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Date : 20070514

Dossier : IMM-3758-06

Référence : 2007 CF 511

Ottawa (Ontario), le 14 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’KEEFE

 

 

ENTRE :

VICTORIA BOSEDE ADEGBOLA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT  ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) d’une décision la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Section de la protection des réfugiés)

(la Commission) rendue le 16 juin 2006 concluant que la demanderesse n’était ni une refugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

 

[2]                  La demanderesse requiert l'annulation de la décision et le renvoi de l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire. Elle sollicite également une ordonnance lui reconnaissant le statut de réfugié au sens de la Convention.

 

Contexte

 

[3]               La demanderesse, Victoria Bosede Adegbola, est une citoyenne du Nigéria qui a fait valoir sa crainte d’être persécutée en raison de son appartenance à un certain groupe social, nommément celui des femmes violentées par leurs conjoints de fait. Elle a également soutenu être une personne à protéger. La demanderesse a relaté les circonstances qui ont mené à sa demande d’asile dans l’exposé circonstancié de son formulaire sur les renseignements personnels (FRP).

 

[4]                La demanderesse a  rencontré son conjoint de fait, Tunde Olawole, au printemps de 1990 et leur vie commune a débuté en décembre de la même année. La demanderesse élevait alors seule son enfant; elle se démenait pour travailler et prendre soin de sa fille. En 1998, son conjoint a commencé à la maltraiter physiquement. Un soir, il est entré à la maison en état d’ébriété, et elle lui a dit de ne pas prendre le volant dans cet état. Il s’est mis en colère et l’a battue. Le lendemain, il s’est excusé et la relation s’est poursuivie. 

 

[5]               Le conjoint de la demanderesse l’a de nouveau agressée en 1999, et elle a dû être hospitalisée. De retour au travail le lendemain, son supérieur l’a conduite au poste de police et a signalé l’incident. La demanderesse a soutenu que la police a traité l’affaire comme un problème conjugal qu’il valait mieux résoudre en famille. Elle a été battue de nouveau par son conjoint plus tard dans l’année. Il lui a dit qu’elle ne devait pas le mettre en colère car il avait des amis dans les forces de l’ordre. Il a menacé de la liquider si elle le quittait. 

 

[6]               Le 24 décembre 2000, la demanderesse a regagné son domicile et a trouvé son conjoint au lit avec sa fille. Il l’a menacée de mort si elle signalait l’incident. La demanderesse a été incapable de chercher de l’aide pour sa fille avant le début de janvier 2001 car son conjoint la surveillait. Quand ce dernier est parti de la maison, la fille de la demanderesse a dit à sa mère qu’il l’agressait sexuellement depuis longtemps, mais qu’elle était incertaine de la date du début des agressions. La demanderesse s’est rendue à l’hôpital avec sa fille et le médecin a confirmé que celle-ci présentait des contusions suspectes, mais qu’elle ne semblait pas avoir été violée.

 

[7]               La demanderesse a emmené sa fille au poste de police pour se faire dire qu’il s’agissait d’une affaire privée et que la police ne pouvait intervenir. Lorsque son conjoint a découvert qu’elle avait signalé l’agression sexuelle, il est revenu à la maison et l’a battue. Il l’a menacée et a ensuite quitté leur domicile. Il s’est tenu à l’écart de la famille jusqu’à son retour à la demeure de la demanderesse en mai de 2005. Elle ne voulait pas qu’il y revienne, mais la police a exercé des pressions pour qu’elle l’accepte. Elle a été battue par son conjoint et il a continué à abuser de sa fille. 

 

[8]               En août 2005, la demanderesse a été sévèrement battue par son conjoint. Elle a été présentée à un membre du clergé qui l’a aidée à fuir au Canada. Le 11 août 2005, elle a quitté le Nigéria pour le Canada et elle a demandé l’asile trois jours plus tard. L’audition de la demande d’asile a eu lieu le 5 mai 2006 et sa demande a été rejetée par la Commission dans une décision rendue le 16 juin 2006. Il s’agit ici du contrôle judiciaire de cette décision de la Commission.

