pas tout à fait claire sur la question de qui assumeraient les frais qui pourraient éventuellement être accordés à Kellogg si le recours était rejeté. S’agirait-il d’un débours? En effet, même si règle générale, des dépens ne sont pas accordés aux parties à un recours collectif, la Cour a discrétion pour en accorder dans certains cas (alinéa 299.41 (2)).

 

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