 

Les motifs de la Commission

 

[9]               La Commission a conclu que la demanderesse n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.  La réclamation reposait sur la crédibilité de l’allégation de la demanderesse qui soutenait avoir été maltraitée par son conjoint, Olawole, et craindre pour sa sécurité si elle devait retourner au Nigéria. La demanderesse n’a pas pu expliquer pourquoi elle n’avait aucune photographie la montrant en compagnie de Olawole. Elle avait toutefois obtenu d’autres documents et elle aurait dû être en mesure de démontrer qu’il vivait avec elle. La Commission n’a pas pu confirmer que l’homme apparaissant sur l’une des photographies était Olawole. En conséquence, la demanderesse n’a pas pu prouver qu’elle entretenait une relation avec l’homme qui l’avait soi-disant agressée. 

 

[10]           La demanderesse a précisé certaines dates lors de son témoignage, mais elle n’a pu raisonnablement expliquer l’oubli de la date ou du mois, en 1999, où elle a été battue par Olawole. En conséquence, aucune valeur probante n’a été accordée à la preuve de cet incident. Le récit de la demanderesse comporte aussi des contractions en ce qui concerne les circonstances entourant l’incident au cours duquel elle aurait soi-disant été battue. 

 

[11]           La Commission a aussi relevé des incohérences dans la description faite par la demanderesse des événements qui se sont déroulés après sa dénonciation à la police de l’agression contre sa fille. Dans son FRP, la demanderesse a rapporté que Olawole a sorti une arme à feu et l’a menacée si elle parlait de l’incident à quiconque, qu’il était demeuré à la maison pendant une semaine et qu’il était ensuite parti avec ses effets personnels. Dans son témoignage, toutefois, elle dit que Olawole l’a battue, a quitté la maison la journée même et n’a rien emporté avec lui. 

 

[12]           Lorsqu’il lui a été demandé pourquoi elle n’avait pas mentionné durant son témoignage que Olawole avait une arme à feu, la demanderesse a adopté une position défensive et a déclaré que l’occasion ne lui avait pas été donnée de le faire. Lorsqu’elle a été interrogée sur la contradiction dans la période de temps pendant laquelle Olawole est demeuré à la maison après qu’elle a signalé l’incident, la demanderesse a répondu qu’elle était troublée et qu’elle ne souvenait pas. Enfin, en ce qui concerne les effets personnels, la demanderesse a déclaré que Olawole n’avait rien emporté avec lui. Compte tenu de ces incohérences, la Commission a dit être d’avis que la preuve de la demanderesse en ce qui concerne cet événement n’était pas crédible et elle a conclu que cette dernière n’avait pas été agressée en janvier 2001.

 

[13]           La Commission a également relevé des problèmes dans la description que la demanderesse a faite des circonstances entourant l’agression sexuelle subie par sa fille :

-         une lettre de sa fille indique que Olawole l’avait agressée sexuellement en décembre 2000, et qu’il lui avait fait des commentaires de nature sexuelle à l’occasion d’un voyage;

-         le témoignage de la demanderesse révèle que sa fille lui avait parlé des attouchements sexuels de Olawole bien avant que celui-ci ne soit découvert en décembre 2000;

-         interrogée sur cette déclaration, elle a répondu que Olawole n’avait jamais eu de relation sexuelle avec sa fille, mais qu’il lui avait fait des attouchements sexuels avant qu’il ne soit pris; 

-         la déclaration de la demanderesse selon laquelle sa fille lui avait dit que Olawole lui avait touché la poitrine avant décembre 2000 n’a été confirmée par aucun document, et elle ne concorde pas avec son témoignage antérieur.

 

[14]           La Commission est d’avis que ces incohérences dans la preuve l’ont amenée à conclure que la demanderesse n’a pas été sincère en ce qui concerne les soi-disant agressions sexuelles contre sa fille. Elle a estimé que l’absence de documents fiables et la preuve incohérente de la demanderesse ont conduit à la conclusion qu’elle n’avait pas réussi à établir le fondement objectif de sa crainte de persécution. De plus, la Commission a conclu que la demanderesse ne serait pas exposée, selon toute vraisemblance, à un préjudice grave si elle était renvoyée au Nigéria.

 

Questions en litige

 

[15]           La demanderesse a soumis à l’examen de la Cour les questions suivantes :

            1.         La Commission a-t-elle appuyé sa démarche sur des principes erronés et fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées tirées de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait, ou bien encore a-t-elle apprécié l'ensemble de la preuve de façon manifestement déraisonnable, l’assujettissant ainsi à une révision?

2.      Le tribunal a-t-il tiré des conclusions abusives et arbitraires quant à la crédibilité, et s’agit-il alors d'une erreur justifiant l'infirmation de la décision?

 

[16]           Je reformulerais les questions proposées par la demanderesse de la façon suivante :

La Commission a-t-elle commis une erreur en jugeant que la demanderesse manquait de crédibilité?

 

Les arguments de la demanderesse

 

[17]           La demanderesse a fait valoir que lorsqu’un tribunal administratif : (1) procède en se fondant sur des principes erronés; (2) fonde sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive et arbitraire sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait; (3) rend une décision fondée sur une erreur de droit; ou (4) agit de mauvaise foi, sa décision pourrait être annulée. Il a été plaidé que la décision devrait être infirmée lorsqu’un tribunal l’a fondée sur des inférences déraisonnables.

 

[18]           La demanderesse a soutenu que le Commission avait mal interprété la preuve et que sa décision était fondée sur des déductions injustifiées. Elle a avancé que la Commission n’avait pas tenu compte d’éléments de preuve fondamentaux sur lesquels sa demande d’asile reposait et qui expliquaient pourquoi elle avait fui le Nigéria. Elle a fait valoir que lorsqu'un demandeur affirme sous serment la véracité de ses allégations, celles-ci doivent être tenues pour avérées sauf s'il existe de bonnes raisons de douter de leur véracité voir Armson c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 101 N.R. 372, 9 Imm. L.R. (2d) 150 (C.A.F.)). 

 

[19]           La demanderesse a soutenu que la Commission avait commis une erreur en mettant en doute sa crédibilité parce qu’elle n’avait pas produit de photographie la montrant avec son conjoint et, que la Commission avait omis de préciser pourquoi elle doutait de sa crédibilité pour ce motif. La demanderesse a souligné que si la photographie avait existé, il aurait été très difficile de se la procurer au moment où elle fuyait du Nigéria. Elle a fait valoir que la Commission aurait pu d’ailleurs demander précisément une telle photographie en vertu du commentaire portant sur l’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228.

 

[20]           Selon la demanderesse, la Commission a commis une erreur dans ses conclusions sur sa crédibilité en mettant l’accent  sur  des différences minimes entre son FRP et son témoignage. Il a été plaidé qu’aucune contradiction notable n’existait entre le témoignage de la demanderesse et la lettre de sa fille concernant les allégations d’agression sexuelle. La demanderesse soutient que la Commission devrait agir de façon raisonnable et de bonne foi lorsqu’elle soupèse la preuve et apprécie la crédibilité. 

 

[21]           La demanderesse a fait valoir que les conclusions quant à la crédibilité sur lesquelles se fonde une décision défavorable doivent être pertinentes par rapport à la question fondamentale de la persécution du demandeur d’asile (voir R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 228 F.T.R. 43, 2003 CFPI 116). Il a été plaidé que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la demanderesse n’était pas crédible en se fondant sur des questions accessoires. Dans l’arrêt Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2001) 208 F.T.R. 267, 2001 CFPI 776, la Cour a jugé que le tribunal doit se montrer prudent lorsqu'il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les demandeurs d’asile proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu'on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu'on les considère en fonction du milieu dont provient le demandeur d’asile.

  

Arguments du défendeur

 

[22]           Le défendeur a soutenu que la décision de la Commission résistait à la révision selon la norme de la décision manifestement déraisonnable (voir Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi   et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315, 42 A.C.W.S. (3d) 886 (C.A.F.)).

 

[23]           Le défendeur a souligné que la décision défavorable de la Commission quant à la crédibilité se fondait sur des omissions, des contradictions et des incohérences dans la preuve de la demanderesse. Il a également fait valoir que la Commission avait fourni l’occasion à la demanderesse de tenir compte de ces préoccupations et qu’elle avait appuyé ses conclusions quant à la crédibilité sur des motifs suffisants. Le défendeur a soutenu qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure de la sorte (voir Sahi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2001), 105 A.C.W.S. (3d) 1120, 2001 CFPI 527). 

 

[24]           Le défendeur a fait valoir que la Commission pouvait prendre en compte les omissions d’un demandeur d’asile dans son FRP en évaluant sa crédibilité. Il a ajouté que la cohérence entre le FRP et le témoignage importait à quiconque voulait établir un minimum de fondement au soutien de sa demande d’asile (voir Castroman c. Canada (Secrétaire d’État) (1994), 81 F.T.R. 227, 27 Imm. L.R. (2d) 129 (C.F. 1re inst.)). Le défendeur a soutenu que même si les contradictions dans la preuve de la demanderesse pouvaient sembler sans importance, leur accumulation servait adéquatement de fondement à une conclusion défavorable quant à la crédibilité (voir Nejme c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 54 A.C.W.S. (3d) 321 (C.F. 1re inst.)).

 

[25]           Le défendeur a souligné qu’il revient à la demanderesse de prouver à la Commission l'existence d'un lien avec le soi-disant agent de persécution, Tunde Olawole (voir El Jarjouhi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 48 A.C.W.S. (3d) 790

(C.F. 1re inst.)). Il a  avancé que la Commission était justifiée de tirer une inférence défavorable de l’incapacité de la demanderesse à prouver son union de fait avec Olawole. Le défendeur a fait valoir que le seul désaccord de la demanderesse avec la décision de la Commission ne suffisait pas à justifier l’intervention de la Cour (voir Ye c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1233 (C.A.) (QL)).

 

 

Analyse et décision

 

Norme de contrôle

 

[26]           Les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la Commission font l'objet d'un haut degré de retenue judiciaire et la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable (voir Aguebor, précitée).

 

[27]           Question 1

            La Commission a-t-elle commis une erreur en jugeant que la demanderesse manquait de crédibilité?      

La Commission a jugé que la demanderesse manquait de crédibilité parce qu’ : (1) elle n’a pas prouvé sa relation avec Olawole; (2) elle n’a pas fourni de détails sur les coups soi-disant reçus en avril 1999; (3) il y avait des incohérences dans sa preuve sur les coups soi-disant reçus en

janvier  2001; et (4) il y avait des incohérences dans sa preuve sur l’agression sexuelle de sa fille. La demanderesse a soutenu que la Commission s’est fondée sur des incohérences secondaires pour miner sa crédibilité et que la quasi-totalité de sa preuve était cohérente. Le défendeur a quant à lui fait valoir que la Commission était justifiée de mettre en doute la crédibilité de la demanderesse en se fondant sur les incohérences dans sa preuve.

 

[28]           Existence du conjoint de fait 

Les éléments de preuve fournis à la Commission par la demanderesse et identifiant nommément Olawole comme son conjoint de fait sont les suivants : (1) le témoignage sous serment de la demanderesse; (2) son FRP et son exposé circonstancié ; et (3) une lettre de sa fille. Les documents qui suivent prouvent que la demanderesse avait un conjoint de fait, mais ne nomment pas précisément Olawole: (1) les notes prises au point d’entrée; (2) une lettre du pasteur Timothy; (3) une lettre du pasteur Toyin Awotide; et (4) des photographies. La preuve versée au dossier indique également que la demanderesse a reçu le 4 avril 1999 des soins hospitaliers pour des blessures.

 

[29]           À mon avis, la preuve indiquait que la demanderesse vivait une relation conjugale avec quelqu’un qui l’agressait. En conséquence, le fait de ne pouvoir fournir une photographie de son conjoint de fait n’étaye pas une conclusion défavorable portant sur la crédibilité.

 

[30]           L’agression de 1999

            La Commission a demandé à la demanderesse pourquoi elle avait omis la date précise ainsi que l’ampleur de l’agression de 1999 mentionnées dans son FRP. Elle a répondu que cela ne lui était pas venu à l’esprit. La Commission n’a pas accepté qu’elle ne puisse pas expliquer pourquoi elle avait oublié la date précise des coups reçus, et elle n’a ainsi accordé que peu de poids à la preuve présentée au soutien de l’incident. L’audition de la demande d’asile a eu lieu environ sept ans après cette agression. À mon avis, la date précise à laquelle elle est survenue n’était pas particulièrement pertinente quant à sa crédibilité. Le FRP de la demanderesse révélait que pendant que des coups lui étaient portés :

 

[traduction] Il m’a projetée contre le mur et je me suis frappée la tête contre le sol. Le sang s’est mis à couler, j’ai crié, et ma fille aussi a crié. Un voisin est venu et il m’a escortée à l’hôpital, où on m’a traitée.

 

 

[31]           Une modification au FRP de la demanderesse a révélé que la demanderesse a subi des blessures à la bouche et aux mains durant  cet incident. De plus, une lettre de l’hôpital qui l’a soignée a confirmé que l’incident avait eu lieu le 4 avril 1999. À mon avis, la crédibilité de la demanderesse n’a que très peu à voir avec son incapacité à se souvenir de la date d’un incident qui est survenu il y a de cela sept ans. Je soulignerais que c’est en particulier le cas ici, étant donné les autres éléments de preuve versés au dossier qui corroboraient la nature de ses blessures et la date à laquelle elles ont été infligées.

 

[32]           Comportement suite à la dénonciation d’agression sexuelle

            La Commission a relevé certaines divergences dans la preuve de la demanderesse eu égard au comportement de son conjoint après qu’elle eût dénoncé à la police l’agression sexuelle de sa fille. Le FRP de la demanderesse indiquait que son conjoint a sorti une arme à feu, est demeuré à la maison pendant une semaine et qu’il a quitté avec ses effets personnels. Toutefois, durant son témoignage, la demanderesse n’a pas fait mention de l’arme à feu avant que la Commission ne l’incite à le faire. Dans son témoignage, elle a indiqué que son conjoint avait quitté le jour même de son retour à la maison pour la réconforter et qu’il n’avait pas pris avec lui ses effets personnels. Voici des extraits de la transcription de l’audience où la demanderesse semble se contredire :

 

                        [traduction]

DEMANDEURE D’ASILE :  En arrivant de ce voyage, il est venu et il a froncé les sourcils et il a recommencé à me battre. Il a dit avoir entendu des commentaires sur le fait que j’avais déjà dénoncé l’affaire à la police et il a cherché à connaître mes intentions à cet égard. Il a quitté la maison en y laissant ses effets personnels. J’ai eu l’esprit tranquille et j’ai vécu avec ma fille jusqu’en 2003.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :  D’accord, revenez seulement – quand est-il revenu de son voyage, le dernier voyage?

 

DEMANDEURE D’ASILE :  Il est revenu le week-end suivant.

 

[…]

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : […] Et je vous ai posé de nombreuses questions concernant cet incident et en aucun temps vous n’avez rapporté qu’il avait braqué une arme à feu en votre direction. Pourquoi?

 

DEMANDEURE D’ASILE :  Les raisons pour lesquelles je ne l’ai pas mentionné, quand j’ai tenté de répondre à votre question, avant que je puisse finir la question vous disiez toujours après.

 

[…]

 

Il a pointé une arme à feu sur moi. Après l’avoir fait, il m’a dit que si je ne faisais pas attention, si je ne prenais pas garde, qu’il me tuerait. C’est à cette occasion qu’il est sorti et qu’il a quitté la maison.

 

[…]

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :  Alors, comment –  a-t-il tout simplement quitté après avoir fait cela? Il est venu à la maison, et pendant combien de temps a-t-il été là avant qu’il ne vous roue de coups?

 

DEMANDEURE D’ASILE :  Il est venu à la maison, il a froncé les sourcils, et sitôt entré, il a commencé à me frapper. Il m’a accusée de l’avoir dénoncé à la police.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :  D’accord, alors il vous a battue le jour même de son retour à la maison.

 

DEMANDEURE D’ASILE :  C’était le même jour.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :  Et est-il parti le même jour?

 

DEMANDEURE D’ASILE :  Oui, le même jour.

 

CONSEIL : Est-il parti le même jour?

 

DEMANDEURE D’ASILE :  Il est parti aussitôt après m’avoir battue, le même jour.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :  D’accord. Il a pris ses effets personnels et il est parti?

 

DEMANDEURE D’ASILE :  Il n’a rien pris.

 

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :  Quand a-t-il pris ses effets personnels?

 

DEMANDEURE D’ASILE :  Il n’a pas pris ses effets personnels. Il a tout laissé et il est lui-même parti.

 

 

[33]           L’événement sur lequel la Commission s’est concentrée jusque dans ses moindres détails s’est déroulé au début de janvier 2001, il y a plus de six ans. Certains détails, comme celui du jour où Olawole a quitté la demeure de la demanderesse, et  la question de savoir s’il avait pris avec lui ses effets personnels, sont nettement secondaires en l’espèce. Bien qu’il était loisible à la Commission de s’interroger sur l’incapacité de la demanderesse à se rappeler si Olawole avait braqué une arme à feu en sa direction durant l’événement présumé, je ne crois pas que cette conclusion soit nécessairement suffisante pour justifier une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

 

[34]           Agression sexuelle contre la fille 

            La décision de la Commission repose sur les éléments de preuve suivants au sujet de l’agression sexuelle présumée de la fille de la demanderesse :

  • La lettre de la fille révélait que Olawole l’avait agressée sexuellement en décembre 2000 et lui avait auparavant adressé des commentaires de nature sexuelle.
  • Le FRP de la demanderesse révélait que sa fille lui avait dit que Olawole se livrait à « des attouchements sur ses parties génitales depuis longtemps », mais elle ne pouvait dire quand exactement ces attouchements avaient commencé. Le FRP indiquait qu’un médecin avait examiné sa fille et qu’il avait confirmé des contusions, mais aucune trace de viol.
  • Une lettre d’un médecin a confirmé le témoignage de la demanderesse selon lequel sa fille avait été agressée sexuellement, mais pas violée.
  • Pendant l’audience, la demanderesse a déclaré dans son témoignage que sa fille lui avait dit qu’Olawole l’agressait sexuellement depuis longtemps. Elle a aussi confirmé qu’il n’avait jamais violé sa fille.

 

[35]           La Commission a conclu que le témoignage de la demanderesse et son FRP, qui indiquaient qu’Olawole avait agressé sexuellement sa fille avant l’incident de décembre 2000, contredisaient la lettre de la fille. À mon avis, la Commission a commis une erreur en se fondant sur cette soi-disant incohérence et elle me semble faire preuve d’un zèle intempestif dans son analyse de la preuve. La lettre de la fille n’indique pas qu’elle a été agressée sexuellement par Olawole pour la première fois en décembre 2000, elle dit seulement qu’il l’a agressée à cette date et que sa mère est intervenue. Je soulignerais que le témoignage de la demanderesse est conforme à la déclaration faite dans son FRP portant sur le fait que sa fille était victime des agressions sexuelles d’Olawole « depuis longtemps », avant qu’il ne soit découvert en 2000. La preuve de la demanderesse étayant que sa fille avait été agressée, mais pas violée, a également été corroborée par la lettre du médecin. Je ne crois pas que les éléments de preuve à cet égard soient contradictoires en soi, et je considère que la Commission a commis une erreur en concluant qu’ils n’étaient pas crédibles. 

 

[36]           Vu mes conclusions, je suis d’avis que la décision défavorable de la Commission quant à la crédibilité était manifestement déraisonnable.

 

[37]           La demande de contrôle judiciaire est en conséquence accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu'une nouvelle décision soit rendue.

 

[38]           Ni l'une ni l'autre partie n'a souhaité soumettre à mon examen une question grave de portée générale pour qu'elle soit certifiée.

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT 

 

[39]           LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accordée et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-Jacques Goulet, LL.L.

 


 

ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites dans la présente section.

 

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 :

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant:

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3758-06

 

RÉFÉRENCE :                                  VICTORIA BOSEDE ADEGBOLA

 

                                                            - et -

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 2 MAI 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT               LE JUGE O’KEEFE

ET JUGEMENT :

 

DATE :                                               LE 14 MAI 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Odeleye

 

POUR LA DEMANDERESSE

David Knapp

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Babaloloa, Odeleye

North York (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